consolation dérisoire de vieillir, la vie, ce n'est peut-être pas tout de même que le
bonheur » (p. 92). Il lui décrit un bonheur très limité : « un livre qu'on aime, un enfant
qui joue à vos pieds » (p. 92).
Cette vision du bonheur provoque un nouveau refus d'Antigone, fondé sur sa propre
exigence de pureté et d'absolu : « Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme
heureuse deviendra-t-elle la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudra-t-il qu'elle
fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de
bonheur ? » (p. 92).
Antigone refuse le compromis : « moi, je veux tout, tout de suite et que ce soit entier
ou alors je refuse ! » (p. 95), et elle refuse, en outre, le monde adulte qui corrompt ce
désir d'absolu « je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que
lorsqu j'étais petite ou mourir. » Elle finit par tout rejeter : « Vous me dégoûtez tous
avec votre bonheur ! » ainsi que « votre sale espoir ! » et la médiocrité « Hémon ne
doit plus pâlir quand je pâlis, s'il ne doit plus me croire morte quand je suis en retard
de cinq minutes, [ …] alors je n'aime plus Hémon » (p. 93).
Elle veut rester jeune et ne semble heureuse que lorsqu'elle se replonge dans ses
souvenirs d'enfance avec Ismène : « Une fois, je t'ai attaché à un arbre et je t'ai coupé
tes cheveux, beaux cheveux » (p. 22) ou encore avec sa Nourrice qui lui fait oublier sa
peur : « Voilà, je n'ai plus peur. Ni du méchant ogre, ni du Taoutaou qui passe et
emmène les enfants…» (p. 33). Hémon réagit de la même façon lorsqu'il refuse de
juger son père, c'est-à-dire de devenir un homme : « Je suis trop seul et le monde est
trop nu si je ne peux plus t'admirer » (p. 104) ; ce à quoi répond son père : « Regarde-
moi, c'est cela devenir un homme, voir le visage de son père en face, un jour »
(p. 105).
Donc, le thème du bonheur, qui est omniprésent dans cette tragédie, peut donc
apparaître comme paradoxal au premier abord mais son traitement révèle ensuite sa
négation à cause du fait qu'il est intimement lié au désir d'absolu, inconciliable avec la
vie réelle et à la nostalgie de l'enfance, que l'on ne peut retrouver.
3. L'absurde
La philosophie de l'absurde, développée au XIXe siècle, consiste à prendre
conscience que la vie est absurde car elle n'a pas d'autre raison d'être que celle qu'on
lui donne en voulant vivre. L'Antigone d'Anouilh a conscience de cette absurdité, ce
qui la conduit à l'action et à la révolte, sans illusion mais sans renoncement. Elle
accepte son destin en toute lucidité mais si elle reconnaît tragiquement qu'elle ne
« sait plus pourquoi elle meurt » (p. 116), elle demande au garde de rayer ce passage
pour que « jamais personne ne sache ».
L'absurde réside ici dans le fait qu'elle semble ne pas avoir le choix comme si la
fatalité lui imposait son comportement ; seulement, ce choix est assumé en tant que tel
par Antigone par le biais de son désir d'absolu.
Cependant, le personnage semble se moquer de la philosophie de l'absurde comme
elle se moque d'Anouilh : Antigone est juste celle qui pose la question de savoir si la
vie vaut vraiment la peine d'être vécue et assume pleinement la réponse qu'elle lui