Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique N°58 : octobre 2004 Importation de cellules souches embryonnaires Le décret et l’arrêté prévoyant les procédures d’autorisation d’importation à des fins de recherche, de cellules souches embryonnaires ont été publiés au Journal officiel du 30 septembre 20041. Un dispositif transitoire En attendant la mise en place en janvier 2005 de l’agence de biomédecine prévue par la loi de bioéthique du 6 août 2004, et afin de permettre aux chercheurs de répondre aux appels d’offre européens, un comité ad hoc est nommé par arrêté conjoint des ministres de la santé et de la recherche. Un décret, prévu pour le printemps 2005, organisera la recherche sur les embryons surnuméraires existant dans les laboratoires français. Combien d’embryons ? Le ministre de la Santé vient de demander un recensement des embryons congelés en France. Les derniers chiffres datent de 2000. A cette date, 118 379 embryons étaient conservés dans les laboratoires français, dont 23 393 n’étaient plus l’objet d’un « projet parental », et pour 29 661 embryons, les équipes médicales ne disposent plus d’aucune information. Pourtant, le code de la santé publique fait obligation aux laboratoires de donner annuellement le nombre d’embryons conservés et la durée de la congélation. Depuis plusieurs années, aucune consolidation n’avait été demandée au niveau national, comme si un recensement exact risquait de faire mesurer l’ampleur du problème… Pourtant, ces données sont importantes car les embryons humains conçus depuis plus de cinq ans et que les parents ne voudront ni implanter ni donner pourront être utilisés par les chercheurs pour produire des lignées de cellules souches comme le permet la nouvelle loi de bioéthique. Un recensement et un suivi précis de la volonté des parents devraient donc être organisés. Demain, le clonage thérapeutique ? A l’occasion du discours de présentation de ce décret, le 5 octobre 2004, le ministre de la Santé précise : « avec le décret qui vient d’être publié, les chercheurs se familiariseront avec les embryons déjà existants et indésirés. Demain, la prochaine étape sera peut-être la création intentionnelle d’embryons humains pour qu’on puisse greffer aux malades leurs propres cellules. L’ouverture d’esprit nécessaire au débat futur sur la création d’embryons pour soigner certaines maladies (NDLR c’est-à-dire le clonage dit thérapeutique) n’a d’égal que la sévérité avec laquelle il faut condamner cette création si elle a pour but de donner naissance à un être humain artificiel. Le clonage reproductif, jamais ! » Ainsi la loi de bioéthique interdisant la création d'embryon pour la recherche et le clonage thérapeutique à peine votée, le ministre de la Santé envisage déjà de les autoriser dans quelque temps... Le temps que l'opinion publique s'habitue sans doute... 1 - Décret du 28 septembre 2004 relatif à l’importation à des fins de recherche de cellules souches embryonnaires, aux protocoles d’études et de recherche et à la conservation de ces cellules et portant application des dispositions de l’article 37 de la loi n°2004-800 du 6 août 2004 et arrêté du 28 septembre 2004 Des neurones à partir de cellules d’embryons humains ? Cellules et neurones L’équipe du Dr Lorenz Studer (laboratoire des cellules souches du Sloan Kettering Cancer Center, New York) aurait démontré que des cellules souches d’embryons humains pouvaient se différencier en cellules neuronales productrices de dopamine1. Cette molécule est le messager chimique, servant à la communication entre neurones, qui fait défaut par exemple dans la maladie de Parkinson. En cultivant ensemble des cellules souches embryonnaires et des cellules de moelle osseuse, les biologistes ont réussi à transformer plus de 70% des cellules souches en neurones dopaminergiques. Le français Anselme Perrier, premier signataire de l’article précise : « C’est une étape clé. On a maintenant les outils pour procéder aux étapes suivantes, notamment passer aux tests sur les animaux. » Avec les cellules souches adultes Ces travaux vont relancer le débat éthique sur l’utilisation des cellules souches embryonnaires qui implique la destruction d’embryons humains. Les cellules souches embryonnaires ne sont pourtant pas l’unique voie de recherche sur les maladies dégénératives ; plusieurs études ont démontré l’efficacité des cellules souches adultes dans le traitement de la maladie de Parkinson. La revue Nature Medecine publiait en mai 2003 les résultats d’une thérapie cellulaire menée sur cinq patients atteints de cette maladie. Un an plus tard, ils avaient amélioré de 61% leurs capacités d’exécution des activités quotidiennes. 1 - Proceedings of the National Academy of Sciences, 14 août 2004 Gènéthique - n°58 octobre 2004 Clonage à l'ONU Clonage thérapeutique ? L’Assemblée générale de l’ONU est en plein débat sur l’interdiction ou non du clonage thérapeutique dans la convention internationale sur le clonage. L’ONU doit se prononcer sur une résolution présentée par le Costa Rica appelant à interdire toutes formes de clonage. Deux positions s’affrontent entre les pays favorables à une interdiction globale du clonage (grande majorité des pays) et ceux qui n’interdiraient que le clonage reproductif1. Position ambiguë de la France La France, bien qu'ayant interdit le clonage thérapeutique dans les dernières lois de bioéthique prend le parti à l'ONU de n'interdire que le clonage reproductif et de laisser à l'appréciation de chaque pays l'autorisation ou non du clonage thérapeutique. Rappelons que le clonage est toujours la reproduction d'un embryon humain, il est donc toujours reproductif. Mais on l'appelle thérapeutique quand on veut signifier qu'on ne laissera pas cet embryon se développer jusqu'à la naissance parce qu'on s'en servira pour la recherche. 