+ DROIT DE LA SANTE: DEFINITION ET APPROCHE CONTENTIEUSE 5 avril 2017 CONAKRY Me Delphine JAAFAR Avocat Associé Ancien Secrétaire de la Conférence du Barreau de PARIS Ancien Auditeur du CHEDE + Droit de la santé: un secteur innovant, un secteur grandissant … + DROIT DE LA SANTE Le droit à la santé a été évoqué pour la première fois dans la Constitution de l’OMS en 1946 et réaffirmé dans la Déclaration d’Alma Ata de 1978, puis dans la Déclaration mondiale sur la Santé adoptée par l’Assemblée mondiale de la Santé en 1998 Il est par ailleurs consacré dans un grand nombre d’instruments internationaux et régionaux des droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels En effet, l’article 12 du Pacte donne une définition complète du droit à la santé. Conformément au paragraphe 1, les Etats parties reconnaissent « le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu’elle soit capable d’atteindre » et le paragraphe 2 du même article contient une énumération, à titre d’illustration, d’un certain nombre de « mesures que les Etats parties prendront en vue d’assurer le plein exercice de ce droit » + DROIT DE LA SANTE: CHAMP D’APPLICATION 1. DROITS FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE MALADE Droit des personnes malades et des usagers du système de santé Dépendance, vulnérabilité et éthique médicale Besoin légistique Besoin Conseil juridique: rédaction de chartes de protection des droits des malade / information des usagers sur leurs droits / aide à la constitution d’associations de défense des usagers du système de santé / aide à la représentation des usagers du système de santé dans les instances de décision … Besoin Contentieux: défense du droit des malades et usagers des systèmes de santé + DROIT DE LA SANTE: CHAMP D’APPLICATION 2. LES REGLES DE L’EXERCICE PROFESSIONNEL Les professionnels de santé (accès, exercice et déontologie) Droit de la responsabilité médicale Statuts des personnels médicaux et non médicaux exerçant dans les établissements et entreprises de santé (définition de contrats ad hoc) Organisation et droit des sociétés d’exercice des professions de santé Besoin légistique Besoin Conseil juridique: rédaction d’actes pour les sociétés d’exercice des professions de santé, construction des contrats spécifiques pour l’emploi de médecins et de paramédicaux … Besoin Contentieux: construction du droit de la responsabilité médicale + DROIT DE LA SANTE: CHAMP D’APPLICATION 3. Organisation du système de santé: prise en charge et couverture Politiques de santé Tarification des activités de santé Droit de la sécurité sociale Droit des assurances Besoin légistique Besoin Conseil juridique: accompagnement juridique des autorités en charge des politique de santé / construction de modèles nationaux + DROIT DE LA SANTE: CHAMP D’APPLICATION 4. Droit de l’organisation sanitaire et des établissements et entreprises de santé Droit de l’organisation sanitaire: réglementation des activités de santé Projets des établissements et gouvernance interne des structures Restructuration et Groupements: organisation territoriale Gestion des équipements de santé Données de santé et système d’information Corporate et fiscalité Immobilier de la santé Besoin légistique Besoin Conseil juridique Besoin Contentieux + DROIT DE LA SANTE: CHAMPS D’APPLICATION 5. Propriété industrielle et industries de santé Droit des brevets, Droit des marques, Droit de la responsabilité-des biotechnologies, Droit des contrats et transferts de technologies, Droit de la recherche, Droit pharmaceutique et brevets médicaments … Besoin légistique Besoin Conseil juridique Besoin Contentieux + DROIT DE LA SANTE: CHAMP D’APPICATION 6. Droit de la santé électronique Secteur le plus émergent et le plus innovant Besoin légistique Besoin Conseil juridique + Existe-t-il un droit africain de la santé ? + EXISTE-IL UN DROIT AFRICAIN DE LA SANTE On peut envisager l’existence d’un droit africain de la santé qui consiste dans l’ensemble des règles juridiques établies par les organisations internationales et les autorités étatiques nationales applicables