« Et les Arts de la rue ? » Extraits du Grand Forum Public du 16 mai 2001 à Brest préparé et animé par les étudiants DESS Management du spectacle vivant de l’Université de Bretagne Occidentale au terme d’un séminaire de 2 jours . Restitution du débat: Kévin Morizur Pourquoi avoir choisi la rue ? Bernard Colin de Tuchenn J'ai choisi la rue pour des raisons physiques, j'ai la nécessité d'être dehors, c'est un lieu beaucoup fréquenté, une sorte de couloir. La rue est un désir reconnu et constaté et je ne me pose pas de questions sociologiques. Dans la rue, on trouve de nouvelles formes et on construit des situations. C'est seulement une problématique de désir. Pierre Berthelot de Générik Vapeur Pour savoir le climat, savoir le temps qu'il fait ainsi que la situation sociale et les actualités. Je suis peutêtre aussi claustro ... Le comédien choisit la rue pour jouer avec les éléments de la vie, pour travailler avec les acteurs de la ville (les pompiers, la police, Simone qu'est habillée en rose à sa fenêtre). Jean-Raymond Jacob d'Oposito J'aime jouer avec le soleil, et je n'aime pas les choses établies. J'essaie de constituer un rapport avec la ville, la bouger et la réveiller. Le public ne se croise pas dans les rues, il faut changer cela. J'ai l'habitude de dire : « dis moi ce que tu montes et je dirais devant qui tu joues… ». Tout ça, constitue une énergie, un mental et une envie. René Marion, de l’Avant Scène de Cognac Le point de départ d'aller dans la rue, c'est quand le lieu où l'on est devient étriqué. Après c'est une histoire de rencontres et d'aventures aventures qui se lient. Quand je vois que 93 % de la population ne va pas dans les salles, ça me donne aussi envie d'instaurer le théâtre là où il n'est pas. Et puis j'aime et j'admire le mélange du public qui crée des cercles et reste très tard. C'est une manière aussi d'accompagner le politique en le contrant, mais avec au fond les mêmes finalités. Et puis, il y a des œuvres qui parlent seulement dehors. Quelle est l'envie de la municipalité pour crée un festival dans la cité ? Michel Le Goff, Maire de Morlaix C'est tout d'abord une démarche d'animations puis tout ceci évolue, maintenant les spectacles se créent (comme les Métalovoice qui sont sur Paris ce soir) en intégrant avec eux des associations. On réussit à intégrer le Fourneau et son travail au delà de la vie simplement culturelle, c'est une forme de communion évidente. Y'a t-il des risques dans la programmation, et dans le choix des spectacles ? Michel Le Goff Nous avons une relation de confiance avec les organisateurs. Nous donnons les clés de la ville, et toute son énergie. Les services techniques, la Police, la Croix Rouge, tous sont fédérés autour d'une équipe, et du point de vue de l'organisation, le risque est donc maîtrisé. En ce qu'il s'agit du risque artistique, si un spectacle ne plaît pas, on peut trouver son bonheur 50 m plus loin ... Public : La dépendance d'une compagnie ou d'une organisation artistique face au politique est-elle une situation difficile à assumer ? Jean-Raymond Jacob Moi, j'accepte totalement d'être dehors, même si il fait froid. Pour ce qui est de la dépendance par rapport aux municipalités ... Je pense que l'on ne se différencie pas en ça du spectacle en salle. Les compagnies ont par rapport a la scène une capacité d'être plus dépendants, on a une économie différente des autres genres de théâtre. René Marion Il y a bien sûr un danger potentiel au niveau politique. Comme à Saint Gaudens, où je dirais que le point de vue du maire est assez radical. Oui, le théâtre de rue est directement lié au politique. Il y a une absence de responsabilité de l'état, il doit aujourd'hui assumer la structuration du réseau de la rue. Quels sont vos moyens de financement ? Pierre Berthelot Il y a des tutelles, c'est tout d'abord le financement personnel de chaque artiste, au niveau de son énergie et de son envie de création. Nous avons bien sûr ensuite la tutelle des municipalités et de l'état, avec l'aide aussi des associations. On travaille parfois avec des privés, des entreprises ... Ce que j'aime, c'est quand on mélange tout ça, quand la culture est financée par le ministère de l'intérieur par exemple. La diffusion du théâtre de rue paraît plus aisée en Europe, peut-on dire que le théâtre de rue est un langage universel ? Jean-Raymond Jacob C'est une prétention de parler de langage universel. Pourtant c'est ce que je cherche à faire, je tends en quelque sorte à gommer ma propre langue. Je suis un homme d'image, et c'est plus facile pour faire le tour de l'Europe. Il faut toucher quelque chose de commun pour permettre à chacun d'envisager sa propre lecture. Bernard Colin Je ne suis pas d'accord, je ne crois pas qu'il y ait un langage universel. Personnellement, je cherche à dépasser mes propres frontières vis a vis de ma propre langue. Perdre contact avec mes propres référents. Le désir d'étrangeté m'anime, et chaque spectateur prend quelque chose qui correspond à un besoin dans le moment. La langue est l'adversaire absolu de la parole. Y a t-il une esthétique particulière au théâtre de rue ? Bernard Colin C'est difficile, peut-être le fait de travailler sur une certaine irréalité, pourtant on trouve toujours des exceptions. En fait, je ne crois pas qu'il y ait Une esthétique pour chaque art. Quelle est alors l'exigence artistique ? Jacques Blanc, Directeur du Quartz On peut parler d'une masse que peut prendre l'art dans la cité. C'est le relais d'une utopie, où la cité échapperait aux marchands, sans soumission à l'économie. Créer une cité des arts, c'est le rêve que portent les arts de la rue. On opère un recentrement autour du citoyen, il occupe tout d'un coup la place centrale il répond à cette quête imaginée par Foucauld qui est de "faire de sa vie une œuvre d'art". On vient avec cette utopie et nos actions, s'opposer à la pression télévisuelle et à Loft story. Car le langage universel actuel, c'est celui qui se mondialise à travers les écrans. Quelle a été l'évolution des mentalités politiques dans le domaine du Théâtre de rue ? Bernard De Cadenet, Vice Président du Conseil Régional de Bretagne Brest, pour son urbanisme est un lieu de création unique, les arts de la rue dans une cité sont un facteur résolument moderne. Il a fallu plus de dix ans pour convaincre que les arts de la rue ne sont pas seulement une animation. C'est une évidence, pour moi, que l'art n'est pas seulement pour la scène. Nous avons affaire à des pesanteurs très très lourdes, au niveau des mentalités, car accepter le théâtre de rue comme une forme d'art à part entière se passe dans la tête. René Marion Pour faire évoluer ces mentalités il faut donner une véritable lecture des spectacles, et pas seulement regarder le off du festival d'Aurillac. Si les élus sont difficiles à convaincre, n'ayons pas peur de poser les questions, gardons cette utopie en tête. Comment s'intègre le Fourneau dans la ville de Brest ? Gaétan Le Guern, Adjoint à la Culture de la Ville de Brest Récemment élu, je pense à la fraîcheur d'un regard, celle d'une écoute, d'une déclaration de bonnes intentions ... Pierre Berthelot Les arts de la rue ont 25 ans, nous avons fait sortir des gens de leur cursus (Claude Morizur et Michèle Bosseur travaillaient dans l'éducation nationale), on leur a appris à avoir des dettes, à ne pas dormir, et à aller dans l'espace public. Ce qui me parait bizarre, c'est qu'il n'y a que la passion qui fait exister le Fourneau. D'ici sortent des choses, de bonne, de moyenne, ou de mauvaise qualité. Je pose le problème de diffusion de ces spectacles aux élus brestois. Ce qui fait l'art, c'est son répertoire. Pourquoi Brest n'a pas le droit d'y assister ? Pourquoi les dockers, les bénévoles doivent aller a Paris pour voir les choses qu'ils ont produites ? Pourquoi Brest n'a pas le droit de sortir ses productions. Le Fourneau me fait penser à des petites mains qui fabriquent des éléments de la grosse couronne, et nous, artistes, nous avons le droit et le devoir de partager ça avec les Brestois pour créer un véritable champ d'expérience. René Marion Sur l’échelon français et européen, il y a un maillage. A mon avis, le travail du Fourneau est plus conséquent que celui d'Hors Les murs. Créer un réseau structurant, c'est important et aujourd'hui, tous les artistes et organisateurs européens cherchent sur le site du fourneau.com. Le Fourneau est un maillon essentiel et indispensable du théâtre de rue. Alain Guiho, conseiller municipal délégué de la ville de Morlaix : pourquoi cette situation ? Pourquoi vous, compagnies, lieux de création, vous véhiculez l'image d'une forme d'expression alternative et dérangeante ? Avez vous des explications sur cette frilosité des politiques ? Jean-Raymond Jacob Pourquoi doit-on se justifier ? Qui se justifie, de qui parle-t on ? Nous sommes soutenus, par la ville, le département, la région. Dans les arts de la rue, il y a aussi ce besoin de travailler pour arriver à un niveau d'interprétation, et il nécessite du temps, il y a des compagnies qui ont plus de maturité, plus d'argent, et si certains spectacles ne sont pas terribles, c'est peut-être la faute du manque de temps et d'argent ... Aujourd'hui il y a des moyens, mais il reste encore quelques bastions à faire tomber. Actrice, dans le public Le ciel (la rue, ndr), c'est une école faramineuse de l'écoute, avec lui on est apte à moduler tout ce que l'on apprend, il faut éradiquer le sentiment que la salle est supérieure à la rue. René Marion Il n'y a en effet pas de mauvais et de bons. Voilà pourquoi il faut inventer une nouvelle politique. Trente millions de francs, ce n'est pas assez. Au niveau du contrat avec l'état on est très en retard. Le réseau des lieux de fabrique, s'échelonne autour de dix millions de francs, ce n'est lisible. L'acteur de la rue ne vit pas d'amour et d'eau fraîche. Le réseau doit se structurer, certes des petites formes de théâtre de rue fonctionnent très bien avec les subventions des offices de tourisme par exemple, mais il ne faut pas seulement des petites formes. Bernard Colin Il y a 14 ans on a joué ici, à Brest, alors voilà, le théâtre de rue ça existe. C'est pas si difficile, il suffit de mettre un million de côté ... Laurence Landry, actrice de rue, dans le public. L'image du comédien qui se débrouille de bout de ficelles n'est pas vraie. On ne monte pas un spectacle comme ça. On travaille. Et on a besoin de moyens. Il n'y a pas deux théâtres ! Est il difficile de lire et de comprendre le théâtre de rue ? Gaétan Le Guern Dans la curiosité du dialogue j'avais souhaité vous rencontrer. Personnellement, je préfère l'agora, j'y suis à l'aise. J'entends votre demande. Je crois en effet que les arts de la rue sont victimes d'une division, bourgeoise, entre l'espace sacré et profane, mais souhaitez vous désacraliser ou profaner ? Nous devons bien avoir quelque chose en commun Jacques Blanc Je ne sens pas de différences lorsque l'on parle ensemble. Nous avons travaillé en commun sur des expériences artistiques assez radicales, sur des scénographies différentes (Mathilde Monnier, Boris Charmatz...). Lorsque l'on retrouve la même exigence, le débat est un faux débat idéologique, surtout quand il n'y a pas de démagogie. Il faut que les formes s'entrechoquent, pour générer des choses différentes, la richesse d'une ville c'est de les générer et de les faire s'entrechoquer. L'art de la politique est devenue business. Gérer une cité, ce n'est pas gérer une entreprise. Du point de vue éthique et artistique, créer des choses communes, ce n'est pas évident d'entrée de jeu. Entre le théâtre et le théâtre de rue il y a un écart énorme sur les chiffres, mais dans les consciences, le théâtre de rue gagne. Actrice dans le public On a crée des racismes sociaux, sans s'en rendre compte. Le public qui ne va pas au spectacle, n'a pas le droit à l'écoute d'une certaine parole. Il y a un élitisme dans la possibilité de l'écoute, et de la lecture. Mais la rue est lieu d'écoute fabuleux et magnifique. René Marion Le droit à la cité, c'est le droit à l'intelligence. Jean-Manuel Warnet, Université de Bretagne Occidentale J'ai deux questions aux élus présents ce soir : Le Fourneau a en quelque sorte créé l'âme des Jeudis du Port, je me rappelle de quelque chose de familial. Il me semble maintenant qu'il n'y a plus de familles, et qu'il est difficile d'y aller quand on a plus de 30 ans et moins de 2 grammes d'alcool dans le sang. Est il possible de faire quelque chose ? Deuxième question, où va le fourneau, démoli je crois pour une perspective vers la mer. C'est une question plus profonde que je pose, je suis un amoureux de la ville et j'ai peur de la perspective ... Avec les Arts de la rue, il y a une re-poétisation de la ville et ça m'inquiète de savoir cet hangar démoli ... Gaétan Le Guern Tu me demandes beaucoup de choses ... Je vais citer le maire en vous disant qu'une "date a été posée pour mettre des choses en place, et surtout si elles sont innovantes". Pour les Jeudis du Port, je ne