INTRODUCTION

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I
UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES
D’AIX MARSEILLE
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE
LE DROIT DE VOTE DE L’ASSOCIE
Thèse pour le doctorat en droit
Présentée et soutenue le 14 décembre 2001
Par
Renee KADDOUCH
Membres du Jury :
M. le Doyen Jacques MESTRE – Directeur de la recherche
Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’Aix-Marseille
M. le Professeur Dominique VIDAL
Université de Nice Sophia-Antipolis
M. le Professeur François-Xavier LUCAS
Université de Nice Sophia-Antipolis
Mme le Professeur Catherine PRIETO
Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’Aix-Marseille
M. le Professeur Didier PORACCHIA
Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’Aix-Marseille
II
SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE : LE DROIT DE VOTE, PREROGATIVE DE
L'ASSOCIE CONTRACTANT
Titre I : Le droit de vote, un droit contractuel
Chapitre I : Un droit contractuel par ses règles d'attribution
Chapitre II : Un droit contractuel par ses conditions d'exercice
Titre II : Le droit de vote, un objet de contrats
Chapitre I : Les conventions sur la jouissance du droit de vote
Chapitre II : Les conventions sur l'exercice du droit de vote
DEUXIEME PARTIE : LE DROIT DE VOTE, PARTICIPATION AU
GOUVERNEMENT DE LA SOCIETE
Titre I : La participation de l'associé au pouvoir de décision
Chapitre I : La nature juridique de la résolution d'assemblée générale
Chapitre II : Le caractère fondamental du droit de vote de l'associé
Titre II : Le poids de l'associé dans l'exercice du pouvoir de décision
Chapitre I : Le droit de vote, critère du pouvoir
Chapitre II : Le droit de vote, enjeu de pouvoir
III
INTRODUCTION
En 1906, Alain s'appliquait à définir la "démocratie pure", dans laquelle,
conformément à l'étymologie (1), il voyait le "gouvernement du peuple par lui-même" : "un
peuple instruit, qui délibère et discute ; un peuple éclairé par des spécialistes, éclairé par ses
représentants, mais non pas gouverné par eux ; non, gouverné par lui-même : tel est l'idéal"
(2). Le philosophe adoptait ainsi la conception libérale de la démocratie, issue des Lumières et
héritée de la Grèce antique. Dans cette approche, les organes de l'Etat ne sont que les
mandataires du peuple ; ils ne tirent pas leur pouvoir d'un droit propre, contrairement à
l'Ancien régime, durant lequel l'autorité du Roi était fondée sur Dieu (3), mais de la volonté
du peuple.
Le fondement de ce système politique réside donc dans la participation du peuple
souverain aux affaires de la cité, par le choix de représentants. Est octroyé à chacun (4un droit
de vote qui lui permettra de peser sur le destin collectif, en élisant ses gouvernants. La
reconnaissance de l'individu comme fondement de la représentation et le triomphe de
l'élection comme consentement à l'autorité de l'Etat font ainsi du vote l'acte majeur de la
condition de citoyen. Celui-ci permet ainsi au gouverné de participer à la formation du bien
commun. Dès lors, il se présente comme le moyen par lequel l'individu va participer à la
formation de la volonté générale, expression de la Raison, libérée des dogmes et des
croyances (5).
La Constitution du 4 octobre 1958, dans son article 3, affirme ce caractère universel du
suffrage. Autrement dit, chaque citoyen français, et, à l'occasion des scrutins locaux, chaque
(1) du grec demos : peuple et kratos : pouvoir.
(2) Alain, Propos, 1906, Institut Alain, 1990, p. 47 (cité par P.-A. TAGUIEFF, Résister au bougisme, 2001, p.
25).
(3) V. sur cette question, N. ROULAND, Introduction historique au droit, PUF, 1998, n° 184 et s.
(4) Le suffrage n'a pas toujours été universel. Il a d'abord été censitaire. Ainsi, pour se limiter à la France, au
lendemain de la Révolution, seuls les hommes qui s'acquittait préalablement du cens (impôt) pouvait participer
au scrutin. Ce n'est qu'après la révolution de 1848 que tous les hommes purent voter. En revanche, les femmes
françaises durent attendre l'ordonnance du comité français de Libération nationale, en 1944, pour se voir
attribuer le droit de vote – sur cette évolution, D. TURPIN, Droit constitutionnel, 4° éd., PUF, 1999, p. 212 et s.
(5) P. PERRINEAU et D. REYNIE (sous la direction de), Dictionnaire du vote, PUF, 2001, V° "vote", spéc. p.
238.
IV
ressortissant de l'Union européenne (6), est titulaire du droit de vote. Cette règle ne souffre
d'aucune exception. Les textes internationaux posent le même principe. Ainsi, par exemple,
selon l'article 21 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948,
"la volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit
s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage
universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du
vote".
Ainsi reconnu, le droit de participer aux élections revêt une double fonction. Il permet
de recenser les opinions individuelles au sein du corps social et de former la décision
collective qui portera une majorité politique au pouvoir (7). Autrement dit, le vote est à la fois
l'expression d'un avis sur une question ou un projet de société et le consentement donné à la
décision qui en résulte (8).
Fondement de la démocratie, le vote connaît cependant une crise profonde. A
l'occasion de chaque scrutin, local ou national, les analystes constatent une érosion de la
participation des électeurs ( 9 ). Cette désaffection pour le droit de vote n'est que la
manifestation d'un malaise du système politique représentatif, en liaison avec le phénomène
de mondialisation (10).
Néanmoins, en dépit de ces vicissitudes, le droit de suffrage demeure la forme la plus
aboutie de la participation du citoyen aux affaires de la cité. Dans ces conditions, on
comprend que les groupements de droit privé se soient largement inspirés de l'organisation
politique et en aient fait le moyen privilégié d'expression de leurs membres (11).
(6) sur le débat relatif au droit de vote des étrangers aux élections locales, V. D. TURPIN, Droit constitutionnel,
op. cit., 218 et s.
(7) sur cet aspect, P. PERRINEAU et D. REYNIE (sous la direction de), Dictionnaire du vote, op. cit., V°
"vote", spéc. p. 939 ; adde, O. IHL, Le vote, Montchrestien, 1996.
(8) G. CORNU (sous la direction de), Voc. Ass. H. CAPITANT, PUF, coll. Quadrige, 2000, V° "vote".
(9) Ainsi, selon le Ministère de l'intérieur, à l'occasion des élections municipales de 1989, les électeurs s'étaient
déplacés à 73 pour cent (aux deux tours), alors que celles de mars 2001 ont connu une participation moindre de
67 pour cent.
(10) sur cette menace que ferait peser sur la démocratie la mondialisation et son corollaire, la néo-tribalisation,
B. BARBER, Djihad versus Mc World. Mondialisation et intégrisme contre la démocratie, éd. Hachette,
collection Pluriel, 2001 ; P.-A. TAGUIEFF, Résister au bougisme, précité.
(11) d'une manière générale, en droit privé, F. MASQUELIER, Le vote en droit privé, thèse Nice, 1999.
V
Ainsi, la loi du 10 juillet 1965, régissant la copropriété des immeubles bâtis, a, dans
son article 22, reconnu à chaque copropriétaire le droit de vote dans les assemblées générales,
seules habilitées à prendre les décisions du syndicat (12). Cette prérogative est si essentielle
qu'aucun copropriétaire ne peut en être privé, même s'il est intéressé à la délibération. Toute
assemblée à laquelle un de ses membres n'aurait pas été convoqué encourt l'annulation, même
si l'absence du votant n'a eu aucune incidence sur le résultat du scrutin (13).
De même, dans les associations, chaque sociétaire dispose du droit de vote, même s'il
peut en être privé pour des raisons disciplinaires ou tenant au non-respect de son obligation de
verser une cotisation (14). Il n'est pas jusqu'au droit de la famille (15) ou au droit du travail
(16) qui ne connaissent pas le principe de l'attribution du droit de vote à tout membre du
groupement. Autrement dit, l'octroi d'un droit de suffrage est consubstantiel à toute
organisation collective, personnifiée ou non.
Cependant, c'est en droit des sociétés que l'étude du droit de vote présente le plus
grand intérêt. En effet, le droit de suffrage reconnu à chaque associé permet de distinguer la
société d'un autre contrat (17) et fait toute son originalité. Le droit de vote n'a d'ailleurs jamais
cessé de nourrir la réflexion, notamment dans la société anonyme (18).
Néanmoins, une théorie générale du vote de l'associé n'a jamais, à notre connaissance,
été entreprise. Certes, la loi du 24 juillet 1966 a pris la société anonyme comme modèle (19),
ce qui peut expliquer l'omniprésence doctrinale du vote de l'actionnaire. Néanmoins, en
pratique, il ne s'agit pas des groupements les plus nombreux. Il a nous donc paru intéressant
(12) sur les structures de la copropriété, C. ATIAS, Droit civil. Les biens, 4° éd., Litec, 1999, n° 355 et s. – plus
spécialement, sur l'assemblée générale des copropriétaires, F. GIVORD et C. GIVERDON, La copropriété, 4°
éd., Dalloz, 1992, n° 546 et s.
(13) cass civ 3ème 22 févr. 1989, Bull. III n° 47 – sur cet arrêt Ch. ATIAS, La copropriété immobilière sur la voie
du droit commun, D. 1989 chron p. 263.
(14) E. ALFANDARI (sous la direction de), Associations, Dalloz, 2000, n° 1289 – comp., validant une clause
statutaire qui réservait le droit de vote à certains sociétaires seulement, cass civ 1ère 25 avr. 1990, RTD com.
1991 p. 241, obs. E. ALFANDARI.
(15) au sein du conseil de famille.
(16) au sein du comité d'entreprise.
(17) P. LE CANNU, La protection des administrateurs minoritaires, Bull. Joly 1990 p. 511.
( 18 ) P. CHESNELONG, Le droit de vote dans les assemblées générales des sociétés par actions, thèse
Toulouse, 1924 ; J. CHARGE, La nature du droit de vote de l'actionnaire dans les assemblées des sociétés par
actions, thèse Poitiers, 1937 ; F. LETELLIER, Le droit de vote de l'actionnaire, thèse Paris, 1942 ; Y.
ELSHAZALI EL SHAIKH, Le droit de vote dans les assemblées d'actionnaires, thèse Nancy II, 1992 – en
dernier lieu, P. LEDOUX, Le droit de vote des actionnaires, thèse Paris II, 2000 – adde, C. KOERING, La règle
"une action-une voix", thèse Paris I, 2000.
(19) P. LE CANNU, L'évolution de la loi du 24 juillet 1966 en elle-même, Rev. Sociétés 1996 p. 485.
VI
de nous pencher sur les autres formes sociales reconnues par la loi (20). Nous aborderons
donc principalement les sociétés envisagées par le code de commerce, c'est à dire la société
anonyme, la SARL ou encore la société par actions simplifiée… ainsi que la société civile. Ce
faisant, nous le verrons, les règles régissant le droit de suffrage ne se distinguent pas
fondamentalement de celles applicables aux sociétés anonymes.
La matière s'est en outre profondément renouvelée ces dernières années, sous l'effet de
deux phénomènes, en apparence contradictoires.
En premier lieu, la pratique des affaires a été le théâtre d'un important mouvement de
contractualisation (21), tant par la voie statutaire que extra-statutaire (22). Face au caractère
sclérosant de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, unanimement dénoncé (23), les associés ont
tenté d'assouplir le fonctionnement de leur groupement, en utilisant les techniques
contractuelles, pour l'adapter à leurs besoins spécifiques. Le droit des sociétés se gauchit ainsi,
du fait de sa confrontation avec les principes généraux du contrat. Mais, ces accords n'étant
pas conclus ex nihilo, intéressant au premier chef la personne morale, ils ne sauraient être
entièrement régis par le droit des obligations, et demeurent donc pour une large part soumis
aux règles impératives du droit des sociétés. Autrement dit, droit des sociétés et droit des
contrats s'enrichissent l'un l'autre de cette multiplication des accords entre associés (24). La
loi du 3 janvier 1994, instituant la société par actions simplifiée, aménagée par celle du 12
juillet 1999, s'inscrit incontestablement dans cette tendance (25). Dans ces conditions, la
(20) Nous n'envisagerons donc pas la question de l'associé de la société européenne. Ce projet, dont l'origine
remonte à 1967 et qui a été plusieurs fois remanié, n'a toujours pas abouti : sur cette question, V. not. De
nouvelles perspectives pour la société européenne. Vers une société fermée européenne, Gaz. Pal. 23-24 sept.
1998.
(21) M. JEANTIN, Droit des obligations et droit des sociétés, Mélanges Louis Boyer, 1996, p. 318 ; B.
SAINTOURENS, La flexibilité du droit des sociétés, RTD com. 1987 p. 457 et du même auteur, La
simplification du droit français des sociétés, Journ. Société de législation comparée, t. 16, 1994, p. 91
(22) Sur ce phénomène, J.-J. DAIGRE, Transformer les sociétés, cah. dr. entr. 2/1995 p. 16 et, du même auteur,
Crise et structures juridiques des entreprises, in Droit de la crise : crise du Droit ?. Les incidences de la crise
économique sur l'évolution du système juridique, PUF, 1997, p. 73.
(23) V. par ex. J. MESTRE, L’ordre public dans les relations économiques, in Th. REVET (sous la direction de),
L’ordre public à la fin du XXe siècle, Dalloz, 1996, p. 33 ; B. OPPETIT, Les tendances actuelles du droit
français des sociétés, RID comp. 1989, n° spécial, p. 105 ; M. JEANTIN, Droit des obligations et droit des
sociétés, Mélanges Louis Boyer, 1996, p. 318.
(24) V. en ce sens, Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre
associés, 4° éd., LGDJ, 1999, p. 39 ; R. LIBCHABER, La société, contrat spécial, in Prospectives de droit
économique. Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 281 – adde, dans une autre optique, I. GROSSI,
Les devoirs des dirigeants sociaux : bilan et perspectives , thèse Aix en Provence, 1998.
(25) sur ces lois, infra.
VII
doctrine a milité en faveur d'une admission de principe des conventions relatives au droit de
vote, et la jurisprudence a paru lui emboîter le pas (26).
En second lieu, en liaison avec la mondialisation des marchés financiers, et la
mondialisation voire l'américanisation du droit qui en résulte (27), les auteurs ont réfléchi sur
l’opportunité de transposer en droit français les principes de la corporate governance anglosaxonne (28). Ceux-ci sont inspirés par le souci de moraliser dans les sociétés faisant appel
public à l’épargne les relations entre les dirigeants et les actionnaires, notamment les
investisseurs institutionnels. Ils trouvent leur source majeure dans les théories microéconomiques modernes, d'obédience libérale, de l’agence et des droits de propriété,
envisageant la société comme un nœud de contrats (29). Cette philosophie de primauté de
l'actionnaire a été à l'origine de nombreux rapports. Ainsi, par exemple, un groupe de travail,
présidé par Marc Viénot, a rendu un rapport, dit rapport Viénot, relatif au "conseil
d'administration des sociétés cotées", qui émet un certain nombre de propositions destinées à
favoriser le contrôle sur l'action des dirigeants sociaux et qui contient une définition de
l'intérêt social, au cœur du projet sociétaire ( 30 ). Surtout, le rapport Pébereau sur "le
capitalisme au XXI° siècle" étudie les moyens destinés à restaurer la toute-puissance de
l'actionnaire et l'efficience de son droit de vote (31).
La loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques s'inscrit également
dans cette perspective (32). Ainsi envisagé, le droit de vote demeure la prérogative la plus
(26) CA Paris 30 juin 1995, JCP éd. E. 1996 II n° 795, note J.-J. DAIGRE ; RTD civ. 1996 p. 893, obs. J.
MESTRE ; Dr. Sociétés 1995 n° 198, obs. D. VIDAL.
(27) à propos de l'influence de la mondialisation sur le droit des sociétés, P. BEZARD, Le droit des sociétés
français face aux défis de la mondialisation, Rev. Sociétés 2000 p. 55 ; du même auteur, La mondialisation et les
marchés financiers, RJ com. janv. 2001, Le droit des affaires au XXI° siècle, p. 163 ; J.-J. DAIGRE, Rapport de
synthèse, RJ com. janv. 2001, Le droit des affaires au XXI° siècle, p. 225 – adde, sur le phénomène voisin
d'américanisation du droit, Arch. Phil. Dr. t. 45, L'américanisation du droit, Dalloz, 2001.
(28) sur cette question V. infra.
(29) A. COURET, Les apports de la théorie micro-économique moderne à l’analyse du droit des sociétés, Rev.
Sociétés 1984 p. 243.
(30) M. VIENOT, Le conseil d’administration des sociétés cotées, rapport AFEP-CNPF, 1995, in www.medef.fr
; rappr. dans le même sens, AFEP-MEDEF, Rapport du comité sur le gouvernement d’entreprise présidé par M.
Marc VIENOT, juill. 1999, in www.medef.fr (sur ce rapport, I. GROSSI, Rapport Viénot II : véritable avancée
ou simple état des lieux ?, Bull. d’actualisation Lamy Sociétés commerciales, oct. 1999 p. 1).
(31) M. PEBEREAU, Le capitalisme au XXI° siècle, Institut des entreprises, mars 1995.
(32) sur cette loi, on consultera not. : J. MESTRE et D. VELARDOCCHIO, Les réformes du droit des sociétés
commerciales dans la loi "nouvelles régulations économiques" du 15 mai 2001, Bull. d'actualité Lamy Sociétés
Commerciales, juin 2001 ; D. BUREAU, La loi relative aux nouvelles régulations économiques. Aspects de droit
des sociétés, Bull. Joly 2001 p. 553 ; A. COURET, La loi sur les nouvelles régulations économiques. La
régulation du pouvoir dans l'entreprise, JCP 2001 I n° 339 ; J.-J. DAIGRE, Loi du 15 mai 2001 relative aux
nouvelles régulations économiques. Aspects de droit financier et de droit des sociétés, JCP 2001 p. 1197 et p.
1309 ; JCP éd. E. 2001 p. 1013 ; M.-A. FRISON-ROCHE, La loi sur les nouvelles régulations économiques, D.
VIII
essentielle de l'associé, celle qui lui permet de la manière la plus efficiente de participer aux
affaires sociales. Il convient donc de le protéger contre toutes les atteintes qu'il pourrait subir.
De prime abord, ces deux orientations majeures du droit des sociétés contemporain
s'opposent largement. La finalité de la règle de droit, dans un domaine abandonné à la liberté
contractuelle, est moins de protéger l'associé, que de garantir la bonne formation des contrats
et leur exécution loyale (33). Dès lors, la libre conclusion de conventions sur le droit de vote
pourrait porter atteinte au règles de la corporate governance, celles-ci postulant un suffrage
libéré de toute entrave, intellectuelle ou juridique. En réalité, les deux aspirations du droit des
sociétés sont parfaitement conciliables et complémentaires, comme en témoigne l'admission
par le rapport Marini (34) des accords de vote et la restauration de la primauté de l'associé par
cette même étude. Les conventions sur le droit de vote peuvent en outre permettre une
meilleure concertation de l’actionnariat (35). De surcroît, nous le verrons, les règles du droit
des contrats sont suffisantes à assurer la protection du droit de vote de l'associé qui s'engage
dans des liens contractuels.
Cela étant, pour beaucoup (36), la conception du droit de vote, "droit à la nature
complexe qui ne peut être saisi dans une formule unique" (37), serait largement fonction de la
conception théorique de la société. Si l'on envisage celle-ci comme un contrat, le droit de
suffrage présentera les caractères d'un droit subjectif, destiné à défendre les intérêts propres de
son titulaire (38). Si l'on fait prévaloir l'une ou l'autre des théories institutionnelles, alors le
droit de vote sera essentiellement perçu comme une fonction, visant à satisfaire l'intérêt du
groupement. C'est la raison pour laquelle il convient de s'attarder sur la controverse séculaire
relative à la nature juridique de celui-ci.
2001 p. 1930 ; D. VIDAL, La loi n° 2001-420 relative aux nouvelles régulations économiques, Dr. Sociétés juin
2001 p. 3.
(33) sur les rapports entre la pratique des sociétés et la règle de droit, V. not. A. COURET, De quelques apports
conceptuels du droit financier contemporain, Mélanges Claude Champaud, Le droit de l'entreprise dans ses
relations externes à la fin du XX° siècle, Dalloz, 1997, p. 195 et du même auteur, Innovation financière et règle
de droit, D. 1990 chron. p. 135.
(34) Ph. MARINI, La modernisation des sociétés commerciales, La documentation française, 1996.
(35) P. LE CANNU, Légitimité du pouvoir et efficacité du contrôle dans les sociétés par actions, Bull. Joly 1995
p. 637, spéc. n° 19.
(36) V. J.-J. DAIGRE, Le droit de vote est-il encore un attribut essentiel de l'associé, JCP éd. E. 1996 I n° 575,
spec. n° 1.
(37) Selon l'expression de M. le Professeur Dominique Schmidt (Les droits de la minorité dans la société
anonyme, Sirey, 1970, n° 56).
(38) V. en dernier lieu, retenant cette approche, P. LEDOUX, Le droit de vote des actionnaires, op. cit.
IX
La doctrine classique, imprégnée de la philosophie libérale issue de la Révolution,
analysait la société comme un contrat. Ce courant appliquait la doctrine de Rousseau, émise
dans "Du contrat social", au sujet de l’Etat (39). Ces auteurs invoquaient à l’appui de leur
position l’article 1832 du Code civil qui définissait la société comme "un contrat par lequel
deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun dans la vue de
partager le bénéfice qui pourra en résulter". Pour eux (40), la société est une manifestation de
volonté. Chaque contractant dispose d’un droit de vote. En conséquence, l’assemblée générale
de la société, qui réunit tous les associés, est souveraine. Néanmoins, pour des raisons
pratiques, les décisions sont prises à la majorité, les associés minoritaires étant présumés y
avoir consenti à l’avance, lors de la formation du contrat. En outre, l’assemblée donne mandat
à un ou plusieurs associés d’administrer la société. L’analyse contractuelle classique était
donc liée au dogme de l’autonomie de la volonté, qui perdura tout au long du XIXe siècle.
Néanmoins, étant en étroite liaison avec la philosophie individualiste du Code civil,
elle ne pouvait pas échapper à la crise du libéralisme. La doctrine privatiste continua
cependant d’analyser la société comme un contrat. La remise en question de la thèse
traditionnelle fut donc l’œuvre de deux maîtres du Droit public, Maurice Hauriou (41) et Léon
Duguit (42).
Selon eux, la société ne repose pas sur un contrat mais sur un acte collectif. En effet,
un contrat se caractérise par son caractère instantané alors que la société a vocation à
s’inscrire dans la durée. De plus, les associés poursuivent un même intérêt alors que le propre
du contrat est de faire naître deux situations opposées.
Une fois créée, la société n’est même plus un acte juridique mais une institution
définie comme « une réalité que constitue soit un organisme existant lorsque s’y dégage la
conscience d’une mission et la volonté de la remplir en agissant comme une personne morale
soit une création lorsque le fondateur, découvrant l’idée d’une œuvre à réaliser, entreprend
cette réalisation en suscitant une communauté d’adhérents ou encore une organisation
(39) J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, 1762, Flammarion, 2001.
(40) E. THALLER, Traité élémentaire de droit commercial, t. 1, n° 218.
(41) M. HAURIOU, Traité de droit constitutionnel, 1929 ; sur la doctrine de l’institution proprement dite, R.
SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, 1ère série, Panorama des
mutations, 3° éd., Dalloz, 1964, n° 95 et s. ; J. BRETHE DE LA GRESSAYE, Rép. Civil, V° « Institution »,
1973 ; J. A. BRODERICK, La notion d’ « institution » de Maurice Hauriou dans ses rapports avec le contrat en
droit positif français, Arch. Phil. Dr., t. 13, Sur les notions du contrat, Sirey, 1965, p. 143 ; G. MARTY, La
théorie de l’institution, Ann. Faculté de Droit de Toulouse, La pensée du Doyen Maurice Hauriou et son
influence, 1968, p. 29.
(42) L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, 1929.
X
sociale établie en relation avec l’ordre général des choses dont la permanence est assurée
par un équilibre de forces ou par une séparation des pouvoirs et qui constitue par elle-même
un état de droit » (43). Elle est toute entière tournée vers la réalisation de l’Idée qui a présidé
à sa naissance (44). En d’autres termes, le fonctionnement de la société est calqué sur celui
des personnes publiques et par conséquent régi par un principe de séparation des pouvoirs.
Chacun des membres de l’institution est soumis à un principe supérieur d’autorité, qui justifie
l’existence de la loi de la majorité. Selon cette analyse, les dirigeants ne sont pas les
mandataires des associés mais les organes de l’institution, dont ils sont l'incarnation.
Cette doctrine rencontra un vif succès auprès de la doctrine (45). En effet, depuis la loi
du 22 novembre 1913, l’assemblée générale extraordinaire pouvait modifier les statuts à la
majorité des deux tiers, sous réserve de ne pas augmenter les engagements des actionnaires.
En d’autres termes, les majoritaires pouvaient imposer une décision à leurs co-associés, au
mépris des principes du droit des contrats. Les auteurs favorables à l’analyse contractuelle
étaient dès lors embarrassés pour justifier ce pouvoir exorbitant du droit commun. Certains
invoquaient un consentement anticipé des minoritaires lors de la constitution de la société
(46), d’autres un mandat tacite qu’ils donneraient aux majoritaires. Aucun de ces arguments
n’était convaincant car ils reposaient tous sur une fiction.
La théorie de l’institution fut renouvelée par deux courants.
Le premier fut la théorie de l’acte juridique collectif (47). Selon cette école, puisque la
société ne fait pas naître deux situations antagonistes, celle de débiteur et celle de créancier,
elle ne peut reposer sur un contrat mais sur un acte collectif. Celui-ci se caractérise par
l’émission d’un faisceau de volontés concordantes (48) et a pour effet de donner naissance à
(43) Voc. Ass. H. CAPITANT V° « Institution »
(44) sur l’importance de l’Idée dans la doctrine institutionnelle, J. BRETHE DE LA GRESSAYE, Rép. Civil V°
« Institution », op. cit., n° 28 et s.
(45) G. RENARD, La théorie de l’institution. Essai d’ontologie juridique, Sirey, 1930 ; E. GAILLARD, La
société anonyme de demain. La théorie institutionnelle et le fonctionnement de la société anonyme, thèse Lyon,
1932.
(46) pour une critique de cette présomption de consentement anticipé au regard de l’indétermination de l’objet,
G. RIPERT, La loi de la majorité dans le droit privé, Mélanges Sugiyama, 1940, p. 351.
(47) G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, Bibl. dr. priv. t. 27, LGDJ, 1961, p. 66, pour
les sociétés à fort intuitu personae, et p. 87, pour les sociétés par actions ; R. CABRILLAC, L’acte juridique
conjonctif en droit privé français, Bibl. dr. priv. t. 213, LGDJ, 1990, n° 213 et s ; V. aussi dans les manuels de
droit des obligations, G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil. Les obligations, t. 1, Les sources, 2° éd., Sirey,
1988, n° 369 ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, t. 1, L’acte juridique, 7° éd., 1996, n° 520 ; comp.
Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, 7° éd., Dalloz, 1999, n° 53.
(48) G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p 87 et s., pour les sociétés par
actions ; p. 59 et s., pour les sociétés à base d’intuitu personae. M. le Professeur Rémy Cabrillac voit également
XI
une institution. Par ailleurs, cette catégorie particulière d’actes juridiques, définie comme un
« accord de volontés semblables ayant toutes le même contenu et orientées vers la réalisation
d’un but commun » explique la communion des membres de l’institution autour de l’Idée.
(49). En cela, elle se situe dans le prolongement de la doctrine publiciste de Hauriou et de
Duguit.
Le second courant doctrinal prolongeant l’analyse institutionnelle est celui de la
théorie fonctionnelle de la société. Il a rencontré une audience considérable.
A la suite de Ripert, qui voyait dans la société anonyme « un merveilleux instrument
créé par le capitalisme moderne pour collecter l’épargne en vue de la fondation et de
l’exploitation des entreprises » (50), plusieurs auteurs ont axé leurs recherches sur l’entreprise
(51). Pour eux, la société n’est qu’une technique au service d’une finalité, l’entreprise. Celleci étant dépourvue d’existence juridique, la technique sociétaire permet de la lui conférer.
Selon M. le Professeur Jean Paillusseau, véritable initiateur de la doctrine, les conceptions
institutionnelle et surtout contractuelle souffrent d’une lacune essentielle. Elles font en effet
de la société un groupement de personnes et négligent sa dimension économique et sociale.
Cette nouvelle analyse marque selon ses partisans une véritable rupture avec les thèses
antérieures (52) puisqu’elle introduit dans la relation sociétaire des intérêts étrangers à ceux
des apporteurs de capitaux. En réalité, cette doctrine entrepreneuriale de la société se situe
dans le prolongement de la thèse institutionnelle, l’Idée constitutive de l’institution pouvant
s’assimiler à l’entreprise (53).
dans la constitution d’une personne morale un « acte toujours conjonctif » (op. cit., n° 255), qu’il définit comme
« l’acte par lequel plusieurs personnes sont rassemblées lors de sa formation ou postérieurement, au sein d’une
même partie, c’est à dire par un même intérêt, défini par rapport à l’objet de l’acte » (op. cit., n° 319).
(49) G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p. 209.
(50) G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, 2° éd., LGDJ, 1951, n° 46 et s.
(51) M. DESPAX, L’entreprise et le droit, Bibl. dr. priv., t. 1, LGDJ, 1957; Cl. CHAMPAUD, Le pouvoir de
concentration de la société par actions, Sirey, 1962 et surtout J. PAILLUSSEAU, La société anonyme,
technique d’organisation de l’entreprise; adde, P. DURAND, Rapport français, TAC t. 3, La notion juridique
de l’entreprise, 1948, p. 45 ; B. MERCADAL, La notion d’entreprise, Mélanges Jean Derruppé, Les biens et les
activités de l'entreprise, p. 9 ; Cl. CHAMPAUD, Le contrat de société existe-t-il encore ? , in L. CADIET (sous
la direction de), Le droit contemporain des contrats, Economica, 1987, p. 125 ; J. PAILLUSSEAU, Les
fondements du droit moderne des sociétés, JCP éd. E 1984 I n° 14193 ; Qu’est-ce que l’entreprise, in J.
JUGAULT (sous la direction de), L’entreprise :nouveaux apports, Economica, 1987, p. 11 ; Le big bang du
droit des affaires à la fin du XXe siècle (ou les nouveaux fondements et notions du droit des affaires), JCP 1988 I
n° 3330 ; P. DIDIER, Esquisse de la notion d’entreprise, Mélanges offerts à Pierre Voirin, 1966, p. 209.
(52) Cl. CHAMPAUD, Le contrat de société existe-il encore ?, précité ; adde, du même auteur, Clan et hoirie,
société et entreprise, Dr. et patrimoine nov. 1997 p. 64.
(53) en ce sens, J.-P. BERTREL, Liberté contractuelle et sociétés (essai d’une théorie du « juste milieu » en
droit des sociétés), RTD com. 1996 p. 595, spéc. n° 34 – adde, R. GRANGER, La nature juridique des rapports
entre actionnaires et commissaires chargés du contrôle dans les sociétés par actions. Contribution à l’étude de
la nature juridique de la société par actions, thèse Paris, 1951, n° 235 et s. ; G. MARTY, La théorie de
XII
Cette doctrine a d’ailleurs été ultérieurement étendue à l’ensemble des personnes
morales (54).
Certaines décisions rendues par les juridictions du fond ont expressément qualifié la
société d’institution (55) mais elles sont demeurées marginales. La théorie de l’entreprise n’a
jamais été consacrée par la jurisprudence, à l’exception de l’affaire Fruehauf (56), dont la
solution s’expliquait bien plus par le contexte géopolitique.
A l’inverse, la doctrine contractualiste peut s’autoriser d’un arrêt rendu par la Cour de
Justice des Communautés Européennes (57), aux termes duquel « les liens existant entre les
actionnaires d’une société sont comparables à ceux qui existent entre les parties à un
contrat. La constitution d’une société traduit en effet l’existence d’une communauté d’intérêts
entre les actionnaires dans la poursuite d’un objectif commun. Afin de réaliser cet objectif,
chaque actionnaire est investi vis à vis des autres actionnaires et des organes de la société, de
droits et d’obligations qui trouvent leur expression dans les statuts de la société. Il s’ensuit
que pour l’application de la Convention de Bruxelles, les statuts de la société doivent être
considérés comme un contrat, régissant à la fois les rapports entre les actionnaires et les
rapports entre ceux-ci et la société qu’ils créent ».
Les tenants de l’analyse entrepreneuriale de la société ont cru voir dans la nouvelle
rédaction de l’article 1832 du Code civil, issue de la loi n° 85-697 du 11 juillet 1985,
consécration de leur thèse (58). Ce texte dispose désormais que « la société est instituée par
deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise
commune des biens ou leur industrie en vue de partager les bénéfices ou de profiter de
l’économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par
l’acte de volonté d’une seule personne ». Pour ces auteurs, qui s’appuient sur les travaux
préparatoires, le législateur a non seulement voulu affirmer le caractère institutionnel de la
société pluripersonnelle mais encore consacrer la doctrine de l’entreprise par la création de
l’EURL. En effet, du fait de cette innovation, la pluralité d’associés ne serait plus de l’essence
l’institution, précité ; Cl. DUCOULOUX-FAVARD, Nature juridique du contrat de société. Un exemple
d’écueil possible pour le comparatiste, Rev. Sociétés 1966 p. 1.
(54) J. PAILLUSSEAU, Le droit moderne de la personnalité morale, RTD civ. 1993 p. 705.
(55) CA Paris 26 mars 1966, RTD com. 1966 p. 349, obs. R. HOUIN ; CA Reims 24 avr. 1989, JCP éd. E 1990
II n° 15667, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.
(56) CA Paris 22 mai 1965, D. 1968 p. 147 ; RTD com. 1965 p. 619, obs. R. RODIERE ; Grands arrêts du droit
des affaires, n° 44 p. 487, obs. S. FARNOCCHIA – sur cette affaire, supra.
(57) CJCE 10 mars 1992, RTD civ. 1992 p. 757, obs. J. MESTRE.
( 58 ) J. PAILLUSSEAU, L’EURL ou des intérêts pratiques et des conséquences théoriques de la société
unipersonnelle, JCP 1986 I n° 3242, spéc., n° 93 et s. ; Cl. CHAMPAUD, Le contrat de société existe-t-il
encore ?, précité.
XIII
de la société. Par conséquent, celle-ci ne pourrait plus être analysée comme un groupement de
personnes (59).
En réalité, il ne faut pas accorder à la terminologie légale plus d’importance qu’elle
n’en a (60). Certes, la notion de contrat est complètement inadaptée pour expliquer la création
et le fonctionnement de l’EURL. Néanmoins, la nouvelle définition de la société s’explique
bien plus par la contradiction entre l’appellation « société », donnée à l’EURL, et la nature
véritable de celle-ci, une entreprise individuelle.
Est-ce à dire que la société n'est qu'un contrat ? Nous ne le pensons pas et avec la
doctrine moderne, nous penchons en faveur d'une analyse mixte de la société (61). Il semble
en effet que cette conception médiane soit la plus conforme à la réalité, en ce qu’elle rend
compte de certains aspects du groupement, tantôt irréductibles au schéma contractuel, tantôt
inexplicables par les thèses institutionnelles.
Les auteurs synthétisent cette approche protéiforme de la manière suivante. La
constitution de la société présenterait une nature irrémédiablement contractuelle alors que son
fonctionnement s'inscrirait dans un cadre institutionnel (62).
Cependant, cette présentation ne convainc pas, du fait de son caractère par trop
systématique (63). Certains aspects de la vie sociale peuvent traduire une emprise réelle du
droit des contrats, alors que d'autres sont révélateurs de la prééminence de l'institution. Ainsi,
par exemple, les relations des dirigeants sociaux avec les associés, au cœur du fonctionnement
sociétaire, peuvent s'expliquer par les règles gouvernant le droit du mandat (64). En revanche,
( 59 ) J. PAILLUSSEAU, L’EURL ou des intérêts pratiques et des conséquences théoriques de la société
unipersonnelle, précité, n° 103.
(60) J. MESTRE et G. FLORES, Brèves réflexions sur l’approche institutionnelle de la société, Petites affiches
14 mai 1986 p. 25 ; Y. GUYON, Droit des affaires, 11° éd., Economica, 2001., n° 96 ; E. ALFANDARI, Droit
des affaires, Litec, n° 325.
(61) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, 2001, n° 34 ; Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 97 ; J.
HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit commercial, t. 2, Dalloz, 1980, n° 387 ; B. MERCADAL et
Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, Francis Lefebvre, 2001, n° 27 ; M. COZIAN et A.
VIANDIER, Droit des sociétés, 14° éd., Litec, 2001, n° 152 ; Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés
commerciales, 7° éd., Dalloz, 2000, n° 23.
(62) Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., loc. cit. ; Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales,
op. cit., loc. cit.
(63) Rappr. J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 37 – adde, du même auteur, La société est
bien encore un contrat…, Mélanges Christian Mouly, t. 2, Litec, 1998, p. 131.
(64) V. ainsi, mettant à leur charge une obligation de loyauté envers les associés, cass com 27 févr. 1996; RTD
civ. 1997 p. 114, obs. J. MESTRE ; JCP 1996 II n° 22665, note J. GHESTIN ; D. 1996 p. 519, note Ph.
MALAURIE et p. 591, obs. J. GHESTIN ; JCP éd. E 1996 II n° 838, note D. SCHMIDT et N. DION,
approuvant CA Paris 19 janv. 1994, RTD civ. 1994 p. 853, obs. J. MESTRE – comp., cass civ 1ère 3 mai 2000,
RTD civ. 2000 p. 566, obs. J. MESTRE et B. FAGES.
XIV
les structures du groupement sont régies par un principe de séparation des pouvoirs (65),
d'ordre public (66), que le droit des contrats demeure impuissant à expliquer.
En cela, le débat sur la nature juridique de la société présente peu d'intérêt. Comme l'a
montré M. le Professeur Dominique Schmidt, la société se présente comme une structure
juridique, le plus souvent personnalisée, destinée à enrichir ses membres, tout en limitant
leurs risques financiers (67).
Ainsi envisagée, la société est donc un contrat dont la particularité est de donner
naissance à une personne morale, qui a vocation à l'inscrire dans la durée.
Cette nouvelle approche a irrémédiablement des incidences importantes sur le statut de
l'associé. Bien que présentant un intérêt théorique et pratique majeur, le concept n'est pas
défini par la loi et n'est que peu envisagé en tant que tel par la doctrine (68). Il nous semble
cependant que la notion puisse être envisagée sous un double angle.
(65) cass civ 4 juin 1946, S. 1947, 1, p. 153, note P. BARBRY, ; JCP 1947 II n° 3518, note D. BASTIAN ;
Journ. Sociétés 1946 p. 374 ; Grands arrêts, n° 69, p. 298, note J. NOIREL. En l’espèce, l’assemblée générale
avait adopté une délibération qui conférait au président la totalité des prérogatives dévolues au conseil
d’administration et la Cour d’appel de Douai l’avait annulée. On le voit, le choc était frontal entre une
conception contractuelle des rapports entre les associés et le conseil, qui aurait permis d’ôter à celui-ci ses
attributions, et une analyse institutionnelle, qui postule une stricte séparation des pouvoirs. En l’occurrence, la
Cour de cassation a opté pour la seconde thèse puisque elle a considéré que " la société anonyme étant une
société dont les organes sont hiérarchisés et dans laquelle l’administration est exercée par un conseil élu par
l’assemblée générale, il n’appartient pas à l’assemblée générale d’empiéter sur les prérogatives du conseil en
matière d’administration ; c’est donc à bon droit qu’un arrêt annule la résolution votée par l’assemblée
générale qui investit le président-directeur général de l’ensemble des pouvoirs jusqu’alors attribués au conseil
d’administration ". Si les relations des associés et des dirigeants était gouvernées par le droit du mandat, alors
l’assemblée générale aurait pu valablement priver le conseil de la totalité de ses pouvoirs. Par conséquent, la
Haute juridiction affirme très clairement le principe de hiérarchie, de séparation des pouvoirs dans la société
anonyme. Par ailleurs, les juges suprêmes ne se contentent pas de consacrer expressément la règle de séparation
des pouvoirs, ils affirment également, de manière implicite, la spécialisation des fonctions. Autrement dit, les
actionnaires ne peuvent valablement empiéter sur les pouvoirs du conseil, pas plus que sur ceux du président, ce
qui est contraire aux solutions traditionnellement retenues en matière de mandat – dans le même sens, V. not.
cass com 18 mai 1982, Grandes décisions, n° 31, p. 159, obs. Y. CHARTIER et J. MESTRE.
(66) CA Aix en Provence 28 sept. 1982, Grandes décisions, n° 31, p. 160, obs. Y. CHARTIER et J. MESTRE ;
Rev. Sociétés 1983 p. 773, note J. MESTRE, qui affirme que "les textes fixent de manière impérative les
pouvoirs et prérogatives des différents organes de la société", et surtout : cass com 4 juill. 1995, D. 1996 p. 186,
note J.-C. HALLOUIN
(67) D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, collection Pratique des affaires,
1999, n° 2 – Rappr. P. DIDIER, Brèves notes sur le contrat-organisation, Mélanges François Terré, L’avenir du
Droit, Dalloz-Litec-PUF, 1999, p. 635 et La théorie contractualiste de la société, Rev. Sociétés 2000 p. 95. Cette
analyse met l'accent sur la personnalité morale et le rôle qu'elle joue dans les relations entre associés.
(68) V. cependant, A. VIANDIER, La notion d'associé, Bibl. dr. priv. t. 156, LGDJ, 1978 ; adde, Y. GUYON et
alii, Qu'est-ce qu'un actionnaire ?, Rev. Sociétés 1999 p. 511.
XV
Parce que la société est avant tout un contrat, l'associé est celui qui apporte un bien, a
vocation aux bénéfices et aux pertes et est animé de l'affectio societatis, comme le commande
l'article 1832 du Code civil. L'associé se présente donc avant tout comme un contractant (69).
Mais, la société donne aussi naissance à un groupement. Celui-ci peut être ou non doté
de la personnalité morale. Cependant, envisagé sous l'angle des droits de l'associé, cet aspect
ne présente un intérêt que si la société jouit de la personnalité juridique. Dans le cas contraire,
la société est dite créée de fait ou en participation. Elle est régie, ainsi que l'affirme l'article
1842 du Code civil, par les principes du droit des obligations. En d'autres termes, l'associé ne
sera qu'un contractant et le vote perdra sa raison d'être, faute de structures juridiques dotées
d'une certaine permanence. A l'inverse, lorsque la société donne naissance à une personne
morale, l'associé se présente également comme le membre d'un groupement.
Cette dualité se retrouve lorsqu'il s'agit d'étudier le droit de vote. Celui-ci est octroyé à
l'associé du seul fait de sa participation au contrat, comme la contrepartie de son entrée en
société. Une question a d'ailleurs donné naissance à une controverse. Le droit de suffrage estil est attaché au titre ou à la personne de l'apporteur ? Autrement dit, est-il attribué propter
rem ou propter personam ? La question ne se pose dans toute son ampleur que dans les
société au sein desquelles l'intuitus pecuniae joue un rôle prépondérant. Pour les sociétés
dominées par l'intuitus personae, le droit de vote est nécessairement lié à la personne Les
arrêts sont pour le moins ambigus qui font tantôt du droit de vote un "attribut essentiel de
l'action" (70) tantôt une "attribut essentiel de [l'associé]" (71). Ce débat ne paraît toutefois
présenter qu'un intérêt purement académique. Comme nous le verrons, du moment qu'il
effectue un apport, l'associé se voit attribuer un titre, dont l'accessoire est le droit de vote.
Cette règle ne souffre point d'exception (72). Autrement dit, dans tous les cas, l'attribution du
droit de suffrage est la conséquence de l'entrée en société, que la société soit ou non la terre
d'élection de l'intuitus personae.
Puisque la société est un contrat, l'associé, avant d'être le membre d'un groupement, est
d'abord un contractant, protégé en tant que tel par les règles du droit des contrats. Celles-ci
(69) en ce sens, J. CALAIS-AULOY, Rép. Sociétés, V° "Associé", 1970, n° 1 et s.
( 70 ) cass civ 7 avr. 1932, D.P. 1933, 1, p. 153, note P. CORDONNIER ; S. 1933, 1, p. 177, note H.
ROUSSEAU ; Journ. Sociétés 1934 p. 289, note H. LECOMPTE.
(71) cass Req 23 juin 1941, Journ. Sociétés 1943 p. 209 ; Grands arrêts, n° 66, p. 207, note J. NOIREL.
(72) Rappr. C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n° XII.
XVI
sont issues du droit commun des obligations et du droit commun des sociétés, défini aux
articles 1832 et suivants du Code civil. Par conséquent, l'article 1844 qui attribue le droit de
vote à chaque associé, est une trace de la nature contractuelle de la société. En cela, le droit de
suffrage subit l'emprise du droit des contrats et peut être envisagé comme une prérogative de
l'associé, pris en sa qualité de contractant.
Cependant, la société n'est pas seulement une accord de volontés. C'est également un
groupement doté d'une existence propre et dont les organes sont impérativement fixés par la
loi. Dès lors, l'associé est davantage qu'un contractant, il est également le membre de cette
organisation collective personnifiée. Le droit de vote lui permet dès lors de peser sur le destin
commun, à l'instar de celui dont jouit le citoyen. Le suffrage émis est un moyen, offert par le
Droit, à l'associé de participer à la formation de la volonté sociale. Plus largement, il
représente l'instrument privilégié de participation au pouvoir politique au sein de
l'organisation sociétaire. Avec une doctrine autorisée, nous nommerons gouvernement de la
société l'exercice de ce pouvoir politique (73). Le droit de vote donne donc à l'associé la
faculté de participer à ce dernier.
PREMIERE PARTIE : LE DROIT DE VOTE, PREROGATIVE DE L'ASSOCIECONTRACTANT
DEUXIEME
PARTIE
:
LE
DROIT
GOUVERNEMENT DE LA SOCIETE
(73) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "Gouvernement".
DE
VOTE,
PARTICIPATION
AU
XVII
PREMIERE PARTIE : LE DROIT DE VOTE, PREROGATIVE
DE L'ASSOCIE CONTRACTANT
Comme l'a écrit un auteur, "nul ne peut prétendre analyser les mécanismes, fussent-ils
les plus sophistiqués, du droit des sociétés, sans une référence constante au droit des
obligations" (74). Ceci se vérifie s'agissant du droit de suffrage.
La société pluripersonnelle naît d'un contrat ( 75 ). L'article 1832 l'affirme très
nettement. Le propre d'une convention est de donner naissance à une série de prérogatives,
entendues comme toute faculté d'agir fondée en droit (76), reconnues à chaque contractant.
Dès lors, du fait même qu'il est partie à un contrat de société, l'associé se verra octroyer le
droit de vote. En cela, ce dernier apparaît comme un droit contractuel (Titre I).
Cependant, la nature contractuelle de la société présente un autre aspect. Elle implique
que les associés puissent aménager librement leurs droits. Le contrat se présente ainsi comme
un instrument de souplesse et d'ouverture au service des contractants. Néanmoins, la rigidité
du droit des sociétés a conduit les associés à délaisser le cadre statutaire, sans l'abandonner
totalement, utilisant ainsi les marges de liberté offertes par la loi, et à recourir aux accords
extra-statutaires. Par conséquent, la nature contractuelle du droit de vote autorise son
aménagement conventionnel. De droit contractuel, le droit de suffrage devient objet de
contrats (Titre II).
(74) M. JEANTIN, Droit des obligations et droit des sociétés, Mélanges Louis Boyer, 1996, p. 317.
(75) Le droit des contrats est impropre à expliquer les mécanismes de la société unipersonnelle, introduite en
droit français par la loi du 12 juillet 1985. Celle-ci se fonde par un acte unilatéral de volonté de l'associé unique
et toutes les décisions de la personne morale sont l'œuvre du fondateur. Dans le cadre de cette étude, nous
n'envisagerons donc que les sociétés pluripersonnelles – sur cette question, V. J. MESTRE et G. FLORES,
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, Rev. Sociétés 1986 p. 15.
(76) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "Prérogative".
XVIII
TITRE I : LE DROIT DE VOTE, UN DROIT CONTRACTUEL
L'octroi du droit de vote à chaque associé découle des mécanismes volontaires
inhérents au droit de sociétés. Par conséquent, la nature contractuelle du droit de vote se
déduit des règles d'attribution de cette prérogative (Chapitre I).
Mais comme tout droit né d'une convention, le droit de suffrage doit être exercé de
bonne foi, sans abus. En droit des sociétés, l'abus du droit de vote s'analyse comme un abus
par déloyauté, selon la distinction établie par M. le Professeur Stoffel-Munck (77). En d'autres
termes, la nature contractuelle du droit de vote découle également de ses conditions d'exercice
(Chapitre II).
(77) Ph. STOFFEL-MUNCK, L'abus dans le contrat. Essai d'une théorie, Bibl. dr. priv. t. 337, LGDJ, 2000.
Selon cet auteur, l'abus en droit des contrats se présente sous trois formes différentes : l'abus par déloyauté,
entendu comme la faute d'une partie, l'abus de liberté contractuelle, qui procède du contenu de la convention, et
l'abus de prérogative, envisagé comme l'invocation de la lettre du contrat au détriment de son esprit.
XIX
CHAPITRE I : UN DROIT CONTRACTUEL PAR SES
REGLES D’ATTRIBUTION
D'après l'article 1844, "tout associé a le droit de participer aux décisions collectives".
Cette règle, introduite par la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978, est issue du droit commun des
sociétés et concerne par conséquent toutes les formes sociales. Elle est la conséquence de
l'affectio societatis et plus généralement de l'appartenance à une société. Elle repose donc sur
des fondements contractuels (Section 1).
Cependant, ces derniers dans certaines formes sociales sont protégés des atteintes que
pourraient leur faire subir les dirigeants sociaux. Il est en effet apparu nécessaire de prévoir un
dispositif répressif dans les groupements à faible intuitus personae, afin de compenser la perte
d'autonomie de l'associé, plus importante dans ces sociétés (Section 2).
Section 1 : Les fondements contractuels de l'attribution du droit de vote
Le contrat de société présente une nature particulière, il s'agit d'un contrat-organisation
( 78 ) par lequel les associés organisent leur collaboration. Ce devoir de coopération est
traditionnellement dénommé affectio societatis. Il implique que chaque apporteur de capital
puisse participer à la vie sociale. Dans ces conditions, cet affectio societatis (79), qui ne se
présume pas (80) et qui est traditionnellement envisagé comme une condition de validité de la
société, au même titre que les éléments expressément énumérés par l'article 1832 du Code
civil, commande d'attribuer le droit de vote à chaque associé (§1).
(78) P. DIDIER, Brèves notes sur le contrat-organisation, Mélanges François Terré, L'avenir du droit, PUFDalloz-Litec, 1999, p. 635 – adde, du même auteur, Le consentement sans l'échange : le contrat de société, RJ
com. nov. 1995, n° spécial, L'échange des consentements, p. 75.
(79) ex. cass civ 6 oct. 1953, D. 1954 p. 25, qui sanctionne par la nullité une société dont le maître de l’affaire
n’était pas animé de l’affectio societatis ; cass civ 3° 22 juin 1976, D. 1977 p. 619, note P. DIENER, qui
prononce l’inexistence de la société pour les mêmes raisons.
(80) cass civ 1° 5 mars 1985, Bull. I n° 85, relatif à la reconnaissance d’une société de fait entre concubins, qui
considère que « une société de fait entre concubins ne peut seulement résulter de la vie commune, même
prolongée, et d’un apport en commun, elle exige chez les parties la volonté, qui ne peut être présumée, de
s’associer et notamment l’intention de participer aux bénéfices et aux pertes » ; adde, cass com 3 juin 1986,
Rev. Sociétés 1986 p. 585, note Y. GUYON.
XX
L'octroi du droit de vote résulte également des mécanismes contractuels de l'entrée en
société (§2).
§1- Une conséquence de l’affectio societatis
Si le concept d'affectio societatis est entouré d’un certain flou (A), auteurs et tribunaux
reconnaissent qu’il fonde les prérogatives politiques de l’associé, notamment son droit de
participation (B).
A. La notion d’affectio societatis
La Commission de modernisation du langage judiciaire a traduit l’expression
« affectio societatis » par celle d’ « intention de s’associer » (81). La substitution de ce terme
à la formule latine est regrettable. En effet, réduire l’affectio societatis à la volonté de former
une société conduit à une impasse, l’un des intérêts du concept étant de permettre la
qualification d’un contrat en société (82). Outre les difficultés inhérentes à l’emploi de termes
latins (83), les incertitudes proviennent de ce que l’affectio societatis est « plus un sentiment
qu’un concept juridique » (84).
La doctrine classique a vu dans la notion « une volonté de collaboration active, en vue
d’un but commun qui est la réalisation d’un enrichissement par la mise en commun des
capitaux et de l’activité des associés » ( 85 ). Selon cette approche objective, l’affectio
societatis serait une volonté de participation à la vie de la société, active, égalitaire et
intéressée.
C’est cette thèse qu’adopte majoritairement la jurisprudence. Ainsi, le tribunal de
grande instance de Paris a-t-il estimé que le concept impliquait « pour les associés, outre leur
vocation à la répartition des bénéfices une participation à la conduite des affaires sociales
sur un pied d’égalité, un pouvoir de contrôle et de critique, un concours actif à
(81) circulaire du 15 septembre 1977, relative au vocabulaire judiciaire, JCP 1977 III n° 46255.
(82) en ce sens, J. HAMEL, L’affectio societatis », RTD civ. 1925 p. 761 ; comp. A. AMIAUD, L’affectio
societatis, Mélanges SIMONIUS, Aequitas und bona fides, 1955, p. 1 – V. curieusement, dans une SCI familiale,
CA Toulouse 7 déc. 2000, RTD com. 2001 p. 473, obs. M.-H. MONSERIE-BON.
(83) M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit. , n° 200.
(84) A. VIANDIER, La notion d’associé, Bibl. dr. priv. t. 156, LGDJ, 1978, n° 75 ; comp. N. REBOUL,
Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : l'affectio societatis, Rev. sociétés 2000 p. 425, spéc. n°
3 - d'une manière générale, sur la place du sentiment dans la formation des actes juridiques, G. CORNU, Du
sentiment en droit civil, in L'art du droit en quête de sagesse, PUF, 1998, p. 71.
(85) P. PIC, De l’élément intentionnel dans le contrat de société, Ann. Dr. comm. 1906 p. 153 ; adde, G.
RIPERT, Prêt avec participation aux bénéfices et sociétés en participation, Ann. Dr. comm. 1905 p. 53.
XXI
l’administration de l’affaire » (86). Selon ce jugement, l’affectio societatis exige de chaque
membre du groupement non seulement une vocation au contrôle de la société mais aussi une
participation active à celui-ci ( 87 ). C’est d’ailleurs cette idée que reprend la Chambre
commerciale, dans un arrêt du 3 juin 1986 (88). En l’espèce, les juges du fond avaient
constaté la participation d’une personne à la gestion d’un fonds de commerce acquis avec
d’autres, en avait déduit son affectio societatis et, partant, reconnu l’existence d’une société
en participation. Leur décision est censurée, en ces termes : « en statuant de la sorte, la Cour
d’appel, qui n’a pas recherché si, en « s’intéressant » à la gestion du fonds, M. Raynaud avait
collaboré de façon effective à l’exploitation de ce fonds dans un intérêt commun et sur un
pied d’égalité avec son associé pour participer aux bénéfices comme aux pertes, la Cour
d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Cette position est adoptée par la
majorité de la doctrine moderne (89).
Cette conception classique a néanmoins été contestée par quelques auteurs. Tout
d’abord, le doyen Hamel, raisonnant à partir de la notion de cause, a défini l’affectio societatis
comme la juxtaposition d’une volonté d’union et de celle d’accepter délibérément certains
risques (90). Selon lui, l’affectio societatis est un élément de la cause du contrat de société
(91). Contrairement au droit commun des obligations, les contractants poursuivent un même
intérêt. Il fait en conséquence de ce désir d’union la première composante de la cause.
Néanmoins, cette volonté n’étant pas spécifique à la société, l’éminent auteur propose un
second élément constitutif de l’affectio societatis : le souhait de courir certains risques. Certes,
tout contrat comporte une part d’aléa, liée à l’éventuelle insolvabilité du débiteur. Cependant,
(86) TGI Paris 14 mars 1973, Gaz. Pal. 1973, 2, p. 913, note M. PEISSE ; Rev. Sociétés 1974 p. 92, note M.
GUILBERTEAU ; RTD com. 1974 p. 104, obs. R. HOUIN ; dans le même sens, cass civ 3° 25 juin 1997,
pourvoi n° 95-18154, Lexilaser, n° 1112, qui fait référence à la participation, même indirecte, à la direction de la
société, et à un pouvoir de contrôle.
(87) A. LAUDE, La reconnaissance par le juge de l’existence d’un contrat, PUAM, 1993, préf. J. MESTRE, n°
274.
(88) précité ; dans le même sens, cass com 25 mars 1991, pourvoi n° 89-18004, Lexilaser, n° 551 ; cass com 10
févr. 1998, bull. Joly 1998 p. 767, note J.-J. DAIGRE.
(89) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 296, qui définit l’affectio societatis comme « une
volonté, au moins implicite, de collaboration égalitaire, dans une perspective commune intéressée » ; Y.
GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 124, qui réfute les conceptions unitaires et adopte une approche
protéiforme de la notion ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, 17° éd., par M.
GERMAIN et L. VOGEL, LGDJ, 1998, n° 683, pour lesquels l’affectio societatis exprime l’ « intention des
associés de se traiter comme des égaux et de poursuivre ensemble l’œuvre commune » ; comp. P. DIDIER, Droit
commercial, t. 2, L’entreprise en société, 2° édition, PUF, 1997, p. 49.
(90) J. HAMEL, L’affectio societatis, RTD civ. 1925 p. 761 ; adde, du même auteur, Quelques réflexions sur le
contrat de société, Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, t. 2, 1963, p. 645.
( 91 ) dans le même sens, J. COPPER-ROYER, Traité des sociétés, t. 2, Sirey, 1939, chap. X, L’affectio
societatis, l’intuitu personae, la fraternitas, n° 1 ; adde, Fr. TERRE, L’influence de la volonté individuelle sur les
qualifications, Bibl. Dr. priv. t. 2, LGDJ, 1957, n° 300, qui souligne toutefois que la cause du contrat de société
est une notion beaucoup plus vaste que l’affectio societatis ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, Les critères distinctifs
de la société et de l’indivision depuis les réformes récentes du Code civil, RTD com. 1979 p. 645, spéc. n° 50.
XXII
celle-ci n’est intégrée dans le champ contractuel qu’en matière de société. Il en déduit que le
cumul de ces deux éléments forme l’affectio societatis : « volonté d’union, volonté d’accepter
délibérément certains risques, ce sont là, semble-t-il les deux éléments dont la juxtaposition
constitue l’affectio societatis ».
Cette position subjective ne convainc pas. Elle n’a d’ailleurs été que rarement adoptée
par la jurisprudence (92). Sa lacune essentielle est de faire de l’affectio societatis la cause du
contrat de société. Or, pour la doctrine, tant classique que moderne (93), cette dernière est le
but poursuivi par les associés lorsqu'ils se proposent la réalisation d’un certain objet social.
De même, l’affectio societatis ne peut être envisagé comme la cause, au sens de
« contrepartie », de l’obligation de l’associé d’effectuer un apport. La cause de celle-ci réside
dans l’attribution de droits sociaux, représentatifs d’une fraction du capital social (94).
En définitive, comme l’a fait remarquer, à juste titre, un auteur, l’affectio societatis est
étranger à la notion de cause (95). On en veut pour preuve un arrêt rendu par la deuxième
Chambre civile de la Cour de cassation le 27 octobre 1971 (96). En l’espèce, trois sociétés
civiles immobilières sont annulées pour défaut de cause, un contrat antérieur, entre un
promoteur et le propriétaire d’un domaine, destiné à régir les futures sociétés ayant été résolu.
La Cour d’appel, approuvée par la Haute juridiction, retient également pour fonder
l’annulation l’absence d’affectio societatis du promoteur. C’est donc que dans son esprit celleci est distincte du défaut de cause.
L’affectio societatis édicte une norme de comportement. En cela, compte tenu de la
nature contractuelle du groupement, il n’est que l’application du devoir général de bonne foi
posé à l’article 1134 du Code civil (97).
Toutes ces incertitudes sur le sens exact de l’affectio societatis ont conduit un auteur a
douter du caractère unitaire de la notion (98). Selon lui, « elle est à la fois le révélateur de
(92) V. cependant, Trib. com. Seine 24 janv. 1963, RTD com. 1963 p. 582, obs. R. RODIERE.
(93) Pour les auteurs classiques, E. THALLER, Traité général théorique et pratique de droit commercial. Des
sociétés commerciales, par P. PIC, Arthur Rousseau, 1907, n° 420 ; J. et E. ESCARRA et J. RAULT, Traité
général théorique et pratique des sociétés commerciales, t. 1, Sirey, 1950, n° 98 ; G. BAUDRYLACANTINERIE et A. WAHL, Traité théorique et pratique de droit civil. De la société et du dépôt, 3° éd.,
Sirey, 1907, n° 65 ; pour les auteurs modernes, J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 190 ; Y.
CHARTIER, Droit des affaires, t. 2, Sociétés commerciales, PUF, 1992, n° 38 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN,
Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 108.
(94) H. BLAISE, L’apport en société, thèse Rennes, 1953, n° 183.
(95) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, Sirey, 1970, n° 235.
(96) Bull. II n° 289.
(97) A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n° 78 et s. ; sur l’assimilation de l’affectio societatis à la bonne
foi, infra.
(98) Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 125 ; adde, Y. CHAPUT, Droit des sociétés, PUF, 1993, n° 38 et
s ; P. DIDIER et B. SAINT-ALARY, Rép. Soc. V° « Société », 1985, 72 et s. ; D. VIDAL, Affectio societatis et
XXIII
l’existence d’une société, le régulateur de la vie sociale et le moyen de distinguer la qualité
d’associé de situations voisines ». Mais, cette approche multiforme est critiquable en ce
qu’elle opère une confusion entre le contenu de l’affectio societatis et ses fonctions pratiques.
On le voit, seule la conception classique est satisfaisante. Certes, il est vrai que
l’affectio societatis ne se rencontre pas avec la même intensité dans tous les types de sociétés
( 99 ) et ces disparités ont entraîné les remises en cause de l’analyse traditionnelle. Le
sentiment d’être associé est très fort chez tous les membres d’une société de personnes alors
qu’il est quasiment inexistant chez le petit porteur de droits sociaux cotés en Bourse. En effet,
« si dans une société de personnes, l’affectio societatis implique une complète entente entre
les associés, il n’en est pas de même dans les sociétés de capitaux où joue avec plus de
rigueur la loi du nombre » (100). Un auteur a interprété cette décision comme n’exigeant
l’affectio societatis que dans les sociétés de personnes (101). N’est-ce pas cependant ériger
une différence de degré en une différence de nature? Certes, compte tenu du fort intuitus
personae qui y règne, la société de personnes est la terre d’élection de l’affectio societatis.
Néanmoins, dans les sociétés de capitaux, si le sentiment d’être associé est plus fort chez
certains membres, il existe néanmoins à l’état virtuel chez d’autres (102). Par exemple, chez
le spéculateur, il ne saurait être totalement absent, même s’il se réduit à la « conscience d’une
union d’intérêts » (103).
De même, le désir de collaboration égalitaire anime l’associé commanditaire, dans la
société en commandite, en dépit du principe de non immixtion posé à l’article 222-6 du Code
de commerce (ancien article L. 28). En effet, il est couramment admis, tant par la doctrine
(104) que par la jurisprudence (105), que cette prohibition ne vise que les actes de gestion
externe et non les actes réalisant une coopération entre associés.
partage du risque d’entreprise, Rev. Huissiers 1993 p. 3; N. REBOUL, Remarques sur une notion conceptuelle
et fonctionnelle : l'affectio societatis, précité.
(99) Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit. , n° 43 ; adde, Y. CHAPUT, J.-Cl. Civil,
Art. 1832 à 1844-17, fasc. 10, 1987, n° 173.
(100) CA Besançon 3 nov. 1954, JCP 1955 II 8750, obs. D.B.
(101) M. PEISSE, note sous TGI Paris 14 mars 1973, Gaz. Pal. 1973, 2, p. 913 ; comp. CA Paris 24 nov. 1954,
JCP 1955 II n°8448, concl. LAMBERT, note D. BASTIAN ; D. 1955 p. 236, note G. RIPERT.
(102) A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n° 77 ; C. RUELLAN, La loi de la majorité dans les sociétés
commerciales, thèse Paris II, 1997, n° 368.
(103) Voc. Ass. H. Capitant, V° « Affectio societatis ».
(104) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, 1998, n° 2623 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit
commercial, op. cit., n° 880 ; M. JEANTIN, Droit des sociétés, 3° éd., Montchrestien, 1994, n° 412.
(105) ex. cass civ. 28 mai 1921, DP 1924, 1, p. 214, qui autorise l’associé commanditaire à participer aux
décisions collectives.
XXIV
En définitive, on peut définir l’affectio societatis comme une norme de comportement
dictée par l’impératif général de bonne foi, posé à l’article 1134, alinéa 3, du Code civil,
tendant vers une collaboration égalitaire, au moins virtuelle, dans un but commun, la
réalisation de l’objet social.
Si le contenu de l'affectio societatis est pour le moins incertain, il est revanche
couramment admis que cette notion est le fondement du droit de participer aux décisions
collectives.
B. L’affectio societatis, fondement théorique du droit de participer aux
décisions collectives
Outre le caractère intentionnel, toutes les conceptions de l’affectio societatis font
référence à l’union des membres de la société (106). Chaque associé est animé d’un esprit
d’équipe, d’un « souci de se dépenser » (107) au profit de ses coassociés.
La doctrine a donc estimé dans son ensemble que l’affectio societatis fondait
implicitement le droit de vote reconnu à chaque partie au contrat (108). C’est parce que
chacun est mû par une même volonté d’union, par un désir de collaboration similaire qu’il se
voit reconnaître un droit de participation aux affaires sociales. Celui-ci est de l’essence du
contrat de société (109).
La jurisprudence lie d’ailleurs les prérogatives politiques des associés à l’affectio
societatis ( 110 ). Un arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 11 juillet 1951 est
(106) Par ex., G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, op. cit., n° 683, qui se réfèrent à la
volonté de poursuivre ensemble l’œuvre commune » ; Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 124 ; J.
MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 298 ; J. HAMEL, L’affectio societatis, précité ; adde, J.
PAILLUSSEAU, La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967, p. 45 ; J.-M. DE
BERMOND DE VAULX, Le spectre de l’affectio societatis, JCP éd. E I n° 346, spéc. n° 16, pour lequel
l’affectio societatis est la « manifestation d’un nécessaire esprit d’union » ; Fr. TERRE, Au cœur du droit, le
conflit, in La justice, l’obligation impossible, Séries « Morale », collection Autrement, 1994, p. 100, note 8.
(107) A. SERIAUX, Droit des obligations, 2° éd., PUF, 1998, n° 55, qui définit la bonne foi comme « la bonne
volonté, la loyauté, le souci de se dépenser au profit de son cocontractant, de collaborer avec lui, en un mot de
l’aimer comme un frère ».
(108) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 301 ; Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., loc.
cit. et J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 20-10, 1999, n° 3 ; Y. CHARTIER, Droit des affaires, op. cit., n° 53 ; V.
aussi, J.-P. DESIDERI, La préférence dans les relations contractuelles, PUAM, 1997, préf. J. MESTRE, n° 263.
(109) A. AMIAUD, L’affectio societatis, précité : « De même qu’il n’y a pas de contrat de société sans une
vocation de tous les associés à la répartition aux bénéfices, de même il n’y a pas contrat de société sans une
certaines participation de tous à la conduite des affaires sociales. Cette participation peut être réduite. Elle ne
saurait être complètement supprimée » ; dans le même sens, G. RIPERT, Prêt avec participation aux bénéfices
et société en participation, précité.
(110) ex. cass Req. 3 août 1936, S. 1937, 1, p. 288.
XXV
particulièrement significatif (111). En l’espèce, une assemblée générale avait créé des actions
de priorité qui conféraient à leur porteur un revenu fixe annuel, perceptible même sans
réalisation de bénéfices, mais qui le privaient de toute participation aux affaires sociales. Le
tribunal de commerce de la Seine ( 112 ), puis la Cour d’appel de Paris ont annulé la
délibération litigieuses et considéré que les porteurs des titres n’étaient pas de véritables
actionnaires, faute d’affectio societatis. Pour les juges du second degré, le pouvoir de
participer à la gestion de la société est une manifestation de l’état d’esprit d’associé. Ainsi,
« il ne peut y avoir contrat de société si le concours à la gestion, le pouvoir de contrôle et de
critique, la participation à l’administration, tous actes qui sont comme la matérialisation de
l’affectio societatis font défaut » (113). En effet, l’affectio societatis est un élément spécifique
du contrat de société. Or, comme Thaller le faisait déjà remarquer en 1904 (114), « le rapport
issu d’un contrat de société, avec la collaboration qui en résulte, implique une ingérence, un
contrôle étroit et une faculté de critique dans la manière dont s’accompliront les affaires
communes, c’est à dire un pouvoir d’intrusion ». On le voit, c’est bien de l’affectio societatis,
et par delà, du contrat lui-même que découle le droit de participation aux affaires sociales,
énoncé à l’article 1844 du Code civil.
Le rapport étroit entre le sentiment d’associé et ce texte a d’ailleurs conduit un auteur
à considérer que les deux notions étaient confondues ( 115 ). Selon lui, chaque élément
constitutif de l’affectio societatis, qu’il s’agisse de la collaboration, de la convergence
d’intérêts ou de l’absence de subordination est réductible à la participation. Il conclut que
celle-ci est caractéristique du contrat de société, au même titre que la mise en commun
d’apports ou la vocation au partage des résultats.
Cette analyse emporte difficilement l’adhésion. En effet, l’affectio societatis fait
également peser des obligations sur l’associé. Par exemple, il peut parfois mettre à sa charge
(111) Journ. Sociétés 1951 p. 193.
(112) Trib. com. Seine 20 juill. 1950, Journ. Sociétés 1951 p. 151 : « Les actionnaires doivent participer à la
gestion, leur collaboration s’exprimant en diverses circonstances et trouvant normalement sa conclusion par
l’exercice du droit de vote aux assemblées »
(113) Dans le même sens, TGI Paris 14 mars 1973, précité, aux termes duquel l’affectio societatis « implique,
outre une vocation à la répartition des bénéfices, une participation à la conduite des affaires sociales sur un
pied d’égalité, un pouvoir de contrôle et de critique, un concours actif à l’administration de l’affaire » (souligné
par nous).
(114) note sous cass Req 3 mars 1903, DP 1904, 1, p. 257.
(115) P. DIDIER, Droit commercial, op. cit., p. 49 ; adde, P. DIDIER et B. SAINT-ALARY, Rép. Soc. V°
« Société », op. cit., n° 73.
XXVI
une obligation de non-concurrence à l’égard de la société ( 116 ) voire une obligation
d’exclusivité (117). Or, l’assimilation du sentiment d’associé à la participation est impuissante
à expliquer l’apparition de ces engagements. L’existence d’une obligation de non-concurrence
s’explique davantage par la collaboration inhérente au contrat de société, consécutive à un
devoir général de bonne foi entre associés. En d’autres termes, si le droit de participation
trouve son fondement dans l’affectio societatis, il en est la conséquence et ne saurait lui être
totalement assimilé. Celui-ci est générateur de droits et d’obligations et n’est pas réductible au
seul principe posé par l’article 1844 du Code civil.
En outre, ce rôle explicatif des prérogatives de l’associé traditionnellement dévolu à
l’affectio societatis tend à se renforcer. En effet, pendant longtemps, dans les sociétés
anonymes, l’accès aux assemblées générales ordinaires, donc la participation, pouvait être
subordonnée à la détention d’un nombre minimal d’actions (118). L'article 225-112 du Code
de commerce (ancien L. 165) visait à empêcher un actionnaire, dont l’affectio societatis serait
inexistant, d’acquérir une seule action uniquement dans le but de participer à l’assemblée
générale. Néanmoins, les membres de la société ainsi privés du droit d’accès avaient la
possibilité de se grouper pour atteindre le minimum statutaire d’actions et se faire représenter
par l’un d’eux. Par conséquent, ils disposaient collectivement d’un certain droit de
participation, sans toutefois être animés de l’état d’esprit d’associé. Le texte était interprété
traditionnellement comme un recul de l'affectio societatis (119). Or, il a été abrogé par la loi
n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Désormais tout
actionnaire peut, quel que soit le nombre d'actions dont il est titulaire, fût-il inférieur à dix,
(116) cass com 6 mai 1991, Rev. Sociétés 1991 p. 760, note Y. GUYON ; D. 1991 p. 609, note A. VIANDIER.
Il est difficile de déduire de cette décision une obligation générale de non-concurrence à la charge de l’associé.
En effet, la cassation intervient pour un défaut de réponse à conclusion, et non pour une violation de la loi ou un
manque de base légale (V., sur ce point, J. VOULET, L’interprétation des arrêts de la Cour de cassation, JCP
1970 I n° 2305) ; sur l’ensemble de la question, Y. SERRA, Rép. Com. V° « Concurrence (obligation de nonconcurrence) », 1996, n° 62 et s. ; Y. SERRA, La non concurrence en matière commerciale, sociale et civile
(droit interne et communautaire), Dalloz, 1991, n° 152 ; Y. PICOD, L’obligation de non-concurrence de plein
droit et les contrats n’emportant pas transfert de clientèle, JCP éd. E 1994 I n° 349, spéc. n° 34 et s. Ces auteurs
fondent l’obligation de non-concurrence de l’associé envers la société sur le devoir de collaboration qui découle
de l’affectio societatis. Cependant, ce concept étant susceptible d’intensité, l’existence de cet engagement sera
plus facilement reconnue dans les sociétés de personnes, ou à la charge de l’associé majoritaire - comp, cass com
24 févr. 1998, RTD com. 1998 p. 612, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET, qui fait peser sur le dirigeant une
obligation de non concurrence envers la société , en se fondant sur l'obligation de loyauté.
(117) cass civ 1ère 4 janv. 1995, Bull. civ I n° 12, qui valide, en se fondant implicitement sur l’affectio societatis,
une clause des statuts d’une société civile de moyens interdisant aux associés d’exercer une activité en dehors de
la société.
(118) Art. 225-112 C. Com. (ancien L. 165) ; sur l’ensemble de la question, F. PELTIER, La limitation du droit
d’accès aux assemblées d’actionnaires, Bull. Joly 1993 p. 1107.
(119) A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n° 80 et s.
XXVII
participer aux assemblées générales ordinaires. Il y a lieu d'en conclure au renforcement de
l'affectio societatis comme fondement du droit de vote.
Cependant, la Cour d’appel d’Aix en Provence, dans un arrêt rendu le 28 mai 1975
(120) a nettement dissocié l’affectio societatis de la participation aux affaires sociales. Selon
cette juridiction, « le défaut d’affectio societatis ne saurait être retenu malgré l’absence totale
de collaboration des associés à la gestion de la société ; les associés ont participé à la
constitution de la société, à l’élaboration de ses statuts, ainsi qu’à la désignation de ses
gérants ». Cette solution a été donnée à l’occasion d’un litige concernant une société civile. A
fortiori, elle s’applique aux sociétés commerciales, au sein desquelles l’affectio societatis est
moindre, surtout dans les sociétés de capitaux (121).
La portée de cet arrêt ne doit pas être surestimée. En effet, les juges du second degré
font du consentement au contrat de société et de l’absence d’entrave au fonctionnement de la
personne morale le critère de l’affectio societatis. Autrement dit, d’après cette décision, il n’y
aurait défaut d’affectio societatis qu’en cas de paralysie de la société, provoquée par le
comportement d’un associé, ou d’absence de consentement. On le voit, cette conception n’est
conforme à aucune approche doctrinale de l’affectio societatis et est d’ailleurs demeurée
isolée (122).
Si l'affectio societatis se présente comme un fondement lointain de l'attribution du
droit de vote, l'entrée en société en constitue la cause immédiate.
§2- Une conséquence de l'entrée en société
Si l'attribution du droit de vote résulte directement de l'entrée en société dans certaines
formes sociales, régies par le principe démocratique "un homme-un vote" (A), elle est la
conséquence de l'apport dans les groupements régies par le principe de proportionnalité "un
titre-un vote" (B).
(120) Bull. d’Aix 1975 p. 133.
(121) CA Besançon 3 nov. 1954, précité.
(122) V. par ex. cass com 18 nov. 1997, pourvoi n° 95-21474, Lexilaser, n° 2282, qui considère que l’opposition
systématique d’une associée, bien que démontrant sa volonté de perturber la vie sociale, est insuffisante à
caractériser la perte d’affectio societatis, nécessaire à la dissolution de la société, en l’absence d’éléments
permettant de lui imputer l’origine du différend.
XXVIII
A. Une conséquence directe dans les sociétés régies par un principe
démocratique
L’article 1er de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, portant statut de la
coopération, modifié par la loi n° 92-643 du 13 juillet 1992, a défini la notion de coopérative
en ces termes : « Les coopératives sont des sociétés dont les objets essentiels sont :
1° De réduire, au bénéfice de leurs membres et par l’effort commun de ceux-ci, le prix
de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en
assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce
prix de revient ;
2° D’améliorer la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux
produits par ces derniers et livrés aux consommateurs ;
3° Et plus généralement de contribuer à la satisfaction des besoins et à la promotion
des activités économiques et sociales de leurs membres, ainsi qu’à leur formation ».
En qualifiant expressément la coopérative de société, cette disposition met fin à une
controverse. En effet, sous l’empire du droit antérieur, la question se posait de savoir s’il
s’agissait d’une société ou d’une association. La jurisprudence avait opté pour la deuxième
option, dans un arrêt Manigod du 11 mars 1914 (123). En l’espèce, elle qualifia d’association
une coopérative dont les associés ne percevaient aucun dividende, qu’elle définit comme un
bénéfice pécuniaire et positif, mais réalisaient une économie. Néanmoins, la plupart des
sociétés coopératives optaient pour la forme sociétaire, compte tenu de la rigidité du régime
des associations (124) ce qui conduisit le législateur à modifier la jurisprudence.
En définitive, la coopérative est une société, par détermination de la loi (125) mais il
ne s’agit pas d’une forme sociale particulière : elle sera civile ou commerciale selon son objet
(126). Par conséquent, elle demeure soumise au droit commun des sociétés, en particulier à
l’article 1844 du Code civil.
Cependant, son fonctionnement est régi par plusieurs principes fondamentaux,
notamment, par celui de la gestion démocratique (127). Ainsi, d’après l’article 4 de la loi n°
47-1775 du 10 septembre 1947, « Sauf dispositions contraires des lois particulières, les
(123) cass Chambres réunies 21 mars 1914, Manigod, D.P. 1914, 1, p. 257.
(124) P.G. GOURLAY, Rép. Sociétés, V° « Coopérative », 1990, n° 49.
(125) M. LECENE MARENAUD, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 168-1, 1994, n° 79.
(126) Ibid.., n° 44.
(127) G. GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit des
sociétés, thèse Nice, 1999, n° 61 et s. ; R. SAINT-ALARY, Eléments distinctifs de la société coopérative, RTD
com. 1952 p. 485 ; J. MESTRE, Réflexions introductives sur l’originalité du droit coopératif, RRJ 1996 p. 475.
XXIX
associés d’une coopérative disposent de droits égaux dans sa gestion et il ne peut être établi
entre eux de discrimination suivant la date de leur adhésion ». Par conséquent, chacun va
disposer d’une seule voix dans les assemblées, quelle que soit l’importance de sa
participation.
Autrement dit, il résulte clairement de ce texte, et de sa conséquence formulée à
l’article 9 (128), que le droit de vote n’est pas lié à la détention du capital. Contrairement aux
sociétés de capitaux, il n’est pas attaché à la part sociale, mais à la personne même de
l’associé. Sa nature individuelle résulte du contrat de société lui-même. L’effet du contrat est
d’octroyer une fraction de pouvoir égale à chaque associé. La société coopérative procède à
une personnalisation du contrôle (129), en ce qu’elle l’octroie à chacun en considération de sa
personne et non de l’argent investi (130).
D’ailleurs, la jurisprudence a donné à cette règle toute sa portée. Celle-ci est applicable
dans toutes les assemblées, constitutives, ordinaires ou extraordinaires. Ce principe interdit
également de fermer l’accès à ces dernières aux nouveaux associés. Autrement dit, les statuts
d’une coopérative ne sauraient valablement établir de discrimination selon la date de
l’adhésion (131).
Afin de permettre aux sociétés coopératives de s'assurer davantage de fonds propres et
d'accroître ainsi leur efficacité économique, ce principe a été profondément remis en cause par
la loi n° 92-643 du 13 juillet 1992 (132). En effet, ce texte, modifiant l’article 3 bis de la loi
du 10 septembre 1947, permet à un apporteur de capitaux de devenir associé d’une
coopérative, sans être en même temps coopérateur (133). Or, cette même disposition autorise
(128) D’après l’article 9, « chaque associé dispose d’une voix à l’assemblée générale, à moins que les lois
particulières à la catégorie de coopérative intéressée n’en dispose autrement ».
(129) J. MESTRE, Réflexions introductives sur l’originalité du droit coopératif, précité.
(130) R. SAINT-ALARY, Eléments distinctifs de la société coopérative, précité, spéc., n° 25.
(131) CA Paris 17 et 18 nov. 1952, JCP 1953 II n° 7373, note P. ESMEIN ; cass com 12 nov. 1956, Gaz. Pal.
1957, 1, p. 57, RTD com. 1957 p. 141, obs. R. SAINT-ALARY, qui approuve une Cour d’appel d’avoir annulé
la clause statutaire qui réservait l’accès aux assemblées générales aux associés ayant reçu des parts d’intérêts,
celles-ci n’étant attribuées que sous condition de prêt ; dans le même sens, cass civ 1ère5 oct. 1982, Dr. Sociétés
1982 n° 315.
(132) sur cette loi, G. GOURLAY, La modernisation des entreprises coopératives par la loi du 13 juillet 1992,
Dr. Sociétés nov. 1992 p. 1 ; E. ALFANDARI et M. JEANTIN, Loi relative à la modernisation des entreprises
coopératives. Modifications de la loi du 10 septembre 1947, RTD com. 1993 p. 119 ; adde, N. de RIBALSKY,
La modernisation des entreprises coopératives, thèse Aix en Provence, 1996.
(133) Le fonctionnement de la société coopérative est régi par le principe dit de double qualité. En vertu de cette
règle, chaque membre de la coopérative est, en même temps, associé, au sens d’apporteur de capital, et
coopérateur, ce terme étant entendu comme fournisseur, client ou salarié de la coopérative. Sur ce principe, G.
GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit des sociétés,
op. cit., n° 59 et s. ; V. notamment, M. LECENE-MARENAUD, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 168-1, précité, n°
56 et s ; P.-G. GOURLAY, Rép. Sociétés V° « Coopérative », précité, n° 86 et s. Cet auteur définit la règle
comme étant une double relation, sociétaire et contractuelle, entre la coopérative et ses membres ; pour des
XXX
les statuts à prévoir que « ces associés ou certaines catégories d’entre eux disposent ensemble
d’un nombre de voix proportionnel au capital détenu qu’ils se répartissent entre eux au
prorata de la part de chacun dans ce dernier ». La mutation est considérable : certes, la
proportionnalité entre le droit de vote et le capital est limitée, puisque les voix des associés
non coopérateurs sont limitées à 35 ou 49 % du total des droit de vote (134). Cependant, cette
introduction, même limitée, constitue une atteinte profonde au principe de gestion
démocratique (135). Désormais, le droit de vote dans les sociétés coopératives n’est plus
totalement attaché à la personne de l’associé, mais également, dans une certaine mesure, à la
part sociale. En d’autres termes, sa nature individuelle trouve aussi sa source dans le « titre »,
comme dans les sociétés de capitaux régies par un principe de proportionnalité entre le capital
et le droit de vote.
B. Une conséquence de l’apport dans les sociétés régies par un principe de
proportionnalité
La nature contractuelle du droit de vote (b) résulte de celle de l'apport en société (a).
a- L’analyse contractuelle de l’apport en société
L’apport en société (136), que l’on a pu définir comme « la prestation fournie en
contrepartie de l’engagement de l’apporteur » (137) est un élément fondamental du contrat de
société. Son absence entraîne la nullité du groupement ( 138 ). Il est indispensable non
seulement pour les sociétés dotées de la personnalité morale, mais encore pour les sociétés qui
applications jurisprudentielles, cass com 25 mai 1992, Rev. Sociétés 1993 p. 83, note Y. GUYON ; cass civ 1ère
14 nov. 1995, Bull. Joly 1996 p. 142, note C. PRIETO ; CA Paris 11 mai 1999, Rev. Sociétés 1999 p. 875, obs.
Y. GUYON ; cass civ 1ère 9 nov. 1999, Bull. I n° 303 ; cass civ 1ère 19 déc. 2000, Rev. Sociétés 2001 p. 81, note
Y. GUYON ; Defrénois 2001 p. 520, note J. HONORAT.
(134) Le droit de vote sera limité à 35 % si l’associé non coopérateur ne comprennent pas de coopératives, 49 %
dans le cas contraire, les associés autres que les coopératives, dans cette hypothèse ne pouvant détenir plus de 35
% des voix. Comp., sur le plafonnement des voix à 49 % des GAEC dans les assemblées générales des sociétés
coopératives agricoles, RTD com. 1990 p. 221.
(135) en ce sens, B. SAINTOURENS, Sociétés coopératives et sociétés de droit commun, Rev. Sociétés 1996 p.
1 ; G. GOURLAY, La modernisation des entreprises coopératives, précité. ; V. déjà, R. SAINT-ALARY,
Eléments distinctifs de la société coopérative, précité.
(136) sur l’apport en société en général, V. H. BLAISE, L’apport en société, thèse Rennes, 1953 ; du même
auteur, Rép. Sociétés, V° « Apports », 1990 ; A. BOUGNOUX, J.-Cl. Sociétés, traité, fasc. 10, 1985 ; M.-J.
CAMBASSEDES, La nature et le régime juridique de l’opération d’apport, Rev. Sociétés 1976 p. 431.
(137) R. BEUDANT et P. LEREBOURS-PIGEONNIERE, Cours de droit civil français , t. 12, Librairies Arthur
Rousseau, 1947, n° 441.
(138) cass com 28 juin 1976, Rev. Sociétés 1977 p. 237, note J. HEMARD.
XXXI
en sont dépourvues, telles la société créée de fait (139) ou la société en participation (140).
Bien qu’elle soit discutée, la nature contractuelle de l’opération d’apport ne semble faire
aucun doute (1). Elle revêt un caractère absolu, puisque elle se vérifie quels que soient
l’apporteur et le type d’apport (2).
1. Une analyse difficilement contestable
Traditionnellement, l’opération d’apport était envisagée comme un élément du contrat
de société (141). Elle constituait l’obligation fondamentale de l’associé (142), qui trouve sa
contrepartie dans l’attribution de droits sociaux. Néanmoins, cette thèse classique s’est
trouvée de plus en plus contestée. Les critiques se sont principalement orientées dans deux
directions opposées.
Pour les uns, son caractère contractuel est tel que, loin d’être un élément accessoire du
contrat de société, l’opération d’apport aurait les caractères d’une convention propre,
indépendante de celui-ci (143). Selon cette approche, l’apport répondrait exactement à la
définition du contrat donnée par l’article 1101 du Code civil, puisque l’apporteur s’engage à
donner quelque chose, en l’occurrence un bien, à une autre, la société. Cette analyse
n’emporte pas la conviction ( 144 ). Elle fait abstraction de la nature contractuelle du
groupement, qui, bien qu’étant à elle seule insuffisante pour expliquer les mécanismes
sociaux, revêt une indéniable pertinence lorsqu'il s'agit de rendre compte de la constitution des
sociétés (145). En effet, sauf à faire de la société un contrat cadre, défini comme celui par
lequel les parties s’accordent sur un objectif, finalisé par la conclusion ultérieure de contrats
d’application (146), on voit mal quelle pourrait être la substance du contrat de société dans
(139) Ex. cass com 16 déc. 1975, D. 1978 p. 292, note H. TEMPLE, par lequel la haute juridiction reconnaît
l'existence d'une société de fait entre époux ; cass com 20 janv. 1987, Bull. Joly 1987 p. 94 ; cass civ 1er 16 juill.
1997, D. affaires 1997 p. 1158 – sur la société créée de fait, V. not. L. LEVENEUR, Situations de fait et droit
privé, Bibl. dr. priv. t. 212, LGDJ, 1990, n 297 et s. et n° 365 et s.
(140)ex. cass com 7 juill. 1953, Bull. III n° 253 ; CA Paris 1er déc. 1988, JCP éd. E. 1989 I n° 18147 – sur la
société en participation, V. not. J. VALLANSAN et E. DESMORIEUX, Sociétés en participation et sociétés
créées de fait, GLN Joly, coll. Pratique des affaires, 1996, n° 1 et s.
(141) Art. 1832 C. civ.- pour un exposé approbatif de cette analyse classique, Y. GUYON, Droit des affaires, op.
cit., n° 100.
(142) Art. 1843-3, alinéa 1er – V., retenant cette conception, not. J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op.
cit., n° 226 ; Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre
associés, 4° éd. LGDJ, 1999, n° 35 ; L. GODON, Les obligations des associés, Economica, 1999, n° 21.
(143) J. ROUAST, La notion juridique d’apport en nature, thèse Paris, 1949, p. 23, cité par H. BLAISE,
L'apport en société, op. cit., n° 36.
(144) dans le même sens, H. BLAISE, L’apport en société, op. cit., n° 37.
(145) supra.
(146) Voc. Ass. H. Capitant, V° "contrat cadre". Issue de la pratique des affaires, notamment du milieu de la
distribution, la notion de contrat cadre a été consacrée magistralement par l’Assemblée plénière de la Cour de
XXXII
ces conditions. Bien au contraire, il apparaît que, dans l’esprit des parties, l’intention
d’effectuer un apport est manifeste dès la conclusion du contrat, voire dès la promesse de
société (147). Elles n’ont manifestement pas entendu décomposer l’opération d’apport. Tout
au plus peut-on voir dans l’apport une convention conclue entre les associés et les fondateurs
de la société agissant en qualité de gérants d’affaires (148), mais qui ne peut en aucun cas être
autonome.
D’autres auteurs ont au contraire réfuté la nature contractuelle de l’apport en société.
Pour certains d’entre eux, faute de l’opposition d’intérêts inhérente au contrat, la société n’en
serait pas un et serait un acte juridique collectif (149). Dès lors, l’apport ne pourrait revêtir
une nature contractuelle et ne serait qu’un élément de cet acte collectif. Il ne s’analyserait que
comme un acte de procédure (150). Cette thèse ne peut convaincre. En effet, l’opposition
d’intérêts n’est plus caractéristique du contrat, qui apparaît de plus en plus comme un
instrument de coopération entre les parties ( 151 ). Dans ces conditions, on ne peut
raisonnablement envisager la société comme un acte juridique collectif. Par conséquent, la
thèse qui fait de l’apport un élément de procédure doit être rejetée.
Une autre théorie a nié la nature contractuelle de l’apport. Elle n’emporte pas
davantage l’adhésion. Pour les partisans de cette conception, faute de pouvoir déterminer
précisément le cocontractant de l’apporteur, l’apport ( 152 ) s’analyse en un engagement
unilatéral (153) de ce dernier, manifestant son adhésion au projet social (154). Cette position
cassation (cass Plén. 1er déc. 1995, JCP 1996 II n° 22565, concl. M. JEOL, note J. GHESTIN ; RTD civ. 1996 p.
153, obs. J. MESTRE) – sur l’ensemble de la question, J. GATSI, Le contrat cadre, Bibl. dr. priv. n° 273, LGDJ,
1996 ; A. SAYAG et alii, Le contrat cadre, Litec, 1995 ; adde, F. POLLAUD-DULIAN et A. RONZANO, Le
contrat cadre, par delà les paradoxes, RTD com 1996 p. 179.
(147) cass Req. 15 déc. 1920, S. 1922, 1, p. 17, note G. BOURCARD.
(148) M.-J. CAMBASSEDES, La nature et le régime juridique de l’opération d’apport, précité.
(149) sur cette approche, supra.
(150) G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p. 62 et s., pour les sociétés de
personnes, p. 68 et s., pour les sociétés anonymes.
(151) sur cette évolution du droit contemporain du droit des contrats, infra.
(152) Cette thèse a été dégagée en matière de souscription d’actions, dans l’hypothèse de la constitution d’une
société anonyme faisant appel public à l’épargne. Mais la souscription n’étant que l’apport d’une somme
d’argent à la société, elle semble devoir être généralisée à toutes les formes sociales : en ce sens, V. H. BLAISE,
Rép. Sociétés, V° « Apports », op. cit., n° 108.
(153) La doctrine s’est peu intéressée au problème de l’engagement unilatéral de volonté (V. toutefois, J.
MARTIN DE LA MOUTTE, L’acte juridique unilatéral, thèse Toulouse, 1951, n° 249 et s., qui considère que
ce type d’acte ne peut faire naître, à quelques exceptions près, comme l’offre de contracter, d’obligations). Mais
la notion a récemment connu un regain d’intérêt, tant auprès des auteurs (M.-L. IZORCHE, L’avènement de
l’engagement unilatéral en droit privé contemporain, PUAM, 1995, préf. J. MESTRE ; R. ENCINAS DE
MUNAGORRI, L’acte unilatéral dans les rapports contractuels, Bibl. dr. priv. t. 254, LGDJ, 1996), qu'auprès
des juges (cass soc 4 avr. 1990, Bull. V n° 161, par lequel la Haute juridiction consacre l’existence de la notion
XXXIII
ne saurait convaincre. Elle demeure impuissante à expliquer l’obligation de la société
d’attribuer des droits sociaux à l’apporteur. Certes, on pourrait y voir un engagement
unilatéral du groupement mais une telle construction apparaît bien artificielle (155).
En définitive, l’analyse contractuelle de l’apport est la seule satisfaisante. L’obligation
pour l’associé d’effectuer un apport, née du contrat de société, trouve sa contrepartie dans
l’attribution de droits sociaux. L’opération revêt donc un caractère synallagmatique et obéit
donc aux règles du droit des contrats. En particulier, l’obligation fondamentale de l’associé
trouve sa cause, au sens de l’article 1131 du Code civil, dans l’attribution de droits sociaux
(156). Dès lors, c’est du fait de son apport que la personne va acquérir des titres, donc la
qualité d’associé. L’apport se présente ainsi comme un élément de cette notion, comme l’a
démontré M. le Professeur Viandier (157). Du moment qu’il y a apport, il y a attribution de
droits sociaux, donc de la qualité d’associé. Cette proposition se vérifie quels que soient
l’apporteur et le type d’apports.
2. Une analyse absolue
L’apport en société trouve toujours sa contrepartie dans l’attribution de droits sociaux
à l’apporteur (158). Ceci est vrai quel que soit le type d’apport, ni le droit commun des
sociétés, ni le droit spécial n’effectuant de discrimination.
d’ « engagement unilatéral » de l’employeur ; cass civ 1ère 28 mars 1995, RTD civ. 1995 p. 887, obs. J.
MESTRE, qui reconnaît un engagement unilatéral à la charge d’une société de vente par correspondance qui
avait envoyé une publicité informant son destinataire d’un gain substantiel ; adde, CA Toulouse 14 févr. 1996,
RTD civ. 1996 p. 398, obs. J. MESTRE).
( 154 ) J. et E. ESCARRA et J. RAULT, Traité théorique et pratique de droit commercial. Les sociétés
commerciales, t. 2, n° 533 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1415 ; J.
FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations. L’acte juridique, op. cit., n° 540 ; M.-L. IZORCHE, L’avènement de
l’engagement unilatéral en droit privé contemporain, op. cit., n° 173.
(155) Rappr. H. BLAISE, L’apport en société, op. cit., n° 41 et s.
(156) H. BLAISE, L’apport en société, op. cit., n° 182 et s. ; M.-J. CAMBASSEDES, La nature et le régime
juridique de l’opération d’apport, précité ; adde, Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 100.
(157) A. VIANDIER, La notion d’associé, Bibl. dr. priv. t. 156, LGDJ, 1978, n° 154 et s.
(158) Certes, la loi n° 80-834 du 24 octobre 1980 a permis aux salariés des sociétés anonymes de se voir
attribuer gratuitement des actions de la société qui les emploie. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une véritable
exception au principe selon lequel seul l’apport en société permet l’octroi de droits sociaux. En effet, c’est l’Etat
qui souscrit les actions au nom et pour le compte du salarié, qui est donc réputé avoir effectué un apport – sur
cette loi, V. not. A. VIANDIER, La loi créant une distribution gratuite d’actions et le droit des sociétés (loi n°
80-834, 24 octobre 1980, Rev. Sociétés 1981 p. 476 ; Y. GUYON, La distribution gratuite d’actions aux
salariés (commentaire de la loi n° 80-834 du 24 octobre 1980 et du décret n° 80-934 du 26 nov. 1980), JCP
1981 I n° 3006 ; M. VASSEUR, La loi du 24 octobre 1980 créant une distribution d’actions en faveur des
salariés des entreprises et les principes du Droit français, D. 1981 chron. p. 63.
XXXIV
Une question se pose cependant. Quid en cas d’apport effectué par un seul époux avec
des biens communs (159)? Les droits sociaux, et la qualité d’associé qui leur est inhérente,
vont-ils être attribués au ménage, à celui des deux conjoints qui a effectué l’apport ou aux
deux ? La première hypothèse peut d’ores et déjà être écartée, faute de personnalité morale
reconnue à la famille.
La conciliation du droit des sociétés et du droit patrimonial de la famille est parfois
délicate (160), même si une loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 a aplani un certain nombre de
difficultés (161). Ce texte est néanmoins demeuré muet dans le cas où le bien commun est
apporté à une société par actions. La doctrine (162) considère généralement que seul l’époux
apporteur se voit attribuer des valeurs mobilières, sans que celles-ci soient qualifiées de biens
propres (163). Il aura donc la qualité d’associé et son conjoint ne pourra pas revendiquer ce
statut, avec toutes les prérogatives qui y sont attachées, dont le droit de vote.
Le législateur a au contraire abordé le problème des apports effectués par un époux au
profit d’une société dont les titres ne sont pas négociables. L’article 1832-2 du Code civil,
dans sa rédaction issue de la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, dispose que « la qualité
d’associé est reconnue à l’époux seul qui fait l’apport ou réalise l’acquisition » ( 164).
(159) L’apport de bien communs à une société en formation par un seul époux est rendu possible par l’article
1421 du Code civil, posant le principe de la gestion concurrente des biens communs par les deux conjoints – sur
cette règle, A. COLOMER, Droit civil. Régimes matrimoniaux, 10° éd., Litec, 2000, n° 418 et s. ; G. CORNU,
Les régimes matrimoniaux, 9° éd., PUF, 1997, n° 345 et s.
(160) Fr. DEKEUWER-DEFOSSEZ, Mariage et sociétés, Mélanges René Roblot, Aspects actuels du droit
commercial français, LGDJ, 1984, p. 271.
(161) J. DERRUPPE, Les droits sociaux acquis avec des biens communs selon la loi du 10 juillet 1982,
Defrénois 1983 p. 521 ; J. BARDOUL, Les conjoints associés : commentaire des articles 12 et suivants de la loi
n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçant travaillant dans l’entreprise
familiale, Rev. Sociétés 1984 p. 5 ; M. TCHENDJOU, Le conjoint de l’associé, RTD com. 1996 p. 409 ; J.
HONORAT, La situation des actions de sociétés anonymes dans le cadre des régimes matrimoniaux, Rev.
Sociétés 1999 p. 577 ; adde, J. DERRUPPE, La nécessaire distinction de la qualité d’associé et des droits
sociaux (à propos des droits sociaux acquis avec des biens communs), JCP éd. N. 1984 I p. 251.
(162) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 204 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento
pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 116 ; H. BLAISE, Rép. Sociétés V° « Apports », op. cit., n° 149 ;
J. DERRUPPE, Les droits sociaux acquis avec des biens communs selon la loi du 10 juillet 1982, précité ; M.
TCHENDJOU, Le conjoint de l’associé, précité, n° 11 – adde, CA Paris 20 oct. 1999, Bull. Joly 2000 p. 415,
note J. DERRUPPE ; RTD com. 2000 p. 651, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET ; RJDA 2000 n° 543 ; Dr.
Sociétés 2000 n° 61, obs. D. VIDAL. En l’espèce, les magistrats parisiens ne se prononcent pas directement sur
la question de l’apport d’un bien commun à une société par actions. Mais ils considèrent que le divorce et la
dissolution de la communauté consécutive font entrer les actions dans la masse indivise des biens. Ce sont des
lors les règles applicables à l’indivision d’actions, posées à l’article 225-110, alinéa 2, du code de commerce
(ancien art. L. 163) qu’il convient d’appliquer : un mandataire ad hoc sera nommé par le juge, en cas de
désaccord des parties, pour administrer les biens, donc exercer le droit de vote.
(163) Cette qualification des titres en biens communs permet au conjoint non associé de recevoir la moitié des
titres en cas de dissolution de la communauté : en ce sens, J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit.,
loc. cit.
(164) Néanmoins, à peine de nullité de l’apport (CA Paris 28 nov. 1995, Dr. Sociétés 1996 n° 75, obs. Y.
CHAPUT), l’époux apporteur est tenu d’informer son conjoint. Il doit également justifier de son information
dans l’acte d’apport.
XXXV
Autrement dit, il résulte de cette disposition que seul l’époux apporteur se verra attribuer les
droits sociaux dans ces sociétés. Les pouvoirs publics ne pouvaient pas affirmer plus
clairement le lien indissociable entre l’apport et l’octroi de droits sociaux. Les parts ainsi
acquises entrent dans la communauté pour leur valeur seulement. En d’autres termes, le
conjoint non apporteur aura droit aux revenus pécuniaires procurés par les titres, sans se voir
reconnaître la qualité d’associé. C’est la distinction du titre et de la finance (165). L’époux qui
n’a pas effectué d’apport n’est cependant pas un tiers comme les autres. On a pu le qualifier
d’associé virtuel ou de quasi associé (166). La loi lui permet en effet de revendiquer la qualité
d’associé pour la moitié des parts acquises par son conjoint apporteur (167), jusqu’à la
dissolution de la communauté ( 168). Il peut toutefois renoncer à cette revendication au
moment où l'apport est effectué (169). Dans le cas contraire, s’il use de la faculté offerte par
le législateur, l’époux non apporteur doit être agréé par les membres du groupement, son
conjoint étant exclu du vote.
On peut s’interroger sur le point de savoir si la personne ayant conclu un PACS avec
l’apporteur du fonds peut bénéficier de cette dérogation. Une réponse négative s’impose. En
effet, la loi n° 99-544 du 12 novembre 1999 instituant le pacte civil de solidarité n’a pas prévu
cette situation. Par conséquent, le concubin pacsé ne bénéficie pas de ses dispositions libérales
et devra, s’il veut être associé, effectuer un apport en nature ou en numéraire. Il n'est donc pas
assimilé au conjoint de l'associé (170).
(165) ex. cass com 19 mars 1957, D. 1958 p. 170, note M. LE GALCHER-BARON ; cass com 23 déc. 1957, D.
1958 p. 267, note M. LE GALCHER-BARON ; cass com 22 janv. 1971, JCP 1971 II n° 16795, note J.
DERRUPPE ; cass civ 1ère 9 juill. 1991, Defrénois 1991 p. 1333, note P. LE CANNU ; CA Versailles 7 déc.
2000, Bull. Joly 2001 p. 420, note J.-P. GARCON ; RJDA 2001 n° 689 – pour une remise en cause doctrinale de
cette distinction, G. PAISANT, Peut-on abandonner la distinction du titre et de la finance en régime de
communauté (Contribution à l’étude des propres par nature) ?, JCP éd. N. 1984 I p. 19.
(166) M. TCHENDJOU, Le conjoint de l’associé, précité, n° 10 et n° 13.
(167) Art. 1832-2 C. civ., alinéa 3. C'est pour cette raison que le Code civil fait obligation à l'époux apporteur
d'informer son conjoint, à peine de nullité de l'apport (V., pour une application, CA Versailles 14 oct. 1999,
RJDA 2000 n° 163).
(168) Art. 1832-2 C. civ., in fine. Pour la jurisprudence, la communauté étant dissoute du fait du divorce, le
conjoint ne peut plus exercer la faculté offerte par l’article 1832-2 une fois le jugement de divorce passé en force
de chose jugée. A contrario, la revendication demeure possible après l’assignation : cass com 18 nov. 1997, JCP
éd. E. 1998 p. 517, obs. D. VIDAL.
(169) CA Paris 16 oct. 1990, Rev. Sociétés 1991 p. 139, obs. Y. GUYON, approuvé par cass com 12 janv. 1993,
Bull. IV n° 9.
(170) sur l'ensemble de la question, D. VELARDOCCHIO, Le PACS et le droit des sociétés : une liaison
dangereuse…, Bull. d'actualités Lamy Sociétés Commerciales avr. 2000 ; C. MALECKI, Le PACS et le droit des
sociétés, Rev. Sociétés 2000 p. 653 ; H. HOVASSE, R. GENTILHOMME et M. DESLANDES, PACS et
sociétés, Dr. Sociétés, Actes pratiques, janv.-fevr. 2001 ; R. MESNARD-GOUDET, Réflexions sur le PACS et le
droit des sociétés, JCP éd. E. 2001 p. 1128.
XXXVI
Ce problème étant résolu, il y a lieu de vérifier si chaque type d’apport permet à
l’apporteur d’acquérir des droits sociaux.
La loi distingue plusieurs types d’apports, dont la réunion forme en principe le capital
social (171).
L’apport en numéraire, défini comme l’apport d’une somme d’argent à la société
(172), ne suscite pas de difficultés particulières. L’apporteur se verra remettre des droits
sociaux en contrepartie de son apport (173).
L’apport en nature porte quant à lui sur un bien mobilier ou immobilier, corporel ou
incorporel (174). Plusieurs situations peuvent être distinguées.
Tout d’abord, l’apport peut être en pleine propriété. Dans ce cas, il y a transfert de la
propriété du bien à la société, avec toutes les conséquences qui y sont traditionnellement
attachées (175). Cette variété d’apport en nature ne pose pas de problèmes particuliers :
l’apporteur se voit remettre des droits sociaux, dont le nombre est proportionnel à la valeur du
bien apporté, préalablement évalué (176).
Ensuite, l’apporteur peut décider de n’apporter que la jouissance du bien à la société
(177). En d’autres termes, il met à la disposition de la société un bien mobilier ou immobilier,
corporel ou incorporel, pour un temps déterminé, à charge pour celle-ci de le lui restituer à
l’expiration du délai prévu ( 178). Le groupement est donc débiteur d’une obligation de
(171) Sur le capital social, dont le rôle tend à s’amoindrir, V. not. S. DANA-DEMARET, Le capital social,
Litec, 1989 ; Fr. GORE, La notion de capital social, Mélanges René Rodière, Dalloz, 1981, p. 91.
(172) Sur la notion d’apport en numéraire, V. not. J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 229 et
s.
(173) En pratique, il peut être parfois difficile de distinguer l’apport en numéraire de l’avance en compte courant,
par laquelle l’associé met également une somme d’argent à la disposition de la société. C’est précisément dans
l’attribution de droits sociaux que réside le critère de distinction entre les deux situations. L’avance en compte
courant est assimilé à un prêt et celui qui alloue des fonds à la société de cette manière à un créancier externe ;
V. not. I. URBAIN-PARLEANI, Les comptes courants d’associés, Bibl. dr. priv. t. 189, LGDJ, 1986, n° 384 et
s. ; M. GENINET, Les quasi apports en société, Rev. Sociétés 1987 p. 25.
( 174 ) Par exemple, des droits de propriété industrielle peuvent être apportés, qui obéissent à un régime
particulier – V. sur ce point, Y. REINHARD, L’apport en société de droits de propriété industrielle, Mélanges
Albert Chavanne, Litec, 1990, p. 297.
(175) L’apporteur est ainsi garant envers la société des vices cachés et de l’éviction (art. 1843-3, alinéa 2, C.
Civ.) – pour une application, cass com 16 oct. 1967, Bull. III n° 324 (solution implicite).
(176) Les apporteurs en nature peuvent être tentés de surévaluer leurs apports, lésant ainsi les tiers et les
apporteurs en numéraire. C’est pourquoi le législateur a réglementé l’évaluation de ces apports dans les SARL
(art. 223-9, C. Com. – ancien art. L. 40) et les sociétés par actions (art. 225-8, C. Com. – ancien art. L. 80) – sur
cette évaluation, V. not. Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 180 (SARL) et n°
261 (SA).
(177) C. REIGNAUT-MOUTIER, La notion d’apport en jouissance, Bibl. dr. priv. t. 242, LGDJ, 1994 ; Ph.
ENGEL, Associé et créancier : l’apporteur en jouissance dans les sociétés de capitaux, JCP éd. E. 1998 p. 2056
; N. PETERKA, Réflexions sur la nature juridique de l'apport en jouissance, Defrénois 2000 p. 1137
(178) En pratique, l’apport est effectué pour la durée de la société.
XXXVII
restitution ( 179 ). Si les biens apportés sont des corps certains, l’apport en jouissance
s’apparente à un bail (180), générateur d’un droit personnel au profit de la société (181). A
l’inverse, si les biens apportés sont des choses de genre, telles des valeurs mobilières (182),
l’apport en jouissance est assimilé à un prêt de consommation (183). Néanmoins, quel que
soit le bien apporté, ce type d’apport en nature donne lieu à l’attribution de droits sociaux, et
donc permet à l’apporteur d’accéder à la qualité d’associé, avec toutes les prérogatives
attachées à celle-ci (184). C’est au demeurant ce mode de rémunération, soumis aux aléas de
la vie sociale, qui permet de distinguer l’apport en jouissance du simple bail (185) ou du
commodat (186).
Enfin l’apporteur en nature peut décider de n’apporter à la société que l’usufruit d’un
bien (187). Malgré le silence des textes, la validité de cet apport, de plus en plus prisé par la
pratique dans le cadre des transmissions de sociétés familiales (188), ne fait pas de doute
(189). Il y a, à l’instar de l’apport en propriété, transfert au groupement d’un droit réel. Deux
situations sont concevables. En premier lieu, l’apporteur n’était qu’usufruitier du bien et il
apporte son droit à la société. Dans ce cas, l’apport ne peut être rémunéré que par des droits
sociaux reçus en pleine propriété par l’usufruitier. Le nu propriétaire demeure étranger à
l’apport, il est tiers à la société.
Il peut également arriver que la constitution de l’usufruit soit contemporaine de la
formation du groupement. L’apporteur peut n’apporter que l’usufruit d’un bien à la société, en
(179) Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les contrats spéciaux, Cujas, 1993, n° 845 ; C.
REGNAUT-MOUTIER, La notion d’apport en jouissance, op. cit., n° 70 et s. Un auteur a récemment critiqué
cette analyse personnaliste (N. PETERKA, Réflexions sur la nature juridique de l'apport en jouissance, précité).
Selon elle, l'apport en jouissance fait naître un droit réel au profit de la société, assimilable à un droit d'usufruit.
(180) Art. 1843-3, alinéa 4.
(181) Fr. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, 4° éd., Dalloz,
2000, n° 474 ; H. BLAISE, Rép. Sociétés, V° « Apports », op. cit., n° 251.
(182) L. GODON, L’apport en jouissance d’actions, Rev. Sociétés 1999 p. 795.
(183) Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les contrats spéciaux, Cujas, 1999, n° 925 ; A.
BOUGNOUX, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 10, op. cit., n° 97 ; comp. H. BLAISE, Rép. Sociétés, V°
« Apports », op. cit., n° 252.
(184) Sur la qualité d’associé de l’apporteur en jouissance, V. not. C. REIGNAUT-MOUTIER, La notion
d’apport en jouissance, op. cit., n° 175 et s.
(185) ex. cass com 3 déc. 1991, Rev. Sociétés 1992 p. 52.
(186) ex. cass com 12 nov. 1986, Bull. Joly 1986 p. 1142 – sur cet arrêt, P. LE CANNU, Le prêt d’une clientèle
civile à une société, Bull. Joly 1987 p. 161.
(187) Cette situation ne doit pas être confondue à l’usufruit des droits sociaux. Ce dernier concerne les titres de
la société elle-même, qui demeure tiers – sur l’usufruit des droits sociaux, infra.
(188) R. GENTILHOMME, Apports de titres et démembrement de propriété, JCP éd. E. 1994 I n° 311 ; Ph.
WARIN, La société civile comme outil de transmission et le démembrement de propriété, JCP éd. N. 1993, prat.
p. 289 ; H. HOVASSE, M. DESLANDES et R. GENTILHOMME, Apports de droits démembrés, Dr. Sociétés,
Actes pratiques, 1993 n° 10.
(189) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 237.
XXXVIII
s’en réservant la nue propriété (190). Dans ce cas, la durée de l’usufruit ne peut excéder trente
ans (191) L’usufruitier apporteur sera également rémunéré par des droits sociaux reçus en
pleine propriété, l’apport en usufruit étant de l’avis général régi par les dispositions relatives à
l’apport en propriété (192).
Le législateur a également prévu un dernier type d’apport. Il s’agit de l’apport en
industrie (193). Celui-ci peut se définir comme la mise à disposition de la société de sa force
de travail par l’apporteur (194). Les promoteurs de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 l’ont
expressément exclu (195) dans les sociétés à risques limités, dans un souci de protection des
créanciers, ( 196 ). En revanche, compte tenu du principe de responsabilité solidaire et
indéfinie qui régit ces formes sociales, l’apport en industrie est permis dans les sociétés de
personnes (197). Il est également autorisé dans les sociétés civiles professionnelles, leur objet
social étant l’exercice en commun d’une profession (198). La loi n° 82-596 du 10 juillet 1982
relative aux conjoints d’artisans et de commerçants autorisait exceptionnellement l’apport en
industrie dans une SARL. Si l’objet de la société est l’exploitation d’un fonds de commerce,
le conjoint de l’apporteur du fonds, ou des éléments ayant servi à le constituer, pouvait
(190) Bien que plus rare en pratique, l’apport de la nue propriété du bien demeure concevable et, semble-t-il,
valable ( rappr. cass civ 3ème 20 déc. 2000, Banque et droit mai-juin 2001 p. 43, note M. STORCK et Q.
URBAN. En l'espèce, les juges admettent l'action paulienne des créanciers de deux époux qui avaient apporté la
nue propriété de deux immeubles à une société civile. Ils ne remettent pas en cause per se l'apport, qui sera donc
simplement inopposable aux créanciers victimes) – sur cette question, J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales,
op. cit., loc. cit. ; A. BOUGNOUX, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 10, op. cit., n° 88 ; H. HOVASSE, M.
DESLANDES et R. GENTILHOMME, Apports de droits démembrés, précité.
(191) Art. 619 C. Civ.
(192) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 165 ; Ph.
MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 33 ; Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n°
104.
(193) sur l’apport en industrie, V. not. H. BLAISE, Rép. Sociétés, V° « Apports », op. cit., n° 497 et s. ; S.
DANA-DEMARET, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 10-20, 1999.
(194) L’apport en industrie se distingue du contrat de travail par l’absence de subordination de l’apporteur
envers la société. La distinction entre les deux situations se révèle parfois délicate ex. cass soc 17 avr. 1991,
Bull. V n° 200, retenant la qualification de contrat de travail , la prestation étant effectués sans la moindre
autonomie décisionnelle et dans le strict respect de consignes.
(195) Art. 225-12, C. Com. (ancien art. L. 84) pour les sociétés par actions, 226-1, alinéa 2, C. com (ancien art.
L. 251) pour les sociétés en commandite par actions et 223-7, alinéa 2, C. Com., (ancien art. L. 38) pour les
SARL.
(196) Rép. Min. n° 12451 2 mai 1989, JOAN Q 12 juin 1989 p. 2662.
(197) Art. 221-1 C. Com. (ancien art. L. 10) pour les sociétés en nom collectif et 222-1 C. Com. (ancien art. L.
23) a contrario pour les associés commandités d’une société en commandite simple.
(198) Art. 1er, loi n° 66-879 du 29 nov. 1966 – sur l’apport en industrie dans les sociétés civiles professionnelles,
J. BARDOUL, Les apports en industrie dans les sociétés civiles professionnelles, Rev. Sociétés 1973 p. 413 ; J.J. DAIGRE, SCP : l’associé en industrie est un associé en capital en puissance, Bull. Joly 1998 p. 1131 – pour
une application, cass civ 1ère 16 juill. 1998, RTD com. 1999 p. 110, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET, et p.
457, obs. M.-H. MONSERIE-BON ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 63, note B. DONDERO ; Rev. Sociétés
1998 p. 778, note J.-F. BARBIERI ; RD bancaire et bourse 1998 nov.-déc. 1998, Ingénierie patrimoniale, p. 15,
obs. F.-X. LUCAS.
XXXIX
devenir associé s’il participait à l’exploitation, sans avoir à effectuer d’apport en nature ou en
numéraire, sa collaboration constituant un apport en industrie (199). Ce texte a cependant été
abrogé par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques
(200). L'apport en industrie est désormais autorisé dans les SARL, dans toutes les hypothèses
et plus seulement dans celles expressément prévues par le législateur.
Lorsqu’elle est permise, cette forme d’apport n’est pas intégrée dans le capital social
(201). En revanche, elle donne lieu à l’attribution de parts, dont le nombre est égal à celui
reçu par l’apporteur ayant le moins apporté en nature ou en numéraire. L’apporteur en
industrie est donc un associé à part entière, avec toutes les prérogatives attachées à cette
qualité, dont le droit de vote (202). Cette reconnaissance ne peut se justifier que par une
analyse contractuelle du droit de suffrage.
b- L’analyse contractuelle du droit de vote
La jurisprudence estime depuis 1932 que « le droit de vote est un attribut essentiel de
l’action » (203). Cette solution a été reprise par le code de commerce, qui dispose dans son
article 223-28 (ancien art. L. 58), relatif aux SARL, que « chaque associé a droit de
participer aux décisions et dispose d’un nombre de voix égal à celui des parts sociales qu’il
possède » et dans son article 225-122 (ancien art. L. 174), applicable aux sociétés par actions,
que « le droit de vote attaché aux actions de capital ou de jouissance est proportionnel à la
quotité de capital qu’elle représentent et chaque action donne droit à une voix au moins ». En
matière de sociétés par actions et de SARL, le droit de vote est donc intimement lié au droit
social qui le contient. Par conséquent, la nature contractuelle du droit de vote (2) découle
nécessairement de la nature juridique du droit social (1).
1. La nature juridique du titre
(199) sur ces dispositions, V. not. J. BARDOUL, Les conjoints associés : commentaire des articles 12 et
suivants de la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d’artisans et de commerçant travaillant
dans l’entreprise familiale, Rev. Sociétés 1984 p. 5 ; M. TCHENDJOU, Le conjoint de l’associé, RTD com.
1996 p. 409.
(200) sur cette loi, J.-J. DAIGRE, Loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Aspects
de droit financier et de droit des sociétés, JCP 2001 p. 1197 et p. 1309 ; JCP éd. E. 2001 p. 1013 ; D. BUREAU,
La loi relative aux nouvelles régulations économiques. Aspects de droit des sociétés, Bull. Joly 2001 p. 553.
(201) Pour une critique de cette solution traditionnelle, au regard de l’affadissement du rôle du capital social
comme gage des créanciers, S. DANA-DEMARET, Le capital social, op. cit., n° 78 et s.
(202) Rép. Min. n° 30968, Bull. mensuel d'informations des sociétés 1984 p. 707.
( 203 ) cass civ 7 avr. 1932, D.P. 1933, 1, p. 153, note P. CORDONNIER ; S. 1933, 1, p. 177, note H.
ROUSSEAU ; Journ. Sociétés 1934 p. 289, note H. LECOMPTE.
XL
Seule la société est propriétaire des biens apportés, la somme des apports de chacun
formant l’actif social. Par conséquent, chaque associé n’en est pas copropriétaire, ni
propriétaire indivis, ni cotitulaire (204). La société, et elle seule, jouit d’un droit réel. En
contrepartie de l’abandon de propriété, l’associé reçoit un certain nombre de droits sociaux,
parts sociales ou actions, proportionnellement au montant de ses apports. Par conséquent, le
droit social représente la créance de l’associé (). En tant que telle, il n'est donc pas
susceptible de faire l'objet d'un droit de propriété ().
- Une créance
La nature juridique du droit de l’associé a été controversée, surtout dans les sociétés
par actions.
En matière de société à responsabilité limitée, la qualification du droit de l’associé en
créance est moins problématique, compte tenu du fort intuitus personae qui règne dans cette
forme sociale (205). En effet, le droit social de l’associé trouve sa source dans le contrat. Or,
celui-ci est, par hypothèse, conclu intuitu personae. Par conséquent, l’octroi d’un titre est la
conséquence de la confiance mutuelle entre les associés. Il ne peut donc être qualifié que de
droit personnel, de créance (206).
En revanche, la nature juridique de l’action a toujours été controversée. Si l’action est
expressément qualifiée de bien meuble (207) par l’article 529 du Code civil (208), la question
est vive de savoir s’il s’agit d’un meuble corporel ou incorporel.
(204) J.-P. GASTAUD, Personnalité morale et droit subjectif. Essai sur l’influence du principe de personnalité
morale sur la nature et le contenu des droits des membres des groupements personnifiés, Bibl. dr. priv. t. 149,
LGDJ, 1977, n° 35 et s ; en ce sens, V. CA Paris 17 juin 1999, Banque nationale de Paris, Rev. Sociétés 1999 p.
629 ; RTD civ. 2000 p. 106, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; RTD com. 1999 p. 710, obs. N. RONTCHEVSKY
– comp. P. DIDIER, Le droit commercial au tournant du siècle, in Université Paris II, Clés pour le siècle,
Dalloz, 2000, p. 465 ; D. MARTIN, Valeurs mobilières : défense d'une théorie, D. 2001 p. 1128.
(205) F.-X. LUCAS, Le transfert temporaire de valeurs mobilières. Pour une fiducie de valeurs mobilières, Bibl.
dr. priv. t. 283, LGDJ, 1997, n° 433.
(206) en ce sens, J. AUDIER, Les droits patrimoniaux à caractère personnel, Bibl. dr. priv. t. 159, LGDJ, 1979,
n° 56.
(207) Un auteur a critiqué cette qualification mobilière pour son caractère artificiel. Selon lui, celle-ci ne peut
s’expliquer que par le statut privilégié dont bénéficiait l’immeuble au moment de la rédaction du Code civil (A.
REYGROBELLET, La notion de valeur mobilière, thèse Paris II, 1995, n° 1087.)
(208) Aux termes de ce texte, « sont meubles par détermination de la loi, les obligations et actions qui ont pour
objet des sommes exigibles ou des effets mobiliers, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de
commerce ou d’industrie, encore que des immeubles dépendant de ces entreprises appartiennent aux compagnie.
Ces actions ou intérêts sont réputés meubles à l’égard de chaque associé seulement, tant que dure la société ».
XLI
Pendant longtemps, elle a été considérée comme un bien meuble corporel, par la
théorie de l’incorporation du droit dans le titre. Cette assimilation, quoique contestée (209),
procédait d’une confusion entre les deux acceptions du mot « titre ». En effet, selon une
doctrine autorisée (210), le terme "action" s’entendrait de deux manières.
En premier lieu, il s’agirait du droit de l’actionnaire. Le « titre », dans cette hypothèse,
désignerait le « titre negocium », défini comme étant « la cause ou [le] fondement juridique
droit qui, associé à divers qualificatifs, indique tant la source du droit [...] que le mode
essentiel de l’acquisition » (211).
En second lieu, l’action s’entend comme le support du droit de l’actionnaire. En
conséquence, l’expression « titre » est prise dans son sens de « titre instrumentum », c’est à
dire d’un « écrit en vue de constater un acte juridique ou un acte matériel pouvant produire
des effets juridiques » (212).
Dans cette optique, l’actionnaire était bien propriétaire de son titre mais seulement de
son titre instrumentum, seul à posséder une matérialité. En aucun cas, il ne pouvait jouir d’un
droit de propriété sur le titre negocium. Pourtant, la doctrine considérait que, puisque le droit
de l’actionnaire est incorporé dans le titre, pris dans son acception matérielle, l’action ne
pouvait être qu’un bien meuble corporel (213).
Cependant, la loi de finances n° 81-1160 du 30 décembre 1981, relative à la
dématérialisation des valeurs mobilières est venue démontrer la fragilité de l’analyse classique
(214). En effet, ces dispositions ont supprimé le titre instrumentum. Désormais, les valeurs
mobilières, qu’elles soient ou non nominatives, ne sont plus matérialisées par un titre mais par
une inscription en compte. Par conséquent, elles ne peuvent être qualifiées que de biens
incorporels (215).
(209) E. THALLER, Traité élémentaire de droit commercial, 3° éd., Rousseau, 1904, n° 891 et s.
( 210 ) J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 3, Dalloz, 1978, n° 28 ; R.
RODIERE et B. OPPETIT, Droit commercial. Groupements commerciaux, 10° éd., Dalloz, 1980, n° 294 ; G.
RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, op. cit. , n° 1147.
(211) Voc. Ass. H. CAPITANT V° « titre », 1er sens général.
(212) Ibid., V° « titre », 2nd sens général.
(213) M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. 3, Les biens, 2° éd., par M.
PICARD, LGDJ, 1952, n° 560.
(214) Y. GUYON, Les aspects juridiques de la dématérialisation des valeurs mobilières, Rev. Sociétés 1984 p.
451. Selon cet auteur, l’existence de titres n’était qu’une concession aux épargnants. La loi relative à la
dématérialisation s’est bornée à consacrer l’immatérialité de toutes les actions ; dans le même sens, V. P. LE
CANNU, L’ambiguïté d’un concept négatif : les valeurs mobilières, Bull. Joly 1993 p. 395, spéc. n° 16. Une
doctrine autorisée a cependant affirmé que l'existence d'un marché des valeurs mobilières perturbait davantage
les classifications traditionnelles issues du droit des biens que la dématérialisation (M. JEANTIN, Le droit
financier des biens, in Prospectives de droit économique. Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 3)
(215) Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 728 ; Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales,
op. cit., n° 269 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 2481 ;
XLII
Néanmoins, certains auteurs refusent de tirer les conséquences de la réforme et
continuent de voir dans les actions un bien meuble corporel. Selon eux, le droit de
l’actionnaire n’est plus incorporé dans le titre, qui n’existe plus, mais dans l’inscription en
compte (216). Toutefois, comme on l’a fait remarquer, cette inscription étant immatérielle,
elle ne suffit pas conférer aux actions la qualification de biens corporels (217). Elle ne fait que
constater l'existence du droit de l'actionnaire qui ne naît que de l'apport.
Si l’on retient la qualification de biens meubles incorporels, c’est à dire de droits,
encore faut-il définir la nature de ces derniers. En effet, l’assimilation de l’action en un bien
corporel permettait de qualifier le droit de l’actionnaire en un droit de propriété. A l’heure
actuelle, la doctrine majoritaire analyse cette valeur mobilière comme un droit personnel, une
créance (218).
Les auteurs partisans de cette conception font valoir, à juste titre, que le droit de
l’actionnaire, droit pécuniaire, est soit un droit réel, soit un droit personnel. Or, il ne peut
s’agir que d’un droit personnel, seule la société jouissant d’un droit réel sur le fonds social
(219). Cette qualification a le mérite de rendre à l’analyse contractuelle toute son importance
(220).Chaque associé, par l’effet de son obligation d’effectuer un apport à la société, perd la
propriété du bien apporté. En contrepartie, il va recevoir un certain nombre de droits sociaux,
proportionnellement à l’importance de son apport. C’est donc que celui-ci est la cause de
Fr. TERRE et Ph. SIMLER, Droit civil. Les biens, 4° éd., Dalloz, 1992, n° 31 ; adde, J.-F. ARTZ, Rép. Soc. V°
« Action », 1989, spéc. n° 4
(216) D. R. MARTIN, De la nature corporelle des valeurs mobilières (et autres droits scripturaux), D. 1996
chron p. 47 ; adde, du même auteur, Valeurs mobilières : défense d'une théorie, précité.
(217) Ch. LASSALAS, L’inscription en compte de valeurs : la notion de propriété scripturale, LGDJ, 1997, n°
264 ; A.-L. ARCHAMBAULT, La nature juridique des valeurs mobilières, thèse Paris I, 1998, n° 289 – dans le
même sens, F.-X. LUCAS, Le transfert temporaire de valeurs mobilières. Pour une fiducie de valeur mobilières,
op. cit., n° 416 – adde, du même auteur, Retour sur la notion de valeurs mobilières, Bull. Joly 2000 p. 765, spéc.
n° 18 et s. ; P. LE CANNU, L'acquisition de la qualité d'actionnaire, Rev. Sociétés 1999 p. 519 spéc. n° 18 ; Ph.
GOUTAY, Titres au porteur et incorporation : réfutation d'une théorie, Bull. Joly 2001 p. 475 ;
(218) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 3838 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit
commercial, op. cit., n° 1150 ; J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit.,
n° 33 ; C. KOERING, La règle "une action-une voix", thèse Paris I, 2000, n° 69 ; B. LE BARS, Les associations
d'actionnaires et d'investisseurs, thèse Paris I, 1998, n° 426 ; Th. BONNEAU, Les fonds communs de placement,
les fonds communs de créances, et le droit civil, RTD civ.. 1991 p. 1, spéc. n° 16 ; H. CAUSSE, Principe, nature
et logique de la « dématérialisation », JCP éd. E 1992 I n° 194 ; F.-X. LUCAS, Retour sur la notion de valeur
mobilière, Bull. Joly 2000 p. 765, spéc. n° 13 ; Ph. GOUTAY, La notion d'instrument financier, Dr. et
patrimoine mai 2000 p. 68 ; F. CASTRES SAINT-MARTIN-DRUMMOND, Le contrat comme instrument
financier, Mélanges François Terré, L'avenir du droit, Dalloz, Litec, PUF, 1999, p. 661 – contra, P. DIDIER, Le
droit commercial au tournant du siècle, précité, qui voit dans les associés, non des créanciers, mais des
propriétaires passifs de la société, au sens de l'article 2092 du Code civil.
(219) en ce sens, J. HEMARD, Fr. TERRE ET P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 33.
(220) H. BATTIFOL, Problèmes contemporains de la notion de biens, Arch. Phil. Droit, t. 24, Les biens et les
choses, Sirey, 1979, p. 11.
XLIII
l’action (221). Chaque apporteur ayant abandonné la propriété du bien à la société, il va se
retrouver créancier de celle-ci à raison de son apport (222).
Cette analyse a néanmoins été critiquée. Selon ses détracteurs, elle négligerait le fait
que l’action ne confère à son porteur pas seulement des droits pécuniaires, mais également des
prérogatives extrapécuniaires, tels le droit de vote dans les assemblées générales, ou le droit à
l’information (223). C’est oublier qu’il peut exister des accessoires de la créance, de nature
extrapatrimoniale, c’est à dire non susceptibles d’être évalués en argent (224), telle la clause
de réserve de propriété confortée dans notre Droit par la loi du 12 mai 1980 (225). Est-ce à
dire que le droit du vendeur à obtenir le paiement de la marchandise vendue n’est pas une
créance ? Cette position procède d’une vision par trop restrictive du droit personnel de
l’actionnaire, puisqu’elle la réduit au seul droit aux dividendes et à la restitution de l’apport
(226). L’action est un ensemble de prérogatives, patrimoniales et extrapatrimoniales, et c’est
cette réunion qui forme la créance.