en Afrique aux actions de santé en vue de la protection des droits de l’homme et du développement. Les organisations internationales concernées sont les organisations régionales africaines mais aussi les organisations universelles agissant en Afrique (tout spécialement l’OMS) Il convient encore d’insister sur le fait que le droit à la santé est un droit fondamental de l’homme Le droit africain de la santé est un droit en formation mais est déjà constitué d’un corpus juridique relativement fourni. + EXISTE-IL UN DROIT AFRICAIN DE LA SANTE Le droit africain de la santé présente deux caractères principaux apparaissant comme étant à la fois marqué par les conceptions occidentales de la protection sanitaire et lié aux contraintes imposés par l’aide sanitaire internationale + UN DROIT MARQUE PAR LES CONCEPTIONS OCCIDENTALES DE LA PROTECTION SANITAIRE Le droit africain de la santé est marqué par un phénomène de mimétisme juridique global, qui s’exprime tout particulièrement sur 3 plans: celui des mécanismes juridiques, celui des structures administratives et celui des activités normatives + UN DROIT MARQUE PAR LES CONCEPTIONS OCCIDENTALES DE LA PROTECTION SANITAIRE En premier lieu, la tendance au mimétisme institutionnel en matière sanitaire s’établit au travers de l’organisation de ministères nationaux de Santé publique (comme pour le BUKINA FASO avec le décret n°86/144/CNR/PRES/SAN du 30 avril 1986 portant organisation du ministère de la Santé) Elle se retrouve avec le découpage du territoire étatique en région sanitaire (comme pour le MALI avec le décret n° 90-264/PRM du 5 juin 1990 portant création de services régionaux et subrégionaux de la santé et des affaires sociales) + UN DROIT MARQUE PAR LES CONCEPTIONS OCCIDENTALES DE LA PROTECTION SANITAIRE La question de l’intervention de l’Etat en Afrique en matière de santé reste posée, se traduisant à la fois par la volonté d’un contrôle direct (par exemple avec la constitution d’une pharmacie d’Etat, comme en République Centrafricaine avec le décret n° 88-139 du 21 avril 1988 portant statuts de la pharmacie d’Etat) et la nécessité d’une certaine autonomie des collectivités locales et communautés de base pour assurer le financement d’actions de santé + UN DROIT MARQUE PAR LES CONCEPTIONS OCCIDENTALES DE LA PROTECTION SANITAIRE En second lieu, en ce qui concerne les structures sanitaires, on peut rappeler que le choix initial d’un système hospitalier fondé sur le centre hospitalo-universitaire (CHU) Un mimétisme structurel équivalent se retrouve avec la mise en place d’écoles nationales de la santé publique (ENSP) (comme en Mauritanie avec le décret n° 89-045du 22 février 1989 fixant l’organisation et les règles de fonctionnement de l’Ecole nationale de la santé publique) + UN DROIT MARQUE PAR LES CONCEPTIONS OCCIDENTALES DE LA PROTECTION SANITAIRE En troisième lieu, pour ce qui est des activités normatives sanitaires, un mimétisme fonctionnel se remarque en particulier en matière de lutte contre le SIDA, comme au SENEGAL avec l’arrêté n°001291/MSP/CAB/CTI du 2 février 1990 portant création d’un Comité national pluridisciplinaire de prévention du SIDA + UN DROIT MARQUE PAR LES CONCEPTIONS OCCIDENTALES DE LA PROTECTION SANITAIRE On peut ajouter et ce serait même un quatrième plan, certes moins juridique, qu’une sorte de mimétisme éthique et/ou déontologique se traduit par l’établissement de codes nationaux comportant des règles applicables aux professions de santé (par exemple en COTE D’IVOIRE avec la loi n° 88-683 du 22 juillet 1988 instituant un Code de déontologie des vétérinaires) + UN DROIT LIE AUX CONTRAINTES IMPOSEES PAR L’AIDE SANITAIRE INTERNATIONALE La coopération internationale pour le développement sanitaire des pays d’Afrique a assuré dans une certaine mesure, la pérennité du mimétisme Elle participe au mouvement de codification du droit africain de la santé Elle exerce une influence de type juridique, qui va dans le sens de l’unification de la législation sanitaire internationale + UN DROIT LIE AUX CONTRAINTES IMPOSEES PAR L’AIDE SANITAIRE INTERNATIONALE