JUILLET/AOÛT 2009 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS
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Quoi de mieux qu’un petit «quiz mammite» pour bien com-
mencer la lecture de cet article. Prenons quelques vaches
souffrant d’une infection intramammaire et analysons leur
condition ensemble:
Cocotte et Gigi présentent un comptage de cellules soma-
tiques (CCS) très élevé, alors que celui de Jojo est rela-
tivement bas;
Manouche et Jojo ne présentent aucun symptôme clini-
que alors que l’état de pauvre Toutoune semble évoluer
rapidement vers une mammite gangréneuse;
Pour Carotte, on a tenté un traitement antibiotique avec
succès, alors que pour d’autres l’infection est chronique
malgré tous les traitements.
QUESTION: QU’ONT EN COMMUN COCOTTE, GIGI, JOJO,
MANOUCHE, PAUVRE TOUTOUNE, CAROTTE ET
LES AUTRES?
RÉPONSE: ELLES SONT TOUTES INFECTÉES PAR
STAPHYLOCOCCUS (S) AUREUS
.
Comment se fait-il qu’une seule bactérie engendre une
si grande variabilité dans l’expression des signes cliniques
de toutes ces vaches? D’après des chercheurs du Réseau
canadien de recherche sur la mammite bovine (RCRMB),
différentes souches de S. aureus sont en cause. Grâce à des
techniques de laboratoire sophistiquées, on sait maintenant
que les souches de S. aureus ne sont pas toutes identiques.
En effet, le potentiel pathogène de la bactérie varie d’une
souche à l’autre. Autrement dit, la capacité à augmenter le
CCS, la contagiosité, la résistance au traitement antibiotique
ou encore la capacité à causer des infections chroniques
ou cliniques n’est pas la même selon la souche en cause
dans une infection.
Si cette information peut vous sembler banale de prime
abord, sachez qu’elle est à la base de recherches prometteuses
qui visent à trouver des solutions pour mieux contrôler la mam-
mite causée par S. aureus dans votre troupeau. La caractéri-
SANTÉ ANIMALE
Staphylococcus aureus
Connaître son
ennemi pour mieux
le combattre
PAR JEAN-PHILIPPE ROY, MARIANNE ALLARD,
FRANÇOIS MALOUIN ET JULIE BAILLARGEON*
UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA BACTÉRIE
STAPHYLOCOCCUS AUREUS
PERMETTRA DE MIEUX GÉRER CE PROBLÈME
DANS VOTRE TROUPEAU.
Staphylococcus aureus
cause des pertes économiques importantes dans la
plupart des troupeaux laitiers québécois et du monde
entier. Ces pertes sont surtout attribuables à la
diminution de la production de lait, au coût des
traitements antibiotiques contre la mammite clinique
et à la réforme hâtive des vaches atteintes.
est une bactérie contagieuse principalement trans-
mise d’un quartier infecté à un quartier sain lors de la
traite. On retrouve également cette bactérie sur la
peau des bovins et des humains, dont les trayeurs.
Les mouches peuvent propager la bactérie d’un
animal à l’autre (vecteur mécanique).
est le principal agent responsable de la mammite
subclinique chronique. On remarque souvent une
élévation marquée du CCS chez les vaches atteintes,
mais ce n’est pas toujours le cas. Certaines vaches
infectées par S. aureus présentent en effet un CCS
bas (<100 000 c/ml).
peut également causer la mammite clinique variant
de légère à sévère (aiguë), voire gangréneuse.
S. aureus était la bactérie le plus fréquemment
trouvée (13,8 % des cas), sur une période de suivi de
deux ans, dans les échantillons provenant de cas de
mammite clinique dans les 91 troupeaux collabora-
teurs de la Cohorte nationale de fermes laitières du
RCRMB.
ne répond pas efficacement aux traitements antibio-
tiques intramammaires actuellement homologués.
C’est pourquoi les traitements prolongés de cinq à
huit jours consécutifs ont été étudiés avec des taux
de guérison plus intéressants (>40 %). Consultez
votre médecin vétérinaire pour en savoir plus sur le
sujet. Les vaccins actuels sont malheureusement
inefficaces dans la prévention de l’infection.
LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS JUILLET/AOÛT 2009 33
sation et l’identification des facteurs de
virulence de ces souches permettraient
de développer de nouveaux vaccins,
traitements et outils diagnostiques.
L’ENNEMI FAIT SON NID DANS LE PIS
La capacité de S. aureus à causer des
infections intramammaires représente
un formidable exemple d’adaptation
d’un microorganisme à son environ-
nement. Voyons comment s’y prend
cette astucieuse bactérie pour coloniser
la glande mammaire.
La première étape d’une infection à
S. aureus est l’adhésion. Autrement dit,
la bactérie pénètre la glande mammaire
et s’y attache. Pour ce faire, elle exprime,
au début de sa croissance, des protéines
nommées adhésines. Celles-ci recon-
naissent les composantes de la glande,
se lient à elles et permettent à S. aureus
de s’y attacher (voir figure – partie A).
