Frères d`armes Tome II

publicité
Frères d’armes
Tome II
1ère Partie
Terménès
-2-
Chapitre 1
A cette heure de la fin d’après-midi, le soleil était rouge, rouge sang, tout
comme la terre sèche et craquelée qui meurtrissait les pieds des bagnards. Nappées de sueurs,
leurs épaules se creusaient sous la charge des sacs. Même si la tâche y était éreintante, l’arrivée
dans la mine, au petit matin, était un soulagement. Tandis que porter les sacs de beaurithe à
découvert, le soir, jusqu’au convoyeur parqué à cinquante mètres de l’immense entrée de la
mine, était un calvaire. A l’ouest, bien que parfaitement immobiles, les bouleaux de la forêt
d’Amnos ondoyaient au fil des ondes qui rayonnaient depuis un sol saturé par quatorze heures
de soleil ininterrompues. Dans ce même flux, à six kilomètres au nord, les miradors du camp
dansaient tels des serpents se préparant à mordre. L’énorme masse de métal du convoyeur aussi,
semblait prête à se dissoudre dans l’air ambiant.
— Prisonnier, relevez-vous !
La voix désincarnée du veilleur planant résonna au milieu du souffle des bagnards. La file
indienne, rectiligne jusqu’alors, se bossela tandis que les hommes évitaient le prisonnier qui
venait de s’effondrer sur le sol. Personne, parmi les bagnards, ne lui adressa le moindre coup
d’oeil. Le veilleur descendit d’un mètre.
— Prisonnier, relevez-vous ! Répéta l’engin, aussi stupide qu’implacable.
Un gardien, bien humain, juché sur sa plateforme à trois mètres au dessus du sol et protégé par
une ombrelle stat, s’avança jusqu’à la forme étendue sur le sol.
— Tu as entendu. Relève-toi, sale chien ?
Le prisonnier redressa vers le geôlier deux yeux vitreux où se mêlaient, à parts égales,
souffrance et terreur. Sa main tâtonna sur le tissu du sac pour prendre un appui, l’autre
s’enfonça dans les fissures du sol. Il parvint à se mettre sur les genoux, resta à quatre pattes, tête
basse, le cou rougi comme de la braise qu’un coup de vent aurait suffit à ranimer.
— Debout ! Hurla encore le geôlier. Si tu ne te relèves pas… Continua-t-il, laissant la fin de sa
phrase en suspens.
Le prisonnier banda ses muscles, en vain. Lentement, il secoua la tête. Le garde envoya un
signal sur sa console. En réponse, une diode verte clignota trois fois de suite sur son panneau de
commande. Le gardien regarda une dernière fois le bagnard. Pour lui donner une chance ? Pour
s’excuser par avance ? Pour lui montrer qu’il ne prenait à tout cela aucun plaisir ? Son pouce
appuya sur le mamelon noir fiché en bas à droite de son panneau, celui que tous les bagnards
apprenaient à détester. Greffé dans la nuque du prisonnier, à la racine de la moelle épinière,
l’imp envoya sa décharge. Défiant toutes les lois de la physique, le corps du bagnard s’arqua en
arrière, ses muscles tétanisés. Aucun son ne sortit de sa bouche béante. Dans le regard qu’il
adressa au garde, cette fois, la souffrance l’emportait. De très loin.
Craignant, même si c’était impossible, de recevoir une décharge par erreur, la file des
prisonniers s’écarta encore d’avantage du supplicié. Le gardien releva son pouce. Le bagnard
-3-
s’affala à plat ventre, le corps flasque, comme vidé de toute substance. La diode verte clignota
de nouveau. Le garde appuya sur la commande une seconde fois. Le corps du bagnard s’agita
d’un soubresaut, puis se délita pour de bon. L’incrustation sur l’écran du geôlier lui confirma le
décès du bagnard. Le cœur avait lâché. Le gardien se retourna vers la file ininterrompue des
hommes qui courrait depuis les chariots jusqu’au convoyeur. Il chercha d’abord vers la gueule
monstrueuse de la mine, puis plissa les yeux comme il se tournait vers le convoyeur dont la
coque lui renvoyait l’éclat du soleil.
— Les deux, cria-t-il à l’adresse d’une paire d’hommes qui arrivait à proximité du convoyeur.
Déchargez vos sacs et venez me ramassez ce tas d’excréments.
Parfait, qui arrivait à hauteur du rebord de la barge, se délesta de son sac d’un coup d’épaule
précis. Les deux bagnards chargés de l’arrangement du convoyeur ramassèrent le sac et le
hissèrent au dessus des autres. A la suite de Parfait, Orio déchargea à son tour. Côte à côte, sans
hâte, les deux alcidiens se dirigèrent vers le cadavre du prisonnier. Orio lui saisit les pieds tandis
que Parfait glissait ses mains sous les aisselles. Ensemble, ils le soulevèrent. Il n’était pas lourd.