De la même manière, les adversaires de l’assimilation de l’action à un droit personnel
font valoir que celle-ci ne confère à son porteur qu’un droit éventuel : tant que les bénéfices
sociaux, ou les réserves, ou le boni de liquidation ne sont pas distribués, le droit de
l’actionnaire n’est pas certain (227). Cependant, ce caractère éventuel n’est pas un obstacle à
la qualification en créance. En effet, dans tout contrat, le créancier n’est jamais certain d’être
effectivement payé. Néanmoins, il demeure un créancier (228). Considérer que le caractère
éventuel du paiement de la créance est un obstacle à la qualification revient à confondre
l’existence de obligation et son exécution réelle.
(221) J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit commercial, , t. 1, 2° volume, Sociétés. Groupements
d’intérêt économique. Entreprises publiques, 2° éd., Dalloz, 1980, n° 514 – sur l'analyse contractuelle de l'apport
en société, V. supra.
(222) G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, op. cit., n° 1150.
(223) R. SAVATIER, La théorie des obligations. Vision juridique et économique, 3° éd., Dalloz, 1974, n° 58 ;
adde, H. BATTIFOL, Problèmes contemporains de la notion de biens, précité ; P. LE CANNU, note sous CA
Versailles 15 octobre 1993, Bull. Joly 1994 p. 84.
(224) Ch. LARROUMET, Droit civil, t. 1, Introduction à l’étude du droit privé, 3° éd., Economica, 1998, n°
397 ; G. CORNU, Droit civil. Introduction. Les personnes. Les biens, 8° éd., Montchrestien, 1997, n 60 ; J.-L.
AUBERT, Introduction au Droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 6° éd., Armand Colin, 1995, n° 201.
(225) Sur l’ensemble de la question, M. CABRILLAC, Les accessoires de la créance, Etudes dédiées à Alex
Weill, Dalloz-Litec, 1983, p. 107.
(226) en ce sens, J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 35.
(227) P. LE CANNU, obs. sous CA Versailles 15 oct. 1993, précitées ; comp. G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité
de droit commercial, op. cit., loc. cit., selon lesquels le caractère éventuel de la créance n’est pas un obstacle à
l’assimilation du droit de l’actionnaire à une créance.
(228) F.-X. LUCAS, Le transfert temporaire de valeurs mobilières. Pour une fiducie de valeurs mobilières, op.
cit., n° 449, note 117.
XLIV
Un auteur a tenté de démontrer que les actions ne représentaient pas la créance de
l’actionnaire sur la société, mais le contrat de société lui-même (229). Selon lui, celui-ci
s’incarne dans chaque action dont sont titulaires les associés. En donnant son consentement
lors de la constitution de la société, chaque actionnaire devient titulaire du contrat (230), la
cession de droits sociaux étant, selon cette analyse, assimilée à une cession de contrat.
Cette thèse n’emporte pas l’adhésion, en ce qu’elle confond la source de l’action, le
contrat de société, avec le contrat lui-même (231). L’action ne peut être envisagée que comme
un droit personnel, dont la cause réside dans l’obligation de l’associé d’effectuer un apport,
née du contrat. Considérer le droit social comme une convention implique de définir les droits
de créance que celui-ci génère.
Par ailleurs, un courant doctrinal a pu analyser les droits sociaux comme des droits sui
generis (232). Selon ces auteurs, non seulement le droit de l’actionnaire est irréductible à un
droit réel, à cause de l’indépendance des patrimoines, mais il ne peut être qualifié de droit
personnel. En effet, du fait de son appartenance à un groupement doté de la personnalité
morale, l’actionnaire n’est pas un véritable tiers pour la société. Par conséquent, il n’a aucun
pouvoir de contrainte, inhérent au droit de créance, vis à vis de celle-ci (233). Il n’a envers la
personne morale que les « droits d’une personne vis à vis d’une personne collective dont elle
est membre » (234). Cette position prête le flanc à la critique. En effet, elle prend appui sur
l’indépendance des patrimoines pour écarter la qualification de droit réel tandis qu’elle
invoque la relativité de cette séparation pour nier celle de droit personnel. Certes, l’actionnaire
n’a aucun pouvoir de contrainte envers la société mais cette absence n’est pas un obstacle à la
qualification de son droit en créance. Dès lors que l'on invoque l'indépendance des
patrimoines, il s'agit d'en tirer toutes les conséquences et de conclure au caractère personnel
de l'action. D'ailleurs, il est admis que l'actionnaire n’est pas un créancier de la société mais
un créancier dans la société (235).
(229) H. CAUSSE, Les titres négociables. Essai sur le contrat négociable, Litec, 1993.
(230) Ibid.., n° 123 et n° 81 : « l’action n’est qu’une émanation du contrat de société, un « double synthétisé et
individualisé ». »
(231) F.-X. LUCAS, Le transfert temporaire de valeurs mobilières. Pour une fiducie de valeurs mobilières, op.
cit., n° 431.
(232) B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Introduction au droit, 5° éd., Litec, 1998, n° 1291 ; J. P.
GASTAUD, Personnalité morale et droit subjectif. Essai sur l’influence du principe de la personnalité morale
sur la nature et le contenu des droits des membres des groupements personnifiés, op. cit., n° 34.
( 233 ) J. P. GASTAUD, Personnalité morale et droit subjectif. Essai sur l’influence du principe de la
personnalité morale sur la nature et le contenu des droits des membres des groupements personnifiés, op. cit., n°
39.
(234) L. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale, 2° éd. par L. TROTABAS, t. 2, LGDJ, 1998, n° 181.
(235) R. RODIERE et B. OPPETIT, Droit commercial. Groupements commerciaux, op. cit., n° 294 – comp., J.
CALAIS-AULOY, Rép. Sociétés V° "Associé", 1970, n° 2.
XLV
La jurisprudence majoritaire qualifie d’ailleurs l’action de droit personnel (236). Un
arrêt est particulièrement net à cet égard (237). Il s’agissait en l’espèce d’un débiteur qui
soutenait, à l’appui de l’exception de nullité à l’encontre d’une saisie-arrêt pratiquée sur des
actions d’une société anonyme (238), que celles-ci n’étaient pas des créances et que lui seul
en était propriétaire. On comprend l’enjeu du débat : si l’action est un droit personnel, alors
seule la société émettrice en est détentrice, elle est donc un tiers au sens de l’article 557 de
l’ancien Code de procédure civile (239), par conséquent la saisie arrêt pratiquée était valable.
Si, à l’inverse, l’action n’est pas une créance, le débiteur en est propriétaire, par conséquent,
dès lors, la société n’est pas un tiers, ce qui rend nulle la saisie. La Cour de Versailles affirme
de manière particulièrement nette « qu’il n’est pas sérieusement contestable qu’une action est
un titre de créance détenue sur une société par un actionnaire ».
On le voit, la Cour de Versailles, en considérant que l’action est une créance, reçoit
indirectement l’argument du débiteur. Celui-ci affirmait que le droit social n’étant pas un droit
personnel, il était susceptible de faire l’objet d’un droit de propriété. A contrario, cela signifie
que l’action, en tant que créance, ne peut faire l’objet d’un droit réel.
- Une créance non susceptible de propriété
Dès lors que l’on admet que l’action, plus généralement le droit social, représente la
créance de l’associé sur la société, on doit en déduire qu’elle ne peut faire l’objet d’un droit de
propriété. Certes, la psychologie du porteur est celle d’un propriétaire (240). Il n’en demeure
(236) ex. cass com 4 déc. 1963, Bull. III n° 521, aux termes duquel « dans une société commerciale, telle une
société à responsabilité limitée, l’associé ne possède, du fait de son droit social, aucun droit de propriété et ne
détient qu’un droit de créance limité pendant la durée de la société, à sa part dans les bénéfices » ; CA Paris 10
oct. 1964, Rev. Sociétés 1965 p. 416, qui estime que « les parts d’intérêts dans une société à responsabilité
limitée étant assimilées à des droits de créance sur la société, elle peuvent faire l’objet d’une dation en gage,
comme tous autres biens incorporels », et dont la solution est applicable mutatis mutandis aux sociétés par
actions ; cass com 2 mai 1968, D. 1968 somm. p. 111, qui considère que « les actionnaires d’une société en
commandite dissoute, qui survit pour les besoins de sa liquidation, ont un droit déjà ouvert au partage d’un
reliquat de l’actif après payement du passif ; mais ils ne sont pas pour autant des créanciers habiles à agir au
lieu et place de la société par application de l’article 1166 du Code civil [relatif à l’action oblique] ». C’est
affirmer que les associés sont des créanciers, d'une nature particulière puisqu’ils se voient refuser l’exercice de
l’action oblique ; comp. cass com 22 nov. 1988, bull IV, n° 322, qui parle de droit de propriété sur des actions.
(237) CA Versailles 15 oct. 1993, Bull. Joly 1994 p. 84, note P. LE CANNU.
(238) La loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures d’exécution, a permis la saisie de droits
incorporels ; sur l’ensemble de la question, E. PUTMAN, La saisie des droits d'associés et des valeurs
mobilières, JCP 1993 I n° 3689; Ph. DELEBECQUE, Nantissement et saisie, Rev. Sociétés 1999 p. 599.
(239) Aux termes de ce texte, abrogé par la loi n° 91-650 du 9 juill. 1991, "tout créancier peut, en vertu de titres
authentiques ou privés, saisir-arrêter entre les mains d'un tiers les sommes et effets appartenant à son débiteur
qui ne sont pas des immeubles par nature, ou s'opposer à leur remise".
(240) En ce sens, P. LE CANNU, L’ambiguïté d’un concept négatif : les valeurs mobilières, précité, spéc., n° 18.
XLVI
pas moins que la qualification de droit personnel conduit à exclure le droit de propriété de
l'associé.
Certains ont cependant tenté de démontrer que la propriété des créances était
concevable. Ainsi, selon Ginossar (241), la propriété échappe à la distinction classique (242)
des droits réels et des droits personnels et se définit comme « la relation par laquelle une
chose appartient à une personne » (243)
Par conséquent, tout bien, qu’il soit corporel ou incorporel est susceptible de faire
l’objet d’un droit de propriété, caractérisé par l’idée d’appartenance. Autrement dit, dans cette
optique, le créancier n’est pas le titulaire de sa créance, il en est le propriétaire. D'après
Ginossar, celle-ci se définit comme « un bien appartenant au créancier et rattaché à son
patrimoine par l’effet d’un droit de propriété » (244). C’est ce droit de propriété sur la
créance qui explique que celle-ci puisse faire l’objet d’un usufruit ou d’un nantissement (245)
Cette thèse a fait l’objet de vives critiques (246). Il est vrai que, comme le font
remarquer Marty et Raynaud, « la notion de propriété ainsi appliquée à tous les droits
patrimoniaux (pourquoi pas les autres droits ?), perd toute signification précise : en réalité,
elle se réduit à l’élément d’appartenance, de « titularité », que l’on retrouve nécessairement
dans tout droit subjectif, voire dans toute compétence. A généraliser ainsi le concept de
propriété, on le fait disparaître » (247). En outre, la notion d’appartenance est une notion
creuse et floue, si l’on fait abstraction des pouvoirs qu’elle est susceptible de conférer (248).
D'ailleurs, les arguments présentés par Ginossar n’emportent pas la conviction. En
effet, l’usufruit et le nantissement ne supposent pas la propriété préalable de la chose, mais
seulement un droit pécuniaire (249). La notion d’usufruit est désormais perçue non plus
( 241 ) S. GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance. Elaboration d’un système rationnel des droits
patrimoniaux, LGDJ, 1960.
(242) Ch. LARROUMET, Droit civil, t. 2, Les biens. Droits réels principaux, 3° éd., Economica, 1997, n° 11 ;
B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Introduction au droit, op. cit., n° 1172. Pour une critique de la
distinction classique et pour une nouvelle distinction entre les droits à réalisation médiate, ayant un sujet passif
déterminé, et les droits à réalisation immédiate, F. HAGE-CHAHINE, Essai d’une nouvelle classification des
droits privés, RTD civ.. 1982 p. 705.
( 243 ) S. GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance. Elaboration d’un système rationnel des droits
patrimoniaux, op. cit., n° 12.
(244) Ibid..., n° 13.
(245) Ibid.., n° 20.
(246) J. DABIN, Pour une nouvelle définition du droit réel, RTD civ.. 1962 p. 20 ; adde, G. MARTY et P.
RAYNAUD, Droit civil. Les biens, 3° éd., par P. JOURDAIN, Dalloz, 1995, n° 6 ; Ch. LARROUMET, Droit
civil. Les biens. Droits réels principaux, op. cit., n° 24.
(247) G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil. Les biens, op. cit., loc. cit. ; dans le même sens, V. J. DABIN,
Pour une nouvelle définition du droit réel, précité.
(248) en ce sens, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction
générale, 4° éd., LGDJ, 1994, n° 232.
(249) J. DABIN, Pour une nouvelle définition du droit réel, précité.
XLVII
comme un démembrement de propriété, donc un droit réel, mais comme le démembrement
d’un droit (250). Dès lors, l’usufruit d’une créance (251) est concevable car il n’aboutit pas à
grever un droit réel sur un droit personnel.
Cela étant, les théories de Ginossar n’ont pas fait école dans la doctrine civiliste
française, à l’exception cependant notable de M. le Professeur Frédéric Zénati (252). Ce
dernier reprend les arguments de Ginossar et cite à l’appui de sa position la jurisprudence du
Conseil constitutionnel sur les nationalisations ( 253). En l’espèce, sur le fondement des
articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, (254)
intégrée au bloc de constitutionnalité depuis 1971 ( 255 ), le Conseil a décidé que « les
principes mêmes énoncés par la Déclaration des Droits de l’Homme ont pleine valeur
constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont
la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que
la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression » (neuvième considérant) et a affirmé ainsi,
pour la première fois, la valeur constitutionnelle de la propriété.
Le Conseil a procédé à cette constitutionnalisation à l’occasion des nationalisations.
Par conséquent, il étend le droit de propriété aux actions (256), donc aux créances. Cette
solution a été ultérieurement confirmée ( 257 ), et M. le Professeur Zénati y a vu la
consécration de l’analyse de Ginossar (258).
(250) G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil. Les biens, op. cit., n° 64 ; B. STARCK, H. ROLAND et L.
BOYER, Introduction au droit, op. cit., n° 1210.
(251) A. FRANCON, L’usufruit des créances, RTD civ.. 1957 p. 1 ; R. LIBCHABER, L’usufruit des créances
existe-t-il ?, RTD civ.. 1997 p. 615, qui fait remarquer que le régime actuel de cette forme d’usufruit tend bien
plus vers la personnalité que vers la réalité (n° 19).
(252) F. ZENATI et Th. REVET, Les biens, 2° éd., PUF, 1997, n° 113 ; adde, F. ZENATI, Sur la constitution de
la propriété, D. 1985 chron. p. 171 et Pour une rénovation de la théorie de la propriété, RTD civ. 1993 p. 306
adde, dans le même sens, I. ROBERT-CADET, L'usufruit des droits sociaux, Petites affiches 19 mai 2000 p. 54.
(253) déc. n° 81-132 DC du 16 janv. 1982, Nationalisations, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel,
n° 31, p. 444, note L. FAVOREU et L. PHILIP ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, n° 1, p. 5, note Fr.
TERRE et Y. LEQUETTE.
(254) Aux termes de l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, « le but
de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits
sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » ; d’après l’article 17 du même texte, « la
propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique,
légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».
( 255 ) déc. n° 71-44 DC du 16 juill. 1971, Liberté d’association, Les grandes décisions du Conseil
constitutionnel, n° 19, p. 244, note L. FAVOREU et L. PHILIP.
(256) Certains auteurs ont considéré que la Déclaration du 26 août 1789 ne pouvait pas concerner la propriété
mobilière (Y. GUYON, RFDC 1992 p. 403) et ne protégeait que la propriété foncière. Cette position a été
magistralement réfutée, en prenant appui sur les travaux préparatoires de la Déclaration des Droits de l’Homme
et du citoyen ; V. J.-L. MESTRE, Le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et la propriété, D. 1984,
chron. p. 1 et La déclaration des Droits de 1789 et la propriété mobilière, RFDC 1996 p. 227.
(257) déc. 94-347 DC du 3 août 1994, Diverses dispositions d’ordre économique et financier, RFDC 1994 p.
826, note J. TREMEAU.
(258) F. ZENATI, Sur la constitution du droit de propriété, précité.
XLVIII
Cette position ne nous convainc cependant pas. La doctrine considère en effet que la
propriété visée aux articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est
beaucoup plus abstraite que celle de l’article 544 du Code civil, définie comme « le droit de
jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on en fasse pas un
usage prohibé par les lois ou les règlements » (259). D’après un auteur, la propriété au sens
de l’article 17 s’entend comme « le droit de jouir et de disposer de tout élément (corporel ou
incorporel) du patrimoine » (260).
Autrement dit, celle-ci peut englober la titularité d’une créance, le Conseil ayant une
vision bien plus économique et sociologique que juridique du droit de propriété (261). Pour la
juridiction constitutionnelle, ce dernier s’entend du « droit à une valeur » (262), ce qui
explique qu’il en étende la protection aux actions de sociétés et aux marques de fabrique
(263).
Si les théories de Ginossar n’ont jamais fait autorité en droit civil, elles ont trouvé un
écho favorable en droit des sociétés. Nombre d’auteurs continuent à considérer que
l’actionnaire est propriétaire de son action, nonobstant le caractère incorporel de celle-ci
(264). Selon eux, il s’agirait d’un droit de propriété sur une valeur. En effet, le droit réel
suppose un bien individualisable (265), par conséquent, il ne peut porter sur l’action ellemême, compte tenu de sa nature incorporelle, mais seulement sur la valeur que celle-ci
représente (266). On ne peut souscrire à cette opinion car elle repose sur un concept flou, le
(259) F. COLLY, Le Conseil constitutionnel et le droit de propriété, RDP 1988 p. 135, spéc. n° 21 ; P.
KAYSER, AIJC 1985 p. 279 ; J.-Y. CHEROT, Les rapports du droit constitutionnel et du droit civil, RFDC
1991 p. 439, adde, N. MOLFESSIS, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, Bibl. dr. priv. t. 287, LGDJ,
1997, n° 95 ; comp., Y. GUYON, Le droit de propriété devant la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel,
in La Cour de cassation et la Constitution de la République, PUAM-La Documentation française, 1995, p. 173.
(260) Fr. LUCHAIRE, Les fondements constitutionnels du droit civil, RTD civ. 1982 p. 245.
(261) N. MOLFESSIS, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, op. cit., n° 102.
(262) Ibid.., n° 103 ; adde, J. TREMEAU, RFDC 1994 p. 826.
(263) déc. n° 91-303 DC du 15 janv. 1992, Publicité comparative, RFDC 1992 p. 303, note Y. GUYON.
( 264 ) V. par exemple, Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 278 ; A.
REYGROBELLET, La notion de valeur mobilière, op. cit., n° 1111 et, du même auteur, Le droit de propriété du
titulaire d'instruments financiers dématérialisés, RTD com. 1999 p. 305 ; C. KOERING, La règle "une actionune voix", op. cit., n° VII ; D. SCHMIDT, Le régime actuel des valeurs mobilières, RD bancaire et bourse 1987
p. 42
(265) G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, op. cit., n° 1149 ; C. ATIAS, Droit civil. Les
biens, 4° éd., Litec, 1999, n° 43 ; J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI et S. CIMAMONTI, Traité de droit civil. Les
biens, LGDJ, 2000, n° 36 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, Les biens. La publicité foncière, 4° éd. par Ph.
THERY, Cujas, 1998, n° 363.
(266) D. SCHMIDT, Le régime actuel des valeurs mobilières, précité ; P. LE CANNU, L'acquisition de la
qualité d'actionnaire, Rev. Sociétés 1999 p. 519.
XLIX
droit sur une valeur, qui, s’il retient l’attention de la doctrine (267), est inconnu de notre
Droit. En outre, du moment que l’on qualifie l’action de créance, la propriété est
inconcevable.
Pourtant, certaines juridictions du fond invoquent l’article 544 du Code civil pour
refuser l’exclusion d’un associé demandeur de la dissolution de la société ( 268). En la
matière, la question qui se pose est celle de savoir si une juridiction saisie d’une telle demande
peut imposer à l’associé qui la forme la vente de ses droits sociaux à ses coassociés. Une
partie des tribunaux y répond par la négative (269). Une telle sanction serait, pour ces juges,
une expropriation pour cause d’utilité privée. C’est donc que dans leur esprit, l’actionnaire
jouit d’un droit de propriété sur son action. Ce visa laisse quelque peu perplexe. Il semble que
les magistrats ait confondu le titre instrumentum, pouvant faire l’objet d’un droit réel, encore
que cette analyse soit discutable, et le titre negocium, représentatif de la créance de l’associé,
non susceptible de propriété.
La qualification du droit social en droit personnel rejaillit évidemment sur la nature du
droit de vote de l’associé.
2. Incidence de la nature juridique du droit social sur le droit de
vote
Le contrat de société ne figure pas parmi les contrats aléatoires énumérés par l'article
1964 du Code civil (270). A la différence du joueur ou du parieur, l'associé maîtrise le risque
financier qu'il assume, au moyen de sa participation aux affaires sociales. Celle-ci lui permet
de définir l'intérêt social. Dans ces conditions, l'apporteur continue à gérer, de manière moins
souveraine certes, les biens qu'il a apportés à la société. Dès lors, le droit de vote se présente
comme la garantie de la créance de l'associé sur le groupement, il en constitue l'accessoire
().
(267) A. PIEDELIEVRE, Le matériel et l’immatériel. Essai d’approche de la notion de biens, Etudes en
l’honneur de Michel de Juglart, 1986, p. 55.
(268) Sur l’ensemble de la question, infra.
(269) CA Aix en Provence 26 avr. 1984, D. 1985 p. 372, note J. MESTRE ; CA Versailles 19 janv. 1989, Bull.
Joly 1989 p. 327.
( 270 ) Sur lesquels, V. A. BENABENT, Droit civil. Les contrats spéciaux civils et commerciaux, 4° éd.,
Montchrestien, 1999, n° 924 et s.
L
Cependant, une loi n° 78-741 du 13 juillet 1978 a introduit dans l'ordre juridique les
actions à dividende prioritaire sans droit de vote. Dès lors, étant dépourvues par définition de
leur accessoire, on peut se demander si ce type de titre mérite véritablement la qualification
d'action ().
- le droit de vote, accessoire de la créance
Le droit de propriété se décompose classiquement en trois attributs : l’usus, c’est à dire
le droit d’user de la chose, le fructus, le droit d’en jouir des fruits, et l’abusus, le droit d’en
disposer (271). Si l’on admettait que l’action était susceptible de faire l’objet d’un droit de
propriété, il faudrait en conclure que le droit de vote, attribut de l’action, représente soit
l’usus, soit le fructus, soit l’abusus.
On ne pourrait raisonnablement l’envisager que comme l’usus de l’action, le fructus
invoquant l’idée de droit aux dividendes, et l’abusus celle du droit de sortir de la société. Or,
les auteurs favorables à la propriété de l’action envisagent l’usus comme le droit d’utiliser
personnellement le droit social et d’en exiger le respect, ainsi que la possibilité d’accomplir
tout acte juridique sur la valeur mobilière. Bien au contraire, ils écartent l’idée que l’usus
puisse être réduit aux seules prérogatives politiques ( 272 ). En définitive, cette analyse
confirme que considérer l’actionnaire comme le propriétaire de son droit social ne peut que
conduire à une impasse.
Par conséquent, dès lors que l’on retient la qualification de créance, on doit considérer
que le droit de vote est un accessoire de celle-ci, étant un « attribut essentiel » de l’action
(273).
Une doctrine autorisée a défini l’accessoire d’une créance comme étant « un droit ou
une action qui n’a pas d’autre finalité que d’en renforcer la valeur ou d’en favoriser le
recouvrement ; une prérogative dont l’exercice ne peut être profitable qu’au titulaire quel
qu’il soit » (274). A priori, le droit de vote paraît rebelle à une telle classification. En effet, il
(271) Fr. TERRE, Introduction générale au droit, 4° éd., Dalloz, 1998, n° 345 ; Fr. TERRE et Ph. SIMLER,
Droit civil. Les biens, 5° éd., Dalloz, 1998, n° 107 et s. – comp. Ch. ATIAS, Droit civil. Les biens, op. cit., n° 60
et s., qui distingue entre l'utilité naturelle de la chose, englobant l'usus, de l'utilité civile, regroupant le fructus et
l'abusus.
(272) A. REYGROBELLET, La notion de valeur mobilière, op. cit., n° 1153
(273) comp., sous l'angle financier, G. HIRIGOYEN, Droit et finance, in B. AMMAN (sous la direction de),
Gestion et droit, Dalloz, 2000, p. 55.
(274) M. CABRILLAC, Les accessoires de la créance, précité.
LI
est traditionnellement admis que ce droit revêt une nature sociale car il est octroyé pour être
exercé dans l’intérêt supérieur de la personne morale et non pour satisfaire les intérêts
égoïstes de son titulaire (275).
En réalité, cette argumentation doit être écartée pour plusieurs raisons.
L’accessoire doit être exclusivement au service de la créance, c’est à dire avoir une
incidence positive sur son étendue ou son recouvrement. En la matière, le droit de vote, pour
avoir vocation à la qualification d’accessoire, doit influer sur la valeur intrinsèque de l’action
ou favoriser le versement des dividendes, seule partie de la créance susceptible de faire l’objet
d’un recouvrement. S’agissant de la mise en distribution des bénéfices, l’influence du vote de
l’associé ne fait aucun doute puisque seule l’assemblée générale est compétente pour en
décider (276).
L’incidence du droit de vote sur la valeur intrinsèque de l’action est plus difficile à
établir. Celle-ci, déterminée en fonction de l’actif net social à un moment donné (277), dépend
essentiellement des résultats de la société. Par conséquent, selon les cas, elle sera fonction de
la politique suivie par les dirigeants sociaux, ou des décisions prises par l’assemblée générale.
Toute la difficulté est donc de savoir en quoi le vote de l’actionnaire peut influer sur la
politique économique mise en place par l’équipe dirigeante. Cet effet pourra se manifester
lors de la nomination des mandataires sociaux ou par la crainte des dirigeants de se voir
révoquer par les associés s’ils mènent une politique contraire à leur intérêt. En d’autres
termes, le risque d’émission d’un vote défavorable incite les dirigeants à ne pas mener une
politique sociale allant à l'encontre des intérêts de leurs mandants et, partant, influe sur la
valeur intrinsèque de l’action. Dans les sociétés cotées, ce phénomène est particulièrement
visible. Les dirigeants, sous peine de révocation, doivent maximiser le profit, en dividendes et
en valeur boursière. Dès lors, la politique menée par les organes de gestion est toute entière
orientée par la recherche d'un accroissement de la valeur actionnariale, entendue comme la
rentabilité des capitaux investis. Par conséquent, le vote des associés exerce une influence
certaine sur la valeur du titre (278)
(275) R. DAVID, Le caractère social du droit de vote, Journ. Sociétés 1929 p. 401.
(276) Art. L. 232-12 C. Com. (ancien art. L. 347).
(277) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 2593.
(278) rappr. C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n° V ; sur cette question, intimement liée
aux travaux sur la corporate governance, V. not. Y. PESQUEUX, La référence à la valeur actionnariale :
perspectives éthiques, Rapport moral sur l'argent dans le monde 1998, Montchrestien, 1999, p. 307 ; J. DELGA,
Ethique, éthique d'entreprise, éthique du gouvernement d'entreprise, D. 1999, cahier droit des affaires, p. 397 ;
C. LEVI, Création de valeur : l'entreprise au pied du mur, Les échos 14 nov. 2000 – sur la corporate
governance, infra.
LII
La jurisprudence considère d’ailleurs que le droit de vote est « un acte utile à la mise
en valeur ou à la conservation du droit mobilier faisant partie de son patrimoine particulier »
(279). En d’autres termes, puisque le droit de vote permet à chaque associé de nommer ou
révoquer les mandataires sociaux, il garantit ses droits pécuniaires, dont il est le complément
(280). Il est donc un accessoire du droit social.
Certes, on objectera que l’actionnaire ne doit pas exercer son droit de vote à des fins
égoïstes mais dans l’intérêt commun. Lors de la manifestation de son suffrage, il doit avoir en
vue l’intérêt social et non son propre intérêt, sous peine de manquer à son devoir général de
bonne foi (281). Dans ces conditions, le caractère d’exclusivité nécessaire à la vocation à la
qualification d’accessoire fait défaut. Cet argument n’est pas dirimant. En effet, si l’on
considère que l’intérêt de la société ne peut être distinct de l’intérêt commun défini à l’article
1833 du Code civil, alors l’associé, en poursuivant son propre intérêt, aura nécessairement en
vue la satisfaction de l’intérêt social. Dans cette optique, l’intérêt de l’associé est forcément
celui qu’il possède à l’intérieur de la société (282). S’il favorise son intérêt externe, alors sa
mauvaise foi sera établie.
C’est d’ailleurs vers cette conception que s’est un temps orienté le législateur, dans la
loi n° 97-277 du 25 mars 1997 (283), relative aux fonds de pension. En effet, aux termes de
l’article 13-I de ce texte, « les fonds d’épargne retraite sont tenus d’exercer effectivement,
dans le seul intérêt des adhérents, les droits de vote attachés aux titres, donnant directement
ou indirectement accès au capital de sociétés, détenus par ces fonds ». Cette disposition
assimilait le droit de vote à un actif financier, destiné à protéger la valeur du patrimoine du
fonds de retraite (284). Dans cette optique, il est considéré comme un accessoire. Mais, pour
des raisons sur lesquelles il n'y a pas lieu de s'appesantir, ce texte a finalement été abrogé,
sans être entré en vigueur.
(279) cass Req. 23 juin 1941, Journ. Sociétés 1943 p. 209 ; Les grands arrêts de la jurisprudence commerciale,
n° 66, p. 207, note J. NOIREL.
(280) dans le même sens, C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n° 61 et s. ; J. NOIREL, Les
grands arrêts de la jurisprudence commerciale, n° 66, p. 207, spéc., p. 210.
(281) Sur le vote déloyal, infra.
(282) P. DIDIER, Droit commercial, t. 2, L’entreprise en société, 2° éd., PUF, 1997, p. 356 – D. SCHMIDT, Les
conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, collection Pratique des affaires, 1999, n° 219 et s.
(283) A. COURET, Première traduction législative de la corporate governance : la loi sur les fonds de pension
(libres propos autour de la loi n° 97-277 du 25 mars 1997), D. 1997, chron. p. 241 ; A. PEZARD, Une loi sur
les fonds de pension, Petites affiches 3 mars 1997, p. 4 ; adde, F. MANIN, L’obligation de vote de l’Opcvm et du
fonds de pension. Commentaire d’une proposition du rapport Marini, Banque et Droit mars 1997, p. 17.
(284) A. COURET, Première traduction législative de la corporate governance : la loi sur les fonds de pension
(libres propos autour de la loi n° 97-277 du 25 mars 1997, précité, spéc., n° 10. Si l’on s’en tient au critère de
distinction classique de l’évaluation monétaire, la nature extrapatrimoniale du droit de vote est actuellement
remise en cause, V. infra.
LIII
Par ailleurs, le droit de vote est traditionnellement présenté comme un droit
extrapatrimonial (285), c’est à dire non évaluable en argent.
C’est ce critère de l’évaluation monétaire qui permet en effet de distinguer les droits
patrimoniaux et extrapatrimoniaux (286). Cette summa divisio des droits subjectifs, si elle a le
mérite de la simplicité, n’en est pas moins critiquable. L’exemple du droit de vote de l’associé
en fournit une bonne illustration.
En effet, un droit extrapatrimonial, même s’il ne peut être évalué monétairement,
emporte parfois des effets pécuniaires ( 287 ). A cet égard, le droit des sociétés est
particulièrement significatif, notamment en ce qui concerne la décision de l’assemblée
générale de distribution des dividendes. Ainsi, en votant, l’associé donne son consentement à
une délibération qui emporte par définition des répercussions sur son patrimoine propre. Si la
résolution est adoptée, celui se verra octroyer une certaine somme, qui représente la
rémunération de son apport.
Si la qualification de droit de vote en « attribut » de l’action ne fait aucun doute, est-ce
à dire que cette prérogative est inhérente à cette forme de valeur mobilière ?
- Une action sans droit de vote est-elle une
action ?
A la suite de l’arrêt du 7 avril 1932, nombre d’auteurs ont considéré qu’une privation
du droit de vote dénaturerait l’action. En d’autres termes, selon eux, un droit social dépourvu
de cette prérogative ne pourrait pas être une action (288). Néanmoins, ils notaient que de tels
titres étaient déjà admis par certaines législations étrangères (289).
( 285 ) M. LECENE-MARENAUD, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 97-A, spéc., n° 89 ; Ph. MERLE, Droit
commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 304 et s.
(286) J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction générale, op.
cit., n° 272 ; F. TERRE, Introduction générale au droit, op. cit., n° 349 ; H., L. et J. MAZEAUD et Fr.
CHABAS, Leçons de droit civil, t. 1, 1er volume, Introduction à l’étude du droit, 11° éd., par Fr. CHABAS,
Montchrestien, 1996, n° 158.
(287) en ce sens, H., J. et L. MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil, op. cit., loc. cit. Ces auteurs
considèrent d’ailleurs que ces effets pécuniaires des droits extrapatrimoniaux sont de nature à faire entrer ceux-ci
dans le patrimoine de la personne (n° 292).
(288) C. HOUPIN et H. BOSVIEUX, Traité général théorique et pratique des sociétés civiles et commerciales et
des associations, tome 2, 7° édition, Sirey, 1935, n° 1140 ; H. LECOMPTE, Journ. Sociétés 1937 p. 289 ; H.
ROUSSEAU, S. 1933, 1, p. 177.
(289) P. CORDONNIER, D.P. 1933, 1, p. 153.
LIV
Mais, à l’exception des certificats pétroliers, institués par la loi du 26 juin 1957 (290),
les tentatives de création d’actions sans droit de vote se sont soldées par des échecs (291). Les
adversaires de l’introduction de ce type de titres invoquaient les abus auxquels ils
conduisaient dans les Etats qui en admettaient le principe.
Néanmoins, sensible à l’argument de développement de l’épargne qu’elles pourraient
susciter, le législateur français a introduit en droit positif les actions à dividende prioritaire
sans droit de vote, dans une loi n° 78-741 du 13 juillet 1978 (292).
Cette catégorie de valeur mobilière ne peut être créée qu’à certaines conditions. Tout
d’abord, l’émission doit être prévue par les statuts, originaires ou modifiés. Ensuite, seules les
sociétés ayant réalisé des bénéfices distribuables au cours des deux derniers exercices peuvent
y recourir, peu important qu’ils aient ou non été distribués. Enfin, les actions à dividende
prioritaire sans droit de vote ne peuvent représenter plus du quart du capital social.
En contrepartie de la suppression du droit de vote, l’actionnaire aura droit à un
dividende prioritaire c’est à dire prélevé sur le bénéfice distribuable avant toute autre
affectation. Cependant, si les dividendes prioritaires dus au titre de trois exercices ne sont pas
intégralement versés, le droit de vote est rétabli, dans les mêmes conditions que les actions
ordinaires.
Néanmoins, la rigidité du système a conduit à son échec, qui a conduit le législateur à
en assouplir le régime juridique, par une loi n° 83-1 du 3 janvier 1983, relative au
développement des investissements et à la protection de l’épargne (293).
Dès 1978, la doctrine s’est interrogée sur le point de savoir si la valeur mobilière créée
par la loi était une véritable action, étant privée de son « attribut essentiel ». Certains auteurs
ont répondu par la négative. Ce titre aurait une nature juridique hybride, intermédiaire entre
l’action et l’obligation (294). Il se rapproche de la seconde en ce qu’il prive l’actionnaire d’un
(290) infra. .
(291) Sur ces tentatives, notamment celles des Sénateurs ARMENGAUD et COUDE DU FORRESTO, J.
HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 167 et s.
(292) art. 225-12 C. Com. (ancien art. L. 177-1) ; 228-12 à 228-20 C. Com. (ancien art. L.
269-1 à L. 269-9) ; 237-30 C. Com. (ancien art. L. 417-1) ; 245-3 à 245-5 C. Com. (ancien art.
L. 467-1 à 467-3) – Sur cette question, infra.
(293) Sur cette loi, B. BOULOC, Les nouvelles valeurs mobilières : les certificats d’investissements et les titres
participatifs (Titre I, chapitres 5 et 6 de la loi 83-1 du 3 janv. 1983, Rev. Sociétés 1983 p. 501 ; A. VIANDIER,
Certificats d’investissement et certificats de droit de vote (Loi n° 83-1, 3 janv. 1983, art. 20 - décret n° 83-363, 2
mai 1983, art. 10 et 11), JCP éd. CI 1983 n° 14117.
( 294 ) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et
conventions entre associés, 4° édition, LGDJ, 1999, n° 72 ; S. DANA-DEMARET, Le capital
social, Litec, 1989, n° 161 ; B. CORDIER, Le renforcement des fonds propres dans les
LV
moyen de défense de ses intérêts, de sa participation à la marche de la société ( 295 ).
Cependant, il ne peut totalement lui être assimilé car le porteur reçoit un dividende. Par
conséquent, il reste soumis aux aléas de la vie sociale, comme un actionnaire ordinaire (296).
Autrement dit, l’action à dividende prioritaire est irréductible à l’une des deux qualifications
concevables et revêtirait donc une nature mixte. Ces auteurs citent, à l’appui de leur position,
les travaux parlementaires, classiquement invoqués pour interpréter une disposition sibylline
(297). En effet, le sénateur Dailly faisait valoir, lors des débats antérieurs à l’adoption de la loi
du 13 juillet 1978, que « avec ces actions sans droit de vote, on va briser le lien naturel qui
existe entre le pouvoir et la propriété du capital. Par un certain côté, on pourrait même dire
qu’en définitive, la création d'actions sans droit de vote tendrait d’une part à faire de
l’actionnaire un simple prêteur […] et d’autre part à déformer la structure traditionnelle, la
nature même de la société anonyme » (298).
A l’inverse, un autre courant doctrinal assimile nettement l’action à dividende
prioritaire sans droit de vote à une action classique (299). Ces auteurs invoquent plusieurs
arguments à l’appui de leur thèse.
Ils font valoir tout d’abord que la suppression du droit de vote n’est pas définitive mais
conditionnelle ( 300 ), subordonnée à la distribution effective de l’avantage financier. En
sociétés anonymes, op. cit., n° 1-131 ; C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit.,
n° IX ; Th. GRANIER, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 1810, 1997, n° 15 et s ; G. DELMOTTE,
Les actions à dividende prioritaire sans droit de vote (art. 14 à 23 formant le titre III de la loi
n° 78-741 du 13 juill. 1978), Journ. des notaires et des avocats 1978 p. 1533 ; Me
BOULARAN, Au delà de l’action à dividende prioritaire sans droit de vote, JCP éd. CI 1979
n° 13047, spéc. n° 11 ; H. BLAISE, Les fonds propres de l’entreprise, Mélanges Jean
Derruppé, Les activités et les biens de l’entreprise, GLN-Joly éditions, 1991, p. 215 ; adde, A.
REYGROBELLET, La notion de valeur mobilière, op. cit., n° 219 et s., qui souligne que le
mécanisme même de l’action à dividende prioritaire constitue une « dérive » vers l’obligation,
l’actionnaire dont le dividende prioritaire n’a pu être versé étant titulaire d’une créance qui se
reportera sur les deux exercices suivants.
(295) G. DELMOTTE, Les actions à dividende prioritaire sans droit de vote (art. 14 à 23 formant le titre III de
la loi n° 78-741 du 13 juill. 1978), précité, spéc. n° 13 et 14 ; dans le même sens, V. P. DIDIER, L’égalité des
actionnaires : mythe ou réalité ?, Cah. dr. entr. 5/1994 p. 20, qui critique sévèrement les actions sans droit de
vote, comme étant des « titres hybrides, qui trichent avec la logique du système auquel ils prétendent appartenir
en désarticulant deux prérogatives que le système capitaliste unit de manière indivisible : le risque du capital
investi, si faible que soit ce risque, et le pouvoir dans l’entreprise où il est investi, si faible que soit ce pouvoir ».
(296) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 4141 ; Th. GRANIER, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc.
1810, précité, n° 19.
(297) J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, 25° édition, PUF, 1997, n° 154 ; Fr. TERRE, Introduction
générale au droit, op. cit., n° 470.
(298) JO Sénat Débats 30 juin 1978 p. 1878.
(299) M. JEANTIN, Droit des sociétés, op. cit., n° 439 ; J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit
commercial, op. cit., n° 533-1 ; J.-P. BERTREL et M. JEANTIN, Droit de l’ingénierie financière, Litec, 1990,
n° 11 ; B. ESPESSON-VERGEAT, Le maintien du contrôle des sociétés commerciales, thèse Lyon III, 1992, p.
64 ; C. JAUFFRET-SPINOSI, Les actions à dividende prioritaire sans droit de vote (Titre III de la loi n° 78-741
du 13 juill. 1978), Rev. Sociétés. 1979 p. 25.
LVI
réalité, cette prérogative n’est pas totalement éliminée de l’action mais simplement suspendue
(301).
En effet, il résulte de l’article 228-14 du code de commerce (ancien art. L. 269-3) que
si les dividendes prioritaires dus au titre de trois exercices (302) ne sont pas versés le droit de
vote est rétabli, à compter de l’assemblée annuelle constatant l’absence de versement.
Cependant, ce rétablissement n’est que temporaire : si les dividendes prioritaires sont
distribués pendant trois exercices, consécutifs, alors le droit de vote est à nouveau supprimé.
On le voit, les actions à dividende prioritaire sont des droits sociaux précaires, tantôt titres de
placement, tantôt titres de participation, selon que les avantages financiers soient ou non
régulièrement octroyés (303).
Ensuite, la suppression du droit de vote n’est pas absolue. Si, aux termes de l’article
228-12 du Code de commerce (ancien art. L. 269-1), le porteur de cette valeur mobilière ne
peut ni voter, ni même participer aux assemblées générales d’actionnaires, l’article 228-15
(ancien art. L. 269-4) lui octroie un droit de vote au sein d’une assemblée spéciale. Cette
faculté de réunion est d’ordre public. Cet organe dispose de plusieurs prérogatives. En
premier lieu, il peut émettre un avis avant toute convocation de l’assemblée générale de la
société. Il peut par ailleurs nommer un mandataire qui assistera aux délibérations, sans voix
délibérative, si les statuts ont prévu cette possibilité. Ces décisions sont adoptées à la majorité
des voix des actionnaires présents ou représentés. En second lieu, toute modification des
droits des porteurs d’actions à dividende prioritaire doit être approuvée par l’assemblée
spéciale (304), dans les conditions de quorum et de majorité prévues à l’article 225-96 (ancien
art. L. 153), alinéas 2 et 3 (305).
De même, le porteur d’action à dividende prioritaire jouit du droit de vote dans
l’assemblée générale de clôture de la liquidation. En effet, l’article 237-9 du code de
commerce (ancien art. L. 397) prévoit la participation de tout associé, y compris les titulaires
(300) J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit commercial, op. cit., loc. cit.
(301) A. COURET, J. DEVEZE et G. HIRIGOYEN, Lamy Droit du financement, 1997, n° 490.
(302) Malgré le silence du texte sur ce point, on peut vraisemblablement considérer que les trois exercices visés
doivent être consécutifs (en ce sens, R. HOUIN, RTD com. 1978 p. 123).
(303) C. JAUFFRET-SPINOSI, Les actions à dividende prioritaire sans droit de vote (Titre III de la loi n° 78741 du 13 juill. 1978), précité ; adde, A. COURET, J. DEVEZE et G. HIRIGOYEN, Lamy Droit du
financement, op. cit., loc. cit. ; A. COURET, Les nouveaux titres représentatifs de fonds propres, Bull. mensuel
d’informations des sociétés 1986 p. 559, spéc., n° 17.
(304) Art. 225-99, alinéa 2, C. Com. (ancien art. L. 156).
(305) Le quorum doit être de la moitié des actions, sur première convocation, et du quart, sur deuxième
convocation. La majorité doit être de deux tiers des voix exprimées.
LVII
d’actions sans droit de suffrage (306), afin de statuer sur le compte définitif, sur le quitus de la
gestion du liquidateur et la décharge de son mandat et pour constater la clôture de la
liquidation. A ce moment là, chaque membre du groupement doit être en mesure de défendre
ses droits. De surcroît, le versement d’un dividende prioritaire à ce stade ultime de la vie
sociale n’a plus lieu d’être : le porteur de cette catégorie d’action retrouve fort logiquement
son droit de suffrage.
Par ailleurs, il convient de remarquer que le titulaire d’actions sans droit de vote jouit
de toutes les autres prérogatives extra-pécuniaires normalement attachées à l’action, d’après
l’article 228-12 (ancien art. L. 269-1) (307).
Ainsi, la pertinence de ces arguments conduit à conclure en faveur de la qualification
d’action. Le « titre » jouit de toutes les prérogatives liées à une action ordinaire. La simple
suspension du droit de vote interdit de voir dans l’action à dividende prioritaire un droit social
de nature différente.
A l’appui de cette opinion, on peut en outre invoquer la rédaction même de l’article
228-12, aux termes duquel « les actions à dividende prioritaire sans droit de vote ne peuvent
représenter plus du quart du capital social ». Or, celui-ci ne peut être divisé qu’en actions,
d’après l’article 225-1 (ancien art. L. 73) (308). C’est donc que les actions sans droit de vote
sont de véritables actions (309).
Les règles gouvernant l'attribution du droit de vote conduisent donc à conclure en
faveur du caractère contractuel de cette prérogative. Cependant, il est apparu nécessaire de
protéger ces fondements conventionnels, dans les sociétés à faible intuitu personnae.
Section 2 : La protection de ces fondements contractuels
Les fondements contractuels du droit de vote font l'objet d'une triple protection.
(306) La rédaction même de ce texte laisse à penser que le législateur assimile le porteur d’une action à
dividende prioritaire à un associé – sur la nécessaire qualité d’associé de celui-ci, infra.
(307) Sur ces prérogatives, M. PERRIN-NEUNREUTHER, Permanence et renouvellement du principe d’égalité
entre actionnaires », thèse Aix en Provence, 1994, n° 388.
(308) pour une application, cass crim 14 janv. 1905, DP 1906, 1, p. 129.
(309) Les auteurs ont été amenés à employer du fait de l’intégration des actions à dividende prioritaire sans droit
de vote dans le capital social l’expression « capital muet » ; par ex., V. Th. BONNEAU, La diversification des
valeurs mobilières : ses implications en droit des sociétés, RTD com. 1988 p.535, spéc., n° 18 et s. ; A.
COURET, Les nouveaux fonds représentatifs de fonds propres, précité, spéc., n°16.
LVIII
En premier lieu, ils sont protégés civilement. Toute atteinte au principe de la
participation de tout associé aux affaires sociales est sanctionnée par la nullité. Ainsi, la
clause statutaire qui priverait un apporteur de son droit de suffrage serait nulle (310). De
même, une assemblée générale à laquelle un associé n'aurait pas été mis en mesure d'exercer
son droit de vote encourt la même sanction (311).
Ensuite, le législateur lui-même ne pourrait valablement attenter au droit de vote de
manière trop manifeste. Dans ce cas, c'est la propriété du titre, au sens de l'article 17 de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, qui s'en trouverait compromise (312).
Enfin, le droit de suffrage fait l'objet d'une protection pénale, mais dans les sociétés
par actions seulement, à l'exception notable des sociétés par actions simplifiées.
La loi du 24 juillet 1867 ne connaissait qu’une seule infraction : le délit de création de
majorité factice ( 313 ). Sous l’empire de ce texte, étaient punissables les personnes qui
s’étaient présentées faussement comme actionnaires aux assemblées générales, à condition
toutefois que le résultat final de la délibération eût été modifié.
Néanmoins, un décret-loi du 29 novembre 1939 modifia sensiblement cette infraction :
la seule émission d’un vote par des personnes non actionnaires était répréhensible, peu
important l’influence du suffrage sur la formation de la majorité (314).
Le code de commerce a repris ces dispositions et sanctionne la même infraction. Elle a
créé un autre délit : le délit d’entrave à la participation.
Désormais, l’article 242-9 de ce texte (ancien art. L. 440) dispose que : « Seront punis
d’un emprisonnement de deux ans et d’un amende de 60 000 F, ou de l’une de ces deux peines
seulement :
1° Ceux qui, sciemment, auront empêché un actionnaire de participer à une assemblée
d’actionnaires ;
(310) V. en dernier lieu, cass com 9 févr. 1999, Bull. IV n° 44.
(311) cass civ 3ème 21 oct. 1998, Angéli, JCP éd. E. 1999 p. 29, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.
(312) Conseil constitutionnel, déc. 83-162 DC du 19 et 20 juillet 1983, Démocratisation du secteur public, RJC
p. 157 ; RDP 1986 §179 p. 474, ob. L. FAVOREU – sur l'ensemble de la question, J.-M. HAUPTMANN, Le
droit de vote de l'actionnaire en droit français et en droit allemand, thèse Nancy, 1986, p. 102 et s. Au regard de
cette solution, la constitutionnalité de la mesure prévue par l'article L. 431-1 du Code du travail, issu de la loi du
15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, est sujette à caution. Cependant, l'opposition
parlementaire n'a pas jugé utile de saisir le Conseil de la question de la constitutionnalité de la loi…
(313) sur ce délit, L. CONSTANTIN et A. GAUTRAT, Traité de droit pénal en matière de sociétés, Librairies
Arthur ROUSSEAU, 1937, n° 672 et s.
(314) Sur le délit de vote frauduleux, H. LAUNAIS et L. ACCARIAS, Droit pénal spécial des sociétés par
actions et à responsabilité limitée, Dalloz, 1964, n° 408 ; Ch. PINOTEAU, Législation pénale en matière
économique et financière, LGDJ, 1959 ; M. RIOU, La protection pénale du droit de vote, in J. HAMEL (sous la
direction de), Le droit pénal des sociétés anonymes, Dalloz, 1955, p. 329.
LIX
2° Ceux qui, en se présentant faussement comme propriétaires d’actions ou de
coupures d’actions, auront participé au vote dans une assemblée d’actionnaires, qu’ils aient
agi directement ou par personne interposée ; » (315).
Toutefois, cette protection du titulaire du droit de vote est limité aux sociétés par
actions. En effet, le principe de légalité des délits et des peines, qui implique une
interprétation stricte des textes répressifs (316) interdit d’étendre aux autres formes sociales
les sanctions prévues par l’article 242-9.
Ce texte protège le titulaire du droit de vote en créant deux délits : l’entrave à la
participation (§1) et l’usurpation de la qualité d’actionnaire (§2).
§1- Le délit d’entrave à la participation
L’article 242-9, 1°, est destiné à assurer la régularité des décisions prises et à lutter
contre les pratiques visant à empêcher que le quorum ne soit atteint (317).
Pour être réalisée et sanctionnée (B), l'infraction suppose la réunion de plusieurs
éléments (A)
A. Les éléments constitutifs de l’infraction
Pour être constituée, l’infraction (318) suppose la réunion de trois éléments.
Tout d’abord, la victime doit avoir la qualité d’actionnaire, dont la preuve se fait
conformément au droit commun (319). Cependant, jusqu’à la perte définitive de sa qualité,
notamment par la cession de ses droits sociaux, l’actionnaire conserve le bénéfice de la
protection pénale (320).
(315) Ce texte protège également la liberté du vote dans son troisième paragraphe et sanctionne « ceux qui se
seront fait accorder, garantir ou promettre des avantages pour voter dans un certains sens ou pour ne pas
participer au vote, ainsi que ceux qui auront accordé, garanti ou promis ces avantages » – sur ce délit, infra.
(316) Sur cette question, G. STEFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Droit pénal général, 16° éd., Dalloz,
1997, n° 121 ; Ph. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, 2° éd., Armand Colin, 1997,
n° 95 et s. ; W. JEANDIDIER, Droit pénal général, 2° éd., Montchrestien, 1991, n° 81 et s.
(317) W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, Dalloz, 1996, n° 253.
(318) Sur le cumul des dispositions de l’article 242-9, 1°, avec celles de l’article 242-16 du code de commerce
(ancien art. L. 448) qui sanctionne « le président de séance et les membres du bureau de l’assemblée qui n’auront
pas respecté, lors des assemblées d’actionnaires, les dispositions régissant les droits de vote attachés aux
actions », A. TOUFFAIT, J. ROBIN, J. AUDUREAU et J. LACOSTE, Délits et sanctions dans les sociétés, 2°
éd., 1973, n° 297.
(319) sur la justification de la qualité d’actionnaire, infra.
(320) cass crim 10 oct. 1967, D. 1968, somm. p. 27. En l’occurrence, la chambre criminelle estime que
l’actionnaire conserve sa qualité jusqu'à la transcription de la cession de ses actions nominatives sur les registres
de la société.
LX
De l’avis général, sur ce point, ce texte doit être interprété largement ( 321). En
conséquence, si la victime est un mandataire de l’actionnaire, il demeure applicable. Ainsi en
a décidé la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 3 octobre 1975
(322). En l’espèce, le délit avait été commis à l’encontre d’un mandataire désigné par les
copropriétaires d’actions indivises, conformément à l’article L. 163, alinéa 4 (actuellement
art. 225-110 C. Com.). Il n’était donc pas actionnaire stricto sensu puisque cette qualité
appartient, d’après le droit applicable au moment des faits, soit à l’indivision soit à chacun des
indivisaires ( 323), mais en aucun cas au représentant de ceux-ci. Pourtant, en dépit du
principe de légalité des délits et des peines, la Haute juridiction a approuvé une Cour d’appel
d’avoir étendu la protection pénale au mandataire des indivisaires, en ces termes : « l’article
440 §1 de la loi du 24 juillet 1966 qui prévoit des sanctions contre ceux qui, « sciemment,
auront empêché un actionnaire de participer à une assemblée d’actionnaires » est applicable
dans le cas où cet obstacle est opposé à un mandataire désigné en vertu de l’article 163 de la
même loi ». A fortiori, cette solution doit-elle être étendue a l’hypothèse d’une représentation
d’un actionnaire par un autre actionnaire, prévue par l’article 225-106 du code de commerce –
(ancien art. L. 161).
Le texte trouve également à s’appliquer malgré le principe de légalité si la victime,
sans être actionnaire, représente son conjoint actionnaire. Une solution inverse méconnaîtrait
le principe de transparence inhérent au mécanisme de représentation parfaite (324). A travers
son conjoint, c’est l’actionnaire qui aura été entravé.
La question s’est également posée de savoir si le représentant d’une personne morale
actionnaire pouvait ou non se prévaloir de l’article 242-9, 1°. La Cour de cassation y a
répondu par l’affirmative (325). En l’espèce, les dirigeants d’une société anonyme avaient
refusé l’accès à l’assemblée générale aux mandataires de personnes morales actionnaires.
Ceux-ci invoquèrent alors les dispositions de l’article L. 440, 1°(actuellement art. 242-9 C.
Com.). Le problème était en conséquence celui de la validité de la représentation des
(321) A. TOUFFAIT, J. ROBIN, A. AUDUREAU et J. LACOSTE, Délits et sanctions dans les sociétés, op. cit.,
n° 298 ; J.-M. ROBERT, Rép. Pénal V° « Société », 1979, n° 258.
(322) Rev. Sociétés 1976 p. 518, note B. BOULOC ; D. 1975, inf. rap. p. 228.
(323) Dans un arrêt du 6 février 1980 (Rev. Sociétés 1980 p. 521, note A. VIANDIER) la Cour de cassation à
décidé que la qualité d’associé appartenait à chaque associé, l’indivision n’ayant pas la personnalité morale ; sur
les controverses antérieures, A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n° 238 et s. ; J. MESTRE, Lamy
Sociétés commerciales, op. cit., n° 205 et s. et V. infra.
(324) J. GHESTIN, M. BILLIAU et Ch. JAMIN, Traité de droit civil. Les effets du contrat, 2° éd., LGDJ, 1994,
n° 582 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, Les obligations, 8° éd., Cujas, 1998, n° 666 ; Fr. TERRE, Ph. SIMLER
et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, 7° éd., Dalloz, 1999, n° 172.
(325) cass crim 26 mai 1994, Rev. Sociétés 1994 p. 774, note B. BOULOC ; Bull. Joly 1994 p. 1076, note A.
COURET ; JCP éd. E 1994 II n° 644, obs. H. LE NABASQUE ; RJ com. 1995 p. 333, note Ch.-H. GALLET ;
RJDA 1994 n° 1038.
LXI
personnes morales au regard de l’article L. 161 (actuellement art. 225-106 C. Com.). Si elles
pouvaient choisir des représentants qui n’étaient pas eux-mêmes actionnaires de la société
anonyme, le refus d’accès à l’assemblée générale était injustifié et l’infraction constituée. A
l’inverse, si les mandataires devaient détenir des actions de la société, ils n’avaient aucun
droit de participation et les prévenus devaient être relaxés. La Cour d’appel de Paris opta pour
la seconde thèse au motif que « l’affirmation selon laquelle il est de droit et de pratique
constante que des personnes morales actionnaire soient représentées aux assemblées
générales soit par leur représentant légal soit par un mandataire pouvant justifier de
pouvoirs réguliers sans que lui-même soit nécessairement actionnaire, est contraire aux
dispositions de l’article 161 de la loi du 24 juillet 1966 » (326).
Cette solution heurtait le principe contenu dans l’article 225-51 du code de commerce
(ancien art. L. 113), qui confère au président de la société anonyme les pouvoirs les plus
étendus pour agir au nom de la société. De même, la position adoptée par la Cour de Paris
méconnaissait le mécanisme de la délégation de pouvoir (327). En effet, c’est le dirigeant de
la personne morale, agissant en tant que chef d’entreprise, qui délègue à son préposé, et non la
société elle-même. En d’autres termes, les juges parisiens confondaient la technique du
mandat et celle de la délégation, à laquelle l’article L. 161 (actuellement art. 225-106 C.
Com.) est étranger (328). Fort logiquement, la Chambre criminelle a exercé sa censure : « il
résulte des dispositions combinées des articles 161 et 440, 1°, de la loi du 24 juillet 1966 que
toute personne morale actionnaire d’une société anonyme est représentée aux assemblées
générales de celle-ci soit par son représentant légal, soit par un fondé de pouvoir désigné à
cet effet, conformément à la loi ou aux statuts, que ce dernier soit ou non lui-même
actionnaire ». Cependant, la Cour de cassation exige une désignation régulière des
mandataires. La solution de la Haute juridiction est parfaitement justifiée. En effet, bloquer
l’accès au représentant de la personne morale, qu’il s’agisse de son représentant légal ou d’un
tiers substitué, revient à entraver la participation de l’actionnaire lui-même.
L’article 242-9, 1°, exige ensuite un acte d’empêchement pour que le délit soit
constitué. De l’avis général, ce texte est mal rédigé car il se borne à viser un
(326) CA Paris 22 avr. 1992, JCP éd. E. 1992 I n° 172, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; Dr. Sociétés
1993 n° 145 ; Bull. Joly 1993 p. 565, note A. COURET.
(327) sur ce mécanisme, H. SEILLAN, La délégation de pouvoir en droit du travail, JCP éd. E 1985 II n° 14428.
(328) H. LE NABASQUE, obs. sous cass crim 26 mai 1994, précité ; sur la distinction entre la délégation et le
mandat, H., L. et J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil. Obligations. Théorie générale, 8° éd.,
par Fr. CHABAS, Montchrestien, 1991, n° 1235 ; M. BILLIAU, Rép. Civil V° « Délégation », 1993, n° 9.
LXII
« empêchement », sans préciser en quoi ce dernier peut consister (329). Selon les auteurs,
l’infraction sera réalisée en cas de manœuvres dolosives de toute nature (330). Il pourra par
exemple s’agir des procédés de droit commun, tels la violence, qui se matérialise par des
voies de fait ou le chantage. Mais l’acte d’empêchement peut également être un défaut de
convocation (331) ou une irrégularité commises dans l’exécution des formalités prévues par la
loi (332).
La jurisprudence a eu l’occasion de préciser le sens de cette notion. L'acte
d'empêchement visé par le texte réside dans l'utilisation de toute manœuvre frauduleuse,
quelle qu'en soit la forme, ayant pour objet ou pour effet d'empêcher un actionnaire de
participer à l'assemblée générale (333) Ainsi, pour la Cour d’appel de Paris, celui-ci peut être
d’ordre matériel, et résider dans un changement d’horaire de la réunion dont l’actionnaire n’a
pas été informé (334), ou d’ordre juridique. A cet égard, il convient de mentionner un arrêt
rendu par la Chambre criminelle le 13 mars 1989 (335). En l’espèce, un dirigeant, après la
convocation de l’assemblée générale par un mandataire de justice, aurait procédé à une
nouvelle répartition des actions, afin d’empêcher deux actionnaires de participer à
l’assemblée. Pour la Cour de cassation, censurant la Cour d’appel de Paris, l’infraction prévue
par l’article 440, 1°, suppose un acte d’entrave à la participation des actionnaires. Or, en
l’occurrence, les juges du fond s’étaient bornés à mentionner que le prévenu avait procédé à la
convocation par un journal d’annonces légales, et non par lettre nominative. Selon la Haute
juridiction, ces constatations sont insuffisantes à caractériser l’entrave (336). En cela, le délit
de distingue du défaut de convocation ou de non communication des documents sociaux,
lesquels n'empêchent pas le titulaire des droits sociaux d'accéder à l'assemblée (337).
(329) L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, PUF, 1968, p. 669 ; M. VERRON, Droit pénal
des affaires, Masson, 1992, p. 151 ; Ch. PINOTEAU, Le Code des sociétés. Dispositions pénales (loi du 24
juillet 1966, textes subséquents et dispositions maintenues, LGDJ, 1969, n° 334.
(330) M. PATIN, P. CAUJOLLE, M. AYDALOT et J.-M. ROBERT, Droit pénal général et législation pénale
appliquée aux affaires, 4° éd., PUF, 1969, p. 301.
(331) W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, op. cit., n° 253.
(332) A. TOUFFAIT, J. ROBIN, A. AUDUREAU et LACOSTE, Délits et sanctions dans les sociétés, op. cit.,
n° 299.
(333) cass crim 26 mars 1998, Rev. Sociétés 1998 p. 609, note B. BOULOC.
(334) CA Paris 11 déc. 1987, Rev. Sociétés 1988 p. 601, obs. Y. GUYON.
(335) Rev. Sociétés 1989 p. 492, note B. BOULOC ; Bull. Joly 1989 p. 528.
(336) Pour une critique de cette décision au regard de l’article D. 125 qui prévoit la convocation par lettre des
porteurs d’actions nominatives, B. BOULOC, note sous cass crim 13 mars 1989, précité.
(337) cass crim 26 mars 1998, précité.
LXIII
L’empêchement ainsi défini doit également avoir pour effet de bloquer l’accès à
l’assemblée à un actionnaire (338).
Enfin, il résulte de la lettre de l’article 242-9, 1°, que le délit d’entrave à la
participation suppose la mauvaise foi du prévenu. Celui-ci doit avoir agi en connaissance de
cause. Autrement dit, il s’agit d’un délit intentionnel. La Chambre criminelle a eu l’occasion
de le rappeler (339), en censurant les juges du fond qui n’avait pas caractérisé l’élément
intentionnel de l’infraction, en se contentant d’en affirmer l’existence.
Par conséquent, conformément au droit commun (340), le prévenu ne peut invoquer
l’erreur de droit comme cause d’exonération (341). En d’autres termes, celui-ci ne pourrait
pas se prévaloir de l’ignorance des prescriptions légales et réglementaires, issues du code de
commerce et du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, relatives aux formalités de convocation
des actionnaires, pour échapper aux sanctions. Certes, le régime de l’erreur de droit a été
quelque peu assoupli par l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal. En effet, celui-ci
prévoit, dans son article 122-3 que « n’est pas pénalement responsable la personne qui justifie
avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir
légitimement accomplir l’acte ». Néanmoins, il ne semble pas que le dirigeant social poursuivi
sur le fondement de l’article 242-9, 1°, puisse se prévaloir de ce libéralisme. Ses fonctions lui
interdisent par essence d'invoquer le bénéfice de l'erreur de droit et ne le font pas échapper à
la sanction.
B. La mise en œuvre de la sanction
L’article 242-9, 1°, est rédigé de manière très générale. Il se borne à viser « ceux » qui
auront entravé la participation des actionnaires. En conséquence, il ne s’agira pas forcément
(338) M. FOUGERES, J.-Cl. Pénal Annexes, fasc. G, 1992, n° 108.
(339) cass crim 13 mars 1989, précité.
(340) sur l’erreur de droit, G. STEFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., n° 434
et s. ; Ph. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, op. cit., n° 397 et s. ; W.
JEANDIDIER, Droit pénal général, op. cit., n° 364 et s., qui critique cependant le rejet de l’erreur de droit en
matière d’infractions intentionnelles : « l’erreur démontre la bonne foi et celle-ci détruit l’intention » ; J.
PRADEL, Droit pénal général, 10° éd., Cujas, 1995, n° 519 et s. ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, 3° éd.,
PUF, 1998, p. 294.
(341) M. DELMAS-MARTY, Droit pénal des affaires, t. 2, Partie spéciale : infractions, 3° éd., PUF, 1990, p.
278.
LXIV
des dirigeants sociaux ( 342), même si la jurisprudence rendue sur le fondement de ces
dispositions ne concernaient que ces derniers. Ainsi, par exemple, l’infraction peut être
commise par un salarié de la société (343).
Conformément au droit commun (344), la complicité est punissable : le complice sera
assimilé à l’auteur principal de l’infraction.
En revanche, la tentative n’est pas répréhensible ( 345 ), le délit étant un délit
instantané, consommé le jour de la réunion de l’assemblée générale, qui fait également courir
le délai de prescription de l’action publique.
En outre, la question se pose de savoir si la délibération de l’assemblée au cours de
laquelle l’infraction est commise encourt la nullité. Antérieurement à la loi du 24 juillet 1966,
les auteurs étaient divisés (346). Pour les uns, la délibération n’était nulle que si l’exclusion
arbitraire d’actionnaires avait eu une influence quelconque sur la formation de la majorité.
Pour les autres, à l’inverse, la nullité était automatique, peu important le résultat définitif du
vote. D’ailleurs, cette thèse avait rencontré un écho favorable auprès des tribunaux.
La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, en instituant l’incrimination, a modifié les données
du problème, d’autant plus qu'elle prévoit un régime restrictif en matière de nullités, dans son
article L. 360 (actuellement, art. 235-1 C. Com.). Or, certains auteurs considèrent que, en
matière de droit des sociétés, les dispositions répressives ont pour vocation première de se
substituer aux sanctions civiles destructrices de l’acte (347). Autrement dit, lorsque la loi
édicte une disposition répressive, l’assemblée générale au cours de laquelle l’infraction a été
commise échappe à l’annulation.
Cependant, cette thèse encourt la critique sur plusieurs points. Tout d’abord, d’une
manière générale, il peut paraître choquant de sanctionner pénalement une personne et de
(342) Ch. PINOTEAU, Le Code des sociétés. Dispositions pénales, op. cit., p. 205 ; M. VERON, Droit pénal des
affaires, op. cit., p. 151 ; A. TOUFFAIT, J. ROBIN, A. AUDUREAU et J. LACOSTE, Délits et sanctions dans
les sociétés, op. cit., n° 301.
(343) J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, Dalloz, 1974, n° 140.
(344) sur la complicité, G. STEFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., n° 316 et
s. ; F. DESPORTES et Fr. LE GUNEHEC, Le nouveau droit pénal, t. 1, Droit pénal général, 4° éd., Economica,
1997, n° 534 et s.
(345) P. DUPONT-DELESTRAINT, Droit pénal des affaires et des sociétés commerciales, 2° éd., Dalloz, 1980,
p. 273 ; L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 675.
(346) Pour un état des controverses, L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 671 et s.
(347) J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 3, Dalloz, 1978, n° 731 ; Y.
GUYON, Rép. Sociétés, V° "Assemblées générales", 1984, n° 351 ; A. HONORAT, Rép. Sociétés, V°
"Nullités", 1997, n° 135 – en ce sens, CA Paris 21 mars 2000, Rev. Sociétés 2000 p. 387, obs. Y. GUYON ;
Bull. Joly 2000 p. 960, note P. LE CANNU ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 322, qui valide une assemblée
générale de réduction de capital alors même que les dirigeants n'avaient pas informé les commissaires aux
comptes, se rendant ainsi coupables du délit prévu à l'article L. 454-2, abrogé depuis.
LXV
laisser subsister le résultat de sa fraude. Ensuite, même si l’article 242-9, 1°, n’est pas
expressément sanctionné par la nullité, il semble qu’il s’agisse d’une disposition impérative
car ce texte concerne le droit de participation. En conséquence, la délibération de l’assemblée
générale ordinaire au cours de laquelle un actionnaire aurait été entravé dans l’exercice de ses
prérogatives politiques est annulable.
Néanmoins, puisque l’article 235-1 retient comme cause de nullité des délibérations la
violation des principes généraux du droit des contrats, la résolution d’une assemblée générale
extraordinaire pourra être annulée sur le fondement de l’adage « fraus omnia corrumpit »
(348). C’est cette solution qu’a adoptée la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 6 juillet
1983 (349). En l’espèce, la chambre commerciale considère que « dès lors qu’il est établi que
c’est en fraude des droits d’actionnaires minoritaires qu’une assemblée générale
extraordinaire a été convoquée et a délibérée, l’arrêt qui prononce la nullité de cette
assemblée est justifié ». Autrement dit, il n’y a pas lieu d’appliquer le système de la
défalcation : la seule commission du délit entraîne la fraude aux droits des actionnaires,
l’assemblée doit être annulée, quelle qu’ait pu être l’influence de l’infraction sur l’adoption de
la délibération.
Une autre infraction protège le droit de participation : il s’agit du délit d’usurpation de
la qualité d’actionnaire.
§2- Le délit d’usurpation de la qualité d’actionnaire
L’article L. 242-9, 2°, sanctionne d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende
de 60 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement, « ceux qui, en se présentant
faussement comme propriétaires d’actions ou de coupures d’actions (350), auront participé
au vote dans une assemblée d’actionnaires, qu’ils aient agi directement ou par personne
interposée ». La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, puis le code de commerce, ont repris pour
l’essentiel le régime antérieur issu du décret-loi du 29 novembre 1939, qui réprimait le délit
(348) H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, V° « Fraus omnia corrumpit », 3° éd., Litec, 1992 ;
pour un exemple d’application de ce principe en droit des sociétés, CA Grenoble 30 juin 1988, Barilla, JCP 1989
II n° 21238, note B. OPPETIT ; Grands arrêts du droit des affaires, n° 8, obs. S. FARNOCCHIA ; sur l’ensemble
de la question, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction
générale , op. cit., n° 809 et s. ; J. VIDAL, Essai d’une théorie générale de la fraude en droit français. Le
principe « fraus omnia corrumpit », Dalloz, 1957.
(349) cass com 6 juill. 1983 ; Rev. Sociétés 1984 p. 76, note Y. GUYON ; comp., dans la même affaire, Trib.
com Valenciennes 30 sept. 1980, D. 1982, inf. rap. p. 15, obs. J.-C. BOUSQUET.
(350) L’expression « propriété des actions » est en réalité impropre car l’action est un droit personnel et la
propriété un droit réel ; sur l’ensemble de la question, supra.
LXVI
de vote frauduleux (351). Néanmoins, ils ont supprimé une infraction voisine, le délit de
remise d’actions en vue d’un tel vote (352). L’article 242-9, 2°, vise ainsi à sanctionner un
manquement particulièrement grave à l’affectio societatis (353).
Pour être constituée, l’infraction suppose la réunion de trois éléments.
En premier lieu, une personne doit participer à l’assemblée, en se présentant à tort
comme actionnaire. Néanmoins, l’actionnaire conserve sa qualité, et toutes les prérogatives
afférentes, jusqu'à la cession définitive de son droit social. Ainsi, par exemple, si l’action a
fait l’objet d’un transfert en blanc, le cessionnaire ne peut prendre part à l’assemblée, sous
peine de commettre le délit prévu à l’article 242-9, 2°. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris le
rappelle opportunément (354). En l’occurrence, un actionnaire détenteur d’une action l’avait
cédée à un autre actionnaire, par une cession en blanc (355). Mais, il avait ultérieurement
participé au vote d’une résolution aboutissant à la révocation d’un administrateur. La voix du
cédant ayant fait basculer la majorité, le dirigeant révoqué soutint alors que le cessionnaire
avait seul la qualité d’actionnaire, compte tenu de la cession en blanc. Par suite, le cédant était
coupable du délit de simulation prévu à l’article L. 440, 2°. Les termes du débat étaient clairs :
soit la cession en blanc était valable et le cédant avait perdu la qualité d’actionnaire,
commettant alors l’infraction ; soit, à l’inverse, le transfert était nul, et le cédant échappait à
l’incrimination.
Le tribunal correctionnel de Meaux opta pour la première thèse et condamna par
conséquent le prévenu. Néanmoins, sa position est infirmée par la Cour d’appel, en ces
termes : « l’ordre de transfert signé en blanc par [le cédant] ne peut être compris que comme
une promesse de vente (356) imparfaite puisque, lors de la signature par le prévenu, elle ne
comportait aucune indication de prix, ni de méthode permettant de le déterminer [...] ; la
(351) Sur les insuffisances du droit pénal classique, à travers les infractions de faux et d'escroquerie, à protéger
efficacement l'actionnaire contre les usurpateurs, B. BOULOC, Qualité d'actionnaire et droit pénal, Rev.
Sociétés 1999 p. 743.
(352) Sur cette infraction, J. ROBERT et B. MOREAU, Les délits en matière de sociétés. Droit pénal des
sociétés commerciales, Delmas, 1967, n° J² ; Ch. PINOTEAU, Législation pénale en matière économique et
financière, LGDJ, 1959, n° 228 bis.
(353) W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, op. cit., n° 255.
(354) CA Paris 11 mai 1993, RTD com. 1994 p. 67, obs. Y. REINHARD ; Gaz. Pal 1993, 2, p. 576, obs. J.-P.
MARCHI.
(355) Sur la cession en blanc, J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 215 ; B. MERCADAL et
Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 46016 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité
de droit commercial, op. cit., n° 950 ; S. PRAT, Les pactes d’actionnaires relatifs au transfert des valeurs
mobilières », Litec, 1992, n° 494 et s. – pour une application jurisprudentielle récente, V. cass com 27 juin 2000,
JCP éd. E. 2000 p. 1806, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.
(356) en l’espèce, la qualification de la cession en promesse de vente est impropre, celle-ci valant contrat ; sur la
nullité d’une promesse en l’absence d’indication du prix ou d’éléments permettant sa détermination, V. par ex.,
CA Versailles 26 févr. 1988, Bull. Joly 1988 p. 355, note P. LE CANNU.
LXVII
cession en blanc de l’action ne produire son effet en raison des omissions essentielles de
l’acte de transfert et du non respect des articles 1589 et 1591 du Code civil ». La cession en
blanc n’était donc pas valable, étant dépourvue d’un de ses éléments essentiels. Par
conséquent, le cédant était toujours actionnaire et pouvait à ce titre prendre part à la
délibération litigieuse, sans commettre le délit de simulation sanctionné par l’article L. 440,
2°. A l’inverse, si le cessionnaire en blanc avait voté du chef de l’action objet du transfert en
blanc, il encourrait les peines prévues par ce texte.
La question de l’application de ce texte aux hypothèses de représentation de
l’actionnaire a suscité un vif débat doctrinal. Une personne qui se présente à tort comme un
mandataire commet-elle ou non le délit d’usurpation ? Pour les uns, les règles régissant le
droit pénal étant d’interprétation stricte, ce faux représentant échappe à l’incrimination (357).
Pour les autres, à l’inverse, en dépit de ces principes, celui qui se présente fallacieusement
comme le représentant d’un actionnaire encourt la sanction prévue à l’article 242-9, 2° (358).
La jurisprudence ne semble pas avoir tranché entre ces deux thèses. Néanmoins, il apparaît
que l’esprit du texte doit prévaloir sur sa lettre. Le législateur a souhaité empêcher toutes les
participations frauduleuses. En outre, compte tenu du principe de transparence qui régit la
représentation parfaite, celui qui s’est faussement présenté comme le mandataire d’un
actionnaire a en réalité usurpé la qualité de ce dernier.
En revanche, l’infraction est réalisée dans l’hypothèse d’un représentant d’une
personne qui ne serait pas le véritable porteur des titres (359). En effet, l’article 242-9, 2° vise
également la commission du délit « par personne interposée », ce qui englobe l’hypothèse du
vrai mandataire du faux actionnaire (360). Celui-ci pourra d’ailleurs être poursuivi en tant que
coauteur s’il était de mauvaise foi, c’est à dire s’il savait que son mandant n’était pas le
véritable titulaire des actions. Inversement, il échappe à l’incrimination s’il démontre qu’il
ignorait la simulation (361).
(357) L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 677 ; M. DELMAS-MARTY, Droit
pénal des affaires, op. cit., p. 278 ; W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, op. cit., loc. cit. ; adde, J.
LARGUIER, Droit pénal des affaires, 8° éd., Armand Colin, 1992, p. 322.
(358) A. TOUFFAIT, J. ROBIN, A. AUDUREAU et J. LACOSTE, Délits et sanctions dans les sociétés, op. cit.,
n° 303 ; M. RIOU, La protection pénale du droit de vote des actionnaires, précité.
(359) en ce sens, A. TOUFFAIT, J. ROBIN, A. AUDUREAU et J. LACOSTE, Délits et sanctions dans les
sociétés, op. cit., n° 303 ; M. FOUGERES, J.-Cl. Pénal Annexes, fasc. G, n° 149 ; M. RIOU, La protection
pénale du droit de vote des actionnaires, précité.
(360) en ce sens, Trib. corr. Seine 23 déc. 1896, Journ. Sociétés 1897 p. 223.
(361) A. TOUFFAIT, J. ROBIN, A. AUDUREAU et J. LACOSTE, Délits et sanctions dans les sociétés, op. cit.,
loc. cit.
LXVIII
La question s’est également posée de savoir si celui qui souscrivait des actions en tant
que prête-nom était passible des peines prévues par l’article 242-9, 2°. La convention de
prête-nom, définie comme celle par laquelle une personne agit pour le compte d’une autre tout
en laissant persister chez son cocontractant la croyance qu’elle agit en son nom propre (362),
n’est pas illicite en soi, d’après l’article 1321 du Code civil. D’ailleurs, la jurisprudence
commerciale valide ce mode de souscription, à condition qu’il n’y ait pas fraude et que la
libération des actions ne soit pas fictive (363).
Néanmoins, les juridictions pénales adoptent une position beaucoup moins libérale
puisqu’elles sanctionnent la personne qui souscrit en qualité de prête-nom : celle-ci participe
bien à une délibération du chef d’actions dont elle n’est pas le véritable porteur (364). La
position adoptée par la jurisprudence répressive ne souffre pas la discussion (365). En effet, la
convention de prête-nom s’analyse classiquement comme une forme de simulation par
interposition de personnes ( 366 ). Or, précisément, l’article 242-9, 2° s’applique dans
l’hypothèse où l’infraction est commise par personne interposée. Par conséquent, en dépit de
la validité de principe de la convention, constamment affirmée par la jurisprudence
commerciale, il y a lieu de sanctionner pénalement les souscripteurs en qualité de prête-nom.
(362) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° « Prête-nom » ; sur l’ensemble de la question, A. SERIAUX, Droit des
obligations, op. cit., n° 35 ; Ch. LARROUMET, Les obligations. Le contrat, 4° éd., Economica, 1998, n° 767 ;
F. LEDUC, Réflexions sur la convention de prête nom (contribution à l’étude de la représentation imparfaite,
RTD civ. 1999 p. 283.
(363) cass com 30 janv. 1961, RTD com. 1961 p. 383, obs. R. RODIERE et R. HOUIN ; JCP 1962 II n° 12527 ;
note M. LE GALCHER-BARON : « s’il est constaté que la simulation résultant de la souscription d’actions par
des prête-noms et que la libération des actions n’était pas fictive, les fonds étant réellement et définitivement
entrés dans les caisses de la société, une Cour d’appel a considéré à juste titre que les souscriptions par prête
nom ne constituaient pas en elles-mêmes une cause de nullité » ; dans le même sens, CA Colmar 3 avr. 1957, D.
1957 p. 625 ; Trib. com. Seine 23 janv. 1959, D. 1960 p. 323, note A. DALSACE – adde, pour une SARL, CA
Paris 4 févr. 2000, RTD com. 2000 p. 370, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
(364) cass crim 3 nov. 1927, Journ. Sociétés 1928 p. 471 ; cass crim 21 janv. 1960, D. 1961 p. 27 ; adde, Trib.
corr. Seine 13 juill. 1963, Gaz. Pal. 1963, 2, p. 325, confirmé par CA Paris 15 janv. 1964, Gaz. Pal. 1964, 1, p. p.
293 ; sur cette affaire, Fr. GORE, L’affaire du Comptoir National du Logement et les délits relatifs à
l’administration des sociétés, JCP 1964 I n° 1855.
(365) comp., Fr. GORE, L’affaire du Comptoir National du Logement et les délits relatifs à l’administration des
sociétés, précité.
(366) H., L. et J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil. Obligations. Théorie générale, n° 807 ; J.
CARBONNIER, Droit civil, op. cit., n° 84 ; Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les
obligations », op. cit., n° 518 ; D. D’AMBRA, Rép. Civil V° « Interposition de personnes », 1998, n° 2 ; comp.
M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. 6, par P. EISMEIN, p. 428, note 2 ; J.-D.
BREDIN, Remarques sur la conception jurisprudentielle de l’acte simulé, RTD civ. 1956 p. 261, n° 13 et s. Ces
auteurs établissent une distinction entre la convention de prête-nom et l’interposition de personnes selon que le
contractant ait eu ou non connaissance de la réalité. S’il était au courant de la simulation, il s’agit d’une
interposition de personnes ; dans le cas contraire, il y a convention de prête-nom ; comp. F. LEDUC, Réflexions
sur la convention de prête nom (contribution à l’étude de la représentation imparfaite), précité, qui conteste
l’analyse classique et voit dans la convention de prête nom une application du contrat de commission.
LXIX
La question du vote par prête nom se retrouve dans l’hypothèse particulière du
suffrage des actionnaires non résidents, qui se rencontre dans les sociétés cotées (367). Ce
problème, qui aurait pu sembler théorique il y a quelques années compte tenu de l’apathie de
l’actionnariat, a pris une singulière importance. En effet, non seulement les étrangers
détiennent environ 40 pour cent des titres cotées sur la place de Paris (368) mais en plus ceuxci, loin d’être des actionnaires passifs, manifestent un intérêt réel pour le droit de vote attaché
aux actions (369).
Les actionnaires non résidents n’ont aucun rapport direct avec la société émettrice des
titres. Ceux-ci sont gérés par l’intermédiaire de trustees ( 370 ) ou plus fréquemment de
nominees (371). C’est ce dernier cas qui pose un problème au regard du délit d’usurpation de
la qualité d’actionnaire.
En effet, l’impératif de transparence qui régit les marchés financiers commande aux
sociétés cotées de connaître la géographie de leur capital et donc l’identité de leurs
actionnaires, ce qui marque une résurgence de l’intuitu personae dans ce type de groupement
(372). Dès lors, les pouvoirs publics ont rendu obligatoire l’inscription en compte de tout
(367) sur l’ensemble de la question, ANSA, L’identification des actionnaires des sociétés cotées, 1997 ; A.
COURET, Actionnaires non résidents et détention de titres sur des places étrangères : la question de
l’identification de l’actionnaire réel, Dr. et patrimoine mai 2000 p. 103 ; du même auteur, ADR, EDR, nominees,
trustees, partnerships, global custodians, etc., Rev. Sociétés 1999 p. 555 ; Y. GUYON, Les actionnaires
étrangers, in Rapport moral sur l’argent dans le monde 1998, Montchrestien, 1999 p. 395 ; A. CHAIGNEAU,
L’identification de l’actionnariat à l’heure du datamining, MTF-L’AGEFI juill./août 1998 p. 33 ; du même
auteur, La connaissance de l’actionnariat ou l’exception française, MTF-L’AGEFI nov. 1997 p. 39 ; J.-P.
VALUET, L’identification des actionnaires des sociétés cotées. Le rapport du groupe de travail réuni à l’ANSA,
Rev. Sociétés 1996 p. 707 ; J.-P. VALUET et Z. SEKFALI, La société émettrice et l’intermédiaire financier
français face au trustee et au nominee, RD bancaire et bourse 1993 p. 147.
(368) ce chiffre est cité par M. le Professeur Alain COURET (Actionnaires non résidents et détention de titres
sur des places étrangères : la question de l’identification de l’actionnaire réel, précité).
(369) sur le dynamisme des investisseurs institutionnels étrangers, infra.
(370) La convention de trust est ignorée du Droit français, bien que les pouvoirs publics aient envisagé à un
moment son introduction dans l’ordre juridique Elle peut se définir comme celle par laquelle une personne, le
settlor, transfère à titre temporaire la propriété d’un bien à une autre, le trustee, à charge pour cette dernière de
remettre le revenu procuré par le bien à une troisième, le bénéficiaire (J.-P. VALUET et Z. SEFKALI, La société
émettrice et l’intermédiaire financier français face au trustee et au nominee, précité – sur la fiducie, infra.
(371) Contrairement au trustee, qui est propriétaire, fût-ce à titre temporaire, le nominee n’est titulaire que d’un
mandat de gestion des titres confié par le véritable titulaire de ceux-ci.
(372) S’il trouve sa terre d’élection en matière de sociétés de personnes et de SARL, l’intuitus personae n’est pas
absent dans les sociétés de capitaux, comme en témoigne la fréquence des clauses d’agrément dans les statuts de
SA, pourtant contraires au principe de libre négociabilité des actions V. M. CACHIA, Le déclin de l’anonymat
dans les sociétés par actions, Mélanges Pierre Kayser, t. 1, PUAM, 1979, p. 213 ; S. HELOT, La place de
l’intuitu personae dans les sociétés de capitaux, D. 1991 chron. p. 143 ; M. ROUSSEAU, L'intuitu personae dans
les sociétés par actions, Rev. Jur. Ouest 1995 p. 23 ; I. PASCUAL, La prise en considération de la personne
physique dans le droit des sociétés, RTD com.. 1998 p. 273 ; dans l’hypothèse particulière des sociétés cotées,
A. MORIN, Intuitus personae et sociétés cotées, RTD com. 2000 p. 299.
LXX
propriétaire d’actions (373) et cette inscription est requise pour pouvoir voter. Or, le nominee
n’est pas propriétaire des titres, même à titre temporaire. Sa situation s’apparente à celle d’un
prête nom (374). Or, on l’a vu, la jurisprudence pénale se montre moins libérale que la
jurisprudence commerciale et refuse le vote du prête nom. Ce dernier commet le délit prévu à
l’article 242-9, 2°. La Chambre criminelle procède à une interprétation large du terme
« faussement » employé par le texte ( 375 ). Bien que le dispositif actuel n’ait, à notre
connaissance, donné lieu à aucun contentieux, il est source d’insécurité juridique et à ce titre
insatisfaisant. Certes, les nominees s’inscrivent en compte d’actionnaire et exercent le droit de
vote attaché aux titres. Mais la société émettrice, si elle découvrait leur véritable qualité
d’intermédiaire et non de véritable titulaire des actions, serait fondée à leur refuser l’accès aux
assemblées (376).
C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics, reprenant des propositions de
l’Association nationale des sociétés par actions (377), ont prévu, dans le projet de loi n° 2250
du 15 mars 2000 sur les nouvelles régulations économiques, dont les dispositions ont été
définitivement adoptées le 15 mai 2001, un procédé d’identification des actionnaires non
résidents ( 378 ). Cette réforme octroie au nominee la faculté de s’inscrire en compte
d’actionnaire, mais à condition de révéler spontanément sa qualité d’intermédiaire et de
fournir à la société émettrice un certain nombre de renseignements relatifs au propriétaire réel
non résident. A défaut, le nominee serait passible des sanctions prévues à l’article 242-9, 2°.
En outre, il se verrait privé du droit de vote jusqu’à régularisation de l’identification. Le projet
institue également une suspension judiciaire du droit de vote, calqué sur celle prévue en cas
de non respect de l’obligation de déclaration de franchissement de seuils (379). Dès lors, si le
manquement au devoir d’identification a été volontaire, le tribunal de commerce peut
( 373 ) Art. 1er du décret n° 83-363 du 2 mai 1983- sur l’inscription en compte, V. not. J. HONORAT,
L’inscription obligatoire de valeurs mobilières françaises, Defrénois 1985 p. 209 et p. 1083 ; H. HOVASSE et
A. REYGROBELLET, L’inscription en compte des valeurs mobilières, RD bancaire et financier 2000 p. 262.
(374) ANSA, L’identification des actionnaires des sociétés cotées, op. cit., p. 29 ; A. COURET, ADR, EDR,
nominees, trustees, partnerships, global custodians, etc., précité, spéc. n° 16 ; J.-P. VALUET, L’identification
des actionnaires des sociétés cotées. Le rapport du groupe de travail réuni à l’ANSA, précité ; J.-P. VALUET et
Z. SEKFALI, La société émettrice et l’intermédiaire financier français face au trustee et au nominee, précité ;
comp. Y. GUYON, Les actionnaires étrangers, précité.
(375) supra ; pour une critique de cette interprétation, qui serait en contradiction avec l’article 233-9 du code de
commerce (ancien art. L. 356-1-2), assimilant pour l’obligation de franchissement de seuils aux titres détenus par
l’actionnaire ceux détenus par un prête nom, ANSA, L’identification des actionnaires des sociétés cotées, op.
cit., p. 30 ; A. COURET, ADR, EDR, nominees, trustees, partnerships, global custodians, etc., précité, spéc. n°
32.
(376) ANSA n° 474 CJ du 1er juillet 1998 in www.ansa.asso.fr/site/avis474.htm
(377) ANSA, L’identification des actionnaires des sociétés cotées, op. cit., p. 59 et s.
(378) Art. 65, chapitre IV, titre 1er, 3ème partie du projet de loi, in www.legifrance.gouv.fr ; adde, rapport à
l’Assemblée nationale n° 2327 de M. Eric BESSON in www.assemblee-nationale.fr/2/rapports/r2327-01.htm.
(379) infra.
LXXI
prononcer la privation totale ou partielle du droit de suffrage attaché aux actions concernées,
pour une durée maximale de cinq ans.
Par ailleurs, si la souscription est fictive, l’infraction sera constituée. Ainsi en a décidé
la Chambre criminelle dans un arrêt rendu le 21 janvier 1960 (380). En l’espèce, la Cour de
cassation approuve les juges du fonds d’avoir condamné une personne sur le fondement de
l’article 13 de la loi du 24 juillet 1867, repris par l’article 242-9, 2°, au motif que l’acquisition
des actions était purement fictive. Le prévenu, pour sa défense, excipait de l’existence d’une
convention de croupier qu’il avait conclue avec une société. Selon lui, ce contrat ne confère
que des droits d’ordre pécuniaire au croupier, par conséquent, lui seul était actionnaire et
partant titulaire du droit de vote. Néanmoins, la Cour d’appel puis la Haute juridiction n’ont
pas été sensibles à son raisonnement, considérant le contrat litigieux comme invraisemblable
et artificiel. Dès lors, seule la société pouvait participer à l’assemblée, le prévenu se rendant
ainsi coupable du délit de simulation de la qualité d’actionnaire.
Toutefois, pour que l’infraction soit réalisée, encore faut-il que celui qui se prétend
titulaire de droits sociaux ait pris part au vote dans une « assemblée d’actionnaires ». Compte
tenu de la généralité des termes employés, peu importe qu’il s’agisse d’une assemblée
ordinaire, extraordinaire ou spéciale ( 381 ). En revanche, s’il s’agit d’une assemblée
d’obligataires, l’usurpateur échappe à l’incrimination (382).
Cependant, pour que l’infraction soit constituée, ce dernier ne doit pas avoir seulement
participé à l’assemblée, il doit avoir pris part activement à la délibération. En d’autres termes,
il doit avoir effectivement exercé le droit de vote réservé à l’actionnaire. Le seul fait d’assister
aux débats n’est pas répréhensible. L’incrimination pénale vise à protéger le droit de vote de
l’actionnaire et non son droit de participation (383).
Avant l’édiction du décret-loi du 29 novembre 1939, la participation frauduleuse au
scrutin devait aboutir à créer une majorité factice. Autrement dit, il y avait lieu d’appliquer le
système de la défalcation. Si le vote de l’usurpateur faisait basculer la majorité, celui-ci se
(380) bull. crim. n° 40 ; D. 1961 somm. p. 27.
(381) L’ancien article 13 (antérieur à 1939) visait toute assemblée générale mais prévoyait un autre élément
constitutif à l’infraction, en l’occurrence la création d’une majorité factice.
(382) Cependant, l’article L. 245-11, 2° (ancien art. L. 473-2), relatif aux assemblées d’obligataires, prévoit un
délit similaire à celui sanctionné à l’article 242-9, 2°.
(383) en ce sens, R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, t. 3, Droit pénal spécial, Cujas, 1982, n° 979 ;
L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 676 ; M. PATIN, P. CAUJOLLE, M.
AYDALOT et J.-M. ROBERT, Droit pénal général et législation pénale appliquée aux affaires, op. cit., p. 303
LXXII
voyait sanctionné pénalement ; dans le cas contraire, il échappait à l’incrimination (384).
Désormais, peu importe l’influence du vote frauduleux sur la résolution de l’assemblée
générale : du moment qu’une personne dépourvue de la qualité d’actionnaire prend part
activement à la délibération, l’infraction est constituée.
Toutefois, le délit de simulation de la qualité d’actionnaire est intentionnel :
l’usurpateur doit être de mauvaise foi (385). Celle-ci résultera de la simple connaissance par
le prévenu qu’il n’est pas porteur des actions. En conséquence, du fait de cette exigence d’un
élément intentionnel, la négligence ou l’imprudence ne sont pas répréhensibles. Seule compte
la connaissance par le simulateur du fait qu’il ne détient aucun droit sur les titres.
Les modalités de mise en œuvre de la sanction sont similaires à celles prévues en
matière de délit d’entrave à la participation. La complicité est punissable mais la tentative ne
l’est pas. L’action publique se prescrit par trois ans à compter du jour de la réunion de
l’assemblée générale.
On l’a vu, la titularité du droit de vote ne fait l’objet d’une protection pénale que dans
les sociétés par actions. Est-ce à dire que dans les autres formes sociales la protection de cette
prérogative de l’associé est moindre ? Encore faudrait-il que la répression pénale soit effective
(386). Or, précisément, le contentieux relatif à la protection pénale du droit de vote est peu
abondant ( 387 ). En effet, outre les raisons traditionnellement invoquées pour expliquer
l’ineffectivité du droit pénal des sociétés (388), cette quasi-inexistence peut se justifier par la
réticence des actionnaires à agir devant les juridictions répressives (389). Ceux-ci préfèrent
agir sur le plan civil et faire prononcer la nullité de la délibération. En outre, l’action du
législateur, qui a cru renforcer la protection accordée aux actionnaires n’a pas eu les effets
(384) Sur le régime antérieur, L. CONSTANTIN et A. GAUTRAT, Traité de droit pénal en matière de sociétés,
op. cit., n° 672 et s.
(385) L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 678 ; comp. A. TOUFFAIT et J.
ROBIN, Délits et sanctions dans les sociétés, op. cit., n° 309.
(386) Sur la question de l’effectivité de la règle de Droit, J. CARBONNIER, Flexible Droit. Pour une sociologie
du Droit sans rigueur, 8° éd., LGDJ, 1995, p. 133.
(387) B. BOULOC, La liberté et le droit pénal, Rev. Sociétés 1989 p. 377.
(388) Par exemple, l’existence de montages efficaces qui tiennent l’actionnaire dans l’ignorance des agissements
délictueux ; V. A. VITU, Regards sur le droit pénal des sociétés, Mélanges René Roblot, Aspects actuels du
droit commercial français, LGDJ, 1984, p. 248.
(389) R. MERLE, Les sociétés commerciales et le droit pénal, RID pénal 1987 p. 159 ; Y. GUYON, De
l’inefficacité du droit pénal des affaires, Pouvoirs n° 55, 1990, p. 41 ; B. BOULOC, Faut-il réformer le droit
pénal des sociétés ?, Rev. Sociétés 2000 p. 129.
LXXIII
préventifs escomptés ; en la matière, l’inflation législative a réduit l’impact dissuasif
traditionnellement attaché à l’existence d’une sanction pénale (390).
L'attribution du droit de vote découle donc du contrat de société. Parce que la
collaboration est de l'essence même de ce dernier au point d'en être une condition de validité,
les parties se voient reconnaître le droit de vote destiné à la mettre en oeuvre. Parce que la
conclusion d'un contrat de société permet au contractant d'être membre d'un groupement
personnifié, celui-ci se verra octroyer cette prérogative, soit directement soit dans le but de
garantir sa créance pécuniaire. Mais l'originalité de ces fondements contractuels réside dans
l'existence d'un arsenal répressif, à l'efficacité pratique au demeurant douteuse.
Le droit de vote n'est pas seulement un droit contractuel par ses règles d'attribution. Il
l'est aussi par ses conditions d'exercice.
(390) B. BOULOC, La liberté et le droit pénal, précité.
LXXIV
CHAPITRE II : UN DROIT CONTRACTUEL PAR SES
CONDITIONS D’EXERCICE
L'exercice du droit de vote n'est pas totalement libre. L'associé, lorsqu'il émet un
suffrage, peut causer un préjudice au dirigeant et engager ainsi sa responsabilité personnelle
(391). Le vote peut également nuire à la communauté des associés, parce que le votant a
privilégié son intérêt personnel sur son intérêt d'associé. En effet, depuis 1961 (392), la
jurisprudence considère qu’il y a abus de majorité dès lors qu’une résolution « a été prise
contrairement à l’intérêt général de la société et dans l’unique dessein de favoriser les
membres de la majorité au détriment des membres de la minorité » (393). Cette définition n’a
quasiment pas varié depuis (394).
La notion d’abus de minorité (395) a été consacrée plus tardivement. Elle est apparue
pour la première fois en jurisprudence en 1957 (396) mais ce n’est que par un arrêt du 15
(391) cass com 13 mars 2001, JCP éd. E. 2001 p. 953, note A. VIANDIER ; RTD com. 2001 p. 443, obs. Cl.
CHAMPAUD et D. DANET ; Dr. et patrimoine oct. 2001 p. 104, obs. D. PORACCHIA ; Bull. Joly 2001 p. 891,
note C. PRIETO. En l'espèce, la Cour de cassation retient la responsabilité personnelle de l'associé qui avait
décidé de la révocation du gérant, dans des conditions vexatoires et contraires à l'intérêt social– sur cette affaire,
P. LE CANNU, Responsabilité des associés décidant une révocation contraire à l'intérêt social et dans
l'intention de nuire au dirigeant révoqué, Dr. 21, ER 204, in www.droit21.com. – rappr., dans le même sens, CA
Paris 6 mars 1998, RTD com. 1998 p. 342, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
(392) cass com 18 avr. 1961, Schuman c. Picquard, JCP 1961 II n° 12164, note D. BASTIAN ; D. 1961 p. 661,
note A. DALSACE ; Grandes décisions, n° 12 p. 52, obs. Y. CHARTIER et J. MESTRE.
(393) Bien que beaucoup plus rare en pratique, l'abus de majorité peut également consister en une abstention des
majoritaires, qui bloquent ainsi l'adoption d'une mesure rendue obligatoire par l'effet de la loi V. par ex., cass civ
1ère 16 juill. 1998, RTD com. 1999 p. 110, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET et p. 457, obs. M.-H.
MONSERIE-BON ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 63, note B. DONDERO ; Rev. Sociétés 1998 p. 778, ,
note J.-F. BARBIERI ; RD bancaire et bourse 1998 nov.-déc. 1998, Ingénierie patrimoniale, p. 15, obs. F.-X.
LUCAS. En l'espèce, la haute Juridiction sanctionne un majoritaire d'une SCP d'huissiers qui, en ne participant
pas à l'assemblée, avait empêché une augmentation de capital par incorporation de réserves ou de plus values
d'actifs, qu'un texte rendait obligatoire dans cette forme sociale.
(394) V. toutefois, cass com 22 avr. 1976, Rev. Sociétés 1976 p. 479, note D. SCHMIDT ; D. 1977 p. 4, note J.C. BOUSQUET ; Journ. Agréés 1977 p. 93, note Ph. MERLE. Cet arrêt ne fait plus référence qu’à la
méconnaissance de l’intérêt social - adde, cass com 21 janv. 1997, RTD civ. 1997 p. 929, obs. J. MESTRE ; JCP
éd. E 1997 II n° 965, note J.-J. DAIGRE ; Rev. Sociétés 1997 p. 528, note B. SAINTOURENS ; JCP 1997 II n°
22960, note Fr.-X. LUCAS ; Dr et patrimoine avr. 1997 p. 76 ; D. 1998 p. 64, note I. KRIMMER. Sur la
question de l’unicité des critères, infra.
(395) Par l’expression « abus de minorité », il faut entendre l’utilisation déloyale par l’associé de sa minorité de
blocage dans les assemblées. Une doctrine fort autorisée (Ph. MERLE, L’abus de minorité, RJ com nov. 1991,
n° spécial, La loi de la majorité, p. 81 ; M. CABRILLAC, De quelques handicaps dans la construction de la
théorie de l’abus de minorité, Mélanges André Colomer, p. 109, 1993 ; M. BOIZARD, L’abus de minorité, Rev.
Sociétés 1988 p. 365) distingue en effet les « abus négatifs », auxquels il convient de se limiter dans le cadre de
ces travaux, des « abus positifs », qui sont l’utilisation à la seule fin de nuire des moyens de protection offerts par
LXXV
juillet 1992 que la Cour de cassation en a donné une définition précise (397). Pour la Haute
Juridiction, il s’agit de l’attitude du minoritaire adoptée « contrairement à l’intérêt général de
la société, en ce qu’elle interdit la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci, et
dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres
associés » (398). Cette formule a été ultérieurement reprise (399).
On le voit, la définition de l’abus de minorité est calquée sur celle de l’abus de
majorité. Faut-il pour autant considérer que les deux concepts sont similaires ? En dépit du
silence de la jurisprudence (400), une réponse positive s’impose (Section 1). C’est cette
identité qui justifie une même sévérité dans les sanctions (Section 2).
Section 1 : La notion de vote déloyal (401).
Les deux formes d’abus peuvent être considérées comme représentant les deux visages
d’une même déloyauté dans l’émission du vote (402). Cette identité se retrouve tant au regard
des éléments constitutifs (§1) que des fondements (§2).
la loi - Sur les abus dits positifs, CA Paris 16 avr. 1999, JCP éd. E. 2000 p. 30, obs. A. VIANDIER et J.-J.
CAUSSAIN ; A. COURET, Le harcèlement des majoritaires, Bull. Joly 1996 p. 112.
(396) CA Besançon 5 juin 1957, D. 1957 p. 605, note A. DALSACE. La doctrine n’était
guère prolixe à ce sujet (V. toutefois, J. LEBLOND, De l’impossibilité pour une société de
mettre ses statuts en harmonie avec la législation nouvelle, Journ. Sociétés 1944 p. 241).
(397) cass com 15 juill. 1992, Six, Bull. Joly 1992 p. 1083, note P. LE CANNU ; JCP éd. E II 1992 n° 375, note
Y. GUYON ; JCP 1992 II n° 21944, note J.-Fr. BARBIERI ; D. 1993 p. 279, note H. LE DIASCORN.
(398) L'abus de minorité, ainsi défini, est d'ailleurs concevable dans d'autres hypothèses que le vote négatif : V.
par ex cass com 10 oct. 1999, Defrénois 2000 p. 497, note J. HONORAT (solution implicite).
(399) cass com 9 mars 1993, Flandin, JCP éd. N. 1993 II p. 293, note J.-Fr. BARBIERI ; Petites affiches 24 mars
1993 p. 12, note P.M. ; RTD com. 1993 p. 112, obs. Y. REINHARD ; Gaz. Pal. 1993, 2, p. 334, note J.
BONNARD ; D. 1993 p. 363, note Y. GUYON ; RJDA 1993 p.253, concl. M. RAYNAUD ; Dr. Sociétés 1993
n° 95, obs. H. LE NABASQUE ; RFC juin 1993 p. 86, obs. Ph. REIGNE ; JCP éd. E 1993 II n° 448, note A.
VIANDIER ; JCP 1993 II n° 22107, note Y. PACLOT - adde, pour un historique du litige, M. COZIAN et A.
VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 476 bis.
(400) Les tribunaux n'emploient que peu l'expression "abus du droit de vote" mais font seulement référence à
l'abus de majorité, ou à l'abus de minorité – V., cependant, cass com 16 juin 1998, Bull. Joly 1998 p. 1083, note
P. LE CANNU ; Rev. Sociétés 1999 p. 103, note K. MEDJAOUI.
(401) Un auteur (P. DIDIER, Droit commercial, op. cit., p. 355) utilise l’expression « loyauté du vote » et étudie
de manière groupée les deux types d’abus. A rappr., B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des
sociétés commerciales, op. cit., n° 1892, qui utilisent le vocable d’ « abus du droit de vote » ; R. et J.
LEFEBVRE, Les assemblées générales d’actionnaires dans les sociétés anonymes. Nouveau régime, Ed.
juridiques LEFEBVRE, 1968, n° 323.
(402) Dans le même sens, , D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la minorité dans la société anonyme,
Sirey, 1970, n° 208, selon lequel l’abus du droit de vote est un « comportement anti-social » ; C. KOERING, La
règle "une action-une voix", thèse Paris I, 2000, n° 199 et s. ; M. JEANTIN, J.-Cl. Civil, Art. 1382 à 1386, fasc.
131-3, 1984, spéc. n° 39 ; D. TRICOT, Abus de droits dans les sociétés. Abus de majorité et abus de minorité,
RTD com. 1994 p. 617, J. MESTRE, Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés, RJ com 1985
p. 81. En cela, la théorie du vote abusif s'inscrit dans le phénomène de prise en compte croissante de l'éthique en
droit des sociétés (en ce sens, J. MESTRE, Le droit français des sociétés devant l'exigence de justice, Les cahiers
de droit, vol. 41, mars 2000, p. 185 – adde, du même auteur, Ethique et droit des sociétés, in Mélanges Adrienne
LXXVI
§1- Des éléments constitutifs similaires
Traditionnellement, la jurisprudence exige deux conditions pour caractériser l’abus
dans l’exercice du vote (A). Cependant, certains auteurs, parfois suivis par les juridictions, ont
réduit la notion à un critère unique (B).
A. Les éléments constitutifs de l’abus
Une fraction de la doctrine a parfois vu dans la définition donnée par la Cour de
cassation en 1961 la nécessité du respect de trois conditions (403).
Tout d’abord, l’émission du vote doit contrarier l’intérêt social. Ensuite, le suffrage
doit être motivé par l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité. Enfin, il doit
être émis au détriment des membres de la minorité.
Cependant, la majorité des auteurs ( 404 ) analysent la formule traditionnellement
employée par la jurisprudence comme posant deux conditions à la commission de l'abus.
D'une part, le vote doit intervenir en violation de l’intérêt social (a) et, d'autre part, provoquer
intentionnellement une rupture d’égalité (b).
a- La méconnaissance de l’intérêt social
La jurisprudence exige que la décision ait été adoptée en méconnaissance de l'intérêt
social pour être entachée d'abus. Dès lors, la question est de savoir ce qu'il faut entendre par
"méconnaissance de l'intérêt social" (1) et surtout par "intérêt social", cette notion étant pour
le moins sujette à controverse (2). En outre, l'abus est souvent commis dans le cadre d'un
Honorat, Procédures collectives et droit des affaires, 2000, p. 191 et Regard juridique sur l'éthique financière, in
Centre de recherches en éthique économique et des affaires et déontologie professionnelle, Ethique financière,
PUAM, 2000, p. 165) – contra : M. CABRILLAC, De quelques handicaps dans la construction de la théorie de
l’abus de minorité, précité ; P. LE CANNU, Le minoritaire inerte (observations sous l’arrêt Flandin), Bull. Joly
1993 p. 537, spéc. n° 11, qui souligne « la parenté (et non l’identité) qui existe entre les différents abus du droit
de vote » ; G. KENGNE, Le rôle du juge en matière d'abus du droit de vote, Petites affiches 12 juin 2000 p. 10.
(403) Y. CHARTIER, Droit des affaires, t. 2, Sociétés commerciales, 3° éd., 1992, n°55 ; M. de JUGLART et B.
IPPOLITO, Traité de droit commercial, 2° vol., Les sociétés, 2° partie, Sociétés de capitaux, 3° éd. par E. du
PONTAVICE et J. DUPICHOT, Montchrestien, 1982, n° 781-4 ; Y. CHAPUT, Droit des sociétés, PUF, 1993,
n° 388.
(404) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 2383 et s. ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de
droit commercial, t. 1, op. cit., n° 12211 ; M. JEANTIN, Droit des sociétés, op. cit., n° 592, M. COZIAN et A.
VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 471 ; Y. GUYON, Droit des affaires, t. 1, op. cit., n° 456 ; plus
nuancés, P. DIDIER, Droit commercial, op. cit., p. 356 ; J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés
commerciales, t. 2, op. cit., n° 456.
LXXVII
groupe de sociétés. Par conséquent, il convient de se demander, si à l'instar de ce qui prévaut
en matière pénale, l'intérêt du groupe est de nature à légitimer l'abus (3).
1. La notion de méconnaissance
Contrairement à l’opinion émise par certains (405), qui arguent de la référence à une
« opération essentielle pour la société », l’atteinte à l’intérêt social est exigée avec la même
acuité dans les deux types d’abus. La mention d’une « opération essentielle » peut s’expliquer
par la volonté de la Chambre commerciale de préciser en quoi peut consister la
méconnaissance de l’intérêt social dans l'hypothèse particulière d'un abus de minorité. Selon
toute logique, cette « opération essentielle » est celle qui met en péril l’avenir même de la
société (406) ou celle qui peut être envisagée comme un acte conservatoire (407).
En effet, l’impératif de protection des minorités, qui domine la loi du 24 juillet 1966,
reprise par le code de commerce, et ses applications jurisprudentielles, empêche de remettre
en cause toute opposition minoritaire. L’abus de minorité ne doit être retenu que dans des
hypothèses exceptionnelles, dans lesquelles la survie de la société est en jeu. Dans le cas
contraire, le système protecteur des minorités perdrait toute raison d’être. Autrement dit,
comme le fait remarquer un auteur, l’abus de minorité doit demeurer un « mécanisme
correcteur » (408).
Néanmoins, le vote du minoritaire doit, pour porter atteinte à l’intérêt social, être émis
en parfaite connaissance de cause. En d’autres termes, le minoritaire ne pourra se voir
reprocher d’avoir bloqué l’adoption d’une « opération essentielle », si l’information sur
l’importance de la mesure était insuffisante ou inexistante. Autrement dit, l'absence de
transparence sur les affaires sociales légitime l'opposition du minoritaire. Cette analyse,
( 405 ) P. LE CANNU, Le minoritaire inerte (observations sous l’arrêt Flandin), précité, et surtout M.
CABRILLAC, De quelques handicaps dans la construction de la théorie de l’abus de minorité, précité ; adde,
H. HOVASSE, Defrénois 1997, p. 1279, qui propose l’abandon de cette notion.
(406) en ce sens, V. cass com 27 mai 1997, BRDA 11/1997 p. 4 ; Dr. et patrimoine nov. 1997 p. 86, obs. J.-P.
BERTREL ; Defrénois 1997 p. 1279, note H. HOVASSE : "Le refus par un actionnaire minoritaire de voter
une augmentation de capital peut constituer un abus de minorité dans le cas où cette augmentation est
nécessaire à la survie de la société". De même, la Cour de cassation a pu estimer que le vote d'un associé
égalitaire d'une SARL bloquant la mise en réserves des bénéfices, laquelle était nécessaire aux intérêts vitaux de
la société, était abusif, en ce qu'il empêchait la réalisation d'une opération essentielle pour le groupement : cass
com 16 juin 1998, précité.
(407) D. TRICOT, Abus de droits dans les sociétés. Abus de majorité et abus de minorité, précité.
(408) Ph. MERLE, L’abus de minorité, précité – contra, C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit.,
n° 208 et s
LXXVIII
parfois fondée sur le principe du contradictoire (409) a été consacrée par la Cour de cassation
(410).
En outre, ce n’est pas parce que la Haute juridiction ne fait pas référence à une
« opération essentielle » en matière d’abus de majorité qu’elle entend adopter une conception
moins restrictive de cette notion. Ce concept, parce qu’il remet en cause la loi de la majorité,
doit demeurer d’une application exceptionnelle ( 411 ), sous peine d’aboutir à « un
gouvernement judiciaire sur initiative minoritaire » (412).
Force est de constater qu’à l’exception de cette précision, la jurisprudence se borne à
exiger une atteinte à l’intérêt social, mais n’a jamais défini ce concept. Ce silence, tant légal
que jurisprudentiel, a suscité une vive controverse doctrinale.
2. La notion d’intérêt social
La doctrine, face aux lacunes du législateur et du juge, est profondément divisée. Trois
conceptions s’affrontent (413).
Une première approche de l’intérêt social consiste à y voir l’intérêt commun des
associés. Elle se fonde sur une analyse contractuelle de la société. Pour les partisans de cette
thèse (414), la société naît d’un contrat dont la cause est le partage des bénéfices. D’après
l’article 1833 du Code civil, « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans
l’intérêt commun des associés ». Il ressort de ce texte, d’une part, qu’il doit exister une
communauté d’intérêts entre les associés, qui s’oppose à l’octroi d’avantages à certains
d’entre eux seulement, et d’autre part que le but de la société ne peut être que la satisfaction
de l’intérêt des associés. En d'autres termes, l'intérêt social ne peut être que celui des associés.
(409) B. DAILLE-DUCLOS, L'application extensive du principe du contradictoire en droit des affaires. Le
développement du devoir d'information, du devoir de loyauté et du respect des droits de la défense, JCP éd. E.
2000 p. 1990.
(410) cass com 27 mai 1997, précité ; V. déjà, en ce sens, M. CABRILLAC, De quelques handicaps dans la
construction de la théorie de l’abus de minorité, précité.
(411) N. LESOURD, L’annulation pour abus de droit des délibérations d’assemblées générales, RTD com.
1962 p. 1
(412) D. SCHMIDT, Rev. Sociétés 1976 p. 483.
(413) Pour un exposé des différentes thèses en présence, V. J.-P. BERTREL, La position de la doctrine sur
l’intérêt social, Dr. et patrimoine avr. 1997 p. 42 ; A. COURET, L’intérêt social , Cah. dr. entr. 4/1996 p. 1.
(414) D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, collection Pratique des affaires,
1999, n° 4 et du même auteur, De l’intérêt social, JCP éd. E 1995 I n° 488 ; Y. GUYON, La société anonyme,
une démocratie parfaite !, in Mélanges Christian Gavalda, Propos impertinents de droit des affaires, Dalloz,
2001, p. 133, spéc. n° 13 ; Ph. GOUTAY et Fr. DANOS, De l’abus de la notion d’intérêt social, D. affaires 1997
p. 877 ; Ph. BISSARA, L'intérêt social, Rev. Sociétés 1999 p. 5 – Rappr. cass com 10 oct. 2000, JCP éd. E. 2001
p. 85, note A. VIANDIER.
LXXIX
Dans ces conditions, ce dernier dicte la recherche du profit maximal (415) qui doit être
opérée, non en dehors de toute activité sociale, mais à travers la réalisation de l’objet. Cette
interprétation est conforme à l’esprit du Code civil de 1804, l’intérêt commun ayant été
envisagé à ce moment-là comme l’obligation de chacun de respecter l’intérêt de ses
coassociés (416). C'est d'ailleurs cette approche de l'intérêt social que retient le rapport Marini
lorsqu'il affirme que "la première raison d'être de toute société est l'enrichissement de ses
actionnaires" (417). La Cour de Paris a d'ailleurs implicitement, mais très nettement, avalisé
cette thèse ( 418 ). En l'espèce, les juges parisiens valident une cession des actions
d'autocontrôle intervenant en dehors d'une période d'offre publique, motif pris que l'opération
n'est pas contraire à l'intérêt social, "qui ne se confond pas avec celui de quelques
actionnaires ou groupes d'actionnaires". C'est affirmer que l'intérêt social se confond avec
l'intérêt de l'ensemble de la communauté actionnariale, visé par l'article 1833 du Code civil.
Cette lecture est confortée par la référence aux conditions financières de la cession, qui se
rattachent traditionnellement à l'intérêt commun des associés.
A l’opposé de cette analyse, les tenants de la doctrine de l’entreprise, partisans d’une
analyse institutionnelle de la société (419) voient dans l’intérêt social celui de l’entreprise
elle-même. Dès lors, loin de se limiter au seul intérêt commun des associés, l’intérêt social
serait également celui des salariés, des partenaires économiques et de l’Etat (420). Dans ces
conditions, c’est aux dirigeants qu’il appartient de le déterminer, tandis qu’en adoptant une
conception contractuelle de la notion, seule l’assemblée des associés peut l’apprécier (421).
(415) On a pu reprocher à cette analyse de justifier le capitalisme anglo-saxon, dit « sauvage », et d’être trop
lourde d’implications économiques et sociales.
(416) J. SCHAPIRA, L’intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, RTD com. 1971 p. 957.
(417) Ph. MARINI, La modernisation du droit des sociétés, La documentation française, 1996, p. 3.
(418) CA Paris 15 mars 2000, Groupe André, JCP éd. E. 2000 p. 731 et p. 1046, note A. VIANDIER ; D. 2000,
cahier Droit des affaires, p. 303, obs. M. BOIZARD ; RD bancaire et financier 2000 n° 85, obs. M. GERMAIN
et M.-A. FRISON-ROCHE ; Bull. Joly 2000 p. 629, note A. COURET ; Bull. Joly Bourse et prod. fin. 2000 p.
324, note N. RONTCHEVSKY ; RTD com. 2000 p. 675, obs. J.-P. CHAZAL et Y. REINHARD et p. 694, obs.
Ch. GOYET.
(419) La doctrine de l’entreprise est en réalité une analyse fonctionnelle de la société, celle-ci n’étant qu’un
moyen au service d’une finalité, et se borne donc à consacrer l’approche institutionnelle, née au début du XX°
siècle – sur cette approche, V. supra.
(420) J. PAILLUSSEAU, La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967, p. 196 et
s. ; V. aussi, M. DESPAX, L’entreprise et le droit, Bibl. dr. priv. t. 1, LGDJ, 1957, n° 274 et s, selon lequel
l’entreprise est le carrefour de trois intérêts distincts, celui de l’entreprise, des associés, des salariés ; R.
CONTIN, L’arrêt Fruehauf et l’évolution du droit des sociétés, D. 1968 chron. p. 45 ; C. BAILLY-MASSON,
L'intérêt social, une notion fondamentale, Petites affiches 9 nov. 2000 p. 6 ; M. BERGERAC et A. BERNARD,
Fantaisie à deux voix. A propos de Dominique Schmidt, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, D. 2000,
cahier droit des affaires, p. 315.
(421) On comprend dès lors que le patronat français soit favorable à l’école de l’entreprise alors que les
groupements de défense d’actionnaires penchent davantage pour une conception plus contractuelle - sur
LXXX
Force est cependant de constater que cette analyse n’a rencontré que peu d’écho en
jurisprudence, si l’on excepte un arrêt ancien, rendu dans l’affaire Fruehauf France (422). En
l’espèce, la filiale française d’une société américaine vendait du matériel destiné à la
fabrication de camions. Or, ceux-ci devaient être vendus au gouvernement chinois,
d’obédience marxiste. Dès lors, la société mère demanda à sa filiale de résilier le contrat de
vente du matériel. Mais les dirigeants français, mécontents, ne tardèrent pas à démissionner et
à demander la nomination d’un administrateur provisoire. Dans ces conditions, la question
était de savoir si le juge pouvait procéder à cette désignation alors que des dirigeants étaient
en place, les démissionnaires ayant été remplacés, et que la société fonctionnait normalement.
La Cour d’appel de Paris a répondu par l’affirmative, au motif que la nouvelle équipe
dirigeante conduisait une politique manifestement contraire à l’intérêt social. Celui-ci est
nécessairement envisagé comme l’intérêt de l’entreprise, les juges prenant soin de souligner
que les incidences de la résiliation « seraient de nature à ruiner l’équilibre financier et le
crédit moral de société Fruehauf France, et à provoquer sa disparition et le licenciement de
plus de 600 ouvriers ».
Néanmoins, il semble que la portée de cet arrêt ait été largement surestimée par l’école
de l’entreprise (423). En premier lieu, la Cour de Paris n’avait nullement fait référence à
« l’intérêt des travailleurs » dans sa décision. En second lieu, la solution donnée s’expliquait
davantage par le contexte politique international que par une volonté de consacrer la notion
d’intérêt de l’entreprise.
D’ailleurs, la Cour de cassation réaffirma quelques années plus tard son attachement
au principe majoritaire, dans un arrêt où elle condamna clairement l’immixtion du juge dans
la conduite des affaires sociales (424). Celui-ci n’a pas à contrôler l’opportunité des décisions
majoritaires, il doit se borner à vérifier qu’elles ne sont pas entachées d’abus de droit. La
jurisprudence ultérieure confirme cette tendance (425).
l’ensemble de la question, B. FIELD et C. NEUVILLE, La position des acteurs de la vie économique sur
l’intérêt social, Dr. et patrimoine avr. 1997 p. 48.
(422) CA Paris 22 mai 1965, Fruehauf, D. 1968 p. 147 ; RTD com. 1965 p. 619, obs. R. RODIERE ; Grands
arrêts du droit des affaires, n° 44 p. 487, obs. S. FARNOCCHIA ; adde, R. CONTIN, L’arrêt Fruehauf et
l’évolution du droit des sociétés, précité.
(423) R. RODIERE, RTD com. 1965 p. 619, A PIROVANO, La « boussole » de la société. Intérêt commun.
Intérêt social. Intérêt de l’entreprise, D. 1997, chron. p. 189. ; Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés
commerciales, op. cit., n° 574 ; M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 497.
(424) cass com 21 janv. 1970, JCP 1970 II n° 16541, note B. OPPETIT.
(425) ex. CA Versailles 7 juill. 1992, Rev. Sociétés 1992 p. 799, obs. Y. GUYON ; CA Paris 4 juin 1998, RTD
com. 1999 p. 110, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET ; Rappr. CA Versailles 20 mai 1999, JCP éd. E. 1999 p.
1756, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.
LXXXI
On le voit, le rapprochement de l’intérêt social avec celui de l’entreprise n’est pas
satisfaisant. Ses détracteurs ont fait valoir, à juste titre, qu’il conférait au juge le pouvoir de
s’immiscer dans la vie de la société, non pour trancher les conflits d’intérêts, ce qui entre dans
sa fonction traditionnelle, mais pour apprécier l’opportunité des décisions (426). Pourtant, le
patronat français a retenu cette approche de l'intérêt social, dans un rapport sur le conseil
d'administration des sociétés cotées rendu en juillet 1995 par M. Marc Viénot (427). En effet,
pour cette institution patronale, "l’intérêt social peut ainsi se définir comme l’intérêt
supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un
agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de
ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses
clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun, qui est d’assurer la prospérité
et la continuité de l’entreprise" (428).
Face à ces deux écoles antagonistes, un troisième courant doctrinal a tenté de faire la
synthèse et proposé une analyse mixte de l’intérêt social (429). Pour les partisans de cette
conception, la faiblesse de chacune des deux théories précédentes est de ne n’avoir pas su
intégrer l’apport de l’autre (430). Ainsi, les tenants de la théorie contractuelle n’ont pas tenu
compte de la réalité économique, qui fait de la société bien plus que la chose de ses
propriétaires. De même, l’école rennaise considère l’intérêt des associés comme une
composante secondaire de celui de l’entreprise. Or, ci cette dernière existe, c’est bien parce
qu’il a eu à l’origine accord de volontés. En d’autres termes, sans associés, point d’entreprise.
De plus, ces auteurs ont négligé le renouveau contractuel du droit des sociétés, dont l’ampleur
ne peut échapper à personne (431).
(426) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1267 - contra, cass com 21 juin 1982, Cassegrain,
RJ com 1983 p. 49, note P. de FONTBRESSIN. Selon l’annotateur, bien que la question n’ait pas été abordée
directement, cet arrêt serait annonciateur d’une nouvelle approche de l’intérêt social, plus conforme aux réalités
économiques, qui autoriserait le juge à apprécier l’opportunité d’une décision de gestion. Cependant, la
jurisprudence ultérieure, on l’a vu, est restée fidèle à la non immixtion du juge dans la société.
(427) in www.medef.fr
(428) Rapport Viénot, op. cit., p. 8.
(429) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1270 ; J.-P. BERTREL, Liberté contractuelle et
sociétés (essai d’une théorie du « juste milieu » en droit des sociétés), précité, spéc. n° 50 - V. déjà J.
SCHAPIRA, L’intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, précité ; J. MESTRE et G. FLORES,
Brèves réflexions sur l’approche institutionnelle de la société, Petites affiches 14 mai 1986 p. 25, in fine, qui
souhaitaient que la dimension institutionnelle de la société n’occulte pas son fondement contractuel et qui en
appelaient à un compromis entre les deux approches .
(430) J.-P. BERTREL, La position de la doctrine sur l’intérêt social, précité.
(431) Pour une synthèse, V. M. JEANTIN, Droit des sociétés et droit des obligations, Mélanges Louis Boyer,
1996, p. 317. Selon des auteurs, l’essor des pactes extra-statutaires entre associés, invoqué pour illustrer ce
renouveau contractuel, marquerait en réalité un déclin de la société en tant que contrat et consacrerait
définitivement l’analyse institutionnelle (C. CHAMPAUD, Le contrat de société existe-t-il encore ?, in L.
LXXXII
Forts de ces constatations, les partisans d’une approche mixte font de l’intérêt social
une « notion protéiforme » (432), qui recouvrirait tantôt l’intérêt de l’entreprise, notamment
en matière d’action en justice contre le dirigeant, tantôt l’intérêt des associés, notamment en
matière d’abus de majorité (433). Dès lors, la condition tenant à la violation de l'intérêt social
ne saurait viser l'intérêt de l'entreprise mais seulement l'intérêt commun des associés.
Dans ces conditions, l’appréciation de l’intérêt social ne peut appartenir ni aux
dirigeants, ni à l’assemblée. En effet, celui-ci est envisagé comme un « standard » (434). Sa
détermination ne peut donc intervenir qu’a posteriori. Par conséquent, elle relève forcément
du juge (435), ceux qui sont tenus au respect de l’intérêt social ne pouvant eux-mêmes le
déterminer. Cependant, un risque de dérive judiciaire existe, d’ailleurs pressenti par les
magistrats (436).
L'abus de majorité est fréquemment commis dans le cadre d'un groupe de sociétés.
L'intérêt de celui-ci peut-il le légitimer ?
CADIET (sous la direction de), Le droit contemporain des contrats , Economica, 1987 ; Cl. DUCOULOUXFAVARD, Actionnariat et pouvoir, D. 1995, chron. p. 177) - adde, du même auteur, Notes de leçons sur le
contrat social, D. 1997, chron. p. 319.
(432) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1270
(433) I. VEZINET, La position des juges sur l’intérêt social, Dr. et patrimoine avr. 1997 p. 50.
(434) M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 466. Le standard est traditionnellement
défini comme « une norme souple, fondée sur un critère intentionnellement indéterminé » (Voc. Ass. H.
CAPITANT, V° « Standard ») – sur cette question, J.-L. BERGEL et alii, Les standards dans les divers systèmes
juridiques, RRJ 1988 p. 803.
(435) J.-P. BERTREL, Liberté contractuelle et sociétés (essai d’une théorie du « juste milieu » en droit des
sociétés), précité », spéc. n° 54 - contra : M. BOUCHON, L’atteinte portée à l’intérêt collectif appréciée à
partir de la méconnaissance de l’intérêt social, Rev. Sociétés 1979 p. 692.
(436) P. BEZARD, Intérêt social : il faut déterminer avec précision la portée de l’intervention du juge, Dr. et
patrimoine avr. 1997 p. 53.
LXXXIII
3. La question de l’intérêt du groupe
Le problème est de savoir si, dans le cadre d’un groupe de sociétés, il existe un intérêt
supérieur, qui transcenderait celui des différentes filiales (437). La loi n° 2001-420 du 15 mai
2001 sur les nouvelles régulations économiques l'a admis, pour la première fois semble-t-il,
dans un tout autre domaine, celui des questions écrites posées aux dirigeants par les
actionnaires (438).
En matière pénale, la jurisprudence admet que l’existence d’un groupe puisse justifier
un abus de biens sociaux (439), à plusieurs conditions (440).
Tout d’abord, il doit exister un groupe défini comme étant un groupement économique
fortement structuré reposant sur des bases non artificielles. Ensuite, le sacrifice demandé à
une ou plusieurs filiales doit être justifié par l’intérêt économique, social ou financier
commun, apprécié au regard d’une politique globale du groupe. En outre, l’effort ne doit pas
être dénué de toute contrepartie. Enfin, il ne doit pas excéder les possibilités financières de la
filiale qui en supporte la charge.
Dans son ensemble, la doctrine a interprété cette jurisprudence comme reconnaissant,
au moins en droit pénal, l’existence d’un intérêt du groupe (441). Le rapport Marini relatif à la
(437) Sur l’ensemble de la question, R. RODIERE, La protection des minorités dans les groupes de sociétés,
Rev. Sociétés 1970 p. 246 ; Q. URBAN, La "communauté d'intérêts" : un outil de régulation du fonctionnement
des groupes de sociétés, RTD com. 2000 p. 1 - Sur les aspects internationaux, B. GOLDMAN, La loi applicable
à la protection des actionnaires minoritaires dans le fonctionnement des groupes multinationaux de sociétés, in
Droit international privé des groupes de sociétés, Genève, 1973, p. 23.
(438) V. sur ce point, J.-J. DAIGRE, Loi du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques, JCP
éd. E. 2001 p. 1013.
(439) L’article 242-6, 4°, du code de commerce (ancien art. L. 437) punit de cinq ans d’emprisonnement et/ou
d’une amende de 2.500.000 francs « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une SA qui, de
mauvaise foi, auront fait des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de
celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient
intéressés directement ou indirectement ». L’article 241-3, 4°, du même code (ancien art. L. 425) prévoit le
même délit dans les SARL.
(440) cass crim 4 févr. 1985, Rozenblum, D. 1985 p. 478, note D. OHL - Trib. corr. Paris 16 mai 1974, Willot,
RTD com. 1975 p. 123. Cette jurisprudence est devenue constante ex. : cass crim 13 févr. 1989, Rev. Sociétés
1989 p. 692, note B. BOULOC - dans les manuels de droit pénal des affaires, W. JEANDIDIER, Droit pénal des
affaires, op. cit., n° 262 ; M. DELMAS-MARTY, Droit pénal des affaires, t. 2, op. cit., p. 290. En revanche,
l’intérêt du groupe n’est pas un fait justificatif au délit de banqueroute : cass crim 27 avr. 2000, D. 2000, cahier
droit des affaires, p. 327.
(441) D. VELARDOCCHIO-FLORES, Le minoritaire contestant la politique du groupe, in M. BUY (sous la
direction de), Les salariés et les associés minoritaires dans les groupes de sociétés, PUAM, 1993, p. 88 ; M.
COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 1954 ; Ch. HANNOUN, Le droit et les groupes de
sociétés, Bibl. dr. priv. t. 216, LGDJ, 1991, n° 127 - contra : D. OHL, D. 1985 p. 478 ; J.-P. BERTREL, La
gestion de trésorerie dans les groupes de sociétés, RJDA 1992 p. 539, spéc. n° 24.
LXXXIV
modernisation des sociétés commerciales de septembre 1996 propose d'ailleurs de consacrer
l'existence de cet intérêt de groupe (442).