Ainsi attachée, la bactérie peut se
multiplier en toute quiétude sans
craindre d’être éliminée lors de la traite.
Comme dans une armée, c’est au
moment où les bactéries sont en nombre
suffisant qu’elles passent finalement à
l’attaque. Elles produisent alors des
facteurs de virulence, par exemple des
toxines, qui détruisent avec succès les
tissus de la glande pour en tirer des nutri-
ments et se multiplier sur d’autres sites
(voir figure – partie B).
À cette étape, le système immuni-
taire de l’animal est normalement déjà
en action pour combattre l’infection en
cours. Les symptômes apparaissent
alors et nous voilà devant une mammite
clinique. Pourtant, la plupart des mam-
mites à S. aureus sont des mammites
subcliniques ou chroniques. Comment
est-ce possible?
L’ENNEMI A UN ARSENAL BIEN GARNI
S. aureus a bien appris à développer
quelques astuces qui lui permettent de
survivre plus longuement dans la glande
mammaire. La bactérie possède une
panoplie de gènes de virulence codant
pour des facteurs qui neutralisent le sys-
tème immunitaire de la vache. Par
exemple, la protéine A et la capsule pro-
duites par S. aureus déjouent les anti-
corps et les cellules immunitaires de la
vache et les empêchent d’être efficaces.
Ainsi, S. aureus peut éviter l’action des
défenses de l’animal.
citerne
épithélium
kératinisé sphincter
canal
alvéoles
Glande mammaire
Cellules
épithéliales
alvéole
A
S. aureus
BC
D
DANS UNE INFECTION INTRAMAMMAIRE
STAPHYLOCOCCUS AUREUS
JUILLET/AOÛT 2009 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS
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La bactérie possède aussi des méca-
nismes qui lui permettent de se protéger
des antibiotiques. Ainsi, S. aureus peut
produire une matrice qu’on appelle
biofilm et qui peut entourer et protéger
les bactéries (voir figure – partie C).
S. aureus a également la capacité de
pénétrer dans les cellules de la glande
mammaire et ainsi de se cacher des
antibiotiques et du système immuni-
taire (voir figure – partie D).
L’ENNEMI EST DÉMASQUÉ
Il n’y a pas de doute, S. aureus a su
apprendre à survivre dans la glande
mammaire. La bactérie exprime des
gènes de virulence spécifiques qui,
combinés aux réactions de l’animal,
déterminent le cours de l’infection.
Dernièrement, nous avons recueilli
des bactéries de plusieurs vaches infec-
tées expérimentalement pour analyser
les gènes de virulence exprimés par
S. aureus durant la mammite. Plusieurs
de ces gènes étaient exprimés en
commun chez les bactéries causant
des mammites chroniques et représen-
tent donc de nouvelles cibles théra-
peutiques pour le développement de
vaccins et d’antibiotiques.
Nous ne connaissons pas encore tous
les gènes impliqués dans sa virulence,
mais heureusement, la recherche
continue de démystifier les secrets de
S. aureus. Grâce à ces percées, nous
connaissons de mieux en mieux notre
ennemi et nous serons bientôt mieux
armés que lui pour le combattre.
* Jean-Philippe Roy, médecin vétérinaire,
professeur adjoint, Faculté de médecine
vétérinaire, Marianne Allard, docto-
rante, Université de Sherbrooke,
François Malouin, professeur titulaire,
Université de Sherbrooke, et Julie
Baillargeon, agronome, agente de
transfert, RCRMB
SANTÉ ANIMALE
Imaginez toutes
les possibilités
Imaginez que, après avoir diagnostiqué
une nouvelle infection à S. aureus chez
votre vache Cocotte, votre médecin
vétérinaire puisse vous dire que la
souche identifiée ne répond pas aux
traitements antibiotiques, qu’elle a un
fort potentiel de contagion et qu’elle
provoque des infections chroniques.
Vous ne garderez probablement pas
cette vache et vous ne perdrez pas
d’argent en traitements inutiles. Bye
bye Cocotte!
Imaginez maintenant que votre
médecin vétérinaire soit en mesure de
vous dire que la souche identifiée
devrait bien répondre à un traitement
antibiotique, qu’elle n’est pas très
contagieuse et qu’elle ne provoque pas
une augmentation du CCS.
Possiblement que Cocotte serait traitée
et resterait dans votre troupeau.
Pensez à toutes les possibilités…
Dans le cadre du RCRMB, le
D
r
François Malouin de l’Université de
Sherbrooke et son équipe travaillent
avec ardeur pour que ces possibilités
deviennent vite réalité dans vos fermes.
Tous les producteurs laitiers canadiens
participent financièrement à ce
programme et sont engagés dans tous
les paliers de décision du RCRMB.
Pour plus d’informations et de
ressources pratiques sur la santé du
pis, visitez le www.reseaumammite.org
et abonnez-vous à notre bulletin
électronique Flash-mammite dès
maintenant.
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