Cette influence s’exprime de 3 façons. D’abord par l’utilisation d’un langage juridique commun. Ensuite, par l’établissement d’un modèle commun de développement sanitaire faisant appel aux mêmes concepts (système de santé, planification sanitaire, évaluation sanitaire, etc. …). Enfin par une construction normative pluridirectionnelle (hygiène, lutte contre les maladies, protection catégorielle des personnes, etc. …) + UN DROIT LIE AUX CONTRAINTES IMPOSEES PAR L’AIDE SANITAIRE INTERNATIONALE L’assistance juridique internationale en matière sanitaire influence la codification du droit africain de la santé. Elle contribue au renforcement normatif, ce qui se vérifie au travers des nombreux codes de la santé qui ont été élaborés en Afrique depuis le début des années 90 … On peut considérer que l’aide bilatérale (en particulier celle de la France) et l’assistance technique et financière apportées par les organisations du systèmes des Nations Unies (OMS notamment) participent au mouvement d’unification du droit africain de la santé, dans le sens de la défense des droits de l’homme et du développement + LA PRISE EN COMPTE DES DONNEES CULTURELLE EN MATIERE SANITAIRE La prise en compte des données culturelles par le droit africain de la santé se fonde sur la conception positive de la santé Cette conception s’exprime grâce à tout un arsenal juridique axé sur les soins de santé primaire (SSP), dans le cadre général de la stratégie OMS de la santé Un certain nombre d’Etats africains avaient déjà engagé des politiques de SSP bien avant la Déclaration d’ALMA-ATA de lOMSUNICEF comme le NIGER (dès 1963) ou la TANZANIE (dès 1972). Les textes juridiques nationaux ont abouti à généraliser cette politique en Afrique. Une telle construction peut apparaître plus adaptée aux réalités africains et se traduit notamment par l’établissement de structures de proximité (postes de santé primaires, cases de santé, centres de santé …) et oriente l’action administrative vers la mise en place de districts sanitaires. + LA PRISE EN COMPTE DES DONNEES CULTURELLE EN MATIERE SANITAIRE Un autre aspect, plus complexe, de la prise en compte des données culturelles africains en matière sanitaire peut être souligné, qui correspond à une limitation des pratiques culturelles jugées néfastes pour la santé L’action juridique engagée peut être globale, comme par exemple au NIGER avec l’arrêté portant création d’un Comité nigérien de lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes; elle peut être également particulière avec notamment la lutte contre les mutilations sexuelles féminines comme par exemple au BURKINA FASO avec l’arrêté portant création d’un Comité national de lutte contre la pratique de l’excision au BURKINA FASO + LE DROIT AFRICAIN DE LA SANTE Le droit africain de la santé est composé de strates multiples qui sont parfois contradictoires. Mais il ne se produit pas de rupture entre les divers éléments Son renforcement est lié à la recherche de sa spécificité Il revient ainsi au juriste, en Afrique comme ailleurs, de réussir la synthèse entre tradition et modernité … + Le droit de la santé / à la santé dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et sa prise en compte par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ? + CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME Article 16 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples: « 1. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre. 2. Les États parties à la présente Charte s'engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l'assistance médicale en cas de maladie. » + CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME Les premières décisions n’apportent pas de précisions explicites sur le contenu du droit à la santé ComADHP, Free Legal Assistance Group, Lawyers Committee for Human Rights, Union Interafricaine des droits de l’homme, Les témoins de Jehovah c. Zaïre, communications n°25/89, 47/90, 56/91, 100/93, octobre 1995 ComADHP, Media Rights Agenda and Constitutional Rights Project c. Nigeria, Communications n° 105/93, 128/94, 130/94 et 