Moins lourd qu’un sac de beaurithe. C’était toujours ça de gagné. Parfait, qui avançait à
reculons, était obligé de tourner la tête pour voir où il mettait les pieds. Estéban jeta un bref
coup d’œil au visage du mort. Sans ressentir la moindre émotion. De toute façon, ce bagnard
était mort depuis longtemps. Depuis son arrivée, en fait, deux mois plus tôt. Dès le début, il
s’était mis à parler, trop, pour conjurer son angoisse. Il allait d’un prisonnier à l’autre, posait des
questions, s’inquiétait de ne recevoir que des embryons de réponse, quand il ne récoltait pas des
rebuffades. Il n’était pas non plus aguerri aux travaux de force. Au bout de deux jours, l’Ancien
était venu le voir, il lui avait demandé de ne plus se poser de question, ni d’en poser aux autres,
mais d’observer. L’homme s’était tu, sans pour autant parvenir à masquer son angoisse. Une
maladresse lui avait valu sa première décharge d’imp. Il avait renversé son plateau sur les pieds
d’un maton. La douleur d’une première décharge vous prenait toujours par surprise. Vous ne
maîtrisiez plus votre corps. Il était comme écartelé, transpercé de millier d’aiguilles brûlantes.
Plus de voix, plus de souffle. Vous étiez persuadé que votre heure était venue. Et puis non, la
décharge passée, le sang se remettait à circuler dans vos veines, l’air à pénétrer dans vos
poumons. Cette première décharge n’avait fait qu’augmenter l’angoisse du nouveau bagnard.
Les hommes s’étaient mis à l’éviter comme s’il avait été porteur d’une maladie contagieuse. Il
s’était aussi mis à faire des cauchemars, à parler dans son sommeil. Si sa couchette n’avait pas
été à côté de celle de Parfait, les autres bagnards l’auraient tué de leurs propres mains.
D’ailleurs, au bout de quelques jours, l’Ancien était venu voir les Alcidiens.
« S’il ne s’arrête pas, vous allez devoir vous en occuper vous même ! Les avait-il avertis ».
« Il est presque mort, lui avait répondu Parfait. Il n’en a plus que pour quelques jours. »
« D’accord, je te fais confiance. Mais n’oublie pas ce que je vous ai dis à votre arrivée. Le
sommeil nous est vital. Les cauchemars de cet homme nous mettent tous en danger ! »
« Economie ! » : voilà ce que leur avait appris l’Ancien quelques semaines après leur arrivée
dans le camp. Il y avait dix mois. Au début de la saison des pluies.
-4-
Après les huit mois qu’avait durée leur traversée dans l’espace, de se retrouver sur la terre
ferme, même une terre hostile, leur était d’abord apparu comme une libération. Les rares sorties
au sol qu’ils avaient pu effectuer durant leur périple, pour telle ou telle corvée, ne faisaient que
briser la monotonie du voyage. Grâce à leur sérieux, ils avaient pu gagner le droit de travailler
dans le vaisseau de transport. Encore heureux. Le pire de tout était l’inaction.
Sur Terménès, tout commençait dans la « cabine ». Celle dans laquelle on vous enfermait nu
dès que vous passiez les portes du camp. Une boite de deux mètres sur trois, basse de plafond.
On vous disait d’attendre. On vous ordonnait de vous asseoir par terre. Sans vous préciser que
c’était pour éviter que vous vous blessiez en tombant. Et vous vous réveilliez six heures plus
tard, avec mal au crâne et un implant greffé à l’arrière de votre nuque. Un gardien attendait que
vous ayez retrouvé vos esprits, puis il se campait devant vous, effleurait sa commande.
Impossible de réfréner un cri. Vos membres se raidissaient devant vous, vous sentiez vos
cheveux se dresser sur la tête. Vous saisissiez alors votre nuque à pleine main, comme pour
chercher à atteindre la source de la douleur. Mais, comment chasser ce qui venait de l’intérieur ?
« C’est l’intensité la plus faible ! Vous annonçait enfin le garde avec un sourire satisfait. La
plus forte, c’est la mort. Chaque acte de rébellion, de désobéissance, est sanctionné de trois
secondes à l’intensité intermédiaire.»
« Personne ne s’est jamais évadé de Terménès, leur avait annoncé un peu plus tard le
contremaître du camp. Tenter de s’évader, c’est mourir, avait-il continué. Faites votre travail,
tenez vous à carreaux, et nous vous laisserons tranquille.»
Mais, comment deux alcidiens imprégnés du sens de la justice, de celui de la loyauté, pour qui
faire preuve de courage était aussi naturel que n’importe quelle autre fonction vitale, auraient-ils
pu rester indifférents aux traitements que subissaient les bagnards dans le camp ? Et comment
ne pas répondre aux gardes, quand leurs ordres allaient jusqu’à l’absurdité ?
Des décharges intermédiaires, Parfait et Estéban en avaient eu leur compte. Au bout d’une
semaine, Intervenir, Résister, étaient devenus leur marque de fabrique. Quand bien même à
chaque fois ils devaient se tordre de douleur. Ils se galvanisaient l’un l’autre. Et quand l’un
subissait une décharge, il n’était pas rare que l’autre en subisse une à son tour dans les minutes
qui suivaient. C’est à cette époque, qu’on s’était mis à les surnommer « les deux !». S’en
prendre à l’un, c’était s’en prendre à l’autre. Peu à peu, ils étaient devenus le centre de
l’attention du camp. Leur résistance dépassait l’entendement. Les bagnards les plus faibles se
mettaient sous leur protection. La haine des deux chevaliers, leur sentiment de révolte se
nourrissaient de chaque décharge supplémentaire. Bien sûr, à cette cadence, ils marchaient à la
mort. Ce n’était qu’une question de temps.
Alors, l’Ancien était intervenu. C’était un homme de soixante-cinq ans, au crâne dégarni.
