Leibniz trouve, également, dans la Kabbale la source d’une « langue universelle », qu’il appelle lingua
Adamica, la « langue Adamique », ou cabbala vera, la « kabbale vraie »[95].
La mystique juive est un savoir « axé sur le langage », souligne Scholem[96]. L’idée que les lettres de
l’alphabet constituent « l’un des premiers événements cosmologiques » est présente dans la Kabbale
depuis Isaac l'Aveugle au XIIe siècle[97]. Cette conception du langage (ce que Moshé Idel appelle la «
kabbale linguistique ») a connu une grand succès auprès des kabbalistes chrétiens et des philosophes
qui leur sont proches. Ainsi, selon Leibniz, la vraie kabbale repose « sur le postulat d’une harmonie
universelle entre le monde des formes spirituelles et le monde réel », note Suzanne Edel[95]. La « vraie
kabbale » se confond avec la kabbale linguistique. Leibniz l’oppose à la « fausse Kabbale », « un genre
vulgaire de cabbala », liée à la magie et à la superstitution[95].
Emanuel Swedenborg
Emanuel Swedenborg (1688-1772), un philosphe sudédois, publie une série d’ouvrages – Arcane
Céleste, La Nouvelle Jérusalem, Ciel ou Enfer, L’Apocalypse Révélée, etc. – où l’influence de la Kabbale
est si déterminante qu’il pourrait se ranger parmi les kabbalistes chrétiens.
La kabbale linguistique occupe dans son œuvre une place considérable. Toutefois, entre kabbalistes juifs
et kabbalistes chrétiens, il y a une différence fondamentale, particulièrement sensible chez Swedenborg.
Dans le judaïsme, l’allégorie à la source de l’interprétation du langage « suppose tout à la fois l’existence
de la vérité et l’épreuve de son absence : c’est parce qu’il est exilé du vrai que l’homme se fait
allégoriste. Pour le christianisme, au contraire, c’est l’incarnation de Dieu qui fait l’allégorèse ; c’est
parce que le divin est devenu visible, en la personne de Jésus-Christ, qu’elle apparaît possible et
nécessaire », souligne Yves Hersant[98].
Friedrich Heinrich Jacobi (1743-1819) fait paraître en 1785 un ouvrage sur Spinoza [99], où la kabbale est
identifiée au panthéisme et, par voie de conséquence, à l’athéisme. Confondue avec la base de la
philosophie spinozienne, la kabbale fait ainsi son « entrée dans le discours romantique »[100]. Les
théories de Jacobi intéressent des lecteurs « tels que Fichte et Hegel, Goethe et Herder, Novalis et
Schelling », note Christoph Schulte[100].
Franz Molitor (1779-1860)[101] publie des travaux où la kabbale occupe, également, une place
importante, associée à la philologie, à la théologie, à la philosophie de la langue ou à celle de l’histoire.
Molitor y présente « le judaïsme et le christianisme comme deux pôles égaux en droits et en importance