152/96, 31 octobre 1998 ComADHP, International Pen, Constitutional Rights, Interights au nom de Ken Saro Wiwa Jr. et Civil Liberties Organisation c. Nigeria, Communications n° 137/94, 139/94, 154/96 et 161/97, 31 octobre 1998 ComADHP, Malawi African Association, Amnesty International, Ms Sarr Diop, Union interafricaine des droits de l'Homme and RADDHO, Collectif des veuves et ayants-Droit, Association mauritanienne des droits de l'Homme / Mauritania, communications n° 54/91-61/91-96/93-98/93-164/97_196/97-210/98, 11 mai 2000 ComADHP, Social and Economic Rights Action Center, Center for Economic and Social Rights c. Nigeria, communications n° 155/96, Octobre 2001 + CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME A partir des années 2000, le contenu du droit à la santé est explicitement défini par la Commission Deux éléments principaux se dégagent des décisions de la Commission: Le droit à la santé s’entend d’un point de vue positif : il implique un certain nombre de prétentions pour l’individu Le droit à la santé s’entend d’un point de vue négatif: il implique une non-ingérence dans la sphère de la liberté individuelle + LE CONTENU DU DROIT A LA SANTE D’UN POINT DE VUE POSITIF ComADHP, Purohit et Moore c. Gambie, communication n°241/01: « La jouissance du droit à la santé telle que largement connue est essentielle dans tous les aspects de la vie et du bien-être d'une personne, mais aussi dans la réalisation de tous les autres droits humains et libertés fondamentales. Ce droit comprend le droit à des structures de santé, l'accès aux biens et services qui doit être garanti à tous, sans discrimination d'aucune sorte ». + LE CONTENU DU DROIT A LA SANTE D’UN POINT DE VUE POSITIF ComADHP, Sudan Human Rights Organisation & Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) c. Soudan, communication n° 279/03-296/05, 29 mai 2009: Para 208 : « Le droit à la santé […] inclut à la fois les soins de santé et les conditions saines » Para 209: « le droit à la santé couvre non seulement des soins de santé en temps opportun et approprié, mais également les éléments sous-jacents de la santé tels que l'accès à une eau saine et portable, un apport suffisant de nourriture saine, la nutrition et le logement » + LE CONTENU DU DROIT A LA SANTE D’UN POINT DE VUE NEGATIF ComADHP, Monim Elgak, Osman Hummeida and Amir Suliman (represented by FIDH and OMCT) c. Soudan, n°379/09, 14 mars 2014, para. 134: « L’individu a le droit d’être libre de toute ingérence, y compris de tout traitement médical, essai médical, de stérilisation forcée et de tout traitement inhumain et dégradant » + LES OBLIGATIONS DES ETATS La ComADHP lit dans l’article 16 de la Charte « l'obligation, de la part des Etats Parties à la Charte africaine, de prendre des mesures concrètes et sélectives tout en tirant pleinement profit des ressources disponibles, en vue de garantir que le droit à la santé est pleinement réalisé sous tous ses aspects, sans discrimination d'une quelconque nature. » + LES OBLIGATIONS DES ETATS ComADHP, Free Legal Assistance Group, Lawyers Committee for Human Rights, Union Interafricaine des droits de l’homme, Les témoins de Jehovah c. Zaïre, communications n°25/89, 47/90, 56/91, 100/93, octobre 1995, para. 62 : « L'incapacité du gouvernement à fournir les services essentiels tel que l'approvisionnement en eau potable et électricité, et le manque de médicaments […] est une violation de l'Article 16 ». + LES OBLIGATIONS DES ETATS ComADHP, Malawi African Association, Amnesty International, Ms Sarr Diop, Union interafricaine des droits de l'Homme and RADDHO, Collectif des veuves et ayants-Droit, Association mauritanienne des droits de l'Homme c. Mauritanie, communications n° 54/91-61/91-96/93-98/93164/97_196/97-210/98, 11 mai 2000, para. 122: « L'état de santé général des prisonniers s’est détérioré à cause d’une alimentation insuffisante ; ils n'avaient ni couvertures ni hygiène adéquate. L'Etat mauritanien est directement responsable de cette situation et son gouvernement n'a pas nié ces faits. Par conséquent, la Commission considère qu'il y a violation de l’article 16 al. et 2 ». + LES OBLIGATIONS DES ETATS Droit à la santé et faits ayant eu lieu dans un contexte de conflit armé: ComADHP, République démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, communication n° 227/99, 33ème Session Ordinaire. 