L’affaire Dreyfus L’affaire Dreyfus est un conflit social et politique majeur de la Troisième République survenu à la fin du XIXe siècle, autour de l’accusation de trahison faite au capitaine Alfred Dreyfus, Français d’origine alsacienne et de confession juive, qui sera finalement innocenté. Elle a bouleversé la société française pendant douze ans, de 1894 à 1906, la divisant profondément et durablement en deux camps opposés, les « dreyfusards » partisans de l’innocence de Dreyfus, et les « antidreyfusards » partisans de sa culpabilité. La condamnation fin 1894 du capitaine Dreyfus – pour avoir prétendument livré des documents secrets français à l’Empire allemand – était une erreur judiciaire2, 3 sur fond d’espionnage et d’antisémitisme, dans un contexte social particulièrement propice à l’antisémitisme, et à la haine de l’Empire allemand suite à son annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine en 1871. La révélation de ce scandale en 1898, par Émile Zola dans l’article de presse intitulé « J'accuse…! », provoqua une succession de crises politiques et sociales uniques en France. À son paroxysme en 1899, l’affaire révéla les clivages de la France de la Troisième République, où l’opposition entre le camp des dreyfusards et celui des antidreyfusards suscita de très violentes polémiques nationalistes et antisémites, diffusées par une presse influente. Elle ne s’acheva véritablement qu’en 1906, par un arrêt de la Cour de cassation qui innocenta et réhabilita définitivement Dreyfus. Cette affaire est souvent considérée comme le symbole moderne et universel de l’iniquité4 au nom de la raison d’État, et reste l’un des exemples les plus marquants d’une erreur judiciaire difficilement réparée, avec un rôle majeur joué par la presse et l’opinion publique. En 2013, le site L'affaire Dreyfus a entamé, en collaboration avec le Service historique de la Défense, la publication du dossier secret de l'affaire Dreyfus. Résumé de l’affaire : À la fin de l'année 1894, le capitaine de l'armée française Alfred Dreyfus, polytechnicien, juif d'origine alsacienne, accusé d'avoir livré aux Allemands des documents secrets, est condamné au bagne à perpétuité pour trahison et déporté sur l'Île du Diable. À cette date, l'opinion comme la classe politique française sont unanimement défavorables à Dreyfus. Certaine de l'incohérence de cette condamnation, la famille du capitaine, derrière son frère Mathieu, tente de prouver son innocence, engageant à cette fin le journaliste Bernard Lazare. Parallèlement, le colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage, constate en mars 1896 que le vrai traître avait été le commandant Ferdinand Walsin Esterházy. L'ÉtatMajor refuse pourtant de revenir sur son jugement et affecte Picquart en Afrique du Nord. Afin d'attirer l'attention sur la fragilité des preuves contre Dreyfus, sa famille contacte en juillet 1897 le respecté vice-président du Sénat Auguste Scheurer-Kestner qui fait savoir, trois mois plus tard, qu'il a acquis la conviction de l'innocence de Dreyfus, et qui en persuade également Georges Clemenceau, ancien député et alors simple journaliste. Le même mois, Mathieu Dreyfus porte plainte auprès du ministère de la Guerre contre Walsin-Esterházy. Alors que le cercle des dreyfusards s'élargit, deux événements quasi simultanés donnent en janvier 1898 une dimension nationale à l'affaire : Esterházy est acquitté, sous les acclamations des conservateurs et des nationalistes ; Émile Zola publie « J'accuse…! », plaidoyer dreyfusard qui entraîne le ralliement de nombreux intellectuels. Un processus de scission de la France est entamé, qui se prolonge jusqu’à la fin du siècle. Des émeutes antisémites éclatent dans plus de vingt villes françaises. On dénombre plusieurs morts à Alger. La République est ébranlée, certains la voient même en péril, ce qui incite à en finir avec l’affaire Dreyfus pour ramener le calme. Malgré les menées de l'armée pour étouffer cette affaire, le premier jugement condamnant Dreyfus est cassé par la Cour de cassation au terme d'une enquête minutieuse, et un nouveau conseil de guerre a lieu à Rennes en 1899. Contre toute attente, Dreyfus est