PROBIOTIQUES ET MALADIES INFLAMMATOIRES CHRONIQUES
DE L’INTESTIN (MICI)
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Prof. A. VAN GOSSUM
Clinique des Maladies Intestinales et du Support Nutritionnel
Service de Gastro-entérologie
Hôpital Erasme
Bruxelles
Adresse de correspondance : Prof. A. Van Gossum
Service de Gastro-entérologie
Hôpital Erasme
Route de Lennik, 808 – 1070 Bruxelles, Belgique
Tél. : 32-2-555.37.12
Fax : 32-2-555.46.97
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On estime que la microflore intestinale contient 300 à 500 souches différentes, dont
30 à 40 représentent 90 % de la totalité. Les méthodes bactériologiques conventionnelles
ont pu mettre en évidence que les bactéries anaérobies (Bacteroïdes, Bifido-bactéries,
Eubactéries, Streptocoques, Lactobacilles, etc.) sont largement prédominantes. La flore
bactérienne est constituée d'une part de souches qui ont colonisé le tractus digestif dès la
naissance de l'individu et d'autre part, de souches qui envahissent le tube digestif au
cours de l'ingestion d'aliments ou de boissons. Actuellement, il est courant de distinguer la
microflore intraluminale (ou planchtonique) de la flore adhérente à la muqueuse (Guarner,
2006).
La densité du contenu bactérien dans le tube digestif est fortement variable en
fonction du niveau anatomique. Le nombre de bactéries est estimé à 103 dans
l'estomac, 104 dans le jéjunum, 107 dans l'iléon terminal et atteint 1012 dans le gros
intestin.
En se basant sur des méthodes de biologie moléculaire, des équipes ont récemment
montré que 50 % des bactéries de la flore digestive ne pouvaient être cultivés sur
les milieux de culture habituels (Eckburg, 2005). En étudiant la flore bactérienne de 3
individus sains, ils ont montré que 62% des phylotypes bactériens étaient considérés
comme nouveaux. Cette étude a également montré des différences interindividuelles, des
différences significatives entre le type de bactéries de type luminal ou de type muqueux et
de plus une distribution hétérogène tout au long du colon pour un même individu.
Les fonctions des bactéries digestives sont de 3 types :
1) Une fonction métabolique, avec la production des acides gras volatiles à chaînes
courtes – véritable carburant du colonocyte; de la vitamine K; ils facilitent par ailleurs
l'absorption des ions, le métabolisme des xénobiotiques, le métabolisme hépatique des
lipides et facilite le transit intestinal de par leur capacité d'effet de masse.
2) Une fonction de protection : les bactéries participent aux défenses de la "barrière
intestinale" en utilisant des nutriments, en modifiant le pH intraluminal et en occupant
des sites potentiels de colonisation.
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De plus, elles sécrètent au niveau de la surface épithéliale des molécules
antimicrobiennes telles les bactériocines et rentrent en compétition pour l'accès à des
récepteurs de l'hôte.
3) Une fonction trophique : les bactéries jouent un rôle trophique en facilitant la
prolifération et la différentiation épithéliale et en promouvant le système immunitaire.
Globalement, on reconnaît que la flore luminale joue davantage un rôle métabolique et
participe à la barrière intestinale alors que la flore adhérente de la muqueuse a plus une
fonction trophique.
La barrière intestinale qui protège l'hôte contre des agents pathogènes ou des
antigènes indésirables est composée d'une couche de mucus, de l'épithélium, de la
lamina propria – siège principal des cellules du système immunitaire – des vaisseaux, de
l'innervation et du péristaltisme intestinal.
La flore bactérienne ne constitue pas seulement un autre composant de cette barrière
mais réagit en symbiose avec plusieurs de ces compartiments.
Ainsi, la flore bactérienne stimule la composante "sécrétoire" de cette barrière, par la
production de la couche de mucus et des peptides antibactériens et, d'autre part, favorise
la composante "physique" de cette barrière, par la production de substances protégeant
ou réparant l'épithélium (N-cadherin, acides gras à chaînes courtes, etc.) (Mahida, 2004).
De plus, les cellules de l'épithélium intestinal – en collaboration étroite avec le
contenu intraluminal – jouent un rôle crucial dans la stimulation et la modulation du
système immunitaire inné et adaptatif (Pickard, 2004). En bref, l'activation du système
immunitaire inné est basée sur la reconnaissance de composants moléculaires bactériens
par des récepteurs spécifiques, dont entre autres les récepteurs qualifiés de "Toll-like
receptors" et ceux de la famille "NOD".
La reconnaissance de composés bactériens par ces récepteurs va entraîner une réaction
en chaîne, très complexe entraînant l'activation de facteurs de transcription (NF-kB), qui
stimule la production de gènes codant la synthèse des cytokines inflammatoires.