Néanmoins, force est de constater que la jurisprudence civile est beaucoup plus
nuancée pour reconnaître l’intérêt du groupe comme fait justificatif de l’abus de majorité
(443)
Un auteur a proposé d’étendre au droit des sociétés les solutions dégagées par la
jurisprudence pénale en matière d’abus de biens sociaux (444), tirant notamment argument
d’un arrêt de la Chambre commerciale rendu le 29 mai 1972 (445).
En l’occurrence, une société comprenant deux groupes d’actionnaires était majoritaire
en capital dans une autre société, dont l’activité était différente. Pendant quelques temps,
toutes deux furent dirigées par la même personne. Malgré plusieurs prêts consentis par la
mère, dans des conditions irrégulières puisque le dirigeant commun les avaient accordés sans
autorisation, la filiale était dans une situation financière précaire. C’est pourquoi l’assemblée
générale des actionnaires de la société mère décida de reprendre son passif. Mais les
minoritaires demandèrent l’annulation de la délibération, pour abus de majorité, qui était
selon eux uniquement destinée à faire échapper le dirigeant commun à des actions en
responsabilité et en comblement de passif. Les juges du fond accueillirent cette prétention,
approuvés par la Cour de cassation. Cette dernière écarte notamment l’argument tiré de
l’existence d’un intérêt de groupe, en ces termes « la Cour d’appel n’a nullement excédé ses
pouvoirs en recherchant si la délibération qui lui était soumise présentait pour la société
[mère] un intérêt quelconque et a pu estimer qu’en prenant, au mépris de l’intérêt de la
société, une décision entièrement dictée par celui d’un des actionnaires appartenant à la
majorité, l’assemblée générale avait commis un abus de droit ».
Cette décision ne doit pas être interprétée comme rejetant définitivement l’existence
d’un intérêt de groupe (446). En effet, d’une part, les deux sociétés avaient entre elles
uniquement des liens de capital. Elles n’entretenaient aucune relation commerciale, leurs
(442) Ph. Marini, La modernisation des sociétés commerciales, La documentation française, 1996, propositions
n° 83, 84 et 85.
(443) en ce sens, J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1902 ; M. PARIENTE, Les groupes de
sociétés (aspects juridique, social, comptable et fiscal), Litec, 1993, n° 236.
(444) I. URBAIN-PARLEANI, Les comptes courants d’associés, Bibl. dr. priv. t. 189, LGDJ, 1986, n° 313 et s.
V. aussi, Ch. HANNOUN, Le droit et les groupes de sociétés, op. cit., n° 129.
(445) JCP 1973 II n° 17337, note Y. GUYON ; Grandes décisions, n° 12 p. 53, obs. Y. CHARTIER et J.
MESTRE.
(446) Y. CHARTIER et J. MESTRE, Grandes décisions, n° 12 p. 53. A l’appui de cette interprétation, on peut
invoquer l’emploi par la Haute Juridiction de l’expression « a pu estimer ». En effet, quand la Cour de cassation
veut manifester une franche approbation, elle emploie généralement la formule « à bon droit », qui confère à la
décision l’allure d’un arrêt de principe (J. VOULET, L’interprétation des arrêts de la Cour de cassation, JCP
1970 I n° 2305, spéc. n° 13 et 14).
LXXXV
activités respectives étant différentes. D’autre part, s'il est couramment admis que l’intérêt du
groupe se confond quelquefois avec celui de la société mère (447), il ne peut être confondu
avec celui des associés majoritaires de celle-ci. Or, en l’espèce, la délibération litigieuse visait
seulement à soustraire l’associé majoritaire à des sanctions. La société mère ne trouvait donc
aucun intérêt à la décision critiquée, tant immédiat que lointain, puisque l’assemblée avait mis
fin à l’exploitation de la filiale.
De la même manière, le Tribunal de commerce de Paris (448) n’a pas tenu compte de
l’existence d’un groupe et a retenu l’abus de majorité à l’encontre d’une décision de
transformation d’une société anonyme en société en commandite simple. Tirant argument de
la personnalité juridique des filiales, le tribunal examine la conformité de l’opération
litigieuse à la lumière du seul intérêt de la société concernée.
Cependant, la Chambre commerciale a pu valider un prêt intergroupe, au regard de
l’abus de majorité (449). Il convient toutefois de remarquer qu’en l’espèce ce grief n’est pas
retenu parce que le préjudice de l’actionnaire minoritaire n’est pas démontré et parce que la
société mère tirait indirectement profit de l’aide, les deux sociétés entretenant des relations
commerciales. En conséquence, ce n’est pas l’intérêt du groupe qui permet d’écarter l’abus de
majorité mais l’absence de rupture d’égalité.
En revanche, la Cour d’appel de Rouen (450), en procédant à la nomination d’un
expert de minorité, donna à ce dernier pour mission de rechercher « si [certaines] opérations
lui paraissaient avoir été régulièrement décidées et si elles étaient conformes à l’intérêt
social de la société prêteuse et si elles s’imposaient, étant donné les circonstances, ou
s’avéraient simplement utiles ». Cette formule a pu être interprétée comme marquant la
volonté de la Cour de confier à l’expert le soin de rechercher si les opérations litigieuses
étaient justifiées par l’intérêt du groupe et si elles attentaient à l’intérêt de la filiale (451).
(447) Y. GUYON, JCP 1973 II n° 17337.
(448) Trib. com. Paris 29 juin 1981, Gaz. Pal 1981, 2, p. 687, note P. de FONTBRESSIN ; Rev. Sociétés 1981 p.
792, note M. GUILBERTEAU.
(_) cass com 12 nov. 1973, bull. IV n° 322 - Sur l’ensemble de la question, D. OHL, LLeess pprrêêttss eett aavvaanncceess eennttrree
ssoocciiééttééss dd’’uunn m
mêêm
mee ggrroouuppee, Librairies techniques, 1982, n° 294 et s.
(_) CA Rouen 17 mars 1970, D. 1971 p. 177 ; RTD com. 1970 p. 727, obs. R. HOUIN.
_ ) R. CONTIN et H. HOVASSE, L’expert de minorité dans les sociétés par actions (à propos d’un arrêt de la
(_
Cour d’appel de Rouen du 17 mars 1970, D. 1971, chron. p. 75., spéc. n° 23. Dans le même sens, Ch.
HANNOUN, LLee ddrrooiitt eett lleess ggrroouuppeess ddee ssoocciiééttééss, op. cit.,, nn°° 112299..
LXXXVI
Au demeurant, l’intérêt du groupe, s’il existe, ne saurait être confondu avec l’intérêt de
le la société mère (452), même si parfois les deux coïncident (453), et encore moins avec celui
des associés majoritaires de celle-ci.
En définitive, il semble délicat après l’examen de la jurisprudence de trancher la
question de la reconnaissance d’un intérêt de groupe comme fait justificatif de l’abus de
majorité. En effet, à l’exception de l’arrêt de la Cour de Rouen, peu de décisions relatives à ce
type de déloyauté (454) ont fait référence au groupe. Certes, l’arrêt du 12 novembre 1973 a
écarté l’abus de majorité mais c’était à cause de l’absence de préjudice de l’actionnaire
minoritaire, à cause d’un défaut de rupture d’égalité. Mais c'est déjà aborder le second
élément constitutif du vote déloyal.
b- La rupture d’égalité
Du fait de cette exigence inhérente au contrat de société qu'est l'affectio societatis
(455), il semble que le contrat de société soit la terre d’élection de l’égalité entre contractants
(456). D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a reconnu au principe valeur constitutionnelle
(457). Par conséquent, sa force est telle que même le législateur ne peut arbitrairement y
déroger (458). Il s’impose également au juge. Comme on a pu le souligner, ce concept est un
« principe à efficacité contentieuse » (459), dont la manifestation la plus remarquable est la
construction de la théorie de l’abus du droit de vote. En effet, en sanctionnant ces déloyautés,
la jurisprudence vise avant tout à réprimer les ruptures d’égalité.
((__) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales,, oopp.. cciitt.., n° 1902 ; adde,, G
G.. SSO
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USSII,, IInnttéérrêêtt dduu ggrroouuppee eett iinnttéérrêêtt
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A propos de l’affaire Wi lot St Frères, JCP éd. CI 1975 n° 11816 (cet auteur est défavorable à la
reconnaissance d’un intérêt de groupe).
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N,, JJCCPP 11997733 IIII nn°° 1177333377..
((__) A notre connaissance, l’abus de minorité n’a jamais été invoqué dans le cadre d’un groupe de sociétés.
) ssuurr ll'a'affffeeccttiioo ssoocciieettaattiiss, supra..
(_)
((__) J. MESTRE, L’égalité en droit des sociétés (Aspects de droit privé),, RReevv.. SSoocciiééttééss 11998899 pp.. 339999 –– ssuurr
ll'e'ennsseem
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Vers des principes d'égalité ?, thèse Aix en Provence, 1994 ; J.-M. MOULIN, Le principe
d'égalité dans la société anonyme,, tthhèèssee PPaarriiss V
V,, 11999999..
((__) décision n° 87-232 DC 7 janv. 1988, Rev. Sociétés 1988 p. 229, note Y. GUYON - adde M
M.. FFRRA
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CCoonnssttiittuuttiioonn eett ddrrooiitt pprriivvéé -- lleess ddrrooiittss iinnddiivviidduueellss eett lleess ddrrooiittss ééccoonnoom
miiqquueess, PUAM-Economica, 1992, n° 303.
Ce principe d’égalité entre associés est un corollaire du principe d’égalité entre les sociétés, lui-même n’étant
que la manifestation de l’égalité entre citoyens.
(_) En réalité, l’égalité est appréciée in concreto. Ce principe ne s’oppose pas en effet à ce que soient traitées de
manière différente des personnes qui ne sont pas placées dans la même situation.
(_) J. MESTRE, L’égalité en droit des sociétés (Aspects de droit privé), précité.
LXXXVII
Bien que la Cour de cassation emploie les mêmes termes pour définir les deux formes
de déloyautés, en l’occurrence "l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au
détriment des autres associés" (460), nombre d’auteurs ont estimé que l’abus de minorité ne
supposait pas nécessairement une rupture d’égalité (461). Selon eux, si l’on s’en tient à
l’abstention abusive du minoritaire (462), la rupture d’égalité est indifférente, car ce dernier
ne retire aucun profit de son attitude. Son comportement obstructeur n’aurait finalement pour
effet que de maintenir le statu quo.
Cette position n’emporte pas la conviction. Certes, les minoritaires ne tireront aucun
bénéfice matériel, aucun avantage tangible de leur conduite (463). Cependant, ne peut-on faire
valoir que l’opposition systématique est avant tout dictée par la quête d’un profit personnel,
comme en matière d’abus de majorité ? Une réponse affirmative doit être donnée.
De la formule traditionnellement employée par la jurisprudence, il ressort que la
rupture d’égalité suppose la réunion de deux conditions : d’une part, un avantage personnel
retiré par certains associés et d’autre part un dommage subi par les autres (464).
Dès lors, on peut se poser la question de savoir en quoi réside la recherche d’un
avantage personnel. En matière d’abus de majorité, cette notion ne suscite pas de difficultés
particulières. Ainsi, en matière de constitutions de réserves, il pourra s’agir de l’octroi aux
majoritaires de substantielles rémunérations ( 465 ). De même, la Cour de cassation a
sanctionné un apport partiel d’actif à une société créée à cette occasion, en retenant que
l’avantage du majoritaire résidait dans l’octroi d’un poste de gérant dans la deuxième société
(466).
(_) cass com 18 avr. 1961 et 15 juill. 1992, précités.
(_) C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n° 216 ; P. LE CANNU, L’abus de minorité, Bull.
mensuel d’informations des sociétés 1986 p. 429 ; M. CABRILLAC, De quelques handicaps dans la construction
de l’abus de minorité, précité, spéc. n° 11 ; D. VIDAL, RJ com 1988 p. 89 - contra : D. SCHMIDT, Les droits de
la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 208 ; D. TRICOT, Abus de droits dans les sociétés. Abus de
majorité et abus de minorité, précité.
(_) L’abus de minorité peut également consister en un « vote surprise ». Il s’agit des hypothèses dans lesquelles
les associés minoritaires obtiennent, du fait de l’impossibilité des majoritaires de participer à l’assemblée
générale, l’adoption d’une résolution à leur profit, mais contraire aux intérêts de la collectivité. Ce « vote
surprise » est une forme d’abus de majorité, commise par les minoritaires.
(_) Pour une étude de l’abus de minorité sous l’angle du comportement contractuel, V. B. FAGES, Le
comportement du contractant, PUAM, 1997, préf. J. MESTRE, n° 675 et s.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 210.
(_) cass com 6 juin 1990, D. 1992 p. 56, note J.-Y. CHOLEY-COMBE ; Rev. Sociétés 1990 p. 606, note Y.
CHARTIER ; Grands arrêts du droit des affaires, n° 45 p. 496, note J. MESTRE – dans le même sens, V. CA
Versailles 1er févr. 2001, RJDA 2001 n° 693 ; RTD com. 2001 p. 709, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
(_) cass com 24 janv. 1995, Defrénois 1995 p. 690, note J. HONORAT ; Rev. Sociétés 1995 p. 46, note M.
JEANTIN - adde, P. LE CANNU, La sous-filialisation abusive, Bull. Joly 1995 p. 303.
LXXXVIII
Le problème est tout autre dans l’abus de minorité. En effet, ce qui a pu gêner les
auteurs et les a finalement amenés à conclure que le concept ne supposait pas forcément une
rupture d’égalité, c’est l’absence d’avantage tangible retiré du comportement obstructeur.
Dans cette optique, l’intention de nuire du minoritaire est indispensable pour caractériser
l’abus ( 467 ) : puisque ce dernier ne tire aucun profit de son attitude, celle ci ne peut
s’expliquer que par la volonté de causer un dommage.
En réalité, la recherche d’un avantage n’est pas forcément matérielle. Par exemple, le
fait de s’opposer à une augmentation de capital qui s’autoriserait de l’intérêt social pourra être
motivé par la volonté du minoritaire de ne pas voir sa participation au capital diluée (468). Ce
souci, en soi légitime (469), peut rendre toutefois son comportement critiquable, dès lors que
l’intérêt de la société, donc des autres associés, commande l’augmentation projetée. En
d’autres termes, si l’intérêt du minoritaire à ne pas voir sa participation réduite le conduit à
émettre un vote contraire à l’intérêt social, alors il y aura poursuite d’un intérêt personnel
(470).
La rupture d’égalité suppose également un dommage subi par l’ensemble des associés
(471). En matière d’abus de majorité, il peut résider dans le seul fait pour les minoritaires de
ne pas profiter des avantages retirés par les majoritaires (472). Cependant, la démonstration
d’un préjudice est indispensable ( 473), dont la preuve incombe aux minoritaires ( 474),
conformément au principe de bonne foi qui régit les relations contractuelles (475).
On le voit, la condition tenant au dommage subi par les associés minoritaires ne pose
pas de problèmes véritables en matière d’abus de majorité. En revanche, on peut se demander
si l’abus de minorité suppose un préjudice.
(_) D. VIDAL, RJ com 1988 p. 104.
(_) ex. CA Lyon 20 déc. 1984, D. 1986 p. 506, note Y. REINHARD - CA Paris 18 déc. 1985, RJ com 1988 p.
89, note D. VIDAL.
(_) CA Paris 26 juin 1990, JCP 1990 II n° 21589 ; Rev. Sociétés 1990 p. 613, note M. BOIZARD – Rappr.,
considérant comme légitime le refus des minoritaires de se porter caution des dettes sociales, cass com 10 févr.
1998, RTD com. 1998 p. 619, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
(_) Un autre argument a été avancé: l’attitude de l’associé minoritaire peut être motivée par le désir de monnayer
son vote. Dès lors, il y aurait lieu d’établir un parallélisme avec la prohibition du trafic de suffrages posée à
l’article L. 242-9, 3°, du code de commerce (ancien art. L. 440) (A. DANA, Rapport sur l’expression dualiste de
la méconnaissance de l’intérêt collectif, Rev. Sociétés 1979 p. 714).
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 210.
(_) J.-L. RIVES-LANGE, L’abus de majorité, RJ com nov. 1991, n° spécial, La loi de la majorité, p. 65 – en ce
sens, CA Aix en Provence 30 juin 2000, Bull. Joly 2001 p. 168 ; Dr. Sociétés 2000 n° 241, obs. D. VIDAL.
(_) cass com 4 oct. 1994, Defrénois 1995 p. 251, obs. P. LE CANNU. En l’espèce, le montage critiqué avait
entraîné une expansion de la société, dont tous les actionnaires tiraient profit. Dans ces conditions, la décision ne
pouvait être entachée d’abus de majorité.
(_) ex. cass com 9 nov. 1966, RTD com. 1967, p. 526, obs. R. HOUIN.
(_) J.-L. RIVES-LANGE, L’abus de majorité, précité. Cette position se justifie d’autant plus que les associés
majoritaires sont présumés agir dans l’intérêt de la société (D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la
société anonyme, op. cit., n° 219).
LXXXIX
Une réponse affirmative s’impose. En effet, si l’atteinte à l’intérêt social est retenue, il
en découlera nécessairement un dommage pour les associés majoritaires. Si l’intérêt de la
société commande sa survie, alors le comportement obstructeur du minoritaire causera ipso
facto un préjudice à ses coassociés, qui pourra consister en la perte d’une chance de voir
l’activité sociale poursuivie et, partant, d’accroître leur profit.
En définitive, les deux types de vote déloyal supposent une rupture d’égalité.
Néanmoins, encore faut-il que celle-ci soit intentionnelle. Dès lors, on peut se demander si ce
critère subjectif suppose la volonté de nuire.
Certes, si cette dernière est démontrée alors il ne fait aucun doute que la décision
critiquée est entachée d’abus de majorité (476). Cependant, ramener cet élément subjectif à
l’intention malicieuse se révèle par trop restrictif. C’est pourquoi il consistera souvent dans
« la seule conscience de s’avantager personnellement » (477), comme en matière d’abus de
biens sociaux (478).
Il reste à examiner si l’abus de minorité requiert un élément intentionnel de même
nature ou, à l’inverse, suppose obligatoirement la volonté de nuire. Certains auteurs (479) ont
penché en faveur de la deuxième option, en se fondant sur certains arrêts (480). Mais cette
analyse semble désormais condamnée par la Cour de cassation, depuis l’arrêt Flandin (481).
En l’espèce, la Cour d’appel de Pau (482), dont la position est censurée, avait estimé que
l’abstention systématique du minoritaire révélait ipso facto sa volonté malicieuse. Par
conséquent, l’abus était caractérisé. En lui reprochant de ne pas avoir recherché si « l’attitude
de l’associé minoritaire avait été contraire à l’intérêt général de la société et dans l’unique
dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés », la
Haute juridiction exclut nécessairement l’intention de nuire ( 483). En effet, la Chambre
(_) cass com 6 févr. 1957, JCP 1957 II n° 10325, note D. BASTIAN ; Grands arrêts de la jurisprudence
commerciale, n° 66 p. 181, note J. NOIREL.
(_) J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 388 - CA Grenoble 6 mai
1964, D. 1964 p. 783, note A. DALSACE. Pour cette juridiction, « il y a abus de droit ou détournement de
pouvoir toutes les fois qu’un associé a agi en vue de satisfaire ses intérêts personnels au détriment des intérêts
collectifs ou des intérêts individuels d’autres actionnaires et ce, même sans intention de nuire ».
(_) W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, op. cit., n° 264. Pour une comparaison des notions d’abus de
biens sociaux et d’abus de majorité, M. de JUGLART et B. IPPOLITO, Traité de droit commercial, op. cit., n°
781-3.
(_) P. LE CANNU, L’abus de minorité, précité.
(_) ex. CA Paris, 15 déc. 1983, Bull. mensuel d’informations des sociétés 1984 p. 292. D’après cet arrêt, puisque
la participation aux assemblées générales n’est pas obligatoire, « l’abstention systématique n’est fautive que si
elle révèle une intention de nuire ».
(_) cass com 9 mars 1993, précité.
(_) CA Pau 21 janv. 1991, Rev. Sociétés 1992 p. 46, obs. Ph. M.
(_) en ce sens, J. BONNARD, Gaz. Pal. 1993, 2, p. 334.
XC
commerciale exige la poursuite d’un intérêt personnel « à dessein ». Autrement dit, cette
recherche doit être consciente, mais n’implique pas forcément la volonté de causer un
dommage (484). Dans ces conditions, le critère intentionnel pourra résider, comme en matière
d’abus de majorité, dans la « conscience de s’avantager personnellement ».
En définitive, cet élément d’ordre subjectif, qui, dans les deux types d’abus, réside
dans la « conscience de s’avantager personnellement » traduit un manquement à l’affectio
societatis. C’est cette méconnaissance qui constitue leur critère commun, selon un auteur
(485). Cela pose la question de l’unicité des critères.
B. La question de l’unicité des critères
Il apparaît que la rupture d'égalité est le critère unique de l'abus du droit de vote. Cette
conclusion résulte de la nature même de la société.
Si on envisage la société comme un contrat ou comme un « noeud de contrats » (486)
alors la rupture intentionnelle d’égalité suffit à caractériser l’abus du droit de vote. Les
partisans de cette approche contractuelle font valoir que la société naît avant tout d’une
manifestation de volonté (487).
Or, comme nous l'avons vu, si l’on adopte une conception contractuelle de la société,
l’intérêt social ne pourra être que l’intérêt commun des associés. Or, celui-ci implique
nécessairement l’égalité de traitement (488), de sorte que la formule employée par la Haute
juridiction serait redondante. Dans ces conditions, l’abus du droit de vote sanctionne une
rupture d’égalité (489).
(_) Le terme « dessein » est traditionnellement défini comme l’intention délibérée d’exécuter quelque chose
(Dict. Robert, V° « dessein »)
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 231.
(_) A. COURET, Les apports de la théorie micro-économique moderne à l’analyse du droit des sociétés, Rev.
Sociétés 1984 p. 243 – sur l'approche contractuelle de la société, supra.
(_) J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit commercial, t. 1, 2° volume, op. cit., n° 383.
(_) M. GERMAIN, L'intérêt commun, cah. dr. entr. 4/1996 p. 13 ; comp. D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts
dans la société anonyme, op. cit., n° 5 – sur l'intérêt commun, infra.
(_) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1270 ; D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la
société anonyme, op. cit., n° 202 ; A. PIROVANO, La « boussole » de la société. Intérêt social, intérêt commun,
intérêt de l’entreprise, précité ; M. GERMAIN, L’intérêt commun des actionnaires, précité ; D. SCHMIDT, De
l’intérêt commun des associés, JCP 1994 I n° 3793 ; Th. HASSLER, L’intérêt commun, RTD com. 1984 p. 581 adde, D. SCHMIDT, Considération des intérêts des actionnaires dans les prises de décisions et le contrôle du
juge, RJ com 1997 p. 257.
XCI
Cela étant, un deuxième courant doctrinal a rejeté l'analyse contractuelle et a abordé la
société comme une institution (490).Cette théorie s’est vue prolongée par une approche dite
fonctionnelle. La société serait au service d’une finalité, l’entreprise, et ne serait qu’un moyen
destiné à faire accéder celle-ci au monde juridique (491).
Dès lors, l’intérêt social ne peut que se distinguer de celui des associés. En effet, la
prise en compte de l’entreprise comme réalité juridique emporte une conséquence majeure :
celle d’introduire au sein de la société des intérêts autres que ceux des apporteurs de capitaux,
ceux-ci n’étant pas les seuls à participer à la vie sociale (492). Dans cette optique, les critères
de l’abus du droit de vote sont nécessairement dualistes, l’atteinte à l’intérêt de l’entreprise
demeurant néanmoins l’élément prépondérant. Selon eux (493), la rupture d’égalité ne sera
sanctionnée que lorsqu’elle n’est pas justifiée par des considérations tenant à l’intérêt de
l’entreprise (494). En d’autres termes, la méconnaissance de celui-ci suffit à caractériser
l’abus.
Cette thèse ne nous convainc cependant pas ( 495 ). D'ailleurs, même les auteurs
partisans d’une analyse mixte de la société, donc de l’intérêt social (496), estiment que les
juges, lorsqu’ils sanctionnent un abus du droit de vote, entendent réprimer une rupture
d’égalité. Une réduction de l’abus à la seule méconnaissance de l’intérêt social conduirait
inexorablement à une trop forte immixtion du juge dans la vie de la société (497).
Cette position s’appuie sur la jurisprudence développée en matière de mise en réserves
de bénéfices (498), qui suscite un abondant contentieux.
(_) sur la théorie de l'institution, supra.
(_) sur la doctrine de l'entreprise, supra.
(_) Cl. CHAMPAUD, Le contrat de société existe-t-il encore ?, in L. CADIET, Le droit contemporain des
contrats, Economica, 1987, p. 150.
(_) J. PAILLUSSEAU, La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, op. cit., p. 186 ; R.
CONTIN, Le contrôle de la gestion des sociétés anonymes, Librairies techniques, 1975, n° 685.
(_) R. CONTIN, Le contrôle de la gestion des sociétés anonymes, op. cit., n° 686.
(_) Pour une réfutation des arguments avancés par l’école de l’entreprise, G. et A. LYON-CAEN, La doctrine de
l’entreprise, in Dix ans de Droit de l’entreprise, Litec, 1978, p. 600 ; J. TERRAY, La société, une tradition bien
vivante, JCP 1984 I n° 3154.
(_) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 34 ; M. JEANTIN, Droit des sociétés, op. cit., n° 21,
note 54 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 27 ; Ph.
MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 23 ; J.-P. BERTREL, Liberté contractuelle et
sociétés (essai d’une théorie du « juste milieu » en droit des sociétés), précité, spéc., n° 39 et s.
(_) ex. D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 202 et s. ; du même auteur,
Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n° 190 et s. C. KOERING, La règle "une action-une
voix", op. cit., n° 202 ; J.-L. RIVES-LANGE, L’abus de majorité, précité ; P. FEUILLET, L’atteinte à l’intérêt
collectif appréciée à partir de la rupture d’égalité entre actionnaires, Rev. Sociétés 1979 p. 701 - contra, E. du
PONTAVICE, Rev. Sociétés 1974 p. 71.
(_) Sur l’ensemble de la question, E. MASSIN, L’absence abusive de distribution de bénéfices, RJ com 1978 p.
197 ; E. LEPOUTRE, Autofinancement des entreprises et abus de majorité, Bull. Joly 1996 p. 189.
XCII
Dans un arrêt du 28 février 1959 (499), la Cour de Paris avait considéré qu’ « il est de
l’essence même du contrat de société que les bénéfices soient répartis périodiquement, en
principe à la fin de chaque exercice social ». Cette position fut censurée (500), au motif que
« la résolution litigieuse a été prise contrairement à l’intérêt général de la société et dans
l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la
minorité ». En d’autres termes, le juge se montrait a priori favorable à la constitution de
réserves car la décision appartenait aux actionnaires, et à eux seuls. Ce n’est que si elle
procurait un avantage injustifié à la majorité qu’elle constituait un abus. En définitive, on le
voit, la Cour de cassation a sanctionné la rupture d’égalité. La Haute juridiction fait également
interdiction au juge de s’immiscer dans les affaires sociales. En effet, la Cour d’appel,
considérant qu’une augmentation de capital eût été préférable, avait annulé la décision de
mise en réserves. C’était là une appréciation de la politique conduite par les associés
majoritaires.
Cette solution a été ultérieurement confirmée (501).
Un arrêt de la Chambre commerciale rendu le 22 avril 1976 (502) devait relancer le
débat. En l’occurrence, la Cour de cassation retient le grief d’abus de majorité au motif que
« l’affectation systématique de la totalité des bénéfices à la réserve extraordinaire n’a
répondu ni à l’objet, ni aux intérêts de la société, la Cour d’appel a relevé le premier élément
dont l’existence est nécessaire, sinon suffisante pour caractériser l’abus du droit de majorité ;
en constatant que les décisions litigieuses favorisaient les deux associés majoritaires et
nuisaient au contraire à [l’associé minoritaire], la Cour d’appel a relevé le deuxième élément
caractéristique de l’abus du droit de majorité ».
(_) JCP 1959 II n° 11175, note D. BASTIAN ; Grands arrêts de la jurisprudence commerciale, n° 67, p. 285,
note J. NOIREL.
(_) cass com 18 avr. 1961, précité.
(_) cass com 16 oct. 1963, Bull. III n° 423 : « Si les juges, saisi d’une action en annulation pour cause d’abus de
droit de l’approbation donnée par l’assemblée générale d’une société anonyme à la gestion des administrateurs,
n’ont pas à se substituer à l’assemblée dans la gestion du patrimoine social, ils ne doivent pas moins contrôler les
décisions de cette assemblée, acquises dans des conditions qui risquent de fausser, au profit de quelques
actionnaires les règles établies pour la protection de tous ». On le voit, l’interdiction de l’immixtion est le
principe, le contrôle l’exception. Par conséquent, celui-ci ne doit porter que sur la légalité de la décision, non sur
son opportunité. Dans le même sens, cass com 11 oct. 1967, RTD com. 1968 p. 94, obs. R. HOUIN.
(_) Affaire Langlois, précité - adde, M. GERMAIN, L’abus du droit de majorité. A propos de l’arrêt du 22 avril
1976 de la Cour de cassation, Gaz. Pal 1977, 1, doctr., p. 157. Sur la même affaire, Trib. com. Paris 14 mai 1973,
Rev. Sociétés 1974 p. 71, note E. du PONTAVICE ; CA Paris 21 nov. 1974, Rev. Sociétés 1975 p. 466.
XCIII
Même s’il ne constituait pas, à proprement parler un revirement, cet arrêt semblait
marquer une évolution vers l’unicité : l’élément prépondérant semblait être la violation de
l’intérêt social (503).
Il devait cependant demeurer isolé puisque la Cour de cassation allait revenir à sa
définition classique, d’abord en matière de nomination de dirigeants sociaux (504) puis en
matière de mise en réserves (505). Cette définition n’a plus varié depuis (506).
En examinant la jurisprudence, il apparaît que lorsque le juge sanctionne la
thésaurisation des bénéfices, c’est seulement parce que les associés majoritaires en retirent un
avantage dont sont privés les minoritaires. Par exemple, ils se seront octroyés de substantielles
rémunérations (507), le caractère excessif étant apprécié par rapport à la taille et à l’activité de
la société, ou leur rythme de croissance (508).
A l’appui de la réduction de l’abus de majorité à la rupture d’égalité, on peut
également invoquer la jurisprudence développée en matière d’ingénierie sociétaire ( 509).
Ainsi, la Cour de cassation a sanctionné sur le fondement de majorité la technique dite de sous
filialisation (510). En l’espèce, une société anonyme, qui était contrôlée par une personne
physique, avait apporté les titres d’une filiale qu’elle possédait à une société en commandite
par actions constituée pour la circonstance. L’associé majoritaire de la société mère devenait
commandité de la sous-filiale. Le résultat de ce montage était d’interposer une société entre la
mère et sa filiale originaire. Cependant, au cours des exercices suivants, les associés
minoritaires de la mère se virent privés de toute participation aux bénéfices de la filiale
originaire et demandèrent en conséquence l’annulation pour abus de majorité de la décision
d’apport. Cette prétention fut rejetée par la Cour d’appel de Reims au motif que l’opération
(_) Ph. MERLE, RJ com 1977 p. 93 - plus hésitant, M. GERMAIN, L’abus du droit de majorité. A propos de
l’arrêt du 22 avril 1976 de la Cour de cassation, précité.
(_) cass com 30 mai 1980, Rev. Sociétés 1981 p. 312, note D. SCHMIDT.
(_) cass civ 1ère 13 avr. 1983, Gaz. Pal 1983, 2, pan. p. 239, et surtout, cass civ 1ère 23 juin 1987, Defrénois
1988 p. 604, obs. J. HONORAT
(_) V. toutefois, cass com 21 janv. 1997, précité.
(_) cass com 6 juin 1990, précité ; cass com 22 janv. 1991, Defrénois 1991 p. 885. Dans cette affaire, la cour
d’appel est censurée car elle avait retenu le grief d’abus de majorité sans établir l’avantage retiré en matière de
rémunérations par l’associé majoritaire.
(_) cass com 6 juin 1990, précité. En l’espèce, le montant des réserves atteignait 22 fois celui du capital social
alors que les majoritaires bénéficiaient d’une rémunération « à la croissance anormalement rapide ». Dans le
même sens, CA Aix en Provence, Juris data n° 95-45922, cité par E. LEPOUTRE, Autofinancement des
entreprises et abus de majorité, précité. En l’occurrence, l’augmentation des rémunérations correspondait
exactement au manque à gagner des minoritaires
(_) Sur l’ensemble de la question, V. D. PORACCHIA, La réception juridique des montages conçus par les
professionnels, PUAM, 1998, préf. J. MESTRE, n° 609 et s. ; A. COURET, L’ingénierie patrimoniale abusive,
Dr. et patrimoine mai 1996 p. 46 ; D. COHEN, La légitimité des montages en droit des sociétés, Mélanges
François Terré, L'avenir du droit, Dalloz, Litec, PUF, 1999, p. 261.
(_) cass com 24 janv. 1995, précité.
XCIV
litigieuse ne contrariait pas la vocation aux bénéfices des demandeurs. Cette position est
néanmoins censurée, en ces termes : « à la suite de l’interposition de cette société entre elle
et sa filiale, la société Giesler est devenue « une coque vide » dont, de 1986 à 1988, le chiffre
d’affaires est tombé de 88.983.631 francs à 295.815 francs et le bénéfice de 33.176.108
francs à 251.531 francs, que les décisions des gérants statutaires de la société en
commandite, sur lesquels les associés minoritaires de la société Giesler n’ont aucune
influence ou contrôle, commandent les orientations données à la filiale et peuvent empêcher
toute remontée des bénéfices vers la société Giesler, si bien que le prix de l’action est passé
de 4.607,79 francs en 1986 à 34,94 francs en 1988, et que « grâce aux caractéristiques
propres de la SCA Champagne-Burtin, Gaston Burtin s’est assuré une complète liberté de
manoeuvre ».
On le voit, la Cour de cassation a entendu sanctionner l’absence de remontée des
bénéfices et non pas le fait que la société mère soit devenue une « coque vide » (511). En
d’autres termes la Chambre commerciale n’annule le montage que parce qu’il provoquait une
rupture d’égalité entre actionnaires (512) ; elle ne sanctionne que « l’usage effectivement
abusif » du montage (513).
En définitive il apparaît que la théorie de l’abus de droit de vote sanctionne avant tout
une rupture d’égalité.
Ce n’est pourtant pas sur cette voie que s’engage la jurisprudence, tant en matière
d’abus de majorité que d’abus de minorité.
Tout d’abord, la Chambre commerciale a rappelé que l’abus de majorité suppose une
décision contraire à l’intérêt social. La rupture d’égalité ne saurait suffire (514). En l’espèce,
la Cour a considéré que le montage litigieux ne causait aucun dommage à la société ; par
conséquent, la contrariété à l’intérêt social n’était pas établie, l’abus n’était donc pas
caractérisé.
(_) P. LE CANNU, La sous filialisation abusive, précité, spéc. n° 14 ; M. JEANTIN, Rev. Sociétés 1995 p. 46 ;
A. COURET, L’ingénierie patrimoniale abusive, précité.
(_) comp, D. PORACCHIA, La réception juridique des montages conçus par les professionnels, op. cit., n° 631
et s., qui considère à l’inverse que la rupture d’égalité n’est pas suffisante. Cependant, en l’occurrence, ce qui a
été décisif pour caractériser l’abus, c’est le préjudice subi par la société. En réalité, si celle-ci subit un dommage
du fait de la diminution de son chiffre d’affaires, tous les actionnaires seront lésés, à l’exception de l’associé
majoritaire qui retire un avantage de la situation. Il y a donc bien préjudice des minoritaires, qui conditionne la
qualification d’abus.
(_) P. LE CANNU, La sous filialisation abusive, précité, spéc. n°15.
(_) cass com 4 oct. 1994, précité ; sur cet arrêt, V. aussi, D. PORACCHIA, La réception juridique des montages
conçus par les professionnels, op. cit., n° 264 et s.
XCV
Ensuite, la Cour de cassation a décidé ( 515) que « le gérant de la société avait
vocation a agir au nom de la société, sur le fondement des pouvoirs légaux qui lui sont
conférés, pour faire constater par la juridiction compétente la nullité des conventions
litigieuses et l’atteinte portée à l’intérêt social par les agissements de son ancien gérant [...],
constitutifs d’abus de majorité » (516). Par conséquent, l’abus de majorité peut être constitué
dès lors que l’atteinte à l’intérêt social est caractérisée. Ce type de déloyauté vise dans ces
conditions uniquement à protéger la société, il peut donc être invoqué par celle-ci.
Un auteur a tenté de minimiser la portée de cette décision (517). Selon lui, l’arrêt
trancherait uniquement une question d’ordre procédural, la qualité pour agir. La Cour de
cassation justifie la recevabilité de l’action par l’intérêt social, la rupture d’égalité étant
étrangère à la question.
Force est néanmoins de reconnaître que l’analyse contractuelle sort quelque peu
ébranlée de cet arrêt (518). En effet, c’est en tant que gardien de l’intérêt social que le gérant
se voit reconnaître qualité pour agir ( 519 ). Or, selon l’école de l’entreprise, seuls les
dirigeants apprécient l’intérêt social alors que pour les partisans de l’analyse contractuelle,
cette détermination n’appartient qu’aux associés. Par conséquent, il semble que la Chambre
commerciale assimile l’intérêt social à celui de l’entreprise.
Cette tendance à réduire l’abus de majorité à la seule méconnaissance de l’intérêt
social se retrouve dans un arrêt ultérieurement rendu par la Cour d’appel de Paris (520). En
l’espèce, les juges ont énoncé sommairement que les décisions litigieuses rompaient l’égalité
entre associés, sans autre précision. A l’inverse, ils ont estimé qu’ « il est nécessairement
contraire à l’intérêt social que les futurs gérants soient choisis non pour leurs compétences
mais parce qu’ils appartiennent chacun au clan actuellement majoritaire au sein d’une
hoirie ; l’intérêt social exige que les dirigeants soient parfaitement libres à l’égard des
associés, ce qui n’est pas le cas lorsqu’ils ne constituent que l’émanation d’un associé et que
le droit d’exercer leurs fonctions est subordonné à une décision de cet associé ». Aussi
(_) cass com 21 janv. 1997, précité.
(_) Cet arrêt étend la théorie de l’abus de majorité aux conventions conclues entre la société et ses dirigeants.
Pour une critique de cette extension V. C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n° 146 ; B.
SAINTOURENS, Rev. Sociétés 1997 p. 528.
(_) J.-J. DAIGRE, JCP éd. E 1997 II n° 965.
(_) J. MESTRE, RTD civ. 1997 p. 929 – Rappr. D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme,
op. cit., n° 212 et s.
(_) Fr.-X. LUCAS, JCP 1997 II n° 22960.
(_) CA Paris 27 févr. 1997, JCP éd. E 1997 II n° 982, note A. VIANDIER ; Dr. et patrimoine nov. 1997 p. 85,
obs. J.-P. BERTREL - adde, Cl. CHAMPAUD, Clan et hoirie, société et entreprise, Dr. et patrimoine nov. 1997
p. 64.
XCVI
discutable que soit cette motivation (521), il n’en demeure pas moins que, pour la Cour, ce qui
fonde l’annulation, c’est bien l’atteinte à l’intérêt social, et non la rupture d’égalité, dont la
mention semble n’être que purement formelle. La jurisprudence n'est cependant pas
homogène (522).
La Chambre commerciale s’oriente également vers l’unicité des critères en matière
d’abus de minorité. Ainsi, le 27 mai 1997, elle a considéré que « le refus par un actionnaire
minoritaire de voter une augmentation de capital peut constituer un abus de minorité dans le
cas où cette augmentation est nécessaire à la survie de la société » (523). La Cour de
cassation, on le voit, ne fait pas référence à « l’unique dessein de l’associé minoritaire de
favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés ».
Cette lacune, dans l’hypothèse où elle ne constituerait pas un oubli pur et simple, est
susceptible de deux interprétations. Selon une première approche, elle marquerait la volonté
de la Cour de cassation de s’affranchir de la référence à l’abus de majorité (524). Selon une
deuxième optique, loin de s’en démarquer, cet abandon est la conséquence logique de l’arrêt
du 21 janvier 1997. En ne faisant référence qu’à la méconnaissance de l’intérêt social, la
Haute juridiction poserait un critère unique aux deux formes d’abus. Néanmoins, la
jurisprudence ultérieure a semblé condamner cette analyse puisque la Chambre commerciale
est revenue à une définition classique de l'abus de minorité, en insistant cependant sur la
rupture d'égalité ( 525 ). En l'occurrence, les Hauts magistrats sanctionnent un associé
minoritaire qui avait mésusé de son droit de vote, en bloquant l'adoption d'une décision, afin
de s'avantager personnellement, en favorisant son intérêt externe, à l'intérieur d'un
groupement tiers, au détriment de son intérêt d'associé.
(_) A. VIANDIER, JCP éd. E 1997 n° 982 ; contra, Cl. CHAMPAUD, Clan et hoirie, société et entreprise,
précité.
(_) CA Paris 17 décembre 1999, RJDA 2000 n° 273, qui semble assimiler l'atteinte à l'intérêt social la rupture
d'égalité: "la restitution de certains locaux à leur propriétaire sans contrepartie n'avait pas été défavorable à [la
société] et donc aux associés minoritaires" ; CA Paris 21 mars 2000, Bull. Joly 2000 p. 960, note P. LE CANNU
; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 322, qui écarte le grief d'abus de majorité s'agissant d'un projet de
réduction de capital destinée à rembourser le montant de sa participation à un actionnaire et qui reprend à cette
occasion la définition dualiste traditionnelle de l'abus de majorité ; CA Aix en Provence 30 juin 2000, Bull. Joly
2001 p. 168 ; Dr. Sociétés 2000 n° 241, obs. D. VIDAL.
(_) cass com 27 mai 1997, précité.
(_) En ce sens, H. HOVASSE, Defrénois 1997 p. 1279.
(_) cass com 5 mai 1998, JCP éd. E. 1998 p. 1303, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; Bull. Joly 1998 p.
755, note L. GODON ; Dr. Sociétés 1998 n° 129, obs. D. VIDAL ; RTD com. 1998 p. 619, obs. Cl.
CHAMPAUD et D. DANET ; RJDA 1998 n° 862 ; Petites affiches 22 févr. 1999 p. 10, note S. ALMASEANU ;
RD bancaire et bourse 1998 nov.-déc. 1998, Ingénierie patrimoniale, p. 15, obs. F.-X. LUCAS – contra, dans une
société en nom collectif, Trib. com. Paris 31 oct. 2000, JCP éd. E. 2001 p. 398 ; Dr. Sociétés 2001 n° 83, note F.X. LUCAS. En l'espèce, les juges consulaires font seulement référence au critère de l'opération essentielle,
nécessaire à la survie de la société, pour caractériser l'abus de minorité.
XCVII
Il convient au demeurant de remarquer que la Troisième Chambre civile maintient une
définition dualiste de l’abus de majorité (526), puisqu’elle censure une Cour d’appel qui avait
annulé une délibération d’agrément, avantageant un associé « sans rechercher en quoi la
résolution était contraire à l’intérêt de la société » (527). Ce qui importe, c’est la réunion des
deux conditions. Dans un arrêt ultérieur, la Troisième Chambre civile a entendu marquer son
attachement à la dualité des critères, puisqu’elle a approuvé une Cour d’appel qui n’avait pas
retenu le grief d’abus de majorité, faute de rupture d’égalité (528).
L'abus de majorité et de minorité sont donc les deux faces d'un même phénomène
d'abus dans l'exercice du droit de vote. Si les deux institutions présentent les mêmes éléments
constitutifs, elles ne peuvent avoir qu'un fondement identique.
§2- Un fondement identique
L'abus du droit de vote, quel que soit son auteur, s'analyse en un manquement à
l'obligation de bonne foi, née du contrat de société (B). En effet, le juge contemporain, d'une
manière générale, a tendance à faire référence à ce devoir pour apprécier les abus. Il paraît dès
lors difficile de faire échapper le droit des sociétés à cette orientation qui immerge l'ensemble
du droit privé (529). C'est pourquoi les fondements traditionnels à l'exercice abusif du droit de
suffrage doivent être rejetés (A).
A. Les fondements rejetés
Ni l'abus de droit (a), ni le détournement de pouvoirs (b), fréquemment proposés par la
doctrine, ne peuvent être des fondements théoriques du vote abusif.
a- L’abus de droit
(_) cass civ 3ème 18 juin 1997, Bull. Joly 1997 p. 968, note P. LE CANNU ; D. affaires 1997 p. 1011 ; BRDA
14/1997 p. 3 – sur renvoi : CA Dijon 30 juin 1998, Rev. Sociétés 1999 p. 196, obs. Y. GUYON.
(_) CA Lyon 6 avr. 1995, D. 1996 p. 216, note Y. REINHARD.
(_) cass civ 3ème 8 oct. 1997, BRDA 21/1997 p. 5.
(_) J. MESTRE, L'abus de droit dans la vie des affaires. Propos introductifs, Dr. et patrimoine 2000 p. 38.
XCVIII
La notion d’abus de droit a fait l’objet d’une vive controverse (530).
Dans une première approche, Planiol niait la possibilité même d’un abus de droit
(531). Selon lui, un acte est soit conforme, soit contraire au droit : « cette nouvelle doctrine
repose toute entière sur un langage insuffisamment étudié ; sa formule, usage abusif des
droits, est une logomachie, car si j’use de mon droit, mon acte est licite, et quand il est illicite,
c’est que je dépasse mon droit et que j’agis sans droit. Il ne faut donc pas être dupe des mots ;
le droit cesse où l’abus commence ; et il ne peut y avoir usage abusif d’un droit quelconque
pour la raison irréfutable qu’un seul et même acte ne peut pas être à la fois conforme au droit
et contraire au droit ».
A la suite de Planiol, Ripert, tout en admettant le principe de l’abus de droit, en
adoptait une conception restrictive (532). Selon lui, l’exercice d’un droit est abusif, non s’il
cause un dommage à autrui, mais si son auteur a été animé par l’intention de nuire ou, à tout
le moins, par la conscience de causer un préjudice.
De nombreux auteurs modernes voient d'ailleurs dans l’abus de droit la faute commise
dans l’exercice d’un droit (533).
La question qui se pose est donc de savoir si ces conceptions sont adaptées à l’exercice
du droit de vote dans les sociétés. Autrement dit, le suffrage de l’associé « émis en
méconnaissance de l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts
au détriment de l’ensemble des autres associés » est-il une forme d’abus de droit ?
Il s’agit d’éliminer d’emblée les théories de Planiol et de Ripert. En effet, d’une part,
certes l’associé est inspiré par des motifs blâmables, mais il émet quand même un vote. Par
conséquent, son acte est conforme au droit, mais il en est également contraire puisque les
motifs qui l’inspirent sont illicites. D’autre part, on l’a vu, ni l’abus de majorité ni celui de
minorité ne supposent l’intention de nuire.
Reste à savoir si le vote répréhensible émis par l’associé est une faute commise dans
l’exercice d’un droit. Une réponse négative s’impose, pour plusieurs raisons.
(_) Sur cette controverse, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil.
Introduction générale, op. cit., n° 763 et s.
(_) M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, II, LGDJ, 1900, n° 871.
(_) G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 4° éd., LGDJ, 1949, n° 90 et s.
(_) L. CADIET et Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité, 4° éd., Dalloz, 1996, n° 3154 ; H., L. et J.
MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil, t. 2, 1er volume, op. cit., n° 458 ; G. MARTY et P.
RAYNAUD, Les obligations, op. cit., n° 478 ; J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 225 ; plus nuancés,
Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 711 et s. ; A. SERIAUX,
Droit des obligations, 2° éd., PUF, 1998, n° 105 ; P. ANCEL, Critères et sanctions de l'abus de droit en matière
contractuelle, cah. dr. entr. 6/1998 p. 30.
XCIX
En premier lieu, si l’on fait référence à la faute, il faut déterminer a contrario ce qu’est
un usage non fautif du droit de vote (534). Or, cette appréciation s’avère difficile, sauf à
considérer que l’associé doit seulement avaliser les projets présentés par les dirigeants. Cela
conduirait à nier le principe de la liberté du vote.
En second lieu, en matière de responsabilité civile, la faute peut également prendre la
forme d’une abstention ou d’une imprudence (535). Or, en matière de sociétés, si l’abstention
peut être répréhensible, on voit mal comment retenir l’imprudence (536), sous peine de
confier au juge le soin de décider lui-même de la politique sociale.
En troisième lieu, le vote de l’associé, s'il est indéniablement un droit, est aussi une
fonction, qui lui permet de participer au gouvernement de la société (537). Même les plus
farouches partisans de l’analyse contractuelle reconnaissent cette nature sociale (538). Non
seulement en votant l’associé concourt à la formation de la volonté sociale, mais il ne peut
profiter en aucune façon de sa prérogative. En d’autres termes, la possibilité d’émettre un
suffrage est octroyée non dans son intérêt propre, externe à la société, mais en considération
de l’intérêt commun. Comme l’a fait remarquer la Cour de cassation (539), « l’assistance et le
vote aux assemblées générales constituent un attribut essentiel de l’actionnaire et l’exécution
d’une obligation contractée par lui envers la société en raison de son titre ». Dès lors, si l’on
assimile le vote à une fonction, l’exercice fautif ne pourrait être chose qu’un détournement du
pouvoir de sa finalité.
On le voit, le vote « émis en méconnaissance de l’intérêt social et dans l’unique
dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés » ne
peut être une forme d’abus de droit. Pourtant, la Cour de cassation vise fréquemment dans ses
arrêts l’article 1382 du Code civil (540). Ce visa laisse quelque peu perplexe, d’autant plus
que l’abus du droit de vote est celui d’un droit contractuel.
(_) J. HAMEL, La protection des minorités dans les sociétés anonymes, RID comp. 1951 p. 677.
(_) L. CADIET et Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité, op. cit., n° 3156 ; G. VINEY et P.
JOURDAIN, Traité de droit civil. Les obligations. La responsabilité : conditions », 2° éd., LGDJ, 1998, n° 480.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 239.
(_) R. DAVID, Le caractère social du droit de vote, Journ. Sociétés 1929 p. 401 ; G. ROUJOU DE BOUBEE,
Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p. 144 et s. ; plus nuancé, E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé,
Economica, 1985, n° 40 et s. ; contra, J. du GARREAU DE LA MECHENIE, Les droits propres de l’actionnaire,
thèse Poitiers, 1937, n° 164 et s.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 56.
(_) cass Req 23 juin 1941, Journ. Sociétés 1943 p. 209 ; Grands arrêts de la jurisprudence commerciale, n° 64,
note J. NOIREL.
(_) ex. cass com 18 avr. 1961, précité ; en dernier lieu, cass civ 3ème 18 oct. 1997, précité - comp. cass com 24
janv. 1995, précité.
C
Le deuxième fondement classiquement proposé, après l'abus de droit, n'emporte pas
davantage l'adhésion. Il s'agit du détournement de pouvoirs.
b- Le détournement de pouvoirs
Une conception extensive de l’abus de droit considère que tous les droits sont accordés
en vue de la satisfaction d’une finalité. Ils sont octroyés non en vue d’intérêts égoïstes mais
dans ceux de la collectivité toute entière. Dans ces conditions, l’abus de droit sera caractérisé
chaque fois que le droit sera détourné de son objet. Il s’agit de « l’acte contraire au but de
l’institution, à son esprit, à sa finalité » (541).
Cette conception finaliste de l’abus de droit s’apparente à la notion publiciste du
détournement de pouvoirs (542). Cette dernière se définit comme le fait, pour un agent
administratif, d’exercer sa compétence dans un but autre que l’intérêt général ou, à tout le
moins, dans un but différent de celui en vue duquel il lui a été conféré (543).
Dès lors, la tentation était grande de considérer que l’usage répréhensible du droit de
vote était une forme de détournement de pouvoirs au sens du droit administratif. Arguant de
son caractère social, les partisans de cette assimilation ont considéré que, de même qu’un
agent public ne pouvait user de ses prérogatives à des fins personnelles, de même l’associé
majoritaire ne peut user de son droit de suffrage dans un but autre que l’intérêt social, sous
peine de commettre un détournement de pouvoirs (544). Certains d’entre eux ont vu dans
l’exercice illicite du droit de vote « un détournement flagrant de l’intérêt collectif de la
(_) L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits, 2° éd., Dalloz,
1939, n° 292. Pour un exposé détaillé de l’analyse de Josserand, V. par ex., B. STARCK, H. ROLAND et L.
BOYER, Obligations. La responsabilité délictuelle, 5° éd., Litec, 1996, n° 369 et s.
(_) en ce sens, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction
générale, op. cit., n° 788 ; B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Obligations. La responsabilité délictuelle,
op. cit., n° 371 ; L. CADIET, Rép. Civ. V° « abus de droit », 1992, spéc. n° 21 in fine.
(_) Y. GAUDEMET, Rép. Contentieux administratif V° « détournement de pouvoir et de procédure », 1989,
spéc. n°1. Sur l’ensemble de la question, R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, 11° éd., Montchrestien,
1997, n° 1245, G. VEDEL et P. DELVOLVE, Droit administratif, t. 2, 12° éd., PUF, 1992, p. 331 et s.
(_) R. DAVID, Le caractère social du droit de vote, précité, et La protection des minorités dans les sociétés par
actions, thèse Paris, 1928 (cet auteur lie le détournement de pouvoirs à l’obligation de bonne foi) ; L.
JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits, op. cit., n° 197 ; Cl.
BERR, L’exercice du pouvoir dans les sociétés commerciales, Sirey, 1961, n° 464 ; E. GAILLARD, La société
anonyme de demain. La thèse institutionnelle et le fonctionnement de la société anonyme, op. cit. n° 82 ; C.
RUELLAN, La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, op. cit., n° 537 et s. ; J. CALAIS-AULOY,
L’abus de pouvoirs ou de fonctions en droit commercial français, TAC t. 28, 1977, p. 221 ; H. SOLUS, note sous
Trib. com Chambéry 19 août 1927, S. 1928 p. 97 – V. en dernier lieu, F. MASQUELIER, Le vote en droit privé,
thèse Nice, 1999, n° 499 et s.
CI
société au profit des intérêts particuliers et illégitimes des dirigeants ou d’un groupe
d’actionnaires » (545).
Selon ces auteurs, la majorité ne dispose de son pouvoir qu’autant qu’elle l’exerce
dans l’intérêt social. Autrement dit, le propre du pouvoir étant d’être finalisé (546), celui des
associés prépondérants ne trouve sa légitimité que dans le respect de cet intérêt supérieur
(547). Si ce dernier est méconnu alors le groupe majoritaire méconnaît la finalité de son
pouvoir, ce qui caractérise précisément un détournement de pouvoirs (548).
Les partisans du rapprochement de l’abus de majorité avec la théorie publiciste sont
néanmoins profondément divisés sur le point de savoir s’il faut l’étendre à l’abus de minorité.
Pour les uns, l’associé qui bloque illégitimement l’adoption d’une décision ne peut
commettre un détournement de pouvoirs. En effet, le pouvoir suppose que son titulaire puisse
imposer sa position. Or, les associés minoritaires, par définition, n’ont pas la possibilité de
faire prévaloir leurs vues. Au contraire la délibération sociale, reflet de la vision des
majoritaires, s'impose à eux (549).
Pour les autres, à l’inverse, cette analyse repose sur un postulat inexact : l’impuissance
des minoritaires à faire triompher leurs positions (550). En effet, l’abus n’est retenu qu’en
matière de modifications statutaires, lorsque les minoritaires disposent d’une minorité de
blocage. Or, lorsque ceux-ci mésusent de leur droit de vote, ils empêchent l’adoption d’une
décision souhaitée par la collectivité. En d’autres termes, par leur « pouvoir institutionnel
d’opposition » (551), ils imposent leur vues. Ils exercent donc un pouvoir. En méconnaissant
l’intérêt social, ils le détournent de sa finalité, de la même manière que les associés
majoritaires. Nous ne pouvons que nous rallier à cette opinion.
(_) A. PEYTEL et G. HEYMANN, De l’abus de droit dans les sociétés commerciales, Gaz. Pal. 1951, 1, doctr.
p. 50.
(_) E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, op. cit., n° 214.
(_) C. RUELLAN, La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, thèse Paris II, 1997, n° 540.
(_) V. déjà, en ce sens, H. SOLUS, note sous Trib. com Chambéry 19 août 1927, précité : « la notion de
détournement de pouvoirs offre plus de précision que celle d’abus de droit parce qu’elle s’attache plus
étroitement à la finalité et par conséquent à la relativité des prérogatives ». Cependant, l’auteur plaidait en faveur
d’une application subsidiaire de la notion.
(_) E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, op. cit., n° 227 ; F. MASQUELIER, Le vote en droit privé, op.
cit., n° 528.
(_) C. RUELLAN, La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, op. cit., n° 578 et s., qui affirme, à la
suite de M. le Professeur CABRILLAC (De quelques handicaps dans la construction de la théorie de l’abus de
minorité, précité), la nécessité de rompre avec la référence à l’abus de majorité, notamment en modifiant la
terminologie employée. Selon elle, il serait préférable de parler « d’abus de pouvoir minoritaire » plutôt que
d’abus de minorité ; adde, D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n° 259 ; A.
CONSTANTIN, Les rapports de pouvoir entre actionnaires, thèse Paris I, 1998, n° 486 et s. ; C. KOERING, La
règle "une action-une voix", op. cit., n° 196 ; R. TROUILLAT, L’abus de droit de la majorité dans les sociétés
anonymes, RJ com 1977 p. 1 ; Ch. ROQUILLY, Le pouvoir d’influence dans le processus décisionnel des SA,
Petites affiches 28 juill. 1993 p. 19, spéc. n° 7 et s.
(_) L’expression est empruntée à Mme Boizard (L’abus de minorité, précité, spéc. n° 12).
CII
Cependant, si ce parallèle est justifié, encore faut-il admettre que l’usage répréhensible
du droit de vote constitue bien un détournement de pouvoirs.
En réalité, il ne faut pas accorder à ce rapprochement avec la doctrine publiciste plus
d’importance qu’il n’en a en réalité (552). Il ne peut avoir la valeur que d’un « simple
argument d’analogie » (553).
En effet, en droit administratif, l’agent doit utiliser sa compétence dans la seule fin que
la loi lui a assigné. En d’autres termes, il ne doit jamais prendre en compte ses intérêts
personnels, quand bien même ceux-ci ne seraient pas contraires à l’intérêt général (554).
Or, la jurisprudence n’exige pas de l’associé qu’il émette un suffrage contraire à ses
intérêts (555). Certes, ce vote est une composante de la volonté sociale. Néanmoins, c’est
également un moyen qui lui permet de défendre ses intérêts au sein de la société.
Contrairement à l’agent administratif, ou même à certains titulaires de droits-fonctions (556),
l’associé peut et doit tenir compte de ses intérêts lorsqu’il émet un suffrage. Comme le
souligne M. le Professeur Schmidt, « la majorité dispose de son pouvoir pour satisfaire non
seulement les intérêts des autres associés, mais aussi les siens propres » (557). Cependant, il
ne peut s’agir que de ses intérêts dans la société, car ils vont dans le même sens de ceux de ses
coassociés. S’il tient compte de ses intérêts externes, alors il risque de mésuser de son droit de
vote (558).
Au demeurant, le refus de la Cour de cassation de prendre en considération l’intérêt de
l’entreprise en matière d’abus de majorité (559) a pu être interprété comme rejetant les
théories de Josserand (560). On l’a vu, le contrôle de l’exercice du droit de vote ne peut se
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 234.
(_) J. du GARREAU DE LA MECHENIE, Les droits propres de l’actionnaire, op. cit., n° 209.
(_) Y. GAUDEMET, Rép. Contentieux administratif V° « détournement de pouvoirs et de procédure », op. cit.,
n°34 ; adde, M. LONG, P. WEIL et G. BRAIBANT, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 11°
éd., Dalloz, 1996, n° 4, p. 26 et s. Si l’acte a pour résultat de favoriser un intérêt privé, il ne sera entaché de
détournement de pouvoir. Ce qui caractérise celui-ci, c’est que l’agent a entendu poursuivre une fin étrangère à
l’intérêt général, quand bien même ce but ne lui serait pas directement contraire.
(_) ex. CA Paris 26 juin 1990, précité
(_) Ainsi, le tuteur exerce ses prérogatives dans l’intérêt exclusif de l’incapable. Il ne peut prendre en
considération ses intérêts propres. Sur l’ensemble de la question, V., par ex., Fr. TERRE et D. FENOUILLET,
Les personnes. La famille. Les incapacités, 6° éd., Dalloz, 1996, n° 1170.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 234 ; du même auteur, Les
conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n° 273 – adde, P. COPPENS, L’abus de majorité dans les
sociétés anonymes, thèse Paris, 1945, n° 56 ; L. DUBOUIS, La théorie de l’abus de droit et la jurisprudence
administrative, LGDJ, 1962, p. 327.
(_) P. DIDIER, Droit commercial, t. 2, op. cit., p. 356 – Rappr. D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la
société anonyme, op. cit., n° 219 et s.
(_) cass com 21 janv. 1970, précité.
(_) A. PIROVANO, La fonction sociale des droits. Réflexions sur le destin des théories de Josserand (à propos
d’un arrêt de la Troisième Chambre civile du 12 octobre 1971), D. 1972, chron. p. 67.
CIII
faire que sur la base d’un critère objectif, la rupture d’égalité, et non par rapport à un élément
subjectif, l’intérêt de l’entreprise. Autrement dit, dans cette optique, le vote émis par l’associé
dans un but blâmable ne peut être un abus de droit, au sens entendu par Josserand, c’est à dire
un détournement de pouvoirs. En effet, une telle assimilation conduirait nécessairement à
faire référence à un intérêt supérieur, celui de l’entreprise en l'occurrence, ce que la Haute
juridiction a entendu condamner.
D’ailleurs, rares sont les arrêts à faire expressément référence au détournement de
pouvoirs (561).
En définitive, tant la théorie de l’abus de droit que celle du détournement de pouvoirs
sont inadaptées au fonctionnement de la société, en ce qu’elles occultent sa base contractuelle.
Dès lors, seule la méconnaissance de l'obligation de bonne foi est susceptible de fonder la
théorie du vote abusif en prenant en compte la dimension conventionnelle de la société (562).
B. Le fondement proposé : la méconnaissance de l’obligation de bonne foi
La société naît d’un contrat, même si l’on ne peut faire abstraction de sa dimension
institutionnelle. Or, l’article 1134, alinéa 3, du Code civil fait peser sur tout contractant une
obligation d’exécuter les conventions de bonne foi (563).
Dès lors, on peut s’interroger sur le point de savoir si le vote de l’associé « émis en
méconnaissance de l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts
au détriment de l’ensemble des autres associés » ne constituerait pas la violation de ce devoir
général de bonne foi.
Tout d’abord, comme nous l'avons vu, le droit de vote est conféré à l’associé par le
contrat de société. C’est parce qu’il a conclu cette convention qu’il se verra octroyer un titre,
contrepartie de son apport. Or, le droit de vote, s’il est une fonction, est également un attribut
(_) ex. CA Pau 24 déc. 1935, S. 1936, 2, p. 55 ; CA Paris 24 nov. 1954, D. 1955 p. 236, note G. RIPERT, qui
font référence au détournement de pouvoirs - Trib. com. Seine 7 janv. 1952, S. 1953, 2, p. 145, note R. HOUIN ;
CA Paris 26 mars 1952, S. 1953, 2, p. 181, concl. GEGOUT ; CA Grenoble 6 mai 1964, précité, qui retiennent à
la fois l’abus de droit et le détournement de pouvoirs.
(_) Rappr. J. MESTRE, La société est bien encore un contrat…, Mélanges Christian Mouly, t. 2, Litec, 1998, p.
131.
(_) On connaît l’emprise qu’exerce ce texte sur le droit contractuel contemporain, mettant à la charge des parties
au contrat une véritable obligation de coopération (V. J. MESTRE, D’une exigence de bonne foi à un esprit de
collaboration, RTD civ. 1986 p. 100). Sur l’influence de la bonne foi sur la conception même du contrat, J.
MESTRE, L’évolution contemporaine du droit des contrats, L’évolution du contrat en droit privé français,
Journées René Savatier, PUF, 1985, p. 41.
CIV
du titre. Dans ces conditions, il trouve sa source dans un contrat. C’est un droit d’origine
conventionnelle.
L’abus d’un droit contractuel est sanctionné sur le terrain de l’obligation générale de
bonne foi. Le juge entend sanctionner les déloyautés manifestes dans la mise en œuvre des
prérogatives conventionnelles. En d’autres termes, sera de mauvaise foi le contractant qui
mésusera d’un droit issu du contrat (564). L’abus peut donc se définir comme l’usage d’un
droit de mauvaise foi, entendu comme la conscience de causer un préjudice à son
cocontractant (565).
L’abus de droit dans les relations contractuelles a reçu une éclatante consécration, par
quatre arrêts rendus par l’Assemblée plénière en matière de contrat-cadre de distribution
( 566 ). En effet dans ce domaine, la Cour de cassation fait implicitement peser sur le
fournisseur une obligation de fixation du prix de bonne foi, dont l’abus donnera lieu à
indemnisation ou à résiliation.
On le voit, si l’on envisage le droit de vote comme un droit contractuel, son abus peut
être défini comme un exercice de mauvaise foi. En effet, le suffrage répréhensible ne suppose
pas nécessairement l’intention de nuire, mais seulement la conscience de causer un préjudice
à ses coassociés, ce qui est précisément la définition de la mauvaise foi.
Surtout, le mauvais usage du droit de vote est traditionnellement analysé comme un
manquement à l’affectio societatis (567).
Celui-ci, « pierre angulaire du contrat de société » (568), est défini tantôt comme « une
volonté d’union et d’acceptation d’aléas communs », tantôt comme « une collaboration
effective des associés, dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité » tantôt comme « la
(_) L. CADIET, Rép. Civ. V° « abus de droit », op. cit., n° 77 ; Ph. LE TOURNEAU, Rép. Civ. V° « bonne
foi », 1995, n° 57 ; Y. PICOD, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, bibl. dr. priv. t. 208, 1989, n° 18
et s. ; A. BENABENT, Rapport français, in TAC, La bonne foi, 1992, p. 298 ; Y. PICOD, L’exigence de bonne
foi dans l’exécution du contrat, in J. MESTRE (sous la direction de), Le juge et l’exécution du contrat, PUAM,
1993, p. 57 ; P. ANCEL, Critères et sanctions de l'abus de droit en matière contractuelle, précité.
(_) Ph. LE TOURNEAU, Rép. Civ. V° « bonne foi », op. cit., n° 56.
(_) cass Plén. 1er déc. 1995, JCP 1996 II n° 22565, concl. M. JEOL, note J. GHESTIN ; RTD civ. 1996 p. 153,
obs. J. MESTRE – Rappr. sur ce point, cass civ 1ère 5 févr. 1985, Bull. I n° 54 ; RTD civ. 1986 p. 105, obs. J.
MESTRE ; cass com 31 mai 1994, Bull. IV n° 194.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 239, qui souligne le consensus
qui existe en la matière « les auteurs s’accordent, quelle que soit leur opinion sur la nature contractuelle ou
institutionnelle de la société, pour reconnaître que l’abus de majorité procède d’une violation des obligations
découlant du pacte social ».
(_) selon l'expression de Mme le Professeur Laude (La reconnaissance par le juge de l’existence d’un contrat,
PUAM, 1992, préf. J. MESTRE, n° 803).
CV
volonté de collaborer ensemble sur un pied d’égalité au succès de l’entreprise commune »
(569).
On le voit, quelle que soit la conception que l’on en retienne, l’affectio societatis
postule la convergence d’intérêts entre les associés. Il fait peser sur chacun l’obligation de se
conduire en associé, de subordonner ses intérêts propres à l’intérêt commun.
Or, il est difficile de ne pas voir dans l’affectio societatis une application de
l’obligation de bonne foi au contrat de société (570), dont Treilhard disait qu’il était de « droit
naturel. Il se forme et se gouverne par les seules règle de ce droit, il doit sans doute reposer
sur la bonne foi, elle est nécessaire dans tous les contrats mais elle est encore plus
spécialement requise dans les contrats de société, elle devrait être excessive s’il est permis de
le dire, et s’il pouvait y avoir des excès dans la bonne foi » (571).
En effet, reconnaître l’existence d’un devoir de bonne foi distinct de l’affectio
societatis implique de déterminer le contenu de cette obligation (572).
Un auteur l’a cependant tenté (573). Selon lui, le devoir de bonne foi fait peser sur les
associés l’obligation de ne pas troubler les « finalités collectives de la société », entendue
comme le strict respect de l’intérêt commun et de l’intérêt social. Cette position ne convainc
pas. En effet, même si l’intérêt social est une notion protéiforme, en matière d’abus de
majorité, il ne se distingue pas de l’intérêt commun des associés (574). En outre, cette analyse
part d’un postulat erroné puisqu’elle considère que l’affectio societatis doit exister seulement
au moment de la constitution de la société, alors que la bonne foi préside à son
fonctionnement (575). Or, à l'inverse, tant la doctrine (576) que la jurisprudence (577)
estiment que, le contrat de société étant à exécution successive, l’affectio societatis doit
exister tout au long de la vie sociale.
(_) Sur les différentes acceptions de l'affectio societatis, supra.
(_) A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n° 78 ; Ph. GERARD, Droit, égalité et idéologie (contribution à
l’étude critique des principes généraux du Droit), Publications des facultés universitaires Saint Louis, 1981, p.
43.
(_) TREILHARD, discussion au Corps législatif du titre du Code civil relatif au contrat de société, cité par A.
AMIAUD, L’affectio societatis, Mélanges Simonius, Aequitas und bona fides, 1955, p. 1 – V. aussi, R. DAVID,
La protection des minorités dans les sociétés par actions, op. cit., n° 38 et s.
(_) En ce sens, A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., loc. cit.
(_) L. GODON, Les obligations des associés, Economica, 1999, n° 174 et s. ; adde, J.-M. de BERMOND DE
VAULX, Le spectre de l’affectio societatis, précité, spéc. n° 13.
(_) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1270.
(_) L. GODON, Les obligations des associés, op. cit., n° 171.
(_) Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 43 ; Y. GUYON, Droit des affaires, op.
cit., n° 124, qui compare l’affectio societatis au consentement donné au mariage.
(_) TGI Paris 14 mars 1973, Gaz. Pal. 1973, 2, p. 913, note M. PEISSE : « L’affectio societatis est un élément
spécifique du contrat de société, qui doit durer aussi longtemps que dure la société ».
CVI
Par ailleurs la jurisprudence civile déduit de l’obligation générale de bonne foi dans
les relations contractuelles un véritable devoir de coopération, à tout le moins de loyauté
(578). Dans ces conditions, on voit mal comment celui-ci pourrait se distinguer de l’affectio
societatis, appréhendé par la jurisprudence comme une « collaboration effective des associés,
dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité » (579). Bien au contraire, ce devoir est,
selon la doctrine, plus ou moins marqué selon les types de contrats, sa plus forte expression se
trouvant précisément dans le contrat de société (580).
Des lors, la négation de l’affectio societatis que constitue un usage répréhensible du
droit de vote peut s’analyser en un manquement à la bonne foi contractuelle.
Cette position n’est cependant pas à l’abri de la critique. On a pu en effet reprocher à
ce rattachement de l’affectio societatis au devoir général de bonne foi de faire perdre à la
notion son caractère original (581). Cet argument n’est pas dirimant. En effet, loin d’affadir le
concept d'affectio societatis, ce rapprochement « tend au contraire à ramener le droit des
sociétés dans le droit commun des obligations c’est à dire dans le champ d’application des
article 1134 alinéa 3 et 1135 du Code civil » (582).
Les auteurs qui se sont intéressés au devoir de bonne foi en matière de sociétés ont
d’ailleurs souligné que celui-ci imposait à l’associé de rechercher son intérêt personnel à
travers la poursuite de l’intérêt commun. En d’autres termes, une exécution de bonne foi du
(_) J. MESTRE, D’une exigence de bonne foi à un esprit de collaboration, précité - dans les ouvrages de droit
des obligations, H., L. et J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil, op. cit., n° 730-2 in fine ; J.
CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 112, qui définit la bonne foi comme l’interdiction faite au
contractant « de se réfugier dans la lettre du contrat pour en éluder l’esprit » ; Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y.
LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 416 , J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du
contrat, 3° éd., LGDJ, 1993, n° 264, pour lequel l’article 1134 alinéa 3 fait peser sur tout contractant une
obligation de loyauté, « dont le degré est déterminé par la jurisprudence » ; A. BENABENT, Les obligations, 6°
éd., Montchrestien, 1997, n° 285, qui envisage la bonne foi comme un concept à « contenu plastique », qui peut
imposer aux contractants un devoir de collaboration ; B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil, t. 2,
Obligations. Le contrat, 6° éd., Litec, 1998, n° 1202 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, Les obligations, 8° éd.,
Cujas, 1998 ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, L’acte juridique, op. cit., n° 386 ; A. SERIAUX, Droit des
obligations, op. cit., n° 55.
(_) cass com 3 juin 1986, précité.
(_) Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 416 ; B. FAGES, Le
comportement du contractant, PUAM, 1997, préf. J. MESTRE, n° 558 ; Y. PICOD, L’obligation de coopération
dans l’exécution du contrat, JCP éd. E. 1987 I n° 15059, spéc. n° 7 ; Ph. LE TOURNEAU, Rép. Civ. V° « bonne
foi », op. cit., n° 52 ; L. AYNES, L'obligation de loyauté, Arch. Phil. Droit, t. 44, L'obligation, Dalloz, 2000, p.
195.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 231 ; adde, A. VIANDIER, La
notion d’associé, op. cit., n° 79. Pourtant favorable à l’assimilation du concept avec l’obligation générale de
bonne foi, cet auteur en déduit l’impossibilité de faire référence à l’affectio societatis comme critère de la notion
d’associé.
(_) J.-P. DESIDERI, La préférence dans les relations contractuelles, PUAM, 1997, préf. J. MESTRE, n° 264 –
adde, dans le même sens, M. LATHELIZE-BONNEMAIZON, Bilan et perspectives du devoir de loyauté en
droit des sociétés, Petites affiches 23 juin 2000 p. 7.
CVII
pacte social conduit l’associé à donner la primauté au second sur le premier, en cas de conflit
(583). Dans le cas contraire, l’associé exécuterait le contrat social de mauvaise foi. En quoi
pourrait consister une telle exécution, hormis en l’émission d’un vote « en méconnaissance de
l’intérêt social, et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts des autres
associés » ?
A l’appui de cet argument, on peut également faire valoir que la bonne foi qui doit
présider aux relations entre associés oblige ces derniers à accepter les décisions majoritaires, à
condition que celles-ci aient pour but la prospérité commune ( 584 ). Dès lors que la
délibération envisagée s’autorise de l’intérêt commun, l’associé minoritaire a l’obligation de
s’y soumettre. Dans le cas contraire, il manquerait à son obligation de bonne foi. N’est-ce pas
la définition de l’abus de minorité ?
On le voit, le rattachement de l’émission d’un vote blâmable à la méconnaissance de
l’obligation de bonne foi est le seul qui prenne à la fois en compte la subordination de l’intérêt
propre de l’associé à l’intérêt commun, et la dimension contractuelle de la société.
La jurisprudence a déjà consacré l’existence du devoir de bonne foi, qui pèse sur tous
les associés (585), tant majoritaires que minoritaires (586). Cependant, cette affirmation a pris
une dimension nouvelle depuis un arrêt rendu la Chambre commerciale le 27 février 1996
(587), dans lequel celle-ci fonde sa solution sur « le devoir de loyauté qui s’impose au
dirigeant à l’égard de tout associé ». En l’espèce, une associée avait cédé ses actions pour un
prix unitaire de 3.000 francs au dirigeant de la société, ainsi qu’aux membres de sa famille
(_) R. DAVID, La protection des minorités dans les sociétés par actions, op. cit., n° 52 et s. ; P. COPPENS,
L’abus de majorité dans les sociétés anonymes, op. cit., n° 58.
(_) B. GRANGER La nature juridique des rapports entre actionnaires et commissaires chargés du contrôle dans
les sociétés par actions, thèse Paris, 1950, n° 111.
(_) CA Paris 16 févr. 1933 et 13 avr. 1934, D.P. 1936 II p. 121, note P. PIC, qui fait référence à l’obligation des
associés majoritaires de gouverner de bonne foi ; CA Paris 28 févr. 1959, précité, cassé par cass com 18 avr.
1961, précité, qui vise l’exécution de bonne foi du pacte social ; CA Versailles 17 sept. 1993, JCP éd. E 1994 I
n° 392, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN, qui fait peser un devoir de loyauté sur les associés minoritaires ;
CA Paris 8 sept. 1998, RTD com. 1998 p. 870, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET, qui estime "qu'en toute
hypothèse, les associés sont liés par l'obligation de bonne foi de l'article 1134 du Code civil"
(_) V. not. J.-J. CAUSSAIN, Le devoir de loyauté des dirigeants sociaux en droit français, Gaz. Pal. 3-5 déc.
2000 p. 66. La doctrine n'est cependant pas unanime. Certains considèrent que le devoir de loyauté ne pèse pas
sur tous les associés mais seulement sur les majoritaires : H. LE NABASQUE, Le développement du devoir de
loyauté en droit des sociétés, RTD com. 1999 p. 273. Cette analyse ne convainc pas, dans la mesure où cette
obligation découle du contrat de société, auquel tous les apporteurs de capitaux sont parties, y compris les
minoritaires.
(_) JCP 1996 II n° 22665, note J. GHESTIN ; JCP éd. E 1996 n° 838, note D. SCHMIDT et N. DION ; RTD civ.
1997 p. 114, obs. J. MESTRE - rejet du pourvoi formé contre CA Paris 19 janv. 1994, RTD civ. 1994 p. 853,
obs. J. MESTRE ; sur cette affaire V. notamment I. GROSSI, Les devoirs des dirigeants sociaux : bilan et
perspectives, thèse Aix en Provence, 1998, n° 660 et s – dans le même sens, étendant cette obligation aux
administrateurs d'une société anonyme, Trib. com. Nanterre 6 oct. 2000, JCP éd. E. 2001 p. 619, note A.
COURET.
CVIII
dont il s’était porté fort. Le contrat prévoyait par ailleurs que si ceux-ci cédaient l’ensemble
de leur participation avant la fin de l’année 1991, ils devraient restituer à la cédante 50 % du
montant dépassant 3.500 francs. Or, quelques jours plus tard, ils cédèrent leurs titres à une
société tierce, au prix de 8.800 francs par action. La cédante demanda alors la nullité du
contrat, sur le fondement du dol. Sa prétention fut accueillie par la Cour d’appel de Paris, qui
retint la réticence dolosive à l’encontre du dirigeant. C’est le pourvoi formé contre cet arrêt
que rejette la Chambre commerciale, qui fonde sa décision sur le devoir de loyauté du
dirigeant à l’égard de tout associé.
Certes, en l’occurrence, il n’est pas fait expressément référence à l’associé majoritaire.
Néanmoins, non seulement il est clair que la Cour de cassation a entendu sanctionner toutes
les personnes, associés ou dirigeants, qui tireraient profit de leur position dans la société pour
s’avantager personnellement, mais en plus les dirigeants sont en pratique le plus souvent issus
du groupe majoritaire (588). Dans ces conditions, la loyauté étant de l’essence du contrat de
société (589), on voit mal comment les associés pourraient être soustraits à cette obligation.
Comme on a pu fort justement l’écrire, cette décision a une portée universelle et intéresse
l’ensemble du droit des sociétés (590).
En conclusion, la référence à la bonne foi marque le retour à une approche
traditionnelle du droit des sociétés, et s’inscrit d’ailleurs dans le renouveau contractuel qui
anime cette branche du Droit. Cette référence constante au contrat de société, et par delà au
droit des contrats, se retrouve lorsqu'il s'agit d'analyser les sanctions du vote déloyal.
Section 2 : Les sanctions du vote déloyal
Le vote déloyal doit être sanctionné avec la même sévérité quel que soit l'associé dont
il émane. En d'autres termes, le juge ne saurait faire preuve de davantage de mansuétude
lorsque l'abus est l'œuvre du minoritaire. Cependant, les modalités de la sanction sont
différentes selon qu'il s'agisse d'un abus de majorité (§1), ou de minorité (§2).
§1- La sanction de l’abus de majorité
(_) comp. sur ce point, CA Paris 27 févr. 1997, précité.
(_) J. GHESTIN, JCP 1996 II n° 22665.
(_) C. RUELLAN, La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, op. cit., n° 799.
CIX
Bien que d'autres remèdes soient concevables ( 591), deux sanctions sont le plus
souvent prononcées par les juges : il s'agit de la responsabilité des associés majoritaires (A) et
de la nullité de la délibération sociale entachée d'abus (B).
(_) V. ainsi, sanctionnant l'abus de majorité par la dissolution de la société, cass com 18 mai 1982, Rev. Sociétés
1982 p. 804, note P. LE CANNU.
CX
A. La responsabilité des associés majoritaires
Comme nous l'avons vu, le droit de vote de l’associé revêt une nature contractuelle.
Son abus réside dans l’utilisation d’une prérogative conventionnelle de mauvaise foi,
entendue comme la conscience de causer un préjudice au cocontractant.
La jurisprudence sanctionne traditionnellement l’abus d’un droit contractuel par la
responsabilité civile délictuelle de son auteur (592). En effet, la responsabilité contractuelle
est traditionnellement envisagée comme un mode d’exécution forcée du contrat. Elle suppose
donc une inexécution de la convention (593). Or, l’abus d’un droit contractuel n’est pas un
défaut mais une mauvaise exécution. Par conséquent, il ne peut engager que la responsabilité
délictuelle du contractant, celle-ci étant la responsabilité civile de droit commun.
En matière d’abus de majorité, la jurisprudence fonde habituellement ses décisions sur
l’article 1382 du Code civil (594). En conséquence, pour les juges, par la commission d’un tel
abus, les associés prépondérants engagent leur responsabilité délictuelle.
Cette position encourt la critique à deux points de vue.
En premier lieu, et cette considération n’est pas propre au droit des sociétés, la mise en
jeu de la responsabilité délictuelle de l’auteur d’un abus contractuel est contestable (595), en
ce qu’elle heurte le principe du non cumul des responsabilités (596). Celui-ci interdit le
recours aux règles de la responsabilité délictuelle pour sanctionner des manquements d’ordre
contractuel. Or, il semblerait logique de tenir compte de la source de l’abus. Du moment que
le droit est issu d’un contrat, il y a lieu de sanctionner son usage abusif par la mise en jeu de la
responsabilité contractuelle de son auteur. Cette position se justifie d’autant plus que l’abus
du droit contractuel est analysé comme une utilisation de mauvaise foi, c’est à dire comme un
(_) ex. cass soc 11 juin 1953, D. 1953 p. 611, qui considère que « l’abus de droit, qu’il ait été commis dans le
domaine contractuel ou extra-contractuel engendre dans tous les cas la responsabilité délictuelle ou quasi
délictuelle de son auteur » ; cass civ 3ème 22 mai 1968, RTD civ. 1969 p. 140, obs. G. CORNU - adde, G.
VINEY, Traité de droit civil. Les obligations. La responsabilité : conditions, op. cit., n° 195.
(_) Ph. MALAURIE et L. AYNES, Les obligations, op. cit., n° 810 et s.
(_) ex. cass com 18 avr. 1961, précité ; cass com 30 mai 1980, précité ; cass com 6 juin 1990, précité ; cass com
21 janv. 1991, précité.
(_) G. VINEY et P. JOURDAIN, Traité de droit civil. Les obligations. La responsabilité : conditions », op. cit.,
loc. cit. ; G. CORNU, obs. RTD civ. 1969 p. 140 ; H. de LA MASSUE, Responsabilité délictuelle et
responsabilité contractuelle sous la notion d’abus de droit, RTD civ. 1948 p. 27.
(_) H. de LA MASSUE, Responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle sous la notion d’abus de droit,
précité ; sur le principe du non cumul, Ph. MALAURIE et L. AYNES, Les obligations, op. cit., n° 870 ; A.
SERIAUX, Droit des obligations, op. cit., n° 98 ; A. BENABENT, Les obligations, op. cit., n° 523 ; G. VINEY,
Traité de droit civil. Introduction à la responsabilité, LGDJ, 1995, n° 216 et s. ; L. CADIET et Ph. LE
TOURNEAU, Droit de la responsabilité, op. cit., n° 342 et s.
CXI
manquement à la bonne foi contractuelle (597). Ce malaise a d'ailleurs conduit une fraction de
la doctrine à proposer une suppression pure et simple de la responsabilité contractuelle et une
unification des deux types de responsabilité (598).
En second lieu, les auteurs, partisans ou adversaires de l’analyse contractuelle de la
société, analysent traditionnellement la notion d’abus de majorité comme un manquement aux
obligations nées du pacte social (599). En effet, il pèse sur les associés majoritaires un
véritable devoir contractuel de faire prévaloir l’intérêt commun sur leur intérêt personnel,
extérieur au groupement. L’abus de majorité, caractérisant la violation de cette obligation,
devrait donc être sanctionné sur le terrain de la responsabilité contractuelle (600).
Ceci étant, la Cour de cassation a précisé les conditions de mise en œuvre de cette
responsabilité. L’action peut être intentée par les associés minoritaires (601), mais également
par la société elle-même, agissant par l’intermédiaire de son dirigeant (602).
Elle ne peut en revanche être dirigée contre la société (603).
Cependant, une difficulté peut surgir, s’agissant de la détermination des personnes
responsables. Les associés minoritaires doivent-ils poursuivre l’ensemble du groupe
majoritaire ou seulement les instigateurs de l’abus ? A notre connaissance, la jurisprudence ne
(_) H. de LA MASSUE, Responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle sous la notion d’abus de droit,
précité ; adde, A. BENABENT, Rapport français, précité.
(_) V. D. TALLON, L'inexécution du contrat pour une autre présentation, RTD civ. 1994 p. 223 ; Ph. REMY,
Critique du système français de responsabilité, Droit et cultures 1996 p. 31 et La responsabilité contractuelle.
Histoire d'un faux concept, RTD civ. 1997 p. 323 ; L. LETURMY, La responsabilité délictuelle du contractant,
RTD civ. 1998 p. 839 ; E. SAVAUX, La fin de la responsabilité contractuelle ?, RTD civ. 1999 p. 1.
(_) en ce sens, D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 239 ; Cl. BERR,
L’exercice du pouvoir dans les sociétés commerciales, op. cit., n° 462.
(_) J.-L. RIVES-LANGE, L’abus de majorité, précité.
(_) ex. cass com 18 avr. 1961, précité ; cass com 6 juin 1990, précité – sur les difficultés inhérentes à la
détermination de la victime de l'abus, D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n°
233 et s.
(_) cass com 21 janv. 1997, précité. Cette solution, si elle n’est pas à l’abri de la critique, en ce qu’elle risque de
conduire à des situations paradoxales, peut néanmoins trouver une explication. En effet, il s’agissait en
l’occurrence d’une action en abus de majorité dirigée contre une convention conclue entre l’ancien dirigeant et la
société. Il n’était donc pas question de résolutions d’assemblées générales, lesquelles constituent le champ
d’application traditionnel de l’abus de majorité.
(_) cass com 6 juin 1990, précité. En l’espèce, les minoritaires soutenaient la thèse inverse. Ils faisaient valoir
que , les majoritaires représentant un organe de la société, celle-ci était engagée par leurs agissements fautifs. La
Cour de cassation écarte cet argument, en ces termes : « seuls les associés majoritaires qui avaient commis cet
abus devaient en répondre à l’égard des [associés minoritaires] ; l’action dirigée contre la société n’était donc pas
recevable ». La Haute juridiction ne prend appui sur aucun texte, mais sur un principe général de la
responsabilité civile.
CXII
s’est jamais expressément prononcée sur la question. Il semble néanmoins que la deuxième
option soit conforme aux principes de la responsabilité civile (604).
Si elle aboutit, l’action en responsabilité débouche sur l’octroi de dommages et intérêts
aux minoritaires victimes par les majoritaires fautifs. Cependant, cette sanction est inadaptée,
à un double titre. D’une part, elle n’efface pas les conséquences de la délibération. D’autre
part, elle n’intervient que longtemps après le vote de la décision. C’est pourquoi les juges
sanctionnent également l’abus de majorité par l’annulation de la résolution.
B. La nullité de la délibération déloyale
M. le Professeur Schmidt a proposé de substituer à l’annulation de la décision,
traditionnellement prononcée lorsque l’abus de majorité est caractérisé, l’absence d’effet
obligatoire de celle-ci (605). En effet, selon lui, la nullité suppose une irrégularité formelle, au
regard de la loi sur les sociétés ou du droit des contrats. Or, l’abus de majorité ne vicie la
délibération que parce que des motifs illicites ont présidé à son adoption. Dès lors, la seule
sanction concevable consiste à rendre la résolution litigieuse inopposable aux minoritaires
victimes.
Cette position n’est pas à l’abri de la critique. En effet, dans l’hypothèse où les
majoritaires se seraient octroyés des avantages substantiels, au mépris de l’intérêt commun,
l’inopposabilité de la décision n’effacera pas les conséquences de la résolution.
Le principe de l'annulation, seule à même de réparer le préjudice subi par les
minoritaires, est donc incontestable. Ce faisant, la mise en œuvre de la sanction (b) découle de
son fondement juridique (a).
(_) J. MESTRE, Rapport de synthèse, RJ com nov. 1991, n° spécial, La loi de la majorité, p. 138 ; comp. D.
SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 251. En faveur de cette solution, on
pourrait également invoquer l’arrêt précité du 6 juin 1990. La Chambre commerciale entend sanctionner les
majoritaires « qui avaient commis l’abus ». Par conséquent, elle laisse entendre que les autres majoritaires
n’encourent aucune sanction.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 243 et s.
CXIII
a- Le fondement de la nullité
Plusieurs fondements sont concevables (606).
Tout d’abord, il est possible d’envisager la nullité comme la sanction de la
responsabilité civile des associés majoritaires, à titre de réparation en nature (607). En effet,
en matière de responsabilité, le juge peut prononcer la sanction la plus adéquate (608), la
mieux à même de « tarir la source du dommage » (609) subi par la victime et de procéder à la
« suppression de l’illicite » (610). Il effacera ainsi toutes les conséquences du préjudice.
En matière d’abus de majorité, l’annulation remettra majoritaires fautifs et
minoritaires victimes dans leur situation antérieure à la délibération litigieuse. Celle-ci sera
par conséquent privée d’effet et les majoritaires verront leur comportement répréhensible
neutralisé. L’égalité sera rétablie et le préjudice souffert par les minoritaires, injustement
frustrés d’un avantage, réparé.
Cette analyse a rencontré un écho favorable en jurisprudence. En effet, les décisions
postérieures à 1961 visent l’article 1382 du Code civil, ce qui rattache l’annulation à la
responsabilité civile, donc au principe de la réparation adéquate (611).
Cette position est contestable. D’une part, l’abus de majorité est différent de l’abus de
droit. Il s’agit, on l’a vu, d’un manquement à l’obligation de bonne foi qui préside aux
relations entre associés. Par conséquent, il doit être sanctionné sur le terrain contractuel et non
délictuel. D’autre part, à aucun moment, les articles 235-1 du code de commerce (ancien art.
L. 360) et 1844-10 du Code civil, relatifs à la nullité des délibérations sociétaires, ne visent
l’abus de droit comme cause d’annulation, ni directement ni indirectement. En effet l’article
1382 n’est pas une cause d’annulation d’un contrat, il est même étranger au domaine
contractuel.
Dans ces conditions, il y a lieu de rechercher ailleurs que dans ce texte le fondement
de la nullité de la délibération infectée d’un abus de majorité.
(_) J. CALAIS-AULOY, L’abus de pouvoirs ou de fonctions en droit commercial français, in Travaux de l’Ass.
H. CAPITANT, L’abus de pouvoirs ou de fonctions, 1977, p. 221.
(_) J.-L. RIVES-LANGE, L’abus de majorité, précité ; M. JEANTIN, J.-Cl. Civil, articles 1382 à 1386, fasc.
131-3, 1984, n° 38.
(_) Y. CHARTIER, La réparation du préjudice, Dalloz, 1983, n° 376 ; M.-E. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur
la notion de réparation, Bibl. dr. priv. n° 135, LGDJ, 1974, n° 271 et s. ; adde, dans les ouvrages de droit des
obligations, H., L. et J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil, op. cit., n° 621 ; J. CARBONNIER,
Droit civil, t. 4, op. cit. ; n° 285 ; Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op.
cit., n° 850 ; L. CADIET et Ph. LE TOURNEAU, Droit de la responsabilité, op. cit., n° 1269 et s.
(_) L’expression est empruntée à Mlle le Professeur Viney (Traité de droit civil. Les obligations. La
responsabilité : effets, LGDJ, 1988, n° 45).
(_) M.-E. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur la notion de réparation, op. cit., n° 209.
(_) ex. cass com 30 mai 1980, précité ; cass com 22 janv. 1991, précité .
CXIV
Bien que le recours à ce texte ne fasse pas l'unanimité (612), il semble que seul l'article
235-1 soit susceptible de fonder une telle annulation.
Aux termes de cette disposition, « la nullité ... d’un acte modifiant les statuts ne peut
résulter que d’une disposition expresse du [livre du code de commerce relatif aux sociétés
commerciales] ou de celles qui régissent la nullité des contrats ; [...] ; la nullité d’actes ou
de délibérations autres que ceux prévus à l’alinéa précédent ne peut résulter que de la
violation d’une disposition impérative de [ce livre] ou de celles qui régissent les contrats ».
Or, l’abus de majorité est une création purement prétorienne. La loi n° 66-537 du 24
juillet 1966, puis le code de commerce, sont demeurés muets à son égard. Par conséquent, la
nullité d’une délibération viciée par ce grief ne pourra résulter que du droit commun des
contrats.
Certains auteurs ont considéré que, du fait de l’abus, la volonté sociale ne s’est pas
valablement formée. Par conséquent, la nullité est encourue sur le fondement de l’article 1108
du Code civil (613), l’abus de majorité étant assimilé à un vice du consentement. Mais cette
position ne convainc pas. En effet, en droit des contrats, le consentement ne peut être vicié
que dans trois cas : tout d’abord, lorsqu’il a été donné par erreur ; ensuite, lorsque cette erreur
est consécutive à un dol ; enfin, lorsque le consentement a été extorqué par la violence. Ces
hypothèses sont difficilement transposables à l’abus de majorité.
D’autres ont assimilé la notion à une fraude (614). En votant dans leur seul intérêt au
mépris de l’intérêt commun, les majoritaires ont eu en vue un but illicite. Or, la fraude se
définit comme un acte accompli dans le but d’éluder une disposition obligatoire, légale ou
contractuelle, ou les droits des tiers (615). La jurisprudence a volontiers fait appel à cette
notion pour annuler les délibérations entachées d’abus de majorité (616).
(_) G. KENGNE, Le rôle du juge en matière d'abus du droit de vote, Petites affiches 12 juin 2000 p. 10.
(_) J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 389.
(_) BEDARRIDE, Traité du dol et de la fraude en matière civile et commerciale, 4° éd., t. 3, 1856, n° 1058 et
1059, cité par Ch. CHOUCKROUN, Les droits des associés non gérants dans la société à responsabilité limitée,
Bibl. dr. priv. t. 3, LGDJ, 1957 p. 152.
(_) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° « fraude ».
(_) ex. CA Paris 31 juill. 1905, Journ. Sociétés 1906 p. 68 ; CA Paris 13 avr. 1934, Journ. Sociétés 1935 p. 168,
qui considère que « l’action, exercée par des actionnaires, en annulation d’une augmentation de capital entachée
d’un abus de droit, basée sur l’allégation d’une fraude concertée, constitue non pas une action sociale, mais une
action individuelle fondée sur la responsabilité délictuelle des administrateurs ».
CXV
Cette analyse encourt la critique, sur plusieurs plans. En second lieu, la notion de
fraude est étroitement liée au dol (617). Or, celui-ci suppose des manoeuvres, d’après l’article
1116 du Code civil lui-même, et l’abus de majorité n’implique pas de telles manipulations
(618). En second lieu, la sanction traditionnellement attachée à la fraude est l’inopposabilité et
non la nullité (619).
Un troisième courant doctrinal a proposé de rattacher l’annulation pour abus de
majorité à l’illicéité de la cause (620). Les partisans de cette approche raisonnent à partir de la
cause du vote de l’associé. Celle-ci réside dans la poursuite de l’intérêt social. Par
conséquence, seul le suffrage émis dans ce sens aura une cause licite. Dans le cas contraire, la
décision doit être annulée sur le fondement de l’article 1131 du Code civil. Mais, comme le
fait remarquer un adversaire de cette école (621), la cause du vote de l’associé réside dans la
formation de la volonté sociale, dans la prise de position sur le projet de résolution. Les
mobiles illicites traduisent un manquement à la bonne foi contractuelle, à l’affectio societatis.
Ils ne peuvent être pris en compte sur le terrain de la cause.
Deux auteurs, isolés à notre connaissance, ont récemment avancé une idée audacieuse
(622). L’abus de majorité devrait être sanctionné sur le plan de la cause dans l’exécution du
contrat (623). Une partie de la doctrine civiliste considère en effet que la cause de l’obligation
d’une partie ne réside pas dans celle de l’autre partie, mais dans l’exécution effective de cette
obligation. En conséquence, l’existence de la cause doit s’apprécier non seulement au moment
de la formation du contrat, mais encore pendant toute la durée de son exécution (624). Dès
(_) en ce sens, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction
générale, op. cit., n° 812.
(_) Ch. CHOUKROUN, Les droits des associés non gérants dans la société à responsabilité limitée, op. cit., p.
162 ; F. MASQUELIER, Le vote en droit privé, op. cit., n° 485 et s.
(_) J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction générale, op.
cit., n° 827 et s.
(_) G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p. 239 ; Cl. BERR, L’exercice du
pouvoir dans les sociétés commerciales, op. cit., n° 462.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 235.
(_) Ph. GOUTAY et Fr. DANOS, De l’abus de la notion d’intérêt social, précité.
(_) Sur l’ensemble de la question, A. CERMOLACCE, Cause et exécution du contrat, thèse Aix en Provence,
2000.
(_) H. CAPITANT, De la cause des obligations, 3° éd., Dalloz, 1927, n° 120 et s.. Parmi les auteurs modernes,
favorables à la prise en compte de la cause dans l’exécution du contrat, V. J. MESTRE, De la cause dans
l’exécution des contrats, RTD civ. 1987 p. 750 ; Ch. LARROUMET, Droit civil, op. cit., n° 472 ; B. STARCK,
H. ROLLAND et L. BOYER, Droit civil, t. 2, op. cit., n° 742 ; A. SERIAUX, Droit des obligations, op. cit., n°
56 ; contra, H. L. ET J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil, op. cit., n° 266 ; G. MARTY et P.
RAYNAUD, Les obligations, op. cit., n° 340 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, Les obligations », op. cit., n° 507
et s. ; M. FABRE-MAGNAN, Du recours contestable au concept de cause dans l’exécution du contrat, JCP 1995
I n° 3843. D’après les auteurs favorables à la notion, la cause dans l’exécution du contrat servirait de fondement
CXVI
lors, la prise en compte de la cause au stade de l’exécution du contrat est un moyen de
restaurer l’équilibre contractuel voulu initialement par les parties (625), une « garantie de
l’équité contractuelle » (626). La jurisprudence a parfois avalisé cette théorie (627).
Les partisans de l’extension de cette approche causaliste au droit des sociétés
raisonnent à partir de l’obligation de l’associé de réaliser un apport (628). La cause de cet
engagement réside dans la recherche de bénéfices. Or, du fait de l’abus de majorité, la
répartition sera forcément inégalitaire. Par conséquent, l’engagement de l’associé se trouve
privé de cause, au moment de l’exécution du contrat. Mais cette absence ne s’attache qu’à la
délibération viciée par l’abus ; elle n’est donc que partielle. Par conséquent, le contrat ne sera
pas annulé, seule la délibération le sera.
Pour séduisante qu’elle soit, cette analyse n’en présente pas moins certaines lacunes.
Tout d’abord, lorsqu’il est retenu par les juges, le défaut de cause dans l’exécution du
contrat n’est jamais sanctionné par la nullité (629). La construction proposée manque de
rigueur en ce qu’elle ne précise pas sur quel fondement textuel l’annulation de la résolution
doit être prononcée.
Ensuite, cette analyse ne peut être adaptée qu’aux délibérations relatives aux
distributions de bénéfices. Or la jurisprudence retient le grief d’abus de majorité à l’encontre
de décisions relatives à la nomination des mandataires sociaux (630), à des subventions à une
filiale en difficulté (631), ou à l’agrément d’un nouvel associé (632). Dès lors, on voit mal en
quoi ce type de décisions priverait de cause l'obligation fondamentale de l’associé d’effectuer
un apport.
Enfin, la cause de ce devoir ne semble pas être le droit aux bénéfices. Si tel était le cas,
une société qui priverait l’associé de toute participation aux gains encourrait la nullité, pour
à la résolution pour inexécution, à l'exceptio non adimpleti contractus et à la théorie des risques (H. CAPITANT,
De la cause des obligations, op. cit., n° 121 et s.)
(_) J. MESTRE, De la cause dans l’exécution des contrats, précité, selon lequel « une pincée de cause, confiée à
la sagesse des juges est encore le moyen le plus sûr car le plus objectif de préserver l’équilibre des relations
contractuelles ».
(_) A. CERMOLACCE, Cause et exécution du contrat, op. cit., n° 319 et s.
(_) ex. cass com 16 déc. 1986, RTD civ. 1987 p. 750, obs. J. MESTRE ; cass com 17 janv. 1995, JCP 1995 I n°
3843, obs. crit. M. FABRE-MAGNAN.
(_) Ph. GOUTAY et Fr. DANOS, De l’abus de la notion d’intérêt social, précité.
(_) ex. cass com 17 janv. 1995, précité. Pour une typologie des sanctions, V. A. CERMOLACCE, La cause dans
l’exécution des contrats, Mémoire DEA Droit privé, Aix en Provence, 1995, p. 34 et s., et la jurisprudence citée.
(_) ex. CA Paris 27 févr. 1997, précité ; cass com 30 mai 1980, précité.
(_) ex. cass com 29 mai 1972, précité.
(_) ex. cass com 21 janv. 1970, précité ; CA Paris 7 avr. 1995, D. 1995, inf. rap., p. 163, s’agissant de l’agrément
d’un nouvel associé d’une société civile immobilière ; Sur l’ensemble de la question, J.-Ph. DOM, L’abus de
refus d’agrément (à propos de CA Paris 7 avril 1995), RD bancaire et bourse, mai-juin 1996 p. 5.
CXVII
défaut de cause (633). Or, l’article 1844-1 de Code civil exclut cette sanction, seule la clause
léonine, qui réalise une telle spoliation, est réputée non écrite.
Se faisant l’écho de la doctrine contractualiste (634), M. le Professeur Le Cannu a
proposé de rattacher la sanction de l’abus de majorité aux articles 1833 du Code civil et 235-1
(635). En effet, ce dernier texte se borne à sanctionner les délibérations violant les « règles
qui régissent la nullité des contrats ». Or, on admet généralement (636) que cette disposition
vise aussi bien le droit commun des contrats que le droit commun des sociétés (637). Or,
l’article 1844-10, qui est la transposition en droit commun de l’article 235-1, sanctionne
expressément la violation de l’article 1833 par la nullité. Ce fondement est le seul qui soit
véritablement satisfaisant, en ce qu'il prend en compte les textes du droit des sociétés
concernant les nullités des délibérations d'assemblées, ainsi que la dimension contractuelle de
la société de manière non artificielle.
La jurisprudence, si elle fonde la plupart de ces décisions sur l’article 1382, abandonne
parfois ce texte. Ainsi, dans l'arrêt précité du 24 janvier 1995, la Cour de cassation a fondé sa
décision d’annulation d’un montage sur les articles L. 360 et L. 173 (actuellement art. 235-1
et art. 225-121 C. Com.) (638). Certes, ce dernier texte n’institue pas une cause générique de
nullité. De toutes les dispositions qu’il vise, seul l’article 225-96 (ancien art. L. 153) est relatif
au vote dans les assemblées, même s’il est muet sur la question de l’abus de majorité (639).
En conséquence, la Cour de cassation entend faire de cette forme de déloyauté une cause
d’irrégularité formelle des assemblées générales (640).
(_) en ce sens, G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p. 236.
(_) J. du GARREAU DE LA MECHENIE, Les droits propres de l’actionnaire, op. cit., n° 191.
(_) P. LE CANNU, obs. Defrénois 1991 p. 885, spéc. n° 10 et La sous filialisation abusive, précité. Cet auteur
est annotateur du Code des sociétés, édité par la société Dalloz. Fidèle à sa doctrine, il rend compte de la
jurisprudence développée en matière de vote déloyal sous l’article 1833. ; adde, C. PRIETO, La société
contractante, PUAM, 1994, préf. J. MESTRE, n° 236 ; D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société
anonyme, op. cit., n° 225 ; F. MASQUELIER, Le vote en droit privé, op. cit., n° 478 ; E. LEPOUTRE, La
sanction des abus de minorité et de majorité dans les sociétés commerciales, Dr. et patrimoine déc. 1995, p. 68.
(_) J.-P. LEGROS, La nullité des décisions de sociétés, Rev. Sociétés 1991 p. 275, spéc. n° 2.
(_) Article 1108 du Code civil, pour le droit commun des contrats, et articles 1832 et s. du même Code pour le
droit commun des sociétés.
(_) Aux termes de cette disposition, « les délibérations prises par les assemblées en violation des articles 225-96
[ancien art. L. 153], 225-97 [ancien art. L.154], 225-98 [ancien art. L. 155], 225-99 [ancien art. L. 156], alinéas 3
et 4, 225-100 [ancien art. L. 157], alinéa 2, 225-105 [ancien art. L. 160] et 225-114 [ancien art. L. 167], sont
nulles ».
(_) en ce sens, P. LE CANNU, La sous filialisation abusive, précité, spéc. n° 20.
(_) en ce sens, I. KRIMMER, D. 1998 p. 64 - V. déjà, cass com 6 juin 1990 : « l’abus commis dans l’exercice du
droit de vote affecte par lui-même la régularité des délibérations de cette assemblée ».
CXVIII
Quel que soit le texte retenu pour fonder la nullité, le juge doit prononcer cette
sanction, s’il constate l’abus. Mais le principe de non-immixtion dans les affaires sociales lui
interdit de prendre lui même la décision. En d’autres termes, il ne peut directement aller à
l’encontre de ce qu’à voulu la majorité des associés. Il ne peut qu’annuler la délibération qui
ne respecterait pas les finalités du contrat de société (641). L’« arrêt valant vote » est prohibé.
Le fondement contractuel retenu pour l'annulation des délibérations sociales viciées
par un abus de majorité n'est pas sans conséquences.
b- La mise en oeuvre de la nullité
Le problème de savoir quel fondement retenir pour l’annulation de la décision viciée
par un abus de majorité n’est pas sans incidence pratique, notamment au regard de la
prescription de l’action. M. le Professeur Schmidt a ainsi estimé qu’elle échappait à la
prescription triennale prévue par l’article L. 367 (actuellement art. 235-9 C. Com.) (642). En
effet, puisque la nullité de la délibération est fondée sur le principe de la réparation adéquate,
elle demeure étrangère aux dispositions régissant la nullité des décisions sociales. Au
contraire, en tant qu’application des règles de la responsabilité civile, l’action sera soumise à
la prescription de droit commun.
D’autres estiment, à l’inverse, qu’il y lieu de soumettre la prescription de l’action aux
dispositions de l’article 235-9 du code de commerce, l’annulation ne pouvant être fondée que
sur l’article 235-1 (643).
La jurisprudence ne semble pas s’être prononcée directement. La cour de Versailles a
cependant semblé appliquer l'article 235-9 à une demande formulée par un minoritaire plus de
trois ans après la délibération (644).
La question se pose également de savoir qui peut demander la nullité. S’agit-il de
chaque associé, y compris celui ayant émis un vote favorable à la décision critiquée, ou
seulement d’un associé victime de l’abus ?
(_) Trib. com. Paris, réf., 12 févr. 1991, Bull. Joly 1991, p. 592, note M. JEANTIN ; dans le même sens, Trib.
com. Paris 18 févr. 1993, JCP éd. E 1993 I n° 250, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN. - comp., cass com
12 mai 1987, Bull. Joly 1987 p. 505, obs. P. LE CANNU.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 245.
(_) J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 389 ; J.-L. RIVES-LANGE,
L’abus de majorité, précité.
(_) CA Versailles 1er févr. 2001, RJDA 2001 n° 693.
CXIX
On a pu estimer que seul le minoritaire lésé pouvait exercer l’action. Autrement dit, il
s’agirait d’une nullité relative, susceptible de confirmation (645).
Une autre partie de la doctrine, a adopté une thèse opposée, arguant du caractère
absolu de la nullité (646). Cette position ne convainc pas. En effet, si la nullité était absolue,
l’action pourrait être intentée par tout intéressé, notamment par un créancier de la société. Or,
il leur est traditionnellement refusé d’agir en abus de majorité (647). De la même manière,
tant le caractère relatif de la nullité que l'absence d'intérêt pour agir interdisent aux salariés de
demander l'annulation d'une résolution entachée d'abus de majorité (648).
La Cour de cassation a d’ailleurs implicitement opté en faveur de la nullité relative,
dans un arrêt rendu le 4 mars 1993 (649). En l’occurrence, la Haute juridiction reproche aux
juges du fond de n’avoir pas caractérisé la « volonté des minoritaires au moment de l’acte ».
En d’autres termes, la Cour d’appel aurait du rechercher si les demandeurs n’avaient pas émis
un vote favorable à la décision critiquée. En conséquence, la Chambre commerciale laisse
entendre qu’une telle approbation interdit de demander ultérieurement l’annulation de la
délibération (650).
Il convient toutefois de réserver le cas où les associés minoritaires découvrent
ultérieurement à cette approbation des éléments permettant d’établir l’abus de majorité (651).
Par ailleurs, un associé qui aurait acquis cette qualité postérieurement à l’adoption de
la délibération litigieuse serait recevable à agir (652). Non seulement aucun texte n’impose au
demandeur en annulation d’être associés au moment des faits critiqués, mais on peut
considérer que le droit d’agir en justice est un accessoire du titre, transmis en même temps
que lui.
La jurisprudence récente ouvre l’action en annulation pour abus de majorité à la
société elle-même, agissant par l’intermédiaire de son dirigeant (653). Bien que cette situation
(_) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 2383 ; M. JEANTIN, Droit des sociétés, op. cit., n°
553 ; J.-L. RIVES-LANGE, L’abus de majorité, précité.
(_) Ch. HANNOUN, Remarques sur la prescription de l’action en nullité en droit des sociétés, Rev. Sociétés
1991 p. 45.
(_) J.-P. BERTREL, La gestion de trésorerie au sein des groupes de sociétés, précité ; sur l’ensemble de la
question, I. BON-GARCIN, Les créanciers face aux crises politiques des sociétés, Rev. Sociétés 1994 p. 649.
(_) Rappr., en ce sens, Th. BONNEAU, Le droit d'information et de critique, in M. BUY (sous la direction de),
Les salariés et les opérations sociétaires, PUAM, 1996, p. 27, spéc. n° 18.
(_) cass com 4 mars 1993, Bull. Joly 1993 p. 754, obs. P. LE CANNU – comp. CA Versailles 20 mai 1999,
BRDA 2/2000 p. 6.
(_) en ce sens, P. LE CANNU, Bull. Joly 1993 p. 754.
(_) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., loc. cit.
(_) cass com 4 juill. 1995, D. 1996 p. 186, note J.-C. HALLOUIN.
(_) cass com 21 janv. 1997, précité.
CXX
ne soit guère concevable que dans l’hypothèse d’un changement de majorité (654), certains
auteurs ont réservé un accueil favorable à cette nouvelle orientation (655). L’abus de majorité
ne vise pas seulement à protéger la minorité, mais aussi la société toute entière. D’ailleurs, un
auteur a considéré que l’associé minoritaire qui a voté en faveur de la décision pourrait la
critiquer ultérieurement, en s’appuyant sur cette nouvelle jurisprudence ( 656). Selon lui,
puisque l’action est ouverte à la société, la nullité est absolue, non susceptible de
confirmation.
Mais la solution donnée par l’arrêt du 21 janvier 1997 est de nature à compromettre la
sécurité juridique (657). Il suffit d’imaginer des anciens minoritaires, qui auraient approuvé la
délibération, et qui la contesteraient, un fois devenus majoritaires, au nom de la société...
Il reste à envisager le cas où la résolution viciée par un abus de majorité profiterait à
un tiers de bonne foi, dans l’ignorance de la déloyauté des associés. La décision est-elle
annulable ? La doctrine répond par la négative (658). Les tiers n’étant pas à même d’apprécier
la légitimité des mobiles ayant animé les majoritaires, la seule réparation concevable dans
cette hypothèse est l’octroi de dommages et intérêts aux minoritaires.
Bien que posant un certain nombre de problèmes, notamment concernant son
fondement juridique, les sanctions de l'abus de majorité sont relativement efficaces et les
solutions en la matière bien fixées. Il n'en va pas de même pour l'abus de minorité.
§2- La sanction de l’abus de minorité
La difficulté de sanctionner efficacement l’abus de minorité provient de l’absence de
décision à annuler. En effet, contrairement au cas d’abus de majorité, l’obstruction des
associés minoritaires a empêché l’adoption d’une résolution. Mais il convient de réserver
l’hypothèse dite du « vote surprise ». En effet, dans cette situation, les minoritaires tirent
(_) B. SAINTOURENS, Rev. Sociétés 1997 p. 529.
(_) Fr.-X. LUCAS, JCP 1997 II n° 22960 ; J.-J. DAIGRE, JCP éd. E II n° 965.
(_) P. LE CANNU, Bull. Joly 1997 p. 968 – rappr. CA Versailles 20 mai 1999, précité.
(_) B. SAINTOURENS, Rev. Sociétés 1997 p. 529.
(_) D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme », op. cit., n° 246 ; J. du GARREAU DE
LA MECHENIE, Les droits propres de l’actionnaire, op. cit., p. 232 ; J.-L. RIVES-LANGE, L’abus de majorité,
précité ; J. HAMEL, La protection des minorités dans les sociétés par actions, précité ; R. DAVID, Le caractère
social du droit de vote, précité ; plus nuancé, Cl. BERR, L’exercice du pouvoir dans les sociétés commerciales,
op. cit., n° 474.
CXXI
profit de l’absence temporaire des majoritaires (659) ou de la perte de leurs droits sociaux
(660) pour provoquer le vote d’une décision à leur avantage. La situation est en définitive
analogue à l’abus de majorité, la seule différence tient aux instigateurs ( 661 ). En
conséquence, le « vote surprise » sera soumis au même contrôle que la déloyauté des
majoritaires. La résolution sera donc annulée (662).
Hormis ce cas, la principale question est de savoir si le juge peut prendre une décision
valant acte (A). Néanmoins, d’autres sanctions sont concevables (B).
A. La question du jugement valant acte
Bien que la thèse du jugement valant acte soit parfaitement fondée en droit, la nature
contractuelle du droit de suffrage autorisant son accueil (a), la Cour de cassation s'est montrée
frileuse et a refusé de tirer les conséquences de la similitude entre abus de majorité et de
minorité, qui justifie une même sévérité dans les sanctions (b).
a- Une sanction fondée
Les auteurs hostiles au jugement valant acte font traditionnellement valoir plusieurs
arguments, tirés de la nature essentiellement contractuelle de la société (663).
Tout d’abord, ils invoquent l’article 1142 du Code civil. En disposant que « toute
obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution
de la part du débiteur », ce texte empêcherait toute exécution forcée. Par conséquent, la seule
sanction concevable est l’allocation de dommages et intérêts par les minoritaires fautifs (664).
Ce raisonnement n’est pas convaincant, en ce qu’il n’est pas conforme à l’interprétation
contemporaine de l’article 1142. En effet, ce texte apparaît bien plus comme une exception
que comme un principe (665).
(_) cass com 19 janv. 1959, D. 1959 p. 260.
(_) CA Riom 1er déc. 1972, D. 1973 p. 282, note J.-C. BOUSQUET. En l’occurrence, la Cour d’appel rejette
une demande de nomination, formée par les associés minoritaires, d’un mandataire de justice chargé de
convoquer une assemblée, suite à la disparition des actions appartenant au majoritaire.
(_) E. GAILLARD, Le pouvoir en droit privé, op. cit., n° 228 ; C. RUELLAN, La loi de la majorité dans les
sociétés commerciales, op. cit., n° 583.
(_) cass com 19 janv. 1959, précité.
(_) J.-Fr. BARBIERI, JCP 1992 II n° 21944.
(_) P. LE CANNU, L’abus de minorité, précité.
(_) sur cette question, infra.
CXXII
Certes, l’article 1142 fait obstacle à l’exécution en nature des obligations dont la
nature est « irréductiblement individuelle » (666). Mais le droit de vote dans les sociétés
civiles et commerciales, eu égard au but lucratif poursuivi, a perdu ce caractère (667).
Au demeurant, on pourrait invoquer un autre texte, en faveur de l’arrêt valant vote :
l’article 1144 du Code civil, aux termes duquel « le créancier peut aussi, en cas
d’inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l’obligation au dépens du débiteur »
(668). En effet, en adoptant une analyse contractuelle de la société, on peut considérer que
chaque associé est à la fois débiteur, quant à son apport, et créancier de la collectivité (669).
Or, le minoritaire, comme tout membre de la société, est tenu d’un devoir général de bonne
foi, qui l’oblige à se soumettre aux décisions de la majorité conformes à l’intérêt commun
(670). Dès lors, en commettant un abus de minorité, il contrevient à son engagement. Son
créancier, s’il ne peut le contraindre à s’exécuter, peut « être autorisé à exécuter lui-même
l’engagement », conformément à l’article 1144. Cette autorisation va conduire à la
neutralisation du comportement obstructeur de l’associé minoritaire. Celle-ci ne peut consister
qu’en la prise de la décision par le juge.
D’ailleurs, en matière contractuelle, la technique du jugement valant acte est
fréquemment utilisée. On en veut pour preuve la jurisprudence relative à l’exécution forcée
d’une promesse synallagmatique de vente ( 671 ). Ce contrat est celui par lequel deux
personnes s’engagent, réciproquement et définitivement, l’une à vendre, l’autre à acheter, un
bien déterminé, la réalisation finale de la vente étant subordonnée à la passation d’un acte
authentique (672). Si l’une des parties refuse de le signer, l’autre peut en obtenir l’exécution
forcée, le jugement tenant lieu d’acte de vente (673).
Certes, on a pu faire valoir que cette hypothèse était bien différente de celle d’un abus
de minorité. En effet, dans la promesse synallagmatique de vente, le juge peut se substituer au
contractant défaillant parce qu’il existe un engagement préalable alors que rien de tel n’existe
en matière sociétaire (674). Il est vrai qu’à l’instar de Ripert, on peut difficilement soutenir
(_) G. VINEY, Traité de droit civil. Les obligations. La responsabilité : effets, op. cit., n° 36.
(_) A. VIANDIER, JCP éd. E 1992 n° 301.
(_) rappr. P. LE CANNU, Le minoritaire inerte (observations sous l’arrêt Flandin), précité, spéc. n° 14.
(_) Ph. GOUTAY et F. DANOS, De l’abus de la notion d’intérêt social, précité.
(_) B. GRANGER, La nature juridique des rapports entre actionnaires et commissaires chargés du contrôle dans
les sociétés par actions, op. cit., n° 110.
(_) Sur l’ensemble de la question, J. GHESTIN et B. DESCHE, Traité des contrats. La vente, LGDJ, 1990, n°
158 et s. ; Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 186.
(_) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° « promesse synallagmatique de contrat ».
(_) ex. cass civ 3ème 20 déc. 1994, D. 1996, somm. p. 9, obs. O. TOURNAFOND.
(_) Fr. TERRE, débat consécutif à l’intervention de M. le Professeur Merle, RJ com nov. 1991, La loi de la
majorité ; Y. PACLOT, JCP1993 II n° 22107.
CXXIII
que l’associé, en signant les statuts, a consenti à l’avance aux décisions majoritaires. En effet,
« il n’y a contrat que si l’objet du contrat est déterminé. La volonté individuelle ne vaut
consentement que si elle s’applique à cet objet déterminé, elle n’a de valeur juridique que si
elle est donnée pour une cause déterminée. Un consentement donné à l’avance à un acte que
l’on ne peut connaître ni dans son objet, ni dans sa cause n’est pas susceptible de créer l’acte
juridique » (675). Cependant, on l’a vu, du fait de la signature des statuts, l’associé s’oblige à
se soumettre aux futures décisions, il n’est pas présumé y avoir consenti par anticipation. En
d’autres termes, la soumission ne résulte pas d’un consentement préalable mais d’une
obligation. Le refus de voter en faveur d’une décision conforme à l’intérêt commun constitue
la violation d’une obligation contractuelle.
Par conséquent, il y a bien engagement préexistant de la part de l’associé minoritaire,
ce qui rend possible l’analogie avec l’exécution forcée d’une promesse synallagmatique de
vente.
On le voit, l’analyse contractuelle de la société n’est nullement un obstacle à
l’adoption judiciaire d’une délibération. D’ailleurs, la jurisprudence allemande, depuis un
arrêt rendu par le Bundesgerichsof le 28 avril 1975 (676), n’hésite pas à consacrer la thèse du
jugement valant acte, en la rattachant au devoir de bonne foi qui régit l’exécution des contrats.
D’autres auteurs fondent la possibilité pour le juge de rendre un arrêt valant acte sur le
principe de la réparation adéquate ( 677 ). En mésusant de son droit de vote, l’associé
minoritaire commet une faute, il engage sa responsabilité. Le juge peut prononcer la sanction
la mieux à même de réparer le préjudice subi par ses coassociés. En la matière, celle-ci
consiste à considérer que le jugement rendu tiendra lieu de délibération.
Ces arguments en faveur de la décision valant acte n'ont cependant pas convaincu la
Cour de cassation.
b- Une sanction rejetée par la Cour de cassation
Un arrêt Flandin (2) a, semble-t-il, fixé la jurisprudence. Il fait suite à une longue
évolution (1).
(_) G. RIPERT, La loi de la majorité dans le droit privé , Mélanges Sugiyama, 1940, p. 351.
(_) cité par J. MESTRE, Rapport de synthèse, précité.
(_) Ph. MERLE, L’abus de minorité, précité ; M. BOIZARD, L’abus de minorité, précité.
CXXIV
1. L’évolution
Certaines juridictions du fond s’étaient engagées sur la voie du jugement valant acte
(678). Ces tribunaux considéraient en effet que, dès lors que l’abus est constaté, le juge doit
prendre la décision la mieux à même de satisfaire l’intérêt social, en l’occurrence celle valant
adoption de la délibération.
Une réponse ministérielle avait cependant retenu la solution inverse, en matière de
prorogation, au nom du caractère contractuel de la société (679). L’argument n’emporte pas la
conviction, cette nature n’étant, on l’a vu, nullement un obstacle à l’adoption forcée des
délibérations.
Cette position administrative était cependant en phase avec la jurisprudence
dominante, qui ne sanctionnait l’abus de minorité que par l’allocation de dommages et intérêts
(680).
La doctrine était pour sa part largement divisée sur la question ( 681). Outre les
arguments tirés de la nature contractuelle de la société, les adversaires de la thèse du jugement
valant acte invoquaient à l’appui de leur position deux raisons d’opportunité essentielles.
Ils invoquaient tout d’abord la trop forte immixtion du juge dans la vie de la société, à
laquelle conduirait inexorablement la thèse de la décision valant acte (682). Ce motif ne
convainc pas. En effet, l’ingérence du juge n’est-elle pas plus grande lorsqu’il constate l’abus
que lorsqu’il choisit la sanction la plus adéquate ? En considérant que sa décision vaut
adoption de la délibération, le juge ne fait que tirer les conséquences de ses constatations.
(_) Trib. com. Pointe-à-Pitre 9 janv. 1987, Rev. Sociétés 1987 p. 285, obs. Y. GUYON ; CA Lyon 25 avr. 1987,
RTD com. 1988 p. 70, obs. Y. REINHARD.
(_) Rép. Min. BOUVIER 25 juill. 1985, J.-O. Sénat Q. 19 sept. 1985 p. 1764.
(_) CA Dijon 16 nov. 1983, D. 1984, inf. rap. p. 394, obs. J.-C. BOUSQUET et V. SELINSKY, Gaz. Pal. 1983,
2, p. 740, note APS ; Grandes décisions, n° 12 p.52, note Y. CHARTIER et J. MESTRE (l’arrêt est rendu en
matière d’abus d’égalité mais sa solution est transposable en matière d’abus de minorité) ; CA Lyon 20 déc.
1984, D. 1986 p. 506, note Y. REINHARD ; adde, CA Besançon 5 juin 1957, précité.
(_) V. en faveur de la décision valant acte, J. MESTRE, Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des
sociétés, précité ; Ph. MERLE, L’abus de minorité, précité ; M. BOIZARD, L’abus de minorité, précité ; contra,
Ch. CHOUCKROUN, Les droits des associés non gérants dans les sociétés à responsabilité limitée, op. cit., p.
157; J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 390 ; M. de JUGLART et B.
IPPOLITO, Traité de droit commercial, op. cit., n° 781-7 qui invoquent le caractère préventif de l’octroi des
dommages et intérêts ; P. LE CANNU, L’abus de minorité, précité ; D. VIDAL, note sous CA Lyon 20 déc.
1984 et CA Paris 18 déc. 1985, précité.
(_) J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., loc. cit. ; adde, Fr. TERRE, débat
consécutif à l’intervention de M. le Professeur Merle, précité.
CXXV
C’est en ne retenant l’abus de minorité que dans des cas exceptionnels que le juge
s’abstiendra de s’immiscer dans les affaires sociales (683).
De même, l’abus de minorité n’est qu’un aspect de l’abus du droit de vote, l’autre
étant l’abus de majorité. Or, le juge n’hésite pas à annuler des décisions contraires à l’intérêt
social sur ce fondement. Comme l’a fort justement fait remarquer un auteur (684), même si
l’adoption forcée peut sembler plus spectaculaire que l’annulation d’une décision sur le
fondement de l’abus de majorité, « il est tout aussi grave d’annuler une délibération adoptée
par les majoritaires que d’imposer une décision rejetée par le fait des minoritaires ».
Les adversaires de l’adoption forcée des délibérations faisaient également valoir, à
l’appui de leur position, le rejet par la Commission Pleven de réforme du droit des sociétés de
ce type de sanction, au nom de la crainte d’un gouvernement des juges (685). En réalité, ce
rejet s’explique par la volonté du législateur de confier au juge le soin de choisir lui même la
sanction la mieux adaptée. C’est également la raison pour laquelle la loi du 24 juillet 1966,
puis le code de commerce, n'ont pas abordé l’abus de majorité, laissant à la jurisprudence le
soin de continuer sa construction de la théorie.
Cependant, la Cour de cassation ne s’était pas encore prononcée sur la question de
l'arrêt valant vote.
Le 14 janvier 1992, elle avait paru opter en faveur de l’adoption forcée des
délibérations (686). En l’espèce, des associés minoritaires, hostiles à une augmentation de
capital envisagée par l’équipe dirigeante, s’y opposèrent. En conséquence, la société invoqua
l’abus de minorité et demanda l’autorisation de réaliser l’augmentation projetée. La Cour
d’appel de Paris (687), tout en retenant l’abus, refusa aux associés majoritaires la possibilité
de passer outre au refus des minoritaires, et, en conséquence, condamna ces derniers à l’octroi
de dommages et intérêts. Mais cet arrêt est censuré, sous le visa de l’article 1382 du Code
civil, en ces termes « hormis l’allocation de dommages et intérêts, il existe d’autres solutions
permettant la prise en compte de l’intérêt social ». La plupart des auteurs ont vu dans
(_) En ce sens, Ph. MERLE, L’abus de minorité, précité.
(_) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1275.
(_) Citée par J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., loc. cit.
(_) cass com 14 janv. 1992, Vitama, Rev. Sociétés 1992 p. 44, note Ph. MERLE ; JCP éd. E 1992 II n° 301, note
A. VIANDIER ; D. 1992 p. 337, note J.-C. BOUSQUET ; Bull. Joly 1992 p. 273, note P. LE CANNU ; Petites
affiches, 3 juill. 1992 p. 31, note D. GIBIRILA ; Grands arrêts du droit des affaires, n° 44 p. 432, note J.
MESTRE.
(_) CA Paris 26 janv. 1990, Rev. Sociétés 1990 p. 292, obs. Y. GUYON ; JCP éd. E 1990 I n°19613, obs. A.
VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.
CXXVI
l’emploi de cette formule la consécration implicite de la théorie de l’arrêt valant vote (688).
Par le visa de l’article 1382, la Cour suprême rattachait l’abus de minorité à la responsabilité
civile, donc au principe de réparation adéquate.
D’autres sanctions étaient au demeurant envisageables, telles la condamnation de
l’associé minoritaire sous astreinte à voter dans le sens dicté par l’intérêt social, ou la
nomination d’un mandataire ad-hoc chargé de voter en lieu et place des minoritaires, ou
l’exclusion des associés fautifs (689) ; un auteur a également proposé la neutralisation pure et
simple de leur vote dans le calcul du quorum (690). Un autre a vu dans la formule utilisée par
la Haute Juridiction une invite à moduler la sanction en fonction de l’atteinte portée à l’intérêt
social (691).
La Chambre commerciale ne devait pas tarder à éclairer la formule sibylline utilisée
dans son arrêt Vitama. Elle décida tout d’abord que, même établi, l’abus de minorité ne rend
pas valable une décision nulle (692).
En l’occurrence, une associée minoritaire de SARL demandait l’annulation de la
décision de transformation de la société en société anonyme. Les associés invoquaient
l’absence systématique de la demanderesse aux assemblées générales, constitutive selon eux
d’un abus de minorité. La Cour d’appel de Limoges (693) retint l’abus et rejeta la demande
d’annulation. Cependant, la Cour de cassation censura cette décision au motif que « la
transformation d’une société à responsabilité en société anonyme et l’abus de ses droits par
l’associé minoritaire, à le supposer établi, n’était pas susceptible d’entraîner la validité de la
décision irrégulière ». En d’autres termes, l’abus de minorité ne permet pas d’éluder les
règles impératives qui régissent le fonctionnement des assemblées générales (694).
Cet arrêt était susceptible de deux interprétations (695).
Il pouvait, dans une première approche, être regardé comme interdisant seulement aux
associés majoritaires de passer outre au refus des minoritaires et de considérer eux-mêmes la
décision comme adoptée. Autrement dit, dans cette optique, les associés majoritaires devaient
(_) J.-C. BOUSQUET, D. 1992 p. 337 ; Ph. MERLE, Rev. Sociétés 1992 p. 44.
(_) A. VIANDIER, JCP éd. E 1992 II n° 301 ; D. GIBIRILA, Petites affiches, 3 juill. 1992 p. 31.
(_) D. SCHMIDT, débat consécutif à l’intervention de M. le Professeur Merle, précité.
(_) P. LE CANNU, Bull. Joly 1992 p. 273 - adde, favorable à une sanction prononcée in concreto, E.
LEPOUTRE, Les sanctions des abus de minorité et de majorité dans les sociétés commerciales, précité, spéc. n°
20.
(_) cass com 15 juill. 1992, Six, précité.
(_) CA Limoges 23 avr. 1990, Dr. Sociétés 1990 n° 367.
(_) M.-Ch. PINIOT, La situation des associés minoritaires dans la jurisprudence récente de la Chambre
commerciale, Rapport de la Cour de cassation 1993 p. 107.
(_) Ph. MERLE, Rev. Sociétés 1993 p. 400 ; Y. GUYON, JCP éd. E 1992 II n° 375 ; P. LE CANNU, Bull. Joly
1992 p. 1083 ; contra, H. LE DIASCORN, D. 1993 p. 279.
