principautés et villes) créèrent des cours de justice qui accordaient aux capitaines lésés (dont le bon droit
était reconnu) une lettre de marque les autorisant à exercer des représailles. Par extension, les lettres de
marque couvraient en temps de guerre les prises effectuées par les ressortissants d'un État contre la flotte
marchande d'une ou de plusieurs nations adverses.
Le corsaire était donc un marchand conduisant une guerre sur mer que son suzerain était le plus
souvent incapable d'entreprendre. Le navire corsaire était construit, équipé et approvisionné par des
marchands qui créèrent parfois des sociétés par actions pour réunir le capital nécessaire. Les hommes
d'équipage étaient pour la plupart des civils, souvent des terriens, de même que les officiers. On comptait
également de nombreux déserteurs et invalides de la marine. L'armateur corsaire vendait les prises une fois
en possession d'un titre judiciaire l'y autorisant, émanant du tribunal d'une juridiction équivalente. Le produit
de la vente, déduction faite des frais de l'armement et des taxes seigneuriales ou nationales, était partagé
entre les actionnaires, les officiers et l'équipage selon un barème fixé avant le départ de la campagne.
A petite échelle, on utilisait des bâtiments de six à cinquante tonneaux. Il s'agissait de barques ou de
chaloupes non pontées, dérivées de navires de pêche ou de cabotage. L'armement était dérisoire, quelques
pierriers, pistolets, mousquets ou tromblons et surtout des armes blanches. Ces petits corsaires comptaient
essentiellement sur l'effet de surprise - attaque de nuit ou par temps de brume - de navires aux cargaisons
souvent modestes. Quelquefois, la chance : un grand caboteur ou un navire colonial isolé, plus ou moins
désemparé par la tempête. Sa capture fera rêver dans les tavernes pendant des générations, mais le combat
demeurait le plus souvent exceptionnel. Le financement était peu élevé, armateur, capitaine et équipage se
connaissaient bien. Une course presque familiale en quelque sorte...
A plus grande échelle, l'économie corsaire nécessitait un bâtiment plus puissant, au minimum une
centaine de tonneaux, baptisé frégate au XVIIe siècle, brigantin, goélette ou corvette au XVIIIe siècle. Ce
navire, souvent neuf, était construit spécialement pour la course, ou même était utilisé un bâtiment marchand
pour ses qualités de vitesse. L'investissement important nécessitait des capitaux souvent étrangers à la région
auxquels s'ajoutaient les avances de parts de prises à un équipage de cent à deux cents hommes. Il fallait
chercher des prises rentables, donc attaquer les convois, aller loin dans l'Atlantique, la mer du Nord ou près
des grands ports ennemis. Un tel navire restait éloigné de sa base un mois, quelquefois plus. L'équipage,
souvent international, entassé dans un espace exigu, était indiscipliné. Les mutineries étaient fréquentes,
comme paradoxalement les refus de se battre. Le capitaine accordait souvent, au mépris des ordonnances, le
pillage pendant une ou deux heures suivant une victoire, pour calmer l'équipage. Les campagnes n'étaient
néanmoins pas toujours fructueuses. Contrairement à une idée reçue, les corsaires revenaient souvent
bredouilles.
Quelle que fût sa taille, le principe corsaire était cependant que le navire soit armé par des civils. Là
réside la raison d'être de la course et en grande partie de la flibuste. Elle permit à des princes, des villes-
États, voire des nations pauvres ou sans tradition maritime, de se constituer une flotte menant une action de
guerre contre l'ennemi sans avoir à en apporter le capital. Se doter d'une marine de guerre coûte et coûtait
déjà fort cher, plus encore à partir des XVIe et XVIIe siècles. Encore fallait-il trouver équipages et armateurs
prêts à risquer une telle aventure. Il était donc logique de trouver les corsaires là où le trafic maritime se
révélait le plus intense et où les guerres éclataient le plus fréquemment. La guerre de Cent Ans érigea la
course en un véritable système, les finances publiques des belligérants étant réduites à néant. Localement au
contraire, en Méditerranée, en Flandres, en Bretagne comme sur les côtes anglaises, l'armement privé restait
puissant. Les marines royales incarnaient la faiblesse, les corsaires la puissance.
Du traité de Tordesillas à la conquête de l'île de la Tortue
La lettre de marque ne suffisait pas à confirmer la personnalité du corsaire, des États, notamment
l'Espagne et le Portugal se refusant même, aux XVIe et XVIIe siècles, à leur reconnaître une existence légale,
les considérant comme des pirates, c'est-à-dire des criminels et gibiers de potence. A l'origine de cette
attitude intransigeante, il y avait le fameux traité de Tordesillas. Le 4 mai 1493, quelques semaines après le
retour de Christophe Colomb, le pape Alexandre VI partagea le monde en deux par le méridien situé à cent