20ème Rapport d’activités, 29 mai 2003, pp. 98-114, para 88 : «le fait d'assiéger et d'endommager le barrage hydroélectrique, arrêtant ainsi les services essentiels dans les hôpitaux, ce qui a causé la mort de patients et le bouleversement général de la vie » entraîne, notamment, une violation de l’article 16, du droit à la santé + LES OBLIGATIONS DES ETATS Droit à la santé et faits ayant eu lieu dans un contexte de conflit armé: ComADHP, République démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, communication n° 227/99, 33ème Session Ordinaire. 20ème Rapport d’activités, 29 mai 2003, pp. 98-114, para 88 : «le fait d'assiéger et d'endommager le barrage hydroélectrique, arrêtant ainsi les services essentiels dans les hôpitaux, ce qui a causé la mort de patients et le bouleversement général de la vie » entraîne, notamment, une violation de l’article 16, du droit à la santé + LES OBLIGATIONS DES ETATS Droit à la santé et faits ayant eu lieu dans un contexte de conflit armé: ComADHP, Sudan Human Rights Organisation & Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) c. Soudan, communication n° 279/03-296/05, 29 mai 2009, para. 212 « la destruction des maisons, du bétail et des champs, ainsi que l'empoisonnement des sources d'eau telles que les puits ont exposé les victimes à de graves risques de santé et constituent une violation de l'article 16 de la Charte ». + Approche contentieuse… + APPROCHE CONTENTIEUSE Confrontation à la difficulté d’accès à la jurisprudence … C’est donc une approche très relative, très perfectible et surtout et bien évidemment très résistible à travers quelques exemples de décisions difficilement identifiées autour de 4 thématiques : La reconnaissance des droits des patients L’appréciation de la faute médicale L’indemnisation du préjudice L’engagement de la responsabilité médicale + LA RECONNAISSANCE DES DROITS DES PATIENTS Bien qu’un certain nombre de législations africaines reconnaissent des droits aux patients à l’instar du Sénégal avec sa loi de 1998 ou encore du MALI par exemple, on peut relever chez les juges une certaine inobservation des droits reconnus aux patients En effet, à l’exception de quelques décisions des juridictions tunisiennes, peu de jurisprudences africaines viennent consacrer des droits à l’égard des patients + LA RECONNAISSANCE DES DROITS DES PATIENTS Un arrêt CA Tunis, chambre civile, n°48788, 29 avril 1988, rappelle les principes suivants : le recours du malade au médecin se fait dans le cadre d’un contrat lequel s’établit dès que le malade se présente pour avoir des soins l’obligation d’informer le malade sur les risques qui peuvent survenir suite à l’examen radiologique et lui donner le choix de faire ou de ne pas faire l’examen l’accord du médecin avec la clinique d’exclure toute responsabilité n’a pas d’effet sur les tiers. Sur ces fondements, la Cour d’appel Tunis, par un arrêt n°95747 de sa 22e chambre civile, 4 juin 2003, a engagé la responsabilité du chirurgien pour défaut d’information. En l’espèce, le chirurgien n’avait pas informé la patiente du risque de paralysie faciale pour une opération sur tumeur du type cholestéatome de l’oreille Et encore, l’information porte sur tous les risques qui peuvent résulter de l’opération chirurgicale, même s’ils ne sont qu’exceptionnels, Cour de cassation tunisienne, n°36624 du 25 juin 2003 + LA RECONNAISSANCE DES DROITS DES PATIENTS Le défaut d’information peut également entraîner une condamnation pénale à l’appréciation des juges : tel a été le cas pour un médecin condamné pour coups et blessures involontaires, pour le défaut d’information à la patiente sur les risques inhérents à la prescription d’un médicament, Tribunal de première instance de Gafsa en 2002 + L’APPRECIATION DE LA FAUTE MEDICALE En droit malgache, l’appréciation de la faute