CXXVII
prendre acte de l’obstruction, s’adresser au juge pour qu’il constate l’abus de minorité et
prenne la décision lui même, en prononçant l’adoption de la délibération bloquée par l’associé
minoritaire fautif (696).
Au contraire, selon une seconde interprétation, l’arrêt Six condamnait implicitement
toute décision valant vote. C’est cette voie qu’a empruntée la Chambre commerciale dans son
arrêt Flandin du 9 mars 1993 (697).
2. La solution de l’arrêt Flandin
En l’espèce, à la suite de la loi du 1er mars 1984 qui portait à 50.000 francs le capital
minimum d’une SARL, un gérant avait proposé une augmentation de capital pour se
conformer aux prescriptions légales, qui ne put être adoptée à cause de l’absence de deux
associés. Il proposa ultérieurement de porter le capital de la société à 500.000 francs mais se
heurta au même obstacle. Saisie du litige, la Cour d’appel de Pau (698) qualifia l’absence des
deux associés d’abus de minorité et, tirant ainsi les conséquences de cette qualification, décida
que son arrêt valait adoption de la délibération bloquée du fait de cet abus, conformément au
principe de la réparation adéquate. Ce raisonnement n’a pas trouvé grâce auprès de la
Chambre commerciale, tant au regard de la qualification adoptée que de la sanction retenue :
« le juge ne peut se substituer aux organes sociaux légalement compétents et décider que sa
décision vaut adoption de la résolution tendant à une augmentation de capital, qui n’a pu être
votée faute de majorité qualifiée. Il lui est possible de désigner un mandataire aux fins de
représenter les associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et de voter en leur
nom dans le sens des décisions conformes à l’intérêt social mais ne portant pas atteinte à
l’intérêt légitime des minoritaires ».
Cette solution obéit à deux considérations (699). D’une part, le législateur de 1966 a
délibérément exclu la sanction du jugement valant acte, en rejetant un amendement qui la
prévoyait. Dès lors, en prononçant néanmoins l’adoption forcée de la délibération, le juge
statuerait contra legem ; au demeurant, son rôle n’est pas d’être dirigeant de société, ce qu’il
ne manquerait de devenir s’il se substituait aux associés dans la prise de décisions (700).
(_) Pour une critique de cette sanction, V. J.-Fr. BARBIERI, JCP 1992 II n° 21944, selon lequel le rejet de
l’action en nullité intentée dans cette hypothèse par des associés minoritaires reviendrait à donner à la majorité le
droit d’éluder toutes les règles impératives de quorum et de majorité.
(_) cass com 9 mars 1993, Flandin, précité.
(_) CA Pau 22 avr. 1991, précité.
(_) M. REYNAUD, RJDA 1993 p. 253, spéc. n° 12 et s.
(_) Dans le même sens, Fr. TERRE, débat consécutif à l’intervention de M. le Professeur Merle, précité.
CXXVIII
Mais d’autre part, puisque l’adoption forcée de la délibération avait le mérite de
l’efficacité, contrairement aux autres sanctions envisageables (701), le juge peut intervenir de
manière indirecte, par l’intermédiaire d’un mandataire ad-hoc.
Même si elle rend en apparence à l’assemblée, organe souverain de la société, le
pouvoir de décision (702), cette solution manque de franchise. En effet, par la nomination du
mandataire ad-hoc, le juge élude le comportement obstructeur des associés minoritaires, qui
ne tireront aucun profit de leur attitude. Dans ces conditions, ne serait-il pas moins hypocrite
et plus rapide que le juge prît la décision lui-même (703) ?
Au demeurant, outre les difficultés pratiques suscitées par la nomination (704), la
formulation même de l’arrêt laisse subsister quelques interrogations.
En premier lieu, le mandataire doit voter en lieu et place des associés minoritaires
défaillants. Dès lors, la question est de savoir s’il se substitue également aux associés
présents mais qui s’abstiennent ou émettent un vote défavorable. De l’avis général, il semble
qu’il faille donner une réponse affirmative (705) ; il y a donc lieu de tenir le vote émis par le
minoritaire fautif pour nul et de procéder à une nouvelle assemblée. C'est d'ailleurs cette thèse
qu'a retenue la jurisprudence ultérieure (706) Toutefois, le minoritaire évincé conserve la
possibilité d’assister à l’assemblée générale et d’y émettre des observations (707).
(_) Les dommages et intérêts sont inefficaces puisque, n’intervenant qu’ a posteriori, ils ne favorisent pas le
déblocage de la situation. La dissolution de la société, sur le fondement de l’article 1844–7, 5° du Code civil,
même si elle est conforme à l’esprit du contrat de société, n’est envisageable qu’en dernier recours : la tendance
actuelle du droit est bien plus de favoriser la pérennité de la société que d’accélérer sa disparition.
(_) M.-Ch. PINIOT, La situation des associés minoritaires dans la jurisprudence récente de la Chambre
commerciale », précité ; dans le même sens, J. BONNARD, Gaz. Pal. 1993,2 , p. 334, pour lequel cette solution
laisse également intact le caractère personnel du droit de vote, le mandataire votant au nom de l’associé
(_) C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n° 237 et s. ; F. MASQUELIER, Le vote en droit
privé, op. cit., n° 654 ; B. FAGES, Le comportement du contractant, op. cit., n° 680 - adde, Fr. -X. LUCAS, La
réparation du préjudice causé par un abus de minorité en droit des sociétés, précité, spéc. n° 11 et s. Cet auteur
est hostile à la technique de l’arrêt valant vote et voit dans le recours au mandataire ad-hoc un procédé hypocrite
aboutissant à la même solution – contra, D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit.,
n° 278 et s.
(_) Comme le souligne M. le Professeur Merle, le contentieux risque de se multiplier. On peut en effet imaginer
un recours formé contre la décision de nomination du mandataire, un recours en annulation de la résolution
adoptée avec le concours de ce dernier... (Rev. Sociétés 1993 p. 403)
(_)Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 456 ; C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n°
226 ; Ph. MERLE, Rev. Sociétés 1993 p. 403, qui justifie sa position par les problèmes insolubles que poserait
une distinction entre les associés ; A. VIANDIER, JCP éd. E 1993 II n° 448 ; plus nuancés : Ph. REIGNE, RF
compt. juin 1993 p. 86 ; D. TRICOT, Abus de droits dans les sociétés. Abus de majorité et abus de minorité,
précité.
(_) cass com 5 mai 1998, JCP éd. E. 1998 p. 1303, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; Bull. Joly 1998 p.
755, note L. GODON ; Dr. Sociétés 1998 n° 129, obs. D. VIDAL ; Rev. Sociétés 1999 p. 344, note M.
BOIZARD ; RD bancaire et bourse 1998 nov.-déc. 1998, Ingénierie patrimoniale, p. 15, obs. F.-X. LUCAS ; CA
Rouen 13 juin 2000, RJDA 2001 n° 34 ; CA Basse-Terre 10 avr. 2000, Dr. Sociétés 2001 n° 1, obs. D. VIDAL ;
RJDA 2000 n° 694.
(_) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1275 ; P. LE CANNU, Le minoritaire inerte
(Observations sous l’arrêt Flandin), précité, spéc. n° 14.
CXXIX
La notion de défaillance est elle-même floue : à partir de quel moment faudra-t-il
considérer l’associé minoritaire comme défaillant (708).
En second lieu se pose la question de la fixation préalable du sens du vote du
mandataire. A première vue, le mandat impératif semble exclu, le vote devant être émis
seulement « dans un sens conforme à l’intérêt social et ne portant pas atteinte à l’intérêt
légitime des minoritaires » (709). On peut s’interroger sur la nature exacte de cet intérêt
légitime. Par exemple, en matière d’augmentation de capital, l’intérêt légitime des
minoritaires pourra résider dans le souci d’éviter une dilution de leur participation (710).
Mais, dans ces conditions, si la mesure projetée attentait aux droits des minoritaires, leur
opposition n’aurait pas été abusive.
Autrement dit, force est de constater que le mandataire ad-hoc n’aura guère d’autre
choix que de voter en faveur de l’adoption de la résolution. En effet, soit on considère que la
décision projetée portait atteinte à l’intérêt des minoritaires et la nomination du mandataire
n’avait pas lieu d’être, le refus de ces derniers n’étant pas abusif ; soit on estime, à l’inverse,
que la résolution ne leur nuisait pas et l’obstruction était fautive, l’abus guidant le vote du
mandataire. Dans ces conditions, le juge n’aurait-il pas pu éviter cette ellipse, destinée
uniquement à sauver les apparences, et considérer que la décision constatant l’abus valait
adoption de la délibération (711) ?
En définitive, comme le fait observer un auteur, l’arrêt Flandin pose plus de questions
qu’il n’en résout (712).
Néanmoins, la voie du jugement valant adoption de la délibération n’est pas
complètement délaissée par la jurisprudence. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a-t-elle décidé,
peu après l’arrêt Flandin, que « s’il n’appartient au juge de se substituer aux organes sociaux
pour décider des options fondamentales d’une société, il lui incombe, après avoir caractérisé
un abus, de prendre la mesure propre à y remédier en conformité avec l’intérêt social qui doit
prévaloir sur les intérêts contradictoires des groupes d’actionnaires ; en présence d’un
(_) Ph. MERLE, Rev. Sociétés 1993 p. 403.
(_) Y. PACLOT, JCP 1993 II n° 22107 ; Y. GUYON, D. 1993 p. 363.
(_) J.-P. BERTREL, Abus de minorité et intérêt légitime, Les Echos, 10 mai 1993 p. 27 ; P.M., Petites affiches,
24 mars 1993 p. 12.
(_) La doctrine, qu’elle soit favorable ou hostile à la théorie du jugement valant acte, s’accorde à souligner cette
hypocrisie. V. Ph. MERLE, Rev. Sociétés 1993 p. 400 ; H. LE NABASQUE, Dr. Sociétés 1993, n° 95, pour les
auteurs favorables à l’arrêt valant vote - J.-Fr. BARBIERI, JCP éd. N 1993 p. 293 ; Fr.-X. LUCAS, La réparation
du préjudice causé par un abus de minorité dans les sociétés, précité, pour les auteurs hostiles.
(_) D. VIDAL, Droit des sociétés, 2° éd., LGDJ, 1998, n° 784 in fine.
CXXX
groupe d’actionnaires minoritaires déterminé à s’opposer à une augmentation de capital
vitale pour la société et à courir le risque de lui faire perdre l’agrément en tant qu’agence
d’intermédiaire bancaire et de provoquer une liquidation, les premiers juges ont, à bon droit,
pris la seule décision qui permettait de sortir de la situation de blocage, en validant euxmêmes l’augmentation de capital » (713).
Cependant, la portée de cette décision ne doit pas être exagérée (714). En effet, sa
solution était avant tout dictée par les circonstances particulières de l'espèce ( 715 ). En
l'occurrence, une société qui exerçait la profession d’agent interbancaire se voyait imposer par
la Banque de France de réaliser une augmentation de capital pour reconstituer ses fonds
propres, sous peine de dissolution. Le recours au mandataire était donc inutile puisque, guidé
par l’intérêt social, il aurait nécessairement voté en faveur de l’augmentation de capital. En
outre, la gravité de la menace qui pesait sur la société commandait une mesure rapide, qui ne
pouvait être qu’un arrêt valant vote (716).
D’ailleurs, la Cour de Paris s’est depuis ralliée à la position de la Cour de cassation
(717).
Enfin, la Cour de renvoi, dans l’affaire Flandin, a considéré que le jugement de
première instance valait adoption de la délibération (718) Cet arrêt ne marque cependant pas,
à proprement parler, une volonté des juges du fond de résister à la Chambre commerciale
( 719 ). En effet, en l’espèce, le recours au mandataire ad-hoc était inutile puisque le
minoritaire récalcitrant avait, depuis la décision de la Cour de cassation, finalement consenti à
l’augmentation de capital (720).
(_) CA Paris 25 mai 1993, Besson, D. 1993 p. 541, note A. COURET ; Rev. Sociétés 1993 p. 827, note G.
DURAND-LEPINE ; Bull. Joly 1993 p. 852, note P. LE CANNU ; Dr. Sociétés 1993 n° 165, obs. H. LE
NABASQUE – dans le même sens, Trib. com. Paris 31 oct. 2000, JCP éd. E. 2001 p. 398 ; Dr. Sociétés 2001 n°
83, note F.-X. LUCAS.
(_) P. LE CANNU, Bull. Joly 1993 p. 852 ; A. COURET, D. 1993 p. 541.
(_) Nous ne partageons pas l’idée, avancée par un auteur (Fr.-X. LUCAS, La réparation du préjudice causé par
un abus de minorité dans les sociétés, précité, spéc. n° 6), selon laquelle le caractère trop récent de l’arrêt Flandin
interdisait de voir dans la décision du 25 mai 1993 une réelle résistance. En effet, la portée de la solution rendue
le 9 mai 1993 était telle que l’arrêt avait été rapidement rapporté (il fit l’objet d’un commentaire dès le 24 mars,
dans « Les Petites Affiches » ).
(_) G. DURAND-LEPINE, Rev. Sociétés1993 p. 827.
(_) CA Paris 13 juill. 1993, Dr. Sociétés 1993 n° 225, obs. H. LE NABASQUE ; CA Paris 25 oct. 1994, Rev.
Sociétés 1995 p. 111, obs. Y. GUYON.
(_) CA Toulouse 13 févr. 1995, Bull. Joly 1995 p. 401, note P. LE CANNU.
(_) En ce sens, Fr.-X. LUCAS, La réparation du préjudice causé par un abus de minorité dans les sociétés,
précité, spéc. n° 7 ; E. LEPOUTRE, Les sanctions des abus de minorité et de majorité dans les sociétés
commerciales, précité, spéc. n° 18.
(_) Un auteur (P. LE CANNU, Bull. Joly 1995 p. 401) a vu dans cet arrêt une « nouvelle version » de l’arrêt
valant vote : même en l’absence de vote de l’associé minoritaire, son consentement ultérieur peut pallier
l’absence de délibération.
CXXXI
Si de nombreux commentateurs avaient accueilli l'arrêt Vitama ( 721 ) comme
admettant la décision valant acte, les hauts magistrats s'était bornés à constater que, en plus
des dommages et intérêts, "[d'autres solutions permettaient] la prise en compte de l'intérêt
social". Le jugement valant acte, direct ou indirect, par l'intermédiaire de la nomination d'un
mandataire ad hoc, n'est donc pas le seul remède concevable à l'abus de minorité.
B. Les autres sanctions
Bien qu'elles demeurent difficilement concevables ( 722 ), deux autres sanctions
peuvent être envisagées (723) : l'exclusion de l'associé fautif (a) et la dissolution de la société
(b).
(_) cass com 14 janv. 1992, Vitama, précité.
(_) A. COURET, L'abus et le droit des sociétés, Dr. et patrimoine juin 2000 p. 66.
(_) Un auteur (D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n° 276 et s.) a proposé de
priver l'associé auteur d'un abus de minorité de son droit de vote. Cette sanction serait fondée sur le manquement
au devoir de loyauté pesant sur tout membre du groupement. Cette suggestion ne convainc pas. L'article 1844
interdit de suspendre le droit de suffrage en l'absence de prévisions légales, même en cas de manquement à
l'obligation de loyauté – sur l'ensemble de la question, infra.
CXXXII
a- L’exclusion de l’associé récalcitrant
Au lendemain de l’arrêt Vitama, certains auteurs ont proposé de sanctionner le
minoritaire fautif en l’excluant de la société ( 724 ). Ils tiraient argument d’une réponse
ministérielle du 25 juillet 1985 (725), qui proposait le rachat forcé des parts de l’associé
hostile à une prorogation de la société. Cette proposition se faisait l'écho d'une controverse qui
a longtemps agité tant la doctrine que la jurisprudence.
Le débat est classique (726) : en l’absence de disposition légale expresse (727), une
juridiction peut-elle exclure contre son gré l’associé qui demande la dissolution de la société
afin d’assurer la survie de la société ?
Dans cette hypothèse, le choc est frontal entre une conception contractuelle de la
société, qui fait prévaloir le droit intangible de l’associé à être membre du groupement, et une
analyse institutionnelle, qui accorde la primauté à la pérennité de la personne morale (728).
Les juridictions du fond étaient divisées.
Certaines étaient favorables à l’exclusion judiciaire, s’appuyant sur la nature
institutionnelle du groupement. Ainsi, pour la Cour de Reims, « cette mesure d’exclusion
ayant pour but de modifier la composition de la société tout en assurant sa pérennité est
cependant conforme à la notion institutionnelle de la société qui veut qu’une société ne soit
(_) Y. REINHARD, RTD com. 1992 p. 636 ; P. LE CANNU, Bull. Joly 1992 p. 272 ; A. VIANDIER, JCP éd. E
II n° 301, J.-C. BOUSQUET, D. 1992 p. 340 - adde, M. BOIZARD, L’abus de minorité, précité.
(_) Rép. Min. BOUVIER 25 juill. 1985, précitée.
(_) B. CAILLAUD, L’exclusion d’un associé dans les sociétés, Sirey, 1965; M.-E. TIAN-PANCRAZI, La
protection judiciaire du lien contractuel, PUAM, 1996, préf. J. MESTRE, n° 442 et s. ; M. JEANTIN et A.
BOUGNOUX, J.-Cl. Sociétés traité, fasc. 30-10, 1997 ; J. LEPARGNEUR, L’exclusion d’un associé, Journ.
Sociétés 1928 p. 257 ; J.-P. STORCK, La continuation d’une société par l’élimination d’un associé, Rev.
Sociétés 1982 p. 233 ; D. MARTIN, L’exclusion d’un actionnaire, RJ com. nov. 1990, n° spécial, Stabilité du
pouvoir et du capital dans les sociétés par actions, p. 94 ; J.-M. de BERMOND DE VAULX, La mésentente
entre associés pourrait-elle devenir un juste motif d’exclusion d’un associé d’une société ?, JCP éd. N 1991 I p.
439 ; G. DURAND-LEPINE, L’exclusion des actionnaires dans les sociétés non cotées, Petites affiches 24 juill.
1995 p. 7 ; J.-J. DAIGRE, La perte de la qualité d'actionnaire, Rev. Sociétés 1999 p. 535 ; R. POESY, Bref
retour sur une question controversée : l'exclusion judiciaire de l'associé d'une société non cotée, RJ com. 2001 p.
159 ; adde, J. MESTRE, Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés, RJ com. 1985 p. 81 ; M.
JEANTIN, Le rôle du juge en droit des sociétés, Mélanges Roger Perrot, Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?,
1996, p. 149.
(_) On ne peut guère songer à appliquer l’article 235-6, alinéa 2, du code de commerce (ancien art. L. 365), à
cette hypothèse. En effet, ce texte prévoit le rachat des parts du demandeur en nullité de la société. Or, les deux
actions sont distinctes par leur fondement, l’une vise à sanctionner un contrat de société mal formé, l’autre
concerne la phase d’exécution de la convention.
(_) A la réflexion, l’exclusion n’était peut être pas incompatible avec la thèse contractuelle. Dans un contrat
multilatéral, en effet, la jurisprudence admet que la résolution ne soit prononcée qu’à l’encontre du cocontractant
fautif. Pourquoi traiter dans ces conditions l’associé de manière plus favorable qu’un contractant ordinaire,
lequel n’a pas un droit intangible au maintien du lien contractuel ? Dans le même sens, J. LEPARGNEUR,
L’exclusion de l’associé, précité ; M.-E. TIAN-PANCRAZI, La protection judiciaire du lien contractuel, op. cit.,
n° 435 ; D. VIDAL, Le juge peut-il exclure un associé sans une disposition expresse ?, Dr. Sociétés oct. 1998 p.
1.
CXXXIII
pas qu’un contrat abandonné en tant que tel à la volonté de ceux qui lui ont donné naissance,
mais plutôt une institution, c’est à dire un corps social dépassant les volontés individuelles ;
dans cette hypothèse, il faut prendre en considération l’intérêt social et admettre que les
associés n’ont pas un droit intangible à faire partie de la société » (729). On ne pouvait plus
nettement opter en faveur d’une conception institutionnelle. Selon cette juridiction, l’intérêt
de la société s’oppose à ce que sa survie soit laissée à la discrétion d’un associé et commande
à l’inverse la pérennité du groupement, eu égard aux emplois y attachés.
A l’inverse, la plupart des juridictions du fond était hostiles à cette décision
d’exclusion, faisant tantôt valoir le droit de propriété de l’actionnaire sur son titre (730), ce
qui est par trop contestable (731), tantôt l’absence de texte autorisant cette mesure (732),
tantôt le droit intangible de l’associé à faire partie de la société (733).
C’est en faveur de cette thèse qu’a pris parti la Cour de cassation, dans un arrêt rendu
le 12 mars 1996 (734). En l’espèce, les associés d’une société en nom collectif, dont les
statuts prévoyaient l’unanimité pour la plupart des décisions, avaient cessé de s’entendre.
Leur mésentente avait provoqué la paralysie des organes sociaux, de sorte que la dissolution
était inéluctable. Néanmoins, le demandeur se vit proposer le rachat de ses parts par ses
coassociés mais rejeta leur proposition. La Cour d’appel refusa de prononcer son exclusion et
sa décision reçoit l’aval de la Cour de cassation, au motif que « aucune disposition légale ne
donne pouvoir à la juridiction saisie d’obliger l’associé qui demande la dissolution de la
société, par application de l’article 1844-7, 5°, du Code civil à céder ses parts à cette
dernière et aux autres associés qui offrent de les racheter ». Si la solution ne faisait aucun
(_) CA Reims 24 avr. 1989, JCP éd. E 1990 II n° 15677, n° 2, obs. crit. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ;
RTD com. 1989 p. 683, obs. Y. REINHARD ; Gaz. Pal 1989, somm. p. 431, obs. P. de FONTBRESSIN ;
Grands arrêts, n° 48, p. 524, note D. VELARDOCCHIO ; Petites affiches 31 mai 1991 p. 26, note S.
MAJEROWICZ ; dans le même sens, Trib. com Poitiers 30 juin 1975, RTD com 1976 p. 373, obs. Cl.
CHAMPAUD.
(_) CA Aix en Provence 26 avr. 1984, D. 1985 p. 372, note J. MESTRE.
(_) L’action étant un droit de créance c’est à dire un droit personnel, l’actionnaire ne peut en être propriétaire.
Une propriété de l’action reviendrait à grever un droit réel sur un droit personnel ; sur l’ensemble de la question,
supra.
(_) CA Versailles 17 oct. 1991, Bull. Joly 1992 p. 292, note A. COURET. En l’occurrence, la Cour rejette
l’argument selon lequel la survie de la société étant un des objectifs majeurs du législateur contemporain, il y
avait lieu d’exclure l’associé demandeur en dissolution : « si la sauvegarde de l’entreprise et le maintien de
l’activité et de l’emploi ont été les deux premiers objectifs du législateur en 1985 dans le cadre de la réforme des
procédures collectives, il s’agit en l’espèce de prononcer la dissolution judiciaire anticipée d’une société pour
mésentente entre les associés paralysant son fonctionnement, situation différente et expressément visée par
l’article 1844-7, 5° du Code civil ».
(_) CA Paris 26 mai 1989, JCP éd. E 1990 II n° 15677, n° 1, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.
(_) RTD civ. 1996 p. 897, obs. J. MESTRE ; RJ com. 1997 p. 163, note B. FAGES ; Rev. Sociétés 1996 p. 554,
note D. BUREAU ; D. 1996, somm. p. 345, obs. J.-C. HALLOUIN ; D. 1997 p. 133, note Th. LANGLES ; JCP
éd. E 1996, n° 831, note Y. PACLOT ; adde, J.-J. DAIGRE, De l’exclusion d’un associé en réponse à une
demande en dissolution, Bull. Joly 1996 p. 576 – rappr. CA Toulouse 10 juin 1999, JCP 2000 II n° 10372, note
J.-J. DAIGRE.
CXXXIV
doute, on peut néanmoins regretter son fondement. Il eût été préférable que la Haute
juridiction visât la nature contractuelle de la société, plutôt qu’un timide argument d’absence
de texte, dont on sait qu’il ne constitue pas un obstacle infranchissable (735). Au delà, la Cour
entend affirmer le droit intangible de l’associé à faire partie de la société, et partant, à
consacrer la nature essentiellement contractuelle du groupement.
Par conséquent, sans texte, le juge, même s’il constate l’abus de minorité, ne semble
pas pouvoir exclure l’associé rétif (736). Si l'autorité judiciaire ne peut exclure l’associé
demandeur, pour assurer la pérennité de la société, elle ne peut a fortiori prononcer cette
sanction à l’encontre de celui qui aurait commis un abus de minorité, dont l’attitude ne
menace pas directement la survie de la société (737).
Il n’en serait pas de même si les statuts (738) avaient expressément prévu une clause
d’exclusion (739). La validité de celle-ci a été vivement débattue. Des dispositions légales en
affirment expressément le principe. Ainsi, les statuts d’une société civile (740), d’une société
en nom collectif (741), d’une société en commandite simple (742), d’une société à capital
(_) en ce sens, J. MESTRE, obs. sous cass com 12 mars 1996, précité
(_) contra, D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, op. cit., n° 288 et s. D'après cet auteur,
l'intérêt social ne peut certes pas fonder une décision d'exclusion d'un associé fautif. En revanche, le
manquement à l'obligation de loyauté que constitue l'abus de minorité est une faute. Conformément aux
principes généraux du droit de la responsabilité, le préjudice qui en résulte doit être réparé de la manière la plus à
même de l'effacer. La réparation la plus adéquate ne peut être que l'exclusion de l'auteur de l'abus.
(_) Fr.-X. LUCAS, La réparation du préjudice causé par un abus de minorité dans les sociétés, précité, spéc. n°
5.
(_) Sur les clauses extra-statutaires d'exclusion, infra.
(_) Néanmoins, il ne paraît pas douteux qu’une clause d’exclusion doive être insérée dans les statuts d’origine.
Une introduction en cours de vie sociale devrait obéir à l’exigence d’unanimité requise par les articles 223-30
(ancien art. L. 60), 225-96 du code de commerce (ancien art. L. 153) ou plus généralement par l’article 1836 du
Code civil (H. BOSVIEUX, note sous CA Rennes 3 juill. 1912, Journ. Sociétés 1913 p. 23, selon lequel « la
faculté d’exclusion, si elle n’est pas prévue par les statuts, ne pourrait y être insérée en cours de vie sociale par
un vote pris à la majorité, car son exercice constituerait une véritable expropriation , ou si l’on préfère , porterait
atteinte au droit propre intangible qu’a tout actionnaire de garder son titre » ; J. HEMARD, Fr. TERRE et P.
MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 362 ; Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés.
Aménagements statutaires et conventions entre associés, op. cit., n° 98). Au contraire, certains auteurs ont
considéré que la majorité nécessaire aux modifications statutaires était suffisante. Selon eux, la clause se borne à
diminuer les droits de l’associé et ne constitue pas une augmentation de ses engagements, entendue comme une
aggravation de la dette financière (B. CAILLAUD, L’exclusion d’un associé dans les sociétés, op. cit., p. 250 ;
M.-C. MONSALLIER, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n° 664 ;
G. DURAND-LEPINE, L’exclusion des actionnaires dans les sociétés non cotées, précité ; D. MARTIN,
L’exclusion d’un actionnaire, précité). Une telle position ne semble plus pouvoir être défendue à l’heure actuelle,
compte tenu de la tendance de la jurisprudence à interpréter largement la notion d’augmentation des
engagements (sur cette tendance jurisprudentielle, infra). C'est donc fort logiquement que la Cour de Paris a
récemment exigé l'accord unanime des associés pour l'insertion d'une clause d'exclusion en cours de vie sociale
(CA Paris 27 mars 2001, RJDA 2001 n° 973).
(_) Art. 1860 C. civ ; pour un exemple d’application de ce texte, V. CA Paris 7 juin 1988, Rev. Sociétés 1989 p.
246, note S. DANA-DEMARET.
(_) Art. 221-16 C. Com. (ancien art. L. 22)
(_) Art. 222-11 C. Com. (ancien art. L. 33)
CXXXV
variable (743), ou d’une société par actions simplifiée (744) pourraient valablement contenir
de telles stipulations. Dans les autres formes sociales, la validité des dispositions statutaires de
la clause d’exclusion résulte de la liberté contractuelle. Puisque la société est un contrat, les
associés peuvent librement insérer dans les statuts une disposition par laquelle ils
renonceraient par avance à leur droit de faire partie de la société. On considère dans cette
hypothèse que chacun, en signant les statuts, a consenti à son exclusion (745). En d’autres
termes, la validité de la clause découle du fondement contractuel de la société.
On pourrait faire valoir que la liberté des conventions ne joue pleinement que
lorsqu’elle ne conduit pas à porter atteinte à une règle d’ordre public. Or, dans le cas envisagé,
la clause d’exclusion serait un obstacle à l’exercice du droit de tout associé de demander la
dissolution, que la jurisprudence considère comme étant d’ordre public ( 746). Dans ces
conditions, la stipulation statutaire serait nulle, par application de l’article 6 du Code civil
(747).
Cet argument n’est pas dirimant. Comme on l’a fort justement fait remarquer, ces
critiques visent davantage l’exclusion judiciaire que l’exclusion conventionnelle (748). De
plus, la clause n’est pas attentatoire au droit de chaque associé de demander la dissolution,
puisque précisément sa mise en œuvre en fait disparaître les causes (749). Par ailleurs, eu
égard au principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est permis, on ne saurait faire de la
reconnaissance légale de la validité des clauses d’exclusion dans certaines sociétés un
argument en faveur de leur nullité dans les autres formes sociales (750).
En définitive, la nature essentiellement contractuelle de la société conduit à valider les
clauses statutaires d’exclusion. C’est d’ailleurs le raisonnement suivi par la Cour d’appel de
Rouen, dans un arrêt rendu le 8 février 1974 (751). En l’occurrence, cette juridiction valide
(_) Art. 231-6 C. Com. (ancien art. 52 de la loi du 24 juill. 1867) ; pour un exemple d’application, V. cass com
21 oct. 1997, JCP 1998 II n° 10047, note D. VELARDOCCHIO ; Petites affiches 5 juin 1998 p.17, note L.
GRYNBAUM.
(_) Art. 227-16 C. Com. (ancien art. L. 262-17)
(_) en ce sens, J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 743 ; B. CAILLAUD, L’exclusion d’un
associé dans les sociétés, op. cit., p. 241 ; J. LEPARGNEUR, L’exclusion d’un associé, précité ; D. MARTIN,
L’exclusion d’un actionnaire, précité ; J.-M. de BERMOND DE VAULX, La mésentente entre associés pourraitelle devenir un juste motif d’exclusion d’un associé d’une société ?, précité, spéc. n° 19 ; G. DURAND-LEPINE,
L’exclusion des actionnaires dans les sociétés non cotées, précité ; comp. S. DARIOSECK et N. METAIS, Les
clauses d’exclusion, solution à la mésentente entre associés, Bull. Joly 1998 p. 908.
(_) ex. cass com 23 janv. 1950, D. 1950 p. 300.
(_) Th. LANGLES, note sous cass com 12 mars 1996, précité.
(_) D. VELARDOCCHIO, note sous cass com 7 juill. 1992, Grands arrêts du droit des affaires, n° 48, p. 124,
spéc. n° 6.
(_) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés, op.
cit., n° 98 ; adde, dans le même sens, J.-C. HALLOUIN, obs. sous cass com 12 mars 1996.
(_) comp. J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, op. cit., n° 130.
(_) Rev. Sociétés 1974 p. 507, note R. RODIERE.
CXXXVI
une clause de rachat, en se fondant sur la nature contractuelle de la société : « selon l’article
1832 du Code civil, la société est un contrat ; en conséquence, les parties peuvent librement y
insérer toutes les dispositions qu’elles jugent nécessaires à la société qu’elles créent sous la
seule réserve de ne violer aucune règle d’ordre public ; la clause litigieuse […] ne contredit
aucune règle de cette sorte ». Cette position a été reprise par plusieurs autres juridictions du
fond (752), et a reçu l’aval implicite de la Cour de cassation (753).
D’ailleurs, il ne semble pas que l’arrêt du 12 mars 1996 ait entendu remettre en cause
la validité des clauses statutaires d’exclusion ( 754 ). En effet, en l’occurrence, la Haute
juridiction a entendu se prononcer sur le problème particulier de l’élimination d’un associé en
réponse à une dissolution et non sur l’exclusion en général. Dans cette optique, seraient
seulement frappées de nullité les clauses ayant pour objectif d’empêcher la dissolution,
laissant subsister les autres types de clauses (755).
Mais encore faudrait-il que l’hypothèse d’un abus de minorité soit expressément
prévue par la clause d’exclusion. En effet, l’exclu doit pouvoir se défendre (756), ce qui
suppose nécessairement que le fait générateur de l’exclusion soit précisément déterminé
(757).
La clause prévoyant l’exclusion en cas d’ « inexécution de l’obligation [de l’associé]
de s’abstenir de tous actes et opérations susceptibles de nuire à la société » (758) pourrait
englober l’hypothèse d’un abus de minorité (759). Néanmoins, l’associé rétif ne pourrait être
exclu sans l’octroi d’une indemnisation.
(_) ex. CA Caen 11 avr. 1927, D. 1928, 2, p. 65 ; CA Aix en Provence 26 juin 1984 a contrario, D. 1985 p. 372,
note J. MESTRE, qui considère que l’article 544 du Code civil rend impossible toute exclusion si elle n’est pas
prévue par les statuts ; contra, Trib. com Versailles 2 mai 1989, Bull. Joly 1989 p. 615, note Y. SEXER ; RD
bancaire et bourse 1989 p. 214, obs. A. VIANDIER et M. JEANTIN.
(_) cass com 7 juill. 1992, Grands arrêts du droit des affaires, n° 48, p. 524, note D. VELARDOCCHIO. En
l’occurrence, la Haute juridiction ne conteste pas la validité d’une clause d’exclusion insérée dans les statuts
d’un GIE ; et surtout cass com 13 déc. 1994, Affaire du Midi Libre, RTD civ. 1995 p. 356, obs. J. MESTRE et
p. 647, obs. P.-Y. GAUTHIER ; Bull. Joly 1995 p. 152, note P. LE CANNU ; JCP éd. E 1995 II n° 705, note Y.
PACLOT et I n° 447, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; Rev. Sociétés 1995 p. 298. En l’espèce, en se
fondant sur l’absence de clause statutaire d’exclusion, la Cour de cassation approuve une Cour d’appel d’avoir
refusé à une société la possibilité d’ordonner la cession forcée de leurs droits par deux actionnaires ayant fait
l’objet d’une prise de contrôle interne ; comp. J.-M. de BERMOND DE VAULX, L’exclusion d’un associé, Dr.
Sociétés oct. 1996 p. 4, spéc. n° 8.
(_) J. MESTRE, obs. sous cass com 12 mars 1996, précité.
(_) B. FAGES, note sous cass com 12 mars 1996, précité. Pour cet auteur, serait valable la clause d’exclusion
prévoyant le rachat forcé des titres de l’actionnaire faisant l’objet d’une prise de contrôle interne.
(_) cass com 7 juill. 1992, Grands arrêts du droit des affaires, n° 48 p. 524, note D. VELARDOCCHIO.
(_) en ce sens, D. VELARDOCCHIO, Grands arrêts du droit des affaires, n° 48, précité, spéc. n° 13.
(_) CA 14 avr. 1927, D. 1928, II, p. 65, note J. LEPARGNEUR.
(_) en ce sens, G. DURAND-LEPINE, L’exclusion des actionnaires dans les sociétés non cotées, précité.
CXXXVII
Si l'exclusion de l'auteur d'un abus de minorité demeure concevable, quoique difficile
à mettre en œuvre, la dissolution du groupement est plus difficilement envisageable.
b- La dissolution pour mésintelligence (760)
L’abus de minorité est, on l’a vu, un manquement à l’affectio societatis, à la bonne foi
qui doit présider aux relations sociales. Or, l’article 1844-7, 5° prévoit que « la société prend
fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour
justes motifs en cas de [...] mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la
société ». Autrement dit, la disparition de l’affectio societatis n’est une cause de dissolution
que dans le cas où elle paralyse la vie sociétaire. A l’inverse, les juges refusent de prononcer
cette sanction si, en dépit du conflit, les affaires sociales ne sont pas compromises (761).
L’abus de minorité peut conduire à une paralysie de la société, notamment lorsque le
comportement répréhensible de l’associé aboutit au blocage d’une opération nécessaire à sa
survie, par exemple d’une augmentation de capital dans le cadre d’un plan de continuation
(762).
Il ne semble pas que la dissolution de la société ait été prononcée à la suite d’un abus
de minorité.
Traditionnellement envisagée comme la trace de la nature institutionnelle de la société,
l'abus du droit de vote, quel que soit son auteur, majoritaire ou minoritaire, est en réalité
l'application au droit des sociétés de ce devoir général de bonne foi si prégnant en droit privé
contemporain. Ceci conduit à penser, avec un auteur, que "les conceptions institutionnelle et
contractuelle de la société ne sont sans doute pas si éloignées qu’on le dit parfois et peuvent
même parfois converger vers une même solution" (763). Il est cependant regrettable que la
Cour de cassation se refuse à tirer les conséquences de ce fondement commun et continue à
sanctionner différemment l'abus de majorité et de minorité.
(_) Cette sanction peut également être prononcée consécutivement à un abus de majorité. Pour une critique, D.
SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 252 et s.
(_) ex. cass com 31 janv. 1989, Bull. IV n° 46 ; CA Versailles 18 déc. 1998, RTD com. 1999 p. 437, obs. Cl.
CHAMPAUD et D. DANET ; CA Toulouse 10 juin 1999, précité ; cass com 21 oct. 1997, Rev. Sociétés 1998 p.
310 – sur cette question, H. MATSOPOULOU, La dissolution pour mésentente entre associés, Rev. Sociétés
1998 p. 21.
(_) A. MARTIN-SERF, débat consécutif à l’intervention de M. le Professeur Merle, L’abus de minorité, précité.
(_) J. MESTRE, La société est bien encore un contrat…, Mélanges Christian Mouly, t. 2, Litec , 1998, p. 131.
CXXXVIII
CONCLUSION DU TITRE I
Puisque la société est un contrat visant à organiser la collaboration durable des
associés-contractants, le droit de vote ne peut que présenter une nature contractuelle. Celle-ci
est double.
En premier lieu, elle découle du caractère particulier du contrat de société. Puisqu'il
s'agit d'un contrat de coopération, le droit de vote est l'instrument qui va permettre la
collaboration la plus efficiente entre les parties. De même, la seule conclusion du contrat
permet d'octroyer un droit de suffrage, qui est la traduction juridique de l'intuitus personae à
la base de la conclusion de la convention ou, plus fréquemment, l'accessoire de la créance que
constitue le titre.
En second lieu, la nature contractuelle de la société fait peser sur l'associé, à l'instar de
tout contractant, une obligation de bonne foi. Celle-ci le contraint à privilégier son intérêt à
l'intérieur de la société sur son intérêt externe. Tout vote contredisant cet intérêt d'associé est
susceptible d'être annulé ou à l'inverse d'être émis contre la volonté de l'associé, même si l'on
ne peut que regretter l'attitude timorée de la Cour de cassation.
En tant que droit contractuel, le droit de vote peut être aménagé par les associés, dans
sa jouissance ou dans son exercice, dans le cadre statutaire, ou plus fréquemment extrastatutaire. De droit contractuel, le droit de suffrage va devenir un objet de contrats.
CXXXIX
TITRE II : LE DROIT DE VOTE, UN OBJET DE CONTRATS
De prime abord, l'opposition est patente entre la nature contractuelle du droit de vote
et la possibilité d'en faire un objet de contrats. Puisque le droit de suffrage permet à l'associé
de garantir l'exécution de sa créance sur le groupement, lui seul devrait pouvoir l'exercer, et
dans le sens où il l'entend. Par conséquent, tous les contrats portant sur cette prérogative
devraient être illicites.
En réalité, la réponse est bien plus nuancée. Les conventions relatives au droit de vote
sont licites, à condition de respecter précisément la nature individuelle de ce droit. Certains
auteurs dénomment ces accords portant sur le suffrage conventions de vote (764). Une autre
fraction de la doctrine plaide en faveur d'une acception étroite de cette dernière notion et
préfère y voir les seuls accords relatifs à l'exercice du droit de suffrage (765). C'est à cette
thèse que nous nous rallierons.
Les études doctrinales portant sur le droit de vote font apparaître deux grandes
catégories de questions : d'une part, des interrogations sur le régime juridique de sa jouissance
; d'autre part, des problèmes relatifs à son exercice. Par conséquent, il convient de distinguer
les conventions portant sur la jouissance (Chapitre I) de celles portant sur l'exercice du droit
de suffrage (Chapitre II).
(764) J.-J. DAIGRE et M. SENTILLES-DUPONT, Pactes d'actionnaires, éd. Joly, coll. Pratique des affaires,
1995, n° 78 ; Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre
associés, op. cit., n° 287.
(765) A. VIANDIER, Observations sur les conventions de vote, JCP éd. E 1986 I n° 15405 ; M. JEANTIN, Les
conventions de vote, RJ com. nov. 1990, n° spécial, Stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par
actions, p. 124 ; P. DIDIER, Les conventions de vote, Mélanges Jean Foyer, PUF, 1997, p. 341.
CXL
CHAPITRE I : LES CONVENTIONS SUR LA JOUISSANCE DU DROIT
DE VOTE
La jouissance d'un droit est traditionnellement envisagée comme l'aptitude à en
devenir titulaire ( 766 ). S'interroger sur la jouissance du droit de vote revient donc à
s'interroger sur son attribution. Celui-ci est réservé à l'associé. Dans quelle mesure la
convention des parties peut-elle déroger à ce principe ? Le droit positif envisage avec
circonspection ces aménagements contractuels, classiquement dénommés "transfert du droit
de vote" (Section 1)
Mais, dans la mesure où il se présente comme un accessoire de la créance, les règles
régissant la jouissance du droit de vote concernent aussi son étendue. Quelle est la marge de
liberté laissée aux associés dans l'aménagement du nombre de voix ? Notre droit est
également réticent envers ce type d'accords, possibles qu'en cas de permission législative
expresse (Section 2).
Section 1 : Le transfert du droit de vote
Le transfert se définit comme l'opération juridique de transmission d'un droit, d'une
obligation ou d'une fonction (767). Le transfert du droit de vote peut donc être envisagé
comme la technique permettant d'attribuer cette prérogative à une autre personne que
l'associé, titulaire naturel. Si le droit est traditionnellement méfiant envers les mécanismes de
transfert issus du droit des sociétés, qu'il accueille avec réticence (§2), il est plus libéral
envers les montages utilisant des institutions de droit commun (§1).
§1- Les techniques de transfert issues du droit commun
Le droit des sociétés, et plus généralement le droit commercial, repose sur deux piliers
du droit commun : le droit des biens et le droit des obligations. Il n'est donc pas surprenant
que ces deux matières reines du droit civil soient fréquemment utilisées par les professionnels
(766) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "jouissance".
(767) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "transfert".
CXLI
du droit afin de réaliser des montages. En d'autres termes, les praticiens auront fréquemment
recours aux institutions de droit des biens (I) et de droit des obligations, spécialement de droit
des contrats (II), pour transférer le droit de vote.
I. Les techniques de transfert issues du droit des biens
Elles sont au nombre de deux : il s'agit d'une part de l'usufruit (A) et d'autre part de la
copropriété des droits sociaux (B).
A. L’usufruit des droits sociaux
Le Code civil, dans son article 578, définit l’usufruit comme « le droit de jouir des
choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à charge d’en
conserver la substance ». Autrement dit, il s’agit du démembrement des prérogatives sur
un bien corporel ou incorporel, entre deux droits concurrents, celui de l’usufruitier, qui
se voit octroyer l’usus et le fructus de la chose, et celui du nu-propriétaire, qui en
conserve l’abusus (768). En matière de droits sociaux, la difficulté naît de la qualification
des parts et actions en créances non susceptibles de propriété. Mais, en réalité, l’usufruit
peut valablement porter sur des créances (769) car il ne suppose pas forcément la
propriété mais simplement l’existence d’un droit. Autrement dit, l’usufruit sera
considéré non comme un démembrement de la propriété mais plus largement comme un
démembrement de droits (770).
Cette controverse n’est qu’un aspect de la difficulté à transposer les règles du Code
civil à l’usufruit des droit sociaux, qui n’est envisagé que de manière ponctuelle par le
législateur.
Conformément au droit commun, l’usufruit des droits sociaux peut avoir une source
légale (771) ou contractuelle. C’est cette dernière modalité qui est utilisée pour organiser le
(768) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° « Usufruit », sur l’ensemble de la question, Fr. TERRE et Ph. SIMLER,
Droit civil. Les biens, 5° éd., Dalloz, 1998, n° 721 et s. ; P. JOURDAIN, Les biens, Dalloz, 1995 ; n° 62 et s. ;
Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les biens, éd. 1994/1995, Cujas, n° 800 et s. ; H. L. et J.
MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil. Les biens, 8° éd., Montchrestien, 1994, n° 1647 et s.
( 769 ) sur l’usufruit des créances, V. A. FRANCON, L’usufruit des créances, RTD civ. 1957 p. 1 ; R.
LIBCHABER, L’usufruit des créances existe-t-il ?, RTD civ. 1997 p. 615.
(770) P. JOURDAIN, Les biens, op. cit., n° 64 ; adde, en ce sens, E. DOCKES, Essai sur la notion d’usufruit,
RTD civ. 1995 p. 479.
(771) sur les différentes modalités de l’usufruit légal, Fr. TERRE et Ph. SIMLER, Droit civil. Les biens, op. cit.,
n° 729.
CXLII
transfert du droit de vote (772). L’usufruit conventionnel peut lui même revêtir plusieurs
formes. Il pourra s’agir d’une donation avec réserve d’usufruit ou de quasi-usufruit (773). Par
cette technique contractuelle, souvent utilisée pour faciliter la transmission de l’entreprise
familiale (774), un associé, fondateur de la société, transmet à ses héritiers la nue propriété
des titres et s’en réserve l’usufruit. De la même manière, est envisageable la constitution d’un
usufruit au profit des salariés de la société, l’usufruitier se réservant la maîtrise du droit de
vote en assemblée générale (775).
L’usufruit conventionnel pourra également résider dans la cession de l’usufruit d’un
ou plusieurs titres. Cette cession a d’ailleurs été validée par la jurisprudence, au regard de la
prohibition de la cession du droit de vote (776).
Le transfert en cas d’usufruit est assuré grâce à la répartition légale du droit de vote (a)
et aux dérogations conventionnelles (b).
a- les solutions légales
La répartition légale du droit de vote entre l’usufruitier et le nu propriétaire est
différente selon que la société est (1) ou n’est pas (2) une société par actions.
1. La répartition du droit de vote dans les sociétés par
actions
(772) M. GERMAIN, Le transfert du droit de vote, RJ com. nov. 1990, n° spécial, Stabilité du pouvoir et du
capital dans les sociétés par actions, p. 135 ; F.-D. POITRINAL, L’usufruit conventionnel d’actions, un outil
financier méconnu, Banque et droit, sept.-oct. 1993 p. 3
(773) M. GRIMALDI et J.-F. ROUX, La donation de valeurs mobilières avec réserve de quasi usufruit,
Defrénois 1994 p. 13 ; B. JADAUD, Droits et pouvoirs dans la donation partage de parts sociales avec réserve
de quasi usufruit, RD bancaire et bourse 1995, Gestion de patrimoine, p. 5 ; pour une application
jurisprudentielle, V. cass civ 1ère 8 mars 1988, Defrénois 1988 p. 1390, obs. J. HONORAT ; Rev. Sociétés 1988
p. 409, note A. VIANDIER ; JCP éd. N 1988 II p. 197, obs. J.-F. PILLEBOUT ; Bull. Joly 1988 p. 360, note G.
LESGUILLER.
(774) R. CONTIN et M. DESLANDES, L’adaptation du capital à la transmission du pouvoir par l’organisation
statutaire du droit de vote dans les sociétés anonymes familiales, Mélanges Roger Percerou, 1993, p. 51.
(775) J.-P. BERTREL, Ingénierie juridique : le montage « MOULINEX », Dr. et patrimoine sept. 1997 p. 38 –
adde, du même auteur, Ingénierie juridique : comment dissocier le pouvoir et la détention du capital dans une
société, Dr. et patrimoine sept. 2001 p. 34.
(776) Trib. com Seine 12 juill. 1951, S. 1952, 2, p. 125, note R. HOUIN ; CA Paris 1er juill. 1953, Journ.
Sociétés 1953 p. 193, note J. AUTESSERRE, en matière de société anonyme ; contra, CA Paris 17 nov. 1965, D.
1966 p. 10 ; RTD com. 1966 p. 611, en matière de SARL (en l’espèce, la requalification de la cession d’usufruit
en cession du droit de vote résulte des circonstances, car la convention ne réservait à l'usufruitier que le droit de
vote, le droit aux dividendes étant cédé au nu propriétaire).
CXLIII
Avant 1966, la loi était muette sur la question de savoir qui, du nu propriétaire ou de
l’usufruitier, était titulaire du droit de vote attaché aux actions démembrées (777). Tirant
argument de ce silence, la jurisprudence validait les clauses statutaires qui reconnaissaient
cette prérogative à l’une ou l’autre des parties (778).
Dans le silence du pacte social, doctrine et tribunaux étaient divisés. Certains auteurs
proposaient d’établir une distinction entre les assemblées générales ordinaires et les
assemblées générales extraordinaires. Dans les premières, l’usufruitier seul prenait part aux
délibérations, alors que le nu propriétaire votait dans les secondes (779). Ignorant ce critère de
distinction organique, certains arrêts (780), reprenant des propositions de la doctrine (781)
avait transposé en la matière la distinction civiliste entre les actes d’administration et les actes
de disposition (782). En effet, en droit des biens, l’usufruitier ne peut accomplir sur la chose
que des actes d’administration, c’est à dire ceux de gestion courante, alors que les actes de
disposition, susceptibles de modifier la substance du bien, sont réservés au nu propriétaire
(783). Cette division des prérogatives n’est en définitive que le reflet du démembrement de
propriété, même si elle encourt la critique en matière d’usufruit des droits sociaux.
La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, en disposant, dans son article 163, alinéa 1er
(actuellement art. 225-10 C. Com.), que « le droit de vote attaché à l’action (784) appartient
(777) sur le régime antérieur, V. par ex. AUBRY et RAU, Droit civil français, t. 2, 7° éd. par P. ESMEIN,
Librairies techniques, 1961, n° 427 ; M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. 3,
Les biens, 2° éd. par M. PICARD, LGDJ, 1952, n° 807 ; J. COCARD, L’usufruit des actions et des obligations,
thèse Caen, 1938, p. 100 et s. ; A. WAHL, Des droits respectifs de l’usufruitier et du nu propriétaire sur les
titres, leurs produits et leurs accessoires, Journ. Sociétés 1925 p. 129.
(778) ex. CA Paris 19 juill. 1935, S. 1936, 2, p. 33, note H. ROUSSEAU (cet arrêt refuse l’exercice de l’action
sociale au nu propriétaire, arguant d’une clause statutaire qui attribuait le droit de vote à l’usufruitier dans toutes
les assemblées ; cass com 6 juill. 1961, Bull. III n° 318 ; Rev. Sociétés 1962 p. 35, note J. AUTESSERRE ; RTD
com. 1962 p. 79, obs. R. HOUIN, qui dénie au nu propriétaire le droit d’être nommé administrateur car les
statuts réservaient le droit de vote à l’usufruitier.
(779) AUBRY et RAU, Droit civil français, t. 7, op. cit., loc. cit. ; E. THALLER et P. PIC, Traité général
théorique et pratique de droit commercial. Des sociétés commerciales, t. 3, Arthur ROUSSEAU, 1924, n° 1275.
(780) CA Alger 13 mai 1954, Gaz. Pal. 1954, 2, p. 100 ; Journ. Sociétés p. 140 (cet arrêt a été rendu au sujet
d’une SARL mais, eu égard au silence de la loi au sujet de la répartition du droit de vote entre l’usufruitier et le
nu propriétaire, sa solution est transposable mutatis mutandis aux sociétés par actions) ; Rappr., cass Req. 23
mars 1914, Journ. Sociétés 1915 p. 18 ; TGI Lille 26 févr. 1962, Rev. Sociétés 1962 p. 305, note J.
AUTESSERRE ; D. 1962 p. 541, note J. NOIREL.
(781) M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. 3, Les biens, op. cit., loc. cit. ; C.
HOUPIN et H. BOSVIEUX, Traité général théorique et pratique des sociétés civiles et commerciales et des
associations, t. 2, 7° éd., 1935, n° 1126.
(782) sur l’ensemble de la question, R. VERDOT, La notion d’acte d’administration en droit privé français,
LGDJ, 1963, n° 42 et s., adde, du même auteur, De l’influence du facteur économique sur la qualification des
actes « d’administration » et des actes « de disposition », RTD civ. 1968 p. 449.
(783) P. JOURDAIN, Les biens, op. cit., n° 74.
(784) Il y a lieu de remarquer que le texte vise « l’action ». En conséquence, si un droit de
vote double y est attaché, il sera exercé conformément à la répartition légale. L’usufruitier en
CXLIV
à l’usufruitier dans les assemblées générales ordinaires et au nu propriétaire dans les
assemblées générales extraordinaires » a tranché le débat (785). Elle opte pour un critère
organique de répartition du droit de vote, suivant la nature de l’assemblée.
Cette disposition s’applique de plein droit aux sociétés anonymes et aux sociétés en
commandite par actions, par renvoi de l’article 226-1, alinéa 2 (ancien art. L. 251). En
revanche, elle ne trouve pas application dans les sociétés par actions simplifiées, puisque
l’article 227-1 (ancien art. L. 262-1) l’exclut (786) : les statuts sont libres d’organiser la
répartition, sauf à respecter les principes fondamentaux du droit des sociétés.
Malgré ses indéniables avantages pratiques, le partage institué par l’article 225-10
n’est pas à l’abri de la critique. En effet, la distinction selon la nature de l’assemblée est par
trop artificielle (787) et peut en outre conduire à méconnaître le droit de l’usufruit (788).
Deux difficultés peuvent se rencontrer.
En premier lieu, la répartition en fonction d’un critère organique peut conduire
l’usufruitier à porter atteinte à la substance de la chose, nécessairement entendue en la matière
comme la valeur des actions (789). En effet, il suffit d’imaginer une augmentation de capital
par incorporation de réserves, de la compétence de l’assemblée générale ordinaire, qui nuirait
aux intérêts de l’usufruitier, mais qui conduirait à augmenter la valeur nominale des actions.
Le premier émettrait vraisemblablement un vote défavorable, ce qui serait légitime, mais la
substance du bien pourrait en être altérée.
En second lieu, il est concevable que le nu propriétaire puisse à l’occasion de sa
participation à une assemblée générale extraordinaire attenter aux droits de l’usufruitier. Par
exemple, il votera vraisemblablement en faveur d’une modification statutaire destinée à
bénéficiera dans les assemblées générales ordinaires, le nu propriétaire dans les assemblées
générales extraordinaires (en ce sens, Dossier ANSA, mars/avril 1991, n° 2546, Dr. Sociétés
1991 n° 388.
(785) sur la position contraire retenue par la commission de refonte du Code de commerce, V. J. HEMARD, Fr.
TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 103.
(786) S. CASTAGNE, L’usufruit et la nue propriété des actions dans la société par actions simplifiée, Dr.
Sociétés avr. 1996 p. 1.
(787) en ce sens, D. SCHMIDT et R. KOERING-JOULIN, L’article 163, alinéa 1, de la loi n° 66-537 de la loi
du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, Mélanges Daniel Bastian, t. 2, 1974, p. 135.
(788) J.-F. PILLEBOUT, Réflexions sur le droit d’usufruit, JCP éd. N 1977 I p. 173.
(789) Rappr. G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1592 ; D. SCHMIDT et R.
KOERING-JOULIN, L’article 163, alinéa 1, de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés
commerciales, précité ; L. AYNES, Usufruit et droit d'usage, Rev. Sociétés 1999 p. 593, spéc. n° 19. Un auteur a
récemment vu dans la substance de l'action l'existence de celle-ci, ainsi que des droits qui y sont attachés (C.
KOERING, La règle "une action-une voix", thèse Paris I, 2000, n° 322) sur les différentes acceptions de la
notion de substance de la chose, E. DOCKES, Essai sur la notion d’usufruit, précité, spéc., n° 6 et s.
CXLV
augmenter la capacité d’autofinancement de la société (790). Les intérêts en présence sont
opposés : alors que ceux du nu propriétaire résident dans la mise en réserve, ceux de
l’usufruitier se trouvent dans la distribution de dividendes. Toutefois, celui-ci est protégé par
l’article 599, alinéa 1er, du Code civil (791). Ce texte prévoit en effet que « le propriétaire ne
peut, par son fait, ni de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l’usufruitier ». A
notre connaissance, il n’a donné lieu qu’à une seule décision jurisprudentielle en matière de
société (792).
En l’espèce, le fondateur d’une société fondée dans les années trente avait donné la nu
propriété des actions à ses enfants, en s’en réservant l’usufruit. Quelques temps après, le
terme statutaire approchant, la question de la prorogation se posa. Malgré les sollicitations et
les menaces de leur auteurs, les nus propriétaires émirent un vote hostile, qui aboutit en
conséquence à la dissolution de la société. Dès lors, le donateur demanda la révocation de
donation pour cause d’ingratitude. Les bénéficiaires de la libéralité firent pour leur part valoir
que les pressions de leur père constituaient une atteinte à leur liberté de vote, pénalement
sanctionnée par l’article L. 440, 3° (actuellement art. 242-9 C. Com.). La Cour d’appel de
Chambéry ne se prononce pas sur cet argument, étranger selon elle à l’action en révocation,
mais accueille favorablement la demande de l’usufruitier, faisant valoir que, par leur attitude,
les nus propriétaires avaient précipité la fin de l’usufruit et, partant, porté atteinte aux droits
de l’usufruitier. Peu sensible à cette argumentation, la Cour de cassation a exercé sa censure,
en ces termes : « l’usufruit de M. Siro Ceccon portait sur des parts, puis sur des actions d’une
société qui devait prendre fin le 31 décembre 1985, d’où il suivait qu’à partir de cette date,
l’usufruit ne pourrait s’exercer que sur des modes différents ; en refusant de voter la
prorogation de la société, les enfants de M. Siro Ceccon n’ont porté aucune atteinte aux
droits de ce dernier ; d’où il suit qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a violé
par fausse application [l’article 599, alinéa 1er] ». Pour la Première Chambre civile, l’article
599, alinéa 1er, était étranger au litige. L’usufruitier n’était lésé que par l’arrivée du terme
statutairement fixé, auquel il avait lui-même consenti et non par le comportement des nus
propriétaires, lesquels s’étaient bornés à exercer leur liberté de vote. Certes, si l’assemblée
litigieuse avait porté sur la dissolution anticipée de la société alors l’article 599, alinéa 1er,
aurait pu recevoir application. Comme on l’a fort justement souligné, ce texte met seulement à
(790) Cette hypothèse recouvre l’introduction d’une clause prévoyant la mise en réserve de bénéfices, en sus de
la réserve légale.
(791) F.-D. POITRINAL, L’usufruit conventionnel d’actions, un outil financier méconnu, précité, spéc. n° ;
adde, M.-C. MONSALLIER, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, bibl. dr.
priv. n° 303, LGDJ, 1998, n° 405.
(792) cass civ 1ère 8 mars 1988, précité.
CXLVI
la charge du nu propriétaire une obligation de ne pas faire, il ne lui impose aucunement un
devoir positif (793).
On le voit, cette disposition est d’application restrictive. Il y a lieu de s’en féliciter.
Même s’il est nécessaire de protéger l’usufruitier contre l’arbitraire du nu propriétaire, une
interprétation extensive conduirait à remettre en cause de nombreux usufruits conventionnels
et finalement nuirait à la sécurité juridique. Cela ne signifie pas que le nu propriétaire jouisse
d’une entière liberté : il doit veiller à assurer à l’usufruitier la bonne jouissance de l’usufruit.
La position de la Commission des Opérations de Bourse est significative à cet égard. Ainsi, en
matière de SICAV, elle a pu estimé que lorsqu’il refusait de se retirer d’un fonds commun de
placement ayant opté pour la capitalisation des revenus, le comportement du nu propriétaire
était contraire à l’article 599, alinéa 1er. En conséquence, il engageait sa responsabilité (794).
En outre, la répartition opérée par l’article 225-10 est arbitraire. Pour contourner ce
grief, certains auteurs ont estimé que ce texte reflétait en fait la division des actes
d’administration et de disposition (795). Puisque c’est à l’occasion des assemblées générales
ordinaires que sont adoptées les décisions les moins lourdes de conséquences, l’usufruitier
doit y participer seul, alors que les délibérations d’assemblées générales extraordinaires
emportent des incidences importantes, dépassant ainsi les limites des actes d’administration.
Cette analyse prête le flanc à la critique, en ce qu’elle méconnaît la personnalité morale de la
société (796). En effet, lorsqu’il vote, l’associé concourt à la formation de la volonté sociale.
Dans ces conditions, la gravité de la décision à prendre doit être mesurée au regard de la
société et d’elle seule. En d’autres termes, l’émission du suffrage sera toujours, du point de
vue de l’associé, un acte d’administration. Dès lors, loin de refléter la division entre actes de
disposition et d'administration, la distinction opérée par le code de commerce n'est que le fruit
du hasard et est donc arbitraire.
Quoi qu’il en soit, il ressort de l’article 225-10 que l’usufruitier et le nu propriétaire
agiront chacun dans leur propre sphère de compétence. Autrement dit, la société ne connaîtra
(793) P. LE CANNU, note sous cass civ 1ère 8 mars 1988, Defrénois 1988 p. 1398 ; adde, A. RIEG, Rép. Civil,
V° « Usufruit », n° 425. – Rappr. rapport de la COB 1990 p. 145.
(794) Rapport de la COB 1990 p. 195, n° 895.
(795) en ce sens, M. de JUGLART et B. IPPOLITO, Traité de droit commercial, 2° vol., Les sociétés, 2° partie,
Sociétés de capitaux, sociétés anonymes et commandites par actions, sociétés à responsabilité limité, 3° éd., par
E. du PONTAVICE et J. DUPICHOT, Montchrestien, 1982, n° 623 ; comp. M. LECENE-MARENAUD, Les
parts et actions de sociétés qui appartiennent à plusieurs personnes, thèse Bordeaux I, 1992, n° 456.
(796) en ce sens, A. JOLY, La participation au vote de certaines décisions peut-elle constituer un acte de
disposition pour l’associé ou l’actionnaire ?, Bull. mensuel d’informations juridiques et fiscales des sociétés
1962 p. 88, spéc. n° 4.
CXLVII
qu’un seul titulaire du droit de vote. Ainsi, par exemple, puisque seul l’usufruitier participe
aux assemblées générales ordinaires, lui seul y aura accès, lui seul bénéficiera du formalisme
informatif préalable. Les résolutions adoptées grâce à son concours sont opposables ipso facto
au nu propriétaire, sans que celui-ci n’ait à donner son consentement (797).
Depuis la loi n° 88-15 du 5 janvier 1988 (798), l’article 225-10, alinéa 1er, n’est plus
d’ordre public. Antérieurement, la controverse était vive sur le point de savoir si le texte était
ou non impératif. Certains auteurs penchaient en faveur du caractère supplétif, au motif que le
texte ne concernaient que des intérêts privés. Par conséquent, les statuts, faute d'interdiction
expresse, pouvait prévoir une répartition différente ( 799 ). A l'inverse, un autre courant
doctrinal militait en faveur de la solution opposée, faute de la mention « sauf clause contraire
des statuts » (800). La jurisprudence était, semble-t-il, muette. En revanche, une réponse
ministérielle (801) avait nettement pris parti en faveur de cette thèse. Mais, cette position se
voit contredite par le législateur de 1988, qui a autorisé les statuts à déroger à la répartition
légale du droit de vote en cas d'usufruit d'actions. Sur ce point, il a repris une solution qui est
en vigueur dans les autres formes sociales depuis 1978.
2. La répartition du droit de vote dans les autres formes
sociales
Comme en matière de sociétés par actions, la loi a longtemps été muette sur le
problème de la répartition des prérogatives de gouvernement en cas d’usufruit de parts
sociales. La jurisprudence en avait déduit la validité des clauses statutaires attribuant la
totalité du droit de vote à l’usufruitier ou au nu propriétaire (802). Le problème ne se posait
dans toute son ampleur que lorsque le pacte social était demeuré silencieux.
Les tribunaux adoptaient des solutions contrastées. Certaines décisions avaient étendu
le régime prévu pour les sociétés par actions, quand bien même les statuts auraient prévu un
partage différent ( 803) ; d’autres avaient transposé la distinction civiliste entre les actes
(797) cass com 18 juin 1974, Rev. Sociétés 1975 p. 481, note D. BRUN-TABOUROT.
(798) M. GERMAIN, Le droit commun des sociétés après la loi n° 88-15 du 5 janvier 1988 relative au
développement et à la transmission des entreprises, JCP 1988 I n° 3341, spéc. n° 24-25.
(799) D. SCHMIDT et R. KOERING-JOULIN, L’article L. 163, alinéa 1, de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966
sur les sociétés commerciales, précité.
(800) J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 104.
(801) Rép. Min. n° 3048, 16 oct. 1986, JO Sénat Questions 5 févr. 1987 p. 177.
(802) CA Paris 5 avr. 1937, Journ. Sociétés 1939 p. 225, note H. LECOMPTE.
(803) CA Orléans 10 oct. 1972, Bull. mensuel d’informations des sociétés 1973 p. 100.
CXLVIII
d’administration et ceux de disposition, seuls les premiers étant de la compétence de
l’usufruitier (804).
Reprenant à son compte des propositions doctrinales (805), la loi n° 78-4 du 4 janvier
1978 (806), en modifiant l’article 1844 du Code civil, a tranché la controverse. En effet, il
résulte de ce texte que « si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu
propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices où il est réservé à
l’usufruitier ». Cette disposition pose donc le principe de l’attribution du droit de vote au nu
propriétaire, la participation de l’usufruitier aux délibérations relatives à la distribution des
bénéfices apparaissant comme une exception (807). La répartition des prérogatives politiques
se fait donc selon un critère matériel, en fonction de l’objet de la décision. Elle a d’ailleurs
une vocation générale, l’article 225-10 ne concernant que les seules sociétés par actions.
En dépit des problèmes pratiques posés (808), la solution posée par l’article 1844,
alinéa 3, a le mérite d’être calquée sur le droit des biens. L’attribution du droit de vote à
l’usufruitier dans les assemblées décidant de la distribution des dividendes n’est en définitive
que le reflet de son fructus (809). En effet, il résulte de l’article 582 du Code civil que celui-ci
a droit aux fruits de la chose. Or, les bénéfices acquièrent cette qualification à partir du
moment où l’assemblée générale décide de leur distribution aux associés sous la forme de
dividendes (810). Dès lors, ne pas octroyer le droit de vote à l’usufruitier dans une telle
assemblée contredirait le droit commun, puisque cette solution aboutirait à abandonner la
détermination des fruits à l’arbitraire du nu propriétaire.
Cependant, à l’instar de l’article 225-10, alinéa 1er, l’article 1844 n’est pas d’ordre
public. Des dérogations à la répartition légale sont en effet concevables.
(804) CA Alger 13 mai 1954, précité.
(805) A. LE BAYON, L’usufruit des parts sociales, Rev. Sociétés 1973 p. 435, spéc. n° 21.
(806) sur cette loi, Y. CHARTIER, La société dans le Code civil après la loi du 4 janvier 1978, JCP 1978 I n°
2917 ; J. FOYER, La réforme du titre IX du livre III du Code civil, Rev. Sociétés 1978 p. 1 ;Y. GUYON, Les
dispositions générales de la loi 78-4 portant réforme des sociétés, Rev. Sociétés 1979 p. 1 ; M. JEANTIN, La
réforme du droit des sociétés par la loi du 4 janvier 1978, D. 1978 chron. p. 173.
(807) en ce sens, CA Colmar 30 mai 1986, Dr. Sociétés 1988 n° 158, qui qualifie le droit de vote de l’usufruitier
d’exorbitant.
(808) Si au cours d’une même assemblée générale, figure à l’ordre du jour la distribution des dividendes et
d’autres points relavant de la compétence du nu propriétaire, il y aura lieu de convoquer les deux parties – comp.
M. LECENE-MARENAUD, Les parts et actions de sociétés qui appartiennent à plusieurs personnes, op. cit., n°
469.
(809) Y. PACLOT, Remarques sur le démembrement des droits sociaux, JCP éd. E 1997 I n° 678, spéc. n° 16.
(810) V. not., cass com 5 oct. 1999, JCP 1999 p. 1965 ; JCP éd. E. 2000 p. 29, obs. A. VIANDIER et J.-J.
CAUSSAIN ; Rev. Sociétés 2000 p. 286, note H. LE NABASQUE ; RTD com. 1999 p.138, obs. M. STORCK ;
cass com 5 déc. 2000, Bull. Joly 2001 p. 883.
CXLIX
b- les dérogations envisageables
Avant d’examiner les possibilités offertes aux parties, il y a lieu de s’interroger sur
l’instrumentum de la dérogation. Celle-ci doit-elle obligatoirement être statutaire ou peut-elle
être renfermée dans un accord extra-statutaire ? Il ne semble pas que la jurisprudence se soit
prononcée sur cette question. La doctrine est divisée : pour certains, seuls les statuts peuvent
retenir une répartition différente de celle prévue par la loi (811) ; pour d’autres, le partage
peut être aménagé dans la convention d’usufruit (812). C’est d’ailleurs en faveur de cette
thèse qu’opte le Comité Juridique de l’Association Nationale des Sociétés par actions (813),
dont la décision semble pouvoir être étendue à toutes les formes sociales.
Cette solution paraît préférable, pour deux raisons. D’une part, les auteurs hostiles au
pacte extérieur aux statuts tiraient argument du caractère impératif de la répartition légale, qui
n’est plus désormais que supplétive. D’autre part, la raison tenant à l’effet relatif des contrats
peut être aisément écartée. En effet, à peine d’inopposabilité, l’usufruit doit être notifié à la
société. Dès lors, cette notification pourrait valablement contenir l’accord des parties
organisant le partage du droit de vote.
Cette difficulté résolue, il y a lieu d’examiner quelles sont les dérogations
envisageables. La solution à ce problème (2) ne peut être trouvée qu’en recherchant, en
amont, qui, du nu propriétaire ou de l’usufruitier, est investi de la qualité d’associé (1).
1. La détermination de la qualité d’associé
La reconnaissance de la qualité d’associé au nu propriétaire ne souffre pas la
discussion. La doctrine est d’ailleurs unanime en ce sens (814). En effet, il a réalisé un apport,
dont le rôle est, on l’a vu, prépondérant dans l’attribution de ce statut. Il jouit également de
toutes les prérogatives attachées à la qualité d’associé, tels le droit de vote (815) ou, dans les
sociétés par actions, le droit préférentiel de souscription (816).
(811) A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n° 256 ; adde, J. HEMARD, Fr. TERRE et P. MABILAT,
Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 105.
(812) D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra statutaires entre associés, op. cit., n° 127.
(813) cité par J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 3464.
(814) ex. J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° ; A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n°
; J. DERRUPPE, Un associé méconnu : l’usufruitier de parts ou actions, Defrénois 1994 p. 1137 ; M. COZIAN,
Du nu propriétaire ou de l’usufruitier, qui à la qualité d’associé ?, JCP éd. E 1994 n° 374
(815) article 1844, alinéa 3, C. Civ. ; article 225-10, alinéa 1er, C. Com., pour les sociétés par actions.
( 816 ) art. 225-140 C. Com. (ancien art. L. 187) ; sur l’ensemble de la question, R. GENTILHOMME,
Démembrement de titres et opérations sur le capital social, Dr. et patrimoine avr. 1996 p. 41 et mai 1996 p. 54 ;
CL
D’ailleurs, même si elle est peu abondante, la jurisprudence consacre cette solution
(817). Une décision est particulièrement significative (818). En l’espèce, la Cour de cassation
affirme beaucoup plus nettement que dans ses arrêts antérieurs, que le nu propriétaire de
droits sociaux est nécessairement associé.
Mais est-ce à dire que l’usufruitier ne pourra jamais se voir attribuer cette qualité ?
Une fraction minoritaire de la doctrine en doute (819). Sans remettre en cause le statut du nu
propriétaire, elle soutient que l’usufruitier est aussi associé. Cependant, force est de constater
que les arguments avancés par ce courant n’ont que l’apparence de la pertinence.
Tout d’abord, reconnaissant le caractère essentiel de l’apport en société (820), ces
auteurs font valoir que l’usufruitier est, au même titre que le nu propriétaire, apporteur, que le
démembrement soit contemporain ou postérieur à l’apport ( 821). Ainsi, si une personne
apporte l’usufruit d’un bien à une société, elle recevra des titres en pleine propriété et, partant,
sera considérée comme associée. Ce raisonnement est loin d’emporter la conviction. En effet,
il procède d’une confusion entre la situation de l’usufruitier de droits sociaux et celle de cet
apporteur en usufruit. Celui-ci est au regard de la société seul associé, l’usufruit ne porte pas
sur les parts reçues en rémunération de l’apport. Or, c’est cette situation qui est
problématique.
De même, ces auteurs tentent de démontrer que l’usufruitier peut être apporteur si le
démembrement est postérieur à l’apport. Ils citent à l’appui de leur position la donation avec
réserve d’usufruit ou l’usufruit successoral. Selon eux, comment soutenir raisonnablement
P. CORDONNIER, De quelques problèmes concernant les actions grevées d’usufruit, en cas d’augmentation du
capital social par mise en souscription d’actions nouvelles, Journ. Sociétés 1961 p. 65.
(817) CA Paris 22 janv. 1971, JCP éd. CI 1971 n° 10364 ; D. 1971 p. 517, note Y. GUYON ; Rev. Sociétés 1971
p. 413, note D. BRUN-TABOUROT ; Journ. agréés 1971 p. 123, note E. M. ; CA Douai 22 févr. 1971, Journ.
agrées 1971 p. 259 ; cass civ 3ème 5 juin 1973, Bull. III n° 403 ; adde, CA Paris 16 févr. 1989, RTD com. 1989
p. 685, obs. E. ALFANDARI et M. JEANTIN, qui reconnaît la qualité d’associé aux héritiers du nu propriétaire.
(818) cass com 4 janv. 1994, de Gaste, Dr. Sociétés 1994 n° 45, obs. Th. BONNEAU ; Defrénois 1994 p. 556,
note P. LE CANNU ; Quot. Jur. 3 févr. 1994 p. 4, obs. P. M. ; JCP éd. E 1994 I n° 363 (n° 4), obs. A.
VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; RD bancaire et bourse, Gestion de patrimoine, mars/avril 1994 p. 9 (n° 5) ;
Gaz. Pal. 1995, 1, p. 1, note M. DELVAL ; Rev. Sociétés 1994 p. 278, note M. LECENE-MARENAUD ; RTD
civ. 1994 p. 644, obs. F. ZENATI.
(819) J. DERRUPPE, Un associé méconnu : l’usufruitier de parts ou actions, précité, et De l’ineptie de refuser à
l’usufruitier la qualité d’associé, Defrénois 1997 p. 297 ; M. COZIAN, Du nu propriétaire ou de l’usufruitier,
qui a la qualité d’associé ?, précité ; J.-P. GARCON, La situation des titulaires de droits sociaux démembrés ( à
propos des arrêts de la Chambre commerciale du 4 janvier 1994 et de la troisième Chambre civile du 2 mars
1994 de la Cour de cassation, JCP éd. N 1995 I p. 269 ; C. REGNAUT-MOUTIER, Vers la reconnaissance de
la qualité d’associé au nu propriétaire de droits sociaux ?, Bull. Joly 1994 p. 1155 ; Y. PACLOT, Remarques
sur le démembrement de droits sociaux, précité ; L. AYNES, Usufruit et droit d'usage, précité.
(820) V. cependant, plus nuancée, C. REGNAUT-MOUTIER, Vers la reconnaissance de la qualité d’associé au
nu propriétaire de droits sociaux ?, précitée.
(821) J. DERRUPPE, Un associé méconnu : l'usufruitier de parts ou actions, précité.
CLI
que le fondateur d’une société qui a fait don à ses enfants de la nu propriété des droits sociaux
n’est pas apporteur ( 822 ) ? La solution inverse heurte le bon sens le plus élémentaire.
L’objection est de taille. Cependant, à la réflexion, l’argument n’emporte pas véritablement
l’adhésion. En effet, une fois la donation réalisée, la qualité d’associé est transmise de plein
droit au donataire, et avec elle celle d’apporteur. Autrement dit, du fait de ce transfert,
l’apport est réputé avoir été effectué par le nu propriétaire. Même si elle repose sur une
fiction, cette analyse est conforme au mécanisme de la donation. En outre, à suivre la logique
du motif avancé par les tenants de la dualité d’associé, il y aurait lieu de refuser la qualité
d’associé au cessionnaire de droits sociaux, seul le cédant ayant réalisé l’apport !
Ensuite, les auteurs qui contestent la reconnaissance du statut d’associé au seul nu
propriétaire font valoir que l’usufruitier jouit des prérogatives traditionnellement réservées à
l’actionnaire. Ainsi, il est titulaire du droit de vote, attribut essentiel de l’associé (823). Dans
ces conditions, n’est-il pas paradoxal d’affirmer que la participation aux délibérations sociales
est inhérente à la qualité d’associé et de continuer de refuser ce statut à l’usufruitier (824) ?.
Force est de reconnaître néanmoins que cet argument ne résiste pas à l’analyse. En effet,
l’article 1844, alinéa 3 pose très nettement le principe du droit de vote du nu propriétaire. Par
conséquent, les prérogatives de gouvernement reconnues à l’usufruitier sont des exceptions au
principe de l'attribution du droit de vote à chaque associé, qui doivent en tant que telles être
interprétées restrictivement (825). D’ailleurs, la jurisprudence a eu l’occasion de consacrer
cette solution, puisqu’elle a affirmé que la participation de l’usufruitier aux décisions
collectives avait un « caractère exorbitant » (826). Dans ces conditions, on ne saurait déduire
d'une possibilité ponctuelle de voter reconnue à l'usufruitier, qui présente un caractère
exceptionnel, la qualité d'associé de ce dernier.
(822) M. COZIAN, Du nu propriétaire ou de l’usufruitier, qui a la qualité d’associé ?, précité.
( 823 ) cass civ 7 avr. 1932, D.P. 1933, 1, p. 153, note P. CORDONNIER ; S. 1933, 1, p. 177, note H.
ROUSSEAU ; Journ. Sociétés 1934 p. 289, note H. LECOMPTE ; cass Req. 23 juin 1941, Journ. Sociétés 1943
p. 209 ; Les grands arrêts de la jurisprudence commerciale, n° 66, p. 207, note J. NOIREL ; cass com 9 févr.
1999, Château d'Yquem, Bull. IV n° 44 ; Rev. Sociétés 1999 p. 79, note P. LE CANNU, JCP éd. N 1999 p. 417 ;
D. affaires 1999 p. 563 ; Bull. d’actualités Lamy Sociétés commerciales mars 1999 ; BRDA 4/99 n° 3 ; JCP éd.
E 1999 p. 724, note Y. GUYON ; RJ com. 1999 p. 269, note J.-Ph. DOM ; RJDA 1999 n° 567 ; Dr. Sociétés
1999 n° 67, obs. Th. BONNEAU ; Bull. Joly 1999 § 122, note J.-J. DAIGRE ; Defrénois 1999 p. 625, note H.
HOVASSE ; JCP 1999 II n° 10168, note G. BLANC ; Dr. et patrimoine janv. 2000 p. 96, obs. J.-P. BERTREL ;
RTD com. 1999 p. 902, obs. Y. REINHARD ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 231, obs. J.-C. HALLOUIN –
sur la portée de ces arrêts au regard du caractère fondamental du droit de vote, infra..
(824) en ce sens, C. REGNAUT-MOUTIER, Vers la reconnaissance de la qualité d’associé à l’usufruitier de
droits sociaux ?, précitée.
(825) sur cette question, infra.
(826) CA Colmar 30 mai 1986, précité.
CLII
En outre, cette école doctrinale raisonne par analogie avec l’indivision. Puisque la
Cour de cassation (827) reconnaît la qualité d’associé à chaque indivisaire, c’est donc que
celle-ci peut appartenir conjointement à plusieurs personnes du chef des mêmes titres (828).
Cet argument n’a que l’apparence de la pertinence. En effet, la solution adoptée par la Haute
juridiction est avant tout dictée par l’impossibilité d’attribuer le statut d’associé à l’indivision
elle-même, faute de personnalité juridique. Autrement dit, la situation est différente de celle
qui prévaut en matière d’usufruit. Dans l’indivision, chacun est porteur indivis des titres : il
s’agit d’une sorte de solidarité active.
Enfin, ces auteurs invoquent à l’appui de leur thèse la nécessité de l’agrément de
l’usufruitier dans les sociétés de personnes et à responsabilité limitée ( 829 ). Puisque la
participation de celui-ci à la vie sociale est subordonnée à l’accord des associés, c’est qu’il est
lui-même un associé, soumis en tant que tel à l’agrément. En fait, une telle analyse méconnaît
la finalité de ce mécanisme. En effet, comme on l’a fort justement fait remarquer (830), ce
processus ne vise pas à faire obstacle à l’entrée d’un nouveau membre dans la société, mais à
contrôler toute modification dans la structure du pouvoir. Or précisément, la constitution d’un
usufruit aboutit à un transfert du droit de vote, sans qu’il n’y ait cession des droits sociaux.
En définitive, aucun des motifs avancés pour faire de l’usufruitier un associé n’est
véritablement convaincant (831). Bien au contraire, d’autres arguments militent en faveur de
la reconnaissance de cette qualité au seul nu propriétaire. Ainsi l’article 1844-5, alinéa 2, du
Code civil affirme-t-il que « l’appartenance de l’usufruit de toutes les parts sociales à la
même personne est sans conséquence sur l’existence de la société » (832). Interprété à la
lumière de l’alinéa 1er, ce texte refuse nécessairement le statut d’associé à l’usufruitier. En
effet, si la réunion de tous les titres sur la tête d’un même associé peut entraîner, sous
certaines conditions, la dissolution de la société et que la détention de l’usufruit de la totalité
(827) cass com 6 févr. 1980, Rev. Sociétés 1980 p. 521, note A. VIANDIER – V. infra.
(828) C. REGNAUT-MOUTIER, Vers la reconnaissance de la qualité d’associé au nu propriétaire de droits
sociaux ?, précitée.
(829) J. DERRUPPE, Un associé méconnu : l’usufruitier de parts ou actions, précité ; adde, B. MERCADAL et
Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 633 ; D. VEAUX, J.-Cl. Civ. Art. 582 à
599, fasc. 10, n° 64, 1993.
(830) J. PRIEUR, Les démembrements sur les titres, Dr. et patrimoine, n° spécial, Démembrement de propriété.
Vulnérabilités et parades, janv. 1995, p. 29 ; comp. A. LE BAYON, L’usufruit des parts sociales, précité, n° 11.
(831) Rappr. J.-P. CHAZAL, L'usufruitier et l'associé, Defrénois 2000 p. 743.
(832) J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n°209 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento
pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 117 ; A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n° 253 ; adde,
G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1086.
CLIII
des parts ou actions par une seule personne est sans incidence, c’est donc que l’usufruitier
n’est pas associé.
Même si un arrêt demeuré isolé a qualifié l’usufruitier de « coassocié » (833), la
jurisprudence ne lui a jamais reconnu cette qualité. Certaines décisions de juridictions du fond
la lui ont d’ailleurs expressément dénie. Ainsi, un jugement du tribunal de commerce de
Roanne ( 834 ) a-t-il considéré que seul le nu propriétaire pouvait solliciter du juge la
nomination d’un expert de gestion, conformément à l’article L. 226 (actuellement 225-31 C.
Com.), étant seul investi de la qualité d’associé. La position du tribunal de commerce de Lyon
est encore plus nette (835). En l’occurrence, la juridiction consulaire répute non écrite une
clause statutaire attribuant le droit de vote au seul usufruitier. Cette stipulation avait pour effet
de priver l’associé de son droit de participer aux décisions collectives et de conférer cette
prérogative à une personne qui n’était pas associée. Comme le font remarquer les juges, « la
qualité d’associé ne peut être reconnue qu’au nu propriétaire, seul concerné par les droits et
obligations liés aux apports ». On ne pouvait plus clairement refuser ce statut à l’usufruitier.
En outre, l'arrêt du 4 janvier 1994 réserve implicitement la qualité d’associé au seul nu
propriétaire (836). Même si la question de l’attribution de ce statut à l’usufruitier n’a pas été
posée à la Cour de cassation (837), deux arguments militent en faveur de cette conclusion. En
premier lieu, la formulation employée par la Haute juridiction, à savoir « aucune dérogation
n’est prévue concernant le droit des associés, et donc du nu propriétaire de participer aux
décisions collectives » laisse peu de place au doute ( 838 ). En second lieu, le principe
d’indivisibilité, posé à l’article 228-5 du code de commerce (ancien art. L. 266) et applicable
(833) cass com 26 févr. 1974, Bull. IV n° 71. Cependant, comme le fait remarquer, à juste titre, M. le Professeur
Viandier, la portée de cet arrêt ne doit pas être exagérée, la qualification de coassocié ne soutenant pas
directement le dispositif de l’arrêt (A. VIANDIER, La notion d’associé, op. cit., n° 253) ; comp. cass soc 8 nov.
1967, Bull. V n° 705 ; JCP éd. E 1986 n° 15823 (n°8), obs. J. RICHARD. En l’espèce, la Chambre sociale
censure une Cour d’appel qui avait reconnu la qualité de commandité à l’usufruitier de parts sociales, faute
d’avoir établi l’accord de ce dernier d’acquérir ce statut, au moyen par exemple d’un apport en industrie.
(834) Trib. com. Roanne, ord. référé, 13 sept. 1991, RTD com. 1992 p. 201, obs. Y. REINHARD ; comp. CA
Paris 27 mai 1988, D. 1988, inf. rap., p. 220 et CA Versailles, 19 déc. 1989, Bull. Joly 1990 p. 182, note P. LE
CANNU. Ces deux décisions se fondent sur les limitations du droit de vote posées à l’article L. 163
(actuellement art. 225-10 C. Com.)pour refuser ou accorder le droit du nu propriétaire de demander une expertise
de gestion. Ce fondement n’emporte pas la conviction, les décisions relevant de la compétence des assemblées
générales n’étant pas susceptibles de faire l’objet d’une telle mesure.
(835) Trib. com. Lyon 30 sept. 1993, Dr. Sociétés 1993 n° 217, obs. crit. Th. BONNEAU.
(836) cass com 4 janv. 1994, de Gaste, précité.
(837) en ce sens, J. DERRUPPE, Un associé méconnu : l’usufruitier de parts ou actions, précité ; M. COZIAN,
Du nu propriétaire ou de l’usufruitier, qui a la qualité d’associé, précité ; C. REGNAUT-MOUTIER, Vers la
reconnaissance de la qualité d’associé à l’usufruitier de droits sociaux ?, précité ; J.-P. GARCON, La situation
des titulaires de droits sociaux démembrés (à propos des arrêts de la Chambre commerciale du 4 janvier 1994 et
de la troisième Chambre civile du 2 mars 1994), précité.
(838) F. ZENATI, obs. sous cass com 4 janv. 1994, RTD civ. 1994 p. 644.
CLIV
à toutes les formes sociales, s’oppose à ce que la qualité d’associé soit reconnue en même
temps aux deux parties à la convention d’usufruit. En effet, il résulte de cette règle que la
société ne connaît pour chaque titre qu’un seul titulaire ; par conséquent, la qualité d’associé
ne peut être scindée, pas plus que les attributs attachés aux droits sociaux (839). En d'autres
termes, si le nu propriétaire est associé, l’usufruitier ne peut pas l’être.
Cette attribution de la qualité d’associé au seul nu propriétaire emporte des
conséquences importantes, notamment en matière de représentation. Ainsi, n’étant pas
actionnaire, l’usufruitier ne pourra pas valablement représenter le nu propriétaire dans les
assemblées générales extraordinaires, alors qu’il pourra mandater ce dernier dans les
assemblées générales ordinaires (840). En revanche, d’après l’article 223-28 du code de
commerce (ancien art. L. 58), la représentation est libre dans les assemblées générales de
SARL, sous réserve d’être expressément prévue par les statuts. Autrement dit, les deux parties
pourront se donner mutuellement mandat de vote, à condition qu’une clause statutaire autorise
la représentation aux assemblées générales. Toutefois, ce mandat, même s’il est valable,
suppose une bonne entente entre les deux parties pour être exécuté. En cas de conflit
d’intérêts ou de mésentente grave, l’usufruitier ne pourrait pas représenter le nu propriétaire
(841).
En revanche, dans les autres formes sociales, dans lesquelles le mandat n’est possible
que s’il est expressément prévu par le pacte social et s’il est donné à un autre associé (842),
l’usufruitier pourra donner mandat au nu propriétaire, l’inverse n’étant pas possible.
L’attribution de la qualité d’associé au seul nu propriétaire est riche de conséquences
en matière d’aménagements de la répartition du droit de vote.
( 839 ) sur l’ensemble de la question, B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés
commerciales, op. cit., n° 2481.
(840) en effet, il résulte de l’article 225-106 du code de commerce (ancien art. L. 161) que, nonobstant toute
clause contraire, un actionnaire ne peut se faire représenter que par un autre actionnaire ou par son conjoint. Sur
la représentation conventionnelle, V. infra.
(841) CA Paris 22 janv. 1971, précité.
(842) en ce sens, G. FLORES et S. BAILLIE-DUPONT, La pratique de l’assemblée générale, éd. Francis
LEFEBVRE, 1996, n° 30.
CLV
2. Les possibilités d’aménagements du droit de
vote
Les articles 225-10, alinéa 1er, et 1844, alinéa 3, du Code civil, ne sont pas des
dispositions impératives. Les statuts, ou, semble-t-il, un pacte extra-statutaire, peuvent y
déroger. Mais, tout le problème est de savoir quelle est l’étendue des dérogations autorisées.
Par exemple, est-il possible de conférer la totalité du droit de vote à l’une des parties, ou
d’organiser un double suffrage ? La réponse doit être nuancée.
Bien que le contraire ait été soutenu (843), les statuts ne peuvent attribuer la totalité du
droit de suffrage au seul usufruitier. Ainsi en a décidé la Cour de cassation dans un arrêt rendu
le 4 janvier 1994 (844). Il s’agissait en l’espèce d’un groupement forestier, fondé par deux
époux. Ceux-ci attribuèrent la nu propriété des parts à leurs enfants, en s’en réservant
l’usufruit. Une clause des statuts prévoyait que « le nu propriétaire est valablement
représenté par l’usufruitier qui est seul convoqué aux assemblées, même extraordinaires, ou
modificatives des statuts, et a seul le droit d’y assister et de prendre part au vote, quelle que
soit la nature de la décision à prendre ». A la suite d’un litige, les nus propriétaires excipèrent
de la nullité de cette stipulation. Cependant, faisant valoir le caractère supplétif de l’article
1844, alinéa 3, la Cour de Caen reste insensible à leur argumentation. Puisque ce texte n’est
pas d’ordre public, il était loisible aux statuts de prévoir une répartition du droit de vote
différente. Cette analyse est critiquée par le pourvoi : la clause litigieuse méconnaissait la
qualité d’associé du nu propriétaire puisqu’elle avait pour effet de le priver du droit de
prendre part aux décisions collectives, inhérent à ce statut. Ce raisonnement a séduit la Cour
de cassation, puisque elle a exercé sa censure, en ces termes : « si, selon l’article 1844, alinéa
4, du Code civil, il peut être dérogé à l’alinéa 3 du même article qui est relatif au droit de
vote, et qu’il était donc possible aux statuts litigieux de prévoir une dérogation sur ce point,
aucune dérogation n’est prévue concernant le droit des associés, et donc du nu propriétaire
de participer aux décisions collectives tel qu’il est prévu à l’alinéa premier dudit article ».
La Haute juridiction envisage ainsi l’article 1844 globalement : elle interprète l’alinéa
3 de ce texte à la lumière de l’alinéa 1er. Le partage conventionnel du droit de vote ne pourra
avoir pour effet de priver le nu propriétaire, associé, de ses prérogatives de gouvernement.
(843) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 1805 ; A.
GUENGANT, L’attribution du droit de vote en cas de démembrement de la propriété d’actions et de parts
sociales, JCP éd. E 1994 pan. p. 131 ; R. CONTIN et M. DESLANDES, L’adaptation du capital à la
transmission du pouvoir par l’organisation statutaire du droit de vote dans les sociétés anonymes familiales,
précités ; comp. J.-F. ARTZ, J.-Cl. Civil, Art. 1832 à 1844-10, fasc. 40, 1994, n° 40.
(844) cass com 4 janv. 1994, de Gaste, précité.
CLVI
Autrement dit, il résulte de cette décision que les dérogations à la répartition légale doivent
respecter la qualité d’associé du nu propriétaire, qui lui octroie un droit irréductible de
participer aux décisions collectives.
Bien que rendue en matière de groupement forestier, qui est une forme de société
civile, cette solution a « vocation à la plus large généralisation » ( 845 ). Elle concerne
également les sociétés commerciales, notamment par actions, l’article 1844, sous le visa
duquel la Chambre commerciale a statué étant un texte de droit commun.
Au lendemain de la décision, de nombreux commentateurs ont cru y voir une
distinction entre droit de vote et droit de participation aux décisions collectives (846). Selon
eux, les statuts auraient pu valablement conférer la totalité du premier à l’usufruitier, à
condition de ne pas porter atteinte au second. Ce distinguo posait des difficultés pratiques
incommensurables, puisqu’il aurait également fallu convoquer le nu propriétaire à toutes les
assemblées, auxquelles il prenait part sans voix délibérative. On peut légitimement
s’interroger sur l’intérêt de disposer d’une participation stérile (847) Cette distinction est
cependant conforme à la rédaction même de l’arrêt de Gaste. En effet, en l’espèce, la Cour de
cassation donne son aval aux stipulations statutaires qui conféreraient la totalité du droit de
vote à l’usufruitier ; elle interdit seulement les privations du droit de participation aux affaires
sociales. En effet, on l’a vu, la clause litigieuse ne se contentait pas d’attribuer le droit de
suffrage à l’usufruitier pour toutes les délibérations ; elle interdisait également au nu
propriétaire d’assister aux assemblées générales. C’est cet excès manifeste que la Haute
juridiction a entendu sanctionner et non la dévolution du droit de suffrage au seul usufruitier.
Cette interprétation est désormais condamnée, depuis l’arrêt rendu le 9 février 1999
par la Chambre commerciale (848). Bien que totalement étrangère à l’usufruit des parts et
actions, cette décision mérite d’être rapprochée de cette matière. En effet, en l’occurrence, la
Haute Juridiction a considéré que le droit de participer aux décisions collectives visé par
l’article 1844 alinéa 1er s’entendait nécessairement de celui de voter. Confronté à la
(845) Ch. ATIAS, L’ambiguïté des arrêts dits de principe en droit privé, JCP 1984 I n° 3145, spéc. n° 9.
(846) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., loc. cit. ; M.-C.
MONSALLIER, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n° 415 ; J.-P
GARCON, La situation des titulaires de droits sociaux démembrés ( à propos des arrêts de la Chambre
commerciale du 4 janvier 1994 et de la troisième Chambre civile du 2 mars 1994 de la Cour de cassation),
précité ; A. GUENGANT, L’attribution du droit de vote en cas de démembrement de la propriété d’actions et de
parts sociales, précité ; H. HOVASSE, Le démembrement de droits sociaux, Dr. Sociétés, Actes pratiques, n° 15,
1994, p. 2 ; J.-J. DAIGRE, Le droit de vote est-il encore un attribut essentiel de l’associé ?, JCP éd. E 1996 I n°
575 ; A. VIANDIER et J. CAUSSAIN, obs. sous cass com 4 janv. 1994, JCP éd. E 1994 I n° 363 (n°4) ; sur
l’ensemble de la question, V. supra.
(847) P. LE CANNU, note sous cass com 4 janv. 1994, Defrénois 1994 p. 556 – V. infra.
(848) cass com 9 févr. 1999, Château d'Yquem, précité.
CLVII
jurisprudence « de Gaste », cet arrêt interdit aux statuts de priver le nu propriétaire de tout
droit de vote, conformément à l’analyse de certains auteurs ( 849 ). Cette position n’est
d’ailleurs pas inédite puisque le Tribunal de commerce de Lyon (850) avait déjà réputé non
écrite une clause statutaire qui donnait à l’usufruitier le droit de suffrage, quelle que soit la
nature de la décision à prendre.
Ce rigorisme, s’il est incontestable au regard des principes de droit des sociétés, est
néanmoins profondément regrettable. En effet, la position de la Haute juridiction empêche de
conférer le droit de vote dans toutes les assemblées à l’usufruitier, alors que celui-ci manifeste
souvent un plus grand intérêt pour les affaires sociales que le nu propriétaire (851) ou qu’il est
fréquemment fondateur de la société. La jurisprudence ultérieure ne s'est, semble-t-il, pas
prononcée sur la question, même si la Cour de Paris a estimé qu'une clause conférant le droit
de vote à l'usufruitier dans toutes les assemblées générales d'une société anonyme ne
constituait pas un trouble manifestement illicite, justifiant l'intervention du juge des référés
(852).
La jurisprudence Château d'Yquem autorise-t-elle les statuts à priver l’usufruitier de
toute prérogative politique au profit du seul nu propriétaire ? Une réponse affirmative ferait
bon marché des règles régissant le droit des biens. En effet, il résulte de l’article 582 du Code
civil que la détermination des fruits de la chose ne peut relever de la discrétion du nu
propriétaire (853), sous peine pour ce dernier de porter atteinte aux droits de l’usufruitier. Dès
lors, le vote du nu propriétaire dans une assemblée générale relative au partage des bénéfices
peut conduire à la réalisation de ce risque. On pourrait dès lors songer à une clause faisant
(849) J.-J. DAIGRE, Un arrêt de principe : le nu propriétaire de droits sociaux ne peut pas être totalement privé
de son droit de vote (à propos de cass com 4 janvier 1994), précité ; M. JEANTIN, Observations sur la notion
de catégorie d’actions, D. 1995, chron. p. 88 ; Th. BONNEAU, note nous cass com 4 janv. 1994, Dr. Sociétés
1994 n° 45 ; M. LECENE-MARENAUD, note sous cass com 4 janv. 1994, Rev. Sociétés 1994 p. 278 ; adde, Y.
CHARTIER, Droit des affaires, t. 2, op. cit., n° 53 – adde, Y. REINHARD, La holding familiale, Defrénois
2001 p. 291.
(850) Trib. com. Lyon 30 sept. 1993, précité.
(851) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 117 ; J.-F.
ARTZ, Rép. Sociétés V° « Actions », 1989, n° 28.
(852) CA Paris 2 juin 2000, JCP éd. E. 2000 p. 1310 ; Bull. Joly 2000 p. 1125, note J.-J. DAIGRE ; RTD com.
2000 p. 954, obs. J.-P. CHAZAL et Y. REINHARD – Rappr. ANSA n° 526, CJ 15 sept. 1999, in
www.ansa.asso.fr/site/30373.htm, qui considère que la jurisprudence Château d'Yquem ne s'oppose à
l'attribution de la totalité des droits de vote à l'usufruitier. Certains auteurs sont du même avis (J. PRIEUR, J.-P.
FERRET et F. ROUSSEL, Démembrement, utilisation du quasi-usufruit, montages. Aspects de droit des
sociétés, Dr. et patrimoine nov. 1999 p. 71.
(853) en ce sens, M. JEANTIN, Droit des sociétés, op. cit., n° 200 ; J. MESTRE, Lamy Sociétés commerciales,
op. cit., n° 2869 ; adde, De la validité de la clause statutaire conférant à l’usufruitier le droit de vote dans toutes
les assemblées générales d’une SARL et recours des nus propriétaires, Bull. mensuel d'informations des sociétés
1980 p. 591.
CLVIII
obligation au nu propriétaire d’émettre un suffrage conforme aux intérêts de l’usufruitier,
donc favorable à la distribution (854). Mais n’est-ce pas porter une atteinte trop grave à sa
liberté de vote, corollaire de son droit de participer aux affaires sociales ? Une telle stipulation
pourrait constituer une convention de vote prohibée et donc être source d’insécurité.
Autrement dit, elle aboutit à substituer un risque à un autre. Faute de jurisprudence sur ce
point (855), il y a lieu d’en conclure à l’impossibilité pour les statuts de conférer au nu
propriétaire la totalité du droit de vote dans toutes les assemblées. Il convient de réserver le
droit irréductible de l’usufruitier prendre part à la délibération relative à la distribution des
bénéfices.
En définitive, il semble que, quelle que soit la forme sociale, l’article 225-10 constitue
un plafond aux dérogations statutaires et l’article 1844, alinéa 3, un plancher. En d’autres
termes, les statuts ne pourraient pas instaurer un partage plus favorable au nu propriétaire que
celui prévu par le Code civil sous peine de porter atteinte au droit des biens. Ainsi, dans une
société par actions, le pacte social pourra prévoir que le droit de vote sera exercé en toutes
circonstances par le nu propriétaire, sauf lors de l’assemblée générale décidant de la mise en
distribution des bénéfices. De même, aucune stipulation ne pourrait répartir le droit de vote
dans un sens plus favorable à l’usufruitier que celui contenu dans le code de commerce, sans
priver l’associé de sa prérogative fondamentale. Ainsi, dans une société autre que par actions,
les statuts pourront valablement réserver le droit de suffrage au nu propriétaire pour toutes les
modifications statutaires, et l’attribuer à l’usufruitier pour les autres décisions.
Mais la répartition conventionnelle des prérogatives politiques pourra-t-elle être
alternative ? Autrement dit, les deux parties pourront-elles valablement prendre part au vote si
les statuts l’ont prévu ? La Cour de cassation a semblé répondre par l’affirmative (856). En
l’espèce, des parents et leurs enfants avaient fondé une société civile. Les parents firent une
donation à leurs héritiers de la nue propriété, avec réserve d’usufruit. La société continua à
fonctionner de nombreuses années, avec la participation de tous, usufruitiers et nus
propriétaires, aux assemblées générales. Mais un des usufruitiers demanda la nullité d’une
délibération sociale, arguant du fait que les deux parties avaient simultanément pris part au
vote dans les mêmes délibérations. Sa prétention ayant été rejetée par la Cour d’Aix en
Provence, le pourvoi faisait valoir que le double droit de vote n’est pas permis par l’article
(854) en ce sens, F.-D. POITRINAL, L’usufruit conventionnel d’actions : un outil financier méconnu, précité.
(855) Voir cependant, Trib. com. Lyon 30 sept. 1993, qui admet qu’on puisse priver l’usufruitier, qui n’est pas
associé de son droit de vote.
(856) cass civ 3ème 2 mars 1994, Rev. Sociétés 1995 p. 41, note P. DIDIER ; Dr. Sociétés 1994 n° 85, obs. crit.
Th. BONNEAU.
CLIX
1844, alinéa 3, du Code civil. Par suite, la résolution critiquée encourait l’annulation sur le
fondement de l’article 1844-10. Toutefois, ce raisonnement n’a pas convaincu la Haute
juridiction puisque les juges du fond y reçoivent pleine approbation, en ces termes : « Ayant
justement retenu que, l’article 1844 du Code civil permettant dans son quatrième alinéa,
d’élargir le droit de vote dans les assemblées générales au profit des usufruitiers, les
dispositions du troisième alinéa de cet article n’avaient pas un caractère impératif, la Cour
d’appel, qui a relevé que les époux Buding avaient toujours voté dans les assemblées, bien
qu’ils étaient seulement usufruitiers, n’avait pas à répondre à des conclusions que sa décision
rendait inopérantes ». En d’autres termes, puisque l’article 1844, alinéa 3, n’est pas un texte
impératif, les résolutions qui auraient été adoptées au mépris de ce texte ne peuvent encourir
la nullité.
Cette solution n’est pas à l’abri de la critique, en ce qu’elle méconnaît le principe
d’indivisibilité des droits sociaux et surtout le démembrement de propriété qui résulte de la
constitution de l’usufruit (857). En effet, celui-ci implique nécessairement une division des
prérogatives entre les deux parties. D’ailleurs, il convient de remarquer que le double droit de
vote ne résultait en l’occurrence d’aucune clause statutaire. Si tel avait été le cas, alors
l’assemblée aurait été annulable. On le sait, cette sanction est encourue non seulement en cas
de violation d’une disposition impérative du droit des sociétés ou en cas de méconnaissance
d’une règle qui régit la nullité des contrats. Précisément, la stipulation statutaire organisant le
double suffrage a un objet illicite, ayant pour effet de nier le démembrement de droits nés de
l’usufruit (858). Par là même, elle encourt la nullité et avec elle toutes les résolutions sociales
adoptées sur son fondement. En d’autres termes, il ne semble pas que cet arrêt ait rendu licite
la pratique du double droit de vote ; simplement, les textes applicables ne permettaient pas
d’annuler la délibération (859).
En définitive, par l’organisation du droit de vote qu’elle opère, soit légalement soit
conventionnellement, la constitution d’un usufruit permet le transfert du droit de vote à une
personne qui n’est pas associée. Elle peut permettre de stabiliser le pouvoir au sein de la
société. Ainsi, un associé en pleine propriété pourra se voir céder l’usufruit d’un ou plusieurs
droits sociaux afin de maintenir à bon prix son contrôle sur la société. Dès lors, les
(857) en ce sens, Th. BONNEAU, obs. sous cass civ 3ème 2 mars 1994, Dr. Sociétés 1994 n° 85.
(858) sur le contrôle de la licéité de l’effet par le biais du contrôle de la licéité de l’objet, N. RONTCHEVSKY,
L’effet de l’obligation, Economica, 1998, n° 60 et s.
(859) en ce sens, P. DIDIER, note sous cass civ 3ème 2 mars 1994, Rev. Sociétés 1995 p. 41 ; comp. J.-P.
GARCON La situation des titulaires de droits sociaux démembrés (à propos des arrêts de la Chambre
commerciale du 4 janvier 1994 et de la troisième Chambre civile du 2 mars 1994), précité., spéc. n° 25.
CLX
répartitions statutaires du droit de vote entre les parties peuvent aboutir à une opération
répréhensible. Mais cependant, le droit des sociétés, ainsi que le droit des biens, permettent
d’éviter que sous couvert d’une convention licite, la constitution d’un usufruit, on aboutisse à
une cession du droit de vote prohibée. Le problème de la conciliation du droit des sociétés et
du droit des biens se pose en des termes identiques lorsque les praticiens ont recours à la
technique de la copropriété de droits sociaux.
B. La copropriété d'actions
Le législateur français, fidèle à la méfiance révolutionnaire envers les corps
intermédiaires, a longtemps adopté une "conception atomistique" du droit des sociétés, selon
l'expression d'un auteur (860), inspirée par la prohibition générale des corps intermédiaires.
L'associé est isolé face à la société, il exerce son droit de vote individuellement, en toute
liberté, et non de manière concertée avec les autres apporteurs de capital. Aucune structure ne
peut s'immiscer entre lui et la personne morale. Néanmoins, plusieurs titulaires de droits
sociaux peuvent décider d'apporter leurs titres à une entité juridique créée pour la
circonstance. Il y a donc dans ce cas transfert du droit de vote à un organisme intermédiaire,
qui prendra seul la décision dans un sens préalablement déterminé par l'unanimité ou la
majorité des apporteurs. Le groupement ainsi constitué peut avoir la personnalité juridique : il
s'agira dans ce cas d'une société holding, civile ou commerciale (861). Cependant, pour des
raisons pratiques ( 862 ), l'entité peut être dénuée de la personnalité morale et prendra
fréquemment la forme d'une copropriété d'actions (863). La nature de cette dernière suscite
des difficultés. Il semble cependant que la qualification d'indivision s'impose (a). C'est
pourquoi c'est son régime juridique qui sera appliqué (b).
a- La qualification en indivision de la copropriété d'actions
(860) R. HOUIN, Rapport général, TAC t. X, Les consortiums d'actionnaires, 1956, p. 204.
(861) sur la société holding, infra.
(862) tenant notamment à la simplicité, à la rapidité et au faible coût de l'opération : Cl. CHAMPAUD, Les
groupements et organismes sans personnalité morale en droit français, TAC, t. 21, 1974, p. 118 ; D.
VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, préf. J. MESTRE, n°
99.
(863) M. STORCK, Les groupements de copropriétaires d'actions, Rev. Sociétés 1983 p. 293. Cependant, les
parties peuvent préférer conclure une société en participation, destinée à gérer leurs droits de vote dans la société
émettrice, comme en témoigne parfois l'actualité financière (V. ainsi, le pacte conclu entre la CGE, aujourd'hui
Vivendi, et la société Havas, désormais absorbée par cette dernière, afin de gérer les droits de vote détenus au
sein de Canal + : Option finance, 21 févr. 1994 p. 39) – sur cette question, F. PELTIER, C. REGNAUT et A.
COURET, L'apport d'actions à une société en participation, Dr. Sociétés, Actes pratiques, n° 18, 1994.
CLXI
De prime abord, la copropriété d'actions semble être une indivision conventionnelle
(864). En effet, ces deux institutions se définissent comme un mode d'appropriation plurale
d'une chose (865). Chaque membre du groupement va être propriétaire d'une quote-part du
bien. En cela, l'indivision se distingue de l'usufruit ( 866), qui est un démembrement de
propriété. Cependant, compte tenu de la grande liberté dont jouissent les indivisaires dans
l'organisation conventionnelle du groupement (867), l'hésitation pourra dans certains cas être
permise entre la qualification d'indivision et celle de société en participation (868). Il s'agit
dès lors d'établir un critère de distinction.
L'existence même d'une indivision d'origine contractuelle rend caducs les arguments
traditionnellement avancés. Ainsi, il n'est plus possible de soutenir, à l'instar de Thaller (869),
que la société serait un état voulu, et l'indivision un état subi, d'origine accidentelle. De même,
la reconnaissance législative des sociétés non personnifiées ne permet plus de faire de
l'existence de la personnalité morale un critère de distinction satisfaisant ( 870), comme
plusieurs auteurs l'avançaient (871). En définitive, il semble qu'il faille recourir à l'examen de
la volonté des parties pour qualifier le groupement de société ou d'indivision. Ce recours à un
( 864 ) L'indivision ne résulte pas forcément d'une convention. Il existe aussi une indivision dite légale
consécutive à l'ouverture d'une succession, dans l'hypothèse où le défunt laisse plusieurs héritiers, à de la
liquidation d'une communauté consécutive à un divorce (c'est l'indivision post-communautaire – pour un
exemple jurisprudentiel récent V. CA Paris 20 oct. 1999, RTD com. 2000 p. 651, obs. Cl. CHAMPAUD et D.
DANET ; Dr. Sociétés 2000 n° 61, obs. D. VIDAL ; Bull. Joly 2000 p. 415, note J. DERRUPPE ; RJDA 2000 n°
543) – sur les sources des indivisions, Fr. TERRE et Ph. SIMLER, Droit civil. Les biens, op. cit., n°543.
(865) P. JOURDAIN, Les biens, op. cit., n° 57 ; J. CARBONNIER, Droit civil, t. 3, Les biens, 19° éd., PUF,
2000, n° 79.
(866) V., pour la distinction dans le domaine des sociétés, cass com 18 juin 1974, Rev. Sociétés 1975 p.481, note
D. BRUN-TABOUROT ; Bull. mensuel d'informations des sociétés 1975 p. 523 – adde, sur cette distinction
entre l'usufruit et l'indivision en droit commun des biens, V. Ch. ATIAS, Droit civil. Les biens, 4° éd., Litec,
1999, n° 121-a.
(867) Art. 1873 et s. C. Civ. – sur le régime conventionnel de l'indivision, Fr. TERRE et Ph. SIMLER , Droit
civil. Les biens, op. cit., n° 574 et s.
( 868 ) sur cette question, V. not. C. SAINT-ALARY-HOUIN, Les critères distinctifs de la société et de
l'indivision depuis les réformes récentes du Code civil, RTD com. 1979 p. 645 ; F. CAPORALLE, Société et
indivision, Rev. Sociétés 1979 p. 265 ; F. DEBOISSY et G. WICKER, La distinction de la société et de
l'indivision et ses enjeux fiscaux, RTD civ. 2000 p. 225.
(869) E. THALLER, Traité de droit commercial, n° 239.
(870) F. CAPORALE, Société et indivision, précité ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, Les critères distinctifs de la
société et de l'indivision depuis les réformes récentes du Code civil, précité, spéc. n° 20 et s. On peut également
faire valoir que, conformément à la théorie de la réalité des personnes morales, l'indivision présente tous les
caractères d'un groupement personnalisé (en ce sens, F. DELHAY, La nature juridique de l'indivision, bibl. dr.
priv. t. 89, LGDJ, 1968, n° 265).
(871) ex. J. HAMEL, G. LAGARDE et M. JAUFFRET, Droit commercial, t. 2, op. cit., n° 411;
CLXII
critérium subjectif, certes d'un maniement délicat (872), s'impose dans la mesure où tous les
éléments objectifs couramment proposés s'avèrent impraticables.
Dès lors, il convient d'analyser l'intention des parties au moment de la conclusion du
contrat. Celles-ci étaient-elles ou non animées de l'affectio societatis ? Ont-elles entendu
affecter à une entreprise commune, à une activité, leurs biens, afin d'en tirer des bénéfices ?
Ont-elles à l'inverse simplement souhaité organiser la jouissance des biens, sans esprit de
lucre ? Dans le premier cas, le groupement mérite la qualification de société. Dans le second,
c'est celle d'indivision qui sera retenue par le juge. Ce critère est d'ailleurs retenu par la
majorité de la doctrine (873) et a reçu l'aval de la Cour de cassation (874).
Cependant, s'agissant de la copropriété des actions, le juge déduira l'affectio societatis
d'indices tels la durée de la convention. Si celle-ci est conclue pour une période largement
supérieure à cinq ans, l'intention de s'associer sera présumée et la qualification de société
retenue. Néanmoins, dans la majorité des cas, ce sera celle d'indivision qui s'imposera (875).
Il y a donc lieu d'appliquer à la copropriété d'actions le régime juridique de ce type de
groupement.
b- L'application du régime juridique de l'indivision de droits
sociaux
Il s'agit de concilier les règles de l'indivision conventionnelle avec les exigences du
droit des sociétés relatives au droit de vote. Le Code civil, dans son article 1844, alinéa 2,
reprend les dispositions de l'article 225-10, alinéa 2, du code de commerce. Aux termes de ces
textes, le droit de suffrage est exercé par un mandataire unique, choisi par les indivisaires
(872) F. DEBOISSY et G. WICKER, La distinction de l'indivision et de la société et ses enjeux fiscaux, précité,
spéc. n° 26 ; H. ABERKANE, L'étalon, la société en participation et la convention d'indivision, Mélanges André
Breton et Fernand Derrida, Dalloz, 1991, p. 11.
(873) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 3964 ; J.
MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 28 ; D. VIDAL, Droit des sociétés, op. cit., n° 72 ; Ph.
MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 44 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, Les critères
distinctifs de la société et de l'indivision depuis les réformes récentes du Code civil, précité, spéc. n° 47 et s. ; Fr.
CAPORALE, Société et indivision, précité ; M. STORCK, Les groupements de copropriétaires d'actions,
précité, spéc. n° 14 ; contra, F. DEBOISSY et G. WICKER, La distinction de l'indivision et de la société et ses
enjeux fiscaux, précité, n° 26 et s.
(874) cass com 18 nov. 1997, Bull. Joly 1998 p. 99, note J.-J. DAIGRE ; dans le même sens, Trib. com. Paris 27
sept. 1994, Gaz. Pal. 1995, 1, somm. p. 224 – adde, cass com 12 févr. 1973, Bull. IV n° 70, qui utilise ce critère
de l'affectation des biens à une œuvre commune, tiré de l'affectio societatis, pour distinguer l'associé de
l'indivisaire.
(875) M. STORCK, Les groupements de copropriétaires d'actions, précité, spéc. n° 14 et s.
CLXIII
parmi eux ou en dehors d'eux (876). En l'absence d'accord, le juge désignera lui-même le
représentant à la demande du co-indivisaire le plus diligent (877). A défaut de nomination
d'un mandataire commun, les parties ne seront pas représentées, ni les titres pris en compte
dans le calcul du quorum (878). Toutefois, ces dispositions ne sont impératives que dans les
sociétés par actions.
Pour sa part, le droit des biens permet d'envisager deux situations.
En premier lieu, d'après l'article 1873-5 du Code civil, les co-indivisaires peuvent
nommer un gérant choisi ou non parmi eux, qui aura les mêmes pouvoirs que chaque époux
dans la communauté légale. Il pourra donc accomplir sans en référer aux co-indivisaires tous
les actes d'administration et de disposition à titre onéreux sur les biens indivis. Etant un acte
d'administration (879), le droit de vote sera exercé sans la consultation préalable des coindivisaires.
Cette solution issue du droit des biens semble difficilement compatible avec les règles
du droit des sociétés. En effet, même si les textes prévoient le vote des co-indivisaires par
l'intermédiaire d'un mandataire, la jurisprudence, après une longue controverse ( 880 ),
reconnaît la qualité d'associé à chaque co-indivisaire (881). Ainsi, dans un arrêt du 6 février
1980, la Cour de cassation a pu estimer que "Si, les héritiers d'un associé décédé ont, lorsqu'il
a été stipulé que la société continuerait avec eux, la qualité d'associé, il ne résulte pas que,
tant que dure l'indivision entre ces héritiers, chacun puisse exercer librement les droits
attachés à cette qualité". Le principe d'indivisibilité du titre s'oppose à ce que le droit de vote
soit exercé par chaque associé et c'est pourquoi le droit des sociétés impose la technique de la
représentation. Du moment que l'exercice individuel d'une prérogative ne heurte pas la règle
d'indivisibilité, le principe a vocation à retrouver son empire (882). Cependant, le droit des
(876) Cependant, encore faut-il que les indivisaires aient effectivement la qualité d'associé. Tel n'est pas le cas si
leur auteur n'avait dans son patrimoine que la finance du titre, à la suite de l'acquisition d'actions par son époux
avec des biens communs (en ce sens, CA Versailles 7 déc. 2000, Bull. Joly 2001 p. 420, note J.-P. GARCON ;
RJDA 2001 n° 689).
(877) La société n'a toutefois pas qualité pour agir, même si une clause des statuts l'y autorise : cass com 15 nov.
1976, Rev. Sociétés 1977 p. 272, note Y. GUYON ; RTD com. 1979 p. 262, obs. Cl. CHAMPAUD ; Bull.
mensuel d'informations des sociétés 1977 p. 321 ; Dr. Sociétés 1976 n° 230. Une disposition statutaire autorisant
la société à demander la nomination du mandataire semble cependant concevable, au moins dans les sociétés
autres que par actions, l'article 1844 alinéa 2 n'étant pas d'ordre public.
(878) sur cette question, infra.
(879) cass Req. 23 mars 1914, Journ. sociétés 1915 p. 77.
(880) sur laquelle, V. not. A. VIANDIER, La notion d'associé, op. cit., n° 238 et s.; Y. FLOUR, La qualité
d'actionnaire et l'indivision, Rev. Sociétés 1999 p. 569.
(881) cass com 6 févr. 1980, Rev. Sociétés 1980 p. 521, note A. VIANDIER ; Bull. mensuel d'informations des
sociétés 1980 p. 386 ; CA Paris 26 janv. 1996, Bull. Joly 1996 p. 311, note P. LE CANNU ; cass crim 11 avr.
1996, RJDA 1996 n° 1213.
(882)V. pour le droit à convocation, cass com 5 mai 1981, Rev. Sociétés 1982 p. 95, note A. VIANDIER ; pour
le droit à l'information, cass crim 11 avr. 1996, précité.
CLXIV
sociétés ne permet pas qu'un tiers, le gérant de l'indivision, puisse voter dans les assemblées
générales sans concertation préalable avec les indivisaires associés. La Chambre commerciale
voit en effet dans le droit de vote le critère de la notion d'associé, dont il ne peut être privé
(883). En l'occurrence, la Haute juridiction affirme nettement, sous le visa des alinéas 1er et 2
de l'article 1844 (884) que "tout associé a le droit de participer et de voter ; les statuts ne
peuvent déroger à ces dispositions". Dès lors, cette décision interdit au gérant de l'indivision
de voter sans la concertation préalable des associés indivisaires, sous peine de dépouiller un
apporteur de capital de son attribut essentiel. La référence à l'alinéa 2, auquel la Chambre
commerciale reconnaît un caractère d'ordre public, autorise cette interprétation.
La convention peut également prévoir que toutes les décisions relatives à la gestion de
l'indivision ne seront prises que par les indivisaires. Dans ce cas, une clause stipulera que tous
les indivisaires seront gérants et qu'un mandataire sera nommé pour exercer le droit de vote au
sein de la société émettrice (885), le sens de son suffrage étant préalablement arrêté, à
l'unanimité ou la majorité des associés. Dans ce cas, il n'y a pas transfert illicite du droit de
vote mais seulement un engagement sur le sens du vote dont le législateur affirme lui-même la
validité ( 886 ). Cette solution ne semble pas être remise en cause par la réaffirmation
jurisprudentielle de la primauté du droit de vote de l'associé. La valeur supérieure de la loi s'y
oppose (887).
Les professionnels du droit utilisent plus fréquemment les règles du droit des contrats
pour réaliser un transfert du droit de vote.
II. Les techniques de transfert issues du droit des contrats
La technique du mandat, contrat spécial que l'article 1984 du Code civil définit comme
"l'acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose en son
(883) cass com 9 févr. 1999, Château d'Yquem, précité.
(884) Ce visa laisse pour le moins perplexe dans la mesure où l'indivision de droits sociaux était totalement
étrangère au litige : en ce sens, P. LE CANNU, note sous cass com 9 févr. 1999, précité.
(885) Art. 1873-9 C. Civ.
( 886 ) Art. 1844, alinéa 2, et L. 225-10: en ce sens, D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extrastatutaires entre associés, op. cit., n° 124 ; M. STORCK, Les groupements de copropriétaires d'actions, précité,
spéc. n° 25.
(887) Au delà de la controverse sur la question de savoir si la jurisprudence est une source du droit (sur cette
controverse, V. parmi une doctrine abondante, F. ZENATI, La jurisprudence, Dalloz, 1991 p. 115 et s.), il
demeure que l'autorité de la loi interdit au juge de contredire celle-ci (Fr. TERRE, Introduction générale au
droit, op. cit., n° 232).
CLXV
nom et pour son compte", permet de transférer le droit de vote. Cependant, conscient des
risques de fraude, le législateur, même s'il en a admis la validité, l'a fortement réglementée en
droit des sociétés, ce qui limite d'autant son intérêt (A).
En outre, des techniques purement contractuelles, qui ne connaissent pas de
consécration législative en droit des sociétés, peuvent être des outils au service d'un transfert
du droit de vote. Leur licéité est cependant sujette à caution (B).
A. Une technique nommée : la représentation conventionnelle
La représentation de l'associé aux assemblées générales peut être d'origine légale, dans
l'hypothèse où l'apporteur de capital est un incapable (888). Elle peut également trouver sa
source dans une convention. Dans ce cas, un titulaire de droits sociaux, se trouvant dans
l'impossibilité matérielle d'assister physiquement à la réunion de l'organe délibératif, mais
néanmoins désireux d'exercer sa prérogative fondamentale, va charger une autre personne
d'émettre un suffrage à sa place. Par application des principes de transparence gouvernant
cette technique du mandat (889), le vote sera considéré comme ayant été émis par l'associé
absent et non par son mandataire.
Antérieurement à la réforme de 1966, la représentation conventionnelle était
concevable par application du droit commun du mandat mais les dispositions spéciales du
droit des sociétés ne l'envisageaient pas (890). Cette possibilité est désormais expressément
reconnue dans les sociétés anonymes (891) et dans les SARL (892). Dans les autres formes
sociales, le vote par mandataire n'est concevable que s'il a été prévu par les statuts (893).
Dans les sociétés anonymes, le mandat doit être donné par écrit, indiquant l'identité
complète du mandant, avec éventuellement celui du mandataire (894). Dans les autres types
(888) sur la représentation légale, infra.
(889) sur lesquels, V. M. STORCK, Essai sur le mécanisme de la représentation dans les actes juridiques, Bibl.
dr. priv. t. 172, LGDJ, 1982 ; Ph. DIDIER, De la représentation en droit privé, Bibl. dr. priv. t. 339, LGDJ,
2000.
(890) sur le régime antérieur, A. WAHL, Des mandataires aux assemblées générales de sociétés par actions,
Journ. sociétés 1905 p. 97, p. 145 et p. 193.
(891) Art. 225-106 C. Com. (ancien art. L. 161).
(892) Art. 223-28 C. Com. (ancien art. L. 58).
(893) V. pour une société en nom collectif, B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés
commerciales, op. cit., n° 582 ; pour une société civile, G. FLORES et S. BAILLIE de SENILHES, La pratique
de l'assemblée générale, éd. Francis LEFEBVRE, 1996, n° 30 ; pour la société par actions simplifiée, pour
laquelle l'article L. 161 est inapplicable, V. J.-J. DAIGRE, Décisions collectives, in A. COURET et P. LE
CANNU, La SAS, éd. GLN Joly, 1994, p. 37, n° 84.
(894) Art. D. 132 - sur cette question, V. B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés
commerciales, op. cit., n° 1831 et s.
CLXVI
de sociétés, rien n'est prévu. Il appartiendra donc aux statuts de déterminer les règles
gouvernant la forme du mandat.
Quoi qu'il en soit, la preuve de ce dernier sera établie conformément au droit commun
(895).
La représentation conventionnelle réalise un transfert du droit de vote. Une personne,
qui n'est au demeurant pas nécessairement associée, va se retrouver titulaire d'un nombre de
voix non proportionnel aux risques encourus au sein du groupement : il y a déconnexion entre
le titre et son accessoire fondamental (896). C'est la raison pour laquelle le mandat de vote est
soumis à des règles restrictives, tant en ce qui concerne le choix du mandataire (a) que
l'étendue de la représentation (b).
a- Le choix du mandataire
Aux termes de l'article 225-106 du code de commerce, "un actionnaire peut se faire
représenter par un autre actionnaire ou par son conjoint", toute clause contraire étant réputée
non écrite. En revanche, dans la SARL, "un associé peut se faire représenter par son conjoint,
à moins que la société ne comprenne que les deux époux. Sauf si les associés sont au nombre
de deux, un associé peut se faire représenter par un autre associé. Il ne peut se faire
représenter par une autre personne que si les statuts le permettent" ( 897 ). Les règles
gouvernant le choix du mandataire sont donc quelque peu différentes en fonction de la forme
sociale (898), si la société revêt la forme anonyme (1) ou à responsabilité limitée (2).
1. Le choix du mandataire dans les sociétés anonymes
Dans la société anonyme, le mandataire doit obligatoirement être un autre actionnaire
ou le conjoint du mandant, même s'il n'est pas lui-même membre du groupement. Il ne saurait
être un tiers. C'est selon la majorité de la doctrine le sens qu'il convient de donner à la formule
employée par le législateur dans l'article 225-106, alinéa 5, du code de commerce : "les
(895) M.-Ch. MONSALLIER, L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n°
472 et s.
(896) D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 118 et s.
(897) Art. L. 58, alinéas 2 et 3.
(898) pour une critique de cette divergence Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements
statutaires et conventions entre associés, op. cit., n° 84 et s.
CLXVII
clauses contraires […] sont réputées non écrites" (899). Une opinion divergente a cependant
été émise (900). Selon cet auteur, qui se fonde sur l'absence de formule négative dans le texte,
l'article 225-106 n'interdit pas la représentation par un tiers non associé. Le caractère impératif
de ses dispositions prohibe seulement les clauses statutaires excluant la possibilité pour
l'actionnaire de se faire représenter. Bien que séduisante et pouvant être adoptée de lege
ferenda (901), cette thèse, fondée sur une interprétation exégétique du texte, doit être rejetée
en ce qu'elle ne tient pas compte du but poursuivi par le législateur. En effet, ce dernier a
entendu éviter que des mandataires professionnels, dépourvus de la qualité d'associé ou des
agitateurs puissent avoir accès aux assemblées (902). La jurisprudence ne semble pas avoir
tranché la question.
Cette controverse présente un intérêt particulier (903) depuis que la loi n° 99-944 du
15 novembre 1999 a introduit en Droit français le pacte civil de solidarité. Il s'agit du contrat
par lequel deux personnes physiques, capables et majeures, de sexe différent ou de même
sexe, organisent leur vie commune (904). En droit des sociétés, la question se pose de savoir
si le pacsé de l'actionnaire, s'il n'est pas lui-même membre du groupement, peut représenter
son partenaire au sein des assemblées générales. De prime abord, une réponse négative
s'impose. En tant qu'exception au principe du vote personnel, l'article 225-106 du code de
commerce doit être interprété restrictivement. Le pacsé ne peut être assimilé ni à un conjoint,
(899) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 3517 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento
pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 10404 ; Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales,
op. cit., n° 469 ; Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre
associés, op. cit., n° 85 ; adde, D. BASTIAN, La réforme des sociétés par actions, JCP 1968 n° 2183, n° 519
(900) M° BOULARAN, La représentation de l'actionnaire, JCP éd. CI 1981 II n° 13576 ; adde, du même
auteur, La représentation de l'actionnaire (Mise au point), JCP éd. N. 1983 I p. 309 et La représentation de
l'actionnaire (Ultima ratio), JCP éd. N. 1986 I p. 398.
(901) nombre d'auteurs critiquent le caractère d'ordre public de l'article 225-106 du code de commerce, et la
solution trop rigide à laquelle il aboutit : V. par exemple, Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 301 ; Ph.
MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 469 ; F. MASQUELIER, Le vote en droit privé,
thèse Nice, 1999, n° 230 et s. ; C. KOERING, La règle "une action-une voix", thèse Paris I, 2000, n° 266. La
commission d'allègement du droit des sociétés était d'ailleurs revenue sur cette nature impérative (proposition n°
40, citée par M° BOULARAN, La représentation de l'actionnaire (Ultima ratio), précité) mais, à notre
connaissance, cette suggestion n'a rencontré aucun écho auprès du législateur.
( 902 ) sur cette ratio legis, Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 469 ; C.
KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n° 263 – sur le droit néerlandais, qui connaît la
représentation par un mandataire professionnel, l'administratiekantoor, D. SCHMIDT, Les droits de la minorité
dans la société anonyme, Sirey, 1970, n° 128.
( 903 ) Les associations d'actionnaires ou d'investisseurs, si elles disposent de certaines prérogatives
limitativement énumérées par la loi, ne peuvent cependant représenter les actionnaires au sein des assemblées
générales, sauf à acquérir un titre pour se conformer aux prescriptions de l'article 225-106 du code de commerce
– sur cette question, V. B. LE BARS, Les associations de défense d'actionnaires et d'investisseurs, thèse Paris I,
1998, n° 519 et s.
(904) Art. 515-1 C. Civ. – sur le PACS, V. not. J.-F. PILLEBOUT, Le PACS. Pacte civil de solidarité, Litec,
2000 ; H. LECUYER, Le PACS, Droit de la famille, n° spécial, déc. 1999.
CLXVIII
ni à un actionnaire. Il ne peut donc assister aux assemblées générales en qualité de
mandataire.
Cependant, le doute est permis dans la mesure où l'article 515-5 alinéa 2 du Code civil
répute indivis les droits sociaux acquis par l'un des contractants pendant la durée du pacte. Or,
du fait de cette indivision, le pacsé aura des droits de conservation et d'administration du bien
indivis. Il s'ensuit que cette cogestion pourrait autoriser la représentation de l'actionnaire par
son partenaire (905). Cette opinion est assurément séduisante puisque la situation du pacsé, du
fait de la vie commune consubstantielle à la conclusion du contrat, est plus proche de celle
d'un époux que d'un tiers étranger (906). Néanmoins, cette interprétation doit être rejetée. Le
législateur, lorsqu'il a introduit le PACS dans l'ordre juridique, n'a pas jugé utile de modifier
la loi du 24 juillet 1966. C'est donc qu'implicitement il a entendu exclure la représentation par
le pacsé de l'actionnaire. L'article 225-106 doit donc être interprété restrictivement : le pacsé
demeure un tiers, certes d'une nature particulière, qui ne peut être mandataire d'un titulaire de
droits sociaux (907).