Seules, quelques touffes de cheveux blancs poussaient derrière ses oreilles. Au milieu des
profondes rides qui creusaient son visage, son regard gris acier étincelait d’une lucidité
extraordinaire. Sous sa peau, saillait une couche de muscles rôdés, endurcis par trente-cinq
années de travaux forcés. Enfin sa peau, noircie par le travail en plein air et par l’air vicié de la
mine, se fendillait de petites veinules roses.
-5-
Il était venu les voir un soir, comme Estéban s’échauffait devant le contenu de son assiette
qu’un gardien, exprès, avait renversé sur le sol avant de lui faire servir de nouveau. Il avait posé
sa main sur l’épaule de Parfait. Le chevalier s’était retourné, prêt à bondir. Il s’était arrêté en
croisant le regard de l’Ancien.
« On sait maintenant qui vous êtes ! Avait déclaré ce dernier, sans quitter le chevalier des yeux.
Vous n’avez plus rien à prouver… À partir de maintenant, ce sera l’Economie ! »
« L’économie ? » avait répété Parfait.
« C’est ça ! »
« Qu’est-ce que tu racontes, ça ne veut rien dire ! » était intervenu Orio, impatient.
D’autorité, l’Ancien avait alors attrapé la cuiller d’Estéban, l’avait plongé dans son assiette
puis l’avait amené jusqu’à sa bouche. Devant les deux hommes, il avait mâché le brouet avec
application, celui-là même que le garde avait répandu sur le sol quelques minutes plus tôt.
« Que… ! » Avait voulu réagir Estéban. Mais cette fois, c’est Parfait qui l’avait arrêté en lui
posant la main sur l’épaule.
« D’accord ! » avait-il déclaré à l’Ancien. « L’Economie ! » avait-il répété encore, comprenant
que par ce simple mot, le bagnard venait de leur sauver la vie.
Et c’était devenu leur religion.
Economie de tout, d’effort, de parole, de pensée. Pour cela, il leur avait fallu observer l’Ancien,
il leur avait fallu s’appliquer à répéter ses mêmes gestes avec exactitude. Dans la mine, dans les
coupes de bois, dans les travaux de débroussaillage, jusqu’à sa façon de porter les sacs de
beaurithe , de les décharger. Apprendre aussi à doser la quantité de travail à fournir, juste assez
pour ne pas donner aux gardes de raison d’intervenir, mais sans jamais dépasser la limite qui
vous aurait mis en danger le lendemain. Economie morale, aussi. Ne plus s’offusquer, ne plus se
révolter, ne rien voir, ne plus rien ressentir. Se bâtir une carapace, se transformer en brute.
Et attendre le soir, juste avant de s’endormir, pour, en secret, ouvrir la petite niche humaine qui
subsistait en vous. L’entretenir. Par quelques rêves, quelques souvenirs.
« Je n’ai pas perdu espoir de sortir d’ici ! » Leur avait avoué un jour l’Ancien, alors qu’ils
étaient seuls, tous les trois, les pieds embourbés dans les marais en train de tirer un rondin
depuis la coupe vers la zone de sciage. « C’est aussi ça, le secret ! Les gardiens ne peuvent rien
faire contre ça…»
« Nous aussi, nous sortirons d’ici un jour ! » Avaient déclaré Parfait et Estéban de concert.
« Très bien. Mais ne vous en vanter jamais devant les gardes. Ce serait signer votre arrêt de
mort ! »
Ainsi, telle une minuscule flamme, vacillante mais têtue, l’espoir était toujours bien là tandis
que les deux hommes transportaient le cadavre du bagnard vers la barge qui les ramènerait au
camp une fois les chariots vides.
« Gomil viendra nous chercher ! » décrétait Estéban de temps à autre. Parfait acquiesçait sans
répondre. Ce n’est pas qu’il n’y croyait pas, c’est surtout qu’il ne voyait pas comment l’écuyer
d’Orio aurait pu intervenir à lui tout seul. Parfait croyait plutôt à une solution politique, un
-6-
revirement, ou même à une victoire de l’Alcidie sur l’Empire Thêet, même si cela paraissait
inconcevable. Il savait aussi qu’Alaine ne les oublierait pas.
Car s’évader de Terménès pas leurs propres moyens, sans aide extérieure, leur paraissait
impossible. Ce n’était pas faute d’avoir cherché, et de chercher encore. Pour cela, les deux
chevaliers étaient toujours aux aguets et continuaient d’emmagasiner une foultitude
d’informations.
« Vous cherchez un moyen de sortir de là, hein ? C’était amusé un jour l’Ancien comme il les
voyait observer attentivement la vie qui se déroulait dans le camp, la ronde des gardes, des
veilleurs planants. »
« Tu en as un ? »
« Si c’était le cas, je ne serais plus ici… Et puis, le problème n’est pas de s’évader du camp.
C’est surtout de trouver un moyen ensuite pour quitter cette maudite planète ! »
« Parce que tu connais quelqu’un qui a déjà réussi à s’évader du camp ? »
« Il existe une légende, leur avait expliqué l’Ancien. Un prisonnier, qui aurait réussi à survivre
plusieurs mois quelques part dans la jungle »
« Malgré l’implant ? »
Autour du camp, il existait une barrière invisible. La franchir déclenchait automatiquement une
décharge mortelle.
