Gestion des ressources humaines dans les organisations à but non lucratif au
Maroc gage de développement de la responsabilité sociale
-Cas des fédérations sportives nationales-
Younes KOUTAYA
- Doctorant
- Equipe de recherche Management, Environnement, Education et Responsabilité
Sociétale des Organisations (MEERSO)
- Faculté des sciences de l’éducation
- Université Mohammed V Rabat.
Résumé
Si, dans le secteur marchand comme le non marchand, la gestion des ressources humaines
(GRH) a connu de larges transformