
Congrès Marx International V – Section Socialisme – Paris-Sorbonne et Nanterre – 3/6 octobre
2007
doit pas être jugée antinomique avec celle d'un revenu pour tous, c'est-à-dire du droit à la vie dans
une société moderne
.
Polanyi propose aussi que des fédérations de consommateurs soient organisées de la même façon
que les associations de producteurs. Les prix résultent alors d'une procédure de marchandage
décentralisée, ceux-ci n'étant pas des prix purement concurrentiels. Les fédérations de
consommateurs doivent par ailleurs s'associer pour s'intégrer dans l'instance politique centrale, la
Commune (Die Kommune). A propos de celle-ci, Polanyi précise toutefois:
"Le rayon d'actions de la Commune est plus étroit que celui de l'Etat moderne (nous
soulignons), bien qu'il puisse paraître plus varié en raison de sa différence"
.
Certes, la Commune intégre finalement, outre les consommateurs fédérés, les conseils des
délégués des citoyens de la nation. Elle pourrait donc comme instance politique détenir le "pouvoir
suprême" -selon le mot même de Polanyi. Cependant, les décisions ne peuvent être le fruit d'un
accord excluant le congrès des producteurs ; les inévitables litiges, nécessairement transitoires
comme le suppose l'approche fonctionnaliste, sont remis à une juridiction supérieure. Ainsi l'Etat,
s'il faut encore parler d'«Etat» dans le système polanyien, apparaît plutôt être une confédération à
même de recréer l'unité de l'homme, qui est toute à la fois producteur, consommateurs et citoyens
.
Maintenant que les formes politiques et économiques du modèle ont été esquissées, il importe de
comprendre comment concrètement peut se former un système de comptabilisation des coûts qui est
condition d'efficacité et de transparence. Toutefois, un tel exposé présuppose la connaissance de
l'articulation entre la question des prix, celle de la monnaie et du socialisme.
C. L'impératif du socialisme devant la nécessité de la monnaie et des prix
Sans évaluation conflictuelle, il ne peut exister de connaissances permettant aux unités
élémentaires et décentralisées d'agir par l'intermédiaire du système des prix. Toutefois, en dépit de
l'impression que peut donner le texte de 1922, Polanyi accordait une grande attention à la monnaie
comme moyen de paiement
. Plus explicitement, Polanyi affirme que refus de l'économie naturelle
n'équivaut pas à un plaidoyer en faveur de la pure économie d'échange" (ou de troc,
Tauschwirtschaft) ; une "économie à pouvoir d'achat" étant possible (Kaufkraftwirtschaft)
.
Autrement dit, le choix des consommateurs peut être sauvegardé, même si la fonction monétaire de
"réserve de valeur", si essentielle à la vision classique de la monnaie, n'est que peu assurée.
D'ailleurs, Keynes lui-même, bien que partisan de l'économie de marché n'a-t-il pas voulu
réactualiser la monnaie fondante ?
Plus tard, Polanyi sera très explicite. Il affirmera que si l'institution de la monnaie est
consubstantielle à la société, il ne s'ensuit pas que les pratiques monétaires, dans leurs formes et
leurs significations sociales, soient immuables. Par exemple, dans les sociétés primitives, les
fonctions monétaires sont réparties strictement selon des objets monétaires précis et, de plus, les
dettes peuvent ne pas être payées uniformément avec un type de monnaie, appelée pour cette
raison"monnaie monofonctionnelle"
. Au contraire, bien différente est la nature de la monnaie
moderne qui peut assurer, simultanément les fonction de compte, paiement et réserve de pouvoir
d'achat. De plus, cette monnaie moderne remplissant des obligation sociales extrèmement variées :
on peut alors parler de"monnaie plurifonctionnelle"
.
L'institution de la monnaie plurifonctionnelle, si moderne soit-elle, est en fait contingente car
elle est liée à cette autre réalité contingente, réversible et dépassable de l'économie de marché. Le
projet d'une monnaie pratiquement dénuée de capacité de réserve, même s'il est éloigné de l'idéal de
la monnaie-marchandise, ne constitue donc pas un projet d'altération de l'ordre monétaire. Tout au
contaire, il peut contribuer à lui donner un autre sens.
Si la continuité de la pensée de Polanyi sur cette question de la monnaie nous semble assurée,
pareille interprétation nous semble possible quant au marché. Plus tard, Polanyi remarquera que la
Grande Dépression des années 1930 a impliqué une «resocialisation» de l'économie, dans des
formes aussi variées que la social-démocratie ou le New Deal
. En particulier, les abandons