« Il se serait entouré le cou d’une couche de boue, d’écorces et de feuilles de bananier. Afin de
brouiller les ondes. »
« Et ? »
« Rien, un jour, il a enlevé sa protection. Il devait se croire en sécurité. C’est tombé au mauvais
moment. Le contremaître venait de lancer un balayage sur la fréquence de son imp. Ils ont
retrouvé son cadavre près d’une rivière, deux semaines plus tard… De toute façon, ce n’était
qu’une question de temps. A quoi ça l’avançait. Comme je vous l’ai dit, la seule évasion c’est
de quitter Terménès… Et ça, c’est une autre histoire ! »
*
Arrivé au pied de la barge, Estéban sauta dans la soute et se pencha en avant pour
récupérer les bras du cadavre que Parfait lui tendait. Le chevalier hissa sans effort le corps inerte
sur le plancher. Parfait grimpa à son tour, aida Estéban à transporter le cadavre jusqu’à un
recoin, contre la coque.
Les deux hommes redescendirent aussitôt. Il ne fallait pas donner aux gardes de raison de les
rappeler à l’ordre. Côte à côte, ils se dirigèrent vers la mine. Le soleil commençait à faiblir.
Dans cette lumière crépusculaire, l’entrée de la mine, creusée à même le roc, faisait penser à
l’arche d’un temple des temps anciens. Chaque fois qu’il voyait cette entrée, Estéban repensait à
son père, qui avait travaillé toute se vie dans des mines, d’abord comme ouvrier, puis comme
contremaître. Il était mort sur les remparts d’Albas, victime d’un char Zorgos. Le chevalier
éprouvait un sentiment étrange, comme si sa présence ici suivait une logique prédéfinie. Ne
-7-
s’était-il pas, plus jeune, moqué de ce travail d’ouvrier qu’il jugeait alors indigne d’un homme.
Si bien qu’aujourd’hui, il allait jusqu’à ressentir une sorte de plaisir, quand il attaquait le roc à
l’aide de son marteau percuteur. Il n’y avait pas d’ascenseur dans la mine mais des rampes qui
suivaient les veines de beaurithe en s’enfonçant dans la montagne. La nuit, des aérateurs
tournaient au maximum.
— Il ne lui restait que vingt minutes à tenir, commenta Estéban en découvrant la quantité de
sacs qu’il restait à transporter.
— Et après, il serait mort demain.
— Ou alors, il aurait fallu le tuer nous même.
— Tu aurais pu ? Demanda Parfait, tournant son visage vers celui de son compagnon.
— Oui, répondit Orio au bout de quelques secondes.
— Moi aussi, renchérit Parfait tout présentant son épaule au prisonnier qui se trouvait dans
l’avant dernier chariot… Voilà donc où nous en sommes venus, rajouta-t-il encore en
s’éloignant à la suite des autres vers le convoyeur.
— Oui, conclut Estéban, mâchoires serrées, présentant son épaule au bagnard.
Huit ans, telle était la durée de vie moyenne d’un prisonnier sur Terménès. Mais ce chiffre,
que le contremaitre, pour son plaisir, jetait à la face des nouveaux arrivants, était faussé par les
prisonniers les plus faibles, ceux qui décédaient au bout de quelques mois. C’est eux, qui
faisaient chuter la moyenne. Eux, ainsi que les quelques tentatives d’évasion, qui n’étaient rien
d’autre que des suicides déguisés.
Les deux chevaliers avaient été les témoins d’un de ces suicides, alors qu’ils travaillaient à la
limite de la zone autorisée. Un bagnard de leur équipe s’était redressé de sa tâche, alors qu’il
jetait des broussailles sur un tas en train de se consumer. Il avait planté sa fourche dans le sol et
s’était dirigé droit vers la barrière. Pourquoi l’idée d’en finir lui avait traversé la tête à cet
instant ? Personne n’avait pu trouver de réponse. Un veilleur planant l’avait rappelé à l’ordre.
L’homme avait continué du même pas. Un gardien était arrivé à son tour, lui avait ordonné de
stopper sa progression. Le bagnard avait continué. Le geôlier avait envoyé une requête sur sa
console de commande. Mais, aucun signal n’était venu en retour. Une ou deux décharges
intermédiaires auraient pourtant suffit à le mettre ko. Le garde avait haussé les épaules et s’était
contenter de suivre le bagnard à distance. Ce dernier était arrivé à la barrière, l’avait traversé de
part en part. Il n’avait pas fait un pas de plus. L’effet de la décharge était foudroyant. C’était la
première et la seule décharge d’intensité mortelle à laquelle les chevaliers avaient assisté. Le
corps du bagnard, bras collés au corps, s’était soudain raidi comme un piquet. Il était resté deux
secondes comme suspendu au dessus du sol par une corde invisible, tandis que sa nuque
s’embrasait, se gonflait démesurément. Puis il avait basculé en avant, tête la première.
Les chevaliers n’étaient pas prêts d’oublier l’expression qui était restée gravée sur le visage du
cadavre au moment de sa mort, les yeux exorbités, injectés de sang, les lèvres bleues retroussées
sur les gencives, la peau noire comme du charbon. En se serrant, ses mâchoires avaient même
sectionné un morceau de sa langue.
-8-
Encore une fois, le geôlier les avait désigné pour aller ramasser le cadavre de l’autre côté de la
barrière.
« Tu veux dire que tu nous envoies à la mort. Avait questionné Parfait en s’arrêtant sous la
plateforme du garde. »
« Je viens de désactiver vos implants, leur avait-il annoncé »
« Devons-nous te croire sur parole. Avait encore questionné Estéban, méfiant. »
Le garde leur avait alors souri, s’était retourné vers eux et avait appuyé sur sa commande.