1 -Voir Gènéthique n° 46 « Pas d’interdiction du clonage humain à l’ONU ». L’empire du ventre – Pour une autre histoire de la maternité - Marcela Iacub Faut-il accoucher pour être mère ? Rien ne semble plus naturel et universellement reconnu. Et pourtant… Marcela Iacub, juriste et chercheur au CNRS, veut démontrer en remontant l’histoire du droit de la filiation et en franchissant les frontières, que rien n’est moins évident… ni souhaitable. Les enfants ne naissent plus du mariage Du code civil de 1804 à la réforme de 1972, les enfants ne naissaient pas nécessairement du corps de leurs parents, mais de leur mariage ; les suppositions d’enfants1 (sanctionnées pénalement mais, dans la réalité, difficiles à prouver) ont d’ailleurs permis à des femmes mariées stériles d’avoir des enfants. Il s’agissait ainsi d’un mode de création d’une filiation légitime par la volonté des parents, dénué d’ancrage dans la « vérité biologique » que lui aurait donné l’accouchement de la mère. La loi du 3 janvier 1972 a mis fin à l’empire des apparences matrimoniales. L’empire du ventre Face à la crise du mariage, l’accouchement lui-même est devenu une institution, dans laquelle la mère est libre d’entrer ou non jusqu’au dernier moment, puisqu’elle peut non seulement avorter mais aussi accoucher sous X. Marcela Iacub dénonce cette toute puissance maternelle finalement aliénante pour les femmes que la nature discrimine au seul profit de celles qui sont capables d’enfanter… et d’avorter. Adoption et mères porteuses L’adoption plénière est devenue suspecte. Dans les années 1980, le recours aux maternités de substitution (par le biais de l’adoption de l’enfant par l’épouse de celui qui a donné son sperme et a reconnu l’enfant d’une mère porteuse ayant accouché sous X) fut condamné par les tribunaux et Marcela Iacub s’étonne : « alors que les ovules, les spermatozoïdes pouvaient être arrachés des entrailles et les embryons des éprouvettes pour être affectés à divers projets parentaux », la grossesse, elle, ne pouvait être déléguée. La loi de bioéthique de 1994, en autorisant toutes les techniques procréatives à l’exception de la maternité de substitution, rappelle cette « exception utérine » sur laquelle est fondé le droit français de la famille. Alors que l’ovule et l’embryon peuvent circuler entre les couples sans aucune conséquence juridique, est-il logique de garder l’accouchement comme critère que l’enfant a bien été conçu par cette femme ? L’Allemagne, la Suisse ou l’Autriche ont choisi d’interdire à la fois le don d’ovule et la maternité de substitution et favorisent la vérité génétique ; d’autres pays, tels la Grande-Bretagne ou Israël autorisent l’un et l’autre, fondant la filiation sur le principe de volonté. Accouchement sous X : danger ? Du fait de la pratique généralisée de la contraception et de l’avortement, l’accouchement sous X serait devenu anachronique, « faute d’enfants à naître ». Mais la crise de cette institution rejoint aussi celle de l’adoption et le mouvement des militants du droit à connaître ses origines prétend qu’il vaut mieux avorter que faire naître sous X. Pour eux, le don de gamète et d’embryon doit également cesser d’être anonyme, sous peine de faire naître un « enfant de personne », à moins de l’interdire purement et simplement. Vérité génétique parentale ? ou souhait L’empire du ventre est menacé et se trouve face à deux alternatives : soit fonder toutes les filiations, y compris maternelles, sur la volonté d’avoir un enfant, et il n’y aurait plus de raison de s’opposer à l’homoparentalité, chacun assumant les conséquences, non pas de ses actes sexuels, mais de ses décisions procréatives ; soit faire triompher le principe de la vérité génétique. Et l’enfant dans tout cela ? Après avoir revendiqué le droit à l’avortement, la libre disposition de leur corps, les féministes s’insurgent aujourd’hui contre l’inégalité qui frappe celles qui ne peuvent être mère du fait de leur stérilité ou de leur homosexualité. Le fondement même du droit de la filiation est remis en cause par les possibilités qu’ouvrent les nouvelles techniques de procréation. Dans quel sens évoluera-t-il, vérité génétique, droit à l’enfant ou droit de l’enfant ? Cet ouvrage, néanmoins fort intéressant, se garde bien de répondre à cette question, en ignorant les droits de l’être humain qu’est l’enfant. 1 - La supposition consiste à prétendre qu’une femme a accouché alors qu’elle ne l’a pas fait. Marcela Iacub, L’empire du ventre, pour une autre histoire de la maternité, ed. Fayard, septembre 2004. Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 31 rue Galande 75005 Paris Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast [email protected] Tel : 01.55.42.55.14 - Imprimerie PRD S.A. – N° ISSN 1627 – 49 89 Gènéthique - n°58 octobre 2004 Gènéthique - n°58 octobre 2004