Le mandataire doit être choisi par l'actionnaire et par lui seul. L'article D. 132 interdit
au représenté de se substituer une autre personne, fût-elle actionnaire. La Cour de cassation a
d'ailleurs fort opportunément rappelé ce principe de prohibition de la substitution de
mandataire dans un arrêt rendu le 29 novembre 1994 (908). En l'occurrence, un actionnaire
avait donné un mandat général de gestion de ses titres à un tiers professionnel. Ce dernier
charge expressément un autre actionnaire d'assister à une assemblée générale extraordinaire.
Sans se prononcer sur la validité du premier mandat (909), la Chambre commerciale rappelle
que ''le mandat donné par un actionnaire par un autre actionnaire pour le représenter dans
les assemblées générales est personnel, ce qui exclut la possibilité pour le mandataire désigné
de se substituer un tiers". Cette solution trouve sa justification profonde dans la nécessité de
protéger le droit de vote de l'associé : permettre la substitution de mandataire permettrait à un
(905) en ce sens, C. MALECKI, Le PACS et le droit des sociétés, Rev. Sociétés 2000 p. 653, spéc. n° 39.
(906) Fr. TERRE, Histoire d'une loi, Droit de la famille, déc. 1999, n° spécial, Le PACS, p. 28.
( 907 ) Rappr. D. VELARDOCCHIO, Le PACS et le droit des sociétés : une liaison dangereuse…, Bull.
d'actualités Lamy Sociétés Commerciales avr. 2000.
(908) cass com 29 nov. 1994, Kronacker, D. 1995 p. 252, note Y. CHARTIER ; Defrénois 1995 p. 260, note P.
LE CANNU ; JCP éd. E. 1995 I n° 447, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; Bull. Joly 1995 p. 175, note J.F. BARBIERI ; Dr. Sociétés 1995 n° 38 ; RJDA 1995 n° 450 ; Rev. Sociétés 1995 p. 714, note Y. REINHARD.
La jurisprudence civile admet à l'inverse ce procédé de substitution de mandataire (V. par ex. cass com 2 déc.
1997, RTD com. 1998 p. 623, obs. B. BOULOC – d'une manière générale, B. MALLET-BRICOUT, La
substitution de mandataire, LGDJ, 2000.
(909) La validité de ce mandat est douteuse cependant, dans la mesure où l'article 225-106 du code de commerce
interdit la représentation par un tiers non actionnaire.
CLXIX
tiers d'exercer la prérogative fondamentale de l'apporteur, indépendamment du risque
financier encouru (910).
Cependant, l'actionnaire connaît rarement d'autres membres du groupement qu'il
pourrait choisir comme mandataire. C'est pourquoi les banques adresseront fréquemment à
leurs clients actionnaires une formule de procuration à signer, qui n'indiquera pas le nom du
représentant. Cette technique dite des pouvoirs en blanc a vu sa validité expressément
affirmée par l'article 225-106 in fine, dont la rédaction a été modifiée par la loi n°83-1 du 3
janvier 1983 (911).
Dans ce cas, le président de l'assemblée votera en lieu et place de l'actionnaire absent,
dans un sens toujours favorable à l'adoption des projets de résolution présentés ou agréés par
le conseil d'administration ou le directoire. Il devra également voter contre l'adoption de tous
les autres projets de résolution. Cette conséquence originale, peu en phase avec le principe de
liberté de vote, est indiquée dans la formule de procuration reçue par l'actionnaire (912).
A ce stade de la réflexion, un problème surgit. Quid si les projets de résolution agréés
par l'organe collégial de gestion sont modifiés pendant le déroulement de l'assemblée ? Le
vote du président doit-il être considéré favorable (913) ? Une réponse affirmative doit être
donnée dès lors que la séance est suspendue pour permettre une réunion du conseil
d'administration ou du directoire afin d'agréer le texte modifié (914).
En outre, la jurisprudence a eu l'occasion de juger que l'article 225-106 était d'ordre
public. Les parties ne peuvent y déroger ni par la voie statutaire ni a fortiori par un protocole
(910) Rappr. Y. CHARTIER, note sous cass com 29 nov. 1994, précité.
(911) Antérieurement à la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, la validité de la pratique des pouvoirs en blanc n'était
pas douteuse et était affirmée par la jurisprudence (V. par ex. cass com 27 oct. 1959, D. 1960 p. 454 ; cass com 7
juin 1963, D. 1964 p. 308) – sur le régime antérieur, P. CORDONNIER, L'usage des pouvoirs en blanc dans les
assemblées d'actionnaires, Journ. sociétés 1934 p. 417).
(912) Art. D. 133, 6 °. Cependant, l'omission de ce rappel n'est qu'une irrégularité de forme insusceptible
d'entraîner l'annulation de l'assemblée : CA Paris 4 mai 2000, Rev. Sociétés 2000 p. 584, obs. Y. GUYON ; Dr.
Sociétés 2000 n° 160, obs. D. VIDAL ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 369.
(913) Sur ce problème, J. RICHARD, Vote des résolutions et pouvoirs en blanc, Dr. Sociétés mars 1977 p. 2 et
du même auteur, Modification des résolutions et pouvoirs en blanc, Dr. Sociétés juin 1977 p. 2.
(914) en ce sens, J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 3606 ; G. FLORES et G. BAILLIE DE
SENILHES, La pratique de l'assemblée générale, op. cit., n° 465 ; M.-Ch. MONSALLIER, L'aménagement
contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n° 439 ; Y. GUYON, Rép. Sociétés, V°
"Assemblées générales", 1984, n° 154.
CLXX
extérieur aux statuts (915). Bien que ce jugement se fonde sur l'article D. 134, aujourd'hui
abrogé (916), il conserve toute son actualité (917).
La pratique des pouvoirs en blancs, en ce qu'elle permet l'approbation systématique
des projets de résolution présentés par les dirigeants, assure la stabilité du pouvoir à ces
derniers, quels que soit les vicissitudes de leur gestion. C'est la raison pour laquelle elle a été
vivement critiquée par les partisans des théories anglo-saxonnes de la corporate governance
(918). Cependant, ces reproches restent circonscrits aux sociétés anonymes, puisque cette
technique n'a pas cours dans les SARL.
2. Le choix du mandataire dans les SARL
L'article 223-28 du code de commerce (ancien art. L. 58) dispose que "un associé peut
se faire représenter par son conjoint à moins que la société ne comprenne que les deux époux.
Sauf si les associés sont au nombre de deux, un associé peut se faire représenter par un autre
associé. Il ne peut se faire représenter par une autre personne que si les statuts le
permettent".
Les solutions sont par conséquent voisines de celles retenues en matière de sociétés
anonymes. Comme dans cette forme sociale, le conjoint ou un autre associé pourra
valablement représenter un apporteur de capital au sein des assemblées générales. Cependant,
cette représentation est impossible dans le cas où le groupement ne serait composé que du
mandataire et du mandant. Cette règle, justifiée par la collégialité des assemblées, est d'ordre
public. Toute décision adoptée en violation de ses prescriptions est nulle (919).
En revanche, contrairement à la société anonyme, un tiers peut valablement
représenter l'associé dès lors que cette modalité est prévue par les statuts. Ce mandataire
pourra d'ailleurs toujours être la même personne, faute pour la loi d'interdire cette
(915) Trib. com. Paris 1er août 1974, RTD com. 1975 p. 130, obs. R. HOUIN; Rev. Sociétés 1974 p. 685, note B.
OPPETIT ; RJ com. 1975 p. 80, note Y. CHARTIER.
(916) D'après ce texte, les pouvoirs en blanc devait être adressés à la société ou à l'une des personnes habilitées
par elle à les recevoir – pour une application, cass com 26 oct. 1981, Bull. IV n° 369.
(917) en ce sens, J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 3565.
(918) sur ces critiques, V. infra.
(919) cass com 19 févr. 1991, RJDA 1991 n° 500 ; JCP éd. E. 1991 I n° 87, obs. A. VIANDIER et J.-J.
CAUSSAIN ; RTD com. 1992 p. 390, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET ; Rev. Sociétés 1991 p. 392, obs. Y.
GUYON ; Bull. Joly 1991 p. 413, note P. LE CANNU.
CLXXI
représentation systématique (920). Cette situation risque cependant d'aboutir à une cession
déguisée du droit de vote.
Néanmoins, la possibilité pour le titulaire de parts sociales de se faire représenter par
une autre personne que son conjoint ou l'un de ses co-associés est particulièrement opportune
depuis l'introduction en Droit positif du pacte civil de solidarité. Les statuts pourraient donc
valablement prévoir la représentation de l'apporteur de capital par son partenaire. Cependant,
dans la mesure où le pacsé n'est pas assimilable au conjoint, une clause expresse du pacte
social est requise (921).
Les règles restrictives qui gouvernent le choix des mandataires sont destinées à éviter
une cession déguisée du droit de vote. Il en va de même pour celles régissant l'étendue du
mandat.
b- L'étendue du mandat
Le mandat, pour être valable et ne pas constituer une cession du droit de vote
prohibée, doit être à la fois limité dans le temps (1) et avoir un objet restreint (2).
1. L'étendue dans le temps
L'article D. 132, applicable aux sociétés anonymes, prévoit que "le mandat est donné
pour une seule assemblée", l'article D. 39 édictant des dispositions similaires en matière de
SARL. La règle est donc celle de la durée limitée du mandat. En d'autres termes, ce dernier ne
saurait être général et est régi par un principe de spécialité. Il doit être donné pour une seule
assemblée (922). Dans les autres formes sociales, au sein desquelles la validité du mandat
résulte des statuts, les pouvoirs doivent également avoir été confiés pour une unique
assemblée (923). A défaut, le pacte fondamental opèrerait une suppression du droit de vote
prohibée.
(920) CA Aix en Provence 17 oct. 1997, Bull. Joly 1998 p. 531, note B. SAINTOURENS.
(921) C. MALECKI, Le PACS et le droit des sociétés, Rev. Sociétés 2000 p. 653, spéc. n° 38.
(922) pour une application, cass com 29 nov. 1994, Defrénois 1995 p. 260, note Y. CHARTIER ; JCP éd. E.
1995 I n° 447, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; Bull. Joly 1995 p. 175, note J.-F. BARBIERI ; Dr.
Sociétés 1995 n° 38 ; Rev. Sociétés 1995 p. 714, note Y. REINHARD ; RJDA 1995 n° 450.
(923) cass civ 1ère 28 févr. 1995, D. 1995 p. 252, note Y. CHARTIER ; RJDA 1995 n° 840 ; Dr. Sociétés 1995
n° 112, obs. Th. BONNEAU.
CLXXII
Par conséquent, les textes condamnent donc sans ambiguïté la pratique du mandat
permanent. Il s'agit du contrat de représentation à durée indéterminée. Sous l'empire de la
législation antérieure à 1966, silencieuse sur la question, la doctrine s'était interrogée sur le
point de savoir si cette technique était licite. Pour les uns (924), la possibilité du mandant de
révoquer ad nutum le mandataire mettait la convention à l'abri de la nullité. Pour les autres
(925), à l'inverse, le pouvoir permanent est nécessairement illicite : l'actionnaire renonce à son
droit de critiquer la gestion sociale, puisqu'au moment de la conclusion du contrat, il ignore
tout des futures résolutions. Cette controverse a été tranchée par le décret du 23 mars 1967, en
faveur de la seconde thèse (926).
Le principe de la durée limitée du mandat n'est cependant pas absolu. En effet, tant
l'article D. 132 que l'article D. 39 y apportent plusieurs tempéraments.
D'une part, un pouvoir peut être donné pour deux assemblées tenues le même jour ou
dans un certain délai (927). Seule la date de réunion des organes délibérants et prise en
compte et non la date de convocation (928).
D'autre part, le mandat conféré pour une seule assemblée vaut pour les assemblées
successives convoquées avec le même ordre du jour. Dès lors, comme on pu l'écrire (929), le
contenu de l'ordre du jour fixe la durée du mandat et permet donc, s'il reste similaire, de
prolonger la représentation aux assemblées suivantes.
Le mandat permanent, prohibé sans conteste par le législateur, ne doit pas être
confondu avec le mandat irrévocable. Il s'agit du contrat de représentation par lequel le
mandat s'engage à indemniser le mandataire en cas de révocation, sauf faute de sa part (930).
En droit commun, le principe de la révocabilité ad nutum posé à l'article 2004 du Code civil
(924) A. TUNC, Les conventions relatives au droit de vote et l'organisation des sociétés anonymes, Rev. Gén.
Dr. Comm. 1942 p. 97.
(925) P. VOIRIN, Les pouvoirs permanents souscrits par les actionnaires à l'effet de se faire représenter aux
assemblées générales, D.H. 1931 chron. p. 49.
(926) comp. G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1610 ; C. KOERING, La
règle "une action-une voix", op. cit., n° 277 et s.
(927) Ce délai est de sept jours dans la SARL (art. D. 39) et de quinze jours dans la société anonyme (art. D.
132).
(928) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 1829 ; F.
MANSUY, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 136, 1990, n° 136.
(929) M.-C. MONSALLIER, L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n°
453.
(930) Ph. DELEBECQUE et F. COLLART-DUTILLEUIL, Contrats civils et commerciaux, 5° éd., Dalloz,
2000, n° 636 ;
CLXXIII
n'étant pas d'ordre public, la validité de cette forme de représentation ne souffre pas la
discussion (931).
La question se pose donc de savoir si le mandat donné par un associé peut être
irrévocable. Antérieurement à la loi du 24 juillet 1966, l'illicéité de cette pratique n'était pas
douteuse. En effet, l'article 10 du décret-loi du 31 août 1937 (932) disposait que "[étaient]
nulles et de nul effet dans leurs dispositions, principales et accessoires, les clauses ayant pour
objet ou pour effet de porter atteinte au libre exercice du droit de vote dans les assemblées
générales de sociétés commerciales". Or, le mandat irrévocable aboutissait à dépouiller
l'associé de son droit de vote, qui s'en séparait définitivement au profit d'un tiers. Il
s'apparentait donc à une cession du droit de vote prohibée. D'ailleurs, les tribunaux annulaient
de tels mandats emportant aliénation par l'apporteur de capital de sa prérogative essentielle
(933).
La Cour de cassation a d'ailleurs consacré cette solution (934). En l'occurrence, une
clause d'une cession d'actions confiait au cédant le mandat irrévocable de représenter la
cessionnaire dans les assemblées générales de la société. La Cour d'appel, fermement
approuvée par la Haute juridiction, annule la disposition litigieuse, ainsi que la convention de
vente des titres dont elle constitue la cause impulsive et déterminante, en ces termes "l'acte de
cession […] comportait sous le titre "mandat irrévocable" une clause constituant une
condition de la vente et selon laquelle Dame Génie, cessionnaire, donnait à Bruchet, cédant,
mandat irrévocable d'exercer en ses lieux et place tous les droits conférés à l'actionnaire par
la pleine propriété des actions faisant l'objet de la vente "et notamment de gérer et
d'administrer, au moyen de la majorité résultant de cette vente, l'Union commerciale de la
France Fortunor" ; ce mandat était stipulé irrévocable pendant la vie et jusqu'au décès de
Bruchet […] ; le mandat irrévocable litigieux conféré par Dame Génie à Bruchet en vue de
permettre à celui-ci de continuer à gérer et administrer la société comme avant la cession
litigieuse et jusqu'à la fin de sa vie privait ainsi effectivement la cessionnaire de ses droits
essentiels et notamment de sa liberté de vote, nullement rétablie […] par le compte rendu
(931) cass Req. 8 avr. 1857, D. 1858, 1, p. 134 ; cass Req. 9 juill. 1885, D. 1886, 1, p. 310 – sur cette question,
Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les contrats spéciaux, op. cit., n° 656 et s. ; Ph. LE
TOURNEAU, Rép. Civil V° "Mandat", 1992, n° 348 et s. ; R. PERROT, Le mandat irrévocable, TAC t. X,
1956, p. 445.
(932) sur ce texte, infra
(933) Trib. com. Seine 11 janv. 1938, Affaire du journal "L'œuvre", Journ. sociétés 1938 p. 301, note H.
BOSVIEUX.
(934) cass com 17 juin 1974, Bull. IV n° 194 ; RTD com. 1975 p. 534, obs. R. HOUIN ; Gaz. Pal. 1975, 1, p.
127, note A.P.S. ; Rev. Sociétés 1977 p. 84, note D. RANDOUX ; Grandes décisions n° 22, p. 97, note Y.
CHARTIER et J. MESTRE.
CLXXIV
annuel du cédant, dont les pouvoirs sont demeurés intangibles". Le mandat irrévocable
emporte aliénation du droit de vote, le cessionnaire se retrouvait en quelque sorte acquéreur
de titres dépourvus de leur prérogative essentielle.
Néanmoins, la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, dans son article 505, a abrogé le
décret-loi du 31 août 1937. Pour les uns, il s'agit d'une simple inadvertance du législateur
(935), les solutions rendues sur le fondement du texte abrogé conservent donc leur actualité.
Pour les autres, à l'inverse, les pouvoirs publics ont entendu revenir aux solutions plus
libérales qui prévalaient antérieurement à 1937 (936). Cependant, quoi qu'il en soit, la nullité
du mandat irrévocable n'est guère douteuse. En effet, le droit de vote étant un attribut essentiel
de l'associé (937), aucune convention ne peut avoir pour objet ou pour effet de permettre
l'aliénation de cette prérogative.
Cependant, pour être valable, il ne suffit pas que le mandat ait une durée limitée.
Encore faut-il que son objet soit restreint.
2. L'étendue de l'objet du mandat
On l'a vu, le mandat doit être donné pour une seule assemblée, ce principe admettant
certains tempéraments. Autrement dit, l'ordre du jour détermine l'étendue de l'objet du
mandat. Le mandataire ne peut représenter l'associé que pour le vote de questions dont
l'examen est prévu. Cette règle est implicitement posée aux articles D. 132, pour la société
anonyme, et D. 39, pour la SARL. La Chambre commerciale l'a d'ailleurs affirmé très
nettement dans un arrêt rendu le 29 novembre 1994 (938). En l'espèce, un associé avait confié
à un tiers le mandat général de gestion de sa participation dans une société et ce représentant
avait chargé un autre actionnaire de le représentait. La Cour d'appel, puis la Cour de cassation
ont non seulement écarté la substitution de mandataire (939) mais ont également refusé de
tenir compte du mandat général donné au professionnel par l'actionnaire, au motif que "le
mandat donné par un actionnaire à un autre actionnaire pour le représenter […] est spécial,
ce qui impose qu'il ne soit donné que pour une seule assemblée et au vu de l'ordre du jour".
Cette solution est parfaitement justifiée. Le mandat de vote obéit à un régime juridique strict,
(935) G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1609 ; F. MANSUY, J.-Cl.
Sociétés Traité, fasc. 136, précité, n° 139
(936) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 171.
(937) cass com 9 févr. 1999, précité – sur cette question infra.
(938) cass com 29 nov. 1994, précité.
(939) supra.
CLXXV
destiné à protéger la prérogative fondamentale de l'associé. Le mandataire n'émet pas une voix
propre mais seulement celle de son mandat. Dès lors, celui-ci doit donner une procuration en
parfaite connaissance de cause, au vu de l'ordre du jour.
Cette règle n'est cependant pas absolue. En effet, le principe d'intangibilité de l'ordre
du jour ne s'oppose pas à une révocation des dirigeants du moment que l'objet de la réunion
comporte une mention faisant directement ou indirectement référence à la gestion de la
société (940). Dans ces conditions, compte tenu de la transparence du mandat, le mandataire
peut également se prononcer sur l'éviction du dirigeant, quand bien même le pouvoir ne lui en
donnait pas expressément l'autorisation (941). Le représentant dispose de toute latitude pour
agir au mieux des intérêts de la société (942).
Encore faut-il néanmoins que le mandataire n'ait pas reçu d'instructions à cet égard de
son mandant. Le mandat impératif, que l'on peut définir comme le contrat de représentation
dans lequel le mandataire ne peut agir que selon les instructions données préalablement par le
mandant (943), semble en effet valable, pour deux raisons essentielles. D'une part, sa licéité
est affirmée très nettement dans les sociétés anonymes, quoique implicitement, par l'article L.
225-106, alinéa 4, du code de commerce, qui vise la pratique du mandat impératif. D'autre
part, la validité de cette forme de représentation découle dans toutes les formes sociales de la
finalité même du régime juridique du mandat de vote. Celui-ci est destiné à protéger le droit
de vote de l'associé, et à éviter une cession de cette prérogative indépendamment du titre dont
elle constitue l'accessoire. Dès lors, par le biais du mandat impératif, l'associé mandant décide
lui-même du sens du suffrage. Sa liberté de vote est maintenue.
En définitive, compte tenu des règles restrictives auxquels demeure soumis le mandat
de vote, cette pratique, si elle présente un intérêt incontestable pour pallier à l'absentéisme des
apporteurs de capitaux, n'est guère utile lorsqu'elle est envisagée comme un moyen de
transférer le droit de suffrage. Il en est de même pour les techniques contractuelles non
consacrées par le législateur en droit des sociétés.
(940) sur cette question, infra.
(941) cass com 29 juin 1993, Cornille Léotard, Bull. Joly 1993 p. 1142, note P. LE CANNU ; Dr. Sociétés 1993
n° 205 ; Rev. Sociétés 1994 p. 63, note F. PASQUALINI ; JCP éd. E. 1993 pan. n° 1152, confirmant CA Paris
12 févr. 1991, Dr. Sociétés 1991 n° 278 ; Bull. Joly 1991 p. 410, note P. LE CANNU.
(942) F. PASQUALINI, note sous cass com 29 juin 1993, précité.
(943) J. HUET, Traité de droit civil. Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, 1996, n° 31170. Un auteur (M.-C.
MONSALLIER, L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n° 464)
distingue le mandat impératif du mandat de voter dans un sens déterminé. Cette distinction paraît bien subtile et
sans grandes incidences pratiques.
CLXXVI
B. les techniques innommées
Un auteur a pu estimer que le prêt de consommation d'actions ( 944 ) opérait un
transfert du droit de vote (945). Cette opinion ne convainc pas. En effet, la circulation du droit
de suffrage peut se définir comme étant une convention relative à l'attribution de celui-ci, par
laquelle les parties organisent la dissociation des prérogatives financières et de gouvernement
attachées au titre (946). Or, le prêt de consommation (947) a pour conséquence principale de
transférer la propriété du bien à l'emprunteur (948). Dès lors, en droit des sociétés, que le prêt
soit réglementé ou libre (949), c'est ce dernier qui se verra investi de la propriété des titres
(944) Les applications pratiques du prêt de consommation d'actions sont multiples. Par exemple, cette technique
sera utilisée fréquemment dans le cadre d'un groupe de sociétés. La société mère prêtera des actions d'une filiale
à l'un de ses administrateurs, qui pourra à moindre frais acquérir la qualité d'actionnaire de la filiale, nécessaire
pour pouvoir siéger au conseil d'administration de celle-ci – sur cette question, V. F.-X. LUCAS et Ph. NEAULEDUC, Mise à disposition d'actions à des administrateurs ou à des membres du conseil de surveillance, Dr.
Sociétés, Actes pratiques, nov.-déc. 1999 ; A. COURET, Le prêt de titres consenti par une société à un futur
administrateur d'une filiale, Bull. Joly 2000 p. 477 ; Q. URBAN, Les prêts d'actions à des administrateurs dans
les stratégie des groupes de sociétés. Une pratique juridique périlleuse, JCP 2000 I n° 232 ; Ph. REIGNE, La
licéité du prêt d'actions à des administrateurs (à propos d'une réponse ministérielle de Mme le Garde des
Sceaux à M. Philippe Marini, Bull. Joly 2000 p. 1187.
(945) J.-J. DAIGRE, Le droit de vote est-il encore un attribut essentiel de l'associé ?, JCP éd. E. 1996 I n° 575.
(946) P. DIDIER, Les conventions de vote, Mélanges Jean Foyer, PUF, 1997, p. 341 ; M. GERMAIN, Le
transfert du droit de vote, RJ com. nov. 1990, n° spécial, Stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par
actions, p. 135.
(947) Le prêt de consommation est le prêt par lequel l'emprunteur peut consommer la chose prêtée, à charge pour
lui de restituer l'équivalent, en espèces et en quantité (Art. 1892 C. Civ.) – sur ce prêt, Ph. MALAURIE et L.
AYNES, Cours de droit civil. Les contrats spéciaux, op. cit., n° 925 et s. Le prêt de consommation se distingue
du simple prêt à usage, dans lequel l'emprunteur doit restituer la chose même qui lui a été prêtée. Le prêt à usage
est concevable en droit des sociétés, bien que son utilité pratique soit douteuse, faute de transférer la propriété
(en ce sens, Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre
associés, op. cit., n° 265 ; F.-X. LUCAS, Le transfert temporaire de valeurs mobilières. Pour une fiducie de
valeurs mobilières, bibl. dr. priv. t. 283, LGDJ, 1997, n° 64).
(948) Art. 1893 C. Civ.
(949) La loi n° 87-416 du 17 juin 1987, relative à l'épargne, modifiée par une loi n° 91-716 du 26 juillet 1991, a
encadré le prêt d'actions. Pour que le régime juridique et fiscal aménagé par cette loi s'applique, encore faut-il
que les actions soient cotées, qu'elles n'ouvrent pas droit à dividende et qu'elles soient restituées dans le délai
d'un an. Cependant, rien n'empêche les parties de conclure, si ces conditions n'étaient pas remplies, un prêt de
consommation soumis aux dispositions du Code civil. Cependant, la validité de ce contrat est pour le moins
sujette à caution, tant au regard de l'article 225-43 du code de commerce (ancien art. L. 106), qui interdit les
prêts consentis par la société à un dirigeant, sans distinguer selon l'objet de la convention, qu'au regard du
caractère non consomptible des actions (en faveur de la nullité, V. not., Y. GUYON, Traité des contrats. Les
sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés, op. cit., n° 266 ; F.-X. LUCAS et Ph. NEAULEDUC, Mise à disposition d'actions à des administrateurs ou à des membres du conseil de surveillance,
précité, spéc. n° 15 et s. ; Q. URBAN, Les prêts d'actions à des administrateurs dans la stratégie des groupes de
sociétés. Une pratique juridique périlleuse, précité, n°2 et s. ; en faveur de la validité, A. COURET, Le prêt de
titres consenti par une société à un futur administrateur d'une filiale, précité, n° 6 et s.) – sur l'ensemble de la
question, V. F. AUCKENTALER, J.-Cl. Banque et crédit, fasc. 2125, 2001 ; G. BAFFOY, Le prêt de
consommation de titres de sociétés, JCP éd. E. 1996 n° 561 ; H. CAUSSE, Prêts de titres et titres de créances
négociables après la loi du 26 juillet 1991, JCP éd. E. 1992 I n° 125 ; M. JEANTIN, Les prêts de titres, Rev.
Sociétés 1992 p. 465 ; R. ALLOUCHE et F. PELTIER, Le nouveau régime des prêts de titres, RD bancaire et
bourse 1992 p. 6 ; J.-B. HEINRICH, Du prêt de titres. Critique raisonnée et raisonnable des règles juridiques,
fiscales et comptables applicables, RJ com. 1992 p. 282 ; A. LUNEL-JURGENSEN et F. GUERANGER, Le
réméré, la pension et le prêt de titres, Banque 1992 p. 144, 246 et 361 ; M. BISQUERRA et E.-J. de
CLXXVII
(950), donc de la qualité d'associé, avec toutes les prérogatives qui y sont attachées. Il n'y a
donc pas transfert du droit de vote. L'attribution du droit de vote à l'emprunteur n'est que
l'application des principes généraux du droit des sociétés.
Si le prêt d'actions ne peut être envisagé comme un moyen de transférer le droit de
vote, il n'en est pas de même pour la location de titres (a). En outre, le législateur avait un
temps envisagé d'introduire en droit français le contrat de fiducie mais le projet n'a pas connu
de suite. Cependant, les pressions demeurent en faveur une telle consécration. Si tel était le
cas, le nouveau contrat pourrait être un outil de transfert du droit de vote (b).
a- En droit positif : la location de titres
Le contrat de location de choses est défini par l'article 1709 du Code civil comme celui
"par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain
temps, moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige à lui payer".
La pratique des affaires a redécouvert les vertus du bail mobilier (951), en liaison avec
la mutation du contrat, désormais appréhendé en tant que bien et non plus seulement sous
l'angle des parties et de leurs droits et obligations respectifs (952). Cette convention présente
de nombreux avantages, tant au niveau juridique que fiscal (953).
Le Code civil autorisant la location de tous biens meubles et immeubles (954), rien ne
s'oppose à la conclusion d'un bail portant sur des actions (955). La doctrine est d'ailleurs
quasiment unanime sur ce point (956). Faute d'interdiction expresse, la location de valeurs
mobilières est donc parfaitement concevable.
LENCQUESAING, Prêts/emprunts de titres. Les éléments d'une doctrine, Banque 1990 p. 1063 ; Y. GUYON,
Le régime juridique des prêts de titres, RD bancaire et bourse 1988 p. 36 ; M. CHAMBERT et J. TRICOUT, Le
prêt de titres dans le cadre de la nouvelle loi sur l'épargne, Banque 1988 p. 732.
(950) Bien qu'il soit impropre de parler de propriété des actions, celles-ci s'analysant comme un droit personnel,
le terme sera néanmoins employé par commodité de langage.
(951) sur l'ensemble de la question, J. CAYRON, La location de biens meubles, PUAM, 1999.
(952) sur cette mutation du contrat, V. not. J. MESTRE, L'évolution du contrat en droit privé français, in
L'évolution contemporaine du droit des contrats, PUF, 1985, p. 41 ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, Libres
propos sur la transformation du droit des contrats, RTD civ. 1997 p. 357.
(953) sur ces avantages, V. J. CAYRON, L'utilisation de la location mobilière dans certains montages, Dr. et
patrimoine mai 1999 p. 78 ; Th. JACOMET, Et la location d'actions …, Bull. Joly 1993 p. 640.
(954) Art. 1713 C. civ.
(955) Bien que la location de parts sociales soit théoriquement possible, elle reste difficilement concevable pour
des raisons d'ordre pratique.
(956) V. not. J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 4254 ; J. CAYRON, La location de biens
meubles, op. cit., n° 328 ; Cl. FERRY, La location d'actions avec promesse unilatérale de vente, JCP éd. E. 1993
I n° 274 ; Th. JACOMET, Et la location d'actions …, précité – comp. M.-H. GIRARD, Prêt, dépôt, séquestre,
location et crédit bail, Rev. Sociétés 1999 p. 687.
CLXXVIII
La question se pose néanmoins de savoir qui, du preneur ou du locataire, se verra
attribuer le droit de vote. De prime abord, la réponse semble évidente. Le contrat n'opérant
pas transfert de propriété, le bailleur reste investi de la qualité d'associé, et de la prérogative
fondamentale qui y est attachée. Pourtant, les mécanismes contractuels conduisent à nuancer
cette position.
En effet, tout bailleur est titulaire d'un droit d'user de la chose. Il est de l'essence du
contrat que de transférer la jouissance du bien (957), ce qui le distingue de la vente (958). Or,
en matière de droits sociaux, l'usage de la chose suppose non seulement la perception des
dividendes mais également le droit de participer aux affaires sociales, sans lequel le droit de
jouissance serait vidé de sa substance (959). En d'autres termes, la logique du bail conduit à
attribuer le droit de vote au preneur, pourtant dépourvu de la qualité d'associé, au moins dans
les assemblées générales ordinaires.
Cette opinion n'emporte pas véritablement l'adhésion. Faute pour le contrat de
transférer la propriété, le bailleur reste associé et le preneur ne peut normalement pas exercer
la prérogative fondamentale attachée à cette qualité. La convention qui permettrait au
locataire d'actions de voter au sein des assemblées générales doit être assimilée à une cession
du droit de suffrage prohibée. Le raisonnement construit par les partisans de la reconnaissance
du droit de vote au preneur ne peut convaincre, pour plusieurs raisons.
En effet, en premier lieu, ils assimilent la situation du locataire à celle d'un usufruitier,
lequel dispose du droit de vote au sein des assemblées générales ordinaires (960). Cependant,
l'interprétation par analogie, sous-jacente à ce rapprochement, suppose, sinon une identité de
nature, à tout le moins une certaine similitude des situations (961). Or, le droit de l'usufruitier
et celui du locataire sont profondément distincts. L'usufruit est un démembrement de
(957) Art. 1709 C. Civ. – sur ce point, J. HUET, Traité de droit civil. Les principaux contrats spéciaux, op. cit.,
n° 21105 ; A. BENABENT, Droit civil. Les contrats spéciaux civils et commerciaux, op. cit., n° 308.
(958) Bien que théoriquement simple, la distinction entre les deux contrats se révèle parfois difficile à opérer en
pratique, notamment lorsque l'objet de la convention est relative à des biens incorporels ou lorsque le bail n'est
qu'un élément d'un montage visant à transférer la propriété V. Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit
civil. Les contrats spéciaux, op. cit., n° 615 et s. ; Ph. DELEBECQUE et F. COLLART-DUTILLEUIL, Contrats
civils et commerciaux, op. cit., n° 350 et s.
(959) en ce sens, Th. JACOMET, Et la location d'actions…, précité ; Cl. FERRY La location d'actions avec
promesse unilatérale de vente, précité, spéc., n° 16 ; J. CAYRON, L'utilisation de la location mobilière dans
certains montages, précité.
(960) supra.
( 961 ) J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction, op. cit., n° 156 ; C. PERELMAN, Logique juridique.
Nouvelle rhétorique, 2° éd., Dalloz, 1999, n° 67 ; G. CORNU, Le règne discret de l'analogie, Mélanges André
Colomer, Litec, 1993, p. 129.
CLXXIX
propriété. C'est donc un droit réel (962), Au contraire, le contrat de bail ne transfère pas la
propriété du bien au preneur, mais seulement sa jouissance. Dès lors, le droit du locataire est
un droit personnel, une créance sur le bailleur, consistant dans le droit d'exiger de ce dernier la
jouissance de la chose ( 963). Dans ces conditions, la situation du bailleur ne peut être
assimilée à celle de l'usufruitier.
De la même manière, on ne peut davantage soutenir que le locataire a qualité pour
participer aux assemblées générales, en tant que mandataire du bailleur, comme l'ont affirmé
certains auteurs ( 964 ). Comme nous l'avons vu, la technique de la représentation
conventionnelle obéit à des règles strictes, destinées à protéger le droit de vote du mandant.
Le représentant ne peut être qu'un co-actionnaire ou le conjoint du représenté (965). Or, le
locataire n'est en principe pas actionnaire. Il ne peut donc pas se voir donner mandat par le
bailleur, afin d'assister lui-même aux assemblées générales ordinaires.
En d'autres termes, si on ne peut douter de la validité de la convention, du fait de la
liberté contractuelle, les parties devront prendre soin de ne pas opérer un transfert du droit de
vote prohibé au profit du preneur. Dès lors, une clause devra attribuer expressément le droit
de suffrage au bailleur, afin d'éviter le contentieux ou prévoir la représentation de ce dernier
par le preneur. Dans ce cas, celui-ci devra alors acquérir au moins une action pour que soient
respectées les règles gouvernant le mandat de vote (966)
La validité d'un tel transfert est tout aussi douteuse lorsque l'on envisage, de manière
prospective, l'utilisation du contrat de fiducie.
a- En droit prospectif : le contrat de fiducie
La fiducie est héritée du droit romain. A cette époque, elle opérait un transfert
temporaire de propriété et revêtait deux formes essentielles. La fiducia cum creditore
(962) J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI et S. CIMAMONTI, Traité de droit civil. Les biens, LGDJ, 2000, n° 246 ;
Ch. ATIAS, Droit civil. Les biens, 4 éd., Litec, 1999, n° 137 ; Fr. ZENATI et Th. REVET, Les biens, 2° éd.,
PUF, 1997, n° 190.
(963) La nature juridique du droit du preneur à bail a fait l'objet d'une vive controverse en doctrine. La plupart
des auteurs ont analysé ce droit comme un droit personnel mais un courant minoritaire a réfuté cette thèse et a
considéré que le contrat de bail donnait naissance à un droit réel (sur cette controverse, V. not. J. HUET, Traité
de droit civil. Les contrats spéciaux, op. cit., n° 21112 et s. ; Ph. DELEBECQUE et F. COLLARTDUTILLEUIL, Contrats civils et commerciaux, op. cit., n° 474 et s.). La jurisprudence avalise d'ailleurs
l'opinion majoritaire (V. cass Req. 6 mars 1861, Grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, n° 455, p. 415).
(964) Th. JACOMET, Et la location d'actions …, précité ; J. CAYRON, L'utilisation de la location mobilière
dans certains montages, précité.
(965) sur cette question, supra.
(966) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 4254.
CLXXX
transférait temporairement la propriété d'un bien en garantie, que conservait le créancier en
cas de non-paiement de la dette. La fiducia cum amico consistait quant à elle en la remise
temporaire d'un bien en pleine propriété à une personne de confiance, qui le conservait
pendant un certain temps (967). La fiducie romaine fut conservée dans l'ancien Droit sous le
nom de fideicommis. Mais le législateur post-révolutionnaire, attaché à l'absolutisme du droit
de propriété, écarta l'institution, si bien que le Code civil l'ignora (968).
Par conséquent, la fiducie n'existe pas en tant que telle en Droit positif mais
nombreuses sont les institutions qui s'en inspirent (969). Ainsi, par exemple, la convention de
portage, définie comme celle par laquelle une personne, le porteur, acquiert des titres pour le
compte d'une autre, le donneur d'ordre, à charge de les rétrocéder à une troisième, le
bénéficiaire (qui peut être le donneur d'ordre lui-même) à une date et à un prix fixés dès
l'origine ( 970 ). Ce contrat issu de la pratique des affaires transfère temporairement la
propriété des droits sociaux au porteur, jusqu'à la rétrocession au bénéficiaire, ce qui est le
propre de la fiducie (971).
Dès lors, les pouvoirs publics ont tenté de reconnaître ces techniques issues de la vie
commerciale en règle générale en prévoyant l'introduction en Droit positif de la fiducie (972).
En effet, un avant projet puis un projet de loi datés respectivement de 1990 et de 1992 ont
tenté de reconnaître officiellement la fiducie (973). Cependant, ce texte ne fut jamais présenté
devant la représentation nationale, à la suite du basculement de la majorité politique en 1993.
Dès lors, la fiducie est toujours une institution de droit prospectif. Cependant, de nombreux
auteurs plaident encore en faveur de sa reconnaissance législative, si bien que les dispositions
(967) P. OURLIAC et J. de MALAFOSSE, Histoire du droit privé, t. 1, Les obligations, 2° éd., PUF, 1969, n°
22 ; J. GAUDEMET, Droit privé romain, Montchrestien, 1998, p. 260.
(968) A. SERIAUX, Contrats civils, op. cit., n° 144.
(969) Un auteur a ainsi démontré que la fiducie existait à l'état latent en droit positif, même si le législateur ne l'a
pas formellement reconnue (C. WITZ, La fiducie en droit privé français, Economica, 1981) – V. aussi, D.
SCHMIDT et C. WITZ, Les opérations fiduciaires en droit français, in C. WITZ (sous la direction de),
FEDUCI-LGDJ, 1985, p. 305.
(970) Voc. Ass. H. Capitant, V° "portage".
(971) Sur les applications de la fiducie dans la pratique des affaires, A. PEZARD, Les diverses applications de la
fiducie dans la vie des affaires, RD bancaire et bourse 1990 p. 108.
(972) sur la pratique, source matérielle du Droit, V. TAC, t. 34, Le rôle de la pratique dans la formation du
droit, 1985.
(973) sur ces textes, J. de GUILLENSCHMIDT, La France sans la fiducie ?, RJ com. 1991 p. 49 et La fiducie
pour quoi faire. Présentation de l'avant-projet de loi relatif à la fiducie, RD bancaire et bourse 1990 p. 105 ; M.
GRIMALDI, La fiducie : réflexions sur l'institution et sur l'avant-projet de loi qui la consacre, Defrénois 1991
p. 897 et p. 961 ; A. BENABENT, La fiducie (Analyse d'un projet de loi lacunaire), JCP éd. N. 1993 doctr. p.
275 ; C. FERRY, La fiducie-gestion du projet de loi de mai 1992 : quelques questions théoriques et leur enjeu
pratique, Petites affiches 14 oct. 1992 p. 13 ; D. DESURVIRE, Bientôt un trust franco-français, Petites affiches
22 févr. 1993 p. 13 et 25 févr. 1993 p. 7 ; P. GULPHE, Quelques réflexions sur l'institution d'un trust à la
française, Mélanges André Breton et Fernand Derrida, Dalloz, 1991, p. 159.
CLXXXI
du projet de loi avorté méritent d'être examinées ( 974 ). Le rapport Marini sur la
modernisation des sociétés commerciales avait proposé d'introduire officiellement la fiducie
en droit français (975) mais cette suggestion n'a à notre connaissance connu aucune suite
législative.
Selon le nouvel article 2062 du Code civil, que les projets de réforme prévoyaient
d'introduire, "la fiducie est un contrat en vertu duquel un constituant transfère tout ou partie
de ses biens et droits à un fiduciaire à charge pour celui-ci d'agir dans un but déterminé, au
profit de bénéficiaire ou du constituant lui-même". Le texte est dépourvu d'ambiguïté : la
fiducie revêt une nature contractuelle. En cela, elle se distingue du trust (976), qui relève du
droit des biens et non de celui des contrats. Mais, l'institution anglo-saxonne a indéniablement
inspiré les promoteurs de la fiducie (977).
Le projet a consacré implicitement trois types de fiducies : la fiducie-libéralité (978),
particulièrement opportune pour assurer la transmission de l'entreprise (979), la fiducie-sûreté
(980) et la fiducie-gestion (981).
(974) Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les biens. La publicité foncière, op. cit., n° 765 ; A.
SERIAUX, Contrats civils, op. cit., n° 144 ; F.-X. LUCAS, Le transfert temporaire de valeurs mobilières. Pour
une fiducie de valeurs mobilières, op. cit., n° 536 et s. – adde, J. MESTRE, Regards sur les sûretés, Dr. et
patrimoine, avr. 2001, p. 3.
(975) Ph. MARINI, La modernisation du droit des sociétés, La Documentation française, 1996, p. 29.
(976) En droit anglais, il y a trust lorsqu'une personne, le setlor, remet à une autre, le trustee, des biens, dont
celle-ci acquiert la legal property, à charge de les administrer pour le compte d'une troisième, le cestui que trust,
qui en acquiert l'equitable property. Le trust ne se forme donc pas par convention mais par l'effet d'un
engagement unilatéral de volonté du settlor – sur cette question, V. J. A. JOLOWICZ (sous la direction de ),
Droit anglais, 2° éd., Dalloz, 1992, n° 362 et s. ; R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systèmes de
droit contemporains, 10 éd., Dalloz, 1992, n° 306 et s. La convention de La Haye du 1 er juillet 1985, non encore
ratifiée à notre connaissance, prévoit que le trust valablement constitué à l'étranger pourra produire tous ses
effets en France – sur ce point, J.-P. BERAUDO, Les trusts anglo-saxons et le droit français, LGDJ, 1992.
(977) C. JAUFFRET-SPINOSI, Trust et fiducie, Mélanges Alain Sayag, Droit et vie des affaires, Litec, 1997, p.
330 ; C. LARROUMET, La fiducie inspirée du trust, D. 1990 chron. p. 119 ; J. de GUILLENSCHMIDT et A.
CHAPELLE, Trusts, business trusts et fiducie, Petites affiches 25 juin 1990 p. 4 ; M. ELLAND-GOLDSMITH,
Fiducie et trust. Eléments d'une comparaison, Banque et droit 1990 p. 241.
(978) Lorsque le bénéficiaire est un tiers auquel le fiduciaire convient de transférer les titres après son décès ou à
sa majorité, la fiducie permet au constituant d'effectuer une donation – Sur l'articulation avec les règles du droit
patrimonial de la famille, V. M. GRIMALDI, Droit civil. Libéralités. Partages d'ascendants, Litec, 2000, n°
1122.
(979) S. BOURGOGNE, La fiducie : une solution pour la transmission de l'entreprise ?, Annales de l'Université
de sciences sociales de Toulouse, t. 39, 1991, p. 273 ; A. PEZARD, Les diverses applications de la fiducie dans
la vie des affaires, précité ; P. DECHEIX, La fiducie, mode de transmission de l'entreprise, Petites affiches 9 mai
1990 p. 18 ; Y. STEIF, Le droit civil au secours de la transmission des entreprises. L'avant projet de loi sur la
fiducie, Petites affiches 9 mai 1990 p. 23.
(980) Dans cette hypothèse, la même personne, par ailleurs créancière du constituant, cumule les qualités de
fiduciaire et de bénéficiaire. Le transfert temporaire de propriété est donc opéré en garantie d'une créance – sur
ce point, J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, Traité de droit civil. Droit commun des sûretés réelles,
CLXXXII
Le contrat peut avoir pour objet tout bien meuble ou immeuble. En particulier, des
actions pourront être ainsi transférées à un fiduciaire. La fiducie étant une convention
translative de propriété (982), ce dernier acquiert la pleine propriété des titres. C'est donc à lui
que sera attribuée la qualité d'associé, et donc le droit de vote. Par conséquent, de prime
abord, le contrat de fiducie ne suscite aucune difficulté particulière. Il y a transfert du titre et
non du droit de suffrage.
Mais, le projet prévoit que la fiducie peut porter sur tout bien ou droit du constituant.
(983). Dès lors, pourrait-elle porter uniquement sur un droit de vote dont le constituant serait
d'ores et déjà titulaire ? Cette pratique dite du voting trust est très fréquente en droit américain
et la plupart des Etats admettent sa validité (984). Une réponse négative s'impose. En effet, si
la validité de la fiducie est clairement affirmée par le projet, c'est à la condition que le contrat
ne porte pas atteinte à des règles d'ordre public propres à chaque matière concernée (985). Or,
le droit de vote est un attribut essentiel de l'associé dont il ne peut être privé que par l'effet de
la loi (986). Il est donc hors du commerce au sens de l'article 1128 du Code civil (987). La
cession du droit de vote encourt donc la nullité pour illicéité de l'objet, qu'elle soit définitive
ou simplement fiduciaire.
Pour contourner cette interdiction, les parties pourraient-elle confier l'entière titularité
de l'action au fiduciaire, lequel détacherait ensuite les droits pécuniaires afin de les restituer
au constituant ? De prime abord, un tel montage est valable en ce qu'il superpose un contrat de
fiducie, dont la validité est reconnue par l'avant-projet, et une convention de croupier, dont la
validité n'est pas douteuse (988).
LGDJ, 1996, n° 103 et s. ; P. CROCQ, Propriété et garantie, Bibl. dr. priv. t. 248, LGDJ, 1995, n° 43 et s. ; C.
WITZ, Réflexions sur la fiducie-sûreté, JCP éd. E. 1993 I n° 244.
(981) Lorsque le bénéficiaire est le constituant lui-même, il y a fiducie-gestion.
(982) Les textes de l'avant projet avaient été intégrés dans le Livre III du Code civil "Des différentes manières
dont on acquiert la propriété". Mais l'originalité du contrat réside dans le fait que les biens placés en fiducie, s'ils
quittent le patrimoine du constituant, forment une masse séparée dans celui du fiduciaire. La fiducie, si elle
venait à être reconnue par le Droit, consacrerait ainsi la théorie du patrimoine d'affectation – sur cet aspect, M.
GRIMALDI, La fiducie : réflexions sur l'institution et sur l'avant-projet de loi qui la consacre, précité, n° 45 et
s.; A. BENABENT, La fiducie (Analyse d'un projet de loi lacunaire), précité, n° 11 et s. ; J. de
GUILLENSCHMIDT, La fiducie pour quoi faire ? Présentation de l'avant-projet de loi relatif à la fiducie,
précité.
(983) Art. 2062 C. Civ., dans sa rédaction issue du projet.
(984) A. TUNC, Le droit américain des sociétés anonymes, Economica, 1985, n° 70.
(985) Art. 2062 C. Civ., dans sa rédaction issue du projet.
(986) sur cet aspect, infra.
(987) J. MESTRE, Regards juridiques sur l'éthique financière, in J.-Y. NAUDET (sous la direction de), Ethique
financière, Librairies de l'Université d'Aix en Provence, 2000, p. 165 – sur l'ensemble du problème, infra.
(988) La convention de croupier est celle par laquelle un associé, sans le consentement des autres membres du
groupement, décide d'attribuer à un tiers, le croupier, les droits pécuniaires attachés au titre (J. MESTRE, Lamy
Sociétés Commerciales, op. cit., n° 217) – sur cette question, outre les ouvrages généraux, on consultera : X, Le
CLXXXIII
Cependant, il convient de répondre par la négative. Un tel contrat encourt la nullité
pour illicéité de sa cause. En droit contractuel, le juge, lorsqu'il annule une convention sur ce
fondement, examine la cause subjective, c'est à dire les mobiles qui ont incité les parties à
contracter. Si les contractants poursuivaient un but frauduleux, l'accord sera nul (989). Dès
lors que l'on admet la nature contractuelle du montage ( 990 ), la cause subjective sera
entendue comme le motif ayant déterminé les contractants à s'engager et sera commune à
l'ensemble des actes permettant la réalisation du contrat cadre ( 991). Or, par l'opération
litigieuse, les contractants ont entendu réaliser une dissociation des attributs politiques et
financiers du titre, que seule la loi peut prévoir. Le montage associant fiducie et convention de
croupier opère donc une cession du droit de vote prohibée ; il est donc nul pour illicéité de la
cause.
En définitive, on le voit, même si elle était finalement introduite en droit français, la
fiducie ne permettrait pas un transfert du droit de vote (992). Quelle que soit la méthode
employée, aménagement contractuel ou montage, le contrat aboutirait à une cession du droit
de suffrage prohibée.
Si le droit des biens permet dans une large mesure de transférer le droit de vote, le
droit des contrats est moins efficace. A coté des techniques issus du droit commun, existent
des outils propres au droit des sociétés, qui sont envisagées avec davantage de suspicion.
§2- Les techniques de transfert spécifiques au droit des sociétés
croupier d'associé, Bull. mensuel d'informations des sociétés 1984 p. 367 ; J. RICHARD, La convention de
croupier, JCP éd. N. 1987 I p. 245.
(989) sur l'illicéité de la cause, infra.
(990) Le montage s'entend comme un contrat cadre conclu dans le but d'accomplir une opération particulière, qui
oblige à la conclusion et à l'exécution d'actes juridiques ultérieurs destinés à la réalisation de l'objectif initial. Il
est donc valable par application du principe de liberté contractuelle : D. PORACCHIA, La réception juridique
des montages conçus par les professionnels, PUAM, 1998, préf. J. MESTRE, n° 74. – adde, du même auteur,
Une meilleure connaissance des montages au service des professionnels du droit, Dr. et patrimoine mai 1999 p.
50. Un autre auteur y voit un ensemble d'actes juridiques ordonnés, façonnés par une unité de cause (J.-P. DOM,
Les montages en droit des sociétés, Joly éditions, collection Pratique des affaires, 1998, n° 20 – Rappr. D.
COHEN, La légitimité des montages en droit des sociétés, in Mélanges François Terré, L'avenir du droit, PUFDalloz-Litec, 1999, p. 261). Certains voient dans le montage une "manipulation génétique" des normes
juridiques, opérée dans un but nécessairement frauduleux (P. DIENER, Pathologie juridique et doctrine
universitaire en droit des affaires, D. 1997 chron. p. 147).
(991) D. PORACCHIA, La réception juridique des montages conçus par les professionnels, op. cit., n° 127 et s.
(992) M. GERMAIN, Le transfert du droit de vote, précité.
CLXXXIV
Certaines sont illicites, car elles contredisent directement le droit de l'associé à voter
(A). En revanche, la licéité d'une autre technique, la société holding, ne souffre pas la
discussion, car le transfert du droit de vote résulte du transfert même du titre auquel il est
attaché (B).
A. Les techniques interdites
L'illicéité d'une cession isolée du droit de suffrage n'est pas douteuse, encore que
quelques voix militent en faveur de la thèse inverse (a). De même, la nullité des opérations
qui peuvent lui être assimilées s'impose (b).
a- la cession du droit de vote
La question est récurrente : l'associé peut-il céder son droit de vote, indépendamment
du titre auquel ce dernier est attaché ? A vrai dire, ni le droit antérieur, ni le droit commun des
sociétés, ni la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 n'ont envisagé la cession isolée du droit de
suffrage.
Certes, l'article 233-10 du code de commerce (ancien art. L. 356-1-3), issu de la loi n°
89-531 du 2 août 1989, relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, définit
l'action de concert notamment comme "un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de
vote" (993). Est-ce à dire que le législateur a entendu légitimer la technique de cession du
droit de suffrage, indépendamment de celle du titre ? Un réponse négative s'impose. Par cette
formule, les pouvoirs publics ont entendu appréhender concrètement les cessions massives
d'actions pourvues d'un droit de vote, dont la finalité est fréquemment de conférer à
l'acquéreur le contrôle au sein des assemblées générales (994). La doctrine est d'ailleurs
unanime sur ce point (995).
De prime abord, la nature contractuelle du droit de suffrage autorise sa cession.
Puisque ce droit est un droit individuel, rien n'interdit à l'associé d'en disposer comme bon lui
(993) sur la notion d'action de concert, infra.
(994) sur cet aspect du droit de vote, appréhendé comme un enjeu de pouvoir, infra.
(995) A.VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, éd. Francis LEFEBVRE, 1999, n° 1461 ; Th.
BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours, retrait…, EFE, 1999, n°
205 ; M. GERMAIN, Le transfert du droit de vote, précité ; P. LE CANNU, L'action de concert, Rev. Sociétés
1991 p. 675, spéc. n° 23 ; D. SCHMIDT et Cl. BAJ, Réflexions sur la notion d'action de concert, RD bancaire et
bourse 1991 p. 86.
CLXXXV
semble (996). La jurisprudence a cependant refusé d'avaliser cette thèse (997). En effet,
quoique séduisante, la théorie de la cessibilité de la prérogative fondamentale de l'associé ne
peut être accueillie. Plusieurs arguments militent en faveur de ce rejet (998).
En premier lieu, l'article 1844 du Code civil prévoit que "tout associé a le droit de
participer aux décisions collectives", le même texte affirmant sans ambiguïté le caractère
d'ordre public de cette disposition. Certes, le droit de vote n'est pas directement visé mais la
jurisprudence assimile fort logiquement le droit de participer aux décisions collectives et le
droit de suffrage (999). Dès lors, cette règle s'oppose à la conclusion d'une convention qui
distinguerait l'associé du titulaire de la prérogative de gouvernement.
Ensuite, l'indivisibilité du titre conduit à écarter tout fractionnement non prévu par la
loi. D'après cette règle, posée à l'article 228-5 du code de commerce (ancien art. L. 266),
l'action et ses attributs ne sauraient connaître qu'un seul titulaire (1000).
Enfin, loin d'en autoriser la cession autonome, la nature contractuelle du droit de vote
l'interdit. On l'a vu, cette prérogative s'analyse comme un accessoire de la créance que
constitue le droit social. Il garantit les droits pécuniaires de l'associé et la rémunération du
risque couru (1001). Dès lors, l'opération litigieuse est de nature à ôter à l'apporteur de capital
la garantie de la protection de ses intérêts, qu'il ait lieu au profit d'un tiers ou d'un autre
associé (1002).
La cession du droit de vote est donc illicite au regard des principes généraux
gouvernant le droit des sociétés. Mais il reste à déterminer la sanction qui frapperait un tel
contrat. La jurisprudence, lorsqu'elle a eu à connaître de cette convention, a prononcé la
nullité, sans toutefois préciser le fondement retenu (1003).
(996) R. MICHEL, Rec. Juridique des sociétés 1926 p. 80, cité par P. CORDONNIER, L'actionnaire peut-il
céder son droit de vote ?, Journ. sociétés 1927 p. 5.
(997) Trib. com. Seine 8 mars 1928, Journ. sociétés 1928 p. 670 – rappr. CA Paris 17 nov. 1965, D. 1966 p. 10 ;
RTD com. 1966 p. 611, qui annule la cession de l'usufruit d'une part sociale, au motif que l'opération constituait
une cession déguisée du droit de vote.
(998) Rappr. P. CORDONNIER, L'actionnaire peut-il céder son droit de vote ?, précité ; Ch. FREYRIA, Etude
de la jurisprudence sur les conventions portant atteinte à la liberté du vote dans les sociétés, RTD com. 1951 p.
1951 p. 419.
(999) cass com 9 févr. 1999, Château d'Yquem, précité.
(1000) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 2481.J.-F.
ARTZ, Rép. Sociétés, V° "Action", 1989, n° 15.
(1001) supra.
(1002) P. CORDONNIER, L'actionnaire peut-il céder son droit de vote ?, précité ; Ch. FREYRIA, Etude de la
jurisprudence portant atteinte à la liberté du vote dans les sociétés, précité.
(1003) Trib. com. Seine 8 mars 1928, précité.
CLXXXVI
Certains auteurs ont proposé de fonder la sanction sur l'article 235-1, alinéa 2, du code
de commerce (ancien art. L. 360) (1004). Cette solution ne convainc pas. En effet, ce texte
concerne les actes et délibérations conclus par la société, et non ceux conclus par ses associés.
Dans ces conditions, la nullité de la cession du droit de vote ne peut résulter que de la
violation des règles de droit commun des contrats (1005).
Parmi celles-ci, l'article 1128 du Code civil dispose que "il n'y a que les choses qui
sont dans le commerce qui peuvent être l'objet de conventions". Dès lors, la cession du droit
de suffrage sans la cession du titre ne contrevient-elle pas directement à cette disposition et
n'encourt-elle pas la nullité pour illicéité de l'objet (1006) ?
La notion de choses hors du commerce est classiquement assimilée à la "survivance du
tabou dans le Code civil" (1007). Sont ainsi qualifiés le corps humain, parce qu'il incarne
matériellement la personne (1008), les sépultures en vertu de leur caractère sacré (1009),
certaines choses dangereuses limitativement énumérées par le législateur (1010), les attributs
de la citoyenneté, les fonctions publiques et les offices ministériels, parce qu'ils se rattachent à
la souveraineté nationale (1011) ou, jusqu'à une date récente, les clientèles civiles (1012). Dès
(1004) J. PENNEAU, De l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, JCP éd.
CI. 1975 n° 11776, spéc. n° 64 et s. ; J. CALVO et G.-A. de SENTENAC, Le praticien et les conventions de vote
dans les sociétés, Petites affiches 24 oct. 1990 p. 4.
(1005) Rappr. D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 268 ; D.
SCHMIDT, Rapport de synthèse, RJ com. nov. 1990, n° spécial, Stabilité du pouvoir et du capital dans les
sociétés par actions, p. 175 ; A. CONSTANTIN, Réflexions sur la validité des conventions de vote, Mélanges
Jacques Ghestin, Le contrat au début du XXI° siècle, LGDJ, 2001, p. 253, spéc. n° 25 – sur cette question, infra.
(1006) Rappr. J. MESTRE, Regard juridique sur l'éthique financière, précité ; adde, R. et J. LEFEBVRE, Les
assemblées générales d'actionnaires dans les sociétés anonymes. Nouveau régime, op. cit., n° 320.
(1007) J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 57 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil.
Les obligations, op. cit., n° 490 – sur l'ensemble du problème, on consultera, outre les ouvrages de droit des
obligations, I. MOINE, Les choses hors commerce. Une approche de la personne humaine juridique, Bibl. dr.
priv. t. 271, LGDJ, 1997 ; I. COUTURIER, Remarques sur quelques choses hors du commerce, Petites affiches
6 et 13 sept. 1993 p. 7 ; G. LOISEAU, Typologie des choses hors du commerce, RTD civ. 2000 p. 47.
(1008) Art. 16-1 C. Civ., issu d'une loi n° 95-653 du 29 juill. 1994 – pour des exemples jurisprudentiels
antérieurs, V. cass Plén. 31 mai 1991, Bull. civ. n° 4, annulant pour illicéité de l'objet le contrat dit de "mère
porteuse" ; TGI Paris 3 juin 1969, D. 1970 p. 136, invalidant pour la même raison la convention relative à
l'exécution d'un tatouage et à son prélèvement ultérieur sur le corps même de la personne.
(1009) cass civ 11 avr. 1938, DH 1938 p. 321 "les tombeaux et le sol sur lequel ils sont élevés […] sont en
dehors des règles du droit sur la propriété et la libre disposition des biens" – plus nuancé, cass civ 1ère 2 mars
1999, JCP 1999 I n° 191, obs. G. LOISEAU.
(1010) Ainsi, par exemple, en vue de la protection de la santé publique, les articles L. 221-1 et s. du Code de la
consommation, issus d'une loi du 21 juillet 1983, relative à la sécurité des consommateurs, autorisent
l'administration à interdire le commerce de certaines choses ou services qui, dans des conditions normales
d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, ne présenteraient pas la
sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et porteraient atteinte à la santé des personnes – sur cette
question, G. CAS, R. BOUT et C. PRIETO, Lamy droit économique, 1996, n° 5638 et s.
(1011) Sur ces interdiction, F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n°
269, B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil. Les obligations, t. 2, op. cit., n° 633 et s.
(1012) Traditionnellement, la jurisprudence annulait pour illicéité de l'objet les cessions de clientèle civile, en
raison du rapport de confiance existant entre le membre d'une profession libérale et son client, par nature non
évaluable en argent (V., en dernier lieu, cass civ 1 ère 19 oct. 1999, Contrats, conc., consom., 2000 n° 39, obs. L.
CLXXXVII
lors, la tentation est grande de considérer le droit de vote de l'associé comme hors du
commerce, en ce qu'il se rattache à la personne même de l'apporteur de capital.
Une objection surgit cependant, tirée de la définition même du concept. Dans le
silence du Code civil, la doctrine considère généralement que le commerce au sens de l'article
1128 est le commercium au sens large, entendu comme la possibilité pour une chose de faire
l'objet d'un acte juridique quel qu'il soit (1013). Ainsi, pour un auteur (1014), la chose hors du
commerce est celle qui "ne peut donner lieu à une convention de droit usuel qui, gratuite ou
onéreuse, serait alors régie par le titre III du livre III du Code civil, et permettrait d'exiger
une exécution en nature, ou à défaut, un dédommagement pécuniaire". Dans ces conditions,
on ne pourrait raisonnablement conclure à l'extra-commercialité du droit de vote de l'associé
(1015), dans la mesure où la loi elle-même valide de certaines conventions portant sur cette
prérogative, relatives à son étendue (1016) ou à son exercice (1017).
Mais, cette thèse, pour séduisante qu'elle soit n'emporte pas l'adhésion. En effet, à coté
des choses hors du commerce par nature, il existe des choses hors du commerce par
destination (1018). La loi attribue une affectation particulière à certaines choses ; les actes
juridiques relatifs à ces dernières sont interdits dès lors qu'ils contredisent cette affectation ;
ils sont en revanche licites s'ils n'y portent pas atteinte. Ainsi, par exemple, le nom
patronymique a pour fonction d'identifier la personne ; elle ne peut donc en changer à son gré
et en acquérir un autre par la voie contractuelle ; en revanche, sont licites les conventions
portant seulement sur l'utilisation du nom patronymique (1019). Or, le droit de vote revêt une
LEVENEUR,). Cette prohibition était néanmoins aisément contournée puisque les juges validaient l'engagement
de présenter le successeur à la clientèle (ex. cass civ 1ère 7 juin 1995, RTD civ. 1996 p. 604, obs. J. MESTRE).
C'est pourquoi la Cour de cassation a récemment opéré un revirement et a admis sans ambiguïté la cession d'une
clientèle civile (cass civ 1ère 7 nov. 2000, RTD civ. 2001 p. 130, obs. J. MESTRE et B. FAGES).
(1013) V. not. J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du contrat, op. cit., n° 803 ; B. STARCK, H.
ROLAND et L. BOYER, Droit civil. Les obligations, t. 2, op. cit., n° 617 et s. ; A. BENABENT, Droit civil. Les
obligations, op. cit., n° 146 ; B. FAGES et J. CAYRON, Lamy droit du contrat, fasc. 215, L'indétermination et
l'illicéité de l'objet, 1999, n° 215-61.
( 1014 ) J.-P. GRIDEL, Introduction au droit et au droit français. Notions fondamentales, méthodologie,
synthèses, 2° éd., Dalloz, 1994, p. 735.
(1015) Rappr. J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 220 ; J.
PENNEAU, De l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, précité, n° 65.
(1016) Art. 225-125 C. Com. (ancien art. L. 177), qui autorise les statuts à plafonner le nombre de droits de vote
dont peut être titulaire un même actionnaire – infra.
(1017) Art. 233-3 C. Com. (ancien art. L. 355-1), qui, en définissant le contrôle comme le fait de détenir la
majorité des droits de vote en assemblée générale "en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou
actionnaires … qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société", valide implicitement les conventions sur
l'exercice du droit de suffrage.
(1018) G. LOISEAU, Typologie des choses hors du commerce, précité, n° 22 et s.
(1019) cass com 12 mars 1985, Bordas, D. 1985 p. 471, note J. GHESTIN – sur ce problème, on consultera G.
LOISEAU, Le nom, objet d'un contrat, Bibl. dr. priv. t. 274, LGDJ, 1997.
CLXXXVIII
double affectation : il permet à l'associé de défendre ses intérêts personnels (1020) et de
participer à la définition de l'intérêt social (1021). Il s'agit donc d'une chose hors du commerce
par destination : seules seront illicites les conventions qui ne permettent plus à l'apporteur de
capital de défendre ses intérêts et/ou de participer au processus décisionnel. Par conséquent,
les contrats de cession du droit de suffrage sont nuls sur le fondement de l'article 1128.
A la suite de l'arrêt de Gaste (1022), distinguant le droit de vote du droit de participer
aux décisions collectives, seul critère de la notion d'associé, nombreux sont les auteurs qui
avaient plaidé en faveur de la validité de la cession du droit de vote (1023). Selon eux, seules
seraient illicites les conventions emportant cession du droit de participation et non celles
organisant la cession autonome du droit de suffrage. De surcroît, dans certaines sociétés
cotées, au sein desquelles les actionnaires majoritaires détiennent la quasi-totalité des droits
de vote, les associés minoritaires pourraient envisager de céder à ces derniers leurs
prérogatives de gouvernement. Cette position ne convainc pas véritablement. En effet, outre le
fait que la Cour de cassation a très nettement condamné la distinction entre droit de
participation et droit de vote (1024), il ne paraît pas opportun de distinguer selon que la
société soit ou non cotée sur un marché (1025). Certes, des particularités propres à ce type de
groupements sont indéniables, mais elles demeurent étrangères aux rapports sociaux. Quelles
que soient la forme sociale et sa taille, le droit de vote est la conséquence d'un apport en
société. En d'autres termes, les règles qui le gouvernent ne sauraient être différentes selon que
le groupement fasse ou non appel au marché.
(1020) supra.
(1021) infra.
(1022) cass com 4 janv. 1994, de Gaste, Dr. Sociétés 1994 n° 45, obs. Th. BONNEAU ; Defrénois 1994 p. 556,
note P. LE CANNU ; Quot. Jur. 3 févr. 1994 p. 4, obs. P. M. ; JCP éd. E 1994 I n° 363 (n° 4), obs. A.
VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; RD bancaire et bourse, Gestion de patrimoine, mars/avril 1994 p. 9 (n° 5) ;
Gaz. Pal. 1995, 1, p. 1, note M. DELVAL ; Rev. Sociétés 1994 p. 278, note M. LECENE- MARENAUD ; RTD
civ. 1994 p. 644, obs. F. ZENATI.
(1023) J.-J. DAIGRE, Le droit de vote est-il encore un attribut essentiel de l'associé ?, JCP éd. E. 1996 I n° 575 ;
Cl. BAJ, La cessibilité du droit de vote, Cah. Dr. Entr. 4/1996 p. 16 et surtout D. SCHMIDT, Rapport de
synthèse, Cah. Dr. Entr. 4/1996 p. 25 ; La finalité du pouvoir dans les sociétés cotées, Les Echos 31 janv. 1996 ;
adde, du même auteur, intervention aux Entretiens de la COB, Confiance et marchés financiers, févr. 1996 p. 40
et Aux minoritaires de faire valoir leurs droits, MTF-L'AGEFI oct. 1996 p. 59 ; V. déjà, avant l'arrêt de Gaste,
H. HOVASSE, La protection des associés sans droit de vote lors des opérations de restructuration des sociétés,
RID écon. 1990 p. 319 ; E. du PONTAVICE, Exposé introductif, RJ com. nov. 1990, n° spécial, Stabilité du
pouvoir et du capital dans les sociétés par actions, p. 9.
(1024) cass com 9 févr. 1999, Château d'Yquem, précité.
(1025) Comp. A. COURET, Première traduction législative de la corporate governance : la loi sur les fonds de
pension (Libres propos autour de la loi n° 97-277 du 25 mars 1997), D. 1997 chron. p. 241, n° 17.
CLXXXIX
A coté des cessions du droit de vote au sens strict, il existe des techniques
contractuelles qui s'apparentent à cette opération.
b- les techniques assimilées à une cession du droit de vote
Bien que ne constituant pas des transferts stricto sensu, dans la mesure où aucun autre
associé ou tiers ne va se voir attribuer le droit de vote par leur effet, deux conventions peuvent
être assimilées à la cession autonome de ce droit : la renonciation (1) et la clause de stage (2).
1. La renonciation au droit de vote
Relativement peu fréquente dans le domaine des sociétés (1026), la renonciation est
l'acte juridique par lequel un sujet de droit manifeste sa volonté d'abandonner une de ses
prérogatives (1027). Dès lors, est-il concevable que l'associé renonce à se voir attribuer le
droit de vote ?
Sous l'empire du droit antérieur à 1966, la jurisprudence répondait généralement par la
négative. Ainsi, la Cour d'appel de Paris (1028) avait-elle considéré ce type de renonciation
comme nulle, d'une nullité absolue. Cependant, si la renonciation ne portait que sur une
résolution déterminée, si elle n'avait pas de portée générale, les juges reconnaissaient sa
validité (1029).
La loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, ainsi que celle du 4 janvier 1978, sont demeurées
muettes. A notre connaissance, les tribunaux n'ont pas eu à connaître de cette question.
Cependant, la nullité d'une renonciation au droit de vote ne semble guère douteuse. La
renonciation à un droit d'ordre public est en effet interdite en vertu de l'article 6 du Code civil.
Or, l'article 1844 alinéa 4 de ce Code confère ce caractère au droit de suffrage de l'associé,
celui-ci ne se distinguant pas du droit de participer aux décisions collectives visé à l'alinéa 1 er
de ce texte (1030). Dès lors, l'associé ne peut renoncer par avance à se voir attribuer le droit
de vote.
(1026) M. GERMAIN, La renonciation aux droits propres des associés : illustrations, Mélanges François Terré,
L'avenir du droit, Dalloz, Litec, PUF, 1999 p. 401.
(1027) Voc. Ass. H. Capitant, V° "Renonciation" ; F. DREIFFUS-NETTER, Rép. Civ. V° "Renonciation", 1989,
n° 1.
(1028) CA Paris 22 févr. 1933, D.H. 1933, 2, p. 258 ; Journ. sociétés 1934 p. 223.
(1029) CA Paris 11 nov. 1908, Journ. sociétés 1913 p. 56, note C. HOUPIN : "Un actionnaire peut valablement,
en cours de société, s'interdire d'user de son droit de vote, et ce, pendant toute la durée de l'option par lui
consentie à la société pour racheter lesdites actions".
(1030) cass com 9 févr. 1999, précité.
CXC
Mais pourrait-il renoncer à participer à une assemblée générale déterminée, par
exemple parce qu'il est intéressé à une des résolutions projetées ? La question mérite d'être
posée dans la mesure où son devoir de loyauté, résultant de l'affectio societatis, ne fait peser
sur l'associé aucun devoir d'abstention dans une telle hypothèse ( 1031 ). Pourrait-il par
conséquent s'obliger conventionnellement à ne pas participer à l'assemblée ?
La jurisprudence considère que "une partie peut toujours, après la naissance de son
droit, renoncer à l'application d'une loi, fût-elle d'ordre public" (1032). Toute la difficulté
réside dans la détermination de la date de naissance du droit de vote. S'il ne fait aucun doute
qu'elle naît du seul fait de l'entrée de l'associé dans la société, cette prérogative ne devient
effective qu'au moment de la convocation (1033). Dès lors, si la renonciation anticipée au
droit de suffrage est inconcevable, l'associé pourrait renoncer à exercer son droit essentiel,
entre la convention et la tenue effective de l'assemblée, dont il connaît l'ordre du jour (1034).
A côté de la renonciation au droit de vote, il existe une autre convention dont les effets
sont identiques : la clause de stage.
2. La clause de stage
La clause de stage est celle qui subordonne l'accès aux assemblées générales, et donc
la possibilité d'exercer le droit de vote, à la détention des actions depuis un délai
conventionnellement fixé (1035). Cette stipulation, qui sera statutaire ou plus rarement extrastatutaire (1036), permet à la société d'apprécier le comportement au regard de l'intérêt social
de ses nouveaux associés, en instituant en quelque sorte une "période probatoire" avant de les
admettre aux assemblées générales.
(1031) infra.
(1032) ex. cass civ 3ème 27 oct. 1975, Bull. III n° 310.
(1033) sur le formalisme entourant l'exercice du droit de vote, infra.
(1034) Rappr. D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 95.
(1035) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés,
op. cit., n° 160 ; J.-J. DAIGRE et M. SENTILLES-DUPONT, Pactes d'actionnaires, éd. Joly, coll. Pratique des
affaires, 1995, n° 104 ; D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n°
94 ; D. MARTIN, Comment contrôler efficacement ses investissements à travers les pactes d'actionnaires.
Conventions de vote, promesse d'achat à prix fixe et conventions de portage, Petites affiches 22 mai 1992 p. 16 ;
B. SOLLE, Le domaine de la loi de la majorité dans les groupements de droit privé, RJ com. nov. 1991, n°
spécial, La loi de la majorité, p. 40.
(1036) B. SOLLE, Le domaine de la loi de la majorité dans les groupements de droit privé, précité ; D.
VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., loc. cit.
CXCI
Sous l'empire du droit antérieur à 1937, tant la doctrine (1037) que la jurisprudence
admettaient la validité de la clause dès lors qu'elle était temporaire, eu égard à sa finalité
protectrice de l'intérêt social. Ainsi, la Cour de cassation avait-elle affirmé très nettement,
quoique implicitement, la licéité de la stipulation (1038). Cependant, avec l'entrée en vigueur
du décret-loi du 30 octobre 1937 (1039), sa nullité ne fut à l'inverse guère douteuse (1040).
Mais, depuis l'abrogation de ce texte par la loi du 24 juillet 1966, la question est de
nouveau en suspens. Pour les uns (1041), l'article 1844 du Code civil interdisant de priver un
associé de sa prérogative fondamentale, l'illicéité de la clause de stage est incontestable. En
revanche, selon d'autres auteurs, la situation actuelle étant analogue à celle d'avant 1937, il y
aurait lieu de reconduire les solutions jurisprudentielles antérieure à cette date ( 1042 ).
Autrement dit, la stipulation statutaire doit être validée dès lors qu'elle se recommande de
l'intérêt social et qu'elle n'est que temporaire.
Cette position ne peut véritablement emporter l'adhésion. L'article 1844, alinéa 4, en
réputant d'ordre public le droit de participer aux décisions collectives, interdit toute clause
statutaire, et a fortiori extra-statutaire, qui priverait un associé de cette prérogative. De
surcroît, ce texte vise "tout" associé, ce qui interdit, semble-t-il, les distinctions (1043). Dès
lors, la clause de stage, en ce qu'elle s'analyse en une renonciation de l'apporteur de capital à
son droit de suffrage, inséparable de son droit de participer, est nulle (1044). Cette solution
s'impose d'autant plus que les auteurs unanimes condamnent les clauses de stage lorsqu'elles
concernent les assemblées générales extraordinaires, au motif que l'article 225-113 du code de
( 1037 ) Ch. HOUPIN et H. BOSVIEUX, Traité général théorique et pratique des sociétés civiles et des
associations, t. 2, 7° édition, Sirey, 1935, n° 1131 ; A. WAHL, Des délais en matière de sociétés par actions,
Journ. sociétés 1911 p. 193.
(1038) cass Req 9 févr. 1937, DP 1937, 1, p. 73 ; S. 1937, 1, p. 129.
(1039) sur ce texte, infra.
(1040) V. cependant J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit commercial, t. 1, op. cit., n° 533 ; Ch.
FREYRIA, Etude de la jurisprudence sur les conventions portant atteinte à la liberté du vote dans les sociétés,
précité. Ces auteurs estimaient que la finalité de la clause, protectrice de l'intérêt social, la mettait à l'abri de la
nullité.
(1041) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, n° 99 ; G. RIPERT et R.
ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1607 ; Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés.
Aménagements statutaires et conventions entre associés, op. cit., n° 160.
(1042) R. et J. LEFEBVRE, Les assemblées générales d’actionnaires dans les sociétés anonymes. Nouveau
régime, op. cit., n° 190 ; G. GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument
d'adaptation du droit des sociétés, thèse Nice, 1999, n° 256 ; M.-C. MONSALLIER, L'aménagement contractuel
du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n° 368 ; F. MANSUY, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 136, 1990,
n° 59 ; B. SOLLE, Le domaine de la loi de la majorité dans les groupements de droit privé, précité.
(1043) En vertu de l'adage Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus : H. ROLAND et L. BOYER,
Adages du droit français, op. cit., V° "Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus", p. 936.
(1044) Rappr. D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 95 ; F.
MASQUELIER, Le vote en droit privé, op. cit., n° 217.
CXCII
commerce (ancien art. 166 donne au droit pour tout actionnaire de participer à ces assemblées
un caractère d'ordre public (1045).
En définitive, ni la cession, ni la renonciation au droit de vote, pas plus que la clause
de stage, ne permettent d'effectuer valablement un transfert de cette prérogative. Ils portent
directement atteinte au droit de vote. Il n'en va pas de même pour la société holding.
B. Une technique licite : la société holding
La société holding n'est pas une forme sociale particulière. C'est simplement le
groupement constitué en vue de détenir et de gérer des participations financières dans d'autres
sociétés (1046). Il pourra être purement financier, industriel ou mixte, présentant les deux
caractères.
En pratique, il s'agira fréquemment d'une société civile ou d'une société anonyme
(1047). Les avantages attachés à la société holding sont multiples. Par exemple, elle permet
d'acquérir à moindre frais le contrôle d'une société, par un effet de levier juridique (1048). De
même, elle constitue un moyen de stabilisation du pouvoir social. C'est d'ailleurs cette
dernière utilisation qui suscite les difficultés les plus prégnantes au regard du problème du
transfert du droit de vote. La validité du procédé est néanmoins affirmée sans ambages par la
jurisprudence (a). Cette licéité de principe n'est cependant sans limites : elle est encadrée (b).
(1045) M.-C. MONSALLIER, L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n°
368 ; F. MANSUY, J.-Cl. Sociétés Traité, fasc. 136, précité, n° 59 ; B. SOLLE, Le domaine de la loi de la
majorité dans les groupements de droit privé, précité ;
(1046) Voc. Ass. H. Capitant, V° "Holding" – sur l'ensemble du problème, on consultera : A. COURET et D.
MARTIN, Les sociétés holdings, 2° éd., PUF, 1997 ; H. BARDET, A. CHARVERIAT, B. GOUTHIERE et Ph.
JANIN, Les holdings. Guide juridique et fiscal, 2° éd., Francis Lefebvre, 1995 ; F. DRUMMOND-CASTRESSAINT MARTIN, Les sociétés dites "holdings", thèse Paris II, 1993.
(1047) Sur les diverses formes que peut revêtir la société holding et les avantages qui y sont attachés, V. not. A.
COURET, J. DEVEZE et G. HIRIGOYEN, Lamy Droit du financement, op. cit., n° 1069 ; Y. REINHARD, La
holding familiale, Defrénois 2001 p. 291.
(1048) Des personnes désireuses d'acquérir le contrôle d'une société vont constituer à cet effet une société
holding. C'est cette dernière qui va procéder à la prise de contrôle, financée par des prêts consentis par des
établissement de crédit. Ceux-ci seront remboursés par la remontée automatique des dividendes de la société
cible vers la société holding. Ce montage est dénommé en pratique LBO (Leverage Buy Out) V., parmi une
doctrine abondante, J.-P. BERTREL et M. JEANTIN, Acquisitions et fusions de sociétés commerciales, 2° éd.,
Litec, 1991, n° 378 et s. ; J. MESTRE, L'utilisation de la société holding dans les opérations de restructuration
de capital, in J. MESTRE (sous la direction de), Eléments d'ingénierie sociétaire, PUAM, 1994, p. 29 ; J.-F.
BARBIERI, La cession de PME par constitution de holding, Annales de l'Université de sciences sociales de
Toulouse, t. 39, 1991, p. 147. Ce montage a d'ailleurs été consacré par une loi du 9 juillet 1984, qui a fait du
LBO le cadre juridique permettant le rachat de l'entreprise par ses salariés V., not. D. VIDAL, Le rachat de la
société par ses salariés, in M. BUY (sous la direction de), Les salariés et les opérations sociétaires, PUAM,
1996, p. 97.
CXCIII
a- Une licéité affirmée
De prime abord, rien ne semble s'opposer à la constitution d'une société holding "par le
haut" ( 1049 ). La liberté contractuelle autorise la formation d'un groupement destiné à
concentrer les pouvoirs (1050). Néanmoins, la licéité de ce moyen au regard du caractère
essentiel du droit de vote n'a jamais cessé de nourrir la réflexion, tant doctrinale que
jurisprudentielle. En effet, si dans une société donnée, aucun des actionnaires ne dispose de la
majorité des voix en assemblée générale, certains d'entre eux peuvent se grouper et apporter
leurs titres à une structure créée pour la circonstance. Celle-ci disposera alors de la totalité des
droits de vote de ses membres, du chef desquels elle participera aux organes délibérants de la
filiale. Dès lors, on peut légitimement se demander si la constitution de la holding n'est pas un
transfert illicite du droit de vote.
Certains auteurs l'ont pensé (1051). Les tribunaux ont d'ailleurs paru un temps leur
emboîter le pas. Ainsi, la Cour de Paris avait-elle annulé une SARL formée entre trois frères
afin de gérer leurs participations dans une société anonyme, au motif que la holding ainsi
créée, majoritaire au sein de la société émettrice, dissimulait un pacte de majorité (1052). La
Cour de cassation elle-même avait invalidé un groupement constitué dans des circonstances
analogues, qui aboutissait à priver les membres de la société holding, "seuls titulaires des
actions" de leur droit de suffrage au sein de la filiale (1053).
Cela étant, non seulement ces décisions avaient été rendues alors qu'un texte prohibait
expressément toute forme d'atteinte à la prérogative fondamentale de l'associé, mais elles ne
condamnent pas per se la technique du holding. En effet, si la Cour de Paris a annulé la
SARL, ce n'est pas en raison de son objet statutaire, prévoyant la détention et la gestion de
participations financières, mais de son objet social réel. Le groupement critiqué n'était que
fictif et visait seulement à permettre à ses membres de détenir à moindres frais la majorité au
sein des assemblées générales de la société émettrice. De même, dans l'affaire soumise à la
Cour suprême, la holding était une pure société de façade destinée uniquement à transférer les
(1049) La société holding est créée par le haut lorsque les associés lui apportent leurs participations dans d'autres
groupements, le holding devenant ainsi la société mère d'un groupe. En revanche, elle sera créée par le bas si une
société préexistante filialise ses diverses activités et ne conserve que des participations financières au sein de ses
nouvelles filiales V. A. COURET et D. MARTIN, Les sociétés holdings, op. cit., p. 14.
(1050) en ce sens C. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la société par actions, Sirey, n° 285 et s.
(1051) A. TUNC, Les conventions relatives au droit de vote dans les sociétés anonymes, Rev. Gén. Dr. Comm.
1942 p. 97.
(1052) CA Paris 21 nov. 1951, S. 1952, 2, p. 105, concl. GEGOUT.
(1053) cass com 10 juin 1960, D. 1961, somm. p. 18.
CXCIV
droits de vote. Autrement dit, si la nullité s'imposait, c'est uniquement parce que le
groupement était fictif, constitué dans un but frauduleux.
Cette interprétation est d'ailleurs confortée par la jurisprudence ultérieure à 1966.
Ainsi, au nom du respect de la volonté contractuelle, le tribunal de commerce de Paris a-t-il
estimé que "s'il est vrai que la liberté de vote est un principe essentiel, quoique non écrit, du
droit des sociétés, et que l'actionnaire ne peut valablement aliéner un droit qui n'est pas
exclusivement conçu dans son seul intérêt, rien n'interdit de renoncer à cette liberté en
renonçant personnellement à la qualité d'actionnaire, pour la remettre ouvertement à un être
juridique distinct créé de concert avec d'autres actionnaires nourrissant les mêmes vues sur
l'avenir de la société et souhaitant organiser et institutionnaliser cette communauté de vues
dans leur intérêt collectif. L'être moral ainsi créé réunit tous les caractères fondamentaux
d'une société et notamment […] l'affectio societatis. Conçue pour assurer une égale
protection des intérêts des associés, au lieu de la prépondérance des vues sur de l'un sur
celles de l'autre que la règle majoritaire pourrait produire, la société ainsi créée, qui conduit
à une intégration plus complète de la volonté de ses membres, ne saurait être taxée de
méconnaître la notion fondamentale de société. En réalité, elle réalise plus que tout autre
cette communauté d'intérêts qui est à la base de la société" (1054).
De la même manière, la Cour de Paris a nettement admis la validité de principe de la
société holding : "La constitution d'une personne morale ayant pour objet d'acquérir et de
gérer la majorité des titres représentant le capital d'une autre société, n'est pas en elle-même
une opération illicite. Aucune règle ne permet d'affirmer que la création d'une société de
portefeuille, même si elle n'a qu'une seule filiale, doive par principe être assimilée à une
convention ayant pour effet de dépouiller l'actionnaire minoritaire de cette société tenue pour
un écran fictif, son prétendu droit de vote dans les assemblées de la filiale" (1055).
La licéité de la société holding a été également affirmée sans ambiguïté possible par
les magistrats parisiens, dans l'affaire Rivoire et Carret (1056). Selon ces derniers, "une telle
(1054) Trib. com. Paris 1er août 1974, Rev. Sociétés 1974 p. 685, note B. OPPETIT ; RJ com. 1975 p. 80, note
Y. CHARTIER ; RTD com. 1975 p. 130, obs. R. HOUIN – dans la même affaire, TGI Paris 14 mars 1974, Rev.
Sociétés 1974 p. 685, note B. OPPETIT – sur la portée de cet arrêt au regard des clauses de répartition des
sièges, V. infra.
(1055) CA Paris 20 oct. 1980, JCP 1981 II n° 19602, concl. M. JEOL et note F. TERRE ; Rev. Sociétés 1980 p.
779, note A. VIANDIER.
(1056) CA Paris 18 juin 1986, Rev. Sociétés 1986 p. 422, obs. Y. GUYON ; Grandes décisions n° 48, obs. Y.
CHARTIER et J. MESTRE, confirmé par cass com 24 févr. 1987, Bull. Joly 1987 p. 213, note P. LE CANNU ;
D. 1987 p. 598, note J. HONORAT– dans la même procédure, V. également, Trib. com. Marseille 8 sept. 1983,
Rev. Sociétés 1984 p. 80, note J. MESTRE, infirmé par CA Aix en Provence 18 mai 1984, Rev. Sociétés 1984 p.
798, cassé pour dénaturation d'une clause claire et précise par cass com 2 juill. 1985, Bull. mensuel
d'informations des sociétés 1986 p. 374 ; Grands arrêts du droit des affaires, n° 40, p. 400, note J.-M. ROUX.
CXCV
forme de société n'est interdite par aucune disposition légale ou réglementaire ; son rôle
consiste précisément à exercer un contrôle sur les filiales pour définir la politique
économique de l'ensemble ; il y a lieu de souligner par ailleurs que les actionnaires filiales
Rivoire et Carret d'une part, Lustucru d'autre part, ont continué à participer à la vie sociale
dans la proportion des capitaux dont ils disposaient ; ainsi n'est pas démontrée une atteinte
illicite au droit de vote des actionnaires des filiales, qui puisse entacher de nullité la société
holding".
En conséquence, la validité de la société holding est incontestable au regard de la
prohibition des cessions du droit de vote. Aucun texte ne l'interdisant expressément (1057),
elle permet d'introduire une certaine dose de flexibilité en droit des sociétés, dans les relations
entre associés (1058).
La licéité ainsi affirmée de la société holding résulte de la personnalité morale de cette
dernière. Ses membres n'ont pas apporté seulement leur droit de vote, mais le titre tout entier.
Du fait de sa personnalité juridique, la société ne va pas voter du chef des actions appartenant
à ses associés, mais elle va acquérir elle-même la titularité du droit social (1059) Il ne s'agit
que d'une application des mécanismes de l'apport en société (1060).
A la réflexion, ce fondement était déjà sous jacent à la jurisprudence antérieure à 1966.
En effet, dans l'affaire Moraël, la nullité de la holding résultait, outre de son caractère fictif
(1061) d'une convention annexe par laquelle un des associés s'obligeait, sous peine d'être
révoqué de ses fonctions de gérant de la société de portefeuille, à toujours voter, du chef de
ses propres actions, au sein des assemblées générales de la filiale, dans le même sens que ses
coassociés dans la société holding. Dès lors, l'existence de celle-ci avait pour effet de porter
atteinte à son droit de vote, puisqu'elle imposait au contractant de voter dans un sens contraire
à sa volonté réelle. Autrement dit, la nullité du groupement ne résulte pas de sa nature même
mais des circonstances entourant sa création.
Ainsi affirmée, la validité du procédé n'est cependant pas sans limites. Les juges n'ont
pas entendu donner un blanc-seing aux associés. La licéité de principe de la société holding
est donc encadrée.
(1057) Trib. com. Paris 1er août 1974, précité ; CA Paris 20 oct. 1980, précité ; CA Paris 19 juin 1986, précité.
(1058) B. SAINTOURENS, La flexibilité du droit des sociétés, RTD com. 1987 p. 457.
(1059) Trib. com. Paris 1er août 1974, précité ; CA Paris 20 oct. 1980, précité ; CA Paris 19 juin 1986, précité.
(1060) infra.
(1061) CA Paris 21 nov. 1951, précité.
CXCVI
b- Une licéité encadrée
Traditionnellement, doctrine et jurisprudence posent une limite à la validité de la
société holding : celle-ci ne doit pas être fictive (1062). De prime abord, le recours à la
fictivité a de quoi surprendre. En effet, la société fictive s'apparente à un contrat de société
mal formé, auquel fait défaut un de ses éléments constitutifs, notamment l' affectio societatis
(1063). En cela, la notion de fictivité doit être distinguée de la simulation (1064), qui suppose
un acte ostensible et une contre-lettre (1065). Or, la société de portefeuille présente tous les
caractères d'une société, ses membres ont réellement eu l'intention de se grouper. C'est
d'ailleurs là son essence.
Cependant, la notion de fictivité a quelque peu évolué. A côté d'une fictivité purement
juridique, existe une sorte de fictivité économique, qui s'apparente à un abus de la
personnalité morale ( 1066 ). Autrement dit, la fictivité ne se rattache pas seulement à
l'existence du contrat de société, mais aussi à celle de personne morale autonome. La société
sera considérée comme fictive si, une fois constituée, elle ne jouit d'aucune autonomie
patrimoniale et/ou décisionnelle et laisse transparaître la personne de ses associés (1067).
(1062) CA Paris 21 nov. 1951, précité ; cass com 10 juin 1960, précité ; CA Paris 20 oct. 1980, précité – F.
DRUMMOND CASTRES-SAINT-MARTIN, Les sociétés dites "holdings", op. cit., n° 137.
(1063) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 438 ; M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des
sociétés, op. cit., n° 195 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1030 ; M.
DAGOT, La simulation en droit privé, Bibl. dr. priv. t. 73, LGDJ, 1967, n° 77 – pour une application
jurisprudentielle, V. par ex. cass com 30 oct. 1967, RTD com. 1968 p. 131, obs. R. HOUIN ; CA Paris 28 janv.
1999, Dr. Sociétés 1999 n° 90, obs. Th. BONNEAU.
(1064) J.-J. DAIGRE, Rép. Sociétés, V° "Sociétés fictives", 1999, n° 8 ; D. PORACCHIA, La réception
juridique des montages conçus par les professionnels, op. cit., n° 682 ; P. BERTIER-ROUAST, Sociétés fictives
et simulation, Rev. Sociétés 1993 p. 725.
(1065) Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les obligations, op. cit., n° 623 et s. ; J. GHESTIN,
Ch. JAMIN et M. BILLIAU, Traité de droit civil. Les effets du contrat, op. cit., n° 504 ; F. TERRE, Ph.
SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 512.
(1066) N. FADEL-RAAD, L'abus de la personnalité morale en droit privé, Bibl. dr. priv. t. 214, LGDJ, 1991, n°
77 et s. ; C. CUTAJAR-RIVIERE, La société-écran. Essai sur sa notion et son régime juridique, Bibl. dr. priv. t.
292, LGDJ, 1998, n° 313 et s. ; J.-J. DAIGRE, Rép. Sociétés, V° "Sociétés fictives", 1999, n° 17 et s. ; A.
MARTIN-SERF, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 7-40, 1999, n° 30.
(1067) La jurisprudence rendue en matière d'extension de procédure collective dans le cadre d'un groupe de
sociétés est particulièrement significative. En effet, en dépit de l'indépendance juridique des filiales, les juges
acceptent d'étendre le redressement judiciaire ouvert contre une société du groupe à une ou plusieurs autres
sociétés dès lors que la fictivité de celles-ci ou que la confusion de leurs patrimoines sont démontrées (V., par
ex., cass com 20 oct. 1992, Bull. IV n° 314 ; cass com 25 nov. 1997, Rev. Sociétés 1998 p. 586 ; cass com 27
oct. 1998, RTD com. 1998 p. 189, obs. A. LAUDE – V. en dernier lieu, cass com 15 mai 2001, BRDA 11/2001
p. 5). Néanmoins, les deux éléments sont en pratique souvent caractérisés par des éléments identiques, ce qui a
conduit certains auteurs à les assimiler l'un l'autre (V. en dernier lieu, C. SAINT-ALARY-HOUIN, Les effets de
la confusion des patrimoines et de la fictivité des sociétés en redressement judiciaire. Unité ou dualisme ?, in
Prospectives du droit économique. Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 453). La jurisprudence
majoritaire continue cependant à distinguer les deux notions (V. cass com 8 nov. 1988, Rev. Sociétés 1990 p. 71,
note A. HONORAT ; cass com 8 févr. 1994, Rev. Sociétés 1995 p. 100, note A. HONORAT et A.-M. ROMANI
CXCVII
Néanmoins, le recours à cette théorie pour neutraliser la constitution de la société
holding ne convainc pas véritablement. La fraude paraît mieux adaptée à la réalité née de ce
groupement. Certes, la frontière entre les deux concepts est parfois délicate à tracer, dans la
mesure où, dans les deux hypothèses, les parties n'ont pas eu l'intention véritable de constituer
une société, en vue de participer aux bénéfices comme aux pertes. Toutefois, les deux notions
doivent être soigneusement distinguées. La société fictive n'est qu'une apparence, elle n'existe
pas véritablement. En revanche, la société frauduleuse jouit d'une existence réelle mais ses
fondateurs ont été animés de buts répréhensibles lors de la formation (1068). Ils ont entendu
frauder les droits des tiers (1069) ou éluder une règle impérative. D'une manière générale, il y
aura fraude "chaque fois que le sujet de droit parvient à se soustraire à l'exécution d'une règle
obligatoire par l'emploi à dessein d'un moyen efficace, qui rend ce résultat inattaquable sur le
terrain du droit positif" (1070). Autrement dit, la fraude sera caractérisée chaque fois que les
parties auront eu l'intention d'éluder une règle obligatoire, en employant pour cela un moyen
efficace (1071).
Qu'en est-il en matière de société holding ?
En premier lieu, la fraude suppose l'existence d'une règle obligatoire. Celle-ci peut être
d'origine légale ou contractuelle. Or, dans le cas de la société de portefeuille, la disposition
ainsi écartée est le plus souvent l'article 1844 du Code civil qui pose le principe du caractère
essentiel du droit de vote de l'associé (1072) ou l'article 225-122 du code de commerce
; cass com 21 nov. 1995, RJDA 1996 n° 118 – contra, CA Paris 18 mai 1989, Rev. proc. coll. 1990 p. 140, obs.
J.-M. CALENDINI ; CA Paris 5 nov. 1993, RJ com. 1995 p. 69, note X. VINCENT).
(1068) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 438 ; M. DAGOT, La simulation en droit privé,
op. cit., n° 77 ; J.-P. DOM, Les montages en droit des sociétés, éd. Joly, collection Pratique des affaires, 1998, n°
729 ; A. MARTIN-SERF, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 7-40, précité, n° 46.
(1069) Ainsi, il y a fraude aux droits des tiers lorsque la société est constituée dans le but de faire échec au droit
de gage général des créanciers (ex. cass civ 18 nov. 1946, JCP 1947 II n° 4011), aux droits du conjoint (cass civ
14 févr. 1966, D. 1966 p. 474), ou des héritiers réservataires (cass civ 1 ère 20 oct. 1971, Bull. I n° 270), ou encore
aux droits de l'Administration fiscale (CE 10 mai 1993, Bull. Joly 1993 p. 799). Cette distinction entre fraude à
la loi et fraude aux droits des tiers est cependant remise en cause par la doctrine (J. VIDAL, Essai d'une théorie
générale de la fraude en droit français. Le principe "fraus omnia corrumpit", Dalloz, 1957, p. 65 et s. ; J.
GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction générale, op. cit., n°
815).
(1070) J. VIDAL, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français. Le principe "fraus omnia
corrumpit", op. cit., p. 208.
(1071) J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction générale,
op. cit., n° 816 et s.
(1072) V. ainsi, Trib. com. Paris 1er août 1974, précité ; CA Paris 20 oct. 1980, précité.
CXCVIII
(ancien art. L. 174), affirmant la proportionnalité du droit de suffrage avec le capital détenu
(1073).
Ensuite, le moyen employé pour contourner la disposition impérative doit être
juridiquement efficace (1074). En d'autres termes, celui-ci doit réellement permettre d'éviter
l'application de la règle obligatoire. Ce deuxième élément constitutif de la fraude ne suscite
pas de difficultés particulière en matière de société holding. Celle-ci va permettre à des
actionnaires de se grouper en vue de constituer une majorité homogène, ce qui leur est interdit
par les dispositions régissant le droit de vote.
Enfin, les parties doivent avoir été animées de la volonté d'éluder cette disposition
impérative. En droit privé français, la bonne foi étant présumée, la fraude doit être distinguée
de la simple habilité (1075). Autrement dit, il appartiendra au juge d'établir la mauvaise foi
des contractants, de caractériser leur intention frauduleuse. La répression de la fraude est
destinée à faire pénétrer la règle morale dans l'ordre juridique (1076). S'il apparaît que le seul
but de l'agent a été d'écarter la norme obligatoire, alors la fraude sera démontrée (1077).
Celle-ci résultera, en matière de société holding, du caractère fictif du groupement
ainsi créé. D'ailleurs, nombreux sont les auteurs qui voient dans la fictivité un simple moyen
d'établir la fraude (1078). Dès lors qu'il apparaît que ce dernier n'est doté d'aucune existence
(1073) CA Paris 18 juin 1986, précité : "[la constitution de la holding] ne porte pas atteinte au droit de vote des
actionnaires des filiales, dès lors que ceux-ci ont continué à participer à la vie sociale dans la proportion des
capitaux dont ils disposaient" (souligné par nous) – Rappr. C. KOERING, La règle "une action-une voix", op.
cit., n° 306 et s.
(1074) J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction générale,
op. cit., n° 820 ; J. VIDAL, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français. Le principe "fraus omnia
corrumpit", op. cit., p. 148 et s.
(1075) La frontière entre la fraude, répréhensible, et la simple habileté, permise, est parfois délicate à tracer. A la
lumière de la jurisprudence la plus récente, il apparaît que le grief de fraude doit être écarté dès lors que le
montage critiqué sur ce fondement a entraîné une modification réelle de la situation de fait des parties, dès lors
que celles-ci peuvent le justifier par des considérations autres que la volonté d'éluder la loi : en ce sens, cass com
29 nov. 1994, RTD civ. 1995 p. 355, obs. J. MESTRE ; cass com 13 déc. 1994, RTD civ. 1995 p. 356, obs. J.
MESTRE – pour d'autres critères de distinction, plus philosophiques, J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M.
FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil. Introduction générale, op. cit., n° 824 ; A. SERIAUX, Le droit : une
introduction, Ellipses, 1997, n° 165.
(1076) G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 4° éd., LGDJ, 1949, n° 157 et s.
(1077) V. par ex., en matière de droit international privé, domaine d'élection de la fraude à la loi, cass civ 1ère 20
mars 1985, Caron, RCDIP 1986 p. 67, note Y. LEQUETTE : "Il suffit, pour qu'il y ait fraude à la loi, que la
règle de conflit, unitaire ou complexe, soit volontairement utilisée en modifiant un élément de rattachement, à
seule fin d'éluder l'application d'une loi compétente" – sur la fraude à la loi en droit international privé, on
consultera : P. MAYER, Droit international privé, 6° éd., Montchrestien, 1998, n° 266 et s. ; Y. LOUSSOUARN
et P. BOUREL, Droit international privé, 6° éd., Dalloz, 1998, n° 264 et s.
(1078) J. VIDAL, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français. Le principe "fraus omnia
corrumpit", op. cit., p. 183 et s. ; J.-P. DOM, Les montages en droit des sociétés, op. cit., n° 729 ; J.-J. DAIGRE,
CXCIX
véritable, alors la volonté frauduleuse ne fait aucun doute. C'est pourquoi, la bonne foi se
présumant, la fictivité n'est admise qu'à des conditions très restrictives. Ainsi, le seul fait pour
la société de ne détenir qu'une seule filiale ne permet pas de conclure à la fictivité et donc
l'intention frauduleuse de ses membres (1079). De la même manière, même si les différentes
filiales de la société holding emploient le même personnel, utilisent les mêmes moyens de
production et sont dirigées par les mêmes personnes, cette similitude ne suffira pas à établir la
fictivité, et donc la fraude. Du moment que la société de portefeuille est dotée d'un siège
social propre et d'organes sociaux fonctionnant dans des conditions normales, la fictivité et
par voie de conséquence l'intention frauduleuse des fondateurs seront écartées (1080).
Il reste à se demander quelle serait la sanction encourue par la société holding illicite.
La jurisprudence opte pour la nullité ( 1081 ), sans cependant en préciser le fondement
juridique. Les tribunaux considèrent, malgré l'opposition de certains auteurs (1082), qu'une
société fictive est nulle, et non inexistante (1083). Cependant, on l'a vu, l'illicéité de la holding
ne résulte pas de sa fictivité, laquelle n'est qu'un moyen permettant d'établir l'intention
frauduleuse des fondateurs. Il s'agit par conséquent de déterminer le fondement juridique de la
société holding entachée de fraude.
L'article 235-1 du code de commerce (ancien art. L. 360) sanctionne par la nullité les
groupements constitués en violation d'une disposition expresse du livre relatif aux sociétés ou
d'une disposition régissant la nullité des contrats (1084). Aucun texte de droit spécial des
Rép. Sociétés V° "Société fictive", précité, n° 46 ; A. MARTIN-SERF, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 7-40, précité,
n° 126 ; M. GERMAIN, Le transfert du droit de vote, précité.
(1079) CA Paris 20 oct. 1980, précité.
(1080) Trib. com. Marseille 8 sept. 1983, précité.
(1081) CA Aix en Provence 18 mai 1984, précité.
(1082) J.-P. SORTAIS, note sous CA Rouen 6 juin 1973, Rev. Sociétés 1974 p. 740 ; M. JEANTIN, note sous
cass civ 1ère 23 mai 1977, D. 1978 p. 89 – comp. G. DURRY, Rapport sur l'inexistence, la nullité et
l'annulabilité des actes juridiques en droit civil français, TAC t. 14, 1965, p. 611, qui dénie toute réalité
juridique au concept d'inexistence.
(1083) La doctrine s’est longtemps interrogée sur le point de savoir si une société fictive est inexistante ou
simplement nulle (sur cette controverse, P. LE CANNU, Inexistence ou nullité des sociétés fictives, Bull. Joly
1992 p. 875). La Cour de cassation a opté en faveur de la nullité (cass com 16 juin 1992, Bull. IV n° 243 ; cass
com 22 juin 1999, RTD com. 1999 p. 875, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET et p. 903, obs. Y. REINHARD ;
Rev. Sociétés 1999 p. 824, note A. CONSTANTIN).
(1084) Les cas de nullité d'une société résultant de la violation d'une disposition expresse du code de commerce
sont pour le moins rares. D'après l'article 235-2 de ce texte (ancien art. L. 361), la nullité d'une société en nom
collectif ou d'une société en commandite simple est encourue dès lors que les formalités de publicité n'ont pas été
accomplies (pour une application, cass com 13 févr. 1996, Defrénois 1996 p. 1298, obs. J. HONORAT). De
même, de manière plus discutable, la nullité d'une société anonyme constituée par appel public à l'épargne
résulte, le cas échéant, du défaut d'approbation des apporteurs en nature et des bénéficiaires d'avantages
particuliers. En outre, les auteurs considèrent généralement que l'expression "dispositions régissant la nullité des
contrats", employée par le législateur, vise aussi bien les règles communes à toutes les conventions, visées aux
articles 1108 et suivants du Code civil que celles qui sont propres au contrat de société (en ce sens, V. not. J.
CC
sociétés ne prohibant expressément la pratique de la société de portefeuille, c'est donc du droit
commun que résultera la nullité de celle-ci.
De prime abord, on pourrait songer à invoquer l'article 1131 du Code civil, aux termes
duquel "l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut
avoir aucun effet". Pour apprécier la licéité de la cause, on tient compte de la cause subjective,
c'est à dire des mobiles ayant incité les parties à contracter (1085). Par conséquent, en matière
de société, le groupement qui serait constitué pour des motifs frauduleux serait nul pour
illicéité de sa cause (1086). Il ne s'agit là que d'une simple application du droit commun.
Cette interprétation est cependant condamnée par la jurisprudence communautaire. En
effet, dans un arrêt Marleasing (1087), la Cour de justice des Communautés européennes a
singulièrement réduit le nombre des causes de nullités de sociétés commerciales.
Les faits étaient les suivants. Une société de droit espagnol avait été constituée en vue
de faire échec aux droits d'un créancier de l'un des fondateurs. L'un des associés demanda
précisément la nullité du groupement pour illicéité de sa cause (1088). Mais, il lui fut rétorqué
que la cause illicite ne figurait pas au nombre des causes de nullité prévues par l'article 11 de
la directive de 1968 (1089). Par conséquent, la juridiction espagnole saisie du litige posa la
question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes, comme l'y autorise
l'article 177 du traité de Rome du 25 mars 1957. La question était par conséquent de savoir si
le droit national pouvait retenir la cause illicite comme motif d'annulation d'une société, alors
même que ce fondement n'est pas expressément prévu par la Première directive. Les juges
communautaires ont répondu par la négative, en ces termes : "l'exigence d'une interprétation
MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 2383 ; M. JEANTIN, Droit des sociétés, op. cit., n° 330 ;
Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 68 ; J. HONORAT, Rép. Sociétés, V°
"Nullités", 1997, n° 16.
( 1085 ) Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les obligations, op. cit., n° 513 ; Ch.
LARROUMET, Droit civil, t. 3, op. cit., n° 483 ; J. MAURY, Rép. Civil, V° "Cause", 1970, n° 195.
(1086) Ainsi, par exemple, serait nulle pour cause illicite la SARL aussitôt transformée après sa formation en
société anonyme, avec effet rétroactif. Il apparaît ainsi que le groupement a été constitué uniquement dans le but
de s'affranchir des formalités requises par la loi pour la constitution des sociétés anonymes (cass com 19 janv.
1970, Bull. IV n° 23). De même, encourt la nullité sur ce fondement la société destinée à frauder la législation
sur l'exercice d'une profession réglementée (V., pour la pharmacie, CA Paris 1 er déc. 1951, JCP 1952 II n° 6661).
(1087) CJCE 13 nov. 1990, Marleasing, Rev. Sociétés 1991 p. 532, note Y. CHAPUT ; JCP éd. E. 1991 II n°
156, note P. LEVEL – adde, sur cet arrêt, F. LECLERC, Que reste-t-il des nullités de sociétés en droit français
après l'arrêt Marleasing (CJCE 13 novembre 1990) ?, RJ com. 1992 p. 321 ; B. SAINTOURENS, Les causes de
nullités des sociétés : l'impact de la 1ère directive CEE de 1968 sur les sociétés, Bull. Joly 1991 p. 123.
(1088) Le Code civil espagnol adopte en matière de cause illicite des dispositions analogues à celles du Droit
français.
(1089) Ce texte ne retient comme cause de nullité que l'illicéité de l'objet social – sur ce texte, C. GAVALDA et
G. PARLEANI, Droit des affaires de l'Union européenne, 3° éd., Litec, 1999, n° 247 ; J. SCHAPIRA, G. LE
TALLEC, J.-B. BLAISE et L. IDOT, Droit européen des affaires, 5 éd., PUF, 1999, p. 690 et s.
CCI
du droit national conforme à l'article 11 de la directive 68/151 interdit d'interpréter les
dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d'une manière telle que la
nullité puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés
par l'article 11 de la directive en cause". Cette décision a pour effet de conférer un effet direct
à la disposition litigieuse ( 1090 ). En conséquence, le droit communautaire interdit au
législateur national de prévoir des causes de nullité autres que celles énumérées par la
directive. Dans le cas contraire, le juge interne doit ignorer les dispositions existantes et se
borner à appliquer la directive.
Le défendeur tenta subsidiairement de situer le débat sur le terrain du droit commun
des sociétés. En effet, parmi les motifs de nullité des sociétés énumérés à l'article 11 de la
Première directive figure l'illicéité de l'objet social, que les articles 235-1 et 1833 du Code
civil sanctionnent également par la nullité du groupement. Or, précisément, pour une majorité
d'auteurs, l'exigence de licéité de l'objet formulée à l'article 1833 ne ferait que reprendre les
dispositions de l'article 1131 (1091). En d'autres termes, l'illicéité de l'objet social au sens du
droit des sociétés ne serait que l'illicéité de la cause au sens du droit des obligations. Dès lors,
la société constituée en vue de frauder les droits d'un créancier d'un fondateur serait nulle pour
illicéité de l'objet social, par application de l'article 11 de la directive. Mais, la Cour de justice
n'a pas été séduite par ce raisonnement. En effet, elle considère que l'objet social ne peut être
que celui mentionné par les statuts et non l'activité réelle de la société : "l'expression "l'objet
de la société" doit être interprétée en ce sens qu'elle vise exclusivement l'objet de la société,
tel qu'il est décrit dans l'acte de constitution ou dans les statuts. [il s'ensuit] que la
déclaration de nullité d'une société ne pourrait pas résulter de l'activité qu'elle poursuit
effectivement telle que par exemple, spolier les créanciers des fondateurs". Par cet arrêt, la
Cour de justice des Communautés européennes réduit singulièrement les cas de nullités de
sociétés pour illicéité de l'objet. Les associés, sauf à être particulièrement ingénus ou, au
contraire, cyniques, prendront soin de prévoir un objet statutaire conforme à l'ordre public, et
pourront exercer une activité réelle illicite sans être inquiétés.
(1090) sur l'effet direct du droit communautaire, V. not. L. CARTOU, J.-L. CLERGERIE, A. GRUBER et P.
RAMBAUD, L'Union européenne, 3° éd., Dalloz, 2000, n° 232 et s.
(1091) Y. CHAPUT, Droit des sociétés, op. cit., n° 186 ; adde, du même auteur, Rép. Sociétés, V° "Objet
social", 1992, n° 31 et De la cause et/ou de l'objet de la société, Mélanges Jean Stoufflet, PU ClermontFerrand/LGDJ, 2001, p. 25 ; F. LECLERC, Que reste-t-il des nullités de sociétés en droit français après l'arrêt
Marleasing (CJCE 13 novembre 1990) ? , précité.
CCII
En définitive, il ressort de la jurisprudence communautaire qu'une société constituée
dans une perspective frauduleuse ne peut jamais être annulée. Les termes limitatifs de la
première directive s'y opposent. Ni la cause illicite, ni l'objet illicite ne sont susceptibles de
fonder une telle sanction. Par conséquent, une société holding frauduleuse ne pourrait pas être
annulée (1092).
Mais, le juge français maintient ses solutions antérieures et continue à annuler les
sociétés formées à des fins répréhensibles (1093). En l'espèce, deux époux avait créé un fonds
artisanal, que le mari exploitait seul. Cependant, la discorde s'était peu à peu installée au sein
du couple. Peu avant le divorce, un des conjoints avait constitué, avec le concours d'un ami
expert-comptable et de plusieurs autres personnes, une SARL qui prit aussitôt le fonds
artisanal en location gérance. L'épouse fit alors valoir que le montage avait été réalisé en
fraude de ses droits. L'article 1424 du Code civil faisait obligation au mari d'informer sa
femme dès lors qu'il envisageait une aliénation (1094). Dès lors, la société, en ce qu'elle était
le moyen permettant la réalisation d'une fraude, encourait la nullité pour illicéité de la cause.
La Cour d'appel avalisa ce raisonnement et annula le groupement constitué par le mari sur ce
fondement (1095). Cette position est cependant censurée par la Chambre commerciale, sous le
visa de l'article L. 360 (désormais art. 235-1 C. Com.), en ces termes : "en se déterminant
ainsi, sans constater que tous les associés avaient concouru à la fraude retenue en l'espèce à
l'encontre de M. Demuth, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
Si la volonté de fraude n'est le fait que d'un seul fondateur, elle ne peut être la cause du
contrat de société mais seulement la cause de l'engagement de l'associé en question. Seule
celle-ci sera illicite et non la cause du contrat de société tout entier, qui échappe dès lors à une
nullité prononcée sur ce fondement. En revanche, si le mobile frauduleux atteint tous les
associés, il devient la cause de la société, laquelle doit être donc annulée.
On le voit, la Cour de cassation a entendu sanctionner les juges du fond, non parce
qu'ils avaient fondé la nullité sur la cause illicite, mais parce qu'ils n'ont pas caractérisé la
(1092) comp. CA Paris 21 nov. 1951, Moraël, précité. En l'espèce, les magistrats parisiens prennent en compte
l'objet social réel d'une société holding, qui était de réaliser une fraude à la réglementation du droit de vote, et
écartent son objet statutaire, dont la licéité ne souffrait pas la discussion.
(1093) cass com 28 janv. 1992, Demuth, JCP 1993 II n° 21994, note A. TISSERAND ; D. 1993 p. 23, note J.
PAGES ; Bull. Joly 1992 p. 419, note P. LE CANNU.
(1094) L'invocation de ce texte est pour le moins surprenante, dans la mesure où la mise en location-gérance d'un
fonds de commerce s'apparente à la location d'un bien meuble incorporel (en ce sens, Y. REINHARD, Droit
commercial. Actes de commerce, commerçants, fonds de commerce, 5° éd., Litec, 1998, n° 394) et non à une
aliénation : V. P. LE CANNU, note sous cass com 28 janv. 1992, précité.
(1095) CA Besançon 16 mai 1990, JCP 1991 II n° 21756, note A. TISSERAND.
CCIII
volonté frauduleuse de tous les associés ( 1096 ). Cette solution est donc pour le moins
contraire à la première directive, telle qu'elle est interprétée par la Cour de justice des
Communautés européennes ( 1097 ) : les Hauts magistrats, plus audacieux dans d'autres
domaines (1098) continuent à appliquer l'article L. 360, dont la contrariété au texte européen a
été soulignée à de nombreuses reprises (1099).
En définitive, en dépit du droit communautaire, la Chambre commerciale accepterait
de prononcer la nullité d'une société pour cause illicite, mais à la condition que tous les
associés ait participé à la fraude, à tout le moins qu'ils en aient eu connaissance. Par
conséquent, une holding frauduleuse pourrait être annulée si tous les associés fondateurs
étaient animés d'une volonté répréhensible.
Cette solution pourrait toutefois être remise en cause à la suite d'un arrêt rendu par la
première Chambre civile le 7 octobre 1998 (1100). Bien qu'étrangers au domaine des sociétés,
les faits méritent d'être relatés. Une épouse avait consenti un prêt à son mari. A la suite de leur
divorce, les deux conjoints convinrent que le remboursement s'opérerait par le biais d'une
majoration de la pension alimentaire versée par l'époux à son ex-femme. Ce montage lui
permettait ainsi de minorer son revenu annuel, les pensions étant déduites des sommes
imposables. Mais, l'ancienne épouse demanda ultérieurement le remboursement intégral du
prêt. Se heurtant au refus de son ex-conjoint, elle excipa de la nullité du contrat prévoyant la
majoration de la pension alimentaire afin d'y intégrer les sommes à rembourser, sur le
fondement de la cause illicite. Le mari objecta que le motif frauduleux, en l'occurrence la
minoration du revenu imposable, était connu de lui seul, et partant, conformément à la
(1096) comp. J. PAGES, note sous cass com 28 janv. 1992, précité.
(1097) CJCE 13 nov. 1990, précité. Il convient toutefois de remarquer que la jurisprudence communautaire
n'avait pas été invoquée par les parties défenderesses.
(1098) Ainsi, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, la Cour de cassation a interprété les
articles 1147 et 1384 du Code civil à la lumière de la directive CEE n° 85-374 du 25 juillet 1985 et a fait peser,
alors que le texte communautaire n'avait pas encore été transposé en Droit français, une telle responsabilité sur le
fabricant (cass civ 1ère 28 avr. 1998, Bull. I n° 158 ; RTD civ. 1998 p. 684, obs. P. JOURDAIN). La directive a
finalement été introduite dans l'ordre juridique national, par une loi n° 98-389 du 19 mai 1998 V. not. J.
GHESTIN, Le nouveau titre IV bis du livre III du Code civil "De la responsabilité du fait des produits
défectueux". L'application en France de la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux, JCP
1998 I n° 148 ; adde, M.-E. TIAN-PANCRAZI, La mise en circulation d'un produit défectueux, in J. MESTRE
(sous la direction de), Le droit face à l'exigence contemporaine de sécurité, PUAM, 2000, p. 69.
(1099) R. SINAY, La première directive européenne sur les sociétés et la mise en harmonie du droit français,
Gaz. Pal. 1971, 1, doct. p. 146, spéc. n° 27 et s. ; J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, La réforme de la
réforme des sociétés commerciales, D. 1970 chron. p. 45.
(1100) cass civ 1ère 7 oct. 1998, Bull. I n° 285 ; D. 1998 p. 563, concl. J. SAINTE-ROSE ; Defrénois 1998 p.
1408, obs. D. MAZEAUD ; Contrats, conc. cons. 1999 n° 1, obs. L. LEVENEUR ; JCP 1999 I n° 114, obs. Ch.
JAMIN ; D. 1999 somm. p. 110, obs. Ph. DELEBECQUE ; RTD civ. 1999 p. 386, obs. J. MESTRE – adde, sur
cet arrêt O. TOURNAFOND, L'influence du motif illicite ou immoral sur la validité du contrat (A propos de
l'arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation du 7 oct. 1998), D. 1999 chron. p. 231.
CCIV
jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation (1101), la nullité du contrat pour illicéité
de sa cause devait être écartée. Mais cette argumentation n'a pas séduit les juges du fond,
approuvés par la Cour de cassation : "un contrat peut être annulé pour cause illicite ou
immorale, même lorsqu'une des parties n'a pas eu connaissance du caractère illicite ou
immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat". Bouleversant sa solution
antérieure, la Haute juridiction décide ainsi que du moment qu'une partie a été animée d'un
mobile frauduleux, le contrat encourt la nullité pour illicéité de sa cause, quand bien même
l'autre n'aurait pas été au courant de la fraude. En d'autres termes, dès lors que l'intention
coupable a été déterminante du consentement d'un contractant, la convention est susceptible
d'être annulée. Cette solution présente l'avantage de ne pas laisser subsister dans la vie
juridique un contrat permettant la réalisation d'une fraude. Comme on a pu l'écrire, "il suffit
que l'une des parties utilise le contrat à des fins illicites ou immorales pour que l'intérêt
général exige son anéantissement" (1102). Certes, la nullité qui en résulte est absolue, ce qui
permet au contractant coupable de l'invoquer mais dans ce cas, la protection de la partie de
bonne foi pourra être assurée par les règles de la responsabilité civile (1103).
Cet arrêt présente un intérêt considérable en droit des sociétés (1104). Transposé au
domaine de la nullité des sociétés constituées dans un but frauduleux, telle une société holding
illicite, il remet en cause la solution issue de l'arrêt Demuth (1105). Un groupement constitué
dans une perspective répréhensible encourt la nullité pour cause illicite, même si tous les
fondateurs n'ont pas participé à la fraude. En d'autres termes, même si celle-ci n'est connue
que par l'un des associés, le groupement pourra être annulé sur le fondement de l'article 1131
du Code civil. Cela étant, en matière de holding, compte tenu de l'insécurité juridique
inhérente à cette nouvelle jurisprudence, les tribunaux ne seront guère enclins à retenir
l'illicéité de la société de portefeuille.
(1101) cass civ 1ère 12 juill. 1989, Bull. I n° 293 ; RTD civ. 1990 p. 468, obs. J. MESTRE – Pour une critique de
la jurisprudence ancienne, J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du contrat, op. cit., n° 895 ; F.
TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 344 ; J. FLOUR et J.-L.
AUBERT, Droit civil. Les obligations, t. 1, op. cit., n° 269 ; A. WEILL, Connaissance du but illicite ou immoral
déterminant et exercice de l'action en nullité, Mélanges Gabriel Marty, 1978, p. 1169 – contra, A. BENABENT,
Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 194 ; B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil. Obligations,
t. 2, op. cit., n° 867 et s. ; G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil. Les obligations, t. 1, op. cit., n° 211.
(1102) J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du contrat, op. cit., loc. cit.
(1103) en ce sens, C. GUELFUCCI-THIEBERGE, Nullité, restitutions et responsabilité, bibl. dr. priv. t. 218,
LGDJ, 1992, n° 60.
(1104) J. MESTRE, Regard juridique sur l'éthique financière, in J.-Y. NAUDET (sous la direction de), Ethique
financière, Librairies de l'Université d'Aix en Provence, 2000, p. 165.
(1105) cass com 28 janv. 1992, précité.
CCV
En définitive, le transfert du droit de vote, qu'il résulte du droit commun ou du droit
des sociétés, est envisagé avec suspicion lorsqu'il ne s'accompagne pas d'un transfert du titre,
que celui résulte du transfert de la propriété ou de son simple démembrement.
La marge de manœuvre des associés est encore plus étroite lorsqu'il s'agit d'aménager
l'étendue du droit de vote.
Section 2 : les aménagements statutaires de l’étendue du droit de vote
D'après l'article 1843-5 du Code civil, "les droits de chaque associé dans le capital
social sont proportionnels à ses apports lors de la constitution de la société ou au cours de
l'existence de celle-ci". Cette disposition pose la règle de l'égalité entre associés (1106). Elle
se traduit de différentes manières selon la forme sociale.
Dans les sociétés à fort intuitus personae, comme les sociétés en nom collectif ou les
sociétés civiles, il y a réellement égalité entre la personne des associés.
Dans les sociétés à intuitus personae réduit, telles la société anonyme ou, avec
quelques nuances (1107), la SARL, il y a davantage égalité entre les titres qu'entre les
personnes (1108). En d'autres termes, l'égalité ne sera que relative, traduisant une justice
distributive (1109). Cette règle est formulée par les articles 225-122 (ancien art. L. 174) et
223-28 (ancien art. L. 58) du code de commerce, applicables respectivement aux sociétés par
actions, à l'exception notable de la SAS, et à la SARL. Le principe de proportionnalité ainsi
affirmé, manifestation de l'égalité entre les titres dans ces formes sociales, est différent de
celui auquel la jurisprudence la plus récente attribue une valeur juridique autonome et qui est
entendu comme un nécessaire équilibre entre les prestations des parties au contrat (1110).
(1106) sur laquelle, J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans la société anonyme, thèse Paris V, 1999 ; M.
PERRIN-NEUNREUTHER, Permanence et renouvellement du principe d’égalité entre actionnaires. Vers des
principes d’égalité ?, thèse Aix en Provence 1994 ; J. MESTRE, L'égalité en droit des sociétés (aspects de droit
privé), Rev. Sociétés 1989 p. 399 ; P. DIDIER, Ph. BISSARA et Ph. MISSEREY, L'égalité des actionnaires :
mythe ou réalité ?, Cah. Dr. Entr. 5/1994 p. 18.
(1107) La SARL est généralement considérée comme une société hybride, dont certains caractères empruntent à
la société anonyme, et d'autres aux sociétés de personnes. Cependant, pour la majorité de la doctrine, la SARL
est davantage une société de capitaux (V. G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, op. cit., n°
1262 ; Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 174) – sur l'ensemble de la question, J.
DERRUPPE, Le nouveau visage de la société à responsabilité limitée dans la loi du 24 juillet 1966, Mélanges
Jean Brethe de la Gressaye, 1967, p. 177 ; J. BOUCOURECHLIEV et N. HUET, De natura SARL, Mélanges
Alain Sayag, Droit et vie des affaires, Litec, 1997, p. 177.
(1108) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 187 ; J. MESTRE,
L'égalité en droit des sociétés : aspects de droit privé, précité.
(1109) sur la différence entre justice commutative et distributive, infra.
(1110) V. l'affirmant très nettement, cass com 17 juin 1997, RTD civ. 1998 p. 101, obs. J. MESTRE ; Cons.
Concurrence 3 sept. 1996, RTD civ. 1998 p. 102, obs. J. MESTRE) – sur l'ensemble de la question, S. LE GAC-
CCVI
Les deux textes sont d'ordre public. Toutefois, ce caractère n'est pas absolu dans les
sociétés par actions, puisque les statuts (1111) peuvent, sous certaines conditions, aménager
l'étendue du droit de vote, soit en augmentant le nombre de voix dont dispose l'actionnaire
(§1), soit à l'inverse en le réduisant (§2). En cela, ces conventions traduisent une certaine
résurgence de l'intuitus personae dans ces formes sociales.
§1- L’augmentation statutaire du nombre de voix
Une loi du 16 novembre 1903 autorisait la création d'actions à droit de vote plural. A
chaque action pouvait être attachés un, deux, trois voire davantage de voix (1112). Ce système
donnait lieu à de tels abus qu'un auteur a pu parler à son sujet de "fascisme actionnaire"
(1113). En effet, un ou plusieurs groupes d'actionnaires s'assuraient à peu de frais le contrôle
(1114), au détriment de l'intérêt social. Dès lors, le législateur intervint en deux temps. Tout
d'abord, par une loi du 26 avril 1930, il fut interdit aux sociétés anonymes d'émettre de
nouveaux titres à droit de vote multiple. Enfin, une loi du 13 novembre 1933 supprima
purement et simplement ceux-ci (1115). Le principe était celui de la proportionnalité entre le
capital et le droit de suffrage. L'action à droit de vote plural ne disparut pas pour autant de
l'ordre juridique. En effet, la loi de 1933 prévoyait son maintien sous une forme atténuée
PECH, La proportionnalité en droit privé des contrats, bibl. dr. priv. t. 335, LGDJ, 2000 ; M. BEHARTOUCHAIS et alii, Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit privé ?, Petites affiches 30 sept. 1998,
not. en droit des sociétés, R. VATINET, Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit des sociétés ?, ibid.
p. 58 – adde, Y. GUYON, Le principe de proportionnalité en droit commercial, in Mélanges Michel Vasseur,
2000, p. 75.
( 1111 ) Les articles 225-123 (ancien art. L. 175) et 225-125 (ancien art. L. 177) du code de commerce,
respectivement relatifs au droit de vote double et à la clause de plafonnement des voix, visent "les statuts". Il est
donc permis de se demander si un accord extra-statutaire pourrait augmenter ou limiter le nombre des voix dont
dispose l’actionnaire. Une réponse négative s’impose. En effet, ces textes demeurent une exception au principe
de proportionnalité posé à l’article 225-122 (ancien art. L. 174). Par conséquent, ils doivent faire l’objet d’une
interprétation restrictive. Puisqu’ils ne mentionnent que la possibilité d’une dérogation statutaire, seule celle-ci
est concevable. L'octroi d'un droit de vote double ou une clause de plafonnement de voix d’origine extrastatutaire ne sont donc pas possibles. Dans le silence des statuts, les droits de vote de chacun seront
proportionnels à leur part dans le capital.
(1112) sur ce régime des actions à vote plural, P. CHESNELONG, Le droit de vote de l'actionnaire, thèse
Toulouse, 1924 et les références citées ; F. MASQUELIER, Le vote en droit privé, op. cit., n° 156 et s. ; M.
GUILBERTEAU, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 101, 1980, n° 48 et s. ; C. MEYER, Les actions à vote plural,
Quot. Jur. 5 oct. 1972 p. 3.
(1113) FRIED, La fin du capitalisme, p. 171, cité par G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne,
LGDJ, 2° éd., 1951, n° 43, p. 102, note 2.
(1114) sur les rapports entre droit de vote et contrôle, infra.
(1115) sur cette loi, R. MICHEL, Le régime légal du droit de vote dans les assemblées d'actionnaires, JCP 1934
p. 129 ; P. CORDONNIER, La loi du 13 novembre 1933, DP 1934 IV p. 41 ; H. BOSVIEUX, La nouvelle
réglementation du droit de vote dans les sociétés par actions. Commentaires de la loi du 13 nov. 1933, Journ.
Soc. 1934 p. 1.
CCVII
puisqu'il était loisible aux statuts d'octroyer un droit de vote double sous certaines conditions.
Cette possibilité a d'ailleurs été reprise par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 (1116), dans son
article 175 (actuellement art. 225-123 C. Com.) (A). Par ailleurs, le droit de vote plural
subsiste depuis 1933 sous sa forme originaire dans quelques formes sociales. En effet,
certaines sociétés anonymes sont écartées du champ d'application de l'interdiction. De même,
certains groupements n'étant pas soumis à l'article 225-122 du code de commerce (ancien art.
L. 174), rien ne les empêche de créer des titres à droit de vote multiple (B).
A. Le maintien du vote plural sous une forme atténuée : le droit de vote double
L'article 8, alinéa 2, de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative aux sociétés
d'exercice libéral (1117), autorise les statuts de cette forme sociale à octroyer un droit de vote
double aux associés professionnels, ce qui renforce d'autant leur position au sein du
groupement.
Cependant, c'est dans la charte fondamentale d'une société anonyme de droit commun
que se rencontrera le plus souvent le droit de vote privilégié. Cette possibilité offerte aux
actionnaires d'aménager l'étendue du droit de suffrage, en augmentant le potentiel de vote,
présente de nombreux intérêts tant théoriques que pratiques (a), qui sont cependant limités par
un régime juridique strict (b).
a- Des intérêts multiples
Le droit de vote double, qui ne peut statutairement être octroyé qu'à des titres détenus
sous la forme nominative depuis au moins deux ans (1118), est un moyen de réintroduire
l'intuitus personae dans la société anonyme. Il est en effet attaché à la personne et non à
(1116) A l'occasion de la discussion de la loi, certains parlementaires ont tenté de promouvoir l'instauration, sous
certaines conditions, d'un droit de vote triple ou quintuple. Mais le souvenir des abus engendrés par le vote
plural, toujours vivace, empêcha cette proposition d'aboutir : sur ce débat, J. HEMARD, F. TERRE et P.
MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 194 et s.
(1117) Ces sociétés sont des sociétés commerciales par la forme, sociétés anonymes, à responsabilité limitée ou
commandite par actions, ou depuis la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 sociétés par actions simplifiée, destinées à
l'exercice en groupe des professions libérales réglementées et auxquelles va s'appliquer un régime dérogatoire
destiné à préserver l'indépendance des professionnels et l'intuitus personae – sur cette question, on consultera
notamment : F. MAURY, L'exercice, sous la forme d'une société, d'une profession libérale réglementée, PUAM,
2000 ; J.-J. DAIGRE, Sociétés d'exercice libéral. Sociétés en participation de professions libérales, éd. GLNJoly, collection Pratique des affaires, 1993, B. SAINTOURENS, Les sociétés d'exercice libéral, Rev. Sociétés
1991 p. 707.
(1118) infra.
CCVIII
l'action (1119). Ne pouvant bénéficier qu'aux actionnaires anciens, il permet de fidéliser
l'actionnariat et permet donc aux dirigeants, ainsi assurés d'éviter la volatilité des capitaux,
d'envisager une politique à moyen ou long terme (1120). En d'autres termes, il se présente
comme une prime destinée à récompenser l'actionnaire pour sa loyauté envers le groupement.
Sur le plan pratique, le droit de vote double se présente comme un instrument
privilégié d'ingénierie sociétaire, dans deux types de montages.
En premier lieu, il demeure un moyen de défense contre les OPA inamicales. En effet,
non seulement le droit de vote double permet la constitution et la stabilisation d'un noyau dur
d'actionnaires, facilitant en cela la pérennité du pouvoir (1121), mais encore l'existence de la
clause majorant le potentiel de vote va décourager l'assaillant impatient. Ce dernier ne pourra
acquérir le contrôle qu'à expiration du délai de stage fixé par les statuts ( 1122 ). Cette
dissuasion sera d'autant plus efficace si celui-ci est supérieur à deux ans, ce que permet
l'article 225-123 du code de commerce (1123).
L'efficacité de cette arme anti-OPA est cependant limitée par le faible privilège de
vote (1124). Pourtant, le droit de vote double a été fustigé par les partisans de la corporate
governance dans la mesure où il constitue une entrave au déclenchement d'une offre (1125).
Ces critiques ne semblent pas fondées. L'avantage prévu par l'article 225-123 ne paraît
(1119) C'est pourquoi le droit de vote double ne peut pas être qualifié de catégorie d'actions, n'étant pas attaché
propter rem à l'action. En cas de suppression de l'avantage par l'assemblée générale extraordinaire, la
consultation d'une assemblée spéciale des porteurs ne sera pas requise : en ce sens, J. MESTRE, Lamy Sociétés
Commerciales, op. cit., n° 4231 ; J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans la société anonyme, op. cit., n° 318,
note 1 ; M. JEANTIN, Observations sur la notion de catégories d'actions, D. 1995 p. 287 ; contra, M. COZIAN
et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 832 ; C. KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n°
729 et s. ; Y. GUYON, Rép. Sociétés, V° "Assemblées d'actionnaires", précité, n° 212.
(1120) Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 309 ; P. DIDIER, Droit commercial,
t. 2, op. cit., p. 314 ; G. BOUILLET-CORDONNIER, Pactes d'actionnaires et privilèges statutaires, EFE, 1992,
n° 139 ; J. MESTRE, L'égalité en droit des sociétés (Aspects juridiques), précité ; B. SOLLE, Le domaine de la
loi de la majorité, RJ com., nov. 1991, n° spécial, La loi de la majorité, p. 40.
(1121) Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours, retrait…,
EFE, 1999, n° 160 ; Ph. AGNELET, L. GEOFFROY et J.-C. VIARNAUD, OPA et stratégies anti-OPA. Une
approche internationale, éd. ESKA, 1989, p. 146 ; R. VATINET, Les défenses anti-OPA, Rev. Sociétés 2987 p.
539, spéc. n° 19 ; Th. VASSOGNE, Défenses anti-OPA, Banque, févr. 1998, p. 39.
( 1122 ) A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, éd. Francis Lefebvre, 1999, n° 504 ; J.-P.
BERTREL et M. JEANTIN, Acquisitions et fusions de sociétés commerciales, 2° éd., Litec, 1991, n° 366 ; W. L.
LEE et D. CARREAU, Les moyens de défense à l'encontre des offres publiques d'achat inamicales en France,
D. 1988 chron. p. 15, spéc. n° 24 ; D. BOULLET, La sauvegarde des sociétés face aux offres publiques d'achat
sauvages, JCP éd. E. 1998 p. 453.
(1123) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés,
op. cit., n° 116.
(1124) J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans la société anonyme, op. cit., n° 318.
(1125) S. L'HELIAS, Le retour de l’actionnaire. Pratique du corporate governance en France, aux Etats Unis et
en Grande-Bretagne, Gualino éditeur, 1997, p. 50 et s. ; A. COURET, Le gouvernement d’entreprise, D. 1995
chron. p. 163 ; C. NEUVILLE, L'émergence d'un actionnariat actif en France, Petites affiches 27 sept. 1995 p.
39 et Le gouvernement d'entreprise : pour quoi faire ?, Petites affiches 7 mai 1997 p. 24.
CCIX
nullement incompatible avec l'instauration en droit positif des théories anglo-saxonnes du
gouvernement d'entreprise. L'objectif assigné à ces dernières est de restaurer l'actionnaire
dans la plénitude de ses prérogatives (1126). Or, l'existence du droit de vote double renforce
le poids de l'apporteur de capital et n'aboutit donc nullement à l'affaiblir.
Le droit de vote double facilite également la transmission de l'entreprise, dans un cadre
familial (1127) et surtout dans celui du rachat d'entreprise par ses salariés (1128). En effet,
l'article 220 quater A, I, alinéa 4, du Code général des impôts, issu d'une loi n° 87-416 du 17
juin 1987 relative à l'épargne autorise les statuts de la société holding consituée afin d'acquérir
le contrôle d'attacher un droit de vote double aux titres, dès leur émission, sans attendre
l'expiration du délai de stage. Dès lors, l'opération va se révéler moins coûteuse pour les
initiateurs du rachat, dont l'investissement sera ainsi réduit de moitié. Cependant, si une clause
statutaire de la société holding a également prévu l'octroi d'un droit de vote double, sur le
fondement de l'article 225-123, les partenaires financiers bénéficieront de ce privilège à
l'expiration du délai de stage.
On le voit, les intérêts, notamment stratégiques, attachés à cet aménagement statutaire
de l'étendue du droit de vote, sont limités en raison du régime juridique strict de celui-ci.
b- Un régime juridique strict
Compte tenu de la dérogation apportée au principe de proportionnalité posé à l'article
225-122 du code de commerce, la création d'actions à droit de vote double n'est possible qu'à
des conditions restrictives (1). De même, le vote privilégié ne sera transmis que dans certaines
hypothèses précises (2).
(1126) sur la corporate governance, infra.
(1127) sur la faible utilité pratique du droit de vote en la matière, H. LE NABASQUE, F. BOUSSIER et F.
RICHEN, La transmission de l'entreprise familiale, Dalloz, collection Réussir en affaires, 1992, n° 1158 ; R.
CONTIN et M. DESLANDES, L'adaptation du capital à la transmission du pouvoir par l'organisation
statutaire du droit de vote dans les sociétés anonymes familiales, Mélanges Roger Percerou, Droit et gestion de
l'entreprise, Vuibert Gestion, 1993 p. 51.
(1128) J. PAILLUSSEAU, J.-J. CAUSSAIN, H. LAZARSKI et Ph. PEYRAMAURE, Cession d'entreprise, 4°
éd., Dalloz, 1999, n° 2438 ; A. DELFOSSE, Holdings et reprise d'entreprise. LBO-LMBO-Rachat par les
cadres, Les éditions d'organisation, 1998, p. 170 ; J.-Ph. DOM, Les montages en droit des sociétés, Joly éditions,
collection Pratique des affaires, 1998, n° 793 ; E. ALFANDARI et E. CANNAMELA, La reprise d'une
entreprise par ses propres salariés, in La transmission de l'entreprise. Enjeux et perspectives, PUF, 1989, p.
163.
CCX
1. La création des actions à droit de vote double
D'après l'article 225-123, "Un droit de vote double de celui conféré aux autres actions,
eu égard à la quotité de capital qu'elles représentent, peut être attribué, par les statuts ou par
une assemblée générale extraordinaire ultérieure, à toutes les actions entièrement libérées
pour lesquelles il sera justifié d'une inscription nominative depuis deux ans au moins au nom
du même actionnaire […]. Le droit de vote [ainsi prévu] peut être réservé aux actionnaires de
nationalité française et à ceux ressortissant d'un Etat membre de la Communauté économique
européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen". Ce texte pose
donc trois séries de conditions à l'augmentation statutaire du potentiel de vote.
En premier lieu, les titres conférant un droit de vote double ne peuvent être créés qu'à
l'expiration d'un certain délai statutairement fixé (1129). Il s'agit en quelque sorte de tester la
fidélité de l'actionnaire. Si l'adverbe "au moins" employé par le législateur interdit aux
associés de prévoir un délai plus bref, il les autorise néanmoins à l'allonger ( 1130). En
pratique, la durée du stage n'excédera pas quatre ou cinq années (1131). La réglementation
boursière limita le délai à quatre ans (1132), mais cette restriction est aujourd'hui abrogée
( 1133 ). Aucun période probatoire n'est requise lorsque les actions ont été gratuitement
acquises à la suite d'une augmentation de capital par incorporation de réserves, bénéfices ou
primes d'émission ( 1134 ). Du moment que l'actionnaire remplissait les conditions pour
bénéficier du vote privilégié, celui-ci lui sera octroyé du chef de ses actions nouvellement
acquises. Dans l'esprit des promoteurs de la loi du 24 juillet 1966, le vote plural est destiné à
récompenser l'apporteur de son attachement à la société. Il est attaché à la personne et non aux
titres.
Le délai de stage peut être allongé en cours de vie sociale. Cependant, la décision de
l'assemblée générale extraordinaire réalisant cette modification est susceptible d'être annulée
(1129) Ce délai n'est pas requis par l'article 8 alinéa 3, de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative aux
sociétés d'exercice libéral. Rien n'empêche les statuts de cette forme sociale d'attribuer des actions à droit de vote
double ab initio. Mais la charte sociétaire pourra prévoir un délai de stage, qui ne pourra cependant excéder deux
ans – sur cette question, V. B. SAINTOURENS, Rép. Sociétés, V° "Sociétés d'exercice libéral", 1994, n° 41.
(1130) Rép. Min. 20 oct. 1973, Rev. Sociétés 1974 p. 187.
(1131) Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours, retrait…, op.
cit., n° 160.
(1132) A. VIANDIER, OPA, OPE, garantie de cours, retrait, OPV. Droit des offres publiques, 2° éd., Litec,
1993, n° 289.
(1133) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 10659.
(1134) Art. 225-123, alinéa 2.
CCXI
sur le fondement de l'abus de majorité (1135). En effet, la rupture d'égalité serait manifeste
entre des majoritaires certains de toujours bénéficier du privilège et les nouveaux actionnaires,
ainsi assurés de ne pas conquérir le pouvoir social.
Dans l'hypothèse où la délibération augmentant le délai du stage serait validée, la
question se pose de savoir si des personnes d'ores et déjà actionnaires au moment de la
modification statutaire, mais qui détenaient leurs titres depuis moins de deux ans, peuvent
néanmoins bénéficier du droit de vote double dans les conditions anciennes. Bien qu'on ait pu
soutenir le contraire (1136), une réponse négative semble s'imposer. Les statuts modifiés sont
opposables erga omnes, tous les actionnaires y sont soumis. Une solution contraire risquerait
de provoquer une rupture d'égalité entre anciens et nouveaux membres du groupement.
L'article 225-123 pose également des conditions relatives aux actions (1137).
Celles-ci doivent obligatoirement être détenues sous la forme nominative. Cette
exigence est une manifestation de la volonté du législateur, qui a vu dans le droit de vote
double un moyen de renforcer l'intuitus personae dans la société anonyme. Des titres au
porteur ne peuvent donc voir leur potentiel de vote augmenté ( 1138 ). Une conversion
d'actions nominatives en la forme au porteur ferait perdre à celles-ci leur privilège (1139). Il y
a en quelque sorte contradiction entre ce type de valeurs mobilières et la ratio legis de l'article
225-123.
Par ailleurs, les actions, pour permettre à leur titulaire de voir l'étendue de leur droit de
suffrage majorée, doivent être intégralement libérées. Cette nécessité suscite une difficulté
majeure due à la distinction des actions d'apport et des actions de numéraire (1140). Les
( 1135 ) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 4178 ; Y. GUYON, Rép. Sociétés, V°
"Assemblées d'actionnaires", 1984, n° 207 ; plus nuancée, B. ESPESSON-VERGEAT, Le maintien du contrôle
des sociétés commerciales, thèse Lyon III, 1992, p. 39.
(1136) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 10669.
( 1137 ) Ce texte étant une exception au principe de proportionnalité posé à l'article 225-122 du code de
commerce, il doit faire l'objet d'une interprétation restrictive. Dès lors, le droit de vote double ne peut être
attaché qu'à des actions. Par conséquent, le privilège ne bénéficiera pas aux titulaires de certificats de droits de
vote : Bull COB, oct. 1986, p. 3 – sur cet avis, Y. REINHARD, Certificats de droit de vote. Droit de vote double,
RTD com. 1987 p. 212 – comp. M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 1058.
(1138) Depuis la loi du 30 décembre 1981 sur la dématérialisation des valeurs mobilières, seules les sociétés
cotées peuvent émettre des titres au porteur – sur cette loi, supra.
(1139) Art. 225-124, alinéa 1er, C. Com. (ancien art. L. 176) – pour une application de cette règle lourde de
conséquences en matière boursière, CA Paris 10 mars 1992, Bull. Joly 1992 p. 425, note A. VIANDIER ;
Banque et Droit mars avril 1992 p. 56, obs. F. PELTIER ; sur pourvoi : cass com 29 nov. 1994, RTD civ. 1995
p. 355, obs. J. MESTRE ; Dr. Sociétés 1995 n° 21, obs. H. HOVASSE ; Bull. Joly Bourse et prod. fin. 1995 p.
25, note P. LE CANNU – sur cette affaire, infra.
(1140) Les actions de numéraire sont attribuées en contrepartie de l'apport d'une somme d'argent, soit lors de la
constitution de la société, soit lors d'une augmentation de capital ultérieure. En revanche, les actions d'apport le
sont en contrepartie d'un apport en nature – sur cette distinction, J.-F. ARTZ, Rép. Sociétés, V° "Actions", 1989,
n° 249 et s.
CCXII
premières doivent être intégralement libérées dès leur émission (1141) alors que les secondes
doivent être libérées pour la moitié de leur valeur nominale au moment de leur souscription, le
surplus devant être libéré dans un délai maximal de cinq ans, sur décision des organes
dirigeants (1142). Or, les statuts peuvent interdire une libération anticipée ( 1143). Cette
stipulation n'a-t-elle pas pour effet de porter atteinte au principe d'égalité entre actionnaires ?
En effet, les porteurs d'actions d'apport pourront bénéficier du privilège de vote sitôt le délai
de stage expiré, alors que les titulaires d'actions en numéraire devront attendre l'expiration de
la période de cinq ans prévue par l'article 225-3 du code de commerce (ancien art. L. 75)
(1144). Toutefois, le caractère temporaire de la situation permet de valider la clause : l'atteinte
au principe d'égalité ne sera que provisoire (1145).
Il convient d'ajouter que le droit de vote double, dès lors que ses conditions
d'attribution sont remplies, doit bénéficier à tous les actionnaires (1146). Les professionnels
du droit ont cependant tenté de mettre en place une attribution préférentielle du privilège de
vote, par exemple en le réservant aux titulaires d'une certaine catégorie d'actions ou en
octroyant un dividende majoré aux actionnaires qui en étaient exclus (1147). Mais l'article
225-123 s'analyse comme une exception à la règle de proportionnalité posée à l'article 225122. Dès lors, il doit être interprété strictement. Par conséquent, l'adjectif "tous" employé par
le texte interdit d'attribuer le droit de vote à certains actionnaires seulement (1148).
Une dernière série de conditions est relative à la personne de l'actionnaire. Celui-ci
doit être de nationalité française ou être à tout le moins ressortissant d'un Etat membre de
l'Union européenne (1149). Les statuts peuvent en effet exclure du bénéfice du droit de vote
(1141) Art. 225-3, alinéa 3, C. Com. (ancien art. L. 75)
(1142) Art. 225-3, alinéa 1er, C. Com.
(1143) G. BOUILLET-CORDONNIER, Pactes d'actionnaires et privilèges statutaires, op. cit., n° 144.
(1144) La situation serait la même dans le cas où les dirigeants décideraient de ne pas exiger la libération du non
versé, comme le prévoit l'article 225-3.
(1145) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 201 ; G. RIPERT et R.
ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1553 ; B. ESPESSON-VERGEAT, Le maintien du
contrôle des sociétés commerciales, op. cit., p. 47 ; J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité entre actionnaires, op.
cit., n° 323.
(1146) Certains auteurs estiment d'ailleurs que du moment que l'actionnaire remplit les conditions visées à
l'article 225-23 du code de commerce, il jouit automatiquement du droit de vote double, sans avoir à en réclamer
le bénéfice (J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 202). Rien ne
paraît cependant interdire aux statuts de subordonner l'octroi du privilège de vote à une demande expresse de
l'actionnaire (B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 10660).
(1147) sur ces montages, V. G. BOUILLET-CORDONNIER, Pactes d'actionnaires et privilèges statutaires, op.
cit., n° 141.
(1148) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 201 ; B. MERCADAL
et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 10660.
(1149) Art. 225-123, alinéa 3, C. Com. .
CCXIII
double les étrangers d'origine extra communautaire. Ce type de clause est pour le moins
critiquable (1150) au moment où les pouvoirs publics renforcent le pouvoir des actionnaires
(1151) et qu'environ 40 pour cent du capital des sociétés cotées sur la place de Paris est
détenu par des étrangers. Une question se pose cependant : le pacte social peut-il octroyer le
privilège de vote à une seule catégorie d'étrangers, notamment ceux dont l'Etat d'origine a
conclu avec la France un traité comportant une clause de la Nation la plus favorisée (1152) ou
une clause d'assimilation de l'étranger au national. Le droit international public conduit à
répondre par la négative (1153). Les traités signés et ratifiés par la France n'engagent que
l'Etat et non les personnes privées (1154). Par conséquent, les statuts doivent soit accorder le
droit de vote double à tous les ressortissants non communautaires soit le leur refuser. Il ne
saurait le réserver aux citoyens de certains Etats seulement.
Si ces conditions sont remplies, l'actionnaire va voir son potentiel de vote majoré en
vertu de la clause statutaire prévoyant le droit de vote double (1155). Cependant, l'avantage
étant attaché à la personne et non au titre, il convient de s'interroger sur le sort du droit de vote
double en cas de modification de la situation de l'actionnaire ou de l'action (1156).
(1150) S. L'HELIAS, Le retour de l'actionnaire. Pratique du corporate governance en France, aux Etats-Unis et
en Grande-Bretagne, op. cit., p. 52.
(1151) V. les mesures inspirées par la corporate governance dans la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux
nouvelles régulations économiques : J.-J. DAIGRE, Loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations
économiques. Aspects de droit financier et de droit des sociétés, JCP 2001 p. 1197 et JCP éd. E. 2001 p. 1013 ;
M.-A. FRISON-ROCHE, La loi sur les nouvelles régulations économiques, D. 2001 p. 1930.
(1152) La clause de la nation la plus favorisée est celle par laquelle un Etat membre de l'Organisation mondiale
du commerce s'engage à accorder à tous les Etats membres les mêmes avantages que ceux qu'il a pu octroyer à
un autre Etat membre en vertu d'un traité : Ph. DELEBECQUE et J.-M. JACQUET, Droit du commerce
international, 2° éd., Dalloz, 1999, n° 68.
(1153) Rappr. J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit commercial, t. 2, op. cit., n° 547 ; Y.
GUYON, Rép. Sociétés, V° "Assemblées d'actionnaires", précité, n° 208 ; J.-F. ARTZ, Rép. Sociétés, V°
"Actions'", 1989, n° 319 –comp. J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit.,
n° 201.
(1154) N. QUOC DINH, P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public, 5° éd., LGDJ, 1994, n° 424 et
s.
(1155) Les statuts peuvent restreindre l'exercice du droit de vote double à certaines assemblées, ou même à
certaines résolutions. Ces stipulations sont a priori licites dès lors qu'elles respectent l'égalité entre actionnaires :
J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 4179 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique
des sociétés commerciales, op. cit., n° 10660 ; J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales,
t. 2, op. cit., n° 202 ; Y. GUYON, Rép. Sociétés, V° "Assemblées d'actionnaires", précité, n° 209.
(1156) La perte du droit de vote double peut être aussi d'origine volontaire. Autrement dit, l'assemblée générale
extraordinaire peut décider de supprimer le privilège. Cependant, compte tenu de l'évolution jurisprudentielle
actuelle, qui tend à assimiler augmentation des engagements et réduction des droits, l'unanimité sera requise : J.
MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 4232 – sur cette évolution, infra.
CCXIV
2. Le sort du droit de vote double en cas d'évènement affectant l'action
ou son titulaire
La cession du titre ne pose pas de problème particulier. Le droit de vote double étant
accordé intuitus personae à l'actionnaire, afin de le récompenser pour sa fidélité au
groupement, le cessionnaire n'en bénéficiera pas (1157), sauf lorsqu'il remplira lui-même les
conditions posées par l'article 225-123 du code de commerce (1158). En revanche, il semble
que la cession de la nue-propriété ou de l'usufruit du titre ne modifie pas l'étendue du droit de
suffrage attaché à celui-ci (1159). L'article 225-124 (ancien art. L. 176) vise seulement le
transfert en propriété de l'action. A contrario, le démembrement de propriété est exclu de son
champ d'application. En d'autres termes, le nu-propriétaire et l'usufruitier voteront selon les
modalités définies à l'article 225-110 (ancien art. L. 163) (1160), en bénéficiant de deux voix.
En outre, si l'absorption de la société émettrice ne suscite pas de difficultés
particulières, puisque l'actionnaire de l'absorbée bénéficiera automatiquement (1161) le cas
échéant du privilège de vote au sein de l'absorbante (1162), le sort du droit de vote double en
cas d'absorption de la personne morale actionnaire a donné lieu à une vive controverse,
suscitée par le silence de la loi.
Selon certains auteurs, l'absorption de la société actionnaire demeure sans effet sur le
droit de vote double. L'absorbante continuera à bénéficier du privilège. En effet, la fusion doit
(1157) Art. 225-124, alinéa 1er, C. Com.
(1158) Bien que le droit de vote double soit intimement attaché à la personne de l'actionnaire et qu'il soit destiné
à renforcer l'intuitu personae dans la société anonyme, il est conservé en cas d'un transfert du titre résultant d'une
succession, d'une liquidation de communautés de biens entre époux, ou de donation entre vifs au profit d'un
conjoint ou d'un parent au degré successible (Art. 225-124, alinéa 1er in fine). Cependant, dans les sociétés
d'exercice libéral, tout transfert du titre, quelle que soit son origine, fait perdre le droit de vote double (art. 8 de la
loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990).
(1159) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 4179 ; J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT,
Sociétés commerciales, t. 2; op. cit., n° 204 ; plus nuancés, B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique
des sociétés commerciales, op. cit., n° 10663 ; Y. GUYON, Rép. Sociétés, V° "Assemblées d'actionnaires",
précité, n° 210.
( 1160 ) Le nu-propriétaire vote aux assemblées générales extraordinaires, et l'usufruitier aux assemblées
générales ordinaires. Les clauses statutaires contraires sont cependant licites, sous réserve de ne pas priver le nupropriétaire, seul associé, de tout droit de vote – sur l'ensemble du problème, V. supra.
(1161) Il n'aura pas à attendre l'expiration du délai de deux ans. Si celui-ci est plus long, le stage accompli au
sein de la société absorbée sera décompté V. Bull. COB nov. 1979 ; Bull. mensuel d'informations des sociétés
1979 p. 579.
(1162) Art. 225-124, alinéa 2, C. Com. La généralité des termes employés par le législateur, qui vise la "société
bénéficiaire" de la fusion conduit à penser que, si l'opération a lieu par création d'une société nouvelle, les
actionnaires concernés des deux groupements se verront octroyer, le cas échéant, un droit de vote double au sein
de la nouvelle entité, sans attendre l'expiration d'un délai – sur ce type de fusion, V. notamment, J. MESTRE,
Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 1708.
CCXV
être assimilée à un transfert par voie de succession, lequel permet aux héritiers de conserver le
privilège de vote appartenant à leur auteur.
En outre, la conséquence principale de l'opération de restructuration est d'opérer une
transmission universelle du patrimoine, de l'absorbée vers l'absorbante (1163). Dès lors, sont
transférées à celles-ci toutes les dettes (1164) et créances de la société absorbée (1165), avec
tous les accessoires qui y sont attachés (1166). Or, l'action est un droit personnel, et le droit de
vote son accessoire (1167). Quelle que soit son étendue, simple ou double, ce dernier sera
donc transféré à l'absorbante (1168).
Cette opinion ne convainc pas. En effet, les articles 225-123 et 225-124 du code de
commerce se présentent comme des exceptions au principe de proportionnalité posé à l'article
225-122. Par conséquent, le terme "succession" visé par l'article 225-124 doit être interprété
restrictivement et s'entendre exclusivement d'une transmission à cause de mort (1169). Par
conséquent, l'absorption de la personne morale actionnaire doit être assimilée à un transfert de
propriété entraînant perte du droit de vote double ( 1170). De surcroît, le fondement de
l'institution du privilège de vote s'oppose à sa transmission dans une telle hypothèse. Celui-ci,
on l'a vu, s'analyse comme une prime de fidélité, destinée à récompenser l'actionnaire.
Autrement dit, en ce qu'il est un moyen de renforcer l'intuitu personae, il est attaché à la
personne et non au titre. Du moment que le titulaire de l'action change, l'avantage n'est pas
transféré, sauf dans les hypothèses expressément prévues par la loi.
(1163) Art. 236-3 C. Com. (ancien art. L. 372-1), issu d'une loi n° 88-17 du 5 janvier 1988, qui a consacré une
règle d'origine prétorienne – sur cette question, R. ROUTIER, Les fusions de sociétés commerciales.
Prolégomènes pour un nouveau droit des rapprochements, bibl. dr. priv. t. 237, LGDJ, 1994 ; C. PRIETO, La
société contractante, PUAM, 1994, préf. J. MESTRE, n° 577 et s. ; M. JEANTIN, La transmission universelle
du patrimoine d'une société, in Mélanges Jean Derruppé, Les activités et les biens de l'entreprise, éditions GLNJoly, 1991, p. 287.
(1164) ex. pour l'obligation de garantie des vices cachés à la charge de la société absorbée, CA Riom 5 mai 1980,
Rev. Sociétés 1981 p. 597.
(1165) ex. cass civ 1ère 7 mars 1972, JCP 1972 I n° 17270 ; cass com 1 er juin 1993, Bull. IV n° 214 ; adde, pour
des parts sociales, cass com 19 avril 1972, D. 1972 p. 538. Cependant, si les statuts renferment une clause
d'agrément, celle-ci sera opposable à l'absorbante. La fusion ne figure pas en effet parmi les hypothèses dans
lesquelles la stipulation est interdite : cass com 3 juin 1986, D. 1987 p. 97, note J.-J. DAIGRE ; CA Paris 18
févr. 2000, RTD com. 2000 p. 390, obs. Y. REINHARD.
(1166) V., pour un titre exécutoire, cass civ 2ème 11 mai 1977, Bull. II, n° 124 ; pour une sommation de payer,
cass civ. 3ème 10 nov. 1998, RTD com. 1999 p. 437, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
(1167) sur cette qualification, supra.
(1168) en ce sens, J.-P. BERTREL et M. JEANTIN, Acquisitions et fusions de sociétés commerciales, op. cit., n°
776 ; A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, op. cit., n° 504 ; B. ESPESSON-VERGEAT, Le
maintien du contrôle des sociétés commerciales, op. cit., p. 44
(1169) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "succession".
(1170) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 1889 ; C.
KOERING, La règle "une action-une voix", op. cit., n° 765 ; Y. GUYON, Rép. Sociétés, V° "Assemblées
d'actionnaires", précité, n° 211 ; J. DI VITTORIO, Sort du droit de vote double en cas de fusion absorption de la
société titulaire des actions, Bull. mensuel d'informations des sociétés 1979 p. 215 ;
CCXVI
Cela étant, rien ne semble empêcher les statuts de prévoir le maintien du droit de vote
double en cas d'absorption de la personne morale actionnaire. Au demeurant, compte tenu de
l'incertitude qui règne en la matière, source d'insécurité juridique, les fondateurs, afin d'éviter
tout contentieux, pourraient régler le sort du droit de vote double en cas de fusion de la société
titulaire des titres.
Les actions à droit de vote double connaissent un faible succès en pratique, compte
tenu de la faiblesse du privilège extra-patrimonial qui y est attaché (1171). Sa suppression est
réclamée par les partisans de la corporate governance mais le législateur n'a pas pour l'instant
accédé à ces requêtes (1172).
Si l'existence du droit de vote double apporte une certaine entorse au principe de
proportionnalité, celui-ci est parfois purement et simplement écarté, ce qui permet aux statuts
d'aménager librement l'étendue du droit de suffrage.
B. Le maintien exceptionnel du vote plural stricto sensu
L'article 225-122 ne s'applique pas à toutes les sociétés. Il n'a vocation à régir que les
sociétés par actions. Cependant, même dans ces formes sociales, il est parfois écarté.
Autrement dit, le droit de vote plural stricto sensu, tel qu'il existait avant 1933, est maintenu
dans certaines sociétés anonymes (a).
Par ailleurs, le suffrage multiple est autorisé dans les formes sociales dominées par
l'intuitu personae, au sein desquels le principe de proportionnalité ne s'applique pas (b).
a- Le maintien limité du vote plural dans certaines sociétés anonymes
Dès 1933, le législateur a autorisé certaines sociétés anonymes, qui auraient eu
vocation par nature à être gouvernées par la règle "une action - une voix", à prévoir dans leurs
statuts un droit de vote plural. Cette dérogation a été reprise in extenso par l'article 225-122,
II, du code de commerce (ancien art. L. 492). Aux termes de ce texte, "dans les sociétés par
actions dont le capital est, pour un motif d'intérêt général, en partie propriété de l'Etat, de
départements, de communes ou d'établissements publics, et dans celles ayant pour objet des
(1171) J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans les sociétés anonymes, op. cit., n° 320.
(1172) La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques a finalement maintenu le
droit de vote double au sein des sociétés cotées, alors que le projet en prévoyait la suppression : V. la réaction
favorable de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris in www.ccip.fr/etudes/propos/qjurid/pal0003a.htm.
CCXVII
exploitations concédées par les autorités administratives compétentes, hors de la France
métropolitaine, le droit de vote est réglé par les statuts en vigueur au 1er avril 1967".
Cette disposition vise deux types de groupements.
En premier lieu, ne sont pas concernées par le principe posé à l'article 225-122 les
sociétés d'économie mixte, que celles-ci soient locales ou nationales (1173). Autrement dit, à
condition que la personne publique invoque l'intérêt général pour justifier sa participation au
capital d'une société (1174), les statuts de cette dernière pourront attribuer des actions à droit
de vote plural. Cependant, encore faut-il que le groupement ait été formé avant 1933, et qu'à
cette date, le pacte social prévoyait déjà l'attribution d'un vote privilégié. Sous ces réserves,
l'avantage pourra être attribué aux personnes publiques mais également aux personnes privées
(1175).
En second lieu, l'article 225-122, II, autorise les statuts d'une société "ayant pour objet
des exploitations concédées par des autorités administratives compétentes hors de la France
métropolitaine (1176)" à augmenter librement l'étendue du droit de vote de leurs actionnaires.
Ce texte vise à protéger l'intérêt national, en évitant aux sociétés françaises de subir
l'intrusion intempestive d'actionnaires étrangers. Mais encore faudra-il que le groupement
concerné ait été constitué antérieurement à 1933 (1177), et, qu'à cette date, ses statuts aient
d'ores et déjà prévu l'augmentation du potentiel de vote attaché aux actions.
On peut s'interroger sur le sens du terme "concession" employé par le législateur.
Vise-t-il seulement les concessions de service public ( 1178 ) ou toute concession
administrative ? Le débat n'est pas purement sémantique. Si on retient la première solution,
seules les sociétés chargées par l'Administration étrangère de gérer un service public pourront
(1173) sur les sociétés d'économie mixte, infra.
(1174) Le motif d'intérêt général ressortira de la décision de l'autorité qui a autorisé la prise de participation : J.,
E. ESCARRA et J. RAULT, Traité théorique et pratique de droit commercial. Les sociétés commerciales , t. 3,
Sirey, 1955, n° 1109 – adde, les exemples cités par J.-M. HAUPTMANN, Le droit de vote de l'actionnaire en
droit français et en droit allemand, op. cit., p. 82, note 1.
(1175) En pratique, le droit de vote plural sera attribué aux personnes publiques, porteuses d'un intérêt général.
(1176) Un décret n°56-1134 du 13 novembre 1956 a étendu cette dérogation aux sociétés situées outre-mer V.
M. GUILBERTEAU, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 101, précité, n° 62.
(1177) L'emploi de l'expression "la présente loi" par le législateur de 1966 avait donné lieu à une difficulté
d'interprétation. Il y a lieu de considérer que l'article L. 492 se bornant à reprendre in extenso les dispositions
antérieures, la date à prendre en compte soit 1933 : Rép. Min n° 3019, RTD com. 1969 p. 105 – sur le débat, V.
J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 198. Cette solution est
reconduite nécessairement sous l'empire de l'article 225-122, II, du code de commerce, bien que ce texte ait fait
référence au 1er avril 1967.
(1178) La concession de service public est l'acte par lequel l'Administration charge une personne privée choisie
en raison de ses qualités de gérer un service publics, à ses risques et périls (Voc. Ass. H. CAPITANT, V°
"concession de service public").
CCXVIII
inclure dans leur statuts des clauses instituant des droits de vote pluraux, alors la seconde
thèse permet à toutes les sociétés en relation contractuelle avec les pouvoirs publics de faire
bénéficier leurs actionnaires du vote privilégié. La jurisprudence a un temps opté pour une
acception étroite du terme "concession" (1179) mais a ultérieurement adopté la conception
inverse (1180). Autrement dit, toute société ayant obtenu une concession de la part d'une
administration étrangère peut bénéficier de la dérogation apportée par l'article 225-122, II, du
code de commerce. Cette solution se recommande de la lettre même du texte, qui se borne à
exiger une concession, sans distinguer selon qu'il s'agisse d'une concession de service public
ou non (1181).
A cet égard, peu importe que la concession en dehors du territoire national soit l'objet
unique ou même essentiel du groupement (1182). Du moment que celui-ci exploite ne fût-ce
qu'une seule concession à l'étranger, il est susceptible de bénéficier de la dérogation prévue à
l'article 225-122, II (1183). En revanche, dès lors que la société perd ses concessions, par
exemple suite à des nationalisations, les actions à droit de vote multiples redeviennent des
actions ordinaires. Autrement dit, les actionnaires ne disposeront que d'une voix lors des
assemblées générales décidant d'une éventuelle liquidation (1184).
La question revêt une acuité particulière dans le cadre d'un groupe de sociétés. Si une
filiale exploite à l'étranger une concession, les statuts de la société mère dont le siège social
est situé en France peuvent-ils aménager l'étendue du droit de vote sans tenir compte de la
règle de proportionnalité ? Le principe d'indépendance juridique des filiales, posé à l'article
210-6 du code de commerce (ancien art. L. 5), s'y oppose, d'autant que la finalité protectrice
de l'intérêt national conduit à réserver le droit de vote plural aux seuls groupements situés à
l'étranger (1185). Un arrêt semble cependant avoir retenu la solution inverse (1186).
(1179) Trib. com. Seine 7 mai 1934, Journ. sociétés 1935 p. 508, note H. L.
(1180) Trib. com. Seine 8 juin 1938 et CA Paris 8 mars 1939, Journ. sociétés 1939 p. 417, note H. LECOMPTE.
( 1181 ) J., E. ESCARRA et J. RAULT, Traité théorique et pratique de droit commercial. Les sociétés
commerciales, t. 3, op. cit., n° 1108 ; H. BOSVIEUX, La nouvelle réglementation du droit de vote dans les
sociétés par actions, précité ; H. LECOMPTE, note sous Trib. com. Seine 8 juin 1938 et CA Paris 8 mars 1939,
précités.
(1182) Trib. com. Seine 8 juin 1938, précité.
(1183) CA Paris 25 mai 1971, JCP 1972 II n° 17084, note Y. GUYON ; RTD com. 1972 p. 416, obs. R. HOUIN
; Gaz. Pal. 1972, 1, p. 84, note P. DELAISI ; sur pourvoi : cass com 4 juin 1973, Rev. Sociétés 1974 p. 109.
(1184) CA Paris 25 mai 1971, précité.
(1185) Rappr. J., E. ESCARRA et J. RAULT, Traité théorique et pratique de droit commercial. Les sociétés
commerciales, op. cit., loc. cit., J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit.,
n° 198 ; J.-M. HAUPTMANN, Le droit de vote de l'actionnaire en droit français et en droit allemand, op. cit., p.
83.
(1186) CA Paris 25 mai 1971, précité.
CCXIX
On le voit, ces dérogations n'ont qu'une portée pratique réduite. Il en va tout autrement
lorsque la possibilité d'instaurer le vote plural est permise par l'absence de règle régissant
l'étendue du droit de suffrage dans certaines formes sociales.
b- Le maintien intégral du vote plural dans certaines formes sociales
Dans les sociétés en nom collectif, dominées par l'intuitus personae, chaque associé
dispose d'une voix mais rien n'interdit aux statuts de prévoir que le nombre des droits de vote
dont il dispose sera proportionnel à sa part dans le capital voire supérieure. En d'autres termes,
l'étendue du droit de suffrage est abandonnée à la liberté statutaire et le vote plural concevable
(1187).
De la même manière, dans le silence de la loi, le nombre des voix dont est titulaire un
associé dans une société civile est fixé par la charte fondamentale (1188). Dès lors, les
associés pourront attacher un droit de vote double, triple ou autres à leurs parts sociales
(1189). Cette souplesse fait de la société civile un instrument d'ingénierie sociétaire fort prisé
par la pratique, notamment dans les montages de LBO (1190).
C'est cependant dans la société par actions simplifiée que le principe de
proportionnalité entre le pouvoir et le capital connaît sa dérogation la plus notable. Cette
forme sociale a été créée par une loi n° 94-1 du 3 janvier 1994 afin de favoriser la
collaboration entre sociétés et de donner un cadre juridique adéquat à la filiale commune
( 1191 ). Mais, elle n'était réservée à l'origine qu'à des groupements de taille importante
(1187) Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 259 ; M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op.
cit., n° 1468.
(1188) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés civiles, éd. Francis Lefebvre, 2001, n°
1221 ; G. GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit
des sociétés, op. cit., n° 237 ; G. BARANGER, La société civile, éd. GLN Joly, collection Pratique des affaires,
1995, n° 24.
(1189) En revanche, le principe de proportionnalité s'applique pleinement dans les sociétés civiles de placement
immobiliers (art. 14 de la loi n° 70-1300 du 31 décembre 1970, devenu art. L. 214-37 du Code monétaire et des
marchés financiers) – sur cette question, P. BEZARD, La situation des associés de sociétés civiles autorisées à
faire publiquement appel à l'épargne, RTD com. 1983 p. 369.
(1190) Le choix de la forme civile comme structure juridique d'accueil de la société holding permettra aux
fondateurs de détenir le contrôle de celles-ci avec un investissement financier moindre : A. COURET et D.
MARTIN, Les sociétés holdings, 2° éd., PUF, 1997, p. 71 ; J.-P. BERTREL, Ingénierie juridique : le montage
"Moulinex", Dr. et patrimoine sept. 1997 p. 38.
(1191) Sur cette loi, V. not. A. COURET et P. LE CANNU, Sociétés par actions simplifiée, éd. GLN-Joly,
collection Pratique des affaires, 1994 ; D. VIDAL, La société par actions simplifiée. Commentaire de la loi 94-1
du 3 janvier 1994, Montchrestien, 1994 ; S. FAYE, Des accords de coopération à la société par actions
simplifiée, in J. MESTRE (sous la direction de), Eléments d'ingénierie sociétaire, PUAM, 1994, p. 57 ; D.
VIDAL, Observations sommaires sur la loi du 3 janvier 1994 instituant la société par actions simplifiée, Petites
affiches 26 janv. 1994 p. 4 ; V. ROULET, La société par actions simplifiée, la SAS, Petites affiches 30 mars
CCXX
puisque ne pouvaient constituer une SAS que les sociétés dont le capital était au moins égal à
1,5 millions de francs. Cet ostracisme a été dénoncé ( 1192 ). Aussi le législateur a-t-il
libéralisé les conditions d'accès à cette forme sociale, par une loi n° 99-587 du 12 juillet 1999
(1193), relative à l'innovation et la recherche (1194), afin d'offrir aux start up un cadre
juridique adéquat (1195). Désormais, la SAS peut être créée par une ou plusieurs personnes,
physique ou morale (1196). Le droit des sociétés en sort bouleversé. Compte tenu de la liberté
statutaire qui régit la société par actions simplifiée, il n'est pas interdit de penser que nombre
de sociétés de taille modeste adopteront cette forme sociale ( 1197 ). La pratique des
1994 p. 18 ; J. HONORAT, La société par actions simplifiée ou la résurgence de l'élément contractuel en droit
français des sociétés, Petites affiches 16 août 1996 p. 4 ; Y. GUYON et alii, La société par actions simplifiée,
Rev. Sociétés 1994 p. 205 ; G. BAUDEU, La société par actions simplifiée, SAS. Commentaire de la loi du 3
janvier 1994 et éléments de clauses statutaires, Petites affiches 9 mai 1994 p. 10 ; M. GERMAIN et alii, La
société par actions simplifiée, Cah. Dr. Entr. 3/1994 ; P. LE CANNU, Un nouveau lieu de savoir-faire
contractuel : la société par actions simplifiée, Defrénois 1994 p. 1345 ; J.-J. DAIGRE, H. LE BLANC et D.
GERRY, La société par actions simplifiée, Dr. Sociétés, Actes pratiques, n° 12, 1993 – adde, sur la genèse de la
loi, A. LE FEVRE, Le droit des sociétés redeviendra-t-il contractuel ? Perspectives d'une société par actions
simplifiée, RJ com. 1992 p. 89.
(1192) D. RANDOUX, La liberté contractuelle réservée aux grandes entreprises : la société par actions
simplifiée (SAS), JCP éd. N. 1994 I p. 69, spéc. n° 11 ; Ch. HANNOUN, La société par actions simplifiée. Essai
de prospective juridique, Mélanges Alain Sayag, Droit et vie des affaires, Litec, 1997 p. 283.
(1193) sur cette loi, V. not. A. CHARVERIAT et A. COURET, Société par actions simplifiée. Nouveau régime.
Juridique, fiscal, social, éd. Francis Lefebvre, 1999 ; J.-P. BERTREL, La SAS : bilan et perspectives, Dr. et
patrimoine sept. 1999 p. 40 ; J. PAILLUSSEAU, La nouvelle société par actions simplifiée. Le big-bang du droit
des sociétés, D. 1999 chron. p. 333 ; D. VELARDOCCHIO, Une innovation inattendue : la réforme de la SAS,
Bull. d'actualités Lamy Sociétés Commerciales 1999 fasc. E. ; D. VIDAL, Le deuxième souffle législatif de la
société par actions simplifiée (commentaire de l'article 3 de la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation
et la recherche, Dr. Sociétés août/sept. 1999 p. 4 ; P. LE CANNU, La SAS pour tous (L. n° 99-587, 12 juillet
1999, art. 3), Bull. Joly 1999 p. 541 ; Cl. CHAMPAUD et D. DANET, Réforme de la SAS, RTD com. 1999 p.
872 ; Y. REINHARD, La nouvelle société par actions simplifiée est arrivée, RTD com. 1999 p. 898 ; M.
GERMAIN, La SAS libérée L. n° 99-587, 12 juill. 1999, art. 3, JCP éd. E. 1999 p. 1505 ; D. RANDOUX, Une
forme sociale ordinaire : la société par actions simplifiée (SAS), JCP éd. N. 1999 p. 1567 ; D. VALETTE et alii,
La société par actions simplifiée (L. 12 juillet 1999), Rev. Sociétés 2000 p. 213 ; N. RONTCHEVSKY et alii, Le
nouveau régime de la SAS, Petites affiches 15 sept. 2000 p. 26.
(1194) La méthode employée par le législateur, qui a libéralisé les conditions d'accès à la société par actions
simplifiée sans qu'un débat sur les conséquences de cette réforme sur l'ensemble du droit des sociétés n'ait lieu, a
été unanimement dénoncée V. not. D. VALETTE, Contexte et méthode de l'adoption du nouveau régime de la
société par actions simplifiée (art 3 de la loi du 12 juillet 1999. Présentation du dispositif, Rev. Sociétés 2000 p.
223.
(1195) D. PORACCHIA, Quelles structures juridiques pour la création d'entreprises innovantes ?, Dr. et
patrimoine sept. 2001 p. 82 ; D. VIDAL, Le deuxième souffle législatif de la société par actions simplifiée
(commentaire de l'article 3 de la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche), précité, spéc.
n° 3; adde, P.-L. PERRIN et O. EDWARDS, La société par actions simplifiée : un outil attractif pour créer sa
start-up, Option finance 22 nov. 1999 p. 31 – contra, S. SCHILLER, L'influence de la nouvelle économie sur le
droit des sociétés, Rev. Sociétés 2001 p. 47, note 17.
(1196) Du fait de la nouvelle rédaction de l'article L. 262-1, alinéa 1er (actuellement art. 227-1 C. Com.) aux
termes duquel "une société par actions simplifiée peut être instituée par une ou plusieurs personnes qui ne
supportent les pertes qu'à concurrence de leurs apports", une personne morale peut être associée d'une SAS,
sans que son capital ne soit au moins égal à 1,5 millions de francs : en ce sens, P. LE CANNU, La SAS pour tous
(L. n° 99-587, 12 juillet 1999, art. 3), précité, spéc. n° 12.
(1197) Depuis la loi du 12 juillet 1999, 3000 SAS ont été créées, le rythme étant de 500 nouvelles sociétés par
mois (Rép. Min. n° 24222, Jean-Pierre Raffarin, JCP éd. E. 2000 p. 1013).
CCXXI
conventions extra-statutaires risque de tomber en désuétude (1198), d'autant que l'intérêt
social, nécessaire à leur validité, ne joue qu'un rôle réduit au sein de la SAS (1199.
Le droit de vote plural est rendu possible dans la sociétés par actions simplifiée, dans
la mesure où l'article 227-1 du code de commerce (ancien art. L. 262-1) exclut l'application à
ce type de groupement des articles 225-17 à 225-126 (anciens art. L. 89 à L. 177-1) (1200),
donc de l'article 225-122. Par conséquent, sous réserve de ne pas priver un associé de sa
prérogative fondamentale (1201), la liberté statutaire ne connaît pas d'autres limites que celle
de l'imagination des fondateurs (1202). Par exemple, les statuts pourront décider d'attacher à
certaines actions un droit de vote double, sans avoir à respecter les conditions posées par
l'article 225-123 (1203), triple ou davantage. De même, une clause pourra créer des catégories
d'actions (1204), auxquels seront attachées un nombre distinct de droits de vote (1205).
Ainsi, à l'instar de la société civile, la société par actions simplifiée devient un
instrument privilégié d'ingénierie sociétaire. Initialement conçue pour offrir un cadre juridique
adaptée à la filiale commune, cette forme sociale, avant même la réforme de 1999, a permis
(1198) Ph. BRUNSWICK, SAS et capital investissement : vers la fin des pactes d'actionnaires extra-statutaires
? , D. 2000, cahier droit des affaires, p. 595 – adde, A. CHARVERIAT et Ph. BRUNSWICK, La SAS et le
projet d'entreprise, RD bancaire et financier 2000 p. 128.
(1199) D. PORACCHIA, Le rôle de l'intérêt social dans la société par actions simplifiée, Rev. Sociétés 2000 p.
224.
(1200) Du fait de l'inapplicabilité de l'article 225-126 du code de commerce à la société par actions simplifiée,
les statuts ne pourront donc pas créer des actions à dividende prioritaire sans droit de vote (rappr. J.-J. DAIGRE,
Décisions collectives, in A. COURET et P. LE CANNU (sous la direction de), Sociétés par actions simplifiée,
op. cit., p. 37, spéc. n° 80 ; J. HONORAT, La société par actions simplifiée ou la résurgence de l'élément
contractuel en droit français des sociétés, précité – plus nuancés, M. STORCK, Les associés de la SAS, Petites
affiches 15 sept. 2000 p. 42 ; P.-L. PERRIN, La société par actions simplifiée. L'organisation des pouvoirs, éd.
Joly, collection Pratique des affaires, 2000, n° 501 et s., pour lequel la création d'actions sans droit de vote
assorties d'un dividende prioritaire n'est pas possible, du fait de l'inapplicabilité de l'article 225-126, mais la
liberté offerte aux associés leur permet de créer des actions sans droit de vote, et dépourvues d'avantage
financier. Cette opinion ne convainc pas. L'article 1844 du Code civil, applicable aux SAS, interdit de priver un
associé de sa prérogative essentielle et constitue donc une limite aux aménagements statutaires du droit de
suffrage.
(1201) sur le caractère essentiel du droit de vote au regard de la notion d'associé, infra.
(1202) comp. Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 477-10 qui espère que la SAS ne " [sera pas qu'un] îlot
de liberté dans un océan de réglementation mais le continent naissant des libertés retrouvées" …
(1203) supra.
(1204) La question ne s'est pas posée de savoir si de telles actions constituaient une catégorie d'actions stricto
sensu. Le critère de cette notion doit être recherché dans une identité de droits et d'obligations caractérisant le
titre et attachées propter rem à ce dernier, et non à la personne de son titulaire : V. M. JEANTIN, Observations
sur la notion de catégorie d'actions, D. 1995, chron. p. 87. La question doit être - semble-t-il - résolue au cas par
cas. Si les statuts rattachent le vote plural à l'action, et non à l'associé, alors les actions à vote plural constitueront
une catégorie d'actions. Dans ce cas, une clause devra prévoir les modalités de modifications des droits attachés à
la catégorie. En revanche, si le vote multiple est rattaché à la personne de son titulaire, les titres en cause ne
seront pas constitutifs d'une catégorie d'actions.
(1205) Pour une typologie des clauses envisageables, V. J.-J. CAUSSAIN, De l'organisation contractuelle des
pouvoirs dans la société par actions simplifiée (France), RDAI 1996 p. 939 ; du même auteur, Du bon usage de
la SAS dans l'organisation des pouvoirs, JCP éd. E. 1999 p. 1664.
CCXXII
de favoriser les montages de LBO ( 1206 ) ou ceux destinés à faciliter la transmission
d'entreprise (1207).
Les statuts contiendront fréquemment une clause prévoyant qu'un associé minoritaire
en capital sera majoritaire en droits de vote. La licéité de cette stipulation est cependant
sujette à caution (1208). En effet, dans une décision du 7 janvier 1988 (1209), le Conseil
constitutionnel a censuré une disposition législative qui attribuait à des sociétaires
minoritaires en capital la majorité des droits de vote au sein des assemblées générales de la
caisse de crédit agricole. La juridiction a annulé l'article litigieux en se fondant sur le principe
d'égalité entre associés, corollaire de celui existant entre citoyens, affirmant ainsi sa valeur
constitutionnelle. Certes, celui-ci n'a pas cours dans les sociétés par actions simplifiées,
l'article 225-122 étant expressément écarté. Mais, le texte examiné par le Conseil
constitutionnel concernait des groupements soumis au Code rural, et non des sociétés
anonymes. Il y a donc lieu de considérer que l'égalité entre associés trouve application dans
toutes les formes sociales. Si une clause statutaire peut aménager cette règle, elle ne doit
aucun cas la dénaturer. Or, la stipulation attribuant la majorité des droits de vote à un associé
minoritaire en capital porte manifestement atteinte à l'essence même du principe d'égalité. Sa
validité est donc pour le moins douteuse. Néanmoins, cet argument n'a qu'une portée pratique
réduite, puisqu'un particulier ne peut pas invoquer l'inconstitutionnalité d'une loi, a fortiori
d'un contrat, devant un juge (1210).
(1206) La SAS pourrait utilement servir de structure d'accueil à une société holding de reprise. En effet, celle-ci
est en pratique constituée par des personnes désirant acquérir le contrôle d'une cible et des sociétés de capital
risque qui en assurent le financement. On peut dès lors concevoir que les statuts de la SAS réservent un droit de
vote plus important aux partenaires financiers sur toutes les décisions concernant le financement, laissant aux
fondateurs plus de voix pour les décisions relatives à la gestion V. V. TANDEAU DE MARSAC, La SAS, outil
de transmission d'entreprise ?, Bull. Joly 1999 p. 28 ; J.-P. BERTREL, La SAS : bilan et perspectives, précité.
(1207) Le chef d'entreprise désireux de préparer la transmission de l'entreprise à un héritier pourra utiliser la
société par actions simplifiée. Le montage le plus courant est le suivant. L'entrepreneur fait apport d'une partie
des actifs de la société à transmettre à au moins deux holdings familiales, dont l'une est contrôlée par l'héritier,
lesquelles seront dès lors associées de société initiale. Celle-ci sera alors transformée en SAS, dont les statuts
seront rédigés de manière à ce que la société holding dirigée par l'héritier soit majoritaire en droits de vote, sans
nécessairement être majoritaire en capital. Une personne morale pouvant être président d'une SAS, cette dernière
accèdera à cette fonction de manière irrévocable – sur ce montage, V. not. B. MONASSIER, Transmission
d'entreprise. Juridique, fiscal, social, financier, éditions Francis Lefebvre, 1996, n° 4590 et s.
(1208) en ce sens, P. LE CANNU, Le contentieux de la SAS - I : La nullité des décisions d'associé(s) fondée sur
l'article L. 227-9, dernier alinéa, du Code de commerce, Dr. 21, 2001, ER 012, in http://www.droit21.com, spéc.
n° 38, note 42.
(1209) déc. n° 87-232 DC du 7 janvier 1988, Rev. Sociétés 1989 p. 229, note Y. GUYON ; RTD com. 1988 p.
450, obs. Y. REINHARD.
(1210) En France, le contrôle de constitutionnalité est un contrôle abstrait puisque le Conseil ne peut être saisi
que par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'une des deux Chambres du Parlement
ou soixante députés ou sénateurs. En aucun cas, les personnes privées, qu'elles soient physiques ou morales, ne
peuvent invoquer l'inconstitutionnalité d'une loi, a fortiori d'un contrat, ni par voie d'action, en saisissant le
Conseil constitutionnel, ni par voie d'exception, en soulevant l'inconstitutionnalité devant un juge de droit
commun – sur cette question, V. L. FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, Dalloz, 1998, n° 325 et s.
CCXXIII
De même, on peut légitimement se demander ce qu'il reste de l'affectio societatis si
l'associé qui a le plus contribué au financement de la société ne peut jamais influer sur le sens
des décisions sociales, étant, du fait de la clause, minoritaire en droits de vote (1211). Le
contrat risquerait alors d'être requalifié en contrat de prêt, dans la mesure où c'est précisément
l'affectio societatis qui permet de distinguer la société d'un simple prêt avec participation aux
bénéfices (1212).
A ce stade de la réflexion, une question se pose. L'article 225-123 du code de
commerce permet, on l'a vu, de réserver le droit de vote double aux ressortissants français et
communautaires. Du fait de l'inapplicabilité de ce texte à la société par actions simplifiée, une
clause statutaire pourrait-elle n'octroyer le vote multiple aux seuls nationaux ? Ni la doctrine,
ni la jurisprudence n'ont eu à connaître de ce problème. De prime abord, rien n'empêche les
statuts de prévoir une discrimination entre les associés français et les autres. La SAS n'est-elle
pas régie pour une large part par la liberté contractuelle ?
Il semble cependant douteux que le pacte social puisse exclure les ressortissants d'un
Etat membre de l'Union européenne du bénéfice du droit de vote plural. Le droit
communautaire est en effet régi par un principe dit de "traitement national" d'après lequel les
étrangers originaires d'un Etat membre bénéficient des mêmes droits que les nationaux
(1213). Le législateur ne peut déroger à cette règle. A fortiori, la convention des parties est
tenue de la respecter.
En revanche, la question demeure entière pour les étrangers non communautaires. Le
Code civil, dans son article 11, pose un principe d'assimilation entre nationaux et nonnationaux. Ce texte semble donc a priori interdire les discriminations (1214). Cependant, le
droit des sociétés est la terre d'élection de la préférence nationale (1215). Les associés peuvent
(1211) Rappr. P. LE CANNU, Un nouveau lieu de savoir-faire contractuel : la société par actions simplifiée,
précité, spéc. n° 68.
(1212) V. par ex. cass civ 1ère 5 déc. 1972, JCP 1973 IV p. 29, par lequel la Cour de cassation approuve une Cour
d'appel d'avoir retenu la qualification de prêt, faute pour "l'associé" de participer à la gestion V. G. RIPERT, Prêt
avec participation aux bénéfices et sociétés en participation, Ann. Dr. comm. 1905 p. 53.
(1213) Art. 43 du traité de Rome du 25 mars 1957 (ex-58), pour les sociétés – sur cette question, V. not. S.
POILLOT-PERUZZETTO et M. LUBY, Le droit communautaire appliqué à l'entreprise, Dalloz, 1998, n° 447
et s.
(1214) en ce sens, Y. REINHARD, Rapport français sur l'étranger dans la vie des affaires, TAC t. 48,
L'étranger, 1997, p. 453 ; Y. GUYON, Les actionnaires étrangers, in Rapport moral sur l'argent dans le monde,
Montchrestien, 1998, p. 395, spéc. n° 5;
(1215) J.-P. DESIDERI, La préférence dans les relations contractuelles, PUAM, 1997, préf. J. MESTRE, n° 212
– adde, du même auteur, Les discriminations dans le choix de son cocontractant, Dr. et patrimoine mai 1998 p.
52, note 28 – adde, d'une manière générale, sur la réception par le droit de la théorie de la préférence nationale,
H. MOUTOUH, Le bon grain et l'ivraie. Brève histoire de la préférence nationale en droit français, D. 1999 p.
419.
CCXXIV
avoir un intérêt légitime à limiter le droit de vote dont dispose un associé non communautaire.
Le droit de suffrage étant la clé de voûte du pouvoir sociétaire (1216), la privation du bénéfice
du vote plural à l'étranger stricto sensu permettra de laisser le contrôle entre des mains
nationales, ou à tout le moins communautaires.
En définitive, les statuts d'une société par actions simplifiée peuvent valablement
calquer l'attribution du vote multiple sur les dispositions de l'article 225-123, et réserver cet
avantage aux ressortissants nationaux et des Etats membres de l'Union européenne. En aucun
cas, ils ne peuvent en exclure ces derniers. Cependant, rien n'empêche les fondateurs
d'octroyer le vote plural à tous les associés, quelle que soit leur nationalité.
Il convient également de s'interroger sur les sanctions attachées à la violation d'une
clause statutaire prévoyant un droit de vote plural ( 1217 ). L'article 227-9 du code de
commerce in fine, dont on a pu douter de l'utilité (1218), sanctionne par la nullité les décisions
des associés prises en violation des autres prescriptions de ce texte (1219). L'article 235-1,
alinéa 2, du code de commerce (ancien art. L. 360) (1220), prévoit la même sanction à
l'encontre des délibérations non modificatives des statuts qui violeraient une disposition
impérative du livre relatif aux sociétés ou un texte de même nature régissant les contrats. Rien
n'est donc prévu en cas de violation d'une clause statutaire (1221), ni dans le droit spécial de
la SAS, ni dans le droit commun des sociétés commerciales.
Néanmoins, deux arguments plaident en faveur de la nullité de la délibération
d'associés adoptée au mépris d'une stipulation statutaire.
En premier lieu, l'alinéa 1er de la l'article 227-9 abandonne à la liberté des fondateurs
la détermination des modalités et des formes de la décision collective. Or, ce texte est
(1216) infra.
( 1217 ) Ces violations pourront par exemple consister dans un décompte des voix selon le principe de
proportionnalité alors que les statuts ont prévu un droit de vote multiple au profit de certains associés.
(1218) P. LE CANNU, Le contentieux de la SAS - I : la nullité des décisions d'associé(s) fondée sur l'article
227-9, dernier alinéa, du Code de commerce, précité, spéc. n° 10 et s.
(1219) V. art. 227-9, alinéas 1er et 2, C. com. : "Les statuts déterminent les décisions qui
doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils
prévoient. Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et
ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de
réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de nomination de commissaires
aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les
statuts, exercées collectivement par les associés".
(1220) devenu l'article 235-1 du Code de commerce.
(1221) L. BORNHAUSER-MITRANI, La violation d'une clause statutaire, Petites affiches 8 avr. 1998 p. 11.
CCXXV
sanctionné par la nullité. Dès lors, il confère au pacte fondamental une valeur impérative.
Autrement dit, la nature impérative des statuts découle, par ricochet, de celle de la loi (1222).
De surcroît, il pourrait paraître choquant que les règles relatives à la SAS ne fussent jamais
sanctionnées, étant essentiellement d'origine statutaire. Cette forme sociale deviendrait ainsi
une zone de non droit (1223).
Le droit commun des nullités des délibérations de sociétés commerciales milite
également en faveur de la nullité d'une décision transgressant les statuts. En effet, l'alinéa 2 de
l'article 235-1 englobe parmi les causes de nullité la violation d'une disposition régissant les
contrats. Parmi celles-ci, figure la force obligatoire des conventions, donc des statuts, affirmée
à l'article 1134 du Code civil. Dès lors, la nullité d'une résolution adoptée au mépris de la
charte statutaire pourrait se fonder indirectement sur la méconnaissance d'une règle du droit
des contrats, conformément à l'article 235-1. Cette opinion est d'ailleurs défendue par nombre
d'auteurs (1224).
La jurisprudence accueille volontiers cette théorie (1225). Un arrêt est particulièrement
net à cet égard ( 1226 ). En l'espèce, une société, dont l'objet social s'étendait à "toutes
opérations concernant le théâtre, le cinéma, le music-hall ou les concerts, l'exploitation de
toutes salles de spectacles, l'acquisition, la prise à bail, la location et l'exploitation de tous
fonds de commerce nécessaires à la réalisation dudit objet", n'exploitait en réalité qu'une
seule salle de spectacles. D'abord mis en location gérance, ce fonds de commerce fut
finalement vendu au locataire gérant par un administrateur avec l'accord préalable de
l'assemblée générale ordinaire. Les minoritaires contestaient cette cession. Selon eux, en ce
(1222) rappr., P. LE CANNU, Le contentieux de la SAS - I : la nullité des décisions d'associé(s) fondée sur
l'article 227-9, dernier alinéa, du Code de commerce, précité, spéc. n° 20.
(1223) M. GERMAIN, Les clauses régissant le fonctionnement de la société, Cah. Dr. Entr. 4/1994 p. 11 – sur le
non-droit, M. DOUCHY, La notion de non-droit, RRJ 1992 p. 433 ; A. SERIAUX, Question controversée : la
théorie du non-droit, RRJ 1995 p. 15.
(1224) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, n° 2420 ; Y. GUYON, Rép. Sociétés, V° "Assemblées
d'actionnaires", 1984, n° 292 ; P.-L. PERRIN, La société par actions simplifiée. L'organisation des pouvoirs, op.
cit., n° 121. D'autres auteurs sont favorables à la nullité mais préfèrent la fonder sur le principe de la réparation
adéquate, l'auteur de la violation statutaire commettant une faute (B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento
pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 28328), ou y voir une solution contra legem (J.-P. LEGROS, La
violation des statuts est-elle une cause de nullité ?, Dr. Sociétés avr. 1991 p. 1). En revanche, une partie de la
doctrine, invoquant le système de nullités textuelles mis en place par le législateur de 1966, exclut cette sanction
en cas de violation d'une clause de la charte fondamentale (J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés
commerciales, t. 3, op. cit., n° 743 , J.-J. DAIGRE, Décisions collectives, précité, spéc. n° 96).
(1225) ex. cass com 6 mai 1974, D. 1975 p. 102, note Y. GUYON ; cass com 20 nov. 1991, Dr. Sociétés 1991 n°
17 (solutions implicites) – comp., pour une association, cass civ 1ère 27 juill. 2000, Rev. Sociétés 2001 p. 105,
note B. SAINTOURENS : "Vu l'article 1134 du Code civil ; la nullité de la délibération d'une assemblée
générale d'association résulte du seul fait que cette assemblée n'a pas respecté les règles statutaires relatives
aux modalités de vote" (souligné par nous).
(1226) cass com 24 juin 1997, Rev. Sociétés 1997 p. 792, note P. DIDIER.
CCXXVI
qu'elle compromettait la poursuite de l'objet social, l'opération relevait de la compétence de
l'assemblée générale extraordinaire, dont l'autorisation était d'ailleurs requise en vertu d'une
clause statutaire. La Cour d'appel fut séduite par ce raisonnement et annula en conséquence la
délibération d'assemblée générale ordinaire critiquée. Elle est approuvée par la Cour de
cassation, en ces termes : "l'arrêt, qui a reproduit, sans les dénaturer, les statuts de SEA et
duquel il résulte que M. Jean-Marie Fournier était président du conseil d'administration de la
société cessionnaire, JMFP, administrateur de la société cédante SEA et président du conseil
d'administration de son actionnaire majoritaire, la société Pleyel, a également retenu que le
seul actif de SEA, est représenté par le fonds de commerce de la salle Gaveau, et que
s'agissant d'une cession globale de l'actif de la société, l'article 53 de ses statuts attribue
expressément compétence à l'assemblée générale extraordinaire". La Chambre commerciale
raisonne en deux temps. Elle qualifie tout d'abord la cession litigieuse de cession d'actif social
( 1227 ). Elle tire ensuite les conséquences de cette qualification : les statuts prévoyant
l'autorisation de l'assemblée générale extraordinaire dans une telle hypothèse, l'assemblée
ordinaire était donc incompétente. En ce qu'elle réalisait une violation des statuts, sa décision
était nulle.
En définitive, il semblerait que la méconnaissance d'une stipulation statutaire soit une
cause de nullité. Toutefois, le doute est de nouveau permis à la suite d'un arrêt récemment
rendu par la troisième Chambre civile (1228), dans les circonstances suivantes. Dans une
société civile immobilière, un cogérant, non associé, avait été révoqué par l'assemblée
générale, à laquelle il n'avait pas participé. Or, les statuts prévoyaient la convocation du
dirigeant à l'occasion des réunions de l'organe délibérant. Dès lors, il invoqua la nullité de
l'assemblée l'ayant évincé, sur le fondement de la clause précitée ( 1229). Mais, la Cour
d'appel s'est montrée insensible à cet argument. Sa décision reçoit l'aval de la Haute
juridiction : "Après avoir relevé que les statuts prévoyaient que le gérant non associé était
convoqué aux assemblées des associés […], la Cour d'appel a retenu, à bon droit, que le non
respect des stipulations des statuts n'était pas sanctionné par la nullité". Autrement dit, pour
(1227) La Chambre commerciale estime que, du fait de la cession, la poursuite de l'objet social devenait
impossible. Elle tient compte par conséquent de l'objet social réel, de l'activité effectivement exercée par le
groupement. En cela, elle semble adopter une position plus nuancée que dans certains arrêts antérieurs – sur cette
question, V. infra
(1228) cass civ 3ème 19 juill. 2000, Becam, Bull. III n° 150 ; Bull. Joly 2001 p. 70, note L. GROSCLAUDE ;
RJDA 2000 n° 1122 ; RTD com. 2000 p. 963, obs. M.-H. MONSERIE-BON ; RJ com. 2001 p. 94, obs. D.
GIBIRILA ; JCP éd. E. 2000 p. 1641 ; Dr. Sociétés 2000 n° 170, obs. Th. BONNEAU ; BRDA 19/2000 n° 6.
(1229) Il invoquait également la violation de l'article 44 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, qui prévoit la
signature par le gérant du procès verbal de délibération
CCXXVII
les juges suprêmes, la violation de la charte sociétaire ne peut pas entraîner la nullité de la
décision collective (1230). Est-ce à dire qu'il faille désormais exclure une telle sanction en cas
de méconnaissance d'une clause statutaire ? Même si la formule employée par la Haute
juridiction semble dépourvue d'ambiguïté, ce n'est pas certain. En effet, en l'espèce, les statuts
se bornaient à prévoir la convocation du gérant à l'assemblée générale. Ils étaient donc
complètement autonomes par rapport à la loi, laquelle est muette sur la question de la
présence des dirigeants lors des réunions d'assemblées ( 1231). Admettre la nullité d'une
résolution violant des stipulations statutaires indépendantes de la loi rendrait impératif ce que
le législateur a abandonné à la volonté des fondateurs. En revanche, si les statuts complètent
une loi impérative, ils acquièrent par ricochet ce caractère et doivent être sanctionnés de la
même manière que la disposition obligatoire qu'ils amendent (1232). En d'autres termes,
l'arrêt de la troisième Chambre civile ne condamne pas la jurisprudence antérieure mais en
limite la portée aux clauses statutaires complétant des lois impératives. Dès lors, il semble
bien que la violation d'une stipulation du pacte social prévoyant un droit de vote multiple au
profit de certains associés doive être sanctionnée par la nullité.
Il reste à se demander quelle sera l'étendue du droit de vote dans le silence des statuts.
L'application de l'article 225-122 doit être écartée, dans la mesure où ce texte ne concerne pas
les sociétés par actions simplifiée. La question a été éludée par la doctrine (1233), et n'a pas, à
notre connaissance, été abordée par les tribunaux. Il semble cependant que les juges, dans
l'obligation de trancher les litiges (1234), appliqueront néanmoins l'article 225-122, d'autant
plus que l'article 1843-2 du Code civil est applicable à toutes les formes sociales à défaut de
dispositions contraires (1235).
L'augmentation statutaire du nombre de voix n'est donc pas inconnue du Droit positif.
Cependant, en ce qu'elle déroge au principe d'ordre public posé à l'article 225-122, elle n'est
(1230) en ce sens, P. LE CANNU, Le contentieux de la SAS - 1 : la nullité des décisions d'associé(s) fondée sur
l'article . 227-9, dernier alinéa, du Code de commerce, précité, spéc. n° 19, note 17.
(1231) L'article 1853 du Code civil prévoit seulement que "les décisions sont prises par les associés réunis en
assemblées".
(1232) Rappr. L. GROSCLAUDE, notes sous cass civ 3ème 19 juill. 2000, précité.
(1233) V. toutefois, D. VIDAL, La société par actions simplifiée. Commentaire de la loi n° 94-A du 3 janvier
1994, op. cit., n° 94.
(1234) Art. 4 C. Civ. – V. B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Introduction au droit, op. cit., n° 894.
(1235) Art. 1834 C. Civ. – Sur cette question, P. LE CANNU, Existe-t-il une société de droit commun ?, in
Prospectives du droit économique. Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999 p. 247. Il résulte d'ailleurs de
l'existence de ce texte une multiplication des sources du droit des sociétés, nuisible à la sécurité juridique V. B.
OPPETIT, La décodification du droit commercial français, in Mélanges René Rodière, Dalloz, 1981, p. 195,
spéc. n° 7.
CCXXVIII
permise que dans le cadre prévu par la loi. Il en est de même lorsque les statuts restreignent le
nombre de voix dont sera titulaire l'associé.
§2- Les restrictions statutaires du nombre des voix : la clause de plafonnement
des voix
Le plafonnement des voix dans les assemblées générales est peu fréquent en droit des
sociétés (1236). Ainsi, jusqu’à une loi du 14 décembre 1985, le nombre des droits de vote
était limité à 10 dans les assemblées constitutives de sociétés anonymes faisant appel public à
l’épargne (1237). De même, l’article 15-6, alinéa 4 de l’ordonnance du 2 novembre 1945
faisait interdiction aux SICAV de disposer de plus de 20% des droits de vote dans une même
société (1238) mais cette disposition a été également abrogée par une loi du 3 janvier 1979.
Le plafonnement des voix ne se rencontre en réalité que dans les sociétés anonymes,
les sociétés civiles et les sociétés par actions simplifiées. Dans les premières, il est régi et
strictement encadré par l'article 225-125 du code de commerce (ancien art. L. 177). En
revanche, dans les sociétés civiles et par actions simplifiée, la liberté contractuelle autorise les
statuts à prévoir une limitation du nombre des suffrages, l’étendue du droit de vote étant
abandonnée à la volonté des associés (1239).
L’article 225-125, dans sa rédaction issue de la loi n° 78-741 du 13 juillet 1978,
dispose que « les statuts peuvent limiter le nombre des voix dont chaque actionnaire dispose
dans les assemblées, sous la condition soit imposée à toutes les actions, sans distinction de
catégories autres que les actions à dividende prioritaire sans droit de vote ». Cette possibilité
existait déjà sous l’empire du droit antérieur ( 1240). Initialement conçue pour renforcer
l’affectio societatis et l’ « égalité arithmétique » entre les actionnaires (1241), cette faculté
( 1236 ) V. cependant les exemples de sociétés ayant inséré dans leurs statuts une clause statutaire de
plafonnement des voix : M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 831 ; adde, Les
actionnaires de Lafarge approuvent la limitation des droits de vote, Le Monde 22 juin 1989 p. 30.
(1237) Pour une critique de cette limitation, V. J. LEBLOND, Anachronisme de l’art. 82
(alinéa 1er) de la loi du 24 juillet 1966, Gaz. Pal.. 1977, 2, doctr. p. 551.
(1238) Sur ce plafonnement, R. et J. LEFEBVRE, Les assemblées générales d’actionnaires dans les sociétés
anonymes. Nouveau régime, éd. juridiques Lefebvre, 1968, n° 303.
(1239) M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 1516.
(1240) Sur le régime antérieur, V. J. LEBLOND, La limitation des voix dans les assemblées générales, Journ.
Sociétés 1956 p. 5.
(1241) Ph. BISSARA, P. DIDIER et Ph. MISSEREY, L’égalité des actionnaires : mythe ou réalité ?, Cah. dr.
entr. 5/1994 p. 18 ; V. aussi, envisageant la clause de plafonnement des voix sous cet angle, M. PERRINNEUNREUTHER, Permanence et renouvellement du principe d’égalité entre actionnaires, thèse Aix en
Provence, 1994, n° 425 ; J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans la société anonyme, op. cit., n° 328 et s.
CCXXIX
offerte aux rédacteurs de statuts est davantage utilisée désormais comme un moyen de défense
anti-OPA (1242). En effet, elle emporte un effet dissuasif, l’initiateur de ce mécanisme de
rachat ne pourra jamais détenir plus de voix que le maximum statutaire, quel que soit le
nombre de titres acquis. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la clause statutaire de limitation
des droits de vote a fait l'objet de vives critiques de la part des partisans de la corporate
governance (1243).
La clause de plafonnement des voix doit être distinguée de celle qui se borne à fixer un
seuil maximal de participation, que la jurisprudence valide sur le fondement de la liberté
contractuelle et qui ne pose pas de problème particuliers (1244).
Si la validité de la stipulation ne souffre pas la discussion (A), son efficacité réelle est
pour le moins sujette à caution ( B).
(1242) La clause de plafonnement des voix est mentionnée dans la plupart des études relatives aux mesures de
défense contre les OPA (V. ainsi, W. L. LEE et D. CARREAU, Les moyens de défense à l’encontre des offres
publique d’achat inamicale en France, D. 1988 chron. p. 15 ; D. BOULLET, La sauvegarde des sociétés face
aux offres publiques d'achat sauvages, JCP éd. E. 1998 p. 453 ; Th. VASSOGNE, Défenses anti-OPA, Banque,
févr. 1998, p. 39 – comp. R. VATINET, Les défenses anti-OPA, Rev. Sociétés 1987 p. 539 ), ainsi que dans les
ouvrages de droit boursier (par ex. J.-P. BERTREL et M. JEANTIN, Acquisitions et fusions de sociétés
commerciales, 2° éd., Litec, 1991, n° 363 et s. ; A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, éd.
Francis Lefebvre, 1999, n° 490 et s. ; Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE,
garantie de cours, retrait…, EFE, 1999, n° 176 et s.
(1243) sur ces critiques, infra.
(1244) CA Montpellier 17 déc. 1992, Bull. Joly 1993 p. 649, note A. COURET et P. LE CANNU, confirmé par
cass com 13 déc. 1994, RTD civ. 1995 p. 356, obs. J. MESTRE ; CA Versailles 8 juill. 1993, Bull. Joly 1993 p.
1024, note P. LE CANNU, confirmé sur ce point par cass com 13 févr. 1996, Bull. IV n° 50 ; Rev. Sociétés 1996
p. 781, note J.-J. DAIGRE ; Bull. Joly 1996 p. 392, note P. LE CANNU ; Dr. Sociétés 1996 n°136, obs. D.
VIDAL.
CCXXX
A. Une validité certaine
La validité résulte de la liberté contractuelle pour les sociétés civiles et par actions
simplifiées (1245) et des termes mêmes de l’article 225-125 du code de commerce pour la
société anonyme. En revanche, le pacte social d’une SARL ne pourra pas limiter l’étendue du
droit de suffrage, l’article 223-28 (ancien art. L. 58), instituant la même règle que l’article
225-122, étant d’ordre public. Une telle clause serait réputée non écrite.
Le champ d’application de l’article 225-125 étant ainsi circonscrit, il convient
d’examiner les dispositions qu’il prévoit.
En premier lieu, le texte fait référence à « l’assemblée ». Dès lors, l’interprète est
légitimement conduit à s’interroger. La limitation statutaire du nombre de voix doit-elle
s’appliquer à toutes les assemblées, ou peut-elle être limitée aux seules assemblées générales
ordinaires ou extraordinaires ? La jurisprudence ne s’étant, semble-t-il, jamais prononcée sur
la question, la doctrine est unanime pour admettre les distinctions selon la nature de
l’assemblée (1246). Autrement dit, l’actionnaire pourra voir ses voix plafonnées seulement
dans une catégorie d’assemblée. Mais la limitation pourra-t-elle trouver application dans une
assemblée constitutive d’une société anonyme faisant appel public à l’épargne ? Les auteurs, à
notre connaissance, ne se sont jamais penchés sur ce problème. De prime abord, on voit mal
pourquoi l’article 225-125 ne concernerait pas ce type d’assemblée. Mais, à la réflexion, un
doute surgit. En effet, la limitation des voix était expressément prévue par l’article L. 82,
alinéa 1er. Or ce texte a été abrogé par une loi du 14 décembre 1985. Par conséquent ne peuton pas faire valoir que le législateur a entendu exclure la possibilité de limiter statutairement
le nombre de voix dans les assemblées constitutives ? Quoi qu’il en soit, la question ne revêt
qu’un intérêt académique : il est fort douteux qu’en pratique les sociétés procèdent à une telle
(1245) L'article 225-125 étant expressément exclu par l’article 227-1, alinéa 2, (ancien art. L. 262-1), relatif à la
SAS, il convient de conclure que la liberté contractuelle autorise le plafonnement des voix dans cette forme
sociale. En effet, le principe de proportionnalité, défini à l’article 225-122, ne trouve pas application dans la
SAS ; les statuts peuvent organiser librement l’étendue du droit de vote, sous réserve de ne pas priver
l’actionnaire de sa prérogative fondamentale – sur la question de l'étendue du droit de vote dans les sociétés par
actions simplifiées, supra.
(1246) J. MESTRE, Lamy sociétés commerciales, op. cit., n° 3569 ; J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT,
Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 208 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés
commerciales, op. cit., n° 1888 ; A. COURET, Le plafonnement du droit de vote dans les sociétés anonymes, Dr.
et patrimoine févr. 1993 p. 50.
CCXXXI
limitation, compte tenu du caractère artificiel et anachronique de l'ancien article L. 82,
maintes fois dénoncé (1247).
Plus problématique est la fixation du plafond. Celui-ci peut être déterminé de plusieurs
manières. Les statuts peuvent par exemple prévoir un pourcentage ou un nombre maximal de
droits de vote ou adopter des modalités plus complexes (1248).
On peut également s'interroger sur la validité d'une clause attribuant une seule voix par
actionnaire, introduisant ainsi la règle coopératiste "un homme, une voix". Pour les uns, rien
n'interdit l'insertion d'une telle stipulation ( 1249 ). Pour les autres, à l'inverse, une telle
disposition est illicite, en ce qu'elle est la négation même du principe de proportionnalité
( 1250 ). Cette position doit être fermement approuvée. La société anonyme est et doit
demeurer une société de capitaux. Si les associés peuvent y renforcer l'intuitus personae, ils
ne doivent pas non plus dénaturer la nature du groupement. En d'autres termes, si des
aménagements statutaires de la règle de proportionnalité posée à l'article 225-122 du code de
commerce sont concevables, et validés d'ailleurs par la loi elle-même, ils ne peuvent en aucun
cas aboutir à supprimer celle-ci. En revanche, l'intuitus pecuniae n'étant pas de l'essence de la
société par actions simplifiée, rien ne semble interdire de prévoir une clause instaurant le vote
par tête (1251).
L'article 225-125 pose en outre une condition relative au respect de l'égalité entre
actionnaires. En effet, la limitation doit s'appliquer à toutes les actions, à l'exception des
actions à dividende prioritaire sans droit de vote (1252). Autrement dit, le pacte social ne peut
(1247) J. LEBLOND, Anachronisme de l’art. 82 (alinéa 1er) de la loi du 24 juillet 1966, précité, et les références
citées.
(1248) Pour des exemples, A. COURET, J. DEVEZE et G. HIRIGOYEN, Lamy droit du financement, op. cit.,
n° 1152 ; G. BOUILLET-CORDONNIER, Pactes d'actionnaires et privilèges statutaires, op. cit., n° 138.
(1249) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés,
op. cit., n° 167 et 168 ; J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans la société anonyme, op. cit., n° 331 ; P. LE
CANNU, Limitations du droit de vote et contrôle des sociétés anonymes. Réflexion sur la proposition modifiée
de Cinquième directive en droit des sociétés, Bull. Joly 1991 p. 263, spéc. n° 22.
(1250) J.-M. HAUPTMANN, Le droit de vote de l'actionnaire en droit français et en droit allemand, op. cit., p.
117 ; M. PERRIN-NEUNREUTHER, Permanence et renouvellement du principe d’égalité entre actionnaires.
Vers des principes d’égalité ?, op. cit., n° 428 ; A. COURET, Le plafonnement du droit de vote dans les sociétés
anonymes, précité.
(1251) M. GERMAIN et P.-L. PERRIN, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 155-2, 1995, n° 59 ; J.-J. DAIGRE,
Décisions collectives, précité, n° 80 ; J.-J. CAUSSAIN, Du bon usage de la SAS dans l'organisation des
pouvoirs, JCP éd. E. 1999 p. 1664.
(1252) Sur les difficultés d'interprétation suscitées par ce texte, J.-M. HAUPTMANN, Le droit de vote de
l'actionnaire en droit français et en droit allemand, op. cit., p. 118, note 1.
CCXXXII
pas restreindre le droit de suffrage attaché aux actions ordinaires et laisser les éventuelles
actions de priorité par exemple hors du champ d'application de la clause (1253).
A la lecture du texte, un problème apparaît, qui a vivement agité la doctrine. Le
législateur a-t-il subordonné la validité de la clause de plafonnement à une condition
supplémentaire, tenant au moment de son insertion dans les statuts ? En d'autres termes une
assemblée générale extraordinaire ultérieure pourrait-elle introduire une limitation à l'étendue
du droit de vote de l'actionnaire ? De prime abord, tant le principe d'omnipotence posé à
l'article 225-96 du code de commerce (ancien art. L. 153), qui autorise l'organe délibératif à
modifier les statuts dans toutes leurs dispositions, que la lettre même de l'article 225-125
militent en faveur d'une réponse affirmative (1254). Ce texte se borne à viser les statuts, sans
distinguer selon qu'il s'agisse du pacte originaire ou modifié en cours de vie sociale (1255).
Pourtant certains auteurs ont dénié à l'assemblée générale extraordinaire le droit
d'introduire une clause de plafonnement des voix dans la charte sociétaire. Ils ont avancé deux
arguments.
En premier lieu, l'article 225-123 du code de commerce, relatif au droit de vote
double, prévoit expressément la compétence de l'assemblée générale extraordinaire pour
attribuer ce privilège. Dès lors, le législateur, en ne visant que "les statuts" dans l'article 225125, aurait nécessairement exclu la possibilité de l'insertion d'une clause de plafonnement en
cours de vie sociale (1256). Ce raisonnement ne convainc pas. Comme on l'a fort justement
fait remarquer, la rédaction de l'article 225-123 est davantage motivée par le souci de modifier
une solution antérieure (1257). D'ailleurs, l'argument avancé est "assez spécieux et a peu de
chance d'être accueilli par un juge" (1258).
En second lieu, l'introduction d'une limitation statutaire du droit de vote en cours de
vie sociale poserait des problèmes d'ordre constitutionnel (1259) : elle s'analyserait en une
(1253) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 3604 ; R. et J. LEFEBVRE, Les assemblées
générales d'actionnaires. Nouveau régime, op. cit., n° 304.
(1254) Sur les problèmes de droit boursier posés par une introduction de la clause en cours de vie sociale, V.
infra.
(1255) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., loc. cit. ; J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT,
Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 207 ; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés
commerciales, op. cit., n° 1889 ; B. ESPESSON-VERGEAT, Le maintien du contrôle des sociétés
commerciales, op. cit., p. 206 ; F. MANSUY, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 139, 1994, n° 101.
(1256) V. les arguments présentés par M. de JUGLART et B. IPPOLITO, Traité de droit commercial 2° volume
Les sociétés, 2° partie, 3° éd., Montchrestien, 1982, n° 795-42 et s.
(1257) sur laquelle V. J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 200.
(1258) A. COURET, Le plafonnement du droit de vote dans les sociétés anonymes, précité.
(1259) La doctrine allemande a beaucoup réfléchi sur le problème de la constitutionnalité des atteintes au droit
de vote de l'associé. La discussion a été favorisée par le droit constitutionnel allemand, qui admet à l'inverse du
CCXXXIII
expropriation pour cause d'utilité privée. Du fait de la présence de la stipulation statutaire, une
partie des droits de vote de l'associé va être privée de toute efficacité. Or, le droit de suffrage
est rattaché à la propriété lato sensu visée à l'article 17 de la Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et fait à ce titre l'objet d'une protection
constitutionnelle (1260). Dès lors, l'insertion d'une clause statutaire de plafonnement par
l'assemblée générale extraordinaire, en portant atteinte au droit de vote, attenterait ainsi à la
propriété de l'action. Cet argument ne saurait convaincre (1261). L'expropriation pour cause
d'utilité privée n'est pas totalement inconnue du droit positif. Ainsi, l'article 23, alinéa 2, de la
loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 sur les procédures collectives permet au tribunal d'ordonner la
cession forcée des titres détenus par le dirigeant dès lors que la survie de l'entreprise l'exige
(1262). De surcroît, les modalités du contrôle de constitutionnalité en Droit français ne
permettent pas à cette thèse d'être invoquée devant un juge de droit commun. La question de
l'inconstitutionnalité des limitations du droit de vote ne pourrait être soulevée qu'à l'occasion
d'une réforme du droit des sociétés, à condition cependant qu'il y ait une volonté politique en
ce sens (1263).
Par conséquent, l'assemblée générale extraordinaire pourrait valablement introduire
une clause de plafonnement des voix en cours de vie sociale (1264). Mais la modification ne
pourrait s'opérer sans l'accord unanime des actionnaires. En effet, l'unanimité des voix des
apporteurs de capital est requise en cas d'augmentation de leurs engagements (1265). Or, la
jurisprudence la plus récente a tendance à assimiler cette notion avec celle de diminution des
Droit français, le contrôle de conformité par voie d'exception – sur cette question, J.-M. HAUPTMANN, Le
droit de vote de l'actionnaire en droit français et en droit allemand, op. cit., p. 102 et s.
(1260) Conseil constitutionnel, déc. 83-162 DC du 19 et 20 juillet 1983, Démocratisation du secteur public, RJC
p. 157 ; RDP 1986 §179 p. 474, ob. L. FAVOREU.
(1261) Rappr. J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans la société anonyme, op. cit., n° 332, note 1 bis ; A.
COURET, Le plafonnement du droit de vote dans les sociétés anonymes, précité.
(1262) sur ce point, V. not. J.-M. de BERMOND DE VAULX, Le sort des droits sociaux détenus par le
dirigeant d’une société en redressement ou en liquidation judiciaire, Rev. Sociétés 1990 p. 221.
(1263) Ainsi, la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques n'a fait l'objet
d'aucune saisine de la part de l'opposition parlementaire : M.-A. FRISON-ROCHE, La loi sur les Nouvelles
Régulations économiques, D. 2001 p. 1930.
( 1264 ) La jurisprudence, si elle ne s'est pas prononcée directement sur la question, a semblé admettre
implicitement la validité d'une clause insérée en cours de vie sociale (Trib. com. Nanterre 14 juin 1994, Quot.
Jur. 31 janv. 1995 p. 6). En l'espèce, le tribunal annule une limitation statutaire du nombre de voix, introduite par
une assemblée générale extraordinaire, au motif que la fixation de son plafond, en fonction du quorum, portait
atteinte à l'égalité entre actions. Il ne dénie pas à l'organe délibérant le droit d'introduire la clause en cours de vie
sociale.
(1265) Art. 1836 C. Civ. et art. 225-96 C. Com.
CCXXXIV
droits essentiels (1266). Le droit de vote ayant ce caractère (1267), la limitation ne pourrait
être introduite en cours de vie sociale qu'avec le consentement unanime de tous (1268).
En définitive, l'article 225-125 du code de commerce autorise la fixation d'un plafond
au nombre de voix dont peut disposer un même actionnaire. Il constitue le principal
fondement juridique à la licéité de cette clause. Cependant, si cette stipulation est sans
conteste valable, elle est relativement peu efficace.
B. Une efficacité limitée
De prime abord, la clause de plafonnement des voix est une mesure de défense antiOPA efficace, dans la mesure où son existence va dissuader l'agresseur de déclencher une
attaque. Quel que soit son investissement financier, il n'acquerra pas le contrôle dans la
société mais seulement le nombre maximal de voix prévu par les statuts (1269).
Bien que critiquée par la Commission des opérations de Bourse (1270), la stipulation
voit son efficacité renforcée par la possible prise en compte des actions détenues de concert
par un actionnaire. La question s'est posée de savoir si les statuts devaient limiter les voix aux
seules actions détenues à titre personnel ou s'ils pouvaient y assimiler celles d'un autre
actionnaire agissant de concert. Après quelques hésitations (1271), l'autorité boursière a opté
pour la seconde thèse (1272). Cette solution n'emporte pas l'adhésion (1273). En effet, l'action
(1266) sur cette jurisprudence, infra.
(1267) V., en dernier lieu, cass com 9 févr. 1999, Bull. IV n° 44 – sur cet arrêt, infra.
(1268) comp. J.-M. MOULIN, Le principe d'égalité dans la société anonyme, op. cit., n°335 ; J.-J. DAIGRE, D.
BOMPOINT et F. BASDEVANT, La prise de contrôle rampante. Définition du contrôle rampant. Politique de
harcèlement. Mesures préventives, Dr. Sociétés, Actes pratiques, mai-juin 2000, p. 11.
( 1269 ) A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, op. cit., n° 494 ; Th. BONNEAU et L.
FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours, retrait…, op. cit., n° 176 ; J.-B. BERTREL
et M. JEANTIN, Acquisitions et fusions de sociétés commerciales, op. cit., n° 363 ; W. L. LEE et D.
CARREAU, Les moyens de défense à l'encontre des offres publiques d'achat inamicales en France, précité,
spéc. n° 25.
(1270) Bull. COB mai 1985 p. 3.
(1271) Rapport COB 1989 p. 123 : "Les dérogations légales au principe selon lequel le nombre de voix attaché
aux actions est proportionnel à la quotité de capital qu'elle représentent [doivent] être interprétées
restrictivement. Or, si pour certaines dispositions de la loi sur les sociétés, il est expressément prévu, dans la
même loi, que doivent être assimilés aux titres détenus indirectement ou de concert, tel n'est pas le cas pour les
dispositions relatives à l'exercice du droit de vote".
(1272) Rapport COB 1992 p. 48
(1273) Rappr. B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 10653 ;
A. COURET, Le plafonnement du droit de vote dans les sociétés anonymes, précité ; D. SCHMIDT,
Plafonnement du droit de vote et OPA, RD bancaire et bourse 1994 p. 151 – contra, C. KOERING, La règle
"une action-une voix", op. cit., n° 559.
CCXXXV
de concert n'est pas un concept générique (1274), elle ne peut pas produire de conséquences
en dehors des cas prévus par la loi ou le règlement (1275). Or, l'article 225-125 n'y fait pas
référence. En conséquence, il y a lieu d'exclure les actions détenues de concert du calcul du
nombre de voix dont est titulaire un actionnaire.
Néanmoins, la limitation statutaire de l'étendue du droit de vote présente en réalité un
intérêt pratique faible. Son efficacité est circonscrite par plusieurs moyens.
En premier lieu, il est loisible à l'actionnaire de répartir ses titres entre plusieurs
représentants. Il échappe de cette manière au plafonnement de ses voix. En effet, la
jurisprudence refuse d'assimiler les suffrages émis par un actionnaire en son nom personnel et
en qualité de mandataire (1276). Cette solution, bien que rendue antérieurement à 1966, doit
être maintenue sous l'empire de la loi du 24 juillet 1966 et du nouveau code de commerce. De
nombreux arguments militent en faveur de la thèse du non-cumul. Tout d'abord, l'esprit même
du mandat conduit à exclure la prise en compte des suffrages émis en qualité de mandataire.
Ce contrat est régi par un principe de transparence : c'est le mandant qui est réputé conclure
l'acte pour lequel il a donné mandat. En d'autres termes, en la matière, si la théorie du cumul
était accueillie, l'exercice du droit de vote du mandant serait subordonné au nombre d'actions
détenues par son représentant. Il serait ainsi privé de la faculté de se faire représenter par
l'actionnaire de son choix (1277), comme l'y autorise l'article 225-106 du code de commerce
(ancien art. L. 161).
Ensuite, la prise en compte des voix émises en qualité de mandataire contredit l'esprit
même de la société anonyme, dont l'essence est l'intuitu pecuniae et non l'intuitu personae. La
limitation statutaire doit s'appliquer aux actions et non aux personnes.
Enfin, l'article 225-125 fait référence à l'actionnaire, et non au "membre de
l'assemblée". Par conséquent, ne peuvent être concernées par la limitation que les voix émises
(1274) en ce sens, CA Paris 20 févr. 1998, JCP 1998 II n° 10096, note J.-J. DAIGRE ; JCP éd. E. 1998 p. 705,
note A. VIANDIER ; Bull. Joly 1998 p. 622, note P. LE CANNU ; Bull. Joly Bourse et prod. fin. 1998 p. 233,
note S. ROBINEAU ; RTD com. 1998 p. 379, obs. N. RONTCHEVSKY ; D. affaires 1998 p. 540, obs. M.
BOIZARD ; Dr. Sociétés mai 1998 p. 16 ; Banque et droit mars avril 1998 p. 26, note H. de VAUPLANE ; Rev.
Sociétés 1998 p. 348, note Fr. BUCHER ; adde, A. COURET, Retour sur la notion de contrôle, RJDA 1998 p.
279 ; M.-A. FRISON-ROCHE, Le contrôle d’Havas par la Générale des eaux à la lumière du droit, Le Monde 3
mars 1998 p. 18 – sur cette affaire V. infra.
(1275) Art. 233-10 C. Com. (ancien art. L. 356-1-3) – sur les effets de l'action de concert, D. SCHMIDT et Cl.
BAJ, Réflexions sur les effets de l'action de concert, RD bancaire et bourse 1991 p. 182.
(1276) CA Paris 23 févr. 1957, D. 1958 p. 135, note F. GORE.
(1277) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 207 ; B. MERCADAL
et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 10652.
CCXXXVI
par l'actionnaire, du chef de ses propres titres. En sa qualité de mandataire, il n'est que
membre de l'assemblée (1278).
Certains auteurs ont tiré argument de la rédaction même de l'article 225-106 pour
retenir la thèse inverse ( 1279 ). Aux termes de cette disposition, "tout actionnaire peut
recevoir les pouvoirs émis par d'autres actionnaires en vue d'être représentés à une
assemblée, sans autres limites que celles résultant des dispositions légales ou statutaires
fixant le nombre maximal des voix dont peut disposer une même personne, tant en son nom
personnel que comme mandataire". Dès lors, ce texte autoriserait les statuts ou, en l'absence
de clause, l'assemblée, à tenir compte des voix émises en qualité de mandataire. Une telle
position ne peut convaincre. L'article 225-125, qui édicte une exception à un principe d'ordre
public, doit faire l'objet d'une interprétation restrictive. Il ne fait référence qu'à "l'actionnaire"
et non au mandataire. Par conséquent, les voix émises à titre de représentant doivent s'ajouter
aux voix émises par l'actionnaire en son nom propre. Toute clause contraire serait réputée non
écrite (1280). Bien que peu opportune sur un plan stratégique, cette solution est incontestable
au plan juridique.
L'efficacité de la limitation est de surcroît affaiblie par les statuts eux-mêmes, qui
l'assortissent fréquemment une clause de caducité (1281) Cette stipulation rend caduc le
plafonnement dès lors qu'est acquis le contrôle majoritaire, notamment en cas d'OPA (1282).
Cette solution est recommandée par la COB (1283). L’autorité boursière, peu favorable aux
limitations, avait en effet recommandé d’introduire ce mécanisme de caducité en cas de
franchissement du seuil des 2/3 des droits de vote par un ou plusieurs actionnaires agissant de
concert. D’ailleurs, plusieurs grandes sociétés cotées ont d’ores et déjà suivi ces
recommandations ( 1284 ). Toutefois, en l'absence de disposition statutaire expresse, la
(1278) R. et J. LEFEBVRE, Les assemblées générales d'actionnaires. Nouveau régime, op. cit., n° 304 ; F.
MANSUY, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 139, précité, spéc. n° 105 ; A. COURET, Le plafonnement du droit de
vote dans les sociétés anonymes, précité – V., déjà, sous l'empire du droit antérieur, J. LEBLOND, La limitation
des voix dans les assemblées générales, Journ. sociétés 1956 p. 5.
(1279) A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, op. cit., n° 492 ; M. JEANTIN, Droit des sociétés,
op. cit., n° 549, note 263 – adde, Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et
conventions entre associés, op. cit., n° 167.
(1280) A. COURET, Le plafonnement du droit de vote dans les sociétés anonymes, précité.
(1281) en ce sens, Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours,
retrait…, op. cit., n° 179 ; J.-J. DAIGRE, La prise de contrôle rampante. Définition du contrôle rampant.
Politique de harcèlement. Mesures préventives, précité.
(1282) La clause de plafonnement peut prévoir d'ailleurs elle-même sa propre caducité en cas d'OPA Le seuil
doit cependant être raisonnable : D. SCHMIDT, Plafonnement du droit de vote et OPA, précité.
(1283) Rapport COB 1993 p. 50
(1284) La clause de caducité figure dans les statuts de Danone en cas de franchissement du seuil des 2/3 (M.
COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 831).
CCXXXVII
limitation de l'étendue du droit de vote conserve son entier effet, faute de disposition légale en
ce sens. L'insertion d'une clause de caducité permet donc de concilier l'intérêt du marché, qui
postule le lancement d'offres publiques afin de sanctionner les dirigeants inefficaces, et celui
des actionnaires, que reflète l'existence de la clause (1285).
La conciliation des deux intérêts serait également assurée si l'initiateur de l'offre
subordonnait celle-ci à une condition. L'offrant propose ainsi de n'acquérir effectivement les
titres qu'en cas de suppression de la clause de plafonnement. Il n'y a donc pas entrave au
fonctionnement du marché. Les actionnaires sont libres d'opérer la suppression et ne le feront
que s'ils entendent accepter l'offre : leur intérêt est sauvegardé. Cependant, la réglementation
boursière devrait être modifiée en ce sens, puisque le principe de l'irrévocabilité de l'offre
publique interdit à l'initiateur d'assortir sa propositions de réserves ou de conditions (1286).
L'inefficacité de la clause pourrait être accrue si les minoritaires invoquaient son
introduction en cours de vie sociale pour demander une offre publique de retrait. Le Conseil
des marchés financiers peut en effet imposer aux actionnaires qui détiennent le contrôle de la
société de déposer un tel projet dès lors que sont envisagées des "modifications statutaires
significatives" ( 1287 ). La question est donc de savoir si l'insertion d'une clause de
plafonnement des voix par l'assemblée générale extraordinaire mérite cette qualification
( 1288 ). Dans l'affirmative, le coût financier de l'opération dissuaderait les majoritaires
d'introduire une limitation statutaire de l'étendue du droit de vote. La jurisprudence ne s'est, à
notre connaissance, jamais prononcée sur la question. La doctrine n'est guère plus prolixe
( 1289 ). Même si en théorie, les modifications significatives des statuts concernent tout
amendement apporté aux droits attachés aux actions, il semble douteux que le Conseil des
marchés financiers impose à une société introduisant une limitation statutaire des droits de
vote le dépôt d'une offre publique de retrait, faute de pouvoir déterminer avec précision son
(1285) D. SCHMIDT, Plafonnement du droit de vote et OPA, précité – adde, A. VIANDIER, Réglementation
des offres publiques et droit des sociétés, Bull. Joly Bourse et prod. fin. 1993 p. 7.
(1286) Art. 5-1-4, alinéa 2 du Règlement général du CMF – pour un exemple jurisprudentiel, V. CA Paris 13
juill. 1988, Holophane, D. 1989 p. 160, note P. LE CANNU – contra, C. KOERING, La règle "une action-une
voix", op. cit., n° 555.
(1287) Art. 5-6-6 du Règlement général du CMF.
(1288) Le même problème se pose en cas de suppression du droit de vote double.
(1289) V. cependant, Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de
cours, retrait…, op. cit., n° 179 ; A. COURET, Le plafonnement du droit de vote dans les sociétés anonymes,
précité.
CCXXXVIII
auteur. L'actionnariat de ces groupements est en pratique fort dispersé et le titulaire du
contrôle pas clairement établi (1290).
Pour pallier à cette inefficacité, les statuts prévoient parfois un autre type de
stipulations limitant le potentiel de vote : la clause d'ajustement des droits de vote (1291).
Cette disposition prévoit que chaque actionnaire dispose d'un pourcentage de voix
exprimables identique à celui que sa participation financière représente au regard du nombre
total des droits de vote. Concrètement, si l'apporteur de capital détient vingt pour cent des
voix existantes dans la société, il disposera de vingt pour cent des voix exprimables. Cette
technique permet donc de neutraliser les effets de l'abstention dans les assemblées (1292). Par
conséquent, ces clauses ne transforment pas les majoritaires en minoritaires mais assurent aux
majoritaires en capital la certitude d'emporter la décision lors de la réunion de l'organe
délibérant.
Pour le moment peu usitées en pratique, ces dispositions pourraient connaître un
certain essor si la Cinquième directive modifiée du 12 décembre 1991, qui prévoit la
suppression de la limitation des droits de vote était finalement adoptée (1293).
Comme nous l'avons vu, l'aménagement statutaire de l'étendue du droit de suffrage,
soit dans le sens d'une augmentation de vote, soit inversement dans un sens restrictif, n'est
possible que lorsque la loi le prévoit expressément. La liberté des parties réside donc dans la
possibilité d'y recourir ou à l'inverse d'appliquer strictement le principe d'ordre public visé à
l'article 225-122 du code de commerce. Cette rigidité explique vraisemblablement la faible
efficacité pratique de ces aménagements statutaires.
(1290) Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours, retrait…, op.
cit., loc. cit. ; F. BUCHER, note sous CA Paris 25 juin 1998, Rev. Sociétés 1999 p. 144.
(1291) J.-J. DAIGRE, D. BOMPOINT et F. BASDEVANT, La prise de contrôle rampante. Définition du
contrôle rampant. Politique de harcèlement. Mesures préventives, précité.
(1292) infra.
(1293) Sur ce texte, V. C. GAVALDA et G. PARLEANI, Droit des affaires de l'Union européenne, op. cit., n°
257 ; B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN et L. VOGEL, Droit commercial européen, 5° éd., Dalloz, 1994, n° 213
; D. RICHARD, L'organisation juridique interne de la S.A. dans la proposition modifiée de Cinquième directive,
Petites affiches 28 déc. 1994 p. 27 – pour une critique de cette suppression, P. LE CANNU, Limitations du droit
de vote et contrôle des sociétés anonymes. Réflexion sur la proposition modifiée de Cinquième directive en droit
des sociétés, précité. Le projet de Treizième directive, qui a finalement été rejeté par les parlementaires
européens (dépêche d'actualité 5 juillet 2001 sur http://www.juris-classeur.com) était demeuré silencieux sur les
mesures de protection contre OPA, n'envisageant que les mesures de défense : sur ce texte, V. not. E.
WYMEERSCH, Les défenses anti-OPA après la Treizième directive. Commentaire de l'article 8 de la future
directive, in Mélanges Jean Stoufflet, PU Clermont-Ferrand, LGDJ, 2001, p. 397 ; J.-J. DAIGRE, Projet de 13°
directive européenne sur les offres publiques d'acquisition, JCP éd. E. 2001 p. 28 ; L. FAUGEROLAS et Cl.
MALRIERE, La treizième directive sur les offres publiques d'acquisition, Bull. Joly Bourse et prod. fin. 2001 p.
431
CCXXXIX
En définitive, les conventions relatives à la jouissance du droit de vote, que celle-ci
soit qualitative ou quantitative, connaissent un accueil mitigé. Ceci s'explique sans doute par
le principe de l'intangibilité du droit de vote d'une part et par celui de la proportionnalité
d'autre part, auquel ces techniques portent atteinte. La liberté contractuelle ne permet pas de
déroger à ces règles, pierres angulaires du droit des sociétés. En revanche, celle-ci retrouve
une large place lorsqu'il s'agit d'envisager les conventions relatives à l'exercice du droit de
vote.
CCXL
CHAPITRE II : LES CONVENTIONS SUR L'EXERCICE DU DROIT DE
VOTE
"Au carrefour de la politique et du droit" (1294), les conventions portant sur l'exercice
du droit de vote sont les plus fréquentes en pratique. Contrairement aux cessions du droit de
suffrage, l'associé n'aliène pas sa prérogative fondamentale mais s'engage seulement à
l'exercer dans un sens déterminé. Doctrine et jurisprudence les nomment habituellement
conventions de vote ( 1295 ). Il s'agit des contrats par lesquels un ou plusieurs associés
s'obligent envers un ou plusieurs autres à voter lors des délibérations d'assemblées générales
dans un sens déterminé ou à s'abstenir (1296).
La convention est un contrat unilatéral. En effet, seule une partie est tenue, il n'y a pas
d'obligations mises à la charge des cocontractants (1297). D'ailleurs, la loi elle-même interdit,
sous peine de sanctions pénales, au moins dans les sociétés anonymes, la conclusion de
conventions de vote synallagmatiques ( 1298 ). Est-ce à dire que dans les autres formes
sociales, l'associé pourrait conclure une convention avec une contrepartie financière ? L'article
242-9, 3°, du code de commerce (ancien art. L. 440) est inapplicable, du fait du principe de
légalité qui régit le droit pénal. Néanmoins, il ne semble pas que l'apporteur du capital puisse
(1294) P. DIDIER, Les conventions de vote, Mélanges Jean Foyer, PUF, 1997, p. 341.
(1295) sur l'ensemble de la question, V. not. G. BERANGER, Les conventions relatives au droit de vote dans les
sociétés anonymes, thèse Paris, 1946 ; G. BEROLATTI, Le régime juridique des conventions portant sur le droit
de vote dans les sociétés, thèse Paris II, 1975 ; A. TUNC, Les conventions relatives au droit de vote et
l'organisation des sociétés anonymes, Rev. Gén. Dr. Comm. 1942 p. 97 ; Ch. FREYRIA, Etude de la
jurisprudence sur les convention portant atteinte à la liberté du vote dans les sociétés, RTD com. 1951 p. 419 ;
J. PENNEAU, De l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, JCP éd. CI n°
11776 ; A. VIANDIER, Observations sur les conventions de vote, JCP éd. E. 1986 I n° 14505 ; J. CALVO et G.A. de SENTENAC, Le praticien et les conventions de vote dans les sociétés, Petites affiches 24 oct. 1990 p. 4 ;
M. JEANTIN, Les conventions de vote, RJ com. nov. 1990 n° spécial, Stabilité du pouvoir et du capital dans les
sociétés par actions, p. 124 ; B. MERCADAL, Pour la validité des conventions de vote entre actionnaires,
RJDA 1992 p. 727; D. MARTIN, Comment contrôler efficacement ses investissements à travers les pactes
d'actionnaires. Conventions de vote, promesses d'achat à prix fixe et conventions de portage, Petites affiches 22
mai 1992 p. 16 ; J.-P. FERRET, Les pactes aménageant le processus décisionnel de la société, Cah. Dr. Entr.
1/1992 p. 32 ; M. STORCK, La réglementation des conventions de vote, RJ com. 1991 p. 97 ; P. DIDIER, Les
conventions de vote, précité ; A. VIANDIER, Après l'article de Michel Jeantin sur les conventions de vote, in
Prospectives du droit économique. Dialogue avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 311 ; A. CONSTANTIN,
Réflexions sur la validité des conventions de vote, in Mélanges Jacques Ghestin, Le contrat au début du XXI°
siècle, LGDJ, 2001, p. 253.
(1296) rappr. Trib. com. Marseille 8 sept. 1983, Rev. Sociétés 1984 p. 80, note J. MESTRE : "une convention de
vote est une convention par laquelle plusieurs associés ou actionnaires s'engagent réciproquement à voter dans
un sens déterminé lors des scrutins dont sortiront les décisions sociales, ou par laquelle un ou plusieurs associés
renoncent à prendre part à certains votes ou s'engagent à voter dans un sens déterminé".
(1297) Art 1103 C. civ. – sur les contrats unilatéraux, V. not. B. PETIT, J.-Cl. Civ., Art. 1101 à 1108, fasc. 1-2,
1997, n° 78 et s.
(1298) Art. 242-9, 3° C. Com. (ancien art. L. 440)– sur ce texte, infra.
CCXLI
monnayer son droit de vote. Celui-ci, on l'a vu, est hors du commerce. Seules certaines
conventions, à titre gratuit, sont autorisées. Le trafic du droit de suffrage dans les sociétés
autres que par actions est donc nul, pour illicéité de l'objet. Il ne sera cependant pas
sanctionné pénalement, faute de texte en ce sens.
La convention de vote met à la charge de l'associé contractant une obligation de faire,
ou de ne pas faire ( 1299 ). L'émission d'un suffrage consiste dans une prestation, en
l'occurrence voter dans un sens déterminé, ou dans une abstention.
La conclusion de ces contrats présente de nombreux intérêts pratiques. Ils permettent
notamment d'assurer une collaboration harmonieuse au sein d'une filiale commune.
Fréquemment, les sociétés mères insèrent dans les statuts de celle-ci une clause prévoyant une
répartition égalitaire des postes d'administrateurs. La jurisprudence valide de telles
stipulations (1300).
La doctrine voit dans ce problème "une des questions les plus irritantes du Droit
français" (1301). De fait, une incertitude pèse sur leur validité, compte tenu du silence de la
loi. Cependant, la liberté contractuelle conduit à les valider. La licéité des conventions de vote
résulte donc de l'application du droit des contrats (Section 1). Celui-ci paradoxalement vient
limiter leur efficacité (Section 2).
Section 1 : La validité de principe des conventions sur l'exercice du droit de
vote
La loi du 24 juillet 1867 n'avait pas abordé la question des conventions de vote. Dès
lors, les juges adoptaient des solutions pragmatiques, triant, selon les termes frappants d'un
auteur "le bon grain de l'ivraie" (1302). Autrement dit, ils validaient les conventions portant
sur une assemblée déterminée, n'entraînant pas une aliénation totale de la liberté de vote de
l'associé (1303) et annulaient celles qui avaient un caractère permanent (1304).
(1299) Rappr. D. SCHMIDT, Rapport de synthèse, RJ com. nov. 1990, n° spécial, Stabilité du pouvoir et du
capital dans les sociétés par actions, p. 175.
(1300) Trib. com. Paris 1er août 1974, Rev. Sociétés 1974 p. 685, note B. OPPETIT ; RJ com. 1975 p. 80, note
Y. CHARTIER ; RTD com. 1975 p. 130, obs. R. HOUIN – sur les filiales communes, infra.
(1301) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés,
op. cit., n° 287.
(1302) D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, PUAM, 1993, préf. J.
MESTRE, n° 96.
(1303) ex. Trib. com. Lyon 20 oct. 1902, Journ. sociétés 1903 p. 67 ; CA Rennes 28 oct. 1931, Journ. sociétés
1932 p. 275.
(1304) ex. CA Paris 22 févr. 1933, Journ. sociétés 1934 p. 223 ; DH 1933, 2, p. 258.
CCXLII
Cependant, un décret-loi du 31 août 1937 vint, à la surprise générale, sanctionner par
la nullité toutes les conventions de vote. Aux termes de son article 10, "[étaient] nulles et de
nul effet, dans leurs dispositions principales et accessoires, les clauses ayant pour objet ou
pour effet de porter atteinte au libre exercice du droit de vote dans les assemblées générales
de sociétés par actions" (1305). Pris à la lettre, ce texte interdisait la conclusion d'un contrat
portant sur l'exercice du droit de vote. Mais, profitant du silence du législateur sur la notion
d'atteinte, la jurisprudence maintint ses positions antérieures (1306).
Le décret-loi fut finalement abrogé par l'article L. 505. Néanmoins, la loi nouvelle est
demeurée muette sur la question des conventions de vote, se contentant de prévoir des
sanctions pénales à l'encontre des contrats conclus à titre onéreux. Certains y ont vu une
inadvertance du législateur (1307). Néanmoins, pour la majorité de la doctrine, par ce silence,
les pouvoirs publics ont entendu laisser aux juges le soin de distinguer entre les "bonnes" et
les "mauvaises" conventions de vote ( 1308 ). Par conséquent, la jurisprudence rendue
antérieurement à 1966 conserve toute sa valeur.
La tendance est cependant d'admettre de plus en plus largement la validité de ce type
de contrats. Même si aucun principe général de licéité ne peut en être dégagé (1309), la loi n°
85-705 du 12 juillet 1985, relative à l'autocontrôle (1310), et la loi n° 89-531 du 2 août 1989,
sur la sécurité et la transparence du marché financier ( 1311 ), ont semblé validé les
conventions de vote qui se recommandent de l'intérêt social. De même, la jurisprudence
récente a tendance à valider cette catégorie d'accords dès lors que certaines conditions sont
remplies.
(1305) sur ce texte, H. SOLUS, La réforme du droit des sociétés par les décrets-lois de 1935 et 1937, 1938, n°
307 et s. ; H. DECUGIS, Les modifications apportées au régime des sociétés par les articles 4 et suivants du
décret-loi du 31 août 1937, Journ. sociétés 1938 p. 65 ; H. BOSVIEUX, Des conditions restrictives à la liberté
du droit de vote dans les assemblées générales de sociétés par actions, Journ. sociétés 1939 p. 65 ; J.
ROUSSEAU, Le décret-loi du 31 août 1937 et les conventions sur le droit de vote, JCP 1939 I n° 118 ; A.
TUNC, Les conventions relatives au droit de vote et l'organisation des sociétés anonymes, précité.
(1306) V., validant une convention de vote, cass com 21 févr. 1949, Bull. III n° 93 ; CA Paris 17 déc. 1954, Gaz.
Pal. 1955, 1, p. 149, concl. LANCIEN ; Journ. sociétés 1955 p. 338.
(1307) G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1609.
(1308) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 171 ; J. PENNEAU,
De l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, précité, spéc. n° 9 – en ce sens,
CA Paris 20 oct. 1980, JCP 1981 II n° 19602, concl. M. JEOL et note F. TERRE ; Rev. Sociétés 1980 p. 779,
note A. VIANDIER.
(1309) Ph. MERLE, Droit commercial. Sociétés commerciales, op. cit., n° 314 ; Y. CHARTIER, Droit des
affaires, t. 2, op. cit., n° 53 ; A. VIANDIER, Observations sur les conventions de vote, précité ; M. STORCK, La
réglementation des conventions de vote, précité ; M. JEANTIN, Les conventions de vote, précité.
(1310) Art. 233-3, I, 2°, C. Com. (ancien art. L. 355-1) – sur la définition du contrôle, infra.
(1311) Art. 233-10 C. Com. (ancien art. L. 356-1-3) – sur l'action de concert, infra.
CCXLIII
Il convient toutefois d'admettre la validité des conventions de vote. Cette licéité n'est
que la conséquence du principe de liberté contractuelle qui régit le droit privé français. Mais,
à l'instar de tout contrat, l'accord relatif au droit de suffrage devra remplir un certain nombre
de conditions de validité. Autrement dit, si la licéité des conventions de vote résulte du droit
des contrats (§1), celui-ci vient également encadrer cette validité (§2). C'est également le droit
commun qui vient sanctionner les contrats mal formés (§3).
§1- Une validité affirmée
La liberté contractuelle autorise la conclusion de conventions sur le sens du vote émis
par l'associé à l'occasion d'une délibération d'assemblée générale (A). Ce fondement
contractuel n'est pas sans conséquences (B).
A. Le fondement de la validité
Les conventions de vote mettent en conflit deux libertés. En premier lieu, est
concernée la liberté contractuelle, affirmée par l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil. En
second lieu, c'est la liberté de vote, corollaire du droit essentiel qu'est le droit de vote, qui est
en cause (1312). Cette dialectique est difficile à résoudre (1313).
Sont donc en opposition, non le droit des contrats et le droit des sociétés (1314), le
droit de vote étant d'origine contractuelle, dont l'attribution est régie par le droit des contrats,
mais le contrat et l'institution. En effet, le vote est un élément du processus d'élaboration de la
volonté sociale ; à ce titre, il doit être émis en pleine connaissance de cause, en pleine
indépendance intellectuelle (1315). Cette finalité sociétaire tendrait à interdire les conventions
portant sur l'exercice du droit de vote.
La liberté contractuelle, qui découle du principe libéral de l'autonomie de la volonté et
qui implique le droit de déterminer le contenu du contrat (1316), connaît un certain renouveau
(1312) V. encore, affirmant la nature d'ordre public du droit de vote de l'associé, cass com 9 févr. 1999, Bull. IV
n° 44 – sur cet arrêt, infra.
(1313) Rappr. D. SCHMIDT, Rapport de synthèse, précité.
(1314) M. GERMAIN, La renonciation aux droits propres des associés : illustrations, in Mélanges François
Terré, L'avenir du Droit, PUF-Dalloz-Litec, 1999 p. 401.
(1315) sur cette question, infra.
(1316) M.-L. IZORCHE, La liberté contractuelle, in R. CABRILLAC, M.-A. FRISON-ROCHE et Th. REVET,
Libertés et droits fondamentaux, 6° éd., Dalloz, 2000, p. 547.
CCXLIV
en droit des sociétés (1317). La pratique se plaint souvent du manque de flexibilité de cette
matière (1318). Face à ce besoin de souplesse de la règle de droit, on assiste à un recul certain
de ce qu'un auteur a nommé "ordre privé impératif" (1319), tant en jurisprudence (1320) qu'en
législation (1321).
En outre, la liberté affirmée par l'article 1134 du Code civil fait l'objet d'une protection
constitutionnelle indirecte, par le biais de la liberté individuelle. Ainsi, le Conseil
constitutionnel a-t-il affirmé que "le législateur ne saurait porter à l'économie des
conventions et contrats légalement conclu une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse
manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789" (1322). Autrement dit, bien que la liberté contractuelle ne soit pas protégée
per se (1323), des atteintes trop manifestes compromettraient la liberté de faire tout ce qui ne
nuit pas à autrui, affirmée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
du 26 août 1789.
Nombreux sont donc les auteurs qui ont proposé d'admettre la validité de principe des
conventions de vote au nom de la liberté contractuelle (1324), sous réserve que les conditions
de validité dégagées par la jurisprudence au fil des espèces soient remplies. Le rapport Marini
sur la modernisation des sociétés commerciales reprend cette solution (1325).
(1317) Sur les relations entre liberté contractuelle et droit des sociétés, V. not. G. GOFFAUX, Du contrat en
droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit des sociétés, thèse Nice, 1999 ; S.
SCHILLER, Les limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés, thèse Paris II, 1999.
(1318) en ce sens, Ph. BISSARA, L’inadaptation du droit français des sociétés aux besoins des entreprises et les
aléas des solutions, Rev. Sociétés 1990 p. 553 ; M. JEANTIN, Droit des obligations et droit des sociétés,
Mélanges Louis Boyer, 1996, p. 318 ; Cl. CHAMPAUD, Le contrat de société existe-t-il encore ? in L.
CADIET (sous la direction de), Le droit contemporain des contrats , Economica, 1987, p. 125.
( 1319 ) J. MESTRE, L'ordre public dans les relations économiques, in Th. REVET (sous la direction
de) L’ordre public à la fin du XXe siècle , Dalloz, 1996, p. 33.
(1320) V. ainsi validant un pacte de préemption statutaire au profit de deux actionnaires, au mépris du principe
d'égalité, cass com 15 févr. 1994, Bull. Joly 1994 p. 508, note D. VELARDOCCHIO.
(1321) loi n° 94-1 du 3 janv. 1994 sur la société par actions simplifiée – V. supra.
(1322) déc. n° 98-401 DC 10 juin 1998, RTD civ. 1998 p. 797, obs. N. MOLFESSIS ; RTD civ. 1999 p. 78, obs.
J. MESTRE.
(1323) Le Conseil constitutionnel refuse de reconnaître la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle (déc.
n° 94-948 DC 3 août 1994, JCP 1995 II n° 22404 ; déc. n° 97-388 DC 20 mars 1997, RTD civ. 1998 p. 416, obs.
J. MESTRE ; plus nuancée, V. déc. 96-385 DC 30 déc. 1996, RTD civ. 1997 p. 416, obs. J. MESTRE) – sur
l’ensemble de la question, V. Ph. TERNEYRE, Le législateur peut-il abroger les article 6 et 1123 du Code
civil ? Sur la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle, Mélanges Gustave Peiser, PUG, 1995, p. 473.
(1324) J. MESTRE et alii, Synthèse des actes du colloque de Deauville, RJ com. 1991 p. 30 ; M. JEANTIN, Les
conventions de vote, précité ; J. BONNARD, L'influence des principes généraux du droit des contrats en matière
de pactes d'associés, in Prospectives du droit économique. Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 139.
(1325) Ph. MARINI, La modernisation du droit des sociétés, La Documentation française, 1996, p. 65 et s. – sur
cette proposition, J. PAILLUSSEAU, Enfin un statut juridique adapté pour les PME-PMI !, in J.-J. DAIGRE
(sous la direction de), La modernisation du droit des sociétés. Premières réflexions sur le rapport Marini, éd.
GLN-Joly, collection Pratique des affaires, 1996, n° 35 et s.
CCXLV
Une partie de la doctrine a même proposé d'admettre en toutes circonstances la licéité
des conventions de vote, sans qu'il ne soit besoin de poser des conditions de validité (1326).
Selon eux, seul doit être examiné le vote émis en exécution du contrat. En d'autres termes, si
la convention conduit l'associé a émettre un suffrage contraire à l'intérêt social alors la
délibération qui en résulte sera annulée sur le fondement de l'abus de majorité. Dans le cas
contraire, la résolution doit produire toutes ses conséquences. Par conséquent, seul importe le
résultat concret du contrat, indépendamment de son contenu. Cette position a
incontestablement le mérite de s'inscrire dans l'évolution générale du droit privé français. En
effet, le droit contractuel contemporain a tendance à privilégier la phase d'exécution du
contrat par rapport à la période de formation. En d'autres termes, les juges valident a priori de
nombreux contrats, et examinent ensuite si leur exécution est conforme à la bonne foi
contractuelle, posée par l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (1327). Ainsi, par exemple, la
Cour de cassation sanctionne l'indétermination du prix dans les contrats-cadre de distribution
non plus par la nullité du contrat mais par sa résolution ou par une indemnisation (1328).
Cependant, ce raisonnement ne convainc pas. Il part d'un postulat erroné selon lequel
la conformité à l'intérêt social serait pour la jurisprudence la seule condition à la licéité de la
convention de vote. Or, les tribunaux ne se fondent pas uniquement sur ce critère pour annuler
ou au contraire valider le contrat. Ainsi, sont nulles les conventions qui ont pour objet ou pour
effet de porter atteinte à la libre révocation des administrateurs (1329). Dès lors, sauf à vider
de sa portée la règle de la révocabilité ad nutum, un juge ne saurait valider un contrat relatif à
l'exercice du droit de vote qui y porterait, fût-ce indirectement, atteinte. La convention est
nulle par elle-même, peu importe que le vote émis à la suite de son exécution soit ou non
abusif.
La jurisprudence la plus récente tend à se prononcer en faveur de la validité de
principe des conventions sur l'exercice du droit de suffrage (1330). Un arrêt rendu par la Cour
( 1326 ) B. MERCADAL, Pour la validité des conventions de vote entre actionnaires, précité ; A.
CONSTANTIN, Réflexions sur la validité des conventions de vote, précité.
(1327) sur cette tendance, V. D. FERRIER, Les apports au droit commun des obligations, in CEDIP (sous la
direction de), La détermination du prix : nouveaux enjeux. Un après les arrêts de l'Assemblée plénière, Dalloz,
1997, p. 49 ; Ch. JAMIN, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l'article 1134 du Code
civil, Dr. et patrimoine mars 1998 p. 46 ; M.-L. IZORCHE, La liberté contractuelle, précité.
(1328) cass Plén. 1er déc. 1995, JCP 1996 II n° 22565, concl. M. JEOL, note J. GHESTIN ; RTD civ. 1996 p.
153, obs. J. MESTRE.
(1329) infra.
(1330) Trib. com Paris 4 mai 1981, RJ com. 1982 p. 7, note P. de FONTBRESSIN ; Trib. com. Paris 12 févr.
1991, Bull. Joly 1991 p. 593, note M. JEANTIN ; CA Paris 30 juin 1995, JCP éd. E. 1996 II n° 795, note J.-J.
DAIGRE ; RTD civ. 1996 p. 893, obs. J. MESTRE ; Dr. Sociétés 1995 n° 198, obs. D. VIDAL.
CCXLVI
d'appel de Paris dans l'affaire Métaleurop est particulièrement significatif ( 1331 ). Les
circonstances étaient les suivantes.
Un protocole avait été signé entre une société financière et ses filiales, d'une part, et la
société Métaleurop, d'autre part. Cet accord visait à organiser la prise de contrôle par
Métaleurop d'une société holding à constituer à laquelle la société financière apporterait un
certain nombre d'actifs. Trois étapes étaient prévues. Dans un premier temps, Métaleurop
devait acquérir 47 pour cent du capital de la holding. Ensuite, la société financière s'engageait
à autoriser une augmentation du capital de la société de portefeuille, pour un montant de huit
millions de francs et à céder ses droits préférentiels de souscription pour la même somme à
Métaleurop. Du fait de cette mesure, la participation de celle-ci dans le capital de la société
holding passerait à 51 pour cent et lui permettrait ainsi d'en détenir le contrôle. Mais
Métaleurop contesta la valeur juridique de son engagement relatif à l'augmentation de capital
et soutint, à titre subsidiaire, que celui-ci était nul, étant constitutif d'une convention de vote.
La Cour de Paris rejette son argumentation en deux temps. Dans un premier temps, elle
accorde pleine valeur juridique à l'accord souscrit puis reconnaît sa validité en tant que
convention de vote au motif que "aucune disposition législative ou réglementaire ne prohibe
en soi de telles conventions". Pour les juges, l'engagement litigieux n'emporte pas cession du
droit de suffrage mais simplement restriction de la liberté de vote pour une opération précise.
En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une convention emportant transfert du droit de vote mais
simplement d'un contrat portant sur son exercice. Faute de texte l'interdisant expressément,
l'accord litigieux est donc valable. Les magistrats parisiens reconnaissent ainsi la validité de
principe des contrats portant sur l'exercice du droit de suffrage. Puisque aucun texte ne vient
les prohiber, la liberté contractuelle retrouve son empire et les accords de vote sont
parfaitement valables.
Toutefois, on peut s'interroger sur la question de savoir si la réaffirmation de la
primauté du droit de vote par la Chambre commerciale (1332) est de nature à remettre en
cause cette licéité. En l'espèce, la Haute juridiction considère que "tout associé a le droit de
participer aux décisions collectives et de voter et que les statuts ne peuvent déroger à ces
dispositions". La Cour de cassation interdit donc au pacte social de priver l'associé de sa
prérogative fondamentale. A fortiori, un pacte extra-statutaire ne pourrait prévoir une telle
spoliation. Mais, la formule employée par les Hauts magistrats laisse à penser que si les
(1331) CA Paris 30 juin 1995, précité.
(1332) cass com 9 févr. 1999, précité.
CCXLVII
statuts, ou un accord extra-statutaire, ne sauraient priver complètement un associé de son droit
de suffrage, expression de sa participation au processus décisionnel, ils pourraient à tout le
moins aménager le sens du vote, sous réserve de ne pas priver l'apporteur de sa prérogative
essentielle. La licéité de principe des conventions de vote n'est ainsi pas remise en cause
(1333).
Ainsi affirmée, la validité de ce type d'engagement n'est pas sans emporter plusieurs
conséquences.
B. Les conséquences du fondement retenu
Le droit privé français des contrats a consacré un principe de consensualisme (1334).
Les seules conditions de validité des conventions sont celles énumérées à l'article 1108 du
Code civil. La règle découle de l'autonomie de la volonté et donc de la liberté contractuelle.
Puisque les parties ont l'entière liberté de conclure toutes sortes d'accords, sous réserve de
respecter des conditions de validité, elles n'ont pas à formaliser leurs engagements dans un
document écrit. Il n'en sera autrement que si le législateur l'a expressément prévu. Autrement
dit, le consensualisme est la règle, le formalisme l'exception (1335).
En droit des sociétés, le silence du législateur sur la question des conventions relatives
à l'exercice du droit de suffrage interdit de faire de la forme une condition de leur validité.
Puisque la licéité résulte de la liberté contractuelle, et d'elle seule, la forme que revêt
l'engagement de vote est indifférente. Du moment qu'elle remplit certaines conditions (1336),
la convention sera licite sans que le juge n'ait à examiner sa forme.
Par conséquent, le contrat pourra être écrit ou non écrit, individuel (1337), porter sur
l'ensemble des décisions d'une assemblée générale déterminée ou sur seulement une série de
questions limitativement énumérées (1338).
(1333) Rappr. A. CONSTANTIN, Réflexions sur la validité des conventions de vote, précité, spéc. n° 10 ; C.
MORIN, Un an après : les questions posées par l'arrêt "Château d'Yquem", Petites affiches 14 juill. 2000 p. 11 ;
M. GERMAIN, Le droit de vote, Petites affiches 4 mai 2001 p. 8.
(1334) sur ce consensualisme, V., not. dans les ouvrages de droit des obligations, J. GHESTIN, La formation du
contrat, op. cit., n° 363 et s. ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n°
121 et s.
(1335) V. sur cette question, M. GRIMALDI et alii, Journées Jacques Flour. Le formalisme, Defrénois 2000 p.
865.
(1336) sur lesquelles, infra.