Malgré eux, les chevaliers s’étaient crispés, prêts à recevoir une décharge. Au lieu de quoi, rien
ne s’était produit.
« Convaincus… Bon, maintenant dépêchez-vous, il ne vous reste que trois minutes ! »
« Au moins, on sait maintenant que les gardiens peuvent désactiver nos implants. » Avait noté
Orio le soir venu.
« Oui, mais reste à savoir s’ils peuvent le faire indéfiniment. En trois minutes, nous n’irons pas
loin. »
Les chevaliers avaient questionné l’Ancien à ce sujet quelques jours plus tard.
« Non, les gardes ne peuvent désactiver les Imps qu’un court instant. Il n’y a que le directeur de
la prison et le contremaître, qui peuvent les désactiver totalement, leur avait-il répondu… Si ça
leur chante, ils peuvent aussi envoyer une décharge mortelle à tous les prisonniers en même
temps. Un bouton, et tu envoies trois mille hommes dans l’autre monde. Pas mal, comme jouet.
Vous ne trouvez pas ? »
Leurs sacs déchargés, les deux chevaliers partirent se mettre en rang devant la rampe de la
barge de transport. Il leur fallait encore attendre que le convoyeur décolle, puis disparaisse au
sud, derrière la forêt, en direction de la raffinerie.
— Prisonniers, dans la barge. Ordonna le veilleur planant.
Parfait, Estéban et l’Ancien partirent s’installer au premier rang, loin du cadavre du bagnard
que les Alcidiens avaient déposé à l’entrée.
Comme la plupart des engins en service dans le camp, la barge de transport était vétuste,
rouillée, avec de nombreux trous dans sa coque. L’air sifflait dans la soute dès qu’elle prenait de
la vitesse, rendant toute conversation impossible. Depuis la mine, le trajet ne durait que cinq
minutes. Il durait plus d’une demi-heure depuis la jungle et les zones de coupe.
Arrivée au dessus du camp, la barge se plaça en position d’attente, ses suspenseurs
vrombissants. Chaque soir, le ballet était bien réglé. Une barge ne se posait sur le terrain
d’atterrissage que lorsque les bagnards de la barge précédente passaient la seconde grille du
camp. Il y avait quinze barges en tout, qui contenaient chacune les occupants d’un baraquement
entier, soit deux cents hommes.
Par l’étroit bandeau extérieur, Estéban remarqua Hraald le conquérant qui pénétrait dans
le camp à la tête des autres bagnards de son groupe. Les deux Alcidiens veillaient à croiser
l’ancien roi Zorgos le moins possible. De la même façon, ils l’avaient évité durant leur périple
jusqu’à Terménès. À quoi bon multiplier les harangues et les menaces inutiles. Et, si Estéban
continuait de sentir quelque chose en lui se durcir en apercevant la stature du barbare, il savait
-9-
que ce dernier les ignorait totalement. Dans le camp, Hraald bénéficiait d’un traitement de
faveur. Jamais il ne recevait de décharge d’imp, même quand il élevait la voix. Parce que les
Zorgos restaient malgré tout les alliés des Thêets ? Parce qu’il s’agissait d’un roi, même s’il
avait été déchu de sa couronne ? Parce que des hommes à lui, une petite délégation, venaient le
voir de temps en temps, lui apportant des cadeaux, arrosant les geôliers au passage ?
Le bruit courrait même que cette faction zorgos, dirigée par les anciens clients du roi,
multipliait les tractations avec le pouvoir Thêet afin de le faire libérer, jugeant sa situation
indigne d’un homme de son rang.
La barge se posa, la porte de la soute s’ouvrit, bascula jusqu’au sol avec un grincement
effroyable. Depuis le rebord de la barge, Parfait salua de loin le Major de la Ligue qui se
trouvait assis en haut des marches de son baraquement. Le Major le salua en retour. Parfait avait
fait sa connaissance quelque mois plus tôt, sur une zone de coupe. Si les prisonniers de guerre
ne se mélangeaient pas aux bagnards et n’étaient pas soumis aux travaux forcés, il leur fallait
quand même faire le plein de bois de temps en temps pour entretenir leurs baraquements. De ces
baraquements, il s’en construisait régulièrement de nouveau. Le flux des soldats de la Ligue ne
se tarissait pas.
La Ligue, ainsi appelait-on désormais la force qui faisait front à l’Empire Thêet. Cette force
réunissait plus d’une vingtaine de systèmes solaires. Au dire du Major, la Ligue avait même
réussi à pénétrer dans la poche de Galamu par le couloir des Sept Temps. Les Calixtes, anciens
ennemis des Alcidiens, étaient ainsi venus renforcer leur camp. Le Major leur avait également
affirmé que l’Alcidie libre était sur le point de se rallier à eux. Parfait avait beau faire, il avait du
mal à imaginer les soldats alcidiens avec l’uniforme rouge sombre, orné sur le devant du
plastron d’un cercle blanc cerné d’étoiles, des soldats de la Ligue.
La longue colonne des bagnards, alignés par cinq, s’arrêta après avoir passé la première porte
du camp. La seconde grille s’ouvrit. En silence, les prisonniers défilèrent sous les yeux du
contremaitre. Comme tous les soirs, chaque homme pouvait sentir peser sur sa nuque, à un
moment ou à un autre, son regard scrutateur. Le contremaître du camp était un homme au front
lisse et haut, aux cheveux courts, aux petits yeux froids plantés de part et d’autre d’un nez
minuscule. Son long visage se terminait par un menton fuyant. Jamais il n’élevait la voix. Et sa
politesse, dont il usait même avec les bagnards, tranchait avec le langage grossier des geôliers.