est fondée sur la nonconformité aux données scientifiques. Pour en témoigner, les juges dans un arrêt de 1960 ont condamné un prétendu guérisseur pour manquement de diligence d’informer la patiente sur la prescription préconisée En l’occurrence, le guérisseur avait prétendu soigner une crise épileptique en préconisant à la patiente d’effectuer un plongeon dans une rivière, mais ne sachant pas nager, celle-ci est décédée Les juges ont pu déterminer ce qu’ils entendaient par « faute médicale », c’est-à-dire la proposition d’une thérapie incompatible à l’état du patient + L’APPRECIATION DE LA FAUTE MEDICALE Par un autre arrêt de la même année, les juges malgaches ont déterminé la faute caractérisée, en condamnant des personnes qui avaient préconisé à une femme, sujette à des convulsions, de se brandir des tisons, lui provoquant ainsi des brûlures et une asphyxie, entraînant la mort Deux élements sont retenus par le juge pour établir une faute caractérisée : la persistance de réalisation d’un acte dont on a la conscience manifeste de la dangerosité et l’aspect particulièrement grave des résultats + L’APPRECIATION DE LA FAUTE MEDICALE Lorsque le préjudice est d’une particulière gravité et d’une réalisation exceptionnelle, certains juges africains, notamment celui de la Côte d’Ivoire ont reconnu l’existence d’une présomption de faute caractérisée, engageant la responsabilité de l’auteur de la faute, Tribunal de première instance, 22 décembre 1983, Julien Zunon Gnobo c/ Etat de Côte d’Ivoire + L’INDEMNISATION DU PREJUDICE Au Sénégal, il y aura réparation du préjudice si la faute est imputable au médecin, à noter que la charge de la preuve appartient à la victime (CA Dakar, n°388, 8 août 1980, Clinique Hubert c/ Dame Alice Léger, et Tribunal régional hors classe de Dakar, n°3762, 24 juillet 2001, ministère public et Hoirs Hyssam Farhat c/ Jean Michel Sacahous et autres) Le préjudice doit être certain et personnel, mais la jurisprudence a pu reconnaître une action en réparation pour les victimes par ricochet, dès lors que celles-ci démontraient l’existence d’un préjudice moral de la perte d’un proche (CA Dakar, n°420, 10 mai 1983,Veuve Nemer Sabbah c/ Hôpital principal de Dakar) Enfin, la gravité du préjudice peut être prise en compte pour l’évaluation de l’indemnisation (Tribunal régional hors classe de Dakar, n°2003, 6 décembre 2000, Anne Marie Agbo c/ Clinique Casahous) + L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE MEDICALE Le juge sénégalais a posé la notion de responsabilité contractuelle en matière médicale dans un jugement Tribunal régional hors classe de Dakar, n°2003, 6 décembre 2000, Anne Marie Agbo c/ Clinique Casahous Le patient et le médecin sont liés par un contrat, et cela vaut pour une majorité des Etats africains francophones Le médecin n’est tenu à une obligation de résultats mais une obligation de moyens, définie comme le fait de « donner des soins (…), avec prudence et diligence » par un arrêt CA Dakar, n°388, 8 août 1980, Clinique Hubert c/ Dame Alice Léger + L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE MEDICALE La responsabilité pénale est également envisagée par les juges africains en matière médicale : un agent de santé d’un service a pratiqué une circoncision sur un enfant, ayant entraîné une strangulation de l’extrémité de la verge, une fistule urétrale, ainsi qu’une section du gland au ¾ Les juges l’ont alors condamné pour blessures involontaires et pour exercice illégale de la médecine (CA Dakar n°99, 14 février 1994, ministère public et Diécourou Diallo c/ Couly Diuof) A noter qu’en l’espèce, l’agent de santé a été condamné car il avait avoué ses manquements, et seul ces aveux auraient permis à une condamnation. Le délit de non-assistance à personne en danger, pour le refus d’un médecin de se déplacer en urgence ayant entraîné la mort du patient, a également été plusieurs fois qualifié par les juges sénégalais, comme dans Tribunal correctionnel Kaolack, 15 mars 1994, et CA Dakar, 19 février 1997, n°210. + L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE MEDICALE