(1337) On peut assimiler à cet accord contractuel stricto sensu des engagements dont la juridicité est faible tels
les engagements d'honneur ou les "paroles de président". Bien que le contrat soit purement moral, les parties se
sentent liées, ce qui ne nuit pas à l'efficacité de l'accord : V. D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-
CCXLVIII
De même, la liberté contractuelle interdit au juge de faire de la publication de la
convention une condition de sa validité. Un auteur a néanmoins soutenu le contraire (1339).
Selon lui, le vide juridique qui entoure la matière permet aux tribunaux de subordonner la
licéité à une nouvelle condition, tenant à son caractère secret ou ostensible. Plus exactement,
la transparence ferait présumer la conformité à l'intérêt social, alors que l'opacité serait de
nature à poser une présomption contraire. Cette opinion ne convainc pas. En premier lieu, la
transparence ne peut être une condition de validité d'une convention sauf dans le cas où le
législateur l'a prévu (1340). De surcroît, un tel critère semble par trop formaliste, et plus
proche de la "transparence-chicane" que de la "transparence-cristal", selon la formule
frappante du Doyen Carbonnier (1341). La publication d'une convention de vote est parfois
imposée par le législateur lorsque cet accord est constitutif d'une action de concert (1342).
Certes, on a pu envisager la publication de toutes les conventions de vote mais cette
divulgation a été proposée afin d'en renforcer l'efficacité et non comme condition de validité
(1343).
A ce stade de la réflexion, une question se pose : la convention de vote pourrait-elle
être tacite, c'est à dire résulter d'un parallélisme de comportements de certains associés au sein
des assemblées générales ? Autrement dit, peut-on déduire de l'attitude d'un apporteur de
capital l'existence d'un contrat ? En droit privé français, il peut arriver que l'existence d'un
contrat soit constatée propter partes, sans que les parties aient eu véritablement conscience de
contracter (1344). Autrement dit, le juge va déduire du comportement des contractants une
convention tacite, une volonté implicite de s'engager dans les liens contractuels (1345). Ainsi,
statutaires entre associés, op. cit., n° 98 ; A. VIANDIER, Observations sur les conventions de vote, précité ; B.
OPPETIT, L’engagement d’honneur, D. 1979 chron. p. 45.
(1338) Pour une typologie de la forme des conventions, V. not. M. JEANTIN, Les conventions de vote, précité,
spéc. n°12 et s.
(1339) M. STORCK, La réglementation des conventions de vote, précité – Rappr. F. MASQUELIER, Le vote en
droit privé, thèse Nice, 1999, n° 304.
(1340) Les juges ne prononcent toutefois la nullité de la convention que si le manquement à l'obligation de
transparence a eu une incidence sur le consentement du contractant : V., en matière de concession, cass com 10
févr. 1998, RTD civ. 1998 p. 356, obs. J. MESTRE ; en matière de cession de fonds de commerce, ex. cass com
10 mai 1982, Bull. IV n° 166.
(1341) J. CARBONNIER, Propos introductifs, RJ com. nov. 1993, n° spécial, La transparence, p. 9.
(1342) Art. 233-10 C. Com. (ancien art. L. 356-1-3) – pour des exemples de décisions des autorités de marché,
V. A. VIANDIER, Après l'article de Michel JEANTIN sur les conventions de vote, précité, spéc. n° 7.
(1343) Rapport Marini, op. cit., p. 67 J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op.
cit., n° 171 – sur cette publication V. infra.
(1344) sur ce phénomène, A. LAUDE, La reconnaissance par le juge de l'existence d'un contrat, PUAM, 1992,
préf. J. MESTRE, n° 575 et s.
(1345) ex. cass civ 1ère 8 oct. 1963, Bull. I n° 419 – sur cette question, B. FAGES, Le comportement du
contractant, PUAM, 1997, préf. J. MESTRE, n° 48 et s. ; N. VIGNAL, Lamy Droit du contrat, Fasc. 140, La
rencontre des consentements - Cas particuliers, 1999, n° 140-142.
CCXLIX
en droit de la concurrence, la qualification d'entente prohibée pourra résulter d'un parallélisme
de comportements entre les entreprises. Ainsi, pour retenir l'existence de la pratique concertée
interdite par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (actuellement art. 420-1, C.
Com.), la Cour de cassation a-t-elle estimé que "les éléments dont disposaient les sociétés
pétrolières provenant d'informations relatives à l'évolution des prix sur le marché auquel
elles ont accès et observations sur le marché corse en raison de leur position de fournisseur,
leur permettaient nécessairement de savoir que les alignements qu'elles observaient, et qui
présentaient d'ailleurs un caractère ostensible et systématique, ne pouvaient provenir que
d'actions concertées des autres distributeurs ; […] le parallélisme des comportements, qui ont
amené les sociétés pétrolières pour les stations qu'elles exploitaient par mandataire à
pratiquer systématiquement des prix de détail identiques à ceux des autres distributeurs, ne se
justifiait ni par les caractéristiques du marché, conduisant au contraire à une dispersion des
prix de revient, ni par les coûts d'exploitation nécessairement spécifiques à la gestion par
mandataire ; […] ce comportement traduisait le renoncement des sociétés pétrolières à suivre
une politique commerciale autonome et s'expliquait par leur choix délibéré de coopérer, en
fait, aux ententes formées par les autres distributeurs auxquelles elles ont tacitement mais
volontairement adhéré" (1346).
Cela étant, il ne semble pas que la convention de vote puisse résulter d'un simple
parallélisme de comportements entre des associés au sein des assemblées générales. Le
principe de la liberté de vote s'y oppose. En l'absence de convention expresse contraire, cette
règle a vocation à retrouver son empire. De surcroît, les conséquences financières parfois
lourdes attachées aux conventions de vote, tenant à la reconnaissance éventuelle d'une action
de concert, interdisent de déduire de votes identiques émis par plusieurs associés l'existence
d'un tel contrat. La majorité de la doctrine et la jurisprudence des autorités boursières refusent
d'ailleurs de tenir compte de l'identité de vote pour reconnaître l'existence d'une action de
concert (1347).
Ainsi affirmée, la validité de principe des conventions sur l'exercice du droit de vote
n'est toutefois pas un blanc seing donné aux associés. En d'autres termes, la licéité de ce type
de contrats est encadrée.
(1346) cass com 8 oct. 1991, RTD civ. 1992 p. 756, obs. J. MESTRE – Rappr. Cons. Concurr. 22 mars 1989,
RTD civ. 1992 p. 755, obs. J. MESTRE.
(1347) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 1890 ; P. LE CANNU, L'action de concert, Rev.
Sociétés 1991 p. 675, spéc. n° 20 ; D. MARTIN et A. VIANDIER, Lexique de l'action de concert, RJDA 1992 p.
239 ; D. LEBLANC, Franchissements de seuils. Pactes d'actionnaires. Action de concert, Bull. Joly 1990, n° 11
bis, p. 29.
CCL
§2- Une validité encadrée
Pour être valable, tout contrat doit respecter un certain nombre de conditions,
énumérées à l'article 1108 du Code civil. Ainsi, les contractants devront être capables de
conclure une convention et devront émettre un consentement. Les obligations issues du
contrat devront avoir un objet et une cause déterminables et licites (1348). De la même
manière, l'article 6 du Code civil dispose que "on ne peut déroger par des conventions
particulières aux règles qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs". Autrement dit, la
licéité de toute convention est subordonnée au respect de certaines règles. La liberté
contractuelle n'est en aucun cas synonyme d'anarchie.
En matière de conventions de vote, la jurisprudence exige que soient remplies
plusieurs conditions. L'engagement doit avoir été pris en connaissance de cause, être limité à
une opération déterminée et être conforme, à tout le moins non contraire, à l'intérêt social, et
ne doit pas être l'instrument d'une fraude à une règle impérative ( 1349). En réalité, les
tribunaux ne font qu'appliquer au domaine des sociétés les exigences générales du droit des
obligations. Celui-ci est donc à même de protéger suffisamment la liberté de vote de l'associé.
Les limites à la validité des engagements sur le sens du suffrage sont posées par le droit
commun, et non par le droit des sociétés. Celui-ci vient seulement en préciser le contenu. Par
conséquent, pour être valables, à l'instar de tout contrat, les conventions de vote devront
remplir deux séries de conditions. Les unes sont étrangères à l'ordre public (I) ; les autres
permettent de vérifier leur conformité à celui-ci (II).
I. Le respect des conditions de validité des contrats étrangères à l’ordre public
Si la licéité de la cause et de l'objet permettent de vérifier la conformité du contrat à
l'ordre public, la capacité des parties, la nécessité d'un consentement, la détermination de
l'objet et l'existence de la cause sont étrangères à cette exigence. Si la première condition ne
suscite pas de difficultés particulières, il n'en va pas de même pour les trois autres (A, B et C).
(1348) sur les conditions générales de validité des contrats, V. not. F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE,
Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 73 et s.
(1349) CA Paris 30 juin 1995, précité.
CCLI
A. La nécessité du consentement
Le Code civil exige pour qu'un contrat soit valablement formé qu'un consentement
existe et qu'il soit donné en parfaite connaissance de cause. Si l'existence d'une manifestation
de volonté, émanant du véritable contractant, ne suscite pas de difficultés particulières en
matière de conventions de vote ( 1350 ), il n'en va pas de même de l'exigence d'un
consentement libre et éclairé.
Le législateur, d'une manière générale, n'impose pas seulement aux parties d'émettre
une volonté. Encore faut-il que celle-ci soit le résultat d'une réflexion interne, destinée à
mesurer les avantages et inconvénients de la convention, à en évaluer la portée. En d'autres
termes, le consentement donné doit être précédé d'une délibération entre le contractant et sa
conscience (1351). L'article 1109 du Code civil pose ce principe a contrario puisque il
requiert un consentement exempt de vices. Bien que les fondements de cette règle aient été
discutés (1352), la doctrine s'accorde à y voir une conséquence de l'autonomie de la volonté
(1353). Pour que la volition emporte toutes ses conséquences, encore faut-il qu'elle soit libre
et éclairée .
De fait, la jurisprudence subordonne fréquemment la validité des conventions portant
sur l'exercice du droit de vote à cette exigence d'un consentement donné librement. Ainsi,
pour la Cour de Rennes, un tel contrat échappe à la nullité s'il a été pris en connaissance de
cause (1354). De même, selon le tribunal de commerce de Paris, l'accord de vote est valable
dès lors que l'actionnaire a été pleinement informé des conséquences de son engagement
(1355).
Les auteurs analysent souvent cette condition de validité des conventions de vote à la
lumière de l'approche institutionnelle du droit de suffrage (1356). Au moment où il exerce sa
prérogative fondamentale, l'associé doit bénéficier d'une information suffisante destinée à
(1350) V., s'agissant d'autres accords extra-statutaires, D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extrastatutaires entre associés, op. cit., n° 210 et s.
(1351) sur ce principe, V. F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 196
et s. ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, t. 1, op. cit., n° 198 et s.
(1352) sur ce débat, J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 45 et s.
( 1353 ) F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 199 ; Ph.
MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les obligations, op. cit., n° 400 – plus nuancé, J. GHESTIN,
Traité de droit civil. La formation du contrat, op. cit., n° 473.
(1354) CA Rennes 28 oct. 1931, Journ. sociétés 1932 p. 275 ; adde, dans le même sens, CA Paris 30 juin 1995,
précité.
(1355) Trib. com. Paris 4 mai 1981, précité.
(1356) sur cette approche, infra.
CCLII
l'éclairer sur la portée de son geste (1357). Dès lors que l'on admet la licéité des orientations
conventionnelles du sens du suffrage, celles-ci peuvent valablement être analysées comme des
émissions anticipées du vote, antérieurement au scrutin. Mais, lié contractuellement, l'associé
ne pourra pas utiliser les informations préalables et concomitantes aux débats de l'assemblée
générale, afin d'avoir une perception plus aiguë de l'intérêt social. Dans ces conditions, pour
que la convention soit valable, l'apporteur devra bénéficier d'une information équivalente au
moment de sa conclusion, afin que sa vision de l'intérêt du groupement n'en fût pas modifiée
(1358).
Le recours à l'analyse institutionnelle pour justifier l'exigence prétorienne d'un
consentement libre et éclairé à la convention n'est donc pas d'une grande utilité. Le droit des
contrats suffit à poser cette condition. Dès lors, la protection de l'associé qui s'engage dans de
tels liens contractuels est assurée par les règles du droit commun (1359).
L'existence d'un consentement libre et éclairé n'est pas la seule condition de la validité
d'un contrat. L'obligation doit également avoir un objet déterminé ou, à tout le moins,
déterminable.
B. La nécessité d'une détermination de l’objet
Le Code civil est pour le moins imprécis lorsqu'il envisage l'objet (1360). Les textes
envisagent tantôt l'objet de l'obligation (1361), tantôt l'objet du contrat (1362), tantôt l'objet de
(1357) sur l'obligation d'information préalable et concomitante aux débats, infra.
(1358) G. GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit
des sociétés, thèse Nice, 1999, n° 344 ; Ch. FREYRIA, Etude de la jurisprudence sur les conventions portant
atteinte à la liberté du vote dans les sociétés, RTD com. 1951 p. 419 ; D. MARTIN, Conventions de vote.
Promesses d'achat à prix fixe et conventions de portage, Petites affiches 22 mai 1992 p. 16 – adde, en ce sens,
cass com 8 mai 1963, JCP 1963 II n° 13882, obs. J.R., rejetant le pourvoi formé contre CA Paris 4 mai 1960, D.
1960 p. 637, note A. DALSACE ; S. 1961 p. 12, note J. SCHAPIRA, censurant une convention de vote conclue
au sein du conseil d'administration, au motif que "les administrateurs prenaient ainsi, par avance,
irrévocablement, pour une période de temps illimitée, dans l'ignorance et même au mépris de la survenance
éventuelle d'éléments d'appréciation nouveaux, un engagement personnel de vote […] contraire aux règles
fondamentales selon lesquelles les administrateurs d'une société anonyme doivent pouvoir se faire à tout
moment, en conscience, une opinion de l'intérêt social et exprimer cette opinion par un vote librement émis" ; sur
cette question, V. M. TARSAC, Les conventions de vote au conseil d'administration de la société anonyme,
Banque 1967 p. 546.
(1359) A. CONSTANTIN, Réflexions sur la validité des conventions de vote, précité, spéc. n° 11 – rappr. CA
Poitiers 24 mars 1998, RTD com. 1999 p. 679, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
(1360) sur ces imprécisions terminologiques, V. not. J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du contrat,
op. cit., n° 675 et s. ; J. CAYRON et B. FAGES, Lamy Droit du contrat, fasc. 215, L'indétermination et l'illicéité
de l'objet, 1999, n° 215-5.
(1361) Art. 1129 C. Civ.
CCLIII
la prestation (1363). La doctrine s'accorde cependant à penser que le législateur a entendu par
objet du contrat ou de la prestation l'objet des obligations nées du contrat, celui-ci n'ayant que
des effets (1364).
L'objet ainsi délimité se définit comme étant la prestation due au titre de l'exécution de
la convention (1365). Bien qu'il varie selon la volonté des parties, il se ramène toujours à l'une
des trois catégories visées par l'article 1101 : donner, faire ou ne pas faire. Cet objet doit être
possible, licite (1366) et être déterminé.
L'exigence de détermination de l'objet est formulée à l'article 1129 aux termes duquel
"il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce. La
quotité de la chose peut être incertaine pourvu qu'elle puisse être déterminée" (1367). Bien
qu'il emploie le terme "chose", le texte vise toutes les obligations (1368), y compris celles de
faire et de ne pas faire (1369) et pas seulement les obligations ayant pour objet une chose.
La doctrine est abondante sur la question de la détermination de l'objet dans les
obligations monétaires (1370). En revanche, le problème suscite peu de commentaires lorsque
le contrat donne naissance à une obligation de faire ou de ne pas faire (1371).
Dans ce cas, l'objet est déterminé lorsque les parties ont fixé avec précision quelle est
la prestation exactement due par chacune d'elles (1372). Celle-ci doit être définie tant dans
son contenu que dans son étendue. Si l'obligation issue du contrat est une abstention, celle-ci
devra être strictement délimitée : la convention qui verrait un contractant s'abstenir de ne
jamais accomplir tel acte serait nulle pour indétermination de l'objet. De même, un accord qui
(1362) Art. 1130 C. Civ.
(1363) Art. 1108 C. Civ.
(1364) G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil. Les obligations, t. 1, op. cit., n° 171 ; Ph. MALAURIE et L.
AYNES, Cours de droit civil. Les obligations, op. cit., n° 485.
(1365) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "objet".
(1366) Sur l'exigence de licéité de l'objet en matière de conventions de vote, infra.
(1367) pour les fondements de cette exigence, M.-L. ENGELHARD-GROSJEAN, La détermination de l'objet
dans les contrats, Annales de la faculté de droit et de science politique de Clermont-Ferrand, t. 13, 1976, p. 441,
n° 2 et s.
(1368) A. SERIAUX, Droit des obligations, op. cit., n° 27, note 331 ; Ch. LARROUMET, Droit civil, t. 3, op.
cit., 390.
(1369) En revanche ce texte ne vise pas les obligations monétaires puisqu'il ne concerne pas le prix : cass Plén.
1er déc. 1995, JCP 1996 II n° 22565, concl. M. JEOL, note J. GHESTIN ; RTD civ. 1996 p. 153, obs. J.
MESTRE.
(1370) V. not. dans le domaine des accords de cession de droits de droit sociaux, B. WERTENSCHLAG, Prix
déterminable et cession de droits sociaux, JCP éd. E. 1991 I p. 503 ; A. COURET, F. PELTIER et J. GUILLOT,
La maîtrise du risque d'indétermination du prix dans les cessions d'actions, Dr. Sociétés, Actes Pratiques, n° 2,
1992.
(1371) V. cependant, F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 284 ;
A. BENABENT, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 155 ; G. J. MARTIN et P. STEICHEN, J.-Cl. Civil, Art.
1126 à 1130, fasc. 10, 1996, n° 20 ; J. CAYRON et B. FAGES, Lamy Droit du contrat, fasc. 215,
L'indétermination et l'illicéité de l'objet, précité, n° 215-53 et s.
(1372) Ainsi, par exemple, est nulle pour indétermination de l'objet la convention par laquelle un contractant
s'oblige à "faire un geste" : cass com 28 févr. 1983, RTD civ. 1983 p. 746, obs. F. CHABAS.
CCLIV
verrait l'une des parties s'obliger à effectuer toute prestation, sans en fixer le contenu ni les
limites, encourrait la nullité sur ce même fondement (1373).
Cette exigence de détermination de l'objet de l'obligation fait écho à la jurisprudence
rendue en matière de conventions de vote (1374). En effet, les juges estiment généralement
que l'engagement doit porter sur une résolution déterminée (1375). Par exemple, un associé ne
pourrait valablement s'engager à voter dans le même sens que ces co-associés (1376) ou à ne
jamais voter contre une modification statutaire (1377). De tels accords sont "antinomiques
avec la qualité d'associé" ( 1378 ). En effet, dans ce cas, la convention entraînerait une
soumission aveugle de la part de l'apporteur de capital, incompatible avec la liberté de vote, et
équivaudrait à une aliénation du droit de suffrage (1379).
A la réflexion, il est possible de fonder cette condition de validité du contrat tenant à
son caractère spécial sur l'exigence de détermination de l'objet posée par le droit commun.
En tant que convention, l'accord de vote doit nécessairement avoir un objet déterminé,
conformément aux prescriptions de l'article 1129. L'associé contractant doit connaître
exactement la portée et le contenu de son engagement. Le contrat devra donc impérativement
prévoir la résolution au cours de laquelle le vote sera émis. A défaut, l'engagement de
l'associé ne sera pas délimité dans son étendue. Il aurait un caractère général et par voie de
conséquence un objet indéterminé. L'apporteur ne connaîtrait pas au moment de la conclusion
de la convention la portée exacte de son geste. De la même manière, un associé ne pourrait
jamais s'engager conventionnellement à ne jamais participer à une délibération (1380) ; son
obligation aurait un objet indéterminé.
(1373) A. BENABENT, Droit civil. Les obligations, op. cit., loc. cit.
(1374) Rappr. J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 217, note 4 ; F.
MANSUY, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 139-1, 1994, n° 121.
(1375) Trib. com. Lyon 20 oct. 1902, Journ. sociétés 1903 p. 67 ; Trib. com. Seine 9 déc. 1920, Journ. sociétés
1924 p. 515 ; CA Rennes 28 oct. 1931, précité ; CA Paris 30 juin 1995, précité
(1376) Trib. com Marseille 28 mars 1952, RTD com. 1953 p. 132 ; Trib. com. Seine 24 janv. 1963, Journ. des
agréés 1963 p. 106, note J. BRICART.
(1377) CA Paris 22 févr. 1933, DH 1933, 2, p. 258 ; Journ. sociétés 1934 p. 223.
(1378) A. VIANDIER, Observations sur les conventions de vote, précité.
(1379) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 743 ; J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT,
Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 217 ; L. GODON, Les obligations des associés, Economica, 1999, n° 308
; D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 107 ; Ch. FREYRIA,
Etude de la jurisprudence sur les conventions portant atteinte à la liberté du vote dans les sociétés, précité.
(1380) CA Paris 22 févr. 1933, précité.
CCLV
L'associé doit avoir consenti à l'engagement de vote, lequel doit avoir un objet
déterminé. L'accord doit en outre, à l'instar de tout contrat, être causé.
C. La nécessité de l'existence de la cause
Le Code civil, dans son article 1131, dispose que "l'obligation sans cause, ou sur une
fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet". Autrement dit, toute
obligation, pour être valable, doit avoir une cause, traditionnellement définie comme "l'intérêt
de l'acte juridique pour son auteur" (1381).
Dans les contrats synallagmatiques, la doctrine enseigne traditionnellement que
l'existence de la cause s'apprécie par référence au concept de cause objective (1382). Les
mobiles qui ont animé les parties lors de la conclusion du contrat sont indifférents. La cause
de l'obligation d'un contractant réside dans l'existence de l'obligation de l'autre, ou selon
certains auteurs, dans l'exécution effective de celle-ci ( 1383 ). Si la contrepartie existe,
l'obligation est causée. Dans le cas contraire, elle est privée de cause. Cette approche est
également celle de la jurisprudence majoritaire (1384).
L'appréciation de l'existence de la cause dans les contrats unilatéraux est plus délicate.
Les auteurs se sont peu intéressés à ce problème ( 1385 ). Par hypothèse, la cause de
l'obligation ne peut résider dans l'existence de l'obligation de son cocontractant. Elle ne peut
donc être totalement objective et devra être recherchée dans un élément extérieur au contrat.
Par exemple, en matière de cautionnement, la cause de l'obligation de la caution doit être
trouvée dans la volonté de voir le débiteur principal bénéficier d'un avantage de la part du
créancier (1386).
(1381) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "Cause".
(1382) V. not. F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 321 ; B.
STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil. Les obligations, t. 2, op. cit., n° 840.
(1383) sur cette approche, supra.
(1384) ex. cass civ 1ère 25 mai 1988, Bull. I n° 149 : "la cause des obligations d'une partie réside, lorsque le
contrat est synallagmatique, dans l'obligation de l'autre" ; cass civ 3ème 1er mars 1989, JCP 1989 IV p. 176 :
"dans les contrats synallagmatiques, la cause de l'obligation de chacune des parties est l'engagement pris par
son cocontractant" – comp. cass civ 1ère 3 juill. 1996, Bull. I n° 287 ; D. 1997 p. 300, note Ph. REIGNE, RTD
civ. 1996 p. 901, obs. crit. J. MESTRE.
(1385) V. cependant, F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 324 et
s. ; A. BENABENT, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 155 et surtout H. CAPITANT, De la cause des
obligations, 3° éd., Dalloz, 1927, n° 26 et s.
(1386) cass com 8 nov. 1972, D. 1973 p. 753, note Ph. MALAURIE – sur cette question, M. CABRILLAC et C.
MOULY, Droit des sûretés, 5° éd., Litec, 1998, n° 98 et s. ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, Droit civil. Les
sûretés. La publicité foncière, 2° éd., Dalloz, 1995, n° 68 et s.
CCLVI
A l'instar de tout contrat, l'obligation de voter dans un certain sens, ou de s'abstenir,
doit obéir aux prescriptions de l'article 1131 et par conséquent avoir une cause. En quoi celleci peut-elle consister ? La convention de vote étant un contrat unilatéral, il conviendra donc de
s'attacher à rechercher un élément extérieur qui lui sert de fondement. Le contrat est conclu
afin d'orienter le vote d'un associé au sein d'un organe social. Dès lors, sa raison d'être se
trouve dans l'existence de la personne morale et plus précisément dans l'exercice de la
prérogative de gouvernement de l'associé. Or, celle-ci permet à l'apporteur d'exprimer sa
conception de l'intérêt social. Dans ces conditions, il apparaît que la cause de l'engagement de
vote se trouve dans la satisfaction de ce dernier. En d'autres termes, un engagement conclu au
mépris de cet intérêt sera privé de cause (1387).
L'examen de la jurisprudence fait apparaître deux séries de motifs subséquents à la
conclusion de ce type de contrat. La convention est conclue soit dans le but d'assurer un
fonctionnement harmonieux de la société (1388) voire du groupe (1389), soit dans le désir de
voir renflouer le groupement en délicatesse financière (1390). Dans ce cas, elle est valable. Si,
en revanche, les parties avaient en vue la satisfaction d'un intérêt égoïste, tel le maintien
artificiel d'un associé au poste d'administrateur ( 1391 ), alors la convention sera illicite.
Autrement dit, dès lors que le contrat vise à satisfaire un intérêt supérieur, il est licite car
pourvu d'une cause. En revanche, si seul un intérêt personnel est poursuivi, il ne l'est pas, en
étant privé.
Ce rattachement à la théorie de la cause éclaire d'ailleurs sous un jour nouveau une
controverse doctrinale. De nombreux auteurs se demandent si la convention de vote doit être
conforme à l'intérêt social, ou simplement ne pas lui porter atteinte. Pour les uns, le principe
(1387) Rappr. Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre
associés, op. cit., n° 92 – contra, G. GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat,
instrument d'adaptation du droit des sociétés, op. cit., n° 346, qui rattache la condition tenant à la conformité de
la convention à l'intérêt social à l'illicéité de la cause – Rappr. cass com 28 mars 2000, JCP IV n° 1889 ; JCP éd.
E. 2000 p. 875, qui fait référence à l'intérêt social comme cause licite d'un engagement social.
(1388) Trib. com. Seine 11 janv. 1938, Affaire du journal "L'œuvre", Journ. sociétés 1938 p. 301, note H.
BOSVIEUX. ; CA Paris 17 nov. 1954, Gaz. Pal. 1955, 1, p. 149, concl. LANCIEN ; Journ. sociétés 1955 p. 338 ;
Trib. com. Paris 1er août 1974, RTD com. 1975 p. 130, obs. R. HOUIN; Rev. Sociétés 1974 p. 685, note B.
OPPETIT ; RJ com. 1975 p. 80, note Y. CHARTIER.
(1389) Trib. com. Marseille 8 sept. 1983, Rev. Sociétés 1984 p. 80, note J. MESTRE – sur la question de la prise
en compte de l'intérêt du groupe en matière d'abus de biens sociaux ou d'abus de majorité, supra.
(1390) CA Douai 24 mai 1962, D. 1962 p. 688, note A. DALSACE ; RTD com. 1963 p. 114, obs. R. HOUIN ;
JCP 1962 II n° 12871, note D. BASTIAN ; Rev. Sociétés 1963 p. 69, note E. du PONTAVICE – adde, sur cet
arrêt, P. BOSVIEUX, De la validité des clauses tendant à harmoniser les rapports entre groupes d’actionnaires,
Journ. Soc. 1963 p. 65 ; Trib. com. Paris 4 mai 1981, précité ; CA Paris 30 juin 1995, précité.
(1391) ex. cass com 14 mars 1950, JCP 1950 II n° 5694, note D. BASTIAN, annulant l'engagement d'un
cessionnaire d'actions à soutenir à l'assemblée générale la candidature du cédant au poste d'administrateur.
CCLVII
demeurant la liberté de vote, la dérogation doit impérativement être dictée par l'intérêt social
et y être conforme (1392). Pour les autres, à l'inverse, il suffit que l'accord soit neutre, qu'il
n'ait pas de conséquences néfastes pour le groupement, pour être validé (1393). La liberté
contractuelle implique simplement de ne pas porter atteinte à l'intérêt social. Cette opinion ne
convainc pas. Dès lors que la liberté contractuelle fonde la licéité des conventions relatives à
l'exercice du droit de suffrage, il y a lieu d'appliquer les règles du droit des obligations,
notamment celles tenant à l'existence de la cause. Dans ces conditions, la convention devra
nécessairement avoir une cause et donc satisfaire l'intérêt social. Le débat n'est toutefois
qu'académique (1394). Dans tous les cas, la personne qui invoque la nullité de la convention
devra en définitive prouver la conformité de la convention à l'intérêt de la société.
A la lumière de ce critère, simple application au domaine des sociétés de l'exigence
posée à l'article 1131 du Code civil, on peut s'interroger sur la validité d'un engagement de
vote qui assortirait une convention de portage. En effet, en pratique, le porteur, seul associé,
conclura fréquemment un accord de vote annexe avec le donneur d'ordre, animé d'un véritable
affectio societatis. Cet engagement est-il valable ? Du moment que l'on fait de la conformité à
l'intérêt social la cause de la convention de vote, il y a lieu de conclure par la négative. La
convention est conclue dans l'intérêt exclusif du donneur d'ordre et ne satisfait nullement
l'intérêt de la société. En outre, le porteur, qui a la qualité d'associé, accède seul aux
assemblées et pourra dès lors conduit à émettre un suffrage en exécution du contrat en
contradiction directe avec l'intérêt social, tel qu'il aura été dégagé lors des débats. La doctrine
retient cependant majoritairement la thèse inverse et admet la validité de cet engagement de
vote accessoire à la convention de portage (1395). Mais, cet accord aménageant le droit de
(1392) D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 208 ; M.
PERRIN-NEUNREUTHER, Permanence et renouvellement du principe d’égalité entre actionnaires. Vers des
principes d’égalité ?, thèse Aix en Provence, 1994, spéc. n° 445 ; C. RUELLAN, La loi de la majorité dans les
sociétés commerciales, thèse Paris II, 1997, n° 480 ; F. MASQUELIER, Le vote en droit privé, op. cit., n° 299.
(1393) G. GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit
des sociétés, op. cit., n° 346 ; A. VIANDIER, Observations sur les conventions de vote, précité ; M. JEANTIN,
Les conventions de vote, précité, spéc. n° 20 – comp., la rédaction de l'article L. 355-1.
(1394) A. VIANDIER, Après l'article de Michel Jeantin sur les conventions de vote, in Prospectives du droit
économique. Dialogue avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 311, spéc. n° 13.
(1395) V. en ce sens, F.-X. LUCAS, Les transferts temporaires de valeurs mobilières. Pour une fiducie de
valeurs mobilières , Bibl. dr. priv. t. 283, LGDJ, 1997, n° 250 et s. ; M. JEANTIN, Conventions de portage et
droit des sociétés , RD bancaire et de la Bourse 1991 p. 122 ; B. TREILLE, Les conventions de portage , Rev.
Sociétés. 1997 p. 721 – adde, TGI Lille 28 oct. 1986, Rev. Sociétés 1987 p. 600, note Cl. WITZ : "dans une
convention de portage, le porteur ne prend la qualité d'actionnaire non pas pour en exercer les prérogatives
financières ou de gouvernement, mais dans le seul but de rendre au donneur d'ordre le service convenu. C'est
ainsi qu'il est d'usage de convenir que si le porteur vient à encaisser les dividendes, ceux-ci s'imputeront sur le
prix de rachat en déduction de son montant, c'est ainsi encore que le porteur, qui ne poursuit aucun intérêt
propre dans la société dont il est l'actionnaire, y vote dans le sens que son cocontractant lui indique " – plus
CCLVIII
vote du porteur n'est qu'un élément secondaire de la convention de portage, il n'en est pas la
condition essentielle, sans laquelle les parties n'auraient pas contracté. L'illicéité de
l'engagement sur le sens du suffrage du porteur ne rejaillit donc pas sur le portage lui-même
(1396).
Ce rattachement à la théorie de la cause de la conformité à l'intérêt social étant opéré,
il reste à s'interroger sur le contenu exact de ce concept.
S'il constitue le fondement de l'intervention du juge dans la vie des groupements
( 1397 ), l'intérêt social, du fait de son caractère plastique ( 1398 ), permet également
l'assouplissement du droit des sociétés. C'est un facteur d'infléchissement de la norme (1399).
La doctrine est prolixe sur la notion, d'autant que la question se situe au cœur des
débats sur la corporate governance. Cependant, la controverse a essentiellement porté sur
l'éventuelle inclusion dans l'intérêt social de l'intérêt des créanciers ou des salariés (1400). En
revanche, l'intérêt social a suscité peu de développements doctrinaux lorsqu'il s'est agi de
déterminer son contenu exact. Est-ce l'enrichissement de la société ou la simple sauvegarde de
son patrimoine ? Doit-il être apprécié à court ou à long terme ? La référence à la jurisprudence
pénale rendue en matière d'abus de biens sociaux est de ce point de vue éclairante (1401).
Le code de commerce sanctionne pénalement les dirigeants de sociétés anonymes ou
de SARL qui, de mauvaise foi, feraient des biens ou du crédit de la société un usage qu'ils
savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnels ou pour favoriser une entreprise
dans laquelle ils étaient intéressés directement ou non (1402). "[L']approche pour le moins
compréhensive" du délit, selon l'expression d'un auteur (1403), a pu être critiquée, d'autant
nuancé, F. POLLAUD-DULIAN, L'actionnaire dans les opérations de portage, Rev. Sociétés 1999 p. 765 –
contra, D. de TCHAGUINE-SEGURET et H. FRANCOIS-MARSAL, Portage : la clarification nécessaire,
Gaz. Pal. 1989, 1, chron. p. 245.
(1396) P. SOUMRANI, Le portage d'actions, Bibl. dr. priv. t. 260, LGDJ, 1996, n° 147 ; D. SCHMIDT, Les
opérations de portage de titres de sociétés in Cl. WITZ (sous la direction de), Les opérations fiduciaires,
LGDJ, 1984, p. 29.
(1397) J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 1328.
(1398) M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 466.
(1399) M.-C. MONSALLIER, L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, bibl. dr.
priv. t. 303, LGDJ, 1998, n° 752 et s. ; B. SAINTOURENS, La flexibilité du droit des sociétés, RTD com. 1987
p. 457, spéc. n° 69 et s.
(1400) sur ces débats, supra.
(1401) Rappr. A. VIANDIER, Après l'article de Michel Jeantin sur les conventions de vote, précité, spéc. n° 11.
(1402) art. 242-6, 4°, pour la société anonyme, et 241-3, 4°, C. Com., pour la SARL (anciens art. L. 437 et L.
425) – sur l'abus de biens sociaux, outre les manuels de droit pénal des affaires, on consultera : A. MEDINA,
L'abus de biens sociaux. Prévention. Détection. Poursuite, Dalloz, 2001 ; Divers auteurs, L'abus de biens
sociaux, Gaz. Pal. 1996, 2, doctr. p. 906 et s. ; J. LEROY et alii, Le délit d'abus de biens sociaux, Rev. Jur. du
Centre-Ouest, janv. 1997 ; G. AMEDEE-MANESME et alii, L'abus de biens sociaux en question, Entreprise
éthique, n° 7, oct. 1997.
(1403) J. MESTRE, obs. sous cass com 15 nov. 1994, RTD civ. 1995 p. 358.
CCLIX
qu'elle s'inscrit dans un phénomène plus large de pénalisation excessive de la vie économique
(1404).
Quoi qu'il en soit, l'usage contraire à l'intérêt social par le dirigeant est l'un des
éléments constitutifs du délit. La question se pose avec une acuité particulière lorsque l'organe
de gestion a utilisé les fonds sociaux pour commettre un délit, tel la corruption d'un élu, afin
d'obtenir un avantage pour la société. Autrement dit, faut-il dans cette hypothèse, retenir une
approche à court terme de l'intérêt social ou à l'inverse opter pour une conception à plus long
terme ? Dans le premier cas, en ayant permis à la société de réaliser un profit immédiat, l'acte
illicite sera conforme à son intérêt. Dans le second cas, les agissements du mandataire social
sont toujours contraires à l'intérêt du groupement, en ce qu'ils portent atteinte à sa réputation.
La jurisprudence a été pour le moins fluctuante (1405). Deux arrêts, respectivement
rendus le 6 février 1997 (1406) et le 27 octobre 1997 (1407) sont particulièrement significatifs
à cet égard.
Dans la première espèce, il s'agissait d'un dirigeant social qui avait, au nom de la
société, versé au gendre d'un ministre une somme substantielle en rémunération d'une
intervention auprès de son beau-père, destinée à minorer la dette fiscale du groupement. De
fait, le ministre examina la requête d'un oeil amène et la somme due fut effectivement réduite.
Saisie de ces faits, la Cour d'appel de Lyon jugea les agissements du président contraires à
l'intérêt social, ayant provoqué un appauvrissement sans contrepartie de la société. La
Chambre criminelle les censure au motif que "la démarche [du dirigeant] - fût-elle
constitutive d'une infraction non poursuivie en l'espèce a pu avoir pour résultat , en échange
(1404) M.-A. FRISON-ROCHE (sous la direction de), Les enjeux de la pénalisation de la vie économique,
Dalloz, 1997, spéc. D. SCHMIDT, Le partage entre régulation interne et régulation externe des sociétés, op.
cit., p. 33.
(1405) Pour un panorama de l'évolution jurisprudentielle, V. W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, 4° éd.,
Dalloz, 2000, n° 267 ; I. GROSSI, Les devoirs des dirigeants sociaux. Bilan et perspectives, thèse Aix en
Provence, 1998, n° 494, notes 2 et 3.
(1406) cass crim 6 févr. 1997, Michel Noir, Bull. crim. n° 48, Rev. Sociétés 1997 p. 146, note B. BOULOC ; D.
1997 p. 334, note J.-F. RENUCCI ; Petites affiches 14 févr. 1997 p. 12, note C. DUCOULOUX-FAVARD ;
RSC 1997 p. 869, obs. J.-F. RENUCCI ; sur renvoi CA Paris 19 mai 1998, Rev. Sociétés 1998 p. 410, note B.
BOULOC ; RSC 1999 p. 332, obs. J.-F. RENUCCI – sur cette affaire, H. MATSOPOULOU, Réflexions sur
l'évolution de l'abus de biens sociaux (A propos de l'arrêt de la Chambre criminelle du 6 février 1997), D.
affaires 1997 p. 780 – dans le même sens, V. déjà, cass crim 24 oct. 1996, Bull. Joly 1997 p. 201, note J.-F.
BARBIERI ; Rev. Sociétés 1997 p. 374, note B. BOULOC.
(1407) cass crim 27 oct. 1997, Alain Carignon, Bull. crim. n° 352 ; Bull. Joly 1998 p. 11, note J.-F. BARBIERI ;
Rev. Sociétés 1997 p. 869, note B. BOULOC ; Dr. et patrimoine févr. 1998 p. 77, obs. J.-P. BERTREL ; Petites
affiches 7 nov. 1997 p. 6, note C. DUCOULOUX-FAVARD ; JCP 1997 II n° 10017, note M. PRALUS ; D.
affaires 1997 p. 1429, obs. M. BOIZARD ; RTD com. 1998 p. 610, obs. B. BOULOC – adde, sur cette affaire, J.
-P. BERTREL, Corruption : l'intérêt social tiré à hue et à dia, Dr. et patrimoine mars 1998 p. 3 ; A.
DEKEUWER, Défense et illustration de l'incrimination d'abus de biens sociaux dans un système de corruption,
JCP éd. E. 1998 p. 310 ; B. MERCADAL, Abus de biens sociaux et responsabilité pénale des personnes
morales. Retour sur cass crim 27 octobre 1997 et 2 décembre 1997, RJDA 1998 p. 879.
CCLX
d'un versement de 760 000 francs, de minorer la dette de la société envers le Trésor public".
Dès lors, la Cour d'appel aurait du caractériser en quoi les actes critiqués étaient contraires à
l'intérêt social et non se borner à énoncer que leur illicéité démontrait ipso facto cette
contrariété.
La Cour de cassation retient donc en l'occurrence une approche à court terme de
l'intérêt social et y voit exclusivement l'intérêt pécuniaire du groupement. Du moment que les
faits reprochés au dirigeant avaient minoré la dette de la société, ils étaient conformes à son
intérêt. Peu importe dès lors la légalité des actes litigieux, peu importe que la société ait été
exposée à la suite de leur commission à un risque non négligeable de poursuites pénales
(1408).
Cette solution ne convainc pas. A l'heure où la préoccupation éthique immerge
l'ensemble du droit des affaires (1409), il semble peu opportun d'exclure toute considération
morale dans la détermination de l'intérêt social et d'en retenir une conception purement
financière.
La position de la Haute juridiction a été précisée dans une seconde affaire. En l'espèce,
des sociétés avaient consenti divers avantages à un maire, en échange de l'obtention d'une
concession de service public. Une des sociétés avait d'ailleurs de ce fait conclu le contrat
projeté. Ultérieurement, le dirigeant de celle-ci fut poursuivi pour abus de biens sociaux, alors
que l'élu et son chargé de mission l'étaient pour recel et complicité. Les juges du fond
condamnèrent notamment le dirigeant. Ils se voient approuvés par la Chambre criminelle, en
ces termes : "quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des
fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à
l'intérêt social en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal de sanction pénales
ou fiscales contre elle-même ou ses dirigeants et porte atteinte à son crédit ou à sa
réputation". Pour la Cour, l'intérêt social ne saurait s'apprécier exclusivement à court terme.
Bien au contraire, peu importe que la société obtienne un gain matériel du fait d'agissements
(1408) pour une critique de cette solution, C. DUCOULOUX-FAVARD, note sous cass crim 6 févr. 1997,
précité ; Cl. CHAMPAUD, Intérêt social, abus des biens sociaux et éthique sociétaire, Entreprise éthique, n° 7,
oct. 1997, p. 59 ; J. DELGA, Ethique, éthique d'entreprise, éthique du gouvernement d'entreprise, D. 1999,
cahier droit des affaires, p. 397.
(1409) Ph. LE TOURNEAU (sous la direction de), La morale et le droit des affaires, Montchrestien, 1995 ;
adde, du même auteur, L'éthique des affaires et du management au XXI° siècle, Dalloz, 2000 – en droit des
sociétés, J.-F. BARBIERI, Morale et droit des sociétés, in Ph. LE TOURNEAU (sous la direction de), La morale
et le droit des affaires, op. cit., p. 101 et surtout J. MESTRE, Ethique et droit des sociétés, in Mélanges Adrienne
Honorat, Procédures collectives et droit des affaires, 2000, p. 291 et du même auteur, Le droit français des
sociétés devant l'exigence de justice, Les Cahiers de droit, vol. 41, mars 2000, p. 185.
CCLXI
illégaux. L'illégalité de l'usage des biens sociaux fait présumer l'atteinte à l'intérêt social
(1410) puisqu'il risque à plus long terme d'exposer le groupement à des sanctions (1411), et
par là même de nuire à sa bonne réputation. La jurisprudence ultérieure majoritaire est
d'ailleurs dans ce sens (1412).
Evidemment, cette nécessité de retenir une approche à long terme de l'intérêt social ne
doit pas conduire à faire peser sur le dirigeant un "devoir de divination" (1413). Autrement
dit, si, au moment de sa conclusion, un contrat semble conforme à l'intérêt social, mais que
son exécution s'avère ruineuse pour la société, l'organe d'administration ne commet pas le
délit d'abus de biens sociaux (1414). La nécessité de prendre en compte l'intérêt social à long
terme ne doit pas faire peser des risques inconsidérés sur le dirigeant, nuisibles à une gestion
sociale efficace. De surcroît, la solution inverse conduirait à une immixtion intolérable du
juge dans les affaires du groupement.
Dans ces conditions, quelles peuvent les conséquences de cette approche morale de
l'intérêt social sur les conventions de vote ? Dès lors que celles-ci sont conformes à l'intérêt du
groupement à long terme, en ce qu'elles permettent son renflouement et donc sa pérennité
(1415), ou son bon fonctionnement (1416), elles seront validées. Cependant, il suffira que le
contrat soit conforme à un intérêt social normalement prévisible. L'engagement qui satisfait
l'intérêt social au moment de sa conclusion est valable, même s'il n'a pas eu sur la société les
effets escomptés.
En revanche, si les accords de vote visent seulement à satisfaire une conception
purement financière de l'intérêt du groupement, ils seront illicites. La jurisprudence
commerciale n'a cependant, à notre connaissance, jamais eu à connaître de telles conventions
(1410) En cela, la jurisprudence Carignon se démarque de la jurisprudence Carpaye (cass crim 22 avr. 1992,
Rev. Sociétés 1993 p. 124, note B. BOULOC). Dans cette affaire, la Chambre criminelle avait jugé que "l'usage
des biens est nécessairement abusif lorsqu'il est fait dans un but illicite". Désormais, l'illicéité fait présumer
l'atteinte à l'intérêt social, mais, pour retenir le grief d'abus de biens sociaux, encore faudra-t-il démontrer que les
agissements litigieux ont été commis à des fins personnelles.
(1411) Certains auteurs ont douté que le fait d'exposer la société à un risque de sanctions simplement fiscales
fasse présumer la contrariété de l'acte à l'intérêt social : A. DEKEUWER, Défense et illustration de
l'incrimination d'abus de biens sociaux dans un système de corruption, précité.
(1412) V. ainsi, CA Aix en Provence 4 juin 1998, JCP IV n° 2757 ; CA Paris 23 mars 1999, JCP éd. E. 1999 p.
1657 ; CA Chambéry 10 mai 2000, JCP éd. E. 2000 p. 1839 – contra, CA Rouen 13 mars 1997, Bull. Joly 1997
p. 1043 ; Rev. Sociétés 1997 p. 899, obs. Y. GUYON ; CA Paris 3 déc. 1997, RJDA 1998 n° 734.
(1413) Selon l'expression du doyen Jacques MESTRE, à propos du devoir de conseil du notaire, (obs. sous cass
civ 1ère 25 nov. 1997, RTD civ. 1998 p. 367.
(1414) cass crim 16 janv. 1989, D. 1989 p. 495, note J. COSSON.
(1415) Trib. com. Seine 11 janv. 1938, Affaire du journal "L'œuvre", précité ; CA Paris 17 nov. 1954, précité ;
Trib. com. Paris 1er août 1974, précité.
(1416) CA Douai 24 mai 1962, précité ; Trib. com. Paris 4 mai 1981, précité ; CA Paris 30 juin 1995, précité.
CCLXII
Pour être valable, la convention ne doit pas seulement porter sur une question
déterminée, être conclue en connaissance de cause et se recommander de l'intérêt social.
Encore faut-il qu'elle ne contrevienne pas à une règle d'ordre public.
II. Le respect des conditions de validité des contrats tenant à l’ordre public
L'article 6 du Code civil interdit aux conventions de déroger aux règles qui
"intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs". La notion d'ordre public (1417), qui recoupe
d'ailleurs celle de bonnes mœurs (1418), n'est pas définie par la loi. Du fait de ce silence, les
définitions en ont été multiples (1419). D'une manière générale, l'ordre public s'entend d'un
ensemble de "normes qui, exprimées ou non dans une loi, correspondent à l'ensemble des
exigences fondamentales (sociales, politiques, etc.) considérées comme essentielles au
fonctionnement des services publics, au maintien de la sécurité et de la moralité […], à la
marche de l'économie […] ou même à la sauvegarde de certains intérêts particuliers
primordiaux" (1420).
La question se pose néanmoins de savoir si la catégorie des lois impératives, définies
comme celles auxquelles la volonté individuelle ne peut déroger (1421), recoupe le concept
d'ordre public. Les auteurs enseignent traditionnellement que si une loi impérative est
nécessairement d'ordre public, la réciproque n'est pas vraie, compte tenu de l'existence d'un
ordre public virtuel, qui trouve sa source en dehors de la loi (1422). De fait, en droit des
(1417) sur l'ordre public en général, outre les ouvrages de droit des obligations, on consultera : Ph. MALAURIE,
L'ordre public et le contrat, thèse Paris, 1953 ; Th. REVET (sous la direction de), L'ordre public à la fin du XX°
siècle, Dalloz, 1995 ; M. GEGOUT, J.-Cl. Civil, Art. 6, fasc. 1, 1979 ; J. HAUSER et J.-J. LEMOULAND, Rép.
Civil V° "ordre public et bonnes mœurs", 1993 ; L. JULLIOT DE LA MORANDIERE, L'ordre public en droit
privé interne, in Etudes Henri Capitant, 1939, p. 381 – adde, J. GHESTIN, L'ordre public, notion à contenu
variable, en droit privé français, in Ch. PERELMAN (sous la direction de), Les notions à contenu variable en
droit, Bruylant, 1984, p. 77.
(1418) en ce sens, V. not. J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du contrat, op. cit., n° 124 ; A.
BENABENT, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 160 ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, t. 1,
op. cit., n° 285 ; J. HAUSER et J.-J. LEMOULAND, Rép. Civil, V° "Ordre public et bonnes mœurs, précité, n°
128.
(1419) M. le Doyen Malaurie en recense vingt et une (in L'ordre public et le contrat, op. cit., p. 261). Lui-même
définit l'ordre public comme "le bon fonctionnement des institutions indispensables à la collectivité" (ibid., n°
99).
(1420) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "Ordre public".
(1421)Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "Loi impérative".
(1422) J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du contrat, op. cit., n° 110 ; F. TERRE, Ph. SIMLER et
Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 350 ; J. HAUSER et J.-J. LEMOULAND, Rép. Civil, V°
"Ordre public et bonnes mœurs", précité, n° 14.
CCLXIII
sociétés, la jurisprudence vise fréquemment des principes non écrits et les considèrent comme
d'ordre public (1423).
Pendant longtemps, seules étaient d'ordre public les règles jugées indispensables à la
survie même de la Nation. Cette catégorie, qui existe encore aujourd'hui, tend essentiellement
à assurer le respect de l'organisation de l'Etat et des pouvoirs publics, du statut de la famille et
des bonnes mœurs (1424). Néanmoins, en liaison avec l'évolution du rôle de l'Etat, de plus en
plus présent dans la vie des affaires, est apparu un nouveau corps de dispositions d'ordre
public, l'ordre public économique ( 1425 ). Celui-ci peut viser à protéger des catégories
particulières d'acteurs économiques, jugés plus faibles, tels le salarié, le consommateur ou
l'assuré (1426). On parle généralement dans ce cas d'ordre public de protection. L'Etat peut
également chercher à orienter la politique économique, soit dans un sens dirigiste soit, de
manière plus novatrice, dans un sens libéral, en tendant au renforcement de la libre
concurrence (1427). Cette distinction est parfois malaisée (1428). C'est pourquoi certains
auteurs préfèrent parler d' "ordre privé impératif" et d' "ordre étatique impératif" (1429). Le
premier consisterait à imposer un certain contenu contractuel aux parties qui choisiraient de
contracter dans une certaine matière. Le second s'entendrait d'un corps de règles imposées par
l'Etat, dans le cadre d'une politique économique nationale. De fait, cette nouvelle
classification paraît mieux adaptée au droit des sociétés, lequel relève indéniablement de la
première catégorie.
L'article 6 est complété par les articles 1128, d'après lequel "il n'y a que les choses qui
sont dans le commerce qui puissent être l'objet de conventions", et 1133, qui dispose que "la
cause est illicite lorsqu'elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs
ou à l'ordre public". Il ressort donc de la combinaison de ces textes que le contrôle de la
(1423) V. ainsi, visant la liberté de vote, en tant que "principe essentiel, quoique non écrit, du droit des sociétés",
Trib. com. Paris 1er août 1974, précité.
(1424) sur cet ordre public traditionnel, V. not. J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, t. 1, op. cit., n° 291
et s. ; B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil. Les obligations, t. 2, op. cit., n° 650 et s.
(1425) Sur cette question, V. not. G. FARJAT, L'ordre public économique, bibl. dr. priv. t. 37, LGDJ, 1963 ; G.
RIPERT, L'ordre économique et la liberté contractuelle, Etudes François Geny, 1934 p. 348 ; R. SAVATIER,
L'ordre public économique, D. 1965 chron. p. 37 ; J. MESTRE, L'ordre public dans les relations économiques,
in Th. REVET (sous la direction de), L'ordre public à la fin du XX° siècle, op. cit., p. 33.
(1426) Cette surprotection de la partie faible a pu être critiquée, en ce qu'elle se retourne finalement contre la
personne que la loi a entendu protéger : J. GHESTIN, L'effet pervers de l'ordre public, in Mélanges Christian
Gavalda, Propos impertinents de droit des affaires, Dalloz, 2001, p. 123 ; adde, Ph. MALAURIE, L'effet pervers
des lois, in Mélanges Gérard Cornu, 1994, PUF, p. 309.
(1427) J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du contrat, op. cit., n° 134 et s.– pour une critique de
cette orientation, P. CATALA, A propos de l'ordre public, in Mélanges Pierre Drai, Le juge entre deux
millénaires, Dalloz, 2000, p. 511.
(1428) M. GEGOUT, J.-Cl. Civil, Art. 6, fasc. 1, précité, n° 8.
(1429) J. MESTRE, L'ordre public dans les relations économiques, précité.
CCLXIV
conformité d'un contrat à l'ordre public s'opère à travers l'examen de l'illicéité de l'objet et de
la cause (1430). Il en va de même en matière de conventions portant sur l'exercice du droit de
vote (A).
Un auteur a cependant récemment démontré qu'un engagement pouvait être contraire à
l'ordre public par son effet, son résultat concret indépendamment de la volonté des parties,
quand bien même la cause et l'objet seraient licites (1431). La conformité à l'ordre public d'un
accord de vote est également contrôlée à l'aune de cette notion (B).
A. Les instruments traditionnels du contrôle de la conformité à l’ordre
public
Le contrôle de la conformité d'un contrat à l'ordre public s'opère traditionnellement par
l'examen de la licéité de l'objet (a) et surtout de la cause (b).
a- La licéité de l’objet
L'exigence de licéité de l'objet de l'obligation est indirectement formulée par l'article
1128 du Code civil, aux termes duquel "il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui
puissent être l'objet des conventions". Autrement dit, le contrat qui aurait pour objet une chose
hors du commerce aurait un objet illicite.
De prime abord, la tentation est grande de considérer le droit de vote comme étant hors
de commerce et d'annuler toutes les conventions sur l'exercice de ce droit. C'est oublier que le
droit de suffrage mérite la qualification de chose hors du commerce par destination et non par
nature (1432). Par conséquent, toutes les conventions sur le droit de vote ne sont pas illicites,
les engagements sur le sens du suffrage échappant à la nullité sur ce fondement.
Comme nous l'avons vu, le contrat donne naissance à une obligation de faire, qui
consiste à voter dans un certain sens, ou de ne pas faire, qui réside dans une abstention au
cours de l'assemblée générale. Dans ce cas, le fait ou l'abstention promis doivent être licites.
Une personne ne peut valablement s'engager à accomplir un acte illicite ou immoral, prohibé
(1430) J. GHESTIN, Traité de droit civil. La formation du contrat, op. cit., n° 104 ; J. FLOUR et J.-L.
AUBERT, Les obligations, t. 1, op. cit., n° 283.
(1431) N. RONTCHEVSKY, L'effet de l'obligation, Economica, 1998 – V. déjà, Ph. MALAURIE, Rapport
français, TAC t. 7, La notion de l'ordre public et des bonnes mœurs en droit privé, 1952, p. 748.
(1432) Sur cette qualification, supra.
CCLXV
par la loi ou contraire à l'ordre public, ni renoncer à exercer un droit qui découle de son état
(1433).
Le fait promis peut également être illicite du fait de sa durée. Le droit français interdit
en effet à une personne de se lier pour toute sa vie. Cette prohibition des engagements
perpétuels, qui figure seulement dans des dispositions spéciales, relatives aux baux (1434), ou
au contrat de travail (1435), au contrat de société (1436), au dépôt ou au mandat illimités
(1437) est néanmoins un principe général de l'ordre juridique (1438). Le contrat perpétuel est
nul pour illicéité de l'objet et ne saurait voir sa durée réduite au maximum autorisé (1439).
En matière de conventions de vote, la jurisprudence pose traditionnellement une
condition de validité relative à la durée de l'engagement. L'accord ne saurait lier l'associé
pendant la durée de la société (1440), ni pendant la durée de détention des actions (1441) ni
même pendant une durée trop longue (1442). Les auteurs ont rattaché cette exigence au
caractère essentiel du droit de vote (1443). Les contrats sur le sens du vote sont certes licites,
mais seulement s'ils sont justifiés par "la constatation d'un intérêt légitime" (1444) Une
convention trop longue supprimerait la liberté de vote, et donc le droit de suffrage reconnu à
tout associé.
(1433) F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 286 ; H., L. et J.
MAZEAUD et F. CHABAS, Leçons de droit civil, t. 2, 1er vol., op. cit., n° 241 ; A. BENABENT, Droit civil. Les
obligations, op. cit., n° 155.
(1434) Art. 1709 C. Civ.
(1435) Art. 1780, alinéa 1er C. Civ.
(1436) Art. 1838 C. Civ.
(1437) Art. 1944 C. Civ., pour le dépôt ; art. 2003, pour le mandat.
(1438) sur ce problème, M.-E. TIAN-PANCRAZI, La protection judiciaire du lien contractuel, PUAM, 1996,
préf. J. MESTRE, n° 148 et s. ; F. RIZZO, Regards sur la prohibition des engagements perpétuels, Dr. et
patrimoine janv. 2000, p. 60 ; adde, en droit des sociétés, R. LIBCHABER, Réflexions sur les engagements
perpétuels et la durée des sociétés, Rev. Sociétés 1995 p. 437.
(1439) V. par ex., cass com 3 janv. 1989, Bull. IV n° 3 ; cass civ 3 ème 20 févr. 1991, JCP éd. N. 1992 II p. 22 –
pour un plaidoyer en faveur de la réduction à la durée maximale, V. M.-E. TIAN-PANCRAZI, La protection
judiciaire du lien contractuel, op. cit., n° 149 et s.
(1440) CA Paris 22 févr. 1933, Journ. sociétés 1934 p. 223 ; DH 1933 II p. 258 ; Trib. com. Seine 24 janv. 1963,
Journ. Agréés 1963 p. 106.
(1441) B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 10669.
(1442) ex. Trib. com. Marseille 28 mars 1952, RTD com. 1953 p. 133 : les juges consulaires annulent une
convention de vote dont la durée était fixée à trente ans.
(1443) M.-C. MONSALLIER, L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n°
514.
(1444) G. PARLEANI, Les pactes d'actionnaires, précité, spéc. n° 18 ; M. JEANTIN, Les conventions de vote,
précité, spéc. n° 19.
CCLXVI
Cette thèse n'emporte pas l'adhésion (1445). On peut se demander quelle peut être la
nature de l'intérêt légitime permettant de valider la convention. S'il s'agit de l'intérêt social,
alors la condition relative à la durée de l'engagement fait double emploi avec celle portant sur
la conformité à l'intérêt social. S'il s'agit de l'intérêt de l'associé contractant, toutes les
conventions doivent être validées. Le droit de vote est certes un attribut essentiel de l'associé
mais ce caractère fondamental ne saurait être invoqué pour justifié la condition de durée.
En définitive, l'exigence d'une convention temporaire ne peut se fonder que sur la
prohibition des engagements perpétuels et donc sur le caractère licite de l'objet. De surcroît,
ce rattachement présente le mérite d'être en accord avec le fondement contractuel de la
validité et des limites apportées à cette licéité.
Il reste à se demander quelle est la durée de vie maximale d'un contrat sur le sens du
vote, au delà de laquelle le grief de perpétuité, et donc d'illicéité de l'objet, serait retenu. La
jurisprudence est pour le moins laconique. Certes, un arrêt a invalidé une convention dont la
durée était de trente ans (1446). Il semble que cette détermination soit affaire de cas d'espèce.
Rien ne semble empêcher la conclusion d'une convention à durée déterminée avec possibilité
de reconduction dès lors que l'intérêt social le justifie (1447)
De l'avis général, le contrôle de la conformité d'un contrat à l'ordre public par l'examen
de la licéité de l'objet ne joue qu'un rôle mineur en droit privé des contrats (1448). Celui-ci
s'opère surtout à travers la théorie de la cause illicite.
b- La licéité de la cause
Le Code civil n'exige pas seulement que l'obligation ait une cause. Encore faut-il que
celle-ci soit licite (1449). L'article 1133 définit la cause illicite comme celle qui est contraire à
la loi, à l'ordre public ou aux bonnes mœurs. Les juges, dépassant l'approche objective de la
notion, en adoptent une conception subjective lorsqu'ils en examinent la licéité. Autrement
dit, il convient d'examiner les mobiles ayant animé les parties lors de la formation du contrat.
(1445) rappr. A. CONSTANTIN, Réflexions sur la validité des conventions de vote, précité, spéc. n° 13.
(1446) Trib. Com. Marseille 28 mars 1952, précité.
(1447) M. JEANTIN, Les conventions de vote, précité, n° 19.
(1448) Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil. Les obligations, op. cit., n° 514 ; A. BENABENT,
Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 140.
(1449) Art. 1131 C. Civ.
CCLXVII
Si les contractants avaient en vue la violation d'une loi impérative, alors le contrat sera
entaché de cause illicite (1450).
En matière de conventions de vote, les associés contractants ne doivent pas avoir
l'intention de violer une règle impérative du droit des sociétés. La jurisprudence le rappelle
fréquemment (1451). Ainsi, une convention qui méconnaîtrait une disposition obligatoire du
code de commerce relative aux sociétés serait entachée de cause illicite (1452). Plusieurs
règles sont susceptibles d'être concernées.
En premier lieu, l'accord de vote ne doit pas contrevenir à l'article 242-9, 3°. Ce texte
sanctionne pénalement l'associé (1453) qui se serait fait accorder ou promettre des avantages
en vue de s'abstenir ou de voter dans un certain sens. Bien qu'on ait pu en douter (1454), cette
convention mérite également d'être sanctionnée sur le plan civil (1455). Ayant été l'instrument
d'une violation d'une disposition de la loi pénale, ce contrat est entaché de cause illicite
(1456).
Ensuite, les parties ne doivent pas avoir en vue de porter atteinte à la révocabilité ad
nutum. Ce principe, que la doctrine analyse comme une survivance de la nature contractuelle
de la société anonyme (1457), est formulé pour les administrateurs à l'article 225-18 du code
de commerce (ancien art. L. 90). Il est considéré comme impératif. Ni les statuts ni un acte
extra-statutaire ne sauraient y déroger (1458). Par conséquent, les associés ne peuvent éluder
(1450) F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 337 et s. ; J.
MAURY, Rép. Civ. V° "Cause", 1970, n° 195 et s. – pour des exemples jurisprudentiels, V. not. cass com 19
nov. 1991, RTD civ. 1992 p. 381, obs. J. MESTRE, annulant pour cause illicite un contrat conclu dans l'exercice
illégal d'une profession réglementée ; cass civ 1ère 1er oct. 1996, RTD civ. 1997 p. 116, obs. J. MESTRE, retenant
l'illicéité de la cause d'un prêt conclu en vue de l'acquisition d'une clientèle civile ; cass civ 1 ère 10 févr. 1998,
RTD civ. 1998 p. 669, obs. J. MESTRE, annulant sur ce fondement une convention de présentation de clientèle
d'astrologue, profession prohibée par le Code pénal au moment de la formation du contrat.
(1451) V., ainsi, par exemple, CA Paris 30 juin 1995, précité.
(1452) V., faisant expressément référence à la théorie de la cause illicite en matière de convention de vote, CA
Lyon 26 nov. 1931, Journ. sociétés 1932 p. 410.
(1453) sur la responsabilité pénale de l'associé contractant, infra.
(1454) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 218 ; J. PENNEAU,
De l’irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, JCP éd. CI 1975 n°11776.
(1455) J. CALVO et G.-A. de SENTENAC, Le praticien et les conventions de vote dans les sociétés, Petites
affiches 24 oct. 1990 p. 4.
(1456) Rappr. cass com 19 nov. 1991, précité ; cass com 10 févr. 1998, précité.
(1457) G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, op. cit., n° 1287 ; adde, J.-J. DAIGRE,
Réflexions sur le statut individuel des dirigeants de sociétés anonymes, Rev. Sociétés 1981 p. 497 , spéc. n° 32 ;
J.-J. CAUSSAIN, La précarité de la fonction de mandataire social (révocation et modes de protection), Bull.
Joly 1993 p. 523, spéc. n°3.
( 1458 ) V. annulant un acte extra-statutaire ayant pour objet de porter atteinte à la libre révocabilité des
dirigeants, en prévoyant un préavis : cass com 17 janv. 1984, Bull. mensuel d'informations des sociétés 1984 p.
291 ; CA Versailles 1er déc. 1989, Bull. Joly 1989 p. 172 – sur cette question, V. not., D. VELARDOCCHIOFLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 37 et s. ; M.-C. SORDINO, Aménagements
conventionnels et révocation ad nutum de dirigeants de sociétés anonymes, Mélanges Christian Mouly, t. 2,
CCLXVIII
cette disposition en s'engageant par exemple à ne pas voter en faveur de la révocation d'un
dirigeant (1459).
Par ailleurs, les associés ne doivent pas contourner par une convention de vote la
législation relative aux pouvoirs en blanc ( 1460 ), formulée à l'article 225-106, alinéa 4
(ancien art. L. 161). Ce texte, introduit par la loi du 3 janvier 1983, prévoit que ceux-ci sont
exercés par le président de l'assemblée, dans un sens toujours favorable aux projets de
résolutions présentés par le conseil d'administration. Autrement dit, les parties contractantes
ne peuvent se répartir entre elles les pouvoirs en blanc. Une telle convention serait entachée
de cause illicite. La jurisprudence statuait déjà en ce sens sous l'empire du droit antérieur à
1983 (1461).
Enfin, selon un auteur (1462), le contrat portant sur l'exercice du droit de suffrage doit
respecter le principe de proportionnalité posé à l'article 255-122 (ancien art. L. 174).
Autrement dit, les associés, ne sauraient, sous couvert d'une convention de vote, attribuer à
certains d'entre eux un poids plus important dans la prise de décision. Ainsi en a décidé la
Cour d'appel de Douai le 24 mai 1962 ( 1463 ). En l'espèce, un groupe de personnes
envisageait de prendre une participation dans une société. Mais, peu désireux de réaliser un
investissement financier trop risqué, et souhaitant néanmoins bénéficier d'un pouvoir
équivalent à celui des autres actionnaires, il ne s'engagea que sous condition d'obtenir une
situation égale à un premier groupe d'actionnaires. Dès lors, les statuts de la société, modifiés
à l'unanimité des actionnaires, prévirent de répartir les actions existantes en deux groupes A et
B correspondant aux deux groupes d'actionnaires titulaires. Une clause du pacte social
stipulait en outre que les résolutions d'assemblées générales ordinaires, notamment celles
concernant la nomination et la révocation des dirigeants, devaient être adoptées à la majorité
Litec, 1998, p. 245 ; X, Les pactes faisant échec à la libre révocation des dirigeants, La Lettre du Droit des
Affaires, hiver 1999, in http://panoramix.univ-paris1.fr/DEA-DAE/test1 (cette page est désormais introuvable
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(1459) cass com 2 févr. 1971, RTD com. 1971 p. 1038, obs. R. HOUIN. Cet arrêt a été rendu à propos d'une
convention de vote au sein d'un conseil d'administration, qui visait à garantir au directeur général la pérennité de
ses fonctions. Sa solution est cependant transposable mutatis mutandis aux accords portant sur l'exercice du droit
de vote de l'associé.
(1460) en ce sens, M. JEANTIN, Les conventions de vote, précité, spéc. n° 21.
(1461) Trib. com. Paris 1er août 1974, précité.
(1462) M. STORCK, La réglementation des conventions de vote, RJ com. 1991 p. 97.
(1463) CA Douai 24 mai 1962, Rev. Sociétés 1963 p. 69, note E. du PONTAVICE ; RTD com. 1963 p. 114, obs.
R. HOUIN ; D. 1962 p. 688, note A. DALSACE ; JCP 1962 II n° 12871, note D. BASTIAN – sur cet arrêt P.
BOSVIEUX, De la validité des clauses tendant à harmoniser les rapports entre groupes d'actionnaires, Journ.
Soc. 1963 p. 65. Cette décision a cependant été cassée pour manque de base légale : cass com 4 juin 1966, RTD
com. 1967 p. 191, obs. R. HOUIN.
CCLXIX
des deux tiers (1464). La combinaison aboutissait à donner aux actionnaires du groupe B un
potentiel de vote égal à celui du groupe A, en dépit d'une participation au capital moindre. A
la suite d'un litige, les administrateurs demandèrent l'annulation des clauses litigieuses (1465).
La Cour de Douai fait droit à cette demande. Pour les magistrats, certes, la clause prévoyant la
création de deux catégories d'actions ne porte pas directement atteinte au principe "une action,
une voix". Cependant, chaque clause du pacte social, à l'instar de tout contrat (1466), doit être
interprétée à la lumière des autres. Or, précisément, combinée avec la stipulation prévoyant
une majorité renforcée, la disposition litigieuse aboutissait à violer le principe de
proportionnalité, puisqu'elle conférait aux actionnaires du groupe B le même poids aux
assemblées générales qu'à ceux du groupe A. Dès lors, l'intention des parties était
manifestement de violer la règle de proportionnalité entre le droit de suffrage et le capital
détenu.
Cette solution ne convainc pas. Certes, les contractants étaient animés d'un mobile
répréhensible. En cela, leur convention était entachée d'une cause illicite. Mais, à la réflexion,
l'acte litigieux était étranger à l'exercice du droit de vote ( 1467) ; il ne concernait que
l'aménagement de la puissance de vote. Bien plus, on voit mal en quoi un engagement sur le
sens du suffrage pourrait porter atteinte au principe de proportionnalité. Ce type d'accords
oppose, on l'a vu, la liberté contractuelle et la liberté de vote et demeure étranger au potentiel
de vote.
Cependant, comme l'a fort justement souligné un auteur (1468), il est relativement rare
que les parties aient sciemment entendu porter atteinte à une règle impérative du droit des
sociétés. La plupart du temps, en pratique, ces dispositions seront violées du fait des effets de
la convention. C'est aborder la question du contrôle de la conformité à l'ordre public par
l'examen de l'effet de l'obligation.
(1464) La doctrine considère généralement que les règles de majorité dans les sociétés anonymes ont un
caractère impératif, l'article 225-121 du code de commerce (ancien art. L. 173) sanctionnant leur inobservation
par la nullité. Dès lors, les aménagements des règles de majorité sont illicites, peu importe qu'ils les assouplissent
ou qu'ils les renforcent : G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, op. cit., n° 1583 ; B.
MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 11089 ; J. MESTRE,
Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 3632, pour les assemblées générales ordinaires, et n° 3653, pour les
assemblées générales extraordinaires – adde, en ce sens, affirmant le caractère d'ordre public des règles de
majorité, CA Paris 27 janv. 1995, Dr. Sociétés 1995 n° 78.
(1465) sur l'atteinte à la révocabilité ad nutum, infra.
(1466) Art. 1161 C. Civ. – sur cette règle d'interprétation des contrats, V. F. TERRE, Ph. SIMLER et Y.
LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 426.
(1467) Rappr. D. BASTIAN, note sous CA Douai 24 mai 1962, précité ; R. HOUIN, obs. sous CA Douai 24 mai
1962, précité.
(1468) P. DIDIER, Les conventions de vote, in Mélanges Jean Foyer, PUF, 1997, p. 341.
CCLXX
B. L’instrument subsidiaire du contrôle de la conformité à l’ordre public :
la nécessaire prise en compte de l’effet de l’obligation
Le droit des contrats connaît actuellement une profonde évolution. En effet, il est de
plus en plus souvent perçu comme un instrument de collaboration entre les parties, et non plus
comme un lieu de confrontation entre intérêts divergents. Dès lors, il est appréhendé non
seulement comme un ensemble d'obligations réciproques mises à la charge des parties, mais
également comme le générateur d'une situation de fait (1469). Celle-ci doit également être
conforme à l'ordre public. La non conformité de la situation contractuelle avec l'ordre public
rejaillit sur la validité de l'acte qui lui a donné naissance (1470). Mais, la contrariété à l'ordre
public n'a pas forcément été voulue par les parties. Dans ces conditions, les théories de l'objet
et de la cause illicites s'avèrent parfois inadaptées pour contrôler la conformité d'une situation
à l'ordre public. C'est pourquoi le juge a de plus en plus souvent tendance à examiner l'effet de
l'obligation, entendu comme son résultat concret, indépendamment de la volonté des
contractants, et à contrôler directement son respect de l'ordre public. Un auteur a récemment
démontrer que le concept d'effet de l'obligation, quoique ignorée des rédacteurs du Code civil,
existait à l'état latent dans le Droit positif, et méritait à ce titre d'être conceptualisé (1471).
A la lumière de la jurisprudence, il apparaît que les juges ont sanctionné des
conventions de vote qui portaient atteinte à l'ordre public alors même que telle n'avait pas été
l'intention des parties. Autrement dit, l'accord, pour être valable, ne doit pas avoir pour effet
de contrarier l'ordre public sociétaire (a).
En outre, l'engagement de vote permettant parfois à des associés de se concerter afin
d'adopter une politique commune envers la société, on peut se demander si un tel contrat peut
être constitutif d'une entente prohibée par le droit français et communautaire de la
concurrence. Une réponse affirmative doit être donnée. En d'autres termes, pour être valable,
la convention devra également respecter l'ordre public de marché (b).
( 1469 ) sur cette évolution, J. MESTRE, L'évolution du contrat en droit privé français, in L'évolution
contemporaine du droit des contrats, PUF, 1985, p. 41 ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, Libres propos sur la
transformation du droit des contrats, RTD civ. 1997 p. 357, spéc. n° 6.
(1470) Cette appréhension par le droit d'une situation contractuelle rend particulièrement malaisée la distinction
entre acte juridique et fait juridique. Certains auteurs considèrent que la contrariété de la situation à l'ordre public
doit s'analyser en un quasi-délit (Rappr., J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, t. 2, Le fait juridique, 7°
éd., Armand Colin, 1999, n° 107).
(1471) N. RONTCHEVSKY, L'effet de l'obligation, Economica, 1998.
CCLXXI
a- La convention ne doit pas avoir pour effet de contrarier l’ordre
public sociétaire
Par ordre public sociétaire, on entend le corps de dispositions impératives édictées le
code de commerce, dans son livre relatif aux sociétés, ainsi que certains principes non écrits
reconnus d'ordre public par la jurisprudence, tels la hiérarchie des organes dans la société
(1472) ou le droit de rester associé (1473). Parmi ces règles, figure la révocabilité ad nutum
des administrateurs. Le juge sanctionne, on l'a vu, toute convention qui révélerait l'intention
des parties d'y porter atteinte. Mais, de plus en plus fréquemment, les tribunaux examinent les
conséquences concrètes de l'acte extra-statutaire sur la décision de révocation. L'exemple des
clauses dites de golden parachutes est significatif à cet égard. Par ces stipulations, la société
s'engage à racheter les actions détenues par le dirigeant en cas de révocation. Les tribunaux
refusent d'annuler per se de tels pactes et examinent leur validité à l'aune de leur effet.
Autrement dit, si le rachat faisait peser sur le groupement des charges financières telles qu'il
entravait la décision de révocation, l'accord sera, par son effet, contraire à la révocabilité ad
nutum. En revanche, si les conséquences pécuniaires de la révocation n'exerçaient aucune
influence sur la volonté des associés, la clause sera validée (1474).
De fait, les tribunaux font fréquemment appel au principe d'ordre public de libre
révocation des dirigeants sociaux pour invalider une convention sur l'exercice du droit de vote
et ce, même si les associés contractants n'avait pas eu l'intention d'éluder cette règle
(1472) ex. cass civ. 4 janv. 1946, Motte, S. 1947, 1, p. 153, note P. BARBRY, JCP 1947 II n° 3518, note D.
BASTIAN ; Journ. Sociétés 1946 p. 374 ; Grands arrêts, n° 69, p. 298, note J. NOIREL : « la société anonyme
étant une société dont les organes sont hiérarchisés et dans laquelle l’administration est exercée par un conseil
élu par l’assemblée générale, il n’appartient pas à l’assemblée générale d’empiéter sur les prérogatives du
conseil en matière d’administration ; c’est donc à bon droit qu’un arrêt annule la résolution votée par
l’assemblée générale qui investit le président-directeur général de l’ensemble des pouvoirs jusqu’alors attribués
au conseil d’administration » ; cass com 18 mai 1982, Grandes décisions, n° 31, p. 159, obs. Y. CHARTIER et
J. MESTRE ; CA Aix en Provence 28 sept. 1982, Grandes décisions, n° 31, p. 160, obs. Y. CHARTIER et J.
MESTRE ; Rev. Sociétés 1983 p. 773, note J. MESTRE, qui affirme que "les textes fixent de manière impérative
les pouvoirs et prérogatives des différents organes de la société "; adde, cass com 4 juill. 1995, D. 1996 p. 186,
note J.-C. HALLOUIN.
(1473) cass com 12 mars 1996, RTD civ. 1996 p. 897, obs. J. MESTRE.
(1474) ex. cass com 7 févr. 1989, Rev. Sociétés 1989 p. 643, note Y. CHARTIER ; cass com 2 juin 1992, Rev.
Sociétés 1992 p. 751, note Y. GUYON ; CA Paris 26 juin 1998, JCP éd. E. 1998 p. 1169 ; Rev. Sociétés 1998 p.
824, obs. Y. GUYON – comp. CA Paris 20 oct. 2000, D. 2000, cahier droit des affaires, p. 432, obs. A.
LIENHARD, qui semble valider implicitement une convention d'indemnisation d'un dirigeant social,
indépendamment de toute référence à l'effet. De même, dans les sociétés par actions simplifiée, la règle de la
révocabilité ad nutum n'étant pas impérative, les clauses de golden parachutes seront licites dans tous les cas (sur
cette question, P. LE CANNU, Direction et contrôle de la société par actions simplifiée, in A. COURET et P.
LE CANNU (sous la direction de), Sociétés par actions simplifiée, éd. GLN Joly, collection Pratique des
affaires, 1994, p. 22).
CCLXXII
obligatoire. Ils le font notamment lorsqu'ils ont à statuer sur la validité d'une clause de
répartition des sièges d'administrateurs. Ce type de stipulations, par lesquelles des groupes
d'apporteurs de capitaux se répartissent, à l'avance, le nombre d'administrateurs, est fréquente
dans l'organisation des filiales communes, lorsque celles-ci n'ont pas choisi la société par
actions simplifiée comme structure juridique d'accueil (1475).
Selon un auteur, "une société est dite "filiale commune" lorsque deux ou plusieurs
sociétés se partagent son capital social et le pouvoir de gestion de manière égalitaire et que
l'objet de cette filiale est d'organiser de manière permanente la collaboration entre chacune
des sociétés associées ou actionnaires" (1476). Autrement dit, la répartition du capital ne sera
pas forcément égalitaire mais le contrôle le sera nécessairement, au moyen de clauses
destinées notamment à assurer la répartition des postes d'administrateurs entre les deux
groupes.
Ces stipulations sont destinées à favoriser la collaboration et l'égalité entre les sociétés
mères. Néanmoins, leur mise en œuvre risque de porter atteinte à la liberté de révocation des
dirigeants sociaux, même si telle n'a pas été la volonté initiale des parties. Par l'effet de la
clause, la volonté des associés d'évincer un des administrateurs risque d'être entravée. En cas
d'éviction, la répartition des postes de direction entre les deux groupes d'actionnaires est
susceptible de n'être plus égalitaire et la responsabilité des associés contractants engagée, pour
non-respect de leurs obligations contractuelles.
Cependant, le tribunal de commerce de Paris, dans un jugement rendu le 1 er août 1974
(1477), a refusé d'avaliser cette thèse et a affirmé très nettement la licéité des clauses de
répartition des sièges d'administrateurs au regard de la révocabilité ad nutum. Les faits étaient
les suivants. Les sociétés anonymes Schneider et Marine-Firminy, désireuses d'opérer un
rapprochement dans l'industrie nucléaire, avait convenu par un protocole d'accord de procéder
à la fusion de leurs filiales respectives "Forges et ateliers du Creusot" et "Ateliers et forges de
la Loire". L'opération devait donner naissance à une société nouvelle, la société Creusot-
(1475) La SAS n'est cependant pas la seule forme concevable. La filiale commune peut également être une
société en nom collectif ou une société anonyme – V. sur ce point, G. GOFFAUX, Du contrat en droit des
sociétés. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit des sociétés, op. cit., n° 121 et s.
(1476) M. JEANTIN, Droit des sociétés, op. cit., n° 864 – comp. Cl. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration
de la société par actions, Sirey, 1962, n° 358, qui définit la filiale commune comme "une société dont les actions
sont en majorité détenues par des sociétés respectivement indépendantes, directrices ou ressortissantes de
groupes concurrents, et dont la direction économique est exercée collectivement par les sociétés participantes,
indépendamment du quantum de leur participation" – sur la filiale commune, V. not. J.-P. BRILL, La filiale
commune, thèse Strasbourg, 1975 ; C. PRIETO, La société contractante, PUAM, 1994, préf. J. MESTRE, n° 443
et s. ; F. GORE, La filiale commune, in colloque de Paris 20-22 févr. 1975, p. 20.
(1477) Rev. Sociétés 1974 p. 685, note B. OPPETIT ; RTD com. 1975 p. 130, obs. R. HOUIN ; RJ com. 1975 p.
80, note Y. CHARTIER ; Grandes décisions, n° 48, note Y. CHARTIER et J. MESTRE.
CCLXXIII
Loire, au sein de laquelle le contrôle serait détenu majoritairement par les deux sociétés
mères. Afin d'assurer une égalité parfaite dans l'exercice du pouvoir social, les deux sociétés
mères décidèrent, par le même protocole, d'apporter un nombre égal d'actions Creusot-Loire à
une filiale commune créée à cet effet, Marine-Schneider. Les parties, afin d'assurer une égalité
parfaite dans la gestion, prévirent en outre une répartition paritaire des postes
d'administrateurs entre les deux sociétés mères. L'un des groupements ayant manifestement
violé une clause annexe interdisant aux partenaires d'acquérir directement ou indirectement
des actions de l'autre, la nullité du protocole fut demandée à l'arbitre, conformément à une
stipulation du protocole, puis, devant le refus de ce dernier de statuer, au juge. Entre autres
arguments, les dirigeants de Marine-Firminy firent valoir que la clause prévoyant la
répartition paritaire des sièges d'administrateurs était nulle, comme portant atteinte à la règle
d'ordre public de la révocabilité ad nutum. Les magistrats parisiens demeurent cependant
insensibles à cette argumentation puisqu'ils valident sans ambiguïté la stipulation litigieuse, en
ces termes : "en tant que ces dispositions tendant seulement à prévoir que ces mandataires
proviendront pour moitié ou alternativement de chacun des deux groupes, […], elles étaient
soit la conséquence nécessaire de la structure égalitaire de Marine-Schneider, soit qu'elles
n'organisaient qu'une procédure de proposition au sein de Creusot-Loire. […] Elles laissent
subsister la liberté d'appréciation des actionnaires en assemblée et des administrateurs en
conseil, puisqu'elles tendent seulement à définir une qualité que les personnes proposées
devront remplir (appartenir à tel ou tel groupe) et non à désigner nommément les personnes
qui seront investies des fonctions en cause". Pour les magistrats parisiens, ce type de
stipulations est étranger au problème de la libre révocation d'un administrateur. En cas
d'éviction, rien n'empêche les associés d'obvier à la vacance en choisissant un nouveau
dirigeant selon les critères fixés par la clause. Autrement dit, la convention critiquée n'a pas
pour effet d'entraver la règle d'ordre public de la révocabilité ad nutum. Elle ne concerne que
le pouvoir de nomination des organes de direction. Or, elle ne fait que le restreindre et laisse
subsister une certaine liberté de choix en faveur des associés. La disposition prévoyant une
répartition paritaire des postes d'administrateurs est donc valable : elle n'a pas pour effet
d'entraver l'application d'une règle impérative.
Ce faisant, les juges se bornent à confirmer une solution bien assise (1478). Ce type de
clause n'est pas illicite per se. Il appartient au juge de rechercher, au cas par cas, si la liberté
(1478) V. déjà en ce sens, CA Paris 17 déc. 1954, Gaz. Pal. 1955, 1, p. 149, concl. LANCIEN ; Journ. sociétés
1955 p. 338 ; CA Douai 24 mai 1962, précité.
CCLXXIV
de choix des associés est, par l'effet de la stipulation, supprimée ou simplement limitée. Dans
le premier cas, la clause est nulle ; dans le second, elle est valable.
Cette prise en compte de l'effet de l'obligation de vote, indépendamment de la volonté
des parties, est manifeste dans un arrêt de la Cour de cassation, rendu le 19 décembre 1983
(1479), rendu dans les circonstances suivantes.
Les époux Verchère étaient associés majoritaires d'une SARL. Ils convinrent avec un
autre couple, les époux Barnoin, d'une part de transformer la SARL en société anonyme, et
d'autre part, de leur céder un nombre d'actions tel que le capital fût égalitairement réparti entre
les deux groupes. La convention prévoyait également que le conseil d'administration serait
composé paritairement d'administrateurs issus des groupes Verchère et Barnoin. Verchère fut
par conséquent nommé administrateur et président, Barnoin administrateur et directeur
général.
Cependant, l'assemblée générale, au sein de laquelle le groupe Verchère était demeuré
majoritaire, révoqua Barnoin de son mandat d'administrateur, ce qui conduisit le conseil
d'administration à le révoquer de ses fonctions de directeur général. Dès lors, le dirigeant
évincé rechercha la responsabilité de son co-contractant pour violation de leur accord
prévoyant la répartition égalitaire des sièges d'administrateurs. L'actionnaire majoritaire
souleva pour sa part la nullité de l'engagement qui, en prévoyant une répartition strictement
paritaire des sièges de mandataires sociaux, faisait nécessairement échec à l'application de la
règle impérative de la révocabilité ad nutum. Selon lui, du fait de l'application de la
stipulation litigieuse, la liberté de révocation se trouvait entravée puisque les associés, sous
peine de manquer à leurs obligations contractuelles, ne pouvaient révoquer un administrateur.
Mais la Cour d'appel de Lyon a refusé d'avaliser cette argumentation et se voit approuvée par
la Cour de cassation, en ces termes : "la Cour d'appel, en retenant les agissements de
Verchère, pris non comme administrateur ou dirigeant social, mais comme partie à une
convention dont la violation était invoquée, a, par application de cette convention, exactement
décidé que celle-ci, qui prévoyait d'un coté la répartition égale du capital social entre deux
groupes d'actionnaires, et, de l'autre, une composition paritaire du conseil d'administration,
ne constituait pas un contrat faisant obstacle à la révocation à tout moment d'un
administrateur en fonction".
Pour la Chambre commerciale, la convention litigieuse ne porte pas atteinte à la
révocabilité ad nutum, pour deux raisons.
(1479) cass com 19 déc. 1983, Rev. Sociétés 1985 p. 105, note D. SCHMIDT ; Grandes décisions, n° 22, note Y.
CHARTIER et J. MESTRE.
CCLXXV
En premier lieu, la décision de révocation n'émane pas de l'associé pris isolément mais
de la collectivité des apporteurs de capitaux. Dans ces conditions, à la supposer établie, la
violation de la règle de libre éviction des mandataires sociaux par la convention n'a aucune
incidence sur la décision émanant de l'assemblée générale. Autrement dit, il y aurait
seulement atteinte à la liberté de décision de l'associé contractant et non à celle de l'organe
souverain de la société (1480).
En second lieu, l'engagement ne porte pas atteinte au principe de la révocabilité ad
nutum des administrateurs et laisse intact le pouvoir de l'organe délibérant de révoquer
librement. En effet, le groupe minoritaire pouvait aisément pourvoir au remplacement de
l'administrateur évincé en choisissant une autre personne en son sein. Il en irait autrement si,
compte tenu du faible nombre des actionnaires issus du groupe minoritaire, la répartition
égalitaire des sièges d'administrateurs devenait impossible suite à la décision de révocation.
Dans ce cas, les associés n'auraient pu, sans violer la clause, révoquer un mandataire social.
La règle de la révocabilité ad nutum s'en serait trouvée paralysée.
Ce faisant, la Cour de cassation se réfère très nettement, quoi qu'implicitement, à
l'effet de l'obligation de vote née de la stipulation. L'objet de celle-ci était par hypothèse de
prévoir une répartition égalitaire des postes d'administrateurs. Il n'avait en soi rien d'illicite.
De même, l'obligation trouvait sa cause dans la volonté des associés d'assurer le maintien
d'une collaboration égalitaire. Elle était également parfaitement licite. En d'autres termes, à
aucun moment, les parties n'avaient eu en vue la violation de la règle de libre révocation des
mandataires sociaux. Mais, la clause était susceptible de déboucher, selon les circonstances de
fait, sur la paralysie du principe de révocabilité ad nutum. Si tel était le cas, elle serait
invalidée. Dans le cas contraire, elle serait valable (1481).
(1480) Cet argument ne convainc pas (Rappr. D. SCHMIDT, note sous cass com 19 déc. 1983, précité). Certes,
en supposant cette violation avérée, la liberté de décision de l'assemblée générale n'est pas directement entravée
par la convention litigieuse. Seul l'associé est lié par la convention et non la collectivité des titulaires de droits
sociaux. Cela étant, en l'espèce, le contractant était également majoritaire au sein de l'assemblée générale, de
sorte que sa volonté propre était celle de la société (sur ce mécanisme, infra).
(1481) Cette référence à l'effet de l'obligation n'est au demeurant pas isolée en droit des sociétés. Outre le cas des
clauses de golden parachutes, la jurisprudence s'y réfère pour valider les promesses de cessions de droits sociaux
avec fixation d'un prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines. Pour la Cour de cassation, dès
lors que ces clauses ont simplement pour effet, pour résultat concret indépendamment de la volonté des parties,
de faire échapper un associé à toute contribution aux pertes, elles sont valables (cass com 20 mai. 1986, Bowater,
RTD civ. 1987 p. 744, obs. J. MESTRE ; cass com 24 mai 1994, consorts Chicot, Bull. IV n° 189) – sur la
portée de cette jurisprudence au regard du concept d'effet de l'obligation, V. N. RONTCHEVSKY, L'effet de
l'obligation, op. cit., n° 498 et s.
CCLXXVI
La convention sur le sens du vote ne doit pas avoir pour effet de porter atteinte à
l'ordre public sociétaire, principalement en pratique à la règle de révocabilité ad nutum.
Cependant, la situation contractuelle à laquelle elle donne naissance ne doit pas non plus
violer l'ordre public du marché.
b- La convention ne doit pas avoir pour effet de contrarier l’ordre public du marché
L'économie de marché (1482) est théoriquement régie par un double principe de libre
concurrence, entre des opérateurs supposés égaux, et de liberté contractuelle, qui permet à ces
derniers de conclure les conventions destinées à réaliser cette concurrence. Mais, ces deux
règles, loin de se compléter, entretiennent des relations tumultueuses (1483). La nécessité
d'assurer une libre compétition entre les acteurs économiques vient parfois limiter la liberté de
conclure des contrats et d'en aménager le contenu. A l'ombre du droit civil, s'est ainsi
développé un droit du marché, destiné à éliminer les entraves à la libre concurrence, qui la
fausseraient, la restreindraient voire la supprimeraient. Dans cette optique, les dispositions de
ce droit, dont la logique est fondamentalement différente de celle du droit commun (1484),
sont d'ordre public. En d'autres termes, alors que le droit civil des contrats permet la libre
conclusion des contrats et l'aménagement du contenu contractuel, le droit de la concurrence
vient restreindre cette liberté (1485), en posant le nécessaire respect d'un ordre public du
marché, parfois dénommé ordre public de direction ( 1486 ). L'application du droit civil
commun se trouve perturbée par les règles de ce qu'un auteur a dénommé le droit civil
économique (1487).
(1482) Sur la notion de marché, V. not. M.-A. FRISON-ROCHE, Le modèle du marché, in Arch. Phil. Droit t.
40, Droit et esthétique, 1995, p. 287.
(1483) B. OPPETIT, La liberté contractuelle à l'épreuve du droit de la concurrence, Rev. sciences morales et
politiques 1995 p. 241 – adde, du même auteur, Droit et économie, in Arch. Phil. Droit t. 37, Droit et économie,
1992 p. 17.
(1484) Rappr. M.-A. FRISON-ROCHE, Le modèle du marché, précité.
( 1485 ) sur les relations entre droit des contrats et droit de la concurrence, on consultera notamment : J.
MESTRE, Le juge du contrat, in J. MESTRE (sous la direction de), Ententes et abus de domination devant le
juge de droit commun, PUAM, 1995, p. 21 ; Cl. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, L'atteinte à la
concurrence, cause de nullité du contrat, in Mélanges Jacques Ghestin, Le contrat au début du XXI° siècle,
LGDJ, 2001, p. 601 ; B. FAGES et J. MESTRE, L'emprise du droit de la concurrence sur le contrat, RTD com.
1998 p. 71 ; N. DECOOPMAN, Droit du marché et droit des obligations, in Association Henri Capitant, Le
renouvellement des sources du droit des obligations, LGDJ, 1997, p. 141 ; M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de
la concurrence et droit des contrats, D. 1995 chron. p. 51 ; F. DREIFUSS-NETTER, Droit de la concurrence et
droit commun des obligations, RTD civ. 1990 p. 369.
(1486) B. OPPETIT, La liberté contractuelle à l'épreuve du droit de la concurrence, précité ; M. MALAURIEVIGNAL, Droit de la concurrence et droit des contrats, précité ; F. DREIFUSS-NETTER, Droit de la
concurrence et droit commun des obligations, précité.
(1487) J. MESTRE, RTD civ. 1987 p. 307.
CCLXXVII
Dès lors, la convention sur l'exercice du droit de vote étant régie par le droit
contractuel, qui en autorise la conclusion et pose simultanément des limites à sa licéité, va
devoir tenir compte de cet ordre public de marché. Précisément, tant 420-1 du code de
commerce (ancien art. 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) que l'article 81 (1488) du
Traité de Rome du 25 mars 1957 viennent sanctionner, "lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent
avoir pour effet, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions
concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions" (1489). L'article 420-3
du code de commerce (ancien art. 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) (1490) confère au
juge de droit commun le pouvoir d'annuler tout contrat qui réaliserait une entente prohibée par
le droit commun, ou par le droit communautaire (1491). Il s'ensuit que tout intéressé (1492)
pourrait être fondé à invoquer cette disposition dès lors qu'il démontrerait que la convention
sur le sens du droit de suffrage est constitutive d'une entente prohibée par les articles 420-1 et
81.
Les relations entre droit des sociétés et droit de la concurrence, qu'il soit interne ou
communautaire, ont peu intéressé la doctrine (1493), si l'on excepte la question de la filiale
commune, qui a suscité une réflexion abondante (1494).
(1488) anciennement, art. 85.
(1489) L'article 81 du Traité de Rome édicte une disposition similaire à celle de l'article 420-1 du code de
commerce : " Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes
décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce
entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la
concurrence à l'intérieur du marché commun" – sur cette question, on consultera notamment, au sujet de l'article
7 : G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 811 et s. ; G. CAS, R. BOUT et C.
PRIETO, Lamy droit économique, op. cit., n° 550 et s. ; M.-C. BOUTARD-LABARDE et G. CANIVET, Droit
français de la concurrence, LGDJ, 1994, n°36 et s. ; M. MALAURIE-VIGNAL, Droit interne de la
concurrence, Armand Colin, 1996, n° 214 et s. – au sujet de l'article 81, V. not. C. GAVALDA et G.
PARLEANI, Droit des affaires de l'Union européenne, op. cit., n° 434 et s. ; J. SCHAPIRA, G. LE TALLEC, J.B. BLAISE et L. IDOT, Droit européen des affaires, op. cit., p. 227 et s. ; F. SOUTY, Le droit de la concurrence
de l'Union européenne, 2° éd., Montchrestien, 1999, p. 41 et s.
(1490) Pour une application récente, V. cass com 24 oct. 2000, RTD com. 2000 p. 427, obs. E. CLAUDEL –
adde, les exemples cités par J. MESTRE, Le juge du contrat, précité – sur ce pouvoir du juge, J.-P. BRILL, Les
sanctions civiles des violations de l'ordonnance du 1er décembre 1986, Gaz. Pal. 1987, 2, doct. p. 775
(1491) Ce pouvoir d'annuler la convention qui contreviendrait au droit communautaire des ententes ne résulte
d'aucun texte mais du principe de l'effet direct de la règle européenne, en vertu duquel les justiciables sont
fondés à demander aux juges nationaux le respect de leurs droits issus de la norme supra-nationale – pour des
exemples, V. not. cass com 9 mai 1990, D. 1990 p. 509, note P. JOURDAIN ; CA Paris 23 mars 1989, RTD civ.
1989 p. 537, obs. J. MESTRE.
(1492) La nullité d'une convention de vote résultant de la violation d'une règle du droit de la concurrence ne
pourrait être qu'absolue, la finalité de celui-ci étant la protection du marché des biens et des services.
(1493) V. toutefois, R. KOVAR (sous la direction de), L'incidence du droit communautaire de la concurrence
sur le droit des sociétés, Dalloz, 1992 ; L. IDOT, L'harmonisation du droit des sociétés et du droit de la
concurrence, RID comp. 1993, n° spécial, p. 157 – adde, jugeant implicitement que l'entente pouvait revêtir la
forme d'une décision sociétaire d'exclusion de l'adhérent d'une coopérative, à condition d'avoir pour objet ou
pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence, cass com 22 févr. 2000, JCP 2000 p. 634 ; RJDA 2000 n° 719
CCLXXVIII
Rien ne paraît interdire de retenir la qualification d'entente à l'encontre d'une
convention relative à l'exercice du droit de vote. Si l'on conçoit mal que l'objet de
l'engagement sur le sens du suffrage (1495) soit de porter atteinte à la libre concurrence, l'effet
néfaste du contrat sur celle-ci est parfaitement concevable. On peut imaginer une telle
convention conclue entre deux sociétés qui donnerait à l'un des contractants le contrôle d'une
troisième société dont ils étaient d'ores et déjà associés. La convention de vote, dès lors qu'elle
ne porte pas atteinte à l'intérêt social, peut être le support juridique du contrôle (1496).
D'ailleurs, la jurisprudence, tant interne (1497) que communautaire (1498), considère que la
simple prise de participation d'une société dans le capital d'une autre n'est pas en soi
constitutif d'une entente prohibée, sauf si la société cessionnaire acquiert le contrôle de droit
ou de fait au sein de ce groupement et qu'elle maîtrise son comportement commercial. Dès
lors, si la société acquiert le contrôle à la suite d'une convention de vote, celle-ci est
susceptible d'encourir la qualification d'entente, à condition cependant que les deux sociétés
exerce des activités semblables et que, du fait du contrat, l'une d'entre elles parvienne à influer
sur les pratiques commerciales de l'autre. Autrement dit, dès lors que l'accord permet à l'un
des associés d'acquérir le contrôle au sein d'une société concurrente, il peut être qualifié
d'entente prohibée. D'ailleurs, les auteurs considèrent généralement que la forme des ententes
est indifférente et peut donc revêtir l'habit d'un pacte extra-statutaire entre associés (1499).
; CA Paris 6 juill. 2000, Rev. Sociétés 2000 p. 591, obs. Y. GUYON, estimant qu'une société en participation
pouvait être constitutive d'une entente illicite.
(1494) La jurisprudence française refuse de retenir, en l'absence d'autres éléments, la qualification d'entente
prohibée à l'encontre de la filiale commune : ex. cass com 29 nov. 1994, Contrats, conc., cons. 1995 n° 33, obs.
L. VOGEL. En revanche, en droit communautaire, la question est discutée de savoir si la création de ce type
d'instrument de coopération entre entreprises relève du droit des ententes ou du contrôle des concentrations : sur
la discussion, C. GAVALDA et G. PARLEANI, Droit des affaires de l'Union européenne, op. cit., n° 492 et s. –
sur l'ensemble de la question, F. DEKEUWER-DEFOSSEZ (sous la direction de), Restructuration d'entreprises
et droit de la concurrence, LGDJ, 1993 ; C. CHAMPAUD et J.-P. LEVEL, Rapport, in colloque de Paris 20-22
févr. 1975, p. 114 ; D. PANTZ, Filiales communes et droit interne de la concurrence, Cah. Dr. Entr. 4/1989 p.
11 ; J. LOVERGNE, Filiales communes en droit français de la concurrence, Rev. conc. cons. 1993, n° 72, p. 34.
(1495) Le terme "objet" employé par le droit interne et communautaire de la concurrence ne doit pas être
entendu dans son sens juridique mais dans son sens commun, synonyme d'objectif. En cela, il se rapproche de la
notion civiliste de cause : en ce sens, J.-M. MOUSSERON, Technique contractuelle, 2° éd., Francis Lefebvre,
1999, n° 283 – plus nuancée, F. DREIFUSS-NETTER, Droit de la concurrence et droit commun des obligations,
précité.
(1496) Art. 233-3 C. Com. (ancien art. L. 355-1) – sur cette question, infra.
(1497) CA Nancy 27 nov. 1987, Gaz. Pal. 1988, 1, p. 251, note A. KIRBY et A. WINCKLER.
(1498) CJCE 17 nov. 1987, British american tobacco et Philip Morris C/ Reynolds, Rec. p. 4487 ; comp., en
matière d'abus de position dominante, sanctionnée par l'article 82 (ancien art. 86) du Traité de Rome, CJCE 21
févr. 1973, Continental Can, in http://curia.eu.int/common/recdoc/indexaz/fr/c1.htm – adde, considérant qu'une
convention de vote permettant d'acquérir la minorité de blocage puisse être qualifiée d'entente prohibée, déc. 15
oct. 1990, Cecakan, JOCE, L., 299, 30 oct. 1990.
(1499) G. PARLEANI, Les pactes d'actionnaires, précité, spéc. n° 67.
CCLXXIX
Ainsi, les principes du droit civil, tout en affirmant la validité des conventions sur
l'exercice du droit de suffrage, viennent en poser eux-mêmes les limites. Seul le contenu de
celles-ci est fixé par le droit des sociétés, mais c'est le droit civil, y compris le droit civil
économique, qui encadre la validité. Autrement dit, le seul fait de fonder cette dernière sur la
liberté contractuelle pose automatiquement des limites à cette liberté. En droit positif français,
le droit de conclure des conventions et d'en déterminer le contenu ne s'exerce que dans un
cadre légal (1500).
Le droit commun ne fonde pas seulement la validité de la convention sur l'exercice du
droit de suffrage. La sanction des contrats irrégulièrement formés obéit également aux règles
du droit des obligations.
§3. Une validité sanctionnée
La conclusion d'une convention de vote irrégulière va, conformément au droit des
obligations, entraîner la nullité de l'engagement. Autrement dit, c'est l'acte mal formé qui sera
sanctionné et non la personne de l'associé (A). Cependant, dans les sociétés par actions, ce
sont les contractants eux mêmes qui vont engager leur responsabilité pénale lorsqu'ils auront
conclu un contrat sur le sens du suffrage à titre onéreux, prohibé par l'article 242-9, 3°, du
code de commerce (ancien art. L. 440) (B).
A. Une sanction générale : la nullité de la convention
Tant la mise en œuvre de la nullité de l'engagement de vote (a) que l'étendue de la
sanction (b) sont régies par les principes du droit des obligations.
a- le principe de la mise en œuvre
Avant 1937, les tribunaux annulaient les conventions irrégulières (1501). Le décret-loi
du 31 août 1937 sanctionnait pour sa part par la nullité tous les engagements "ayant pour
( 1500 ) en ce sens, V. not. G. ROUHETTE, in D. TALLON et D. HARRIS, Le contrat aujourd'hui.
Comparaisons franco- anglaises, LGDJ, 1987, p. 31 ; L. BOYER, Rép. Civ. V° "Contrats et conventions", 1993,
n° 33 – Rappr. F. VON HAYEK, La constitution de la liberté, Litec, 1994.
(1501) Trib. com. Seine 8 mars 1928, Journ. sociétés 1928 p. 670 ; CA Lyon 26 nov. 1931, Journ. sociétés 1932
p. 410 ; CA Paris 22 févr. 1933, Journ. sociétés 1934 p. 223 ; DH 1933, 2, p. 258.
CCLXXX
objet ou pour effet de porter atteinte au libre exercice du droit de vote dans les assemblées
générales de sociétés par actions" (1502). Cependant, comme nous l'avons vu, ce texte a été
abrogé par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966. Aucun texte ne prohibe expressément les
accords de vote, a fortiori il n'existe aucune disposition organisant le régime de la sanction
des contrats irrégulièrement conclus.
Dès lors, certains auteurs se sont tournés vers l'article 235-1, alinéa 2, du code de
commerce (ancien art. L. 360) pour fonder la nullité d'une convention de vote illicite (1503).
Certes, ce texte ne vise que les "actes et délibérations de la société" mais il convient
d'interpréter largement ces termes. En ce qu'elles intéressent le fonctionnement du
groupement, les conventions de vote peut être qualifiées d' "actes de la société".
Cette opinion n'emporte pas l'adhésion (1504). En ce qu'il commande l'application du
régime, dérogatoire au droit commun, des nullités en droit des sociétés, l'article 235-1 doit
être interprété strictement. En particulier, un contrat sur le sens du suffrage, même s'il
intéresse au premier chef la vie sociale, ne peut être considéré comme étant conclu par la
société. Les termes "actes de la société" s'entendent comme ceux accomplis au nom du
groupement, par ses organes légaux. Par conséquent, le fondement de la nullité des
engagements de vote irréguliers doit être recherché dans le droit commun des obligations et
dans lui seul. Le débat n'est pas seulement académique. Si l'on fonde la nullité sur le code de
commerce, le régime de la sanction obéira au droit des sociétés (1505). Dans le cas contraire,
les règles gouvernant la sanction seront déterminées par le droit des contrats.
Le fondement de la nullité de la convention de vote étant déterminé, il reste à se
demander quels sont les titulaires de l'action. Il s'agit dès lors de déterminer la nature de la
(1502) cass com 14 mars 1950, JCP 1950 II n° 5694, note D. BASTIAN ; Trib. com. Marseille 28 mars 1952,
RTD com. 1953 p. 133 ; CA Douai 24 mai 1962, D. 1962 p. 688, note A. DALSACE ; RTD com. 1963 p. 114,
obs. R. HOUIN ; JCP 1962 II n° 12871, note D. BASTIAN ; Rev. Sociétés 1963 p. 69, note E. du PONTAVICE.
(1503) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 220 ; J. PENNEAU,
De l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, JCP éd. CI 1975 n° 11776,
spéc. n° 61 et s. ; J. CALVO et G.-A. de SENTENAC, Le praticien et les conventions de vote dans les sociétés,
Petites affiches 24 oct. 1990 p. 4.
(1504) Rappr. Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre
associés, op. cit., n° 291 ; D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit.,
n° 267 et s. ; D. GRILLET-PONTON, La méconnaissance d'une règle impérative de la loi, cause de nullité des
actes et des délibérations de la société, Rev. Sociétés 1984 p. 259, spéc. n° 17 ; A. CONSTANTIN, Réflexions
sur la validité des conventions de vote, précité, spéc. n° 25 , adde, D. SCHMIDT, Rapport de synthèse, RJ com.
nov. 1990 n° spécial, Stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions, p. 175
(1505) Par exemple, en droit des sociétés existe une faculté de régularisation de l'acte nul qui consiste en la
disparition du vice qui l'affecte (Art. 235-33, C. Com. – ancien art. L. 362). Elle fait disparaître la cause de
nullité, qui ne peut plus être invoquée, ni par voie d'action, ni par voie d'exception. En revanche, en droit
commun, la confirmation s'analyse en une renonciation au droit de demander la nullité : sur l'ensemble de la
question, J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 2442 et s.
CCLXXXI
nullité du contrat mal formé. Est-ce une nullité relative ou absolue (1506) ? Cette qualification
s'opère en fonction des intérêts à protéger. Si le législateur a entendu défendre des intérêts
particuliers, la nullité prévue ne sera que relative. En revanche, si c'est l'intérêt général que la
sanction vise à protéger, la nullité sera absolue (1507). Qu'en est-il en matière de contrats
portant sur l'exercice du droit de suffrage ? Il semble qu'il faille opérer une distinction.
Si l'engagement est nul parce que le consentement de l'associé contractant a été vicié,
la nullité ne pourra être que relative. C'est l'intérêt des parties au contrat, et d'elles seules que
le législateur a entendu protéger. Seul l'apporteur de capitaux victime pourra demander
l'annulation.
A l'inverse, si la convention de vote est irrégulière à cause de sa durée illimitée (1508),
ou de l'atteinte qu'elle porte à l'ordre public, soit par sa cause, soit par son effet, la nullité sera
absolue.
Le doute est cependant permis lorsque l'irrégularité de la convention résulte de
l'atteinte à l'intérêt social. Dans ce cas, on l'a vu, l'accord est privé de cause. En droit des
obligations, la nullité pour absence de cause revêt pour les juges un caractère absolu (1509). Il
y aurait lieu de transposer cette solution aux engagements sur le sens du suffrage et de
considérer que la nullité de ceux qui portent atteinte à l'intérêt social est absolu. Mais, cet
argument n'emporte pas véritablement la conviction. En effet, le caractère absolu de la nullité
(1506) La distinction civiliste entre nullité relative et nullité absolue est transposée par la jurisprudence en droit
des sociétés : cass com 17 janv. 1989, Bull. Joly 1989 p. 247, note P. LE CANNU ; Defrénois 1989 p. 1268, obs.
J. HONORAT. En l’espèce, la Chambre commerciale affirme que "est ouverte à toute personne justifiant d’un
intérêt légitime l’action tendant à faire déclarer la nullité d’un acte ou d’une délibération d’une société
commerciale affecté d’un vice de portée générale, tandis que la nullité ayant pour objet la protection d’intérêts
particuliers ne peut être invoquée que par la personne ou le groupe de personnes dont la loi assure la
protection" – dans le même sens, CA Paris 10 déc. 1999, RJDA 2000 n° 274.
(1507) Classiquement le critère de distinction entre les deux types de nullités résidait dans la gravité du vice qui
affecte l’acte ; si une condition d’existence faisait défaut, alors la nullité était absolue ; si les conditions
d’existence étaient remplies mais de manière imparfaite, la nullité était simplement relative. Cette analyse se
fondait sur une vision du contrat comme un être vivant fait d’organes. Elle a été remise en cause par Japiot (Des
nullités en matière d’actes juridiques. Essai d'une théorie nouvelle, thèse Dijon, 1909), qui a fait de la nullité un
droit de critique dirigé contre les effets de l’acte et sanctionnant une règle légale. Dans ces conditions, la
distinction entre nullité relative et absolue est fondée sur la nature des intérêts à protéger ; pour une critique de
cette analyse, Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 83 ; J.
FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, t. 1, L’acte juridique, op. cit., n° 342.
(1508) En principe, les engagements perpétuels sont nuls (ex. cass civ 3 ème 3 janv. 1989, RTD civ. 1989 p. 532,
obs. J. MESTRE), d'une nullité absolue (en ce sens, J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILLIAU, Traité de droit
civil. Les effets du contrat, op. cit., n° 192 – contra, F. RIZZO, Regards sur la prohibition des engagements
perpétuels, Dr. et patrimoine janv. 2000, p. 60, note 53), certains auteurs ont proposé de substituer à la nullité la
réduction de la durée du contrat (V. not. Ph. SIMLER, La nullité partielle des actes juridiques, Bibl. dr. priv. t.
101, LGDJ, 1968, n° 199 et s. ; M.-E. TIAN-PANCRAZI, La protection judiciaire du lien contractuel, PUAM,
1996, préf. J. MESTRE, spéc. n° 148 et s.). Cette sanction ne semble cependant pas adaptée aux conventions de
vote (comp. A. CONSTANTIN, Réflexions sur la validité des conventions de vote, précité, spéc. n° 13, note 27).
(1509) ex. cass civ 1ère 10 févr. 1993, Contrats, conc., cons. 1993 n° 128, obs. L. LEVENEUR.
CCLXXXII
d'un contrat pour absence de cause est discuté (1510). En droit des contrats, la nécessité d'une
cause dans l'engagement d'un contractant est destiné à protéger ce dernier, à lui éviter de
s'obliger sans contrepartie.
De surcroît, il est douteux que l'intérêt d'une personne privée, fût-il collectif,
s'apparente à un intérêt général (1511). Même si on voyait dans l'intérêt social autre chose que
l'intérêt des seuls associés (1512), l'intérêt de la société ne serait qu'un agrégat d'intérêts
privés. La société, en tant que personne morale de droit privé, ne peut être porteuse que d'un
intérêt particulier, seules les personnes publiques sont chargées de défendre l'intérêt général
(1513). Par conséquent, la nullité d'une convention de vote non conforme à l'intérêt social
devrait présenter un caractère relatif.
L'annulation d'une convention de vote emporte un certain nombre de conséquences.
b- le rayonnement de la nullité
La convention de vote n'existe pas ex nihilo. En ce qu'elle porte sur une prérogative de
l'associé (1514), elle s'inscrit dans un cadre sociétaire. Dès lors, la question se pose de savoir
si la nullité du contrat rejaillit sur la délibération au cours de laquelle le vote est émis. De
prime abord, une réponse négative s'impose. En effet, l'article 235-1 ne prévoit comme cause
d'annulation d'une résolution d'assemblée que la violation d'une disposition expresse (1515)
ou impérative (1516) du livre du code de commerce relatif aux sociétés. Or, aucune règle de
ce texte ne prohibe expressément les engagements sur le sens du suffrage. Il y a lieu d'en
conclure à la validité de la résolution sauf si, du fait de l'existence du contrat, les dispositions
impératives relatives au quorum ou à la majorité ont été violées (1517). De même, si le vote
(1510) F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 336 ; J. FLOUR et J.L. AUBERT, Les obligations, t. 1, op. cit., n° 344 ; B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil. Les
obligations, t. 2, op. cit., n° 1009.
(1511) B. OPPETIT, Les tendances actuelles du droit français des sociétés RID comp. n° spécial, Journées de
la société de législation comparée, vol. 11, 1989, p. 105.
(1512) sur ce débat, supra.
(1513) En sciences politiques, de nombreux auteurs dénoncent l'effritement de l'intérêt général en une multitude
d'intérêts catégoriels : P.-A. TAGUIEFF, Résister au bougisme, Les milles et une nuits, 2001.
(1514) sur l'aspect social du droit de vote, infra.
(1515) en cas de décision d'assemblée générale extraordinaire.
(1516) en cas de décision d'assemblée générale ordinaire.
(1517) en ce sens, J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 221 ; F.
MANSUY, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 139-1, 1994, n° 130 ; J. PENNEAU, De l'irrégularité des conventions de
vote dans le droit des sociétés commerciales, précité, spéc. n° 72.
CCLXXXIII
émis en exécution de la convention nulle provoque une rupture d'égalité entre associés, la
décision sera entachée d'abus de majorité et mérite, à ce titre, d'être annulée (1518).
Cependant, ce raisonnement ne convainc pas. En premier lieu, il peut paraître
choquant de laisser subsister le résultat d'un acte illicite (1519). En second lieu, l'article 235-1
sanctionne par la nullité les décisions d'assemblée générale qui méconnaîtraient les règles
relatives à la nullité des conventions. Or, en droit des contrats, les effets de l'annulation d'un
accord de volontés sont régis par l'adage "quod nullum est, nullum producit effectum" (1520).
D'après ce principe, un contrat nul est privé de toute efficacité. Il est réputé n'avoir jamais
existé. A l'égard des tiers, il se traduit par l'opposabilité de la nullité, sauf exceptions légales.
Dès lors, par application de cette règle issue du droit commun, la convention de vote nulle est
privée d'effet à l'égard de la société, à supposer que celle-ci soit un véritable tiers au pacte
(1521). Il convient donc d'en conclure que la nullité du contrat est susceptible de rejaillir en
toutes circonstances sur la validité de la délibération. Par conséquent, le juge va examiner si le
suffrage émis par l'associé contractant aurait été le même en l'absence de convention (1522).
Dans l'affirmative, la résolution d'assemblée sera maintenue. Dans le cas contraire, elle sera
invalidée, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'influence du vote émis en exécution d'une
convention nulle sur le résultat final du scrutin (1523).
On peut également s'interroger sur le sort d'un contrat dont une des clauses
contiendrait un engagement de vote nul. En effet, en pratique, il est rare qu'une convention sur
le sens du suffrage soit conclue isolément ; elle s'insère fréquemment dans un contrat plus
vaste. Par exemple, les cessions de droits sociaux renferment souvent des promesses de porte(1518) Rappr. CA Paris 27 févr. 1997, JCP éd. E. 1997 II n° 982, note A. VIANDIER ; Bull. Joly 1997 p. 573,
note J.-P. GARCON ; Dr. et patrimoine nov. 1997 p. 85, obs. J.-P. BERTREL. Certains auteurs ont d'ailleurs
estimé que l'abus de majorité était suffisant pour assurer le contrôle des conventions de vote et en permettre la
validité de principe (V. supra).
(1519) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés,
op. cit., n° 291.
(1520) H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, op. cit., V° " quod nullum est, nullum producit
effectum" – sur cette question, on consultera, outre les manuels de droit des obligations, M.-E. TIANPANCRAZI, Lamy Droit du contrat, fasc. 270, L'étendue de la nullité, 1999, n° 270-71 et s. ; A.
PIEDELIEVRE, Quelques réflexions sur la règle « ce qui est nul ne peut produire aucun effet », Mélanges
Pierre Voirin, 1966 p. 638 ; J. SCHMIDT, Les conséquences de l'annulation d'un contrat, JCP 1989 I n° 3397.
(1521) infra.
(1522) Rappr. D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, Sirey, 1970, n° 148.
(1523) La jurisprudence rejette en effet la théorie dite du vote efficace : ex. cass civ 3 ème 21 oct. 1998, Angeli,
JCP éd. E. 1999 p. 29, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN et p. 86, note Y. GUYON ; D. affaires 1999 p.
40, obs. M. BOIZARD ; RJDA 1998 p. 993, rapp. C. DAUM et p. 987, note P. LE CANNU ; Bull. Joly 1999 p.
107, note L. GROSCLAUDE ; Dr. Sociétés 1999 n° 2, obs. Th. BONNEAU ; RTD com. 1999 p. 116, obs. Cl.
CHAMPAUD et D. DANET ; Defrénois 1999 p. 1192, note H. HONORAT ; RJ com. 1999 p. 369, obs. D.
VIDAL ; Bull. d’actualités Lamy Sociétés commerciales févr. 1999, note L. MERLAND – sur cette question, V.
infra.
CCLXXXIV
fort, par lesquelles le cédant s'engagent à garantir au cessionnaire un poste d'administrateur
(1524). Si cet accord, qui mérite la qualification de convention de vote, est annulé, quel est le
sort de la cession ? Le juge saisi d'une telle question doit se reporter aux règles gouvernant le
droit des contrats. Or, en dépit de la rédaction étroite de l'article 1172 du Code civil, les
tribunaux accueillent volontiers la théorie dite de la nullité partielle (1525). La nullité d'une
clause contractuelle ne rejaillit sur l'acte tout entier que si la stipulation nulle était la cause
impulsive et déterminante de l'engagement des parties, à défaut de laquelle elles n'auraient pas
contracté. Dans l'affirmative, le contrat est anéanti ; dans le cas contraire, il est maintenu,
purgé de la stipulation nulle. En matière de conventions sur l'exercice du droit de suffrage,
doctrine (1526) et jurisprudence se bornent à appliquer ces principes. Ainsi, par exemple,
dans l'affaire Marine-Firminy, la nullité de la clause relative à la répartition égalitaire des
pouvoirs en blanc n'a pas entraîné celle du contrat dans sa globalité, au motif qu'il ne s'agissait
que d'une disposition secondaire "dont l'équilibre de la convention ne dépendait pas" (1527).
De la même manière, la Cour de cassation a admis que la nullité de l'engagement d'un
cessionnaire d'actions à garantir au cédant un poste d'administrateur pouvait entraîner la
nullité de la cession elle-même (1528).
Une question similaire se pose dans l'hypothèse où la convention de vote n'est qu'un
élément d'un montage. Ainsi, par exemple, dans l'affaire jugée le 30 juin 1995 par la Cour de
(1524) sur ces pactes, V. S. PRAT, Les pactes d'actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec,
1992, n° 328 et s. ; G. TILLEMENT, Promesse de porte-fort et droit des sociétés Rev. Sociétés. 1993 p. 51 ; A.
JONVILLE, Pratique de la promesse de porte-fort, Dr. et patrimoine févr. 1998 p. 28.
(1525) ex. cass civ 3ème 24 juin 1971, Bull. III n° 405 – sur l'ensemble de la question, Ph. SIMLER, La nullité
partielle des actes juridiques, op. cit. ; M.-E. TIAN-PANCRAZI, La protection judiciaire du lien contractuel,
op. cit., n° 115 et s. ; adde, du même auteur, Lamy Droit du contrat, fasc. 270, L'étendue de la nullité, précité, n°
270-17 et s. ; B. TEYSSIE, Quelques réflexions sur les conséquences de la nullité d'une clause d'un contrat, D.
1976 chron. p. 281.
( 1526 ) J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit commercial, t. 2, op. cit., n° 120 ; D.
VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 285 ; F. MANSUY, J.-Cl.
Sociétés, Traité, fasc. 139-1, précité, n° 127 ; A. TUNC, Les conventions relatives au droit de vote et
l'organisation des sociétés anonymes, Rev. Gén. Dr. Comm. 1942 p. 97, spéc. n° 12 ; J. PENNEAU, De
l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, précité, spéc., n° 61 – contra, J.
ROUSSEAU, Le décret-loi du 31 août 1937 et les conventions sur le droit de vote, JCP 1939 I n° 118
(1527) Trib. com. Paris 1er août 1974, Rev. Sociétés 1974 p. 685, note B. OPPETIT ; RJ com. 1975 p. 80, note
Y. CHARTIER ; RTD com. 1975 p. 130, obs. R. HOUIN.
(1528) cass com 14 mars 1950 a contrario, JCP 1950 II n° 5694, obs. D. BASTIAN ; RTD com. 1950 p. 426,
obs. J. RAULT. En l'espèce, la Cour écarte la nullité de la cession de droits sociaux, car les parties avaient
expressément conféré à l'accord critiqué un caractère accessoire – comp. cass com 17 mars 1974, Bull. IV n° 194
; RTD com. 1975 p. 534, obs. R. HOUIN ; Gaz. Pal. 1975, 1, p. 127, note A.P.S. ; Rev. Sociétés 1977 p. 84, note
D. RANDOUX ; Grandes décisions n° 22, p. 97, note Y. CHARTIER et J. MESTRE. La Haute juridiction
annule une cession de droits sociaux, assortie d'un mandat irrévocable conférer au cessionnaire de représenter la
cédante au sein des assemblées générales. Celui-ci était la cause impulsive et déterminante de la cession.
CCLXXXV
Paris (1529), la société Métaleurop s'était implicitement engagée à voter en faveur d'une
augmentation de capital. Cet accord n'était qu'une partie du montage visant à renflouer une
société en délicatesse financière. En l'occurrence, les magistrats ont validé l'accord, au nom de
la liberté contractuelle (1530). Mais, s'ils en avaient prononcé la nullité, la sanction aurait-elle
rejailli sur le montage tout entier ?
En la matière, les juges, lorsqu'ils ont à statuer sur ce problème, utilisent le critère de
l'indivisibilité (1531). Il s'agit de savoir si, dans l'esprit des parties (1532), le contrat cadre de
montage est indissociable des contrats d'application. Dans l'affirmative, il sera annulé. Dans le
cas contraire, la nullité se limitera à la convention d'application en cause. En matière de
convention de vote, il semble difficile de donner à la question une réponse tranchée. Tout est
affaires de circonstances. Ainsi dans l'affaire Métaleurop (1533), l'engagement litigieux est,
selon les termes mêmes de la Cour de Paris, "une des pièces du montage permettant le
renflouement de [la société]". L'annulation de la convention aurait fait perdre son intérêt au
montage, puisque le redressement financier que permettait l'augmentation de capital projeté,
n'aurait pas pu être assuré. Cependant, en matière de pactes extra-statutaires, les juges sont
réticents à annuler les montages entiers lorsque un seul élément est invalidé (1534).
Ainsi, conformément au droit commun des obligations, une convention de vote mal
formée encourt la nullité. L'étendue de cette sanction est également gouvernée par le droit
contractuel. D'une manière générale, les sanctions frappent l'acte. Cependant, dans certaines
formes sociales, il peut arriver que l'associé lui-même soit sanctionné lorsqu'il a conclu une
convention de vote expressément prohibée.
B. Une sanction spécifique : la responsabilité pénale du contractant
(1529) CA Paris 30 juin 1995, JCP éd. E. 1996 II n° 795, note J.-J. DAIGRE ; RTD civ. 1996 p. 893, obs. J.
MESTRE ; Dr. Sociétés 1995 n° 198, obs. D. VIDAL.
(1530) supra.
(1531) sur laquelle, V. not. J.-B. SEUBE, L'indivisibilité des actes juridiques, Litec, 1999 ; F. DERRIDA, Rép.
Civ. V° "Indivisibilité", 1973 ; Ph. DELEBECQUE, J.-Cl. Civil, Art. 1217 à 1225, fasc. 55 à 57, 1987. Selon un
auteur "il y a indivisibilité entre les éléments homogènes d'un ensemble lorsque ceux-ci, a priori autonomes et
placés sur un pied d'égalité, sont unis par un lien permanent d'interdépendance préservant leur individualité
mais, tel que, chacun d'eux ayant été envisagé par les contractants comme une condition sine qua non de
l'existence de l'ensemble, il ne peuvent plus subsister isolément" (J. MOURY, De l'indivisibilité entre les
obligations et entre les contrats, RTD civ. 1994 p. 255, n° 29).
(1532) La source de l'indivisibilité entre les contrats réside en effet dans la volonté des parties, que celle-ci soit
expresse ou plus fréquemment tacite : cass com 15 juin 1999, JCP 2000 I n° 215, obs. A. CONSTANTIN.
(1533) CA Paris 30 juin 1995, précité.
(1534) ex. : cass com 18 nov. 1986, Bull. Joly 1986 p. 1147, refusant d'annuler une cession de droits sociaux
suite à l'annulation d'un apport en compte courant ; cass com 7 avr. 1987, Bull. Joly 1987 p. 277, pour un contrat
de travail et une clause de garantie de passif accompagnant une cession.
CCLXXXVI
L'article 242-9, 3°, du code de commerce sanctionne pénalement, en prévoyant à leur
encontre une peine d'emprisonnement de deux ans et/ou d'une amende de 60.000 francs, "ceux
qui se seront fait accorder, garantir ou promettre des avantages pour voter dans un certain
sens ou pour ne pas participer au vote, ainsi que ceux qui auront accordé, garanti ou promis
ces avantages". Cette infraction a été introduite par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, sur le
modèle de l'article 35-3 du décret loi du 30 octobre 1935, applicable aux assemblées
d'obligataires (1535). Son champ d'application est doublement limité. En effet, en premier
lieu, le texte n'est applicable qu'aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandite par
actions (1536). En revanche, l'article 244-2 (ancien art. L. 464-1) fait échapper les associés de
sociétés par actions simplifiée à l'incrimination. De plus, le principe d'interprétation stricte des
dispositions répressives interdit d'étendre l'infraction aux autres formes sociales, telles la
société en nom collectif ou la SARL. En second lieu, seule la conclusion de conventions de
vote à titre onéreux, moyennant rémunération, est susceptible d'engager la responsabilité
pénale de l'associé contractant.
L'article 242-9, 3° vise à réprimer la "corruption d'actionnaires" (1537), destinée à
entraver la sincérité du droit de vote et son indépendance. Le législateur a entendu sanctionner
aussi bien le corrompu que le corrupteur. L'infraction est donc double : sont également punies
la corruption active et passive. Si la détermination du corrupteur ne suscite pas de difficultés
particulières, celui-ci pouvant être soit un co-actionnaire, soit un tiers, on peut se demander si
le corrompu doit nécessairement être actionnaire. La lettre du texte milite en faveur d'une
réponse négative. En effet, les pouvoirs publics n'ont pas visé "l'actionnaire" mais "ceux" qui
auraient monnayé l'exercice du droit de vote. Par conséquent, le mandataire de l'actionnaire
qui se ferait corrompre afin de voter dans un certain sens est punissable sur le fondement de
l'article 242-9, 3 ° (1538).
(1535) dont les dispositions ont été reprises par l'article 245-11, 3° du code de commerce (ancien art. L. 473)
(1536) Art. 243-2, alinéa 1er, C. Com. (ancien art. L. 460)
(1537) Certains auteurs prennent appui sur sa similitude avec le délit de corruption de fonctionnaires pour
dénommer l'infraction visée à l'article 242-9, 3° "corruption d'actionnaires" : L. CONSTANTIN, Droit pénal des
sociétés par actions, PUF, 1968, p. 680 ; M. VERON, Droit pénal des affaires, Masson, 1992, p. 152.
(1538) J. PENNEAU, De l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, précité,
spéc. n° 52.
CCLXXXVII
En droit pénal, une infraction suppose, outre un élément légal, tenant à l'existence
d'une loi expresse, la réunion deux éléments constitutifs (1539). Qu'en est-il en matière de
corruption d'actionnaires ?
En premier lieu, il faut que soit caractérisé un élément matériel. Celui-ci doit être
examiné à un triple point de vue.
Tout d'abord, le délit suppose qu'ait été conclue une convention (1540). La seule
sollicitation de l'actionnaire n'est pas punissable, qu'elle émane d'une personne qui proposerait
de monnayer le sens du suffrage, ou de l'actionnaire lui-même, qui tenterait d'obtenir un
avantage (1541). Autrement dit, la tentative n'est pas répréhensible.
Peu importe que l'accord ait été exécuté. En d'autres termes, la seule existence d'un
contrat permet de caractériser l'infraction, le fait que le corrompu ait effectivement voté dans
le sens indiqué par le corrupteur est indifférent (1542).
Ensuite, il faut qu'un avantage ait été recherché ou octroyé. L'emploi de ce terme a
posé un problème d'interprétation.
Le texte dont les pouvoirs publics se sont inspirés pour réprimer pénalement la
corruption d'actionnaires visait expressément l'octroi d'un avantage particulier (1543). Par
conséquent, l'emploi du mot avantage est-il une simple inadvertance de la part du législateur ?
La notion d'avantage particulier se définit comme la faveur octroyée à un actionnaire par les
statuts, lui conférant plus de droits qu'à ses co-actionnaires (1544). Ainsi, pour la Cour de
(1539) G. STEFANI, B. BOULOC et G. LEVASSEUR, Droit pénal général, 17° éd., Dalloz, 2000, n° 210 et s.
(1540) Celle-ci demeurant occulte, le Ministère public établira son existence par tous moyens, comme le droit
pénal l'y autorise (sur la preuve en matière pénale, J. PRADEL, Procédure pénale, 7° éd., Cujas, 1993, n° 258 et
s.).
(1541) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., n° 218 ; R. et J.
LEFEBVRE, Les assemblées générales d'actionnaires. Nouveau régime, éd. Juridiques Lefebvre, 1968, n° 321 ;
L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 686 ; M. FOUGERES, J.-Cl. Pénal,
Annexes, fasc. G, 1992, n° 157 ; F. MANSUY, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 139-1, précité, n° 131.
(1542) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., loc. cit.; A. TOUFFAIT,
J. ROBIN, A. AUDUREAU et J. LACOSTE, Délits et sanctions dans les sociétés, 2° éd., Sirey, 1973, n° 312 ;
L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 681 ; W. JEANDIDIER, Droit pénal des
affaires, 4° éd., Dalloz, 2000, n° 255 ; J. LARGUIER, Droit pénal des affaires, 8° éd., Armand Colin, collection
U, 1992, p. 322.