C’est pourtant bien de lui, dont il fallait se méfier. Lui, qui depuis son bureau, avalisait une
requête de décharge d’imp. Lui, qui, pour l’édification des bagnards, laissait de temps en temps
un prisonnier aller au suicide. Lui, encore, qui, moins d’une heure plus tôt, avait ordonné la
mort du nouveau venu. A lui seul, il catalysait la haine des bagnards. Plus que tout, c’est son
hypocrisie qui révulsait les chevaliers. Et défiler sous ses yeux chaque soir, pour Parfait aussi
bien que pour Estéban, était bel et bien le pire moment de la journée. D’autant plus qu’il fallait
baisser la tête, éviter de croiser son regard. Par souci d’économie, toujours. Car, sinon, vous
pouviez être sûr que la pire des corvées vous attendait le lendemain.
La deuxième grille se referma. Une sorte de frémissement couru le long des rangs. Jusqu’ici
bien ordonnés, ceux-ci se délitèrent. Certains prisonniers ralentirent le pas, tandis que d’autre au
- 10 -
contraire, accéléraient. Des groupes se formèrent, laissant par endroit des hommes isolés.
Estéban et Parfait remontèrent par la droite la longue travée qui distribuait l’ensemble des
dortoirs. A la suite l’un de l’autre, ils pénétrèrent dans la fournaise de leur baraque, se hâtèrent
de récupérer leur serviette puis ressortirent par une porte latérale et marchèrent jusqu’à la
cabane, basse et tout en longueur, où se trouvait les douches. Ils se déshabillèrent côte à côte à
l’entrée, ramassèrent leur tenue et les jetèrent sur le comptoir en bois derrière lequel se
trouvaient les deux « mignons » du contremaitre. Les chevaliers s’éloignèrent jusqu’à un
emplacement libre, accrochèrent leurs serviettes au dessus du tuyau d’eau qui distribuait toute la
cabane et s’avancèrent sous la douche froide.
En dix mois de travaux forcés, les corps des deux chevaliers s’étaient métamorphosés,
alourdis de nouveaux muscles. Leurs épaules, surtout, s’étaient développées, renforcées, tandis
que des veines saillaient sur leurs mollets. Soldats, ils avaient toujours considéré leur corps
comme une arme potentielle, aujourd’hui, ils ne le considéraient plus que comme un outil, outil
qu’ils entretenaient, affutaient et nourrissaient avec le plus grand soin. Peu importe ce qui se
trouvait dans leur gamelle, ils en ingurgitaient le contenu jusqu’à la dernière miette.
Deux uniformes propres les attendaient à la sortie sur le comptoir. L’un des mignons, il
s’appelait Athis, tendit son uniforme à Parfait en accompagnant son geste d’une oeillade
énamourée. Le chevalier s’appliqua à ne pas la remarquer et commença à se vêtir. De tissu
grossier et de couleur marron, la tenue des bagnards ne consistait qu’en un haut à manche courte
et au col évasé, accompagné d’un bas ample et informe. Seul signe distinctif, un losange de
couleur orange se trouvait cousue dans le dos des chevaliers. Il correspondait au sigle de leur
baraquement.
— Alors, Athis a toujours le béguin pour toi ? Questionna l’Ancien en croisant les chevaliers à
la sortie de la cabane.
— Il le dévore des yeux, plaisanta Estéban.
— Méfie-toi de ne pas te retrouver seul en tête avec lui. Rajouta encore l’Ancien avec un grand
éclat de rire avant de pénétrer dans les douches.
Parfait haussa les épaules. Il n’aimait pas ça. Bien sûr, il aurait pu envoyer paître le jeune
homme. Seulement, à chaque fois qu’il était en leur présence, les paroles de l’Ancien
concernant le sort qui était réservé aux « mignons » du contremaître continuaient de résonner à
ses oreilles.
« Notre contremaître n’aime pas les femmes, leur avait-il expliqué un jour. Il éprouve même
pour le beau sexe de la répulsion. Alors, de temps en temps, il pioche parmi les nouveaux
arrivants les plus jeunes. Ses mignons sont dispensés de travaux forcés. Ils se contentent
d'accomplir de menus tâches dans l'enceinte du camp. Tant qu’ils restent sous sa protection, ce
sont des petits rois... Le hic, c’est qu’il finit par s’en lasser.»
« Tu veux dire qu’il les renvoie avec les autres ? Avait questionné Estéban »
« Exactement. Autant dire que les moutons sont renvoyés aux loups. Inutile de vous faire un
dessin sur ce que les bagnards leur font subir. À la mine, sous les douches ou dans la jungle. Ils
ne survivent jamais bien longtemps. Et j'en ai déjà vu plus d’un se suicider !»
- 11 -
Voilà pourquoi, plus que la répulsion qu’il éprouvait pour les avances du jeune Athis, ce qui
gênait Parfait, c’était de voir à chaque fois en lui un mort en sursis, qui, sans le savoir, s’en allait
vers les pires souffrances.
