pour les élections, les femmes se saluent, demandent des nouvelles de la famille,
et parlent politique. «J’ai voté pour les Frères musulmans, c’est leur heure»,
lance Iman Shaouqi, 49 ans, professeur d’arabe. «Moi j’ai choisi l’ombrelle et
Nefertiti, c’est ce qu’on m’a conseillé ce matin», dit Oum Ramy, mère de sept
enfants, en faisant référence aux symboles qui accompagnent les noms des
candidats sur les bulletins de vote, pour que les électeurs illettrés s’y retrouvent.
Iman est musulmane, Oum Ramy chrétienne, et dans la vie de tous les jours
elles ne font que se croiser. Dans cette petite ville du sud de l’Egypte,
musulmans et chrétiens – qui représentent ici près de 30% de la population – se
côtoient peu. Les coptes habitent souvent dans les mêmes rues, préfèrent faire
leurs achats dans des magasins tenus par des coptes, et ont rarement des amis
de l’autre religion. «Toutes les activités sociales des jeunes sont liées à la
paroisse», explique Bola Abdu, militant des droits de l’homme.
Depuis une dizaine d’années, les violences interreligieuses, souvent liées à des
querelles concernant les femmes ou les terres, dans cette société rurale et
conservatrice, sont devenues de plus en plus fréquentes. Le 6 janvier 2010, six
jeunes coptes avaient été tués en sortant de la messe de Noël à Naga Hamadi.
Même si l’auteur de la fusillade a depuis été condamné et exécuté [le 10 octobre
2011], la tension n’est jamais vraiment retombée entre musulmans et coptes
dans cette ville de 30 000 habitants.
Depuis la révolution, la minorité chrétienne se sent encore plus menacée. A la
faveur du vide sécuritaire et de l’audace nouvelle des salafistes, très présents
dans cette région qui était l’un des bastions des groupes islamistes armés dans
les années 1990, plusieurs attaques ont visé les coptes de Qena, la grande ville
voisine, depuis un an. «En avril dernier, des salafistes ont coupé l’oreille d’un
chrétien, qu’ils accusaient d’avoir eu une relation sexuelle avec une musulmane»,
raconte Anba Sharoubim, l’évêque de Qena, qui porte une longue barbe grise.
«Un commerçant copte a aussi été poignardé par le propriétaire musulman de
l’échoppe voisine, après une dispute sur l’emplacement de leurs étals.» Pour
tenter de désamorcer les conflits, prêtres et cheikhs de la ville ont constitué un
conseil commun au printemps. «En octobre dernier, les cheikhs ont réussi à
raisonner une foule de salafistes en colère qui voulaient envahir la cathédrale»,
assure Anba Sharoubim.
Autant dire que la percée des islamistes lors des deux premières phases du
scrutin (le parti des Frères musulmans, Liberté et Justice, a remporté 36% des
voix jusqu’ici, et le parti salafiste El Nour 22%) effraie les chrétiens de la région.
«A l’église, tout le monde vient voir le prêtre pour lui demander pour qui il faut
voter pour contrer les islamistes», raconte Kirillos Philip, un étudiant en
pharmacie. «Les gens ne font pas la différence entre salafistes et Frères
musulmans, qui sont plus modérés. Ils pensent qu’on va les obliger à payer la
geziya, l’impôt des dhimmis (chrétiens et juifs dans les pays musulmans au
Moyen Age), que les femmes vont devoir porter le voile, et que leur vie même
sera menacée.» La majorité des chrétiens de la région étant pauvres et peu
éduqués, les «conseils» des hommes d’église ont beaucoup d’influence. «Nous
leur indiquons les candidats libéraux», reconnaît Anba Sharoubim. «Certains
prêtres disent aux gens de voter pour Ayad Sabri, simplement parce qu’il est
copte, alors que la liste qu’il représente est constituée d’anciens du Parti national
démocratique, le parti de Moubarak», enrage Kirillos.
Même scénario à Naga Hamadi, où l’évêque local appelle à voter pour un ancien
membre du parti au pouvoir. «Mais beaucoup de chrétiens ici se méfient des