condamné une nouvelle fois, à dix ans de travaux forcés, avec, toutefois, circonstances atténuantes. Épuisé par sa déportation de quatre longues années, Dreyfus accepte la grâce présidentielle, accordée par le président Émile Loubet. Ce n'est qu'en 1906 que son innocence est officiellement reconnue au travers d'un arrêt sans renvoi de la Cour de cassation5. Réhabilité, le capitaine Dreyfus est réintégré dans l'armée au grade de commandant et participe à la Première Guerre mondiale. Il meurt en 1935. Les conséquences de cette affaire sont innombrables et touchent tous les aspects de la vie publique française : politique (elle consacre le triomphe de la IIIe République, dont elle devient un mythe fondateur6 tout en renouvelant le nationalisme), militaire, religieux (elle ralentit la réforme du catholicisme français, ainsi que l'intégration républicaine des catholiques), social, juridique, médiatique, diplomatique et culturel (c'est à l'occasion de l'affaire que le terme d'intellectuel est forgé). L'affaire a également un impact international sur le mouvement sioniste au travers d'un de ses pères fondateurs : Théodore Herzl et de par l'émoi que ses manifestations antisémites vont provoquer au sein des communautés juives d'Europe centrale et occidentale. L’origine et les faits d’espionnage : L'origine de l'affaire Dreyfus, bien que totalement éclaircie depuis les années 196015, a suscité de nombreuses controverses pendant près d'un siècle. Il s'agit d'une affaire d'espionnage dont les intentions sont restées obscures jusqu’à nos jours. De nombreux historiens parmi les plus éminents expriment plusieurs hypothèses distinctes sur l'affaire, mais tous arrivent à une conclusion unique : Dreyfus était innocent de tout crime ou délit. L’arrestation : Le 13 octobre, sans aucune preuve tangible et avec un dossier vide, le général Mercier fait convoquer le capitaine Dreyfus pour une inspection générale, en « tenue bourgeoise », c'està-dire en civil. L'objectif de l'État-Major est de gagner la preuve parfaite en droit français : l'aveu. Cet aveu serait obtenu par effet de surprise, en faisant écrire une lettre inspirée du bordereau43 au coupable44 sous la dictée. Le 15 octobre 1894 au matin, le capitaine Dreyfus subit cette épreuve, mais n'avoue rien. Du Paty tente même de lui suggérer le suicide en plaçant un revolver devant Dreyfus, mais l'accusé refuse d'attenter à ses jours, affirmant qu'il « veut vivre afin d'établir son innocence ». L'espoir des militaires est déçu. Du Paty de Clam fait tout de même arrêter le capitaine et l'inculpe d'intelligence avec l'ennemi afin qu'il soit traduit devant un Conseil de guerre. Dreyfus est incarcéré à la prison du Cherche-midi à Paris. Le procès : Le procès s'ouvre le 19 décembre à treize heures63, le huis clos Note 14 étant presque immédiatement prononcé. Ce huis clos n'est d'ailleurs pas conforme juridiquement puisque le commandant Picquart et le préfet Louis Lépine sont présents à certaines audiences en violation du droit, mesure qui permet néanmoins aux militaires de ne pas divulguer le néant du dossier au grand public64 et d'étouffer les débats65. Conformément aux prévisions, le vide du dossier apparaît nettement pendant les audiences. Les discussions de fond sur le bordereau montrent que le capitaine Dreyfus ne pouvait pas en être l'auteur66,67. D'autre part, l'accusé lui-même clame son innocence, et se défend point par point avec énergie et logique68. Au surplus, ses déclarations sont appuyées par une dizaine de témoignages à décharge. Enfin l'absence de mobile pour le crime est une sérieuse épine dans le dossier d'accusation. Dreyfus était en effet un officier très patriote et très bien noté par ses chefs, et surtout très riche69, il n'avait donc aucune raison tangible de trahir. La justification par la judéité de Dreyfus, seule retenue par la presse de droite, ne saurait pourtant l'être par un tribunal. L’affaire Calas L’enquête de Voltaire : Informé de l'affaire par le marchand marseillais Dominique Audibert, Voltaire, sans d'abord s'interroger sur la culpabilité des Calas, conclut au fanatisme des protestants. Mais on sent à travers ses lettres que le doute le