suis pas sûr que ce soit ce label familial qui aurait pu les caractériser. L'organisation et la corrélation des espaces Jacques Blanc On a trouvé récemment un texte écrit par un juif, enfermé dans un ghetto. Ce texte, on ne peut le lire que d'une façon discrète, fragile, cet exemple montre qu'il faut des lieux où l'on raconte des petites choses, et d'autres lieux pour en raconter des grandes. Tous ces espaces sont importants. Écouter, regarder, ce sont des actes de participation essentiels. Le rapport de l'un à l'autre, de l'être à l'être doit se passer dans des espaces, préservés du bruit de la marchandise, pour que l'être humain puisse se retrouver en lui même, pour méditer ... Pour le spectacle du cirque Romanès, cette petite choses fragile, sans exploits, en contradiction avec l'encore plus fort et l'encore plus beau, l'univers dégageait une sensibilité exceptionnelle. Michèle Kerhoas, actrice (s'adressant du public plus particulièrement à Michèle Bosseur) Pendant la création, l'artiste est dans un état de solitude, de non perception au monde, puis les personnes viennent voir sa mise au monde, tout d'un coup une espèce de soumission à la chose s'opère. Avec des conseils, on discute avec un public qui ne critique pas mais qui accompagne dans un désir de faire. Ces paroles m'ont aidée considérablement, elles ne sont pas jugeantes, et tout d'un coup l'artiste commence à penser, à se dilater, je trouve ça extraordinaire, on se sent aimée, on est dans un espace d'amour discursif . Alain Guiho : pouvez vous m'expliquer l'évolution de votre écriture dans la rue ? Jean-Raymond Jacob Je cherche les ingrédients qui tendent à l'universalité. J'écris d'abord une poésie, ce que je ressens, puis s'opère la fabrication, dans le spectacle vivant. En fait, le théâtre se calcule dans le temps, comme le vin, il lui faut une certaine maturité, puis avec le temps, on accède à une écriture. Tout d'un coup c'est une chose qui peut être reprise par d'autres. Transhumance est une machine monumentale qu’il faut arrêter, on retrouve avec les Trottoirs (Les Trottoirs de Joburg, mirage, dernière création de la compagnie Oposito, ndr) et les voyages en Afrique qui nous ont nourris, une traduction des émotions que l'on a eues. C'est une réminiscence, après l'expérience Africaine, on y retrouve les aventures artistiques croisées avec d'autres compagnies, on se nourrit des autres, on additionne les expériences et les rencontres. Pierre Berthelot Moi je suis plutôt du genre colère, contre le Tour de France (La petite Reine), contre le délit de sale gueule (Délit de sale gueule), sur le lien social et les rues qu'il fallait rendre propre (Le fil harmonique), sur le chômage et le luxe (Taxi), puis il y a les concepts ou les contextes avec les commandes, en ce moment c'est pour le Tramway, le Wagon de la colère. Pour écrire, mes textes passent par les paroles, et la musique. Ce qui m'intéresse c'est que le public ne rencontre jamais les mêmes spectacles, j'aime les finals inachevés, je laisse les gens dans la merde, il n'y a pas de Loft Story et du Happy End. L'artiste est là pour pointer, et quand on décide de vivre dans une ville, on passe des caps avec des politiques différents, on passe à droite, puis à gauche, ce qui m'intéresse c'est de prendre rendez-vous à chaque fois pour dire aux élus : est-ce que vous voulez de nous ? Puis je travaille avec des gens compétents, on essaye d'avoir une aventure, sans tricher, sans piocher sur d'autres énergies, la pensée est en mouvement, et s'il y a un manque , on fait appel a des gens. Michèle Bosseur, co directrice du Fourneau, en conclusion Claude Morizur est à la Villette, pour la Première des Métalovoice, car nous avions deux choses importantes à faire ce soir au même moment. Je vous remercie, euh non, je nous dis bravo. Pour les mots, et ce qui a été dit ce soir. Pour nous en tout cas ce débat est important, et si l'UBO aborde les Arts de la Rue dans son DESS, cela montre bien le chemin que l'on a fait en 20 ans. Si on parle d'exigence artistique ce soir c'est que le Théâtre de rue acquiert ses lettres de noblesse, il faut que ça continue, comme à Morlaix, qui réunit dans sa politique culturelle de à la fois, le théâtre, le théâtre de rue, et beaucoup d'autres énergies, et qui est en parfaite concordance avec la situation actuelle. Bravo à tous.