(1543) souligné par nous.
1544(1544) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "Avantage particulier" – sur la notion, V. not. R. PERCEROU, La
notion d’avantage particulier, Mélanges Joseph Hamel, Dix ans de conférences d’agrégation, 1961, p. 173 ; J.-J.
DAIGRE, Actions privilégiées, catégories d’actions et avantages particuliers, in Prospectives de droit
économique. Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 213.
CCLXXXVIII
cassation, un tel avantage consiste en l'octroi d'un droit au profit d'un actionnaire (1545)
portant sur le fonds social ou ses produits (1546).
L'enjeu est de taille. Si l'on interprète le silence du texte comme une simple omission,
l'infraction ne sera caractérisée que si l'actionnaire s'est vu, afin de voter dans un certain sens,
octroyer un avantage particulier, à la suite de la procédure prévue par la loi (1547). En
revanche, si l'on retient l'acception commune du terme "avantage", synonyme de gain ou de
profit (1548), le délit sera commis qu'il y ait ou non prélèvement sur le fonds social.
Il semble que l'interprétation stricte des textes répressifs milite en faveur de la seconde
thèse. Puisque le législateur n'a pas repris l'ancienne expression, il y a lieu d'interpréter
étroitement sa volonté et de considérer que le terme "avantage" visé est exclusif du concept
d'avantage particulier (1549). Par conséquent, le profit retiré par le corrompu pourra être de
toute nature. Il pourra s'agir d'un gain pécuniaire ou extra-pécuniaire (1550). Mais encore
faut-il qu'il soit tangible et certain. Ainsi, le tribunal correctionnel de Lille a eu l'occasion de
juger que la promesse d'une marque de gratitude envers un actionnaire ne suffisait pas à
caractériser l'élément matériel du délit et s'analysait comme une formule de politesse usuelle
(1551).
Enfin, l'octroi d'un avantage ainsi défini doit viser à modifier le sens du vote ou à
dissuader l'actionnaire de "participer au vote". Dès lors, la question se pose de savoir si le fait
d'inciter, moyennant rémunération, un apporteur de capital à ne pas prendre part à l'assemblée
est répréhensible. Le doute est permis puisque l'absence du titulaire de droits sociaux à la
réunion l'empêche ipso facto de participer au scrutin. Dès lors, l'incitation à ne pas participer
(1545) ou depuis 1966 d'un tiers.
(1546) cass civ 6 mars 1935, DH 1935 p. 265 – comp. CA Roubaix 7 juill. 1994, Rev. Sociétés 1994 p. 713, note
D. RANDOUX. Pour la plupart des auteurs, le concept d'avantage particulier suppose une rupture d'égalité entre
les apporteurs de capitaux (V. ainsi, Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 286 – comp., D. SCHMIDT, Les
conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, collection Pratique des affaires, 1999, n° 38, qui considère
que l'octroi d'un avantage particulier provoque une rupture de l'intérêt commun entre actionnaires).
(1547) La procédure d'approbation des avantages particuliers obéit à un régime strict, défini par l'article 225-8 du
code de commerce (ancien art. L. 80). Elle fait intervenir un commissaire aux apports qui rédige un rapport.
Celui-ci est transmis à l'assemblée des actionnaires, chargée de l'approuver. Le bénéficiaire ne prend pas part au
vote – sur cette procédure, V. G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, t. 1, op. cit., n° 1471 ; A.
COURET et A. DARGENT, Le domaine d'application de la procédure d'approbation des avantages
particuliers, Dr. Sociétés, Actes pratiques, n° 47, 1999.
(1548) Dict. ROBERT, V° "Avantage".
(1549) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., loc. cit.; R. et J.
LEFEBVRE, Les assemblées générales d'actionnaires. Nouveau régime, op. cit., loc. cit..
(1550) contra, J.-F. BULLE et M. GERMAIN, Pratique de la société anonyme, Dalloz, 1991, n° 609.
(1551) Trib. corr. Lille 18 déc. 1956, Rev. Sociétés 1958 p. 83, note A. TOUFFAIT et J.-B. HERZOG. En
l'espèce, la solution a été rendue sur le fondement de l'article 12-3° de la loi du 23 janvier 1929, qui prévoit une
sanction similaire à celle de l'article 242-9, 3°, mais elle est transposable mutatis mutandis aux sociétés
anonymes.
CCLXXXIX
aux délibérations devrait être sanctionnée par l'article 242-9, 3° (1552). Cette interprétation,
pour séduisante qu'elle soit, ne saurait être accueillie. Le droit pénal est, comme nous l'avons
vu, régi par un principe d'interprétation stricte. Par conséquent, l'expression "prendre part au
vote" doit être étroitement entendue. Il faut en conclure que le fait d'acheter l'absence de
l'actionnaire n'est pas punissable (1553).
De même, si un actionnaire se voit accorder un avantage pour participer à la
délibération, le délit prévu à l'article 242-9, 3° n'est pas caractérisé. Bien au contraire, pour
remédier à l'absentéisme des actionnaires aux assemblées générales (1554), il est permis aux
dirigeants de leur offrir de menus cadeaux tels des jetons de présence ou des produits de la
société (1555).
Il existe, en droit pénal général, un second élément constitutif de l'infraction, l'élément
intentionnel, qui suppose un but frauduleux. Cependant, il existe des infractions purement
matérielles, qui sont caractérisées même en l'absence de mauvaise foi de la part du délinquant
(1556). Qu'en est-il en matière de corruption d'actionnaires ?
Les auteurs sont divisés sur le problème. Pour les pénalistes, en dépit du silence de
l'article 242-9, 3°, l'intention frauduleuse est requise (1557). Les commercialistes optent pour
leur part en faveur de la thèse inverse (1558). Il semble en effet que l'infraction ne soit pas
intentionnelle. Le législateur, lorsqu'il exige la mauvaise foi du contrevenant, prend soin
d'employer l'adverbe "sciemment" (1559), ou l'expression "de mauvaise foi" (1560). Son
silence doit donc être interprété comme excluant toute nécessité d'un élément intentionnel.
(1552) J. PENNEAU, De l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, précité,
spéc. n° 57.
(1553) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., loc. cit..
( 1554 ) sur ce phénomène, en recul constant du fait de l'activisme croissant des actionnaires, notamment
étrangers, infra.
(1555) A. TOUFFAIT, J. ROBIN, A. AUDUREAU et J. LACOSTE, Délits et sanctions dans les sociétés, op.
cit., n° 312 ; F. MANSUY, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 139-1, précité, n° 131 – sur cette pratique, tolérée à
condition que la rémunération soit modique et présente une utilité réelle pour la société, B. MERCADAL et Ph.
JANIN, Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 1850 ; Y. GUYON, L'évolution récente des
assemblées d'actionnaires, in Mélanges Guy Flattet, 1985, p. 39, spéc. n° 4.
(1556) G. STEFANI, B. BOULOC et G. LEVASSEUR, Droit pénal général, op. cit., n° 228 et s..
(1557) W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, op. cit., loc. cit. ; M. VERON, Droit pénal des affaires, op.
cit., p. 312 ; L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 686 ; M. FOUGERES, J.-Cl.
Pénal, Annexes, fasc. G, précité, n° 157.
(1558) J. HEMARD, F. TERRE et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, op. cit., loc. cit. ; R. et J.
LEFEBVRE, Les assemblées générales d'actionnaires. Nouveau régime, op. cit., loc. cit. ; J. PENNEAU, De
l'irrégularité des conventions de vote dans le droit des sociétés commerciales, précité, spéc. n° 58.
(1559) V. art. 242-9, 1°,C. Com., sur le délit d'entrave à la participation.
(1560) V. art. 242-6, 4°, C. Com. (ancien art. L. 437), sur l'abus de biens sociaux.
CCXC
L'article 242-9, 3° n'a donné lieu, à notre connaissance, à aucune jurisprudence. Il est
devenu banal de dénoncer l'inefficacité du droit pénal des sociétés (1561). Cette absence
d'effectivité de la règle répressive se retrouve avec une particulière acuité en matière de
corruption d'actionnaires. Elle s'explique par le fait que le droit civil est suffisant à protéger
l'associé engagé dans les liens d'une convention de vote, ainsi que le groupement. Le droit
commun prive d'effet le contrat qui nuirait aux intérêts de l'associé contractant ou de la
société. Point n'est besoin de prévoir une protection pénale supplémentaire. Celle-ci ne
s'impose que lorsque le patrimoine de l'apporteur ou de la société est menacé, comme c'est le
cas en matière d'abus de biens sociaux. S'agissant des conventions de vote, la nullité du
contrat mal formé apparaît comme une sanction suffisante.
Si le droit des contrats fonde la validité de ce type d'engagements, en pose les limites
et les sanctions, il en limite paradoxalement l'efficacité.
Section 2 : Les effets contrastés des conventions sur l'exercice du droit de
vote.
Certains effets sont communs à toutes les conventions. Ce sont ceux qui sont
déterminés par le Code civil (§1). Néanmoins, certaines sont conclues au sein de sociétés
cotées sur un marché réglementé, régi par un principe de transparence (1562). Dans ces
conditions, le droit boursier confère un effet spécifique à certains accords de vote : la
reconnaissance d'une action de concert (§2).
§1- Les effets communs à toutes les conventions
A l'instar de tout contrat, les engagements relatifs à l'exercice du droit de suffrage ont
force obligatoire entre les parties. Ce type d'accord est pleinement soumis à l'article 1134 du
Code civil (A).
Mais, comme pour toute convention, le principe de l'effet relatif, posé à l'article 1165
vient tempérer la règle de la force obligatoire, dont il constitue le corollaire (B).
(1561) A. VITU, Regards sur le droit pénal des sociétés, Mélanges René Roblot, Aspects actuels du droit
commercial français, LGDJ, 1984, p. 248. ; R. MERLE, Les sociétés commerciales et le droit pénal, RID pénal
1987 p. 159 – pour une étude d'ensemble, V. O. FLEJOU, Contribution à l'étude du droit pénal des sociétés
commerciales, thèse Aix en Provence, 2001.
(1562) sur ce principe en droit boursier, infra.
CCXCI
A. La force obligatoire
Comme tout contrat, la convention de vote a force obligatoire entre les parties (a).
Mais, l'efficacité de ce principe est tempérée par les principes du droit des obligations lorsqu'il
s'agit d'en sanctionner l'inexécution (b).
a- Le principe de la force obligatoire
Ce principe de la force obligatoire est posé à l'article 1134 alinéa 1 er. L'associé est tenu
d'émettre un suffrage dans le sens indiqué par la convention ( 1563 ). L'exécution d'une
convention valable ou l'inexécution d'une convention nulle, privée d'effet contraignant, ne
suscitent pas de difficultés particulières.
Une question surgit cependant qui n'a, à notre connaissance, pas été abordée en
jurisprudence. Un contrat conclu entre actionnaires étrangers qui serait valable au regard de la
lex societatis mais nul au regard du droit français a-t-il force obligatoire ? Autrement dit, les
règles du droit des contrats régissant et encadrant les conventions de vote sont-elles des lois
de police visées par l'article 3 du Code civil, au sens du droit international privé ? Le
problème n'est pas purement théorique compte tenu du poids de l'actionnariat étranger au sein
des sociétés françaises (1564).
Les lois de police sont celles "dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de
l'organisation politique, sociale ou économique d'un pays" (1565). En d'autres termes, même
si la règle de conflit rend applicable la loi étrangère, cette dernière sera écartée et la lex fori
appliquée. Ainsi, par exemple, en droit des contrats, les dispositions relatives au salarié
protégé (1566), ou celles relatives à l'emploi de la langue française dans les documents
contractuels (1567), sont considérées comme des lois de police. Le problème est donc de
savoir si les règles relatives à la formation de la convention sont des lois de police. Dans
(1563) Rappr. C. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la société par actions, Sirey, 1962, n° 122 ; C.
KOERING, La règle "une action-une voix", thèse Paris I, 2000, n° 282, note 655, pour lesquels l'obligation de
respecter la convention de vote, bien que reposant sur un fondement juridique, est avant tout morale.
(1564) sur cette question, V. infra.
(1565) Ph. FRANCESCAKIS, Rép. Droit international, V° "Conflits de lois", n° 137 – sur les lois de police, P.
MAYER, Droit international privé, 6° éd., Montchrestien, n° 121 et s. ; H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité
de droit international privé, t. 1, 8° éd., LGDJ, 1993, n° 254 – J.-B. DONNIER, Lamy Droit du contrat, fasc.
150, Le choix de la loi applicable, 1999, n°150-73 et s.
(1566) cass Plén. 10 juill. 1992, JCP 1993 II n° 22063, note P. RODIERE.
(1567) cass soc 19 mars 1986, D. 1987 p. 359, note G. LEGIER.
CCXCII
l'affirmative, l'accord de vote nul au regard du droit français ne pourrait être exécuté en
France.
Il semble cependant qu'il faille répondre négativement. Comme nous l'avons vu, la
convention de vote obéit au droit civil commun. Il y a donc lieu de la soumettre, en tant
qu'accord de volontés, au droit international privé des contrats. Précisément, celui-ci est régi
par un principe d'autonomie, posé pour la première fois en 1910 et repris par la Convention de
Rome du 19 juin 1980 (1568). D'après cette règle, les parties ont le libre choix de la loi
applicable, qui régira la formation et l'exécution de leur contrat. Autrement dit, les règles
relatives à la validité des contrats relèvent de la loi d'autonomie (1569). Par conséquent, un
accord valable au regard du droit étranger choisi par les contractants mais nul au regard de
l'article 1108 devrait trouver application en France. La solution contraire viderait de sa portée
la loi autonomie, en rendant obligatoire les principes gouvernant la formation du contrat,
contrairement à la volonté des parties. Dans ces conditions, il y a lieu d'en déduire la force
obligatoire d'une convention de vote, dès lors qu'elle est valable au regard de la loi étrangère.
La force obligatoire a pour corollaire l'intangibilité du lien contractuel ( 1570 ).
Autrement dit, toute rupture unilatérale est impossible. Il convient cependant de s'interroger
sur ce qu'il advient d'une convention de vote en cas de dissolution de la société. La question
ne s'est à notre connaissance jamais posée, l'hypothèse semblant peu probable en pratique. Il
semblerait cependant que, du fait de la disparition de la société, l'accord devienne caduc et
soit dès lors dépourvu de force obligatoire (1571).
Le problème peut se poser aussi de savoir si une convention de vote conclue avant la
signature des statuts, concernant par exemple l'assemblée générale décidant de la reprise des
actes accomplis pendant la période de formation (1572), a force obligatoire. Les rapports
(1568) cass civ 5 déc. 1910, American Trading, Grands arrêts du droit international privé n° 11.
(1569) P. MAYER, Droit international privé, op. cit., n° 736 et s. ; J.-B. DONNIER, Lamy Droit du contrat,
fasc. 150, Le choix de la loi applicable, précité, n° 150-87 et s.
(1570) sur lequel, V. Que reste-t-il de l'intangibilité du contrat ?, Dr. et patrimoine mars 1998 p. 41.
(1571) Rappr. D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 306.
( 1572 ) Normalement, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation n’engagent que les
personnes qui les concluent, solidairement et indéfiniment. Mais la société une fois immatriculée peut
valablement les reprendre. Outre la voie de la décision prise par l’assemblée générale constitutive, la reprise peut
revêtir deux autres modalités. En premier lieu, si un état des actes accomplis pour le compte de la société en
formation est intégré aux statuts, la signature de ces derniers vaudra reprise une fois l’immatriculation effectuée.
En second lieu, si un mandat statutaire ou extra-statutaire est donné par les associés à l’un d’entre eux ou au futur
dirigeant, sous réserve que les engagements et leurs modalités soient précisés dans le mandat, l’immatriculation
vaudra reprise – sur l’ensemble de la question, V. not. Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n° 164 et s. ; M.
COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op. cit., n° 267 et s.
CCXCIII
internes au sein d'un groupement en voie de constitution sont flous ( 1573 ). Faute de
personnalité morale, les relations entre associés "sont régies par le contrat de société et par
les principes généraux du droit applicables aux contrats et aux obligations" (1574). A ce
moment là, les futurs associés ne jouissent d'aucun droit social. En effet, les parts et actions
s'analysent, comme nous l'avons vu, en des droits personnels, des créances de l'apporteur sur
la société. Dès lors, leur octroi suppose l'existence d'une personne morale. Or, le droit de vote
est un accessoire du titre, il ne saurait donc faire l'objet d'une convention antérieurement à
l'immatriculation, faute d'avoir été attribué. Par conséquent, un accord sur le sens du suffrage
conclu pendant la période de formation n'aurait aucune valeur contraignante et s'analyse
comme un engagement d'honneur, dont la juridicité est faible (1575). Néanmoins, en pratique,
cette convention serait exécutée spontanément, afin d'éviter d'envenimer les rapports entre
associés dès le début de la vie sociale. Rien n'empêche cependant les parties de réitérer leur
accord de vote une fois la société immatriculée, afin de lui conférer une force obligatoire
juridiquement garantie.
Mais si le contrat a force obligatoire, encore faut-il qu'il soit exécuté de bonne foi.
Cette obligation posée à l'article 1134, alinéa 3, du Code civil, imprègne le droit des
obligations contemporain, au point que certains auteurs aient proposé d'en faire le pilier
(1576). Le droit des sociétés n'échappe d'ailleurs pas à l'emprise de la bonne foi contractuelle
(1577). Celle-ci met à la charge du contractant un double devoir de loyauté et de coopération
(1578). Dès lors, la convention de vote, comme tout accord de volontés, doit être exécutée de
bonne foi. Le problème est de savoir en quoi pourrait consister une exécution déloyale d'un tel
engagement. La question est, à notre connaissance, inédite en jurisprudence. L'hypothèse
pourrait cependant recouvrir le cas d'un associé qui, lié par une convention de vote, persuade
par ailleurs ses coassociés de voter dans un sens contraire au sien, afin de voir rejeté ou, à
(1573) I. TCHOTOURIAN, A propos du flou entourant les rapports internes d'une société en formation, Petites
affiches 7 sept. 2000 p. 4.
(1574) art. 1842, alinéa 2, C. Civ – sur l'interprétation de ce texte, B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mémento
pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 305 et s. – comp. M. GERMAIN, Naissance et mort des sociétés
commerciales, in Mélanges René Roblot, LGDJ, 1984 p. 217.
(1575) B. OPPETIT, L’engagement d’honneur, D. 1979 chron. p. 45.
(1576) Ch. JAMIN, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l'article 1134 du Code civil,
Dr. et patrimoine mars 1998 p. 46.
(1577) V., supra, sur la bonne foi fondant la théorie du vote abusif ; infra, pour l'obligation de loyauté de
l'associé.
(1578) J. MESTRE, D’une exigence de bonne foi à un esprit de collaboration, RTD civ. 1986 p. 100.
CCXCIV
l'inverse, adopté un projet de résolution (1579). En d'autres termes, l'associé contractant ne
pourrait pas "s'enfermer dans la lettre du contrat pour en éluder l'esprit" (1580).
Ainsi, l'exécution de la convention de vote est pleinement régie par le droit des
obligations. Mais ce dernier vient en limiter l'efficacité, étant impuissant à prévoir des
sanctions adéquates en cas d'inexécution. Cela revient à s'interroger sur la portée du principe
de la force obligatoire.
b- La portée du principe
Conformément au droit commun, l'inexécution d'une convention sur l'exercice du droit
de vote est sanctionnée (1). Cependant, l'incertitude pesant sur cette question conduit
fréquemment les parties à prévoir des mécanismes préventifs, destinés à encourager
l'exécution (2).
1. Les sanctions coercitives
L'inexécution d'une convention de vote est sanctionnée par la responsabilité
contractuelle de son auteur Il ne s'agit que de l'application classique du droit commun des
contrats (1581). Si le principe de la responsabilité ne suscite pas de difficultés particulières, la
mise en œuvre de la réparation est plus délicate.
La violation d'un accord de vote donne lieu à des dommages et intérêts de la part de
l'associé fautif (1582). Cependant, l'effet dissuasif de cet mesure est faible. En effet, l'associé
contractant, qui sera fréquemment en pratique une société de taille importante, préfère parfois
payer des indemnités substantielles, afin de pouvoir se soustraire à son engagement, dont
l'exécution effective s'avèrerait bien plus coûteuse (1583).
(1579) comp. en matière d'agrément, CA Paris 22 mars 1996, Dr. Sociétés 1996 n° 131, obs. D. VIDAL – sur
cette question, infra.
(1580) Selon la formule employée par le Doyen Carbonnier (J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 113).
(1581) Art. 1147 – sur l'ensemble de la question, V. not. J. FLOUR, J.-L. AUBERT, Y. FLOUR et E. SAVAUX,
Les obligations, t. 3, Le rapport d'obligation, Armand Colin, 1999, n° 171 et s. ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y.
LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 534 et s.
(1582) ex. cass com 21 févr. 1949, Bull. III n° 93.
(1583) D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 334.
CCXCV
C'est pourquoi il a été suggéré de substituer à cette réparation par équivalent une
réparation en nature du préjudice ( 1584), qui consisterait soit en une injonction faite à
l'associé contractant d'émettre un vote conforme à ses engagements, soit en une correction du
sens du suffrage opérée par le juge lui-même (1585). Mais cette sanction ne heurte-t-elle pas
l'article 1142 du Code civil qui dispose que "toute obligation de faire se résout en dommages
et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur" ? Or, l'accord sur le sens du suffrage
fait naître, on l'a vu, une obligation de faire, ou de ne pas faire (1586). C'est donc que la
réparation en nature de l'inexécution d'un tel engagement ne serait pas possible, celle-ci ne
pouvant donner lieu qu'à des dommages et intérêts. L'objection est de taille. Cependant, elle
n'emporte pas véritablement la conviction. En effet, les tribunaux ne s'attachent pas à la lettre
de l'article 1142 et prononcent fréquemment la réparation en nature des obligations
contractuelles de faire (1587), sauf lorsque ce procédé apporte une atteinte intolérable à la
liberté individuelle du débiteur (1588). Or, le droit de vote est l'accessoire d'une créance
(1589) et ne présente donc pas un caractère individuel, au sens strict. De prime abord, rien ne
paraît donc interdire la réparation en nature de l'inexécution d'un accord sur l'exercice du droit
de suffrage.
Un obstacle surgit cependant. La convention de vote est destinée à être exécutée au
sein d'un groupement. L'exécution de la prestation consiste en l'émission d'un suffrage au sein
d'une assemblée générale dans le sens dicté par l'accord. La société est un tiers au contrat, qui
ne lui est pas opposable, en vertu de l'effet relatif (1590). Dans ces conditions, le vote émis en
violation de l'engagement demeure valable au regard de la personne morale. Le
rapprochement avec les solutions existantes en matière de pacte de préférence portant sur des
(1584) Cette mesure est différente de celle de l'exécution en nature. Cette dernière suppose un créancier qui
craindrait une inexécution. La réparation en nature n'est ordonnée que lorsqu'il y a d'ores et déjà inexécution : sur
cette distinction, parfois malaisée, M.-E. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur la notion de réparation, bibl. dr.
priv. t. 135, LGDJ, 1974, p. 139 et s.
(1585) en ce sens, M. JEANTIN, Les conventions de vote, RJ com. nov. 1990, n° spécial, Stabilité du pouvoir et
du capital dans les sociétés par actions, p. 124, spéc. n° 35 – adde, du même auteur, Le rôle du juge en droit des
sociétés, in Mélanges Roger Perrot, Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ? , Dalloz, 1996, p. 149.
(1586) supra.
(1587) V. ainsi, ordonnant la fermeture d'un fonds concurrent, ouvert au mépris d'une clause de non-concurrence
conclue par le cédant d'un fonds de commerce : cass com 20 janv. 1981, Bull. IV n° 41 ; sur l'ensemble de la
question, outre les ouvrages de droit des obligations, V. Ph. SIMLER, J.-Cl. Civil, Art. 1136 à 1145, 1993, n°
106 et s. ; J. MESTRE, Observations sur l'attitude du juge face aux difficultés d'exécution du contrat, in J.
MESTRE (sous la direction de), Le juge et l'exécution du contrat, PUAM, 1993, p. 91 ; W. JEANDIDIER,
L'exécution forcée des obligations contractuelles de faire, RTD civ. 1976 p. 700.
(1588) V., par ex., refusant de condamner une strip-teaseuse ne voulant plus se déshabiller, TGI Paris 8 nov.
1973, D. 1975 p. 401, note M. PUECH.
(1589) sur ce caractère, supra.
(1590) infra.
CCXCVI
actions est à cet égard éclairant (1591). Le débat est classique : le bénéficiaire d'un tel accord
peut-il, si le promettant a vendu les titres à un tiers, obtenir du juge, à titre de réparation en
nature, la conclusion forcée de la vente à son profit, par substitution au tiers acquéreur ? La
jurisprudence répond par la négative (1592), et ce même si la collusion frauduleuse (1593)
entre le promettant et le tiers est avérée (1594). La Cour de cassation interprète étroitement
l'article 1142 puisqu'elle voit dans l'obligation du promettant une simple obligation de faire,
dont l'inexécution ne peut donner lieu qu'à des dommages et intérêts.
Même si cette interprétation restrictive et désuète de l'article 1142 ne convainc
nullement (1595), on ne peut que souscrire à son extension au domaine de la réparation en
nature des conventions de vote. En effet, bien que le Code civil n'empêche pas la réparation
en nature des obligations de faire, un tel procédé supposerait l'anéantissement de la résolution
d'assemblée générale, au cours de laquelle l'engagement a été violé. Or, la nullité de la
délibération ne peut être demandée à titre de réparation en nature, le code de commerce ayant
prévu un régime restrictif d'annulation des décisions. Dès lors, l'exécution forcée de la
convention de vote est impossible, sauf si la nullité de l'assemblée générale a pu être obtenue
pour un motif autre, tel l'abus de majorité (1596).
En revanche, si du fait de l'inexécution de l'engagement de vote, aucune résolution n'a
pu être adoptée, rien ne semble s'opposer à une exécution forcée de la convention. Ainsi, en a
décidé la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 30 juin 1995 (1597). En l'espèce, la
société Métaleurop s'était engagée à souscrire à une augmentation de capital, donc
indirectement à la voter. Or, elle avait ultérieurement refusé de participer à l'opération. Elle
fait donc valoir devant les juges parisiens à titre infiniment subsidiaire (1598) que l'obligation
de vote consécutive à son engagement étant une obligation de faire, elle ne pouvait se
( 1591 ) sur ce problème, V. not. H. LE NABASQUE et G. TERRIER, L'exécution forcée des pactes
d'actionnaires, Dr. Sociétés, Actes pratiques, n° 14, 1994 – adde, sur l'ensemble de la question, J.-P. DESIDERI,
La préférence dans les relations contractuelles, PUAM, 1997, préf. J. MESTRE, n° 676 et s. ; D. MAZEAUD,
La responsabilité du fait de la violation d'un pacte de préférence, Gaz. Pal. 1994, 1, p. 210.
(1592 ) cass com 27 mai 1986, RTD civ. 1987 p. 88, obs. J. MESTRE.
(1593) La collusion frauduleuse, définie comme la connaissance par le tiers de l'existence du pacte de préférence
et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir, est susceptible d'entraîner la nullité de la vente : ex. cass civ 3°
26 oct. 1982, Bull. III n° 208 ; cass com 27 mai 1986, précité.
(1594) cass civ 3ème 30 avr. 1997, RTD civ. 1998 p. 99, obs. J. MESTRE ; D. 1997 p. 475, note D. MAZEAUD ;
JCP 1997 II n° 22963, note B. THUILLIER – comp. cass com 7 mars 1989, RTD civ. 1990 p. 70, obs. J.
MESTRE ; JCP 1989 II n° 21316, note Y. REINHARD.
(1595) Rappr. J. MESTRE, obs. sous cass com 27 mai 1986, précité.
(1596) M. JEANTIN, Les conventions de vote, précité, spéc. n° 35 ; comp., Trib. com. Paris 12 févr. 1991, Bull.
Joly 1991 p. 592, note M. JEANTIN.
(1597) CA Paris 30 juin 1995, JCP éd. E. 1996 II n° 795, note J.-J. DAIGRE ; RTD civ. 1996 p. 893, obs. J.
MESTRE ; Dr. Sociétés 1995 n° 198, obs. D. VIDAL.
(1598) sur les autres arguments avancés par la société, supra.
CCXCVII
résoudre qu'en dommages et intérêts, conformément aux prescriptions de l'article 1142. Par
conséquent, le tribunal ne pouvait la condamner à souscrire à l'augmentation de capital. La
Cour de Paris est demeurée cependant insensible à cette argumentation et a ordonné la
convocation d'une nouvelle assemblée puis la souscription à titre de réparation en nature, en
ces termes : "si, aux termes de l'article 1142 du Code civil, l'obligation de faire se résout en
dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur, il résulte des dispositions
suivantes que le créancier a néanmoins le droit de réclamer l'exécution en nature chaque fois
que cette exécution est possible, ce qui est le cas en l'espèce". La Cour décide donc,
indirectement mais très nettement, de l'exécution de la convention de vote à titre de réparation
en nature. Puisque la société Métaleurop est condamnée à souscrire à l'augmentation de
capital, elle a nécessairement l'obligation lors de la nouvelle assemblée de voter en faveur de
l'opération projetée (1599).
Une question se pose cependant : le juge aurait-il pu nommer un mandataire ad hoc,
chargé de voter en lieu et place de l'associé contractant fautif ? Cette solution est accueillie
favorablement en matière d'abus de minorité ( 1600 ) et certains auteurs ont proposé de
l'étendre au domaine de l'exécution forcée des conventions de vote (1601). Une telle opinion
n'emporte pas l'adhésion. Les deux hypothèses sont bien différentes. La nomination d'un
mandataire chargé de voter en lieu et place de l'associé doit demeurer une solution
exceptionnelle, circonscrite aux hypothèses dans lesquelles la survie même du groupement est
en jeu. Tel n'est pas le cas lorsqu'un accord de vote a été inexécuté.
A la lecture de cette décision, un problème surgit. Comme nous l'avons vu, l'accord
par la société Métaleurop n'était qu'un élément d'un montage. Qu'advient-il de ce dernier
lorsque la convention est violée ? En d'autres termes, l'inexécution de l'engagement de vote
peut-il entraîner la résolution du montage ? En condamnant la société contractante à souscrire
à l'augmentation de capital, la Cour de Paris a habilement éludé la question. Néanmoins,
comme en matière de nullité, les juges saisis d'une telle question pourraient utilement
rechercher si, dans l'esprit des parties, il y avait indivisibilité entre les différentes conventions
d'application du contrat-cadre de montage ( 1602). Dans l'affirmative, l'inexécution de la
(1599) comp. J.-J. DAIGRE, note sous CA Paris 30 juin 1995, précité.
(1600) supra.
(1601) M.-C. MONSALLIER, L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, bibl. dr.
priv. t. 303, LGDJ, 1998, n° 530.
(1602) V. supra, pour la nullité.
CCXCVIII
convention de vote pourrait entraîner la résolution de l'ensemble de l'opération (1603). Or,
l'engagement souscrit par la société Métaleurop était bien au cœur du montage. Il semblerait
par conséquent que son inexécution fût de nature à provoquer l'anéantissement du contratcadre.
On le voit, les conséquences attachées à la violation d'une convention de vote valable
sont pour le moins lourdes. Leur sanction étant de surcroît incertaine, l'intérêt des parties est
donc de prévoir des mécanismes destinés à en encourager l'exécution.
2. Les mesures préventives
Plusieurs mesures sont envisageables (1604).
En premier lieu, les parties pourraient songer à introduire une clause pénale dans la
convention de vote. Cette stipulation prévoit une somme forfaitaire de dommages et intérêts
dus en cas d'inexécution (1605). Elle présente donc un caractère préventif, d'autant plus
marqué que le montant des indemnités est élevé (1606). Elle s'analyse donc comme un moyen
de pression exercé sur le débiteur, de nature à l'inciter à exécuter ses obligations. On
comprend donc l'utilité de la clause pénale insérée dans les conventions de vote (1607).
L'associé contractant désireux d'échapper au paiement d'une indemnité forfaitaire
substantielle, sera naturellement tenté de voter dans le sens indiqué par la convention.
Cependant, en réalité, l'introduction d'une telle disposition au sein d'un engagement sur le sens
du suffrage ne présente qu'une utilité réduite. En effet, l'article 1152, alinéa 2, du Code civil,
autorise le juge à réduire, même d'office, une peine qu'il estimerait excessive (1608). Par
conséquent, ce pouvoir prétorien est de nature à limiter considérablement la nature préventive
de la clause pénale.
(1603) V. par exemple, en matière d'accord extra-statutaire, CA Paris 5 avr. 1990, Rev. Sociétés 1990 p. 475,
obs. Y. GUYON – sur pourvoi, cass com 11 avr. 1992, cité par D. PORACCHIA, La réception juridique des
montages conçus par les professionnels, PUAM, 1998, n° 398.
(1604) Pour une typologie des mesures préventives en matière de pactes d'actionnaires, S. PRAT, Les pactes
d'actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, Litec, 1992, n° 471 et s.
(1605) sur la clause pénale, V. not. F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op.
cit., n° 601 et s.
(1606) J. FLOUR, J.-L. AUBERT, Y. FLOUR et E. SAVAUX, Les obligations, t. 3, op. cit., n° 236 ; J.
CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 180 – en ce sens, cass com 27 mars 1990, RTD civ. 1990 p. 655,
obs. J. MESTRE : "la peine stipulée peut se concevoir aussi bien comme un moyen de contraindre les parties à
l'exécution que comme une évaluation conventionnelle anticipée du préjudice futur".
(1607) Le Code civil autorise une telle insertion (art. 1152), la clause pénale ne demeurant interdite que dans
certains contrats, tels le contrat de travail (art. L. 122-42 C. Trav.)
(1608) V. par ex., cass com 11 févr. 1997, RTD civ. 1997 p. 654, obs. J. MESTRE, qui considère que le pouvoir
du juge s'exerce en comparant la disproportion entre le montant de la peine et le préjudice effectivement subi.
CCXCIX
Ensuite, la question se pose de savoir si les parties pourraient insérer au sein de la
convention de vote une clause d'exclusion. Celle-ci prévoirait qu'en cas d'inexécution de son
engagement, l'associé contractant serait exclu du groupement. Ce type de stipulation aurait
une efficacité préventive maximale. Il ne semble cependant pas que le droit positif autorise
son insertion au sein d'un accord sur le droit de suffrage. En effet, si la validité de cette
disposition est incontestable lorsqu'elle est insérée dans les statuts (1609), elle est beaucoup
plus discutée si la clause figure dans un pacte extra-statutaire.
Les auteurs sont divisés sur la question. Pour les uns, cette mesure, eu égard à
l’atteinte qu’elle porte au droit de faire partie de la société, ne peut faire l’objet d’un accord
entre associés. Elle fait partie du domaine réservé au pacte social (1610). Comme la qualité
d’associé découle de la signature du contrat de société, seul celui-ci pourrait la remettre en
cause. Autrement dit, un contrat entre associés ne pourrait avoir pour objet ou pour effet
d’exclure un associé de la société.
Ce courant s’appuie sur deux décisions jurisprudentielles. Tout d’abord, il invoque un
arrêt rendu par la Chambre commerciale le 8 février 1982 ( 1611). En l’occurrence, des
médecins étaient actionnaires d’une société anonyme exploitant une clinique et avaient conclu
une convention prévoyant l’exclusion de chacun d’entre eux à l’unanimité des autres. L’un
d’entre eux, exclu de la société sur ce fondement, intenta une action en responsabilité.
Néanmoins, la Cour d’appel retint l’inopposabilité du contrat en cause. Sur le fondement de
l’effet relatif des conventions, ce dernier n’était pas opposable à la société, faute d’avoir été
signé par un représentant de la société, agissant es qualité. Ce raisonnement est approuvé par
la Haute juridiction, en ces termes : « la convention litigieuse était distincte du contrat de
société […] et elle n’avait pas été signée par un représentant de la société ». Cependant, il est
difficile de déduire de cette décision une prohibition de portée générale (1612), la Cour de
cassation ne s’étant pas prononcée sur la validité de la convention. Quelle aurait été la
position des Hauts magistrats si le contrat contenant la clause avait été signé par un
(1609) CA Rouen 8 févr. 1974, Rev. Sociétés 1974 p. 507, note R. RODIERE ; CA Aix en Provence 26 juin
1984 a contrario, D. 1985 p. 372, note J. MESTRE et surtout cass com 13 déc. 1994, Affaire du Midi Libre,
RTD civ. 1995 p. 356, obs. J. MESTRE et p. 647, obs. P.-Y. GAUTHIER ; Bull. Joly 1995 p. 152, note P. LE
CANNU ; JCP éd. E 1995 II n° 705, note Y. PACLOT et I n° 447, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ;
Rev. Sociétés 1995 p. 298 – sur ce problème, supra.
(1610) en ce sens, J.-P. STORCK, La validité des conventions extra-statutaires, D. 1989, chron. p. 267, spéc. n°
14 ; G. DURAND-LEPINE, L’exclusion des actionnaires dans les sociétés non cotées, Petites affiches 24 juillet
1995 p. 7 ; J.-J. DAIGRE, La perte de la qualité d'actionnaire, Rev. Sociétés 1999 p. 535.
(1611) Bull. mensuel d’informations des sociétés 1982 p. 970.
(1612) en ce sens, D. VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 191.
CCC
représentant de la société ? De plus, il s’agissait de l’exclusion des activités médicales de la
société, et non de l’exclusion de la société elle-même.
La deuxième décision citée par les adversaires de la validité des clauses extrastatutaires d’exclusion n’est pas plus convaincante (1613). En l’espèce, une société avait pour
objet la fourniture à ses membres de marchandises destinées à la revente. Un règlement
intérieur ( 1614 ) prévoyait les modalités d’adhésion au groupement. Ultérieurement,
l’assemblée générale décida d’exclure un associé sur le fondement du contrat litigieux.
L'exclu demanda alors l'annulation de délibération. La Cour d’appel accéda à sa demande au
motif que « la décision de l’assemblée générale était entachée de nullité comme contraire au
principe d’ordre public de l’égalité des associés qui s’opposait à ce que l’un d’entre eux
puisse être exclu du profit en vue duquel la société avait été constituée » et que compte tenu
de la similarité d’objet entre le groupement et la société, nul ne pouvait être exclu du premier
tout en demeurant porteur de parts de la seconde. Certains avaient déduit de cet arrêt qu’une
convention extra-statutaire ne pouvait prévoir de clause d’exclusion, la mesure litigieuse
ayant été prise sur le fondement d’une telle stipulation (1615). Néanmoins, les circonstances
particulières dans lesquelles cet arrêt a été rendu interdisent d’en tirer une prohibition de
principe des clauses d’exclusion extra-statutaires. Il semble qu’au contraire la liberté
contractuelle autorise la conclusion de conventions extra-statutaires renfermant des clauses
d’exclusion, à condition toutefois que tous les associés en soient parties et que la société les
approuve (1616). Par conséquent, une convention de vote ne pourrait pas renfermer une
clause d'exclusion, faute de lier l'ensemble des membres du groupement. Il peut en outre
paraître choquant de sanctionner l'associé alors que le manquement qui lui est reproché n'a pas
été commis es qualité mais en qualité de partie à une convention de vote (1617).
(1613) CA Paris 21 déc. 1983, Bull. mensuel d’informations des sociétés 1984 p. 303 ; Dr. Sociétés 1984 n° 74,
obs. M. GERMAIN.
(1614) Le règlement intérieur est un acte unilatéral émanant de la société elle-même et destiné à régir les
relations entre associés, ou entre les différents organes de la société ; sur l’ensemble de la question, P. LE
CANNU, Le règlement intérieur des sociétés, Bull. Joly 1986 p. 723 ; Th. BONNEAU, Le règlement intérieur
de la société, Dr. Sociétés févr. 1994.
(1615) M.-C. MONSALLIER, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n°
707 ; H. LE NABASQUE et alii, Les clauses de sortie dans les pactes d’actionnaires, Dr. Sociétés, Actes
pratiques, n°5, 1992, n° 52 ; G. DURAND-LEPINE, L’exclusion des actionnaires dans les sociétés non cotées,
précité.
(1616) en ce sens, D. VELARDOCCHIO, Les accords extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 192 – rappr.
cass com 20 oct. 1998, inédit, pourvoi n° 96-20919 (cité par S. SCHILLER, L'influence de la nouvelle économie
sur le droit des sociétés, Rev. Sociétés 2001 p. 47, spéc. n° 29), par lequel la Cour de cassation admet la validité
d'une clause d'exclusion contenue dans le règlement intérieur d'une SARL. Cependant, il est difficile de tirer de
cette décision une pétition de principe, faute de publication.
(1617) Rappr. cass com 19 déc. 1983, Rev. Sociétés 1985 p. 105, note D. SCHMIDT ; Grandes décisions, n° 22,
note Y. CHARTIER et J. MESTRE.
CCCI
Les parties pourraient également prévoir la remise d'un chèque en blanc. L'associé
contractant va ainsi remettre un chèque libellé mais non daté. Néanmoins, si la licéité de cette
pratique ne souffre pas la discussion, son opportunité est pour le moins douteuse, en ce qu'elle
nuit au climat de confiance qui doit présider aux négociations d'un accord extra-statutaire
entre associés (1618). D'autres moyens ont par ailleurs été suggérés tels l'insertion d'une
clause de buy or sell par laquelle l'associé s'engage à racheter ou à vendre les titres de ses coassociés en cas d'inexécution de la convention (1619) ou la cession fiduciaire des titres à un
tiers (1620).
Enfin, rien ne semble s'opposer (1621) à ce que le créancier de l'obligation de vote, qui
a de fortes raisons de penser que l'associé contractant ne votera pas dans le sens indiqué par
l'accord, demande en justice l'exécution forcée du contrat. Dans une telle hypothèse,
l'assemblée pourrait être reportée et un séquestre nommé afin d'assurer le respect de la
convention (1622). Mais cette solution, pour fondée qu'elle soit, n'est pas exemptes de risques
pour un déroulement harmonieux de la vie sociale car elle risque de perturber les relations
entre associés.
En définitive, aucun des moyens préventifs créés par la pratique ou suggérés par la
doctrine n'est véritablement satisfaisant. Leur validité est tantôt discutée, leur efficacité tantôt
limitée, ou leur existence même parfois nuisible à l'harmonie sociale et donc à l'intérêt social.
Le droit des contrats pose en principe la force obligatoire de la convention.
Néanmoins, cette règle a pour corollaire logique l'effet relatif des contrats posé à l'article 1165
et se trouve en la matière dénuée d'une grande partie de sa portée. En vertu de ce texte,
l'accord est inopposable aux tiers, et donc à la société.
B. L'effet relatif
(1618) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés,
op. cit., n° 291 ; S. PRAT, Les pactes d'actionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilières, op. cit., n° 413 ;
M.-C. MONSALLIER, L'aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., n° 532.
(1619) M. JEANTIN, Les conventions de vote, précité, spéc. n° 36.
(1620) J. MESTRE et alii, Synthèse des actes du colloque de Deauville, RJ com. 1991 p. 30.
(1621) supra.
(1622) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés,
op. cit., loc. cit.
CCCII
Aux termes de l'article 1165 du Code civil, "les conventions n'ont d'effet qu'entre les
parties contractantes. Elles ne nuisent point au tiers et elle ne lui profite que dans le cas
prévu à l'article 1121". Comme tout contrat, la convention de vote est donc pleinement
soumise à cette règle de l'effet relatif. A ce titre, elle est inopposable aux tiers. Il convient par
conséquent de délimiter cette qualité.
Pour la jurisprudence, la société est un tiers à l'engagement de vote. C'est ce qu'a
décidé le tribunal de commerce de Paris dans un jugement rendu le 12 février 1991 (1623). En
l'espèce, les juges consulaires refusent, au nom du caractère essentiel du droit de vote,
d'ordonner l'exécution forcée d'une convention de vote prévoyant une répartition égalitaire des
postes d'administrateurs : "le droit de vote est un droit fondamental de l'associé, il est d'ordre
public ; un principe, incontournable, est que ce droit de vote ne doit être exercé librement
lors de l'assemblée par l'associé qui doit conserver sa liberté jusqu'au bout. Quels qu'aient pu
être les engagements ultérieurs qu'a pu prendre l'associé, il reste libre de modifier son vote
jusqu'à la dernière seconde sauf éventuellement à engager sa responsabilité personnelle par
rapport à ses engagements contractuels antérieurs et qui sont étrangers aux dispositions de la
loi de 1966 applicables aux décisions des assemblées". Par conséquent, seul l'associé a
souscrit l'accord modelant l'exercice de son droit de suffrage. La société, même si elle est
directement intéressée à l'exécution du contrat, n'en demeure pas moins un tiers, en ce qu'elle
n'a nullement consenti à l'engagement. Si l'on peut regretter la timidité du juge dans cette
affaire, qui finalement réduit la créance née d'une convention de vote à un droit d'obtenir des
dommages et intérêts en cas d'inexécution (1624), il n'en demeure pas moins que la qualité de
tiers du groupement ne saurait être discutée. Certes, il est en effet admis en droit des contrats
que le lien contractuel puisse rayonner au delà du strict cercle des parties contractantes
(1625). Seuls les penitus extranei, définis comme les personnes totalement étrangères à la
convention (1626) ne sont pas liés par les effets obligatoires.
Cela étant, la distinction entre les parties et les tiers a été renouvelée. Un fort courant
doctrinal considère à cet égard que celle-ci est fondée sur la volonté du sujet (1627). Par
(1623) Bull. Joly 1991 p. 592, note M. JEANTIN – comp., symétriquement, considérant que les associés sont
des tiers aux contrats conclus par la société, cass civ 3ème 8 nov. 2000, RTD com. 2001 p. 162, obs. M.-H.
MONSERIE-BON.
(1624) D'autant que l'inopposabilité de la convention n'était pas un obstacle incontournable, aucune décision
sociale n'ayant pu être adoptée du fait de l'inexécution reprochée.
(1625) B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil. Les obligations, t. 2, op. cit., n° 1445 et s.
(1626) J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 122.
(1627) J. GHESTIN, La distinction des parties et des tiers au contrat, JCP 1992 I n° 3268 ; C. THIBIERGEGUELFUCCI, De l’élargissement de la notion de partie au contrat… à l’élargissement de la portée du principe
de l’effet relatif, RTD civ. 1994 p. 275 ; J. GHESTIN, Nouvelles propositions pour un renouvellement de la
distinction des parties et des tiers, RTD civ. 1994 p. 777 – comp., C. CHARBONNEAU et F.-J. PANSIER, Du
CCCIII
conséquent, « sont parties toutes les personnes liées avec leur consentement effectif, quels
qu’en soient la forme ou le moment, par les effets obligatoires du contrat. Sont tiers toutes les
autres personnes, y compris celles qui sont liées par les effets obligatoires du contrat dès
l’instant qu’elles n’ont pas consenti à cet effet obligatoire » (1628). Dans cette approche,
seule l’absence totale de consentement au contrat est de nature à entraîner la qualification de
tiers. Cependant, en matière d'engagements de vote, on ne peut raisonnablement soutenir que
la société a consenti à l'accord, même de manière tacite. Elle ne saurait être tenue par les
effets obligatoires de la convention. Autrement dit, celle-ci lui est inopposable.
Est-il possible de soutenir la thèse inverse en voyant dans la convention de vote une
stipulation pour autrui tacite (1629) ? Cette notion est envisagée comme l'hypothèse dans
laquelle l'une des parties au contrat, le stipulant, obtient de l'autre, le promettant, qu'elle
s'engage à faire, ne pas faire ou donner quelque chose, à un tiers, le bénéficiaire (1630). Dès
lors, rien ne paraît interdire de transposer ce raisonnement aux engagements sur le sens du
suffrage, l'associé votant étant le promettant, son cocontractant le stipulant et la société
bénéficiaire. Une telle construction présenterait l'avantage de rendre la convention de vote
opposable à la société. Elle paraît toutefois bien artificielle et aurait peu de chances d'être
accueillie par un juge (1631).
Cependant, afin de rendre les conventions de vote opposables aux tiers et donc à la
société, le rapport Marini avait prévu un mécanisme de publicité légale de ces contrats (1632).
Celle-ci serait obligatoire dans les sociétés cotées et serait calquée sur celles des pactes
d'actionnaires prévue à l'article L. 356-1-4 (actuellement art. 233-11 C. Com.) (1633). Dans
les sociétés non cotées, une transparence similaire serait prévue mais ne serait que facultative.
renouveau de la notion de partie, Defrénois 2000 p. 284, qui proposent de substituer à la dichotomie
traditionnelle partie/tiers la notion de communauté d'intérêts.
(1628) J. GHESTIN, M. BILLIAU et Ch. JAMIN, Traité de droit civil. Les effets du contrat, op. cit., n° 335 et s.
(1629) La jurisprudence admet en effet que la stipulation pour autrui puisse être tacite : V. par ex. Trib. Com.
Paris 14 sept. 1983, RTD civ. 1985 p. 370, obs. J. MESTRE ; cass civ 1 ère 14 janv. 1989, RTD civ. 1990 p. 70,
obs. J. MESTRE.
(1630) F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 486.
(1631) Rappr. M. JEANTIN, Les conventions de vote, précité, spéc. n° 35.
(1632) Ph. MARINI, La modernisation du droit des sociétés, La Documentation française, 1996, p. 67.
(1633) Ce texte prévoit la transmission au Conseil des marchés financiers à fins de publicité de certains pactes.
Mais son objet est limité. Il ne vise que les accords comportant des "conditions préférentielles de cessions ou
d'acquisition d'actions". Il laisse donc hors de son champ d'application les conventions de vote. – sur cette
publicité, quelque peu réformée par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations
économiques, Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours,
retrait…, EFE, 1999, n° 88 et s. ; J. MESTRE et D. VELARDOCCHIO, Les réformes du droit des sociétés
commerciales dans la loi "nouvelles régulations économiques" du 15 mai 2001, Bull. d'actualité Lamy Sociétés
Commerciales, juin 2001 ; J.-J. DAIGRE, Loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.
Aspects de droit financiers et de droit des sociétés, JCP 2001 p. 1197.
CCCIV
Le contrat ainsi publié étant opposable au groupement, le vote émis dans un sens contraire à
l'engagement pourrait être annulé et corrigé. Cette initiative a été critiquée, en ce qu'elle
poserait une solution générale à des problèmes qui ne peuvent être résolus que
ponctuellement, et qu'elle introduirait une distinction superflue entre les pactes publiés et les
autres (1634). Cette opinion n'emporte pas l'adhésion. En effet, un mécanisme de publicité
destiné à renforcer l'efficacité de l'accord est de nature à inciter fortement les parties à y
recourir. Dès lors, en pratique, il n'y aurait guère que des conventions publiées. Cependant,
pour séduisante qu'elle soit, la proposition du sénateur Marini n'a pas retenu l'attention des
pouvoirs publics puisque la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations
économiques ne l'a pas reprise.
Cependant, si le tiers ne saurait être tenu par la convention, il a cependant le devoir de
la respecter et ne peut se faire le complice de sa violation. La Cour d'appel de Versailles a
ainsi fait application à la matière des accords extra-statutaires entre associés de la théorie
civiliste de la tierce complicité (1635), dans un arrêt rendu le 29 juin 2000 (1636). En
l'espèce, une société, désireuse de prendre le contrôle d'une entreprise concurrente, avait incité
les signataires d'un pacte, destiné à faire échec à l'opération, à le violer. Elle leur avait promis
une indemnisation de trois millions de francs pour le cas où leur responsabilité serait engagée.
Saisis du litige, le tribunal de commerce puis la Cour d'appel de Versailles retiennent la
responsabilité de la société : "la société Halisol a […] mené une entreprise de déstabilisation
empreinte d'une totale déloyauté pour s'imposer dans le capital de la société Médix et en
prendre progressivement le contrôle ; […] la société Halisol a incité, avec une promesse
d'indemnisation en cas de procès, les actionnaires liés par un pacte à la majorité alors en
place, à violer leurs engagements ; que, grâce à cette stratégie, elle a obtenu la révocation
desdits dirigeants et activement participé à la réunion précipitée et constitutive d'un abus de
droit d'un conseil d'administration lui permettant de se faire agréer comme nouvel
actionnaire ; qu'ayant ainsi gravement nui à l'intérêt social de la société Médix, celle-ci est
(1634) J. BONNARD, L'influence des principes généraux du droit des contrats en matière de pactes d'associés,
in Prospectives du droit économique. Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 139. On a également pu
lui reprocher de porter atteinte au secret des affaires, et de limiter paradoxalement l'efficacité pratique des
conventions de vote (G. GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument
d'adaptation du droit des sociétés, op. cit., n° 424 et s.)
(1635) Les juges admettent en effet très classiquement qu'un tiers qui se rend complice de la violation d'une
obligation contractuelle engage sa responsabilité délictuelle et s'expose ainsi à verser des dommages et intérêts
au contractant victime : V. ainsi, cass civ 1ère 26 janv. 1999, RTD civ. 1999 p. 625, obs. J. MESTRE – comp.
cass civ 3ème 24 mars 1999, RTD civ. 1999 p. 617, obs. J. MESTRE.
(1636) CA Versailles 29 juin 2000, JCP éd. E. 2000 p. 1359 ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 384, obs. A.
LIENHARD.
CCCV
fondée à lui demander réparation". Autrement dit, pour les magistrats versaillais, la
corruption de certains actionnaires afin de les inciter à violer leurs engagements contractuels
porte atteinte à l'intérêt social et engage donc la responsabilité de la société corruptrice. Cette
argumentation prête le flanc à la critique. En effet, les victimes des agissements vilipendés
sont d'abord les cocontractants des associés corrompus et non la société. Point n'est donc
besoin de faire référence à l'intérêt social : la seule constatation de l'incitation à l'inexécution
suffit à engager la responsabilité de la société envers les autres signataires du pacte. Cet arrêt
était étranger au domaine des conventions de vote. Mais tous les pactes d'actionnaires sont
susceptibles d'être concernés par sa solution. Dès lors, le tiers qui encouragerait un associé
ayant conclu un accord de vote à ne pas le respecter engagerait sa responsabilité envers le
cocontractant, ou, selon l'arrêt, envers la société, ce qui semble discutable. De surcroît, il
serait passible des sanctions pénales prévues à l'article 242-9, 3°, ayant incité l'apporteur de
capital à voter dans un certain sens.
Il convient également de s'interroger sur la situation des ayant-causes de l'associé
contractant. Sont-ce des tiers à la convention de vote ? Une réponse positive peut être donnée
s'agissant des ayant-causes à titre particulier. Ainsi, en cas de cession des titres, le
cessionnaire ne peut être lié par l'engagement conclu par le cédant. La jurisprudence civile
estime en effet de manière constante que, sauf en cas d'acceptation expresse ou tacite de sa
part, "le successeur ou ayant cause à titre particulier n'est pas de plein droit et comme tel
directement tenu des obligations personnelles de son auteur ; ce principe s'applique même
aux conventions que ce dernier aurait passé par rapport à la chose faisant l'objet de la
transmission, à moins qu'elle n'ait eu pour effet de restreindre ou de modifier le droit
transmis" (1637). Le débiteur d'une obligation, y compris d'une obligation de vote, ne peut
acquérir cette qualité malgré lui.
Le problème est plus difficile à résoudre s'agissant des ayant-causes universels. Quid
par exemple lorsque l'associé personne physique décède ou lorsque la société contractante est
absorbée à la suite d'une opération de fusion ? La succession à cause de mort ou
consécutivement à l'absorption d'une personne morale est régie par un principe de
transmission universelle du patrimoine (1638). Autrement dit, l'ayant droit universel va se
(1637) V. en premier lieu, cass civ 15 janv. 1918, DP 1918 p. 17 – plus récemment, cass com 1 er avr. 1997, RTD
civ. 1998 p. 375, obs. J. MESTRE, rejetant la transmission au cessionnaire de droits sociaux de l'obligation de
caution à laquelle était tenu le cédant – sur l'ensemble de la question, D. MAINGUY, Lamy Droit du contrat,
fasc. 310, Les tiers intéressés et les tiers bénéficiaires, 1999, n° 310-5 et s.
(1638) Art. 1122 C. Civ. ; Art. 236-3 C. Com. (ancien art. L. 372-1), pour la fusion
CCCVI
trouver débiteur des obligations contractées par son auteur (1639), sauf si celles-ci étaient
issues d'un contrat conclu intuitu personae (1640). Or, la convention de vote vise à assurer un
déroulement harmonieux de la vie sociale, les qualités personnelles de l'associé n'entrent pas
dans le champ contractuel. Il y a lieu d'en conclure que le décès de l'apporteur personne
physique ou l'absorption consécutive à la fusion sont sans incidences : l'accord devra
néanmoins être exécuté par l'ayant cause universel.
Un problème similaire se pose lorsque la géographie du capital de la personne morale
associée est modifiée. Quel est l'incidence du changement de contrôle sur l'exécution du
contrat relatif au sens du suffrage ? L'opération est régie par un principe de maintien de la
personnalité morale. La modification de la répartition du pouvoir au sein d'une personne
morale ne fait pas obstacle au maintien des liens contractuels. En effet, du fait de sa
personnalité juridique, c'est la société et elle seule qui est réputée avoir souscrit à la
convention de vote. L'identité des détenteurs du pouvoir est indifférente. Autrement dit, ce
qu'un auteur dénomme l'intuitu socii (1641) ne peut être pris en compte que de manière
exceptionnelle : rien n'empêche cependant les parties d'introduire une clause prévoyant la
caducité de l'engagement en cas de changement de contrôle au sein de la société contractante
(1642). D'une manière générale, la sécurité juridique commande aux contractants de prévoir le
sort de la convention de vote en cas de modification de la personne de l'associé votant, ou de
décès (1643).
(1639) Lorsqu'un associé décède, ses titres sont transmis en indivision à ses héritiers. Cependant, sauf clause
contraire, la société en nom collectif, régie par un fort intuitus personae, est dissoute (art. 221-15 C. Com. –
ancien art. L. 21) – d'une manière générale, P. CATALA, Le sort des parts sociales au décès de l'associé, in
Mélanges Henry Cabrillac, 1968, p. 59.
(1640) sur ce problème, V. C. PRIETO, La société contractante, PUAM, 1994, n° 695 et s. – du même auteur,
Evènements affectant la personne de la société contractante, in J. MESTRE (sous la direction de), La cessation
des relations contractuelles d'affaires, PUAM, 1997, p. 81 ; Y. DELGOVE, Lamy Droit du contrat, fasc. 430, Le
sort du contrat en cas d'événement affectant l'une des parties - Restructuration de la société contractante, 1999
et fasc. 435, Le sort du contrat en cas d'événement affectant l'une des parties - Décès du cocontractant, 1999 ; J.
PRIEUR, Droit des sociétés et droit des contrats, in Mélanges Alain Sayag, Droit et vie des affaires, Litec, 1997,
p. 371 ; A. VIANDIER, Les contrats conclus intuitu personae face à la fusion de sociétés, Mélanges Christian
Mouly, t. 2, Litec, 1998, p. 193.
(1641) C. PRIETO, La société contractante, précité, n° 684.
(1642) La jurisprudence valide en effet ce type de clause, à condition qu'elle soit mise en œuvre de bonne foi,
c'est à dire qu'elle ne serve pas de prétexte au cocontractant pour se débarrasser de son partenaire : CA Paris 25
janv. 1995, RTD civ. 1996 p. 158, obs. J. MESTRE. Cet arrêt a cependant été cassé, faute pour les juges du fond
d'avoir caractérisé l'abus : cass com 14 janv. 1997, RTD civ. 1997 p. 427, obs. J. MESTRE. Cette cassation ne
remet toutefois pas en cause le principe de la validité – D. MAINGUY, Cession de contrôle et sort des contrats
de la société cédée, Rev. Sociétés 1996 p. 20 ; C. PRIETO et J. MESTRE, Quelques précautions à prendre en
contractant avec une société, Dr. et patrimoine mai 1998 p. 44.
(1643) Rappr. J. MESTRE, obs. RTD civ. 1987 p. 739 – adde, D.VELARDOCCHIO-FLORES, Les accords
extra-statutaires entre associés, op. cit., n° 314.
CCCVII
Le contrat ne donne pas seulement naissance à des obligations mises à la charge des
parties et d'elles seules. De plus en plus d'auteurs considèrent qu'il génère en outre une
situation de fait (1644). S'agissant des conventions de vote, la reconnaissance d'une action de
concert entre les contractants est une illustration de cette mutation. Cependant, seuls certains
accords de vote sont concernés.
§2- Un effet spécifique à certaines conventions : la reconnaissance d'une action de
concert
L'action de concert, notion clé du droit boursier visée à l'article 233-10 du code de
commerce (ancien art. L. 356-1-3), a été introduite par la loi n° 89-531 du 2 août 1989, sur la
sécurité et la transparence du marché financier (1645), transposant en Droit français l'article 7
d'une directive communautaire n° 88-627 du 12 décembre 1988 (1646).
Ce texte étant inséré dans une section relative aux filiales et participations, il a
vocation à s'appliquer à toutes les sociétés, y compris les groupements fermés. Néanmoins, eu
égard à ses effets, l'action de concert ne concerne en réalité que les sociétés cotées. Il ne s'agit
pas d'une notion générique mais fonctionnelle, qui emporte des conséquences précises,
déterminées par la loi ou la réglementation boursière (1647). Ainsi, les opérateurs agissant de
(1644) J. MESTRE, L'évolution du contrat en droit privé français, in L'évolution contemporaine du droit des
contrats, PUF, 1985, p. 41 ; P. ANCEL, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999 p.
771.
(1645) sur cette question, outre les ouvrages de droit boursier, on consultera : H. PLOIX et alii, La jurisprudence
du Conseil des bourses de valeurs, Trois études de la société des bourses françaises, Association d'économie
financière, 1993, p. 17 et s. ; D. SCHMIDT, Rép. Sociétés, V° "Action de concert", 2000 ; C. GOYET,
Dictionnaire Joly Bourse et marchés financiers, V° "Action de concert", 2000 ; A. COURET, D. MARTIN et L.
FAUGEROLAS, Sécurité et transparence du marché financier, Bull. Joly 1989, n° 11 bis, n° 215 et s. ; A.
VIANDIER, Sécurité et transparence du marché financier, JCP éd. E. 1989 II n° 15612, n° 85 et s. ; P. LE
CANNU, L'action de concert, Rev. Sociétés 1991 p. 675 ; D. SCHMIDT et C. BAJ, Réflexions sur la notion
d'action de concert, RD bancaire et bourse 1991 p. 86 ; des mêmes auteurs, Réflexions sur les effets de l'action
de concert, RD bancaire et bourse 1991 p. 182 ; Récentes évolutions de l'action de concert, RD bancaire et
bourse 1992 p. 184 ; Conséquences de la fin d'une action de concert, RD bancaire et bourse 1993 p. 29 ; D.
MARTIN et A. VIANDIER, Lexique de l'action de concert, RJDA 1992 p. 239 ; D. LEBLANC, Franchissement
de seuils. Pactes d'actionnaires. Action de concert, Bull. Joly 1990 n° 11 bis p. 29 ; Th. VASSOGNE, Le
nouveau droit boursier : l'action de concert, MTF déc. 1989 p. 56 ; Th. SCHOEN et H. FABRE-MAGNAN,
Pactes d'actionnaires et actions de concert, MTF-Haute finance, n° 70, supplément n° 13, mai 1995.
(1646) JOCE L. 348, 17 déc. 1988.
(1647) CA Paris 20 févr. 1998, JCP 1998 II n° 10096, note J.-J. DAIGRE ; JCP éd. E. 1998 p. 705, note A.
VIANDIER ; Bull. Joly 1998 p. 622, note P. LE CANNU ; Bull. Joly Bourse et prod. fin. 1998 p. 233, note S.
ROBINEAU ; RTD com. 1998 p. 379, obs. N. RONTCHEVSKY ; D. affaires 1998 p. 540, obs. M. BOIZARD ;
Dr. Sociétés mai 1998 p. 16 ; Banque et droit mars avril 1998 p. 26, note H. de VAUPLANE ; Rev. Sociétés
1998 p. 348, note Fr. BUCHER – adde, CA Besançon 2 déc. 1998, Rev. Sociétés 1999 p. 362, note B. LE
BARS. Cependant, la tendance du Droit positif actuel est à l'inverse d'étendre les effets de l'action de concert.
Ainsi, le législateur, dans la loi n°2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques, a
modifié l'article L. 355-1 et prend désormais en compte le contrôle conjoint, consécutif à une action de concert –
sur cette question, infra.
CCCVIII
concert sont solidairement tenus de déclarer les franchissements de seuils ou de déclencher un
offre publique d'achat (1648). Cependant, la reconnaissance d'un concert ouvre aussi des
droits et des avantages, en ce qu'elle permet de lancer une offre publique de retrait ou de se
voir octroyer par le Conseil des Marchés financiers une dérogation à l'offre publique
obligatoire (1649).
L'action de concert, qui peut être invoquée par toute personne intéressée (1650), se
prouve au moyen de présomptions. En effet, l'article 233-10 du code de commerce présume
l'existence d'un concert entre une société et ses dirigeants (sauf ses administrateurs et les
membres du conseil de surveillance), entre une société et celles qu'elle contrôle au sens de
l'article 233-3 (ancien art. L. 355-1), entre sociétés contrôlées par la même personne, ou
encore entre les associés d'une société par actions simplifiée et les sociétés que le groupement
contrôle (1651). En dehors de ces cas (1652), sauf aveu des concertistes, la preuve se fait par
tout moyen.
Compte tenu des conséquences attachées à l'existence d'une action de concert, on
comprend l'intérêt qui s'attache à une délimitation précise du concept. Aux termes de l'article
223-10, alinéa 1er, "sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu
un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer des droits de
vote pour mettre en œuvre une politique commune vis à vis de la société". A la lecture de ce
texte, il apparaît que l'action de concert est l'effet d'une convention relative à l'exercice du
(1648) sur ces questions, infra.
(1649) V. sur ces droits et avantages, D. SCHMIDT, Rép. Sociétés, V° "Action de concert", précité, n° 141 et s.
(1650) Pour un actionnaire minoritaire, V. CA Paris 10 mars 1992, Pinault-Au Printemps, Bull. Joly 1992 p.
425, note A. VIANDIER ; Banque et Droit mars avril 1992 p. 56, obs. F. PELTIER ; CA Paris 20 févr. 1998,
précité.
(1651) Sur cette présomption, introduite par la loi n° 94-1 du 3 janvier 1994, H. BRANDFORD-GRIFFITH et P.
LE CANNU, Société par actions simplifiée et action de concert, Bull. Joly Bourse et prod. fin. 1994 p. 235.
(1652) Le texte n'est d'ailleurs pas sans créer des difficultés d'interprétation. Ainsi, on peut se demander s'il y a
cumul des présomptions. Par exemple, les dirigeants d'une société mère sont-ils présumés agir de concert avec la
filiale ? Y-a-t-il présomption d'action de concert entre dirigeants des sociétés d'un même groupe ? La Cour de
cassation a répondu par l'affirmative (cass com 4 juill. 1995, Hubert industries, Bull. Joly Bourse et prod. fin.
1996 p. 157, note J.-M. DESACHE ; JCP éd. E. 1996 II n° 744, note H. HOVASSE ; Rev. Sociétés 1995 p. 718,
note P. LE CANNU ; Banque et droit nov. déc. 1995 p. 22, obs. F. PELTIER et H. de VAUPLANE, confirmant
CA Paris 22 févr. 1994, Bull. Joly Bourse et prod. fin. 1994 p. 281, note F. PELTIER). Cette solution est
cependant fort discutable. Compte tenu du principe d'interprétation stricte des présomptions, la liste dressée par
l'article 233-10, alinéa 2, du code de commerce devrait être limitative (Rappr. Y. GUYON, Traité des contrats.
Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés, op. cit., n° 229 ; Th. BONNEAU et L.
FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garanties de cours, retrait…, op. cit., n° 212 ; D. SCHMIDT
et C. BAJ, Réflexions sur la notion d'action de concert, précité ; A. VIANDIER, Sécurité et transparence du
marché financier, JCP éd. E 1989 II n° 15612, spéc. n° 105 ; D. MARTIN et A. VIANDIER, Lexique de l'action
de concert, précité, V° "Présomptions").
CCCIX
droit de vote (1653). En cela, elle présente indéniablement une nature contractuelle (A).
Cependant, tous les accords relatifs au sens du suffrage ne sont pas susceptibles de donner
naissance à une action de concert. Encore faut-il qu'ils aient été conclus afin de mettre en
œuvre une politique commune envers la société (B).
A. La nature contractuelle de l'action de concert
La nature juridique de l'action de concert a suscité un vif débat doctrinal. Selon un
auteur, l'action de concert ne peut être qu'un contrat (1654). L'article L. 233-10 fait lui-même
référence à un accord, c'est à dire à une convention (1655). Cette opinion n'emporte pas
l'adhésion. En effet, le législateur n'a pas défini l'action de concert, mais seulement les
concertistes (1656). Les termes du texte plaident en ce sens.
Est-ce à dire que l'action de concert soit une simple notion de fait ? Certains l'ont
pensé (1657). Cette thèse prend appui sur une décision n° 198C1041 du 13 novembre 1998
prise par le Conseil des marchés financiers (1658). Les circonstances étaient les suivantes.
Afin de pérenniser le contrôle de la société Bouygues, les frères Bouygues avaient créé une
société en participation avec le groupe Bolloré. Les statuts de celle-ci lui donnaient pour objet
"la jouissance et l'exercice des droits de vote attachés à la totalité des actions détenues par
chacun, la mise à disposition de cette jouissance étant effectuée en vue de faire assurer la
gestion en commun de ces participations". Ils prévoyaient en outre que "ses associés se
consultent et se concertent sur tout projet intéressant l'objet social à savoir : l'exercice
concerté des droits de vote dans les assemblées de Bouygues - étant prévu que, si un différend
(1653) L'article 233-10, alinéa 1er, du code de commerce envisage un autre type d'accord, celui conclu "en vue
d'acquérir ou de céder des droits de vote". Sont ainsi visés tous les accords à "finalité capitalistique" (J.-J.
DAIGRE, De l'action de concert. Après la décision du CMF du 13 nov. 1998, JCP éd. E. 1999 p. 660), comme
par exemple les conventions de portage (CA Paris 24 juin 1991, JCP éd. E 1991 II n° 215, note Th.
FORSCHBACH ; RJ com. 1991 p. 310, note Ch. GOYET ; Rev. Sociétés 1992 p. 70, note D. CARREAU et J.Y. MARTIN – V. not. J.-F. PRAT, Conventions de portage et droit boursier, RD bancaire et bourse 1991 p. 126)
– sur ce type d'accord, A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, Francis Lefebvre, 1999, n° 1461 et
s.
(1654) A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, op. cit., n° 1431.
(1655) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° "Accord".
(1656) Sur le problème des définitions législatives, V. G. CORNU, Les définitions dans la loi, Mélanges Jean
Vincent, Dalloz, 1981, p. 77.
(1657) C. GOYET, Dictionnaire Joly Bourse et produits financiers,V° "Action de concert", précité, n° 60 et s.
(1658) CMF, déc. 198c1041, 13 nov. 1998, Bouygues/Bolloré, www.cmf-france.org ; RTD com. 1999 p. 155,
obs. N. RONTCHEVSKY ; Bull. Joly Bourse et prod. fin. 1998 p. 769, note S. ROBINEAU ; D. affaires 1998 p.
178, obs. M. BOIZARD ; RD bancaire et bourse 1998 p. 229, obs. M. GERMAIN et M.-A. FRISON-ROCHE ;
JCP éd. E. 1999 p. 1429, obs. crit. J.-J. DAIGRE – adde, A. COURET, L’action de concert dans l’actualité de
l’année 1998, Mélanges AEDBF France, Droit bancaire et financier, t. 2, Banque éditeur, 1999, p. 133 ; J.-J.
DAIGRE, De l'action de concert. Après la décision du CMF du 13 nov. 1998, précité.
CCCX
subsiste après concertation, chaque associé retrouve sa liberté de vote". Les partenaires
déclarent la convention au Conseil des marchés financiers, qui l'estime constitutive d'une
action de concert. Mais, à la suite d'un désaccord persistant, les frères Bouygues demandent à
l'autorité de marché d'en prononcer la fin. Le groupe Bolloré soulève l'incompétence du
Conseil des marchés financiers. Selon lui, l'action de concert étant d'après l'article L. 356-1-3
(actuellement art. 233-10 C. Com.) un accord, seul le juge peut, sauf clause prévoyant la
dénonciation unilatérale de la convention, en accorder la résolution.
Néanmoins, cette argumentation n'a pas séduit le conseil puisque celui-ci a fait droit à
la demande des frères Bouygues, en ces termes : " L'accord visé par la loi n'est pas le pacte
lui-même par lequel des parties définissent leurs droits et obligations réciproques et dont la
mise en oeuvre est régie par les règles de droit commun applicables aux contrats. Contracter
n'est pas agir de concert, c'est formaliser les dispositions convenues qui forment, le cas
échéant, autant d'indices constitutifs d'une action de concert entre les signataires". Pour
l'autorité boursière, l'action de concert traduit une volonté des parties d'agir ensemble. Celle-ci
préexiste à l'accord relatif à l'exercice du droit de vote, qui n'en est que l'expression juridique.
Dès lors que le désir de collaborer disparaît du fait du comportement de l'un des partenaires,
l'action de concert doit prendre fin, même si les contrats ne sont pas encore annulés ou résolus
par le juge. Le Conseil des marchés financiers ne pouvait dénier plus nettement à l'action de
concert une nature contractuelle.
Bien qu'elle présente le mérite de s'inscrire dans l'évolution du droit privé
contemporain, qui prend de plus en plus fréquemment en compte le comportement (1659),
cette décision prête le flanc à la critique. En effet, elle occulte l'article 233-10 qui fait
référence à la conclusion d'un contrat. Il ressort clairement de ce texte que l'action de concert
résulte d'un accord et ne lui préexiste pas (1660). Certes, les lourdes conséquences attachées à
la reconnaissance de cette notion impliquent que les parties doivent avoir tout au long de
l'exécution de l'accord la volonté d'agir ensemble. Il n'en demeure pas moins que dès lors que
cette volonté disparaît, le contrat doit être résolu par le juge. Il n'appartient pas à l'autorité de
marché de prononcer la fin de l'action de concert tant que ce dernier n'a pas rendu sa décision
(1659) B. FAGES, Le comportement du contractant, PUAM, 1997, préf. J. MESTRE.
(1660) A. COURET, L’action de concert dans l’actualité de l’année 1998, précité.
CCCXI
définitive. Le Conseil devrait tout au plus surseoir à statuer en attendant la décision finale des
magistrats (1661).
D'ailleurs, la solution rendue dans l'affaire Bouygues est implicitement en désaccord
avec la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, les hauts magistrats s'arrogent un
pouvoir de contrôle sur la qualification d'action de concert (1662). La Chambre commerciale
envisage ainsi implicitement cette notion comme une notion de droit, rejetant ainsi la thèse
défendue par l'autorité de marché.
Ni contrat, ni notion de fait, l'action de concert doit cependant être maintenue dans le
"giron contractuel", selon l'expression d'un auteur (1663) et être envisagée comme étant l'effet
d'un accord. A défaut, il ne saurait y avoir action de concert, quand bien même les parties
auraient manifesté une volonté d'agir ensemble. Ainsi, le tribunal de commerce de Nîmes,
dans un jugement rendu le 6 mars 1992 (1664) a refusé d'induire l'existence d'un concert d'un
protocole conclu entre les dirigeants de deux sociétés, dès lors que celui-ci ne présentait que
"le caractère d'une obligation morale, laquelle par analogie aux obligations naturelles n'a
pas les caractéristiques d'une obligation civile qui serait seule obligatoire et exécutoire".
C'est affirmer sans ambiguïté que l'action de concert est l'effet, souhaité par les parties, d'un
accord juridiquement contraignant, et non une simple notion de fait. De même, selon l'ancien
Conseil des bourses de valeurs, la notion définie à l'article L. 356-1-3 ne pouvait résulter du
simple parallélisme des comportements, matérialisé par des votes convergents au sein des
assemblées générales (1665). De surcroît, eu égard à la solidarité qui en découle, l'action de
concert doit forcément résulter d'un accord.
(1661) Le législateur a d'ailleurs tenu compte de cette décision des autorités de marché puisque la loi n° 2001420 du 15 mai 2001 prévoit que le Conseil des marchés financiers doit être informé de la date à laquelle la clause
donnant naissance à l'action de concert prend fin et doit en assurer la publicité : J.-J. DAIGRE, Loi du 15 mai
2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Aspects de droit financier et de droit des sociétés, JCP
2001 p. 1197.
(1662) cass com 16 déc. 1997, Bull. IV n° 350 ; D. affaires 1998 p. 259, obs. M. BOIZARD ; JCP éd. E. 1999 p.
1429, obs. J.-J. DAIGRE ; D. 1999 somm. p. 254, obs. Y. REINHARD.
(1663) J. MESTRE, Des comportements parallèles à l'action commune, RTD civ. 1992 p. 755.
(1664) Trib. com. Nîmes 6 mars 1992, La Source Perrier, RJ com. 1992 p. 205, note A. COURET ; Gaz. Pal.
1992, 2, p. 634, note J.-P. MARCHI ; Bull. Joly 1992 p. 536, note P. LE CANNU ; JCP éd. E. 1992 I n° 145,
obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN ; RD bancaire et bourse 1992 p. 166, obs. M. GERMAIN et M.-A.
FRISON-ROCHE.
(1665) communiqué du CBV du 13 novembre 1989, cité par Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres
publiques. OPA, OPE, garantie de cours, retrait…, op. cit., n° 203, note 370. Cet avis est relatif aux achats
concomitants, qui n'entraînent pas la reconnaissance d'une action de concert, mais il est transposable mutatis
mutandis à l'hypothèse des votes convergents aux assemblées générales.
CCCXII
En définitive, si la loi ne confère pas à l'action de concert le caractère d'un contrat, elle
l'envisage comme l'effet d'une convention. L'existence du concept ne peut être déduite que
d'un accord. La simple volonté d'agir ensemble ne suffit pas à caractériser le concert, encore
faut-il que cette volonté soit cristallisée dans un contrat. En cela, bien que n'étant pas un
contrat, le concept visé à l'article 233-10, alinéa 1er, du code de commerce présente
indéniablement un caractère contractuel. Il s'analyse comme l'effet d'une convention voulu par
les parties (1666). Cependant, toutes les conventions conclues entre actionnaires ne donnent
pas lieu à la reconnaissance d'un concert par l'autorité de marché. Pour emporter un tel effet,
l'accord doit présenter certains caractères.
B. Les caractères de l'accord donnant naissance à une action de concert
Aux termes de l'article 233-10, alinéa 1er, l'accord, pour emporter action de concert
doit avoir été conclu en vue d'exercer des droits de vote (1667) afin de mettre en œuvre une
politique commune vis à vis du groupement. Par conséquent, l'accord doit présenter deux
caractères cumulatifs : l'un tient à son objet (a), l'autre à sa finalité (b).
a- Le caractère tenant à l'objet de l'accord
Seuls les accords conclus "en vue d'exercer des droits de vote" sont susceptibles de
donner naissance à une action de concert. La question se pose de savoir ce que recouvre
l'expression employée par le législateur. Bien que les contrats emportant transfert du droit de
vote (1668) emportent généralement action de concert, la plupart des conventions soumises à
(1666) contra, C. GOYET, Dictionnaire Joly Bourse et prod. fin., V° "Action de concert", précité, n° 75 et s.
(1667) L'action de concert peut également être l'effet d'un accord conclu en vue d'acquérir ou de céder des droits
de vote. Les auteurs sont cependant partagés sur la question de savoir si cet accord doit également avoir été
conclu pour mettre en œuvre une politique commune vis à vis de la société. La doctrine majoritaire répond par la
négative (Th. BONNEAU et L. FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPE, OPE, garantie de cours, retrait…,
op. cit., n° 206 ; A. VIANDIER, Sécurité et transparence du marché financier, précité, spéc. n° 98 ; P. LE
CANNU, L'action de concert, précité, spéc. n° 22). Cependant, la référence à la volonté de mettre en œuvre une
politique commune vis à vis de la société permet de distinguer utilement entre les accords emportant action de
concert et les autres (Rappr. J. MESTRE, Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., n° 1882 ; G. GOFFAUX, Du
contrat en droit des sociétés. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit des sociétés, op. cit., n° 395 ;
D. SCHMIDT, Rép. Sociétés, V° "Action de concert", précité, n° 60 et s). La jurisprudence ne s'est pas
clairement prononcée sur la question bien que la Cour de Paris ait mentionné cette volonté dans un arrêt rendu le
7 avril 1993 (Bull. Joly Bourse et prod. fin. 1993 p. 375). Cette interprétation est néanmoins condamnée par la
loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 (Pour une critique de la solution adoptée par le législateur, A. COURET, Le
régime des offres publiques issu de la loi sur les nouvelles régulations économiques, D. 2001 p. 1778).
(1668) V. pour une société holding, déc. CMF 199c0297 du 16 mars 1999, Le Nigen N. Industries ; pour une
société en participation, déc. CMF 200c0202 du 7 févr. 2000, Fleury-Michon ; déc. CMF 200c0677 du 5 mai
CCCXIII
l'autorité de marché sont relatives à l'exercice du droit de suffrage, restrictives de la liberté de
l'actionnaire. Elles sont en pratique de deux ordres.
En premier lieu, les contrats limitant la liberté de choix des mandataires sociaux, en
prévoyant une répartition des postes d'administrateurs, peuvent avoir pour effet d'entraîner la
reconnaissance d'un concert. Ainsi, pour l'autorité de marché, tel est le cas de l'accord qui
prévoit que "l'investisseur et ses représentants disposeront de deux sièges sur six au conseil de
surveillance" (1669), ou de celui qui permet à un groupe d'actionnaires de désigner la moitié
des mandataires sociaux (1670), ou prévoyant la nomination obligatoire d'un administrateur
choisi parmi une liste de candidats dressée par l'actionnaire (1671).
En second lieu, les accords prévoyant une concertation préalable des actionnaires,
antérieurement à la réunion de l'assemblée générale sont susceptibles de donner naissance à
une action de concert. Peu importe à cet égard ses modalités. L'accord peut ainsi prévoir que
les actionnaires arrêteront leurs positions à l'unanimité (1672). Le pacte peut également avoir
pour effet d'interdire à un minoritaire de s'opposer à une délibération, sans avoir
préalablement motivé sa décision (1673).
Dans tous ces cas, encore faudra-t-il que la convention de vote ait été conclue dans le
but de mettre en œuvre une politique commune vis à vis de la société, ainsi que la loi ellemême le prévoit.
b- Le caractère tenant à la finalité de l'accord
Pour emporter action de concert, la convention de vote doit poursuivre une finalité
particulière. Elle doit, aux termes de l'article 233-10 du code de commerce, être conclue "en
vue de mettre en œuvre une politique commune vis à vis de la société". Le projet initial
2000, Européennes de Casinos (toutes ces décisions sont publiées sur le site Internet du Conseil des marchés
financiers : www.cmf-france.org).
(1669) déc. CMF n° 199c1887 du 1er déc. 1999, www.cmf-france.org/docshtml/infodeci/1999/12/199c1887.html
(1670) déc. CMF n° 200c0190 du 4 févr. 2000, www.cmf-france.org/docshtml/infodeci/2000/02/200c0190.html
(
1671
)
déc.
CMF
n°
200c0338
du
1er
mars
2000,
www.cmffrance.org/docshtml/infodeci/2000/03/200c0338.html
(
1672
)
déc.
CMF
n°
198c0889
du
24
sept.
1998,
www.cmffrance.org/docshtml/infodeci/1998/09/198c0889.html ; déc. CMF n° 197c0749 du 23 déc. 1997, www.cmffrance.org/docshtml/infodeci/1997/12/197c0749.html
(1673) déc. CMF n° 198c0736 du 3 août 1998, www.cmf-france.org/docshtml/infodeci/1998/08/198c0736.html
CCCXIV
envisageait d'exiger une politique commune durable (1674). L'omission a cependant peu de
portée théorique et pratique, toute politique supposant une certaine durée (1675).
Si le contrat a été conclu en vue de la satisfaction d'un autre objectif, il ne peut en
aucun cas donner naissance à un concert (1676). Autrement dit, si l'engagement de vote était
ponctuel, il n'y a pas action de concert (1677). Pour emporter cette conséquence, l'accord doit
engager les parties pour une certaine durée, dont la détermination est une question de fait.
Reste à savoir quelle acception donner à l'expression employée par le législateur. La
politique commune ne se confond pas avec la politique sociale. En effet, une convention
conclue par des actionnaires minoritaires, qui n'ont pas le pouvoir de présider aux destinées
du groupement, peut emporter action de concert ( 1678). De l'avis général, la notion de
politique commune fait référence à la stratégie menée par les concertistes, vis à vis de la
société. Pour voir leur accord emporter action de concert, les parties doivent l'avoir conclu
dans le but d'influer, fût-ce négativement, sur les orientations commerciales, sociales,
financières voire techniques du groupement (1679). Ainsi, d'après l'autorité de marché, le
contrat destiné à "conforter l'action commune des actionnaires sur la direction et la politique
de la société" est susceptible de donner naissance à un concert (1680), de même que celui qui
permet le "rapprochement et l'action commune [des actionnaires], de nature à favoriser le
développement de [la société]" (1681), ou encore celui visant à la gestion concertée du
groupement (1682).
Cependant, en dépit des termes de la loi, la notion d'intérêt commun tend à se
substituer à celle de politique commune, pourtant expressément visée par le législateur. Ainsi,
le Conseil des marchés financiers, dans l'affaire Bouygues/Bolloré (1683) a-t-il fait référence
à cette notion pour constater la fin de l'action de concert. Celle-ci, selon l'autorité boursière,
(1674) A. COURET, D. MARTIN et L. FAUGEROLAS, Sécurité et transparence du marché financier, précité,
spéc. n° 224.
(1675) Y. GUYON, Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés,
op. cit., n° 229 ; A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, op. cit., n° 1511 ; Th. BONNEAU et L.
FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours, retrait…, op. cit., n° 209.
(1676) ex. déc. CMF 200c0201 du 7 févr. 2000, www.cmf-france.org/docshtml/infodeci/2000/02/200c0201.html
(1677) déc. CMF 198c0354 du 14 avr. 1998, www.cmf-France.org/docshtml/infodeci/1998/04/198c0354.html ;
déc. CMF 199c0147 du 8 févr. 1999, www.cmf-france.org/docshml/infodeci/1999/02/199c0147.html
(1678) D. SCHMIDT, Rép. Sociétés, V° "Action de concert", précité, spéc. n° 38.
( 1679 ) A. VIANDIER, OPA, OPE et autres offres publiques, op. cit., n° 1511 ; Th. BONNEAU et L.
FAUGEROLAS, Les offres publiques. OPA, OPE, garantie de cours, retrait…, op. cit., n° 209.
(1680) déc. CMF 199c0484 du 28 avr. 1999, www.cmf-france.org/docshtml/infodeci/1999/04/199c0484.html
(1681) déc. CMF 198c0889 du 24 sept. 1998, www.cmf-france.org/docshtml/infodeci/1998/09/198c0889.html
(1682) déc. CMF 197c0646 du 25 nov. 1997, www.cmf-france.org/docshtml/infodeci/1997/11/197c0646.html
(1683) déc. CMF 198c1041, 13 nov. 1998, Bouygues/Bolloré, précité.
CCCXV
trouve son fondement dans l'intérêt commun liant les concertistes. Dès lors que les intérêts
des concertistes deviennent divergents, l'action de concert se termine.
De même, un arrêt de la Cour d'appel de Besançon s'inscrit dans cette perspective
(1684). Les faits étaient les suivants. A la suite d'une procédure de règlement amiable, la
société L'Amy avait procédé à une réduction de capital à zéro, suivie immédiatement de son
augmentation réservée à un repreneur, la société de droit anglais KLG, par la suppression du
droit préférentiel de souscription. Les actionnaires minoritaires se plaignaient dès lors de la
dilution de leur participation consécutive à cette opération. Entre autres arguments, ils
invoquaient la nullité de la décision de l'assemblée générale extraordinaire relative à la
suppression du droit préférentiel de souscription. Selon eux, l'article L. 186-3 (actuellement
art. 225-138 C. Com.) interdit au bénéficiaire de l'opération de prendre part au vote. Or, la
société KLG n'a certes pas directement participé au scrutin, faute d'avoir eu à ce moment-là la
qualité d'actionnaire. Cependant, l'accord liant le repreneur aux majoritaires doit être qualifié
d'action de concert. Par conséquent, du fait de celle-ci, le vote des actionnaires prépondérants
ne s'exerçait plus librement. Il y avait donc lieu de considérer que la société KLG avait
indirectement pris part au vote, violant ainsi l'esprit de l'article L. 186-3. Par application de la
théorie générale de la fraude à la loi, la délibération de l'assemblée générale extraordinaire
devait donc être annulée. Cette argumentation n'a pas séduit la Cour de Besançon, qui a
considéré que le contrat litigieux ne donnait nullement naissance à une action de concert : "la
société KLG n'a pas pris part au vote, à supposer que cela fût possible, par l'intermédiaire
des actionnaires majoritaires, dans le cadre d'une action de concert ; en effet, les intérêts des
actionnaires majoritaires, qui auraient dans cette hypothèse voté en quelque sorte pour le
compte de KLG, n'étaient nullement convergents, mais au contraire opposés, les premiers
sortant du capital, les seconds y entrant pour prendre le contrôle de la société L'Amy". Les
juges du fond se réfèrent donc implicitement à l'absence d'intérêt commun entre les
majoritaires actuels et le repreneur pour refuser de reconnaître une action de concert entre
eux. Faute pour les parties de poursuivre cet intérêt, leur convention ne peut donner naissance
à une telle action.
L'intention de la Cour est fort louable, qui veut circonscrire le domaine de l'action de
concert au seul droit boursier, comme le prévoit la loi. Son argumentation ne convainc
cependant pas. Le recours à la notion d'intérêt commun est pour le moins critiquable. En effet,
l'article 233-10 du code de commerce n'exige pas un accord conclu dans l'intérêt commun,
(1684) CA Besançon 2 déc. 1998, Rev. Sociétés 1999 p. 362, note B. LE BARS.
CCCXVI
mais un accord en vue de mener une politique commune. Il eût dès lors suffit aux magistrats
de relever que le contrat avait été conclu dans le but de satisfaire un autre objectif pour rejeter
l'existence d'une action de concert.
De surcroît, il est difficile de définir la notion d'intérêt commun en matière boursière.
S'agit-il de celui envisagé à l'article 1833 du Code civil, entendu comme la recherche d'un
profit personnel à travers l'enrichissement collectif (1685) ? Dans ce cas, le recours à ce
concept serait inutile. En tant qu'actionnaires, les concertistes ont nécessairement un intérêt
commun. S'agit-il du partage d'intérêts, tel qu'il est conçu par le droit civil pour le mandat
d'intérêt commun (1686) ? L'utilisation de ce critère serait également superflue, et de surcroît
dangereuse. Il est délicat de donner plusieurs acceptions au même terme, a fortiori dans un
même domaine, celui des sociétés commerciales.
On le voit, la référence au concept d'intérêt commun ne peut avoir qu'une valeur
analytique, doctrinale (1687), et ne saurait motiver la décision du juge ou de l'autorité de
marché de reconnaître l'existence d'un concert entre les parties contractantes.
En définitive, la liberté contractuelle autorise la conclusion de conventions sur le sens
du vote. Ce fondement à la licéité en constitue la propre limite. Parce que la liberté n'est pas
synonyme d'anarchie, le droit des contrats, d'une manière générale, ne valide pas toutes les
conventions. Il autorise seulement celles librement conclues, dont l'objet est déterminé et dont
la cause existe. Il ne valide que les contrats qui ne portent pas atteinte à l'ordre public, soit
directement, soit indirectement, indépendamment de la volonté des contractants. Cela se
vérifie en matière de conventions de vote.
Cela étant, parce que ce type de contrats s'inscrit dans un cadre sociétaire, le droit des
contrats constitue le principal frein à leur efficacité (1688). Mais une voix médiane n'est pas
possible. Si on retient la validité de principe des conventions sur le droit de vote, avec la
(1685) infra.
(1686) En droit des contrats , cette qualification sera retenue par le juge dès lors que "les parties ont des droits
directs et concurrents sur l’objet du mandat" ou "qu’[elles] contribuent par leur activité réciproque à
l’accroissement d’une chose qui soit leur bien commun" (J. GHESTIN, Le mandat d’intérêt commun, Mélanges
offerts à Jean Derruppé, Les activités et les biens de l'entreprise, éd. GLN-Joly, 1991, p. 105 ; Th. HASSLER,
L’intérêt commun, RTD com 1984 p. 581). La jurisprudence majoritaire faut référence à la clientèle commune
comme critère de l’intérêt commun (cass com 8 oct. 1969, D. 1970 p. 143, concl. J. LAMBERT ; RTD com.
1970 p. 470, obs. J. HEMARD).
( 1687 ) Ainsi, plusieurs auteurs voient dans l'action de concert un accord d'intérêt commun : V. not. A.
VIANDIER, Sécurité et transparence du marché financier, précité, spéc. n° 99 ; P. LE CANNU, L'action de
concert, précité, spéc. n° 12 ; J. MESTRE, Des comportements parallèles à l'action commune, précité.
(1688) Rappr. A. COURET, Le droit des sociétés et le besoin de sécurité à l'aube du troisième millénaire, Rev.
Sociétés 2000 p. 89.
CCCXVII
souplesse propre au droit des obligations, il faut accepter le risque d'inefficacité inhérent à ce
fondement.
CCCXVIII
CONCLUSION DU TITRE II
Le droit de vote est donc un objet de contrats. Cependant, toutes les conventions
portant sur cette prérogative ne sont pas permises. Les accords portant sur la jouissance du
droit de suffrage, en ce qu'ils portent directement atteinte à la nature contractuelle de ce droit,
sont envisagés avec suspicion et ne sont valables que lorsqu'ils s'accompagnent d'une
opération sur le titre ou lorsque la loi les a expressément envisagés. En revanche, le
libéralisme est beaucoup plus fort lorsque l'engagement porte sur le sens du vote. Dans cas la
liberté contractuelle, et les limites qui lui sont inhérentes, permet de sauvegarder les intérêts
de l'associé et la nature individuelle de ce droit.
CCCXIX
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
L'emprise du droit des contrats sur le droit de suffrage est donc double.
L'associé, en sa qualité de partie à un contrat de société, se voit reconnaître un droit de
participer aux décisions collectives. Ce dernier ne fait que traduire l'affectio societatis à la
base de la constitution du groupement et d'une manière plus générale permet d'assurer la
protection de la créance pécuniaire consécutive à la perte de souveraineté sur son bien propre.
Ce faisant, l'associé, à l'instar de tout contractant, doit user de son droit avec sagesse et
bienveillance, il ne doit pas méconnaître l'obligation de bonne foi que l'article 1134, alinéa 3,
fait peser sur lui.
De même, l'associé, en tant que partie à un contrat de société, peut également
aménager son droit de suffrage ou conclure des engagements sur la manière dont il l'exercera
au cours de la vie sociale. De droit contractuel le droit de vote devient alors un objet de
contrats. Cependant, toutes les conventions ne reçoivent pas le même accueil. Si les accords
sur la jouissance sont envisagés avec suspicion, et valables seulement dans certains cas précis,
les engagements portant sur le sens du vote sont validés par les règles du droit commun, en ce
qu'ils ne portent pas directement atteinte à la nature contractuelle du droit de suffrage.
Cependant, la société n'est pas seulement un contrat. C'est aussi une structure juridique
dotée de la personnalité morale. Ce caractère permet d'envisager le droit de vote comme une
prérogative permettant à l'associé de participer au gouvernement de la société.
CCCXX
DEUXIEME PARTIE : LE DROIT DE VOTE,
PARTICIPATION AU GOUVERNEMENT DE LA SOCIETE
Le droit de vote conféré à chaque associé du seul fait de son entrée dans la société, en
vertu de l’affectio societatis, n’est pas seulement un droit contractuel. En effet, l’originalité du
contrat de société est de donner naissance à une personne morale, que la jurisprudence définit
comme « tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense
d’intérêts licites dignes par suite d’être juridiquement reconnus et protégés » (1689). Par
conséquent, la personne morale doit pouvoir exprimer une volonté afin d'exister. Mais n'étant
pas une personne, au sens biologique, humain, du terme, il appartient à ses membres de la
définir. Autrement dit, la volonté sociale dépend de la volonté de ses membres, elle n’apparaît
pas ex nihilo. La personnalité morale n’est qu’une technique mise à la disposition des
personne physique par le droit (1690). Dans ces conditions, la volonté de la personne morale
ne peut être qu’une synthèse entre les volontés individuelles, même si elle est indépendante
juridiquement de celles-ci. Le droit de vote permet ainsi à l’associé de participer à la
formation de la volonté de la société (titre I).
Cependant, il arrive fréquemment qu’un apporteur de capital soit en mesure
d’exprimer à lui seul la volonté sociale, soit parce qu’il détient suffisamment de titres pour
emporter la décision ou pour la bloquer, soit que la volonté sociale ne puisse se former sans le
concours de cet associé. Dès lors, on comprend que le droit de vote détermine l’influence de
celui-ci dans la société. Autrement dit, le droit de suffrage permet de mesurer le poids de
l’associé au sein du groupement (titre II).
(1689) cass civ 2ème 28 janv. 1954, Saint Chamond, D. 1954 p. 217, note G. LEVASSEUR ; Pour un exposé des
différentes théories de la personnalité morale, V. Fr. TERRE et D. FENOUILLET, Droit civil. Les personnes. La
famille. Les incapacités, 6° éd., Dalloz, 1996, n° 244 et s.
(1690)en ce sens, J. PAILLUSSEAU, Le droit moderne de la personnalité morale, RTD civ. 1993 p. 705.
CCCXXI
TITRE I : LA PARTICIPATION DE L'ASSOCIE AU
POUVOIR DE DECISION
Les associés exercent leur droit de vote dans le cadre d’une assemblée générale,
conformément à une procédure prévue par la loi, de manière plus ou moins détaillée selon la
forme sociale. La nature juridique de la résolution d’assemblée générale, résultante de
l'exercice du droit de vote de chaque associé a été discutée (Chapitre I). Le caractère mixte,
plural de celle-ci emporte nécessairement des conséquences sur le droit de vote : il conduit à
faire de cette prérogative le critérium de l'associé (Chapitre II).
CCCXXII
CHAPITRE I : LA NATURE JURIDIQUE DE LA
RESOLUTION D’ASSEMBLEE GENERALE
Les associés ont le pouvoir d’exprimer la volonté de la société. Ce pouvoir peut leur
être propre. Ainsi, quelle que soit la forme sociale, c’est à l’assemblée générale des associés
qu’il appartient de modifier les statuts (1691). De même, celle-ci veille au respect de l’intérêt
social. Ainsi, s’il a été méconnu par les dirigeants sociaux, la collectivité pourra révoquer ces
derniers (1692). Si elle doit exciper d’un juste motif dans la plupart des formes sociales
(1693), celui-ci n’est pas requis pour la révocation des administrateurs de sociétés anonymes
(1694) L’assemblée générale jouit également d’un pouvoir de décision propre puisque c’est à
elle d’approuver les comptes sociaux (1695) ou de nommer les dirigeants.
(1691) Art. 225-96 C. Com. (ancien art. L. 153), pour la société anonyme, et 223-27 C. Com. (ancien art. L. 57)
pour la SARL ; cependant, semblant admettre la modification tacite des statuts, cass civ 1ère 22 nov. 1994, JCP
éd. E 1995, I, n° 447, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN. La Cour de cassation a cependant fermement
condamné la modification statutaire tacite, résultant du fonctionnement habituel de la société : cass civ 1 ère 21
mars 2000, JCP éd. E. 2000 p. 950, note H. HOVASSE ; JCP éd. N. 2000 p. 1204, note B. JADAUD ; Bull. Joly
2000 p. 659, note P. LE CANNU ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 191, obs. A. LIENHARD ; Rev. Sociétés
2000 p. 509, note Y. GUYON ; Defrénois 2000 p. 849, note B. SAINTOURENS ; RJDA 2000 n° 548.
(1692) sur l’ensemble de la question, M.-H. de LAENDER, La révocation des dirigeants sociaux, Dr. Sociétés
mai 2000 p. 4 ; K. ADOM, La révocation des dirigeants de sociétés commerciales, Rev. Sociétés 1998 p. 487 ;
J.-J. CAUSSAIN, La précarité de la fonction de mandataire social (révocation et modes de protection), Bull.
Joly 1993 p. 523 ; J.-J. DAIGRE, Réflexions sur le statut individuel des dirigeants de sociétés anonymes, Rev.
Sociétés 1981 p. 497 ; J.-L. AUBERT, La révocation des organes d’administration des sociétés commerciales,
RTD com. 1968 p. 977.
(1693) V. dans les SARL, art. 223-25 C. Com. (ancien art. L. 55). La jurisprudence contemporaine a tendance à
apprécier le juste motif de révocation à la lumière de l’intérêt social (par exemple, CA Paris 20 nov. 1980, Rev.
Sociétés 1981 p. 583, note P. LE CANNU, rendu au sujet de la révocation d'un membre du directoire ; cass com
24 avr. 1990, RD bancaire et bourse 1990 p. 239, obs. M. JEANTIN et A. VIANDIER, Trib. com. Paris 25 févr.
1992, RJDA 1992 n° 470 ; cass com 4 mai 1999, JCP 1999 I n° 162, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN,
qui justifie la révocation d’une co-gérante par sa mésentente avec les autres associés, de nature à compromettre
l’intérêt social ; CA Versailles 11 mai 2000, RTD com. 2000 p. 951, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET)
(1694) Cette liberté reconnue aux associés n’est toutefois pas absolue. Ceux-ci peuvent commettre une faute
dans l’exercice de ce droit. En d’autres termes, si la révocation est entourée de circonstances vexatoires, de
nature à porter atteinte à l’honneur ou à la réputation du dirigeant évincé (ex. cass com 7 juill. 1992, Contrats,
conc., cons. 1992 n° 222, obs. L. LEVENEUR, rendu au sujet d'un mandataire mais transposable mutatis
mutandis aux dirigeants sociaux ; CA Paris 22 oct. 1998, RTD com. 1999 p. 431, obs. Cl. CHAMPAUD et D.
DANET), ou est intervenue brutalement, sans respecter le principe de la contradiction (ex. cass com 24 févr.
1998, Bull. Joly 1998 p. 527, note C. PRIETO ; CA Paris 28 janv. 1999, RTD com. 1999 p. 429, obs. Cl.
CHAMPAUD et D. DANET) – comp., décidant que l'abus réside dans la date de la révocation, intervenue quatre
mois après la conclusion d'une convention d'indemnisation, CA Paris 20 oct. 2000, D. 2000, cahier droit des
affaires, p. 432, obs. A. LIENHARD.
(1695) Art. 225-100 C. Com. (ancien art. L. 157), pour la société anonyme, art. 223-26 C.
Com. (ancien art. L. 56), pour la SARL, art. 221-7 C. Com. (ancien art. L. 16), pour la société
en nom collectif et art. 1856 C. civ pour la société civile – pour un exposé de la procédure, V.
CCCXXIII
Dans les rapports avec les tiers, les pouvoirs des associés sont apparemment plus
réduits puisque c’est l’organe de gestion qui est compétent pour « agir en toute circonstance
au nom de la société ». En réalité, les apporteurs de capitaux expriment valablement la
volonté contractuelle du groupement. En effet, même si les pouvoirs du dirigeant sont définis
par la loi, toute clause restrictive étant inopposable aux tiers (1696), son statut personnel
s'apparente à celui d’un mandataire (1697). En d’autres termes, lorsqu’il émet une volonté au
nom de la société, il exprime d’abord celle des associés (1698).
Ceux-ci détiennent d’ailleurs un pouvoir de décision propre non négligeable
En effet, ils doivent autoriser la conclusion par le dirigeant des contrats les plus
importants conclus au nom de la société, par exemple ceux rendant impossible la poursuite de
l’objet social, en effectuant une modification statutaire (1699).
De même, les apporteurs de capitaux sont parfois les seuls habilités par la loi à émettre
une volonté contractuelle au nom du groupement. Ainsi en est-il en cas de fusion (1700) ou en
cas d’offre publique d’achat. Dans cette hypothèse, la décision de lancement d’une offre
par ex. . G. FLORES et S. BAILLIE DE SENILHES, La pratique de l’assemblée générale.
SARL, SA (ne faisant pas appel public à l'épargne), sociétés civiles, éd. Francis LEFEBVRE,
1996, n° 106 et s, pour les sociétés civiles, n° 285 et s., pour les SARL, n° 566 et s., pour les
SA.
(1696) Art. 221-5 C. Com. (ancien art. L. 14), pour les sociétés en nom collectif ; art. 223-18, alinéa 6, C. Com.
(ancien art. L. 49), pour les sociétés à responsabilité limitée ; art. 225-35, alinéa 3, C. Com. (ancien art. L. 98),
pour le conseil d’administration de la société anonyme ; art. 225-51, alinéa 3, C. Com. (ancien art. L. 113), pour
le président de celui-ci ; art. 225-64, alinéa 3, C. Com. (ancien art. L. 124), pour le directoire. Le dépassement
des limites statutairement imparties au dirigeant est inopposable même au tiers de mauvaise foi, qui aurait eu
connaissance du dépassement (cass com 2 juin 1992, Dr. Sociétés 1992 n° 208, obs. crit. H. LE NABASQUE ;
Bull. Joly 1992 p. 946, note P. LE CANNU. Bien que rendue sur le fondement de l’article L. 49, alinéa 6, relatif
à la SARL, cette décision intéresse l’ensemble du droit des sociétés, eu égard à la similitude des textes
concernant les clauses limitatives des pouvoirs légaux de gestion – dans le même sens, cass civ 3ème 24 janv.
2001, Dr. et patrimoine juill.-août 2001 p. 112, obs. D. PORACCHIA).
(1697) en ce sens, C. KOERING, La règle "une action-une voix", thèse Paris I, 2000, n° 90 et s. ; I. GROSSI,
Les devoirs des dirigeants sociaux. Bilan et perspectives, thèse Aix en Provence, 1998, n° 29 et s.
(1698) C. PRIETO, La société contractante, thèse Aix en Provence, 1994, n° 40.
(1699) La jurisprudence n’est pas homogène sur cette question, en particulier sur la notion d’objet social.
Certains arrêts s’en tiennent à l’objet social statutaire. Si, malgré l’aliénation du bien, la poursuite de celui-ci
reste possible, alors l’autorisation des associés n’est pas requise (ex. cass com 29 janv. 1979, Bull. IV n° 35 ;
cass com 12 janv. 1988, RTD civ. 1989 p. 304, obs. J. MESTRE ; plus nuancé, cass com 24 janv. 1997, Rev.
Sociétés 1997 p. 792, note P. DIDIER). Les juges du fond prennent plus volontiers en compte l’objet social réel.
Si l’aliénation du bien rend impossible la poursuite de l’activité effective, alors les associés devront intervenir et
modifier les statuts (V. s’agissant de la cession de la quasi totalité des participations détenues par une société
holding, pour lesquelles un accord des associés est requis, Trib. com. Paris 28 juin 1982, RJ com. 1983 p. 99,
note J. MESTRE ; CA Grenoble 31 mai 1983, RJ com. 1983 p. 379, note J. MESTRE) – sur l’ensemble de la
question, V. not. R. MICHA-GOUDET, J.-Cl. Sociétés Traité, fasc. 9-20, 1999 ; J. PRIEUR, Droit des contrats
et droit des sociétés, in Mélanges Alain Sayag, Droit et vie des affaires, Litec, 1997, p. 371.
(1700) Art. 236-3 C. Com. (ancien art. L. 372) L’unanimité des associés est requise si la fusion, à laquelle on
reconnaît un caractère essentiellement contractuel (C. PRIETO, La société contractante, op. cit., n° 487 et s.)
augmente les engagements des associés (Trib. com Paris 12 juin 1972, Bull. mensuel d'informations des sociétés
1973 p. 324 ; Trib. com Paris 24 nov. 1980, Bull. mensuel d'informations des sociétés 1980 p. 701).
CCCXXIV
appartient à l’assemblée ( 1701 ). De même, l’assemblée générale constitutive a seule la
possibilité d’exprimer rétroactivement la volonté de la société, par le biais de la reprise d’un
acte accompli pour le compte de la société en formation.
Compte tenu du rôle ainsi joué par les associés dans la formation de la volonté sociale,
on comprend que la nature juridique de la résolution d’assemblée générale ait fait l’objet de
controverses (1702). Celle-ci se définit à la fois comme l’action de délibérer accomplie par les
associés et comme la résultante de cette délibération (1703). Cette double acception suggère
le caractère plural de la résolution d’assemblée. Parce que la société est un groupement de
personnes, la décision a nécessairement un caractère collectif, nécessitant le concours des
volontés individuelles (Section 1). Mais, la société est également un être moral distinct de ces
membres. Par conséquent, la résolution est aussi un moyen d’expression institutionnelle de la
société (Section 2).
Section 1 : La résolution d’assemblée générale, une décision collective des
associés
Puisque la résolution de l'assemblée générale présente un caractère collectif, le
consentement de chaque associé est nécessaire pour que celle-ci soit valablement formée (§1).
Ce caractère se manifeste de différentes façons en droit positif (§2).
§1- Les fondements de cette nature collective
Tout d’abord, la qualification de la résolution en un contrat, se bornant à exprimer le
consentement individuel des associés doit être rejetée. Certes, aucun des arguments avancés
par les auteurs déniant cette nature contractuelle n’emporte véritablement la conviction.
En effet, ces derniers avancent traditionnellement l’antagonisme des intérêts
caractéristique du contrat, qu’ils envisagent soit comme un conflit d’ordre psychologique
(1701) CA Paris 13 juill. 1988, D. 1989 p. 160, note P. LE CANNU. Cet arrêt se prononce également sur la
nature non juridictionnelle de l’ancien Conseil des Bourses de valeurs, remplacé par le Conseil des Marchés
financiers par la loi du 2 juillet 1996 portant modernisation des activités financières.
( 1702 ) Sur ces controverses, P. MOUSSERON, A propos des résolutions d’associés,
Mélanges Christian Mouly, t. 2, Litec, 1998, p. 223 ; R. CABRILLAC, L’acte juridique
conjonctif en droit privé français, Bibl. dr. priv., t. 213, LGDJ, 1990, n° 267 et s.
(1703) Voc. Ass. H. CAPITANT, V° « Résolution ».
CCCXXV
(1704), soit, de façon plus originale, comme une opposition purement objective de positions
juridiques (1705). Cette analyse ne convainc pas (1706), compte tenu de la profonde mutation
que connaît le droit contemporain des contrats. Même si cette position est contestée (1707),
l’idée s’est développée que le contrat ne se présentait pas forcément comme un conflit entre
les parties, mais pouvait également être un instrument de collaboration (1708). Demogue
faisait déjà remarquer que « les contractants forment une forme de microcosme. C’est une
petite société où chacun doit travailler dans un but commun qui est la somme des buts
individuels poursuivis par chacun, absolument comme dans la société civile ou commerciale.
Alors, à l’opposition entre le droit du créancier et l’intérêt du débiteur tend à se substituer
une certaine union. Le créancier quant à la prestation qu’il doit recevoir n’est pas seulement
créancier, il peut avoir un devoir de collaboration » (1709). Cette nouvelle approche de
l’accord des parties, liée au renouveau de la liberté contractuelle consécutif à la crise
économique ( 1710 ), est d’ailleurs conforme à l’approche sociologique du contrat, perçu
comme une alliance quasi mystique entre deux personnes, bien plus qu’un lien d’intérêt
(1711). Selon cette analyse, les contractants, loin de poursuivre des buts opposés, sont animés
(1704) G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, Bibl. dr. priv., t. 27, LGDJ, 1961, p. 17.
(1705); R. CABRILLAC, L’acte juridique conjonctif en droit privé français, op. cit., n° 87 et s.
(1706) Rappr. G. DARMON, Le contrat de coopération inter-entreprises, thèse Aix en Provence, 1998, n° 159,
qui rejette la qualification d’acte collectif à propos du contrat de coopération, dans lequel il voit un véritable
contrat.
(1707) J CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 114 : « A une époque où le mariage s’était peut être trop
transformé en contrat, d’aucuns [ont] rêvé de transformer tout contrat en mariage » ; Fr. TERRE, Ph. SIMLER
et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n° 41 – adde, Ph. STOFFEL-MUNCK, L’abus dans le
contrat. Essai d’une théorie, bibl. dr. priv. t. 337, LGDJ, 2000.
(1708) J. MESTRE, L’évolution du contrat en droit privé français, in L’évolution contemporaine du droit des
contrats, Journées René Savatier, 1985, p. 41 ; Ph. REMY, Droit des contrats : questions, positions,
propositions, in L. CADIET (sous la direction de), Le droit contemporain des contrats, Economica, 1987, p.
271 ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, Libres propos sur la transformation du droit des contrats, RTD civ. 1997
p. 357 ; Ch. JAMIN, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’article 1134 du Code civil,
Dr. et patrimoine mars 1998 p. 46 ; du même auteur, Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, in Mélanges
Jacques Ghestin, Le contrat au début du XXI° siècle, LGDJ, 2001, p. 441 ; D. MAZEAUD, Constats sur le
contrat, sa vie, son droit, Petites affiches 6 mai 1998 p. 8 du même auteur, Le contrat, liberté contractuelle et
sécurité juridique, Defrénois 1998 p. 1137 ; Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?,
Mélanges François Terré, L’avenir du Droit, PUF, Dalloz, Litec, 1999, p. 603 ; adde, J. MESTRE, D’une
exigence de bonne foi à un esprit de collaboration, RTD civ 1986 p. 100, et La transparence en droit des
contrats, RJ com. nov. 1993, n° spécial, La transparence, p. 77.
(1709) R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, II, t. 6, Effets des obligations, Librairies Arthur
Rousseau, 1931, n° 3.
(1710) L. AYNES, Crise économique et rapport de droit privé, in Droit de la crise : crise du Droit ? Les
incidences de la crise économique sur l’évolution du système juridique, Journées René Savatier, 1995, PUF, p.
57.
(1711) J. CARBONNIER, Droit civil, t. 4, op. cit., n° 21 et du même auteur, Flexible droit. Pour une sociologie
du droit sans rigueur, 8° éd., LGDJ, 1995, p. 312 ; adde, Fr. TERRE, Sur la sociologie du contrat, Arch. Phil.
Dr. 1968 p. 71 et Le contrat à la fin du XXème siècle, Rev. Sciences morales et politiques 1995 p. 299.
CCCXXVI
par un « affectio contractus » (1712), calqué sur l’affectio societatis. Dans ces conditions,
chaque partie doit exécuter ses obligations de façon à ce que son partenaire en retire les
avantages escomptés. Certes, cette approche du contrat peut présenter certains risques au
regard de l’impératif de sécurité juridique et du pouvoir qu’elle confère au juge de s’immiscer
dans l’accord des parties (1713). Cependant, ceux-ci ne doivent pas être exagérés.
La jurisprudence dominante fait sienne cette vision de l’accord des volontés, en
promouvant la justice contractuelle, voire la solidarité ou la fraternité, tant au stade de la
formation qu’à celui de l’exécution. Le juge témoigne ainsi d’un souci d’équilibre entre les
parties, d’une volonté des transparence des comportements (1714). Dans ces conditions, on
peut difficilement soutenir que la convergence des intérêts des parties est exclusif de la
qualification de contrat.
La thèse objective de l’opposition d’intérêt, défendue par M. le Professeur Rémy
Cabrillac, n’emporte pas davantage la conviction. Elle aboutit à nier l’existence même de
contrats d’intérêt commun, pourtant expressément affirmée par le législateur (1715). De plus,
il ressort clairement de la jurisprudence relative au mandat d’intérêt commun (1716) que la
notion d’intérêt revêt une acception matérielle. En effet, cette qualification sera retenue par le
juge dès lors que « les parties ont des droits directs et concurrents sur l’objet du mandat » ou
« qu’[elles] contribuent par leur activité réciproque à l’accroissement d’une chose qui soit
leur bien commun » ( 1717 ). La jurisprudence majoritaire fait référence à la clientèle
commune, élément matériel, comme critère de l’intérêt commun (1718). En conséquence, on
(1712) J. MESTRE, L’évolution du contrat en droit privé français, précité ; adde, D. MAZEAUD, Constats sur
le contrat, sa vie son droit, précité.
(1713) A. BENABENT, L’équilibre contractuel : une liberté contrôlée, Petites affiches 6 mai 1998 p. 14 ; D.
MAZEAUD, Libres constats sur le contrat, sa vie, son droit, précité (cet auteur est cependant favorable à la
nouvelle approche du contrat).
( 1714 ) Sur cette question, N. VIGNAL, La transparence en droit privé des contrats
(Approche critique de l’exigence), préf. J. MESTRE, PUAM, 1998.
(1715) Article 1er de la loi n° 89-1008 du 31 déc. 1989, alinéa 1er : « Toute personne qui met à la disposition
d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement
d’exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue préalablement à la signature de
tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties de fournir à l’autre partie un document donnant des
informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause ».
(1716) L’intérêt de la qualification de mandat d’intérêt commun réside dans son irrévocabilité. En effet, l’article
2004 du Code civil prévoit la révocation ad nutum du mandataire. Cette règle est écartée en matière de mandat
d’intérêt commun puisque le mandataire n’est révocable discrétionnairement que s’il lui est octroyé une
indemnisation ou si le mandant justifie d’une cause légitime de révocation ; sur l’ensemble de la question, J.
GHESTIN, Le mandat d’intérêt commun, Mélanges offerts à Jean Derruppé, Les activités et les biens de
l'entreprise, éd. GLN Joly, 1991, p. 105.
(1717) J. GHESTIN, Le mandat d’intérêt commun, précité, spéc. p. 114 ; adde, Th. HASSLER, L’intérêt
commun, RTD com. 1984 p. 581.
(1718) ex. cass com 8 oct. 1969, D. 1970 p. 143, concl. J. LAMBERT.
CCCXXVII
voit mal pour quelle raison l'intérêt serait exclusif de toute approche matérielle. Cela
reviendrait à admettre que ce dernier est un avantage tangible ou non selon la nature du
contrat en cause. M. le Professeur Cabrillac lui-même est conscient de la fragilité de son
argumentation, puisque il critique pour son manque de rigueur la notion même de contrat
d’intérêt commun (1719).
Cependant, est-ce à dire, compte tenu de la fragilité de l’argument traditionnellement
avancé, qu’il faille retenir une qualification contractuelle de la résolution d’assemblée ? Une
réponse négative s’impose. En effet, le contrat suppose pour se former un échange des
consentements (1720), c’est à dire la rencontre d’une offre émise par une personne et d’une
acceptation par une autre (1721). En d’autres termes, le critère de la qualification de contrat
réside dans cet échange. Certes, un auteur a proposé de distinguer entre les « contratséchange », qui obéissent effectivement à ce critère, et les « contrats-organisation », qui se
forment par un agrégat de consentements identiques et non plus opposés (1722). Celui-ci
viserait à organiser une activité entre les parties et non plus une permutation de leurs biens.
Sans mettre en cause la pertinence de cette classification, qui convient à la société elle même,
il semble qu’il faille l’écarter s’agissant de la résolution d’assemblée. Le but de cette dernière
n’est pas d’organiser une activité, de répartir une tache entre les associés contractants mais de
fixer l’opinion des associés sur une question précise, relevant de leur compétence.
A s’en tenir au critère classique d’échange des consentements, il semble que la
qualification purement contractuelle de la résolution d’assemblée doive être écartée. En effet,
en la matière il ne saurait y avoir à proprement parler d’offre et d’acceptation, sauf à voir très
artificiellement la première dans le projet soumis au vote par les dirigeants et la seconde dans
l’émission du suffrage. Le processus contractuel suppose en principe l’existence de
(1719) R. CABRILLAC, L’acte juridique conjonctif en droit privé français, op. cit., n° 97.
(1720) Un auteur propose de distinguer entre la volonté, manifestation de la liberté de la personne, et le
consentement, marque de la soumission d’un individu à un autre : M.-A. FRISON-ROCHE, Remarques sur la
distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats, RTD civ. 1995 p. 573 et du même auteur,
Rapport de synthèse, RJ com. nov. 1995, n° spécial, L’échange des consentements, p. 151.
(1721) sur l’échange des consentements, V. RJ com. nov. 1995, n° spécial, L’échange des consentements – adde,
dans les ouvrages de droit des obligations, H. L. et J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil, t. 2,
vol. 1, op. cit., n° 130 et s.; A. SERIAUX, Droit des obligations, op. cit., n° 10 et s. ; N. VIGNAL, Lamy Droit
du contrat, fasc. 135, L’échange des consentements. Règles générales, 1999.
(1722) P. DIDIER, Brèves notes sur le contrat-organisation, Mélanges François Terré, L’avenir du Droit, op.
cit., p. 635 et Le consentement sans l’échange : contrat de société, RJ com. nov. 1995, n° spécial, L’échange des
consentements, p. 75 ; adde, Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., n°
72-1.
CCCXXVIII
négociations, même limitées, entre l’offrant et l’acceptant (1723). Rien de tel n’existe en
matière de résolution d’assemblée, la volonté individuelle des associés cristallisée dans leur
vote n’est pas le fruit d’une négociation préalable. Bien au contraire, le projet de résolution est
préparé par les dirigeants sociaux (1724) et soumis à l’approbation de l’assemblée tel quel.
Dès lors, les associés n’auront d’autre choix que de l’accepter ou de le rejeter, ils ne pourront
pas obtenir de modification. La résolution de l’assemblée générale est donc exclusive de toute
qualification contractuelle.
Dans ces conditions, il semble que cette dernière soit un acte juridique collectif. Cette
catégorie particulière d’acte juridique, transposition française des théories allemande et
italienne de l’acte complexe (1725), a été introduite dans la doctrine française de droit privé
par M. le Professeur Gabriel Roujou de Boubée. Elle peut se définir comme un « faisceau de
volontés concordantes, ayant toutes le même contenu et orientées vers le même but » (1726).
L’acte collectif se caractérise par un concours de volontés (1727). Chacune des parties
exprime la sienne, par le mécanisme de l’adhésion. Dès lors, en matière de résolution
d’assemblée, il est possible de voir dans l’émission du suffrage une déclaration individuelle
de volonté (1728). En d'autres termes, le vote exprime la volonté de l’associé. Conformément
(1723) C’est par référence à ce critère que certains auteurs ont été amenés à douter de la nature véritablement
contractuelle du contrat d’adhésion (sur cette controverse, Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit
civil. Les obligations, op. cit., n° 190 et s.) On peut définir celui-ci comme le contrat par lequel une des parties se
trouve dans une situation d’infériorité économique par rapport à son cocontractant telle qu’elle est incapable de
discuter le contenu du contrat, sa seule alternative résidant dans le refus pur et simple. Mais la majorité de la
doctrine opte pour la qualification contractuelle (. L. et J. MAZEAUD et Fr. CHABAS, Leçons de droit civil, t.
2, vol. 1, op. cit., n° 87 ; Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, op. cit., loc.
cit.). Le contrat d’adhésion est bien à la rencontre de deux volontés, l’offre se matérialisant par la stipulation et
l’acceptation dans l’adhésion. En d’autres termes, le contrat d’adhésion est un véritable contrat, la partie faible
étant protégée soit par les principes généraux du droit des contrats, soit par des dispositions légales particulières
(sur l’ensemble de la question, J. GHESTIN et alii, La protection de la partie faible dans les rapports
contractuels. Comparaisons franco-belges, Bibl. dr. priv. t. 261, LGDJ, 1996).
(1724) Les projets de résolution sont inscrits dans l’ordre du jour (art. 225-105, pour la société anonyme, et 22327, C. Com. pour la SARL – anciens art. L. 160 et L. 57) établi par la personne chargée de convoquer
l’assemblée – sur cette question, infra. Mais, dans la société anonyme, l’actionnaire peut proposer un projet de
résolution s’il détient plus de cinq pour cent du capital social. Cette faculté est également reconnue aux
associations d’actionnaires de sociétés cotées créées par la loi n° 94-679 du 8 août 1994 portant diverses
dispositions d’ordre économique et financier.
(1725) Pour un exposé de la théorie, G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p.
170 et s. et plus récemment, R. ENCINAS DE MUNAGORRI, L’acte unilatéral dans les rapports contractuels,
Bibl. dr. priv., t. 254, LGDJ, 1996, n° 299 ; adde, en droit public, J. MOREAU, A la recherche de l'acte
complexe. L'exemple du droit public français, Droits, t. 7, PUF, 1988, p. 75.
(1726) G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p. 192 ; adde, J. FLOUR et J.-L.
AUBERT, Les obligations. L’acte juridique, op. cit., n° 513 ; G. MARTY et P. RAYNAUD, Les obligations, t.
1, Les sources, op. cit., n° 367.
(1727) G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur l’acte juridique collectif, op. cit., p. 242.
(1728) J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations. L’acte juridique, op. cit., n° 513.
CCCXXIX
au principe de l’autonomie de la volonté (1729), il ne pourra jamais être obligatoire (1730).
D’ailleurs, pendant longtemps, les associés ont déserté les assemblées générales mais, sous
l’impulsion des fonds de pensions anglo-saxons, on assiste depuis plusieurs années à un
véritable renouveau des organes délibérants.
Mais pour qu’il y ait acte collectif, encore faut-il que chaque associé soit en mesure
d’exercer son droit fondamental. Aucun associé ne doit avoir été mis dans l’impossibilité de
participer au scrutin. La nature collective de la résolution d’assemblée s'y oppose. Si l’un des
apporteurs de capital s’était vu interdire l’accès à l’assemblée, et donc d'exercer son droit de
vote, alors la volonté collective ne serait pas formée. La décision ne se forme que si tous les
associés ont eu la possibilité de manifester leur adhésion.
C’est d’ailleurs ce qu’a décidé la Cour de cassation dans un arrêt rendu par sa
Troisième Chambre civile le 21 octobre 1998 (1731). En l’espèce une société civile avait été
constituée par onze associés. Deux d’entre eux vendirent leur participation au bout de
quelques années mais la cession fut finalement annulée. Or, entre l’opération et son
annulation, des décisions avaient été prises par l’assemblée générale. Dans ces conditions,
deux coassociés des cédants invoquèrent la nullité de celles-ci. Selon eux, l’annulation de la
(1729) Ce principe, même s’il a connu un certain déclin (H. BATIFFOL, La crise du contrat et sa portée, Arch.
Phil. Dr. t. 13, 1968, p. 59), demeure le fondement du droit des contrats. Inspiré des considérations
philosophiques du Siècle des Lumières, il fait de la volonté la source exclusive d’obligations. Celles-ci ne sont
tolérables que si elles ont été librement consenties. En d’autres termes, il résulte de ce principe que nul ne
pourrait être forcé de consentir à un acte – sur l’ensemble de la question, V. RANOUIL, L'autonomie de la
volonté, Naissance et évolution, PUF, 1988 ; D. TERRE-FORNACCIARI, L’autonomie de la volonté, Rev.
Sciences morales et politiques 1995 p. 255.
(1730) La loi Thomas du 25 mars 1997, qui transposait en droit français les fonds de pension anglo-saxons, dans
le but d’apporter une solution au lancinant problème du financement des retraites, avait, dans son article 13,
institué une obligation de vote à l’encontre du futur fonds d’épargne retraite. Celui-ci était, selon les termes
mêmes de la loi, tenu d’exercer « effectivement » son droit de suffrage, dans l’intérêt exclusif des adhérents – sur
cette loi, A. COURET, Première traduction législative de la corporate governance : la loi sur les fonds de
pension (libres propos autour de la loi n° 97-277 du 25 mars 1997), D. 1997 chron. p. 241 ; Y. SAINT-JOURS,
Les aspects juridiques de l’épargne retraite d’entreprise instituée par la loi n° 97-277 du 25 mars 1997, JCP
1997 I n° 4020 ; Y. GUYON, Aspects juridiques des fonds d’épargne retraite, Petites Affiches 15 oct. 1997 p.
14 ; C. JAMIN, Plans d’épargne retraite, Loi du 25 mars 1997 créant les plans d’épargne retraite, RTD civ.
1997 p. 530 ; A. PEZARD, Une loi sur les fonds de pension, Petites affiches 3 mars 1997 p. 4 ; J.-J. TOUATI,
La loi créant les plans d’épargne retraite, Semaine sociale Lamy 10 nov. 1997, n° 861 p. 5, et Les fonds
d’épargne retraite, Semaine sociale Lamy 17 nov. 1997, n° 862 p. 5. Mais, deux mois après l’adoption de cette
disposition, la majorité politique a basculé. Le nouveau gouvernement a toujours refusé d’en signer les décrets
d’application, qui auraient permis son entrée en vigueur. Cependant, le projet de loi sur la modernisation sociale
prévoit l'abrogation pure et simple de la loi du 25 mars 1997. Pour sa part, le rapport Marini envisageait de
mettre à la charge des OPCVM la même obligation de vote ; sur ce point, V. Fr. MANIN, L’obligation de vote
de l’OPCVM et du fonds de pension. Commentaire d’une proposition du rapport Marini, Banque et droit mars
1997 p. 17.
(1731) cass civ 3ème 21 oct. 1998, Angeli, JCP éd. E. 1999 p. 29, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN et p.
86, note Y. GUYON ; D. affaires 1999 p. 40, obs. M. BOIZARD ; RJDA 1998 p. 993, rapp. C. DAUM et p. 987,
note P. LE CANNU ; Bull. Joly 1999 p. 107, note L. GROSCLAUDE ; Dr. Sociétés 1999 n° 2, obs. Th.
BONNEAU ; RTD com. 1999 p. 116, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET ; Defrénois 1999 p. 1192, note H.
HONORAT ; RJ com. 1999 p. 369, obs. D. VIDAL ; Bull. d’actualités Lamy Sociétés commerciales févr. 1999,
note L. MERLAND ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 232, obs. J.-C. HALLOUIN.
CCCXXX
cession ayant un effet rétroactif, les deux cédants avaient recouvré rétrospectivement leur
qualité d’associé. Or, par hypothèse, ils n’avaient pas été convoqués aux assemblées générales
litigieuses. Par conséquent, celles-ci n’étaient pas valables, tous les associés n’ayant pas été
mis en mesure de participer à l’élaboration des décisions. Ils demandèrent en outre la
dissolution pour justes motifs de la société, sur le fondement de l’article 1844-7, 5°, l’affectio
societatis ayant selon eux disparu. La Cour d’appel de Grenoble rejeta leurs prétentions.
S’agissant de la nullité des résolutions, les juges du fond s’appuyèrent sur la finalité
individuelle de la convocation. Du moment que les demandeurs avaient été eux-mêmes
régulièrement convoqués, ils n’avaient pas d’intérêt pour agir en nullité de la décision. Seuls
les cédants étaient en mesure de demander une telle sanction, qui n’aurait été prononcée que
si leur absence de convocation avait eu une incidence sur le résultat final du vote. Mais ce
raisonnement est censuré par la Cour de cassation, sous le visa des articles 1844, alinéa 1er, et
1844-10 du Code civil (1732), en ces termes : « tout associé a le droit de participer aux
décisions collectives ; en statuant ainsi, alors que tout associé peut se prévaloir de l’absence
de convocation d’un associé à l’assemblée générale, la Cour d’appel a violé les textes
susvisés » (1733).
C’est affirmer que la décision de l’assemblée générale a une nature collective. En
effet, si l’on considère que chaque associé peut soulever la nullité de la résolution résultant
d’un défaut de convocation de ses coassociés (1734), on reconnaît que la résolution est un
acte collectif. Elle a besoin du concours de tous les associés pour être valablement formée. Si
l’un d’entre eux n’a pas été mis en mesure de manifester sa volonté, par le biais de son droit
de vote, alors les autres ont un droit égal à soulever l’irrégularité de la décision prise. Dans
ces conditions, le droit de vote apparaît, non pas comme un droit purement contractuel,
destiné à sauvegarder les droits pécuniaires de l’apporteur de capital, mais comme une
fonction permettant la participation de chacun à l’élaboration 
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