« Et le directeur, avait-il demandé un jour à l’Ancien. Il n'intervient pas ? »
«Mais, le directeur n’est qu’une potiche ! S’était exclamé l'Ancien. Il demande la permission
pour sortir de son bureau. Non, vous pouvez me croire, c’est le contremaître qui dirige ce camp.
C’est lui le maître de Terménès ! »
C’est vrai qu’en dix mois, les chevaliers n’avaient aperçu le directeur qu’une dizaine de fois.
Toujours aux côtés du contremaitre. Ou plutôt dans son ombre, tant il semblait s’effacer devant
lui. La dernière fois, cela avait été lors de la punition d’un bagnard. Ce dernier avait fait tomber
un geôlier du haut de sa plateforme. Tout le camp avait été réuni sur le terre-plein central pour
assister au châtiment qui avait consisté en une trentaine de décharges successives, d’une
seconde chacune et d’intensité variable. Le bagnard leur avait offert un spectacle grotesque,
tantôt hurlant, bondissant, se tordant ou se roulant par terre au milieu des geôliers qui
l’encerclaient et appuyaient tour à tour sur leur commande. Il s’était même, tel un animal pris au
piège, griffé la nuque jusqu’au sang. Blafard, le directeur avait semblé sur le point de défaillir. Il
avait disparu aussitôt après la dernière décharge.
« Vous avez vu, il nous présente toujours le même profil ! » S’était amusé l’Ancien.
Car le directeur n’avait pas d’avant bras droit. De ce côté, sa main était directement greffée à
l’extrémité de son coude.
De retour dans le baraquement, Estéban partit s’asseoir sur sa couche. Moric était en train de
rouler la couverture du prisonnier qui venait de mourir. Le bagnard ramassa ensuite les quelques
affaires personnelles qui se trouvaient sous le lit. Il tomba sur un cadre, qu’il observa quelques
secondes avant de le tendre en direction du chevalier.
— T’as vu ?
La photo à l’intérieur du cadre représentait une petite maison en bois plantée sur pilotis, isolée
au milieu d’un marais. Estéban avait vu plusieurs fois le bagnard avec ce cadre dans ses mains,
il l’avait même vu chuchoter à son adresse.
— Ce devait être chez lui ! Finit-il par lâcher, haussant les épaules.
— Tu parles d’une cage à poule, rigola Moric en finissant d’arranger les affaires sur le drap
dont il noua ensuite les coins pour en faire un baluchon qu’il jeta sur son épaule.
Estéban le regarda s’éloigner. Moric était arrivé en même temps qu’eux. C’était un homme
d’une cinquantaine d’année, toujours de bonne humeur. Il prétendait que sa vie d’avant, au côté
de son épouse, avait été un enfer à côté de celle du bagne.
« C’est bien pour ça que j’ai fini par la tuer, leur avait-il expliqué un jour, pendant le dîner. »
Devant Estéban, le va et vient des bagnards entre le baraquement et les douches continuait.
Est-ce que c’était à cause du mort ? Ou à cause de la photo, au décor pathétique, que ce dernier
avait révéré en secret le temps de se courte vie dans le camp ? Le chevalier se sentait d’humeur
sombre. À chaque fois que cela lui arrivait, c’était comme si une chape de nuages noirs
s’abattait sur lui, lui bouchant l’horizon. En ces moments seulement, il mesurait toute
- 12 -
l’immensité qui les séparait, lui et Parfait, du royaume d’Alcidie. Une sensation désagréable au
ventre, une sorte de vertige, accompagnait cet état d’hyper lucidité.
« Ma vie est ici ! » Commença-t-il à se répéter, refusant de se laisser aller.
« Ma vie est ici ! » Martela-t-il encore.
Parfait arriva, arrangea sa serviette contre le mur au dessus de sa couche.
— J’ai l’impression qu’on va bientôt avoir une nouvelle fournée de prisonniers de la Ligue.
Les soldats ont pratiquement fini la construction du nouveau baraquement.
Le camp des prisonniers de guerre faisait face à celui des bagnards, ils n’étaient séparés que
par la centaine de mètres du terrain d’atterrissage.
Estéban hocha la tête. De nouveaux soldats, cela signifiait des nouvelles fraiches sur le conflit
qui faisait rage dans l’univers de Sars. Inutile, toutefois, d’espérer en savoir plus sur le royaume
d’Alcidie. La plupart des soldats de la Ligue qui débarquaient ici étaient des ourgondes, qui,
tout comme le Major, venaient du système de La Hache, à deux semaines de vaisseau de
Terménès. Ce qui se tramait dans la poche de Galamu n’était, et c’était bien compréhensible,
pas au centre de leur préoccupation.
Parfait s’allongea sur sa couche, glissa un bras sous sa nuque, l’autre sur ses yeux. Il leur
restait encore une heure avant le repas du soir. Et deux jours avant le jour de repos.
Ce jour de repos, auquel ils avaient le droit chaque fin de semaine, les avait tout d’abord
surpris.
« Eh ! Leur avait expliqué l’Ancien. Mais c’est que contrairement aux apparences, le but des
geôliers n’est pas de nous crever à la tâche. C’est qu’ils ont des quotas à respecter sur la
production de beaurithe, de bois. Et des primes à gagner s’ils les dépassent. »
Voilà pourquoi on les laissait reprendre des forces.
Estéban s’allongea à son tour, croisa ses jambes l’une sur l’autre.
Le visage d’une jeune femme se forma dans son esprit. Brune, aux cheveux bouclés.