Le contact permanent de l'épithélium digestif et du contenu intraluminal – y compris
bactérien – provoque dès lors une stimulation continue du système immunitaire au sein
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de la muqueuse digestive. Ceci a donné lieu au concept "d'inflammation physiologique"
de la muqueuse digestive, mise en évidence dans de nombreux travaux.
Les maladies inflammatoires de l'intestin (MICI) comprennent la maladie de Crohn,
la rectocolite ulcéro-hémorragique (RCUH) et dans 10 % des cas, des colites dites
indéterminées.
La description des MICI date du début du XXème siècle. Les études épidémiologiques
montrent que leur incidence n'a cessé d'augmenter et qu'il existe un gradient Nord – Sud,
aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis.
L'étiologie exacte des MICI reste inconnue. Cependant, il est hautement probable que des
facteurs dits d'environnement puissent chez des individus génétiquement susceptibles,
provoquer une réponse anormale du système immunitaire au sein de la paroi intestinale
et provoquer de ce fait un déséquilibre de cette "inflammation physiologique", entraînant
une dysrégulation de la réponse immunitaire, cause de lésions intestinales (Mc Donald,
2005; Carol, 1998).
Parmi les facteurs d'environnement, seul le rôle du tabagisme est universellement
reconnu. De manière étrange, le tabagisme joue un rôle délétère dans la maladie de
Crohn et aurait un effet protecteur dans la rectocolite ulcéro-hémorragique.
Des études génétiques récentes ont pu identifier – à ce jour – au moins 5 gènes dits de
prédisposition. Celui qui semble jouer le rôle majeur est le gène NOD2 ou CARD-15,
identifié sur le chromosome 16. Son rôle est néanmoins modéré puisqu'on trouve une
mutation chez 40 % des patients atteints de maladie de Crohn et chez 20 % des sujets
normaux.
Une étiologie infectieuse aux MICI est recherchée depuis leur description. De
nombreuses études – portant entre autre sur les mycobactéries, Listeria, Saccharomyces
cervisiae – n'ont pu mettre en évidence de germes pathogènes (Dumonceau, 1996).
Cependant, le rôle de la flore bactérienne semble majeur.
En effet, dans tous les modèles expérimentaux de colite inflammatoire chez l'animal, on a
pu observer le rôle important voire indispensable de la flore bactérienne (Podolsky, 2002).
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L'application clinique de cette observation fut démontrée par la guérison de lésions
inflammatoires du tube digestif distal, par la diversion (stomie) du flux antigénique
intraluminal (Rutgeerts, 1991).
Différents travaux ont montré des modifications de la flore bactérienne digestive en
cas de maladie de Crohn. Seksik et coll. ont observé une altération de la flore dominante,
caractérisée par une diminution du groupe des Bactéroïdes et une augmentation
significative des entérobactéries (Seksik, 2003).
Swidsinski et coll. ont décrit des concentrations plus élevées de bactéries adhérentes à la
muqueuse (Swidsinski, 2002). En utilisant une méthode de fluorescence par hybridation in
situ, ils ont observé des amas de bactéries en surface mais non en intraépithélial, en cas
d'inflammation modérée. Par contre, dans des zones d'inflammation plus sévères, ils
observèrent aussi des bactéries ayant envahi la couche épithéliale.
Une autre équipe a montré – en utilisant des techniques de microscopie électronique –
une prévalence élevée (22 %) de souches adhérentes-invasives de type E. coli dans la
muqueuse iléale de patients atteints d'iléite de Crohn (Darfeuille-Michaud, 2004).
Récemment, il fut évoqué une association entre la présence d'anticorps anti-
Saccharomyces cervisiae (ASCA) et celle d'anticorps anti-Candida albicans (Standaert-
Vise, 2006).
La découverte de l'intime interaction entre les composants bactériens du liquide
intestinal et les récepteurs capables de moduler la riposte immunologique a
conduit certains chercheurs à proposer la théorie de "l'hygiène" (Ghosh, 2004). En
effet, il est bien connu que les MICI sont quasiment inexistantes au sein de populations en
contact permanent avec des bactéries et des parasites potentiellement pathogènes.
L'absence de stimulation de nos défenses immunitaires par ces agents bactériens pourrait
donc soit déséquilibrer notre profil immunitaire vers un profil Th1 (type Crohn) ou plutôt
vers un profil Th2 (type RCUH). De plus, certains auteurs évoquent le rôle clé que pourrait
jouer les lymphocytes T régulateurs, capables de synthétiser des cytokines anti-
inflammatoires de type IL-10 ou TGF-β (Rook, 2005).
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