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Après les huit mois qu’avait durée leur traversée dans l’espace, de se retrouver sur la terre
ferme, même une terre hostile, leur était d’abord apparu comme une libération. Les rares sorties
au sol qu’ils avaient pu effectuer durant leur périple, pour telle ou telle corvée, ne faisaient que
briser la monotonie du voyage. Grâce à leur sérieux, ils avaient pu gagner le droit de travailler
dans le vaisseau de transport. Encore heureux. Le pire de tout était l’inaction.
Sur Terménès, tout commençait dans la « cabine ». Celle dans laquelle on vous enfermait nu
dès que vous passiez les portes du camp. Une boite de deux mètres sur trois, basse de plafond.
On vous disait d’attendre. On vous ordonnait de vous asseoir par terre. Sans vous préciser que
c’était pour éviter que vous vous blessiez en tombant. Et vous vous réveilliez six heures plus
tard, avec mal au crâne et un implant greffé à l’arrière de votre nuque. Un gardien attendait que
vous ayez retrouvé vos esprits, puis il se campait devant vous, effleurait sa commande.
Impossible de réfréner un cri. Vos membres se raidissaient devant vous, vous sentiez vos
cheveux se dresser sur la tête. Vous saisissiez alors votre nuque à pleine main, comme pour
chercher à atteindre la source de la douleur. Mais, comment chasser ce qui venait de l’intérieur ?
« C’est l’intensité la plus faible ! Vous annonçait enfin le garde avec un sourire satisfait. La
plus forte, c’est la mort. Chaque acte de rébellion, de désobéissance, est sanctionné de trois
secondes à l’intensité intermédiaire.»
« Personne ne s’est jamais évadé de Terménès, leur avait annoncé un peu plus tard le
contremaître du camp. Tenter de s’évader, c’est mourir, avait-il continué. Faites votre travail,
tenez vous à carreaux, et nous vous laisserons tranquille.»
Mais, comment deux alcidiens imprégnés du sens de la justice, de celui de la loyauté, pour qui
faire preuve de courage était aussi naturel que n’importe quelle autre fonction vitale, auraient-ils
pu rester indifférents aux traitements que subissaient les bagnards dans le camp ? Et comment
ne pas répondre aux gardes, quand leurs ordres allaient jusqu’à l’absurdité ?
Des décharges intermédiaires, Parfait et Estéban en avaient eu leur compte. Au bout d’une
semaine, Intervenir, Résister, étaient devenus leur marque de fabrique. Quand bien même à
chaque fois ils devaient se tordre de douleur. Ils se galvanisaient l’un l’autre. Et quand l’un
subissait une décharge, il n’était pas rare que l’autre en subisse une à son tour dans les minutes
qui suivaient. C’est à cette époque, qu’on s’était mis à les surnommer « les deux !». S’en
prendre à l’un, c’était s’en prendre à l’autre. Peu à peu, ils étaient devenus le centre de
l’attention du camp. Leur résistance dépassait l’entendement. Les bagnards les plus faibles se
mettaient sous leur protection. La haine des deux chevaliers, leur sentiment de révolte se
nourrissaient de chaque décharge supplémentaire. Bien sûr, à cette cadence, ils marchaient à la
mort. Ce n’était qu’une question de temps.
Alors, l’Ancien était intervenu. C’était un homme de soixante-cinq ans, au crâne dégarni.
Seules, quelques touffes de cheveux blancs poussaient derrière ses oreilles. Au milieu des
profondes rides qui creusaient son visage, son regard gris acier étincelait d’une lucidité
extraordinaire. Sous sa peau, saillait une couche de muscles rôdés, endurcis par trente-cinq
années de travaux forcés. Enfin sa peau, noircie par le travail en plein air et par l’air vicié de la
mine, se fendillait de petites veinules roses.