Pour éviter que la tension ne monte trop dans le camp, les femmes des villages voisins
venaient rendre visite aux bagnards les jours de repos. L’une d’entre elle, elle s’appelait Laïa,
avait jeté son dévolu sur Estéban. Et il avait jeté son dévolu sur elle.
Parfait, quant à lui, préférait s’abstenir. Il se refusait à partager avec les gardes ou les autres
bagnards. Ni même avec personne. C’est ce qu’il avait un jour expliqué à Estéban, alors qu’il
était en veine de confidence. Orio avait compris que cela venait autant de sa nature que de son
éducation. Mais si Estéban était secrètement admiratif de sa droiture, certains bagnards s’étaient
aventurés à se moquer de lui à ce sujet. Toujours à leurs dépens !
Estéban croisa ses deux mains derrière sa nuque.
Non, pas de doute, leur vie était bien là.
- 13 -
Chapitre II
— Vaisseau de transport de marchandise Cedula III, demande l’autorisation
d’apponter ?
A son poste dans la tour de contrôle du port orbital, le sergent Thêet observa la masse de métal
au ventre proéminant sur son écran. Il l’avait déjà détécté depuis 24h. Deux heures plutôt, il
l’avait passer à la banque de donnée, afin de vérifier si son nom, son numéro de matricule et son
type correspondait. On ne laissait pas n’importe quel vaisseau s’approcher de la planète
Terménès.
— Autorisation accordée, répondit-il après avoir effectué une ultime vérification. Veuillez
vous diriger vers l’appontement trois… Tenez-vous prêts pour inspection… Nous vous
rappelons que vous ne pourrez pas quitter votre vaisseau avant le résultat des contrôles
d’identités du personnel de bord. Cela devrait prendre 24h.
— Bien reçu, tour de contrôle.
L’officier se pencha de nouveau vers son micro, mais changea de commande.
— Sergent Phydris, veuillez vous rendre avec votre équipe à l’appontement trois. Nous
attendons votre rapport.
— Bien reçu, capitaine.
Depuis son poste, l’officier sélectionna ses écrans afin de vérifier la manœuvre du pilote du
vaisseau de marchandise, prêt à tout moment à le repousser à l’aide du champ d’onde
magnétique.
— C’est un bon, celui-là !...
Murmura-t-il pour lui-même. Car la manœuvre, pourtant peu évidente, avait été réalisé d’une
main de maître, sans à coups et avec une précision peu ordinaire.
— … Faudra que je jette un coup d’œil à son cv. Ca m’étonnerait qu’il n’ait pas piloter autre
chose qu’un vaisseau de transport.
Le capitaine jeta un coup d’œil sur l’écran du bas. Déjà, le marin du port avançait le sas
mobile. Depuis la tour de contrôle, le capitaine entendit le clang que fit l’aimant en se fixant à la
coque. A la poupe et à la proue du navire, les deux bras d’appontement du quai se déployèrent
jusqu’aux points d’ancrage du navire. Une fois les bras verrouillé, le marin du port avança
l’adaptateur du sas et l’ajusta à la porte passager du navire. Une fois ajusté, il enclencha le
déprésurisateur, insuflant de l’air dans le vide du sas, puis, attendit quelques secondes
l’étanchéité du montage. Il glissa enfin par-dessus le tout une membrane de sécurité, qui, si elle
n’était pas à toute épreuve, permettrait au moins, en cas de problème, d’évacuer le sas en
urgence. Après un dernier coup d’œil à son panneau de contrôle, le spaçin se retourna vers le
sergent.
— Accès au vaisseau sécurisé, sergent.
- 14 -
En même temps, la porte du sas s’ouvrit en grand. Le sergent acquiesça et remonta la rampe
jusqu’au sas, suivi de la dizaine d’hommes qui composaient son équipe. Ils avaient décollé de
Terménès quelques heures plus tôt. Ce n’était pas tous les jours qu’un vaisseau abordait sur la
planète Terménès. La première planète habitée se trouvait à cinq jours de vaisseau de là.
Le couloir d’insertion faisait une trentaine de mètres de long. Le second arriva à la porte du
vaisseau, actionna le levier d’ouverture. Celle-ci s’ouvrit en coulissant vers le haut. L’équipe
entra dans le sas d’insertion du vaisseau qui devait faire une dizaine de mètres de long pour
quatre de large. La porte se referma derrière eux, jusqu’à ce que le joint étanche se gonfle avec
un chuintement aigu. Enfin, la seconde porte du vaisseau s’ouvrit. Le capitaine s’enfonça
aussitôt dans la coursive exigüe et déboucha dans le plat bord. Le capitaine fronça les sourcil, un
seul homme se trouvait à l’intérieur.
— Je vous rappel que tout l’équipage de votre vaisseau doit se trouver dans cette pièce afin de
finaliser notre contrôle.
L’homme se racla la gorge, il était massif, avec un visage épais, deux yeux noirs. Lui aussi,
tout comme le capitaine, semblait de mauvaise humeur.
— Nous ne sommes que deux, finit-il par répondre l’homme. Moi et la comtesse ! Continua-til encore, comme avec dégout.
Le capitaine masqua sa surprise, même s’il savait que la plupart des tâches d’entretien était
automatisé, et que les robots de maintenance coûtaient moins cher que des hommes de mains,
deux personnes, cela restait vraiment peu pour un vaisseau de cette taille.
— Et qui êtes vous, vous ? demanda-t-il.
— Herman
- 15 -
Téléchargement