
 
J’ai lu attentivement le discours de Benoît XVI à Ratisbonne sur les relations entre la raison et la 
foi qui fait des vagues chez les Musulmans. 
Il est évident que la Pape a pris plaisir à donner un cours magistral de théologie dans cette chaire 
qu’il a occupé de 1969 à 1977. Il ne  parle pas en Pape mais en professeur érudit lorsqu’il cite pour 
commencer sa lecture récente d’un intéressant échange ayant eu lieu  en 1391 entre un chrétien et un 
musulman sur la vérité respective de leur religion. Son propos aurait fait l’unanimité s’il s’était borné à 
souligner  que  la  différence  essentielle  entre  le  Christianisme  et  l’Islam  est  dans  le  dogme  de 
l’Incarnation. Pour les Musulmans, Jésus-Christ n’est qu’un homme, un très grand prophète, alors qu’il 
est pour les Chrétiens vrai Dieu et vrai Homme.  
Ceci posé, il aurait pu s’en tenir à montrer en quoi l’Incarnation a servi l’activité rationnelle au 
sein de la Chrétienté sans argumenter par rapport à l’Islam dont la rationalité, notamment en matière de 
Djihad, est il est vrai desservie chez les Islamistes par l’absence de ce dogme. Mais tous les musulmans 
ne sont pas islamistes et la citation rapportée est loin de traduire toute le richesse du débat sur la raison 
et  le  foi  très animé au Moyen Âge  et  de nouveau très  vif aujourd’hui chez  ceux qu’on  appelle “les 
nouveaux penseurs de l’Islam”. De plus, en soulignant comme il le fait ce que le christianisme doit à la 
rationalité  grecque,  il  oublie  que  ce  sont  les  philosophes  arabes  qui  ont  fait  connaître  Aristote  aux 
théologiens chrétiens. 
Au  lieu  d’introduire  son  discours  par  ce contrepoint  simplificateur malencontreux, il  aurait pu 
s’interroger sur le fait patent que la science moderne est née dans le berceau de la Chrétienté. 
Il aurait pu à cet égard faire appel à deux penseurs contemporains, agnostiques et d’origine juive, 
dont  je  vais  citer  deux  extraits  qui  me  paraissent  beaucoup  plus  stimulants  que  la  citation  qui  sert 
d’introduction au Pape. 
Le  premier  est  Alexandre  Kojève  dans  "Origine  chrétienne  de  la  science  moderne"-Revue 
Sciences  n°31  -Mai-Juin  1964  :"Si  le  christianisme  est  responsable  de  la  science  moderne,  c'est  le 
dogme de l'incarnation qui en porte la responsabilité exclusive. (...) Qu'est-ce que l'incarnation, sinon 
la  possibilité  pour  le  Dieu  éternel  d'être réellement présent dans  le  monde temporel où  nous  vivons 
nous-mêmes sans déchoir pour autant de son absolue perfection ? (...) Si, comme les chrétiens croyants 
l'affirment, un corps terrestre peut être «en même temps» le corps de Dieu et donc un corps divin, et si, 
comme le pensaient  les  savants  grecs, les  corps  divins  reflètent  correctement les relations éternelles 
entre des entités mathématiques, rien n'empêche plus de rechercher ces relations dans l'ici-bas autant 
que dans le ciel.” 
Le  second  est    George  Steiner  qui  enracine  la  linguistique  moderne  dans  la  théologie  judéo-
chrétienne  ”Je ne puis parvenir à aucune détermination du sens ou de l’existence qui ne parie sur une 
transcendance”(p67)  “nos  grammaires,  nos  explications,  nos  critiques  de  textes  sont  des  héritières 
directes  des  textualités  de  la  théologie  judéo-chrétienne..;  (nous  n’avons  fait)  qu’emprunter  à  la 
banque ou au trésor de la théologie.... très peu d’entre nous ont remboursé”  (p 64).“Le sens du sens” 
(Vrin -1988) 
À l’appui de la thèse de Kojève, je pose cette question : quelle est en effet la bonne nouvelle de 
l’Incarnation  si  ce  n’est  que  nous  sommes  fils  de  Dieu,  du  même  sang  que  le  Christ  notre  frère, 
participants de la même chair et à la même raison, membres de son corps que nous faisons croître et qui 
nous nourrit, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble, au terme de cette libre coopération entre 
Dieu et l’Homme, à  l’unité de la vérité révélée par la foi et de la vérité dévoilée par la raison.  
À l’appui de la thèse de Steiner je préciserais seulement qu’il est spécifique de l’Islam de parier 
tout particulièrement sur une transcendance et que le trésor auquel empruntent les sciences humaines 
est judéo-islamo-chrétien.  
Si n’est pas mieux comprise cette dynamique de l’histoire du salut, progressant à tâtons vers la 
vérité tout entière sur le dessein de Dieu, dans la perspective de son intelligibilité finale, je ne vois pas