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d’affrontement. Et malgré cette rigidité du mari, la femme ose lui parler et s’adresser à lui en
l’interpelant. Au début de son discours, elle attire son attention avec le verbe à l’impératif « dis » (l.1)
qui a une fonction phatique, puis elle enchaîne les questions rhétoriques et elle s’adresse à lui à la
deuxième personne, car il est directement concerné par ce qu’elle a à dire. La provocation se lit dans
le vocabulaire familier qu’elle utilise pour le choquer : «ma carcasse » (l.5), « tu me gaves » (l.10), «je
broute » (l.25). Elle va jusqu’à dire : « A ce compte-là, il fallait te marier avec ton propre portrait. Oui,
monsieur, oui », où le mot « monsieur » est utilisé de manière ironique.
La femme se révolte en critiquant son mariage et en défiant son mari. Mais elle n’est pas
seulement dans le reproche et la provocation, elle est aussi dans la revendication. Et ce qu’elle
revendique, c’est un savoir.
Pour commencer cette partie, nous allons étudier comment elle oppose la privation des
connaissances au confort matériel. Cette femme, qui était analphabète, accorde beaucoup
d’importance au savoir. Le verbe « savoir » est utilisé à plusieurs reprises dans le texte (lignes 14, 18
et 22). Elle commence par parler de « tout ce qui existe au-delà de cette porte en chêne clouté » et
regrette de n’en rien savoir (l.8-10). Plus loin, elle se compare aux va-nu-pieds qui en savent plus
qu’elle ; si elle avait été comme eux elle « aurai[t] au moins appris » quelque chose (l.13-15). Elle finit
par un constat : « Me voici à l’âge de trente-sept ans et je ne sais rien » (l.22). Le mot « rien » est
répété deux fois dans la phrase suivante de manière anaphorique et ce mot résonne comme un
reproche (l.22-23). Le mari a assuré le confort matériel de sa femme mais elle ne s’en satisfait pas.
Elle parle ironiquement du « ravitaillement dont il [la] gave » (l.10). Cette idée est reprise à la fin du
texte: « Mais je mange. Oh ! ça oui, je mange, je broute, les greniers sont pleins, l’argent coule à
flots » ; le lien logique « mais » montre l’opposition qu’il y a entre ce qui paraît bien pour l’homme et
ce qui paraît bien à la femme ; de plus, le verbe « brouter » est une métaphore péjorative qui
assimile la femme à une vache ; si le mari a assuré le confort matériel, il a fait d’elle une femme
inculte et l’a traitée comme un animal. La femme n’est pas reconnaissante envers son mari, au
contraire. On le voit dans les souhaits qu’elle exprime : « elle est à l’abri depuis toujours, alors qu’elle
voudrait avoir froid» (l.6-7) et « Cent fois oui, j’aurais préféré être un de ces va-nu-pieds que tu
méprises » (l.13). L’incompréhension entre l’homme et la femme est encore perceptible dans cette
phrase qui reprend, au style indirect libre, les paroles que le mari pourrait prononcer : « je n’ai pas à
me faire le moindre souci» (l.26) ; il s’agit bien entendu d’une antiphrase car la femme ne se
contente pas du bien-être matériel, elle se fait du « souci », elle s’interroge sur sa condition d’être
humain.
Nous allons en effet montrer que la femme manifeste le désir de se réaliser en tant
qu’individu et de construire son identité propre. Elle se demande tout d’abord si elle a une âme (l.2).
Elle en parle longuement des lignes 1 à7 par opposition à sa « carcasse » (l.5), comme s’il y avait un
dédoublement de ces deux parties de son être. En effet, l’âme semble être extérieure à elle-même,
elle semble mue d’une existence séparée de la sienne : « Que fait-elle ? », « Qu’est-elle devenue ? »,
« A-t-elle grandi elle aussi ? », « A quoi ressemble-t-elle ? ». L’âme, ainsi personnifiée, « chante » et
« danse » tandis que la femme est comparée à un instrument que l’on fait « résonner » (l.5-6). On
peut alors se demander ce qui la fait « résonner », ce qui la fait vibrer. Ce n’est pas sa vie confortable
de recluse en tout cas. Ce pourrait être de vivre dehors, confrontée au « froid ». Ce mot est répété et
amplifié par l’énumération « Et faim et soif et joie et misère et vie »; les termes mélioratifs « joie » et
« vie », qui renvoient à la vie affective, aux sentiments, sont associés à des conditions matérielles