Chronique de la vie La grotte va-t-elle enfin livrer son secret ? Trois enfants jouent dans une grotte, y allument un feu. Et périssent. Victimes du gaz carbonique, de déchets chimiques ? Ce site, oublié depuis la guerre, était-il pollué ? ans un champ, deux femmes regardent un géologue prélever des échantillons du sol. Monique et Michèle se tiennent par la main et retiennent leurs larmes : leurs enfants sont morts dans la grotte, dix mètres au dessous, il y a cinq ans. Depuis, le site de Montérolier, prés de Rouen, garde son secret. Aucune explication sérieuse ne leur a jamais été donnée. Alors en ce jour d'octobre dernier, elles espèrent, que le scientifique va en trouver une. Les A l l e m a n d s ont c r e u s é c e t t e cavité en 1944 p o u r y stocker d e s a r m e s Le 25 juin 1995, trois collégiens de la petite ville voisine de Buchy, Thomas et Nicolas Havé, 13 et 14 ans leur copain Pierre Lamperier, entrent dans la grotte pour jouer aux aventuriers. Ce n’est pas une cavité naturelle. Elle a été creusée en1944 par les Allemands, et servait de lieu stockage pour des armes et des fusées V1 qu’ils lançaient d’une base toute proche. Dès la fin de la guerre, les enfants du coin sont venus jouer dans ces larges couloirs, au sol plat et aux parois lisses, d’où partent les galeries à angle droit. Personne ne s’y est jamais perdu. Personne n’y est mort. Jusqu’à ce maudit 25 juin. A 18 heures, ce jour-là, Monique Havé s’inquiète de ne pas voir rentrer ses enfants. Elle téléphone à Michèle Lampérier qui lui répond que son fils n’est pas de retour non plus. Mais les deux maris se doutent de l’endroit où sont les gamins : la grotte. Ils fouillent les bois alentour, trouvent leurs vélos, entrent, font quelques pas, mais l’obscurité est profonde. José Lampérier repart chercher des lampes. Quand il vient, moins d’une demi-heure plus tard, Jean-Jacques havé a disparu. Il crie. Seul l’écho de la grotte lui répond. Devant ce mystère, il décide de prévenir les pompiers de Buchy. Ce sont des pompiers volontaires. Ils sont quatre, accompagnés d’un spéléologue. Ils entrent dans le trou sans se méfier. Eux même non plus ne ressortent pas. Alors, on appelle les pompiers de Rouen, des professionnels qui, à leur tour, s’enfoncent dans les galeries. L’un d’eux ne revient pas. Devant ce danger invisible, on décide de ventiler la grotte et de suspendre les secours. Toute la nuit, on change l’air vicié. Au matin, ils trouveront neuf cadavres. Seul le pompier, encore inconscient, sera sauvé. Personne ne sait comment il a pu suivre. Tous les enfants du coin venaient y jouer. Mais Thomas, Nicolas et Pierre y ont perdu la vie Des jours qui ont suivi, Monique et Michèle ne souviennent pas. La douleur est trop forte, les décès brutaux, inexplicables. Pourtant, une question se fait jour dans leur esprit : pourquoi avoir suspendu les recherches ? On a bien trouvé un pompier vivant le lendemain. On a donc perdu du temps, on pouvait tous les sauver. Et puis, l’explication qui leur corps dégagent une odeur, les vêtements des victimes sont imprégnés d’une étrange substance. Les analyses révéleront bientôt une forte concentration de cyanure dans le sang et sur les habits des victimes. La justice ouvre alors une enquête. Elle se résume en autopsie. La ventilation des galeries ayant dilué le gaz mortel, les enquêteurs ne visitent pas toutes les galeries. L’accident paraît tellement évident que le juge ne voit les parents que deux fois. La première pour enregistrer leur identité, la deuxième pour les autoriser à aller se recueillir dans la Lagroteva-t-eleenfin grotte. José et Michèle avaient deux fils. Ils ont perdu le plus jeune. Monique, elle, avait trois enfants. Elle a perdu son mari et deux de ses Parmi les victimes du gosses. De cinq à drame, le fils de José, table le soir, elle se le mari de Monique et retrouve leurs deux enfants. Les causes n'ont pas en tête à tête avec son aîné. été clairement Tant de douleur, assenée établies. Pourtant dès d’un seul coup, demande 1948, les archives une explication, le début militaires font état des d’une certitude. dangers du site. Commence alors le bal des experts. Les uns confirment la mort par inhalation de gaz, les autres en doutent. Les est donnée ne les autopsies ne permettent de satisfait qu’à moitié. Le conclure ni dans un sens ni monoxyde de carbone, dans l’autre et, surtout, ce gaz inodore, incolore n’expliquent pas la présence de cyanure. Quant à et mortel serait à l’Hypothèse du gaz, elle l’origine du drame. faible quand certains Les enfants ont allumé paraît experts estiment qu’il aurait un feu pour faire des fallu brûler 160 000 m³ de torches et éclairer les bois pour arriver à une dose galeries : les traces sont de gaz mortelle. Une autre explication est nécessaire. encore visibles. Des émanations des vielles L’émanation de gaz munitions allemandes, mortel a atteint les peut-être ? En 1948, les enfants, puis les archives militaires avaient sauveteurs. Des faits déjà signalé les dangers étranges sont potentiels de la grotte. cependant constatés. Appelée en qualité d’expert L’un des pompiers par la juge, la direction de raconte tout d’abord l’Armement a mené une enquête. Des militaires ont avoir vu des arpenté de nouveau les flammèches et des galeries, petites explosions sur les parois de la grotte. De plus les Mais, curieusement, leur rapport ne figure pas dans le dossier. Les parents n'y ont jamais eu accès. Beaucoup de questions restent donc en suspens quand, en 1997, la juge boucle le dossier par un non-lieu. Il n'y aura pas de jugement. Les victimes ont été asphyxiées par le gaz, à cause du feu que les enfants ont allumé. A Buchy, Monique et Michèle s'entendent dire qu’elles ne sauront jamais. En août dernier, pourtant, le mystère de la grotte refait surface grâce à « Robin des bois ». Sous ce nom héroïque se cachent des écologistes spécialisés dans la traque des sols pollués et oubliés. Ils ont déjà déniché des sites de stockage secrets du pétrole provenant de l ' A m o c o C a d i z , le tanker qui a fait naufrage en Bretagne il y a vingt ans. Cette fois, ils se sont procuré une I photo aérienne du site de Montérolier datant de 1952. Les a n a l y se s r é vèl en t u n e f o r t e concentration d e c y a n u r e d a n s le s a n g et sur l e s v ê t e m e n t s des v i c t i m e s Cette photo dévoile sur le terrain d’étranges formes rectangulaires, peut-être des fosses de stockage qui pourraient receler des munitions entreposées sans précaution. Au fil des années, les matériaux chimiques auraient pu se désagréger, pénétrer dans le sol et atteindre les galeries où leurs gaz auraient pu se répandre. Il ne faudrait plus chercher l’explication au sol, mais sur les plafonds. Voilà pourquoi cinq ans après le drame, Monique et Michèle sont venues observer le géologue sonder le terrain. Elles espèrent enfin une explication. Toutefois, leur dernière action en justice ne leur permettant plus d’avoir accès à ces investigations, elles vont mener une autre bataille. Elles veulent savoir la vérité, et vont accuser l’Etat de la cacher. Laurence Vacher