En Côte d’Ivoire, lorsque le médecin est un praticien hospitalier, le juge doit apprécier si le représentant ou l’agent du service public s’est comporté selon les règles de l’art et conformément à ses missions, et ce en tenant compte de toutes les circonstances. Plusieurs arrêts sont venus poser la distinction entre la faute personnelle et de la faute de service (CSCA, 21 janvier 1972, Satmaci c/ Amoin Kripa, RID¸1974, 1-2, 19, et CAA, 3 février 1975, Anensi Atsé Aké) + L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE MEDICALE Il apparaît que les juges africains ont plutôt tendance à préférer l’engagement de la responsabilité administrative de l’établissement, au profit de la responsabilité personnelle du médecin, en raison notamment de la plus grande solvabilité des établissements En témoigne les jurisprudences sénégalaises suivantes : CA Dakar, n°420, 10 mai 1983,Veuve Nemer Sabbah c/ Hôpital principal de Dakar, et CA Dakar, n°501, 22 juillet 1984, Demoiselle Diop c/ Etat du Sénégal, et CA Dakar, n°553, 14 août 1995, Alassane Fall c/ Hôpital principal de Dakar + L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE MEDICALE Dans l’arrêt CA Dakar, n°420, 10 mai 1983,Veuve Nemer Sabbah c/ Hôpital principal de Dakar, la responsabilité de l’établissement a pu être engagée en raison de l’existence d’un lien de subordination entre établissement et équipe paramédicale ayant commis la faute La responsabilité de l’établissement de santé a pu être engagée pour faute dans l’organisation du service. Egalement, dans CA Dakar, n°501, 27 juillet 1984, Demoiselle Diop c/ Etat du Sénégal, les juges retiennent un fonctionnement défectueux du service public lorsque la maladresse d’un interne fait perdre l’usage de l’œil droit d’un usager, lors d’une intervention chirurgicale pour sinusite + L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE MEDICALE Les juges gabonais (CA Gabon, 15 février 1980, consorts Orji, Rép. N°31) et burkinabé (Cour suprême, chambre administrative du Burkina Faso, 27 avril 1973,Yanogo Silassé) ont également transposé du droit français la responsabilité de la puissance publique. Il en va de même pour le juge ivoirien. Dans un jugement Tribunal de première instance, 22 décembre 1983, Julien Zunon Gnobo c/ Etat de Côte d’Ivoire, les juges se sont contenté d’utiliser la jurisprudence française Rouzet pour condamner l’Etat Côte d’Ivoire En l’espèce, un usager a subi une piqûre intra fessière qui a entraîné paralysie avec violentes douleurs lombaires + L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE MEDICALE Néanmoins, on relève une certaine incompréhension juridictionnelle dans certains cas : il arrive que le juge ivoirien applique du droit privé en matière de responsabilité administrative : Tribunal de première instance d’Abidjan, 23 février 1984, Dje N’guessan et autres c/ hôpital public psychiatrique de Bingerville, où le défaut de surveillance de l’établissement a pu permettre l’évasion d’un patient, trouvant la mort durant sa fuite Mais dans cette affaire, le tribunal déboute les parents du défunt aux motifs que les conditions d’application des articles du Code civil ivoirien ne sont pas réunies, d’autant que les parents n’ont pu fournir la preuve de l’existence d’une faute de l’hôpital dans la réalisation du dommage, relèvent les juges + CONCLUSION Pour conclure, je m’autoriserais à reprendre les propos tenus par le Président de la commission SANTE de l’Assemblée National du MALI rencontré en mars dernier : le problème ce n’est pas l’absence de textes ni dès lors l’absence de consécration de droit dans le domaine de la santé, mais bien celui de l’effectivité de ces textes et de ces droits … C’est incontestablement une manière de mettre en cause pour partie le juge qui ne se fait dès lors le garant de l’effectivité de ces droits mais également la traduction pleine et entière d’une non appréhension d’une telle matière par l’ensemble des acteurs concernés. + CONTACT Delphine JAAFAR 50 rue Copernic 75 016 PARIS Tel: +33 (0)1 44 17 37 76 Port.: + 33 (0)6 60 65 32 61 [email protected] 55