BIOFUTUR 295 • JANVIER 200934
Dossier
Toxicologie nucléaire
l’action des bactéries sur les métaux. D’une part la
diversité rencontrée est très étendue et d’autre part,
une très faible fraction (1 % en moyenne) des bacté-
ries peut être cultivée en conditions de laboratoire,
ce qui limite énormément la connaissance des méta-
bolismes existants. La mise en place de procédés de
bioremédiation implique donc dans un premier temps
de mieux comprendre les interactions entre bactéries
et métaux, puis d’identifier des candidates intéressantes
avant d’appuyer leur action dans les sols par différentes
méthodes. Parmi celles-ci, la biorestauration a pour
but de favoriser le développement des bactéries indi-
gènes par ajout de nutriments spécifiques. La bio-
stimulation consiste à réensemencer des populations
prélevées sur site et cultivées en laboratoire tandis que
la bioaugmentation consiste à injecter des bactéries
exogènes adaptées à la pollution à traiter dans les sols.
Les interactions bactéries - métaux
I
l existe différents types d’interactions entre bacté-
ries et métal. Sous le terme de biotransformation, on
retrouvera des mécanismes de modification de la forme
chimique du métal (ou spéciation du métal), soit par
oxydation ou réduction, soit par substitution des
ligands du métal (agents complexants), soit, comme
dans le cas du mercure, par changement de phase (vola-
tilisation).
Réduction des métaux toxiques :
l’exemple de l’uranium
P
our une grande majorité de métaux, la forme réduite
est beaucoup moins soluble que la forme oxydée. C’est
le cas en particulier pour l’uranium, le technétium,
le plutonium et le chrome. Les réactions de réduc-
tion des oxydes métalliques sont ainsi très étudiées
pour envisager la maîtrise de la dispersion des métaux
toxiques dans l’environnement. Dans le cas de l’ura-
nium, la forme soluble trouvée dans les sols, l’uranyle
UO22+ (U(VI)), est réduite en UO2(U(IV)) qui peut
précipiter sous une forme minérale, l’uraninite. Cette
réaction de réduction a pu être mesurée in situ après
stimulation des populations bactériennes indigènes de
sédiments ou d’eaux pollués. On connaît aujourd’hui
plusieurs dizaines d’espèces réductrices d’uranium qui
présentent une grande diversité phylogénétique. Parmi
celles-ci, on peut citer Desulfovibrio desulfuricans,
Geobacter metallireducens et sulfurreducens ainsi que
Shewanella oneidensis pour les plus étudiées
(3)
.
L
es mécanismes moléculaires de la réduction ne sont
encore que très partiellement caractérisés, voire inconnus
pour certains. La grande majorité des études disponibles
concerne la réduction de l’uranium en anaérobiose. Ce
processus a été décrit pour la première fois il y a une
quinzaine d’année
(4)
. Certaines espèces comme
G. metallireducens, G. sulfurreducens et S. oneidensis
sont capables de coupler cette réduction à la produc-
tion d’énergie. On parle alors de réduction dissimilatrice.
Ce sont des enzymes de la chaîne respiratoire, les
cytochromes c, qui interviennent dans la réaction
(5)
. Chez
la bactérie sulfatoréductrice D. desulfuricans, la réduc-
tion de l’uranium implique un transfert d’électrons depuis
un cytochrome de type-c3 vers une hydrogénase, mais
n’est pas productrice d’énergie
(6)
.
C
es mécanismes qui ont lieu à la surface des cellules
sont intéressants mais les formes réduites de l’uranium
sont susceptibles, dans le milieu d’observation et dans
les sols, d’être rapidement réoxydées en présence de
faibles concentrations d’oxygène. C’est pourquoi des
mécanismes de réduction intracytoplasmique, qui
permettraient d’obtenir des formes plus stables
d’uranium réduit, sont également recherchés. On sait
ainsi, depuis peu, que la chromate réductase catalyse
aussi la réduction de l’uranyle UO22+ dans le cytoplasme
de certaines bactéries comme Escherichia coli et
Pseudomonas putida
(7)
.
L’oxydation et la biolixiviation
À
l’inverse de la réduction, l’oxydation des sulfures
métalliques peut être intéressante pour extraire les
toxiques métalliques par remise en solution. Il s’agit
de la biolixiviation. Cette approche est utilisée pour
traiter des stériles miniers ou des eaux acides de
drainage de mines. Les bactéries peuvent être utilisées
de façon directe ou indirecte pour réaliser la bio-
solubilisation de métaux toxiques ou précieux.
L
es micro-organismes qui participent à ces transfor-
mations sont principalement des bactéries du genre
Thiobacillus (ferrooxidans, thiooxidans, acidophilus)
ou Leptospirillum (ferrooxidans). Elles se développent
dans des environnements très acides (1<pH<2) et
supportent de fortes concentrations en métaux toxiques
comme le cadmium, l’uranium ou le thorium.
Acidothiophilus ferrooxidans a été découverte en 1947
dans les drainages acides de mines de houille grasse.
Figure 1 Peintures de bactéries
Dépôts d’oxydes de manganèse (gris-bleu) formés en
présence de bactéries sur des roches en milieu désertique
(Valley of fire park, Nevada).
© R. SEAMAN
(3) Wall JD, Krumholz LR
(2006)
Annu Rev Microbiol
60,
149-66
(4) Lovley DR
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(1991)
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(5) Shebolina ES
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(7) Barak Y
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(2006)
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