tenaille. Le plus admirable, d'ailleurs, dans cette affaire, par-delà l'occasion que Voltaire y vit de dénoncer l'Infâme, c'est cette incapacité où il fut de se contenter de rumeurs et son souci - jusqu'à n'en plus dormir - de tirer les choses au clair. Ainsi il va fiévreusement tenter, pendant plusieurs semaines, de s'informer aux sources les plus sûres. «J'en suis tout hors de moi : je m'y intéresse comme homme, un peu même comme philosophe. Je veux savoir de quel côté est l'horreur du fanatisme. Oserais-je supplier votre Éminence de vouloir bien me dire ce que je dois penser de l'aventure affreuse de ce Calas, roué à Toulouse pour avoir pendu son fils ? Cette aventure me tient au cœur ; elle m'attriste dans mes plaisirs, elle les corrompt.» (Lettre au cardinal de Bernis, 25 mars 1762) Ce qui préoccupe Voltaire tient à des faits qui resteront troublants : pourquoi huit juges (qu'il pense d'abord avoir été treize) auraient-ils sans intérêt fait périr un innocent sur la roue ? Pourquoi, d'autre part, la famille Calas a-t-elle affirmé avoir trouvé strangulé le cadavre de Marc-Antoine pour, le lendemain, déclarer l'avoir trouvé pendu ? Dans son enquête, Voltaire est frappé surtout par l'incohérence du jugement. Il était exclu qu'un homme de soixante-trois ans eût seul étranglé un jeune et robuste gaillard. Il fallait nécessairement qu'il fût aidé par sa famille. Alors pourquoi avoir condamné le seul Jean Calas et élargi les autres ? Il semblait que le Parlement de Toulouse reconnût là l'erreur qu'il avait faite. D'autre part, Voltaire est troublé, comme d'ailleurs tous les témoins oculaires, par la constance avec laquelle Calas, jusqu'au bout d'un supplice affreux, a clamé son innocence. Poursuivant pendant trois mois cette "vérité qui importe au genre humain", Voltaire fait venir à Ferney Pierre et Donat Calas qui s'étaient réfugiés en Suisse. Bientôt (vers le milieu de juin), il apparaît définitivement convaincu du bon droit de Calas. «Je suis persuadé plus que jamais de l'innocence des Calas et de la cruelle bonne foi du Parlement de Toulouse qui a rendu le jugement le plus inique sur les indices les plus trompeurs ». (21 juin 1762) La réhabilitation : 1° mars 1763 : La requête des Calas est jugée admissible par le bureau des cassations. La famille Calas est reçue à la Cour. La veuve Calas, par la dignité douloureuse avec laquelle elle supplie Louis XV d'intervenir auprès du Parlement de Toulouse, y fait grosse impression. 7 mars 1763 : le Conseil d'Etat, à l'unanimité et avec l'appui du roi, ordonne au Parlement de Toulouse la communication de sa procédure. Celui-ci ne s'y résoudra que fin juillet. «Le règne de l'humanité s'annonce. Ce qui augmente ma joie et mes espérances, c'est l'attendrissement universel, dans la galerie de Versailles. Voilà bien une occasion où la voix du peuple est la voix de Dieu.» novembre 1763 : Publication par Voltaire du Traité sur la Tolérance à l'occasion de la mort de Jean Calas. Malgré son interdiction, l'ouvrage aura un retentissement considérable. 4 juin 1764 : Sentence de cassation. Pour que le procès puisse être rejugé, la famille Calas doit être à nouveau incarcérée. Elle le sera de manière purement formelle à la Conciergerie. Une gravure célèbre, d'après un dessin de Carmontelle, représente ce moment où la famille, réunie dans une cellule, écoute la sentence. Elle fut l'objet de la souscription européenne lancée par Damilaville en avril 1765 pour fournir aux Calas une aide matérielle urgente. février 1765 : Le Capitoul David de Beaudrigue est destitué. 9 mars 1765 : Réhabilitation de Jean Calas à l'unanimité. « Nous versions des larmes d'attendrissement, le petit Calas et moi. Mes vieux yeux en fournissaient autant que les siens. C'est pourtant la philosophie toute seule qui a remporté cette victoire. Quand pourra-t-elle écraser toutes les têtes de l'hydre du fanatisme ? » L'affaire Calas eut pour conséquence immédiate la suppression de cette fête annuelle par laquelle Toulouse célébrait les massacres de 1562. Elle fut bénéfique à tous les protestants de France et contribua à jeter un discrédit sur le système judiciaire et à répandre les idées de tolérance.