Au bout d'un petit chemin escarpé qui coupe la campagne verdoyante et ensoleillée, le drame. Mercredi et jeudi dernier, à l'abri d'un petit bois, une grotte aménagée par les allemands en galeries souterraines a été le théâtre d'une véritable tragédie. Neuf personnes trois enfants dont le père de deux frères, un secouriste bénévoles et quatre sapeurs-pompiers sont mortes, foudroyées par un gaz mortel. Innocents comme on peut l ’ ê t r e à l'adolescence, l e s trois enfants de Buchy qui, comme leurs aînés, sont allés jouer dans la grotte "bien connue" de Clairfeuille ne se doutaient pas que le mort les faucherait si tôt au détour d'un dédale obscur, jusqu'alors très fréquenté. "Quand j'y suis allé témoigne un amoureux de la nature, j'ai remarqué sur les murs de nombreux graffitis de jeunes. Il y avait aussi des chauves-souris. L ' a i r était normal. » En quête de mystère et de découverte, les trois élèves du collège Francis Yard avaient en main une carte de la grotte qui circulait dans l'établissement. Ils étaient partis mercredi, en milieu de journée, alors que la vingtaine de copains qui devaient les accompagner en VTT se sont désistés, certains préférant la piscine. Le courage de l ' a m o u r I l est un peu plus de 20 h quand le père de Nicolas et de Thomas Havé, accompagné de celui de Pierre Lampérier, arrive aux abords de la grotte de C l a ir f eu i l l e . La sympathique balade tourne bientôt à la tragédie. Derrière les taillis qui cachent à peine l’entrée connue des souterrains, Jean-Jacques Havé sait que ses deux enfants, "Thomas et Nicolas, sont à l'intérieur. Leurs V T T sont posés à quelques mètres de là. Pour ce footballeur de Buchy, ses enfants représentent tout. I l entre malgré la fumée qui s’échappe du trou. Ne le voyant pas revenir, M. Lampérier p a r t aussitôt chercher du secours. "II est descendu chercher ses enfants comme on va dans la mine" dira un proche. Ce fut l'ultime acte d'amour et de courage d'un père pour ses deux fils. A 21 h, l'alerte Si l'on ne comprend pas encore pourquoi Jean-Jacques Havé n'a pas succombé immédiatement au gaz toxique, on sait cependant qu'il est mort seul, asphyxié non loin des trois enfants allongés à l'autre bout de la grotte, dans un cul de sac. Le monoxyde qui l'a tué est un gaz plus lourd que l'air. En se déplaçant dans la g r o t t e , aurait-il pu soulever le gaz qui stagnait près du sol depuis plusieurs heures? I l est 21 h 13 quand l’alerte est donnée. Le centre 18 prévient les sapeurs-pompiers de Buchy. Une équipe de Rouen, avec à sa tête le médecin capitaine Jean-Yves Soulard, en poste depuis septembre dernier, est aussitôt envoyée sur place. Entre temps, Gérard Duvivier, un jeune homme qui réside avec sa concubine à proximité de la grotte propose son aide aux premiers pompiers arrivés, dont Dominique Petit et Fabrice Pigny, tous deux sapeurs-pompiers volontaires du corps de Buchy. Les premières équipes de sauvetage pénètrent rapidement dans les galeries sombres. Certains les connaissent. Tous ne portent pas d'appareil respiratoire isolant. II semble que les sapeurs-pompiers de Rouen et Buchy soient intervenus dans le cadre d'enfants bloqués par un éboulement les galeries de cette ancienne marnière sont parfois coupées par des monticules de pierres. Malgré leur professionnalisme, ils ne se seraient pas méfiés et pénétraient directement dans des poches de gaz en forte concentration. Déjà cinq morts Dominique Petit et Christophe M ar t e l, lui aussi du centre de secours de Buchy, sont parvenue à ressortir. Ils mettaient leur ARI mais, quelques secondes après être de nouveau entrés, leurs jambes ont commencé faiblir. Est-ce seulement le gaz inhalé lors de la première tentative qui les a intoxiqués? Ils seront transportés à Rouen et au Havre, dans un état critique, Dominique Petit plongeant dans le coma. Parmi cette première équipe à laquelle se sont joints les sapeurs-pompiers du centre Gambetta de Rouen, on déplore cinq mots : Jean-Yves Soulard, médecin-capitaine de 36 ans; Bruno Poullain, 32 ans; Laurent Panier, 32 ans, Fabrice Pigny, 22 ans et Gérard Duvivier, ce guide sauveteur de Montérolier qui " aimait tant les enfants " d i r a l'un de ses proches. Munis d'appareils respiratoires, des sapeurs-pompiers spécialisés font une nouvelle tentative. En vain, c a r la progression est trop dangereuse. Peu avant minuit, ils découvrent néanmoins un corps inanimé, à une vingtaine de mètres de l'entrée. La Préfecture déclenche alors une cellule de crise. Le préfet passera toute la nuit à quelques mètres où la tragédie qui tuera un à un les secouristes se noue. Alain Le Vern, député, est aussi sur place. Rapidement, i l est décidé d'évacuer le gaz toxique trop dense pour éviter le moindre risque. "La montée en puissance des secours a été énorme" témoigne un sapeur-pompier. Les ventilateurs prennent le relais des sauveteurs impuissants. Trois enfants, quatre sapeurs-pompiers et deux autres adultes sont coincés dans les entrelas sombres. Ils le savent mais ont ordre de ne pas intervenir pour éviter de prendre de nouveaux risques. Les énormes ventilateurs laissent un peu de champ libre aux sauveteurs. Ils découvriront des disparus au milieu de la nuit et au petit matin. L ' a t te nt e L'espoir de retrouver les enfants vivants s ’ a m e n u i s e . Près de la grotte, des sapeurs-pompiers sont intoxiqués par le gaz qui en est extrait. Une troisième entrée doit alors être creusée. Une odeur inconnue est détectée. Le monoxyde de carbone est inodore... On évoque du chlore, puis, après enquête, i l est question de cyanure. Mais la thèse officielle reste le monoxyde. Toute la nuit, les familles ont attendu des nouvelles des leurs. L'angoisse est de plus en plus visible, le soleil de plomb qui s'abat sur cette campagne tranquille n'a plus l'image des jours heureux. Jusqu'en milieu de journée, on espère. Les familles se soutiennent dans l’attente. A 15 h, c’est l'annonce du bilan définitif. Tous les corps ont été retrouvés. Sans vie. C’est la fin de l'espoir, principalement celui d'une poche d’air sain dans laquelle les enfants auraient pu se réfugier. Les familles sont en pleurs. Une femme a perdu deux de ses trois enfants et son mari, des parents ne verront plus leur fils; les sapeurs-pompiers pleurent l e s volontaires et les bénévoles. Une chape de tristesse et d'incompréhension s'est abattue sur Montérolier et la région. " I I ne se passe jamais rien ici et quand il y a quelque chose, c’est un drame." commente un homme, seul près de l'entrée qui mène à la grotte. II est abasourdi. L'escapade innocente et l'abnégation des sauveteurs se sont soldées, par neuf morts. En plus de la peine, des questions restent sans réponses. G. Lejeune La mort dans les souterrains Jean-Jacques H a v é a-t-il réussi de rejoindre ses enfants? On ne le saura sans doute jamais, comme il sera difficile aux enquêteurs d'expliquer pourquoi il était retrouvé au fond de la grotte, alors que des secouristes étaient foudroyés au bout d'une trentaine de mètres. Dans ce dernier cas, l'hypothèse d'un échange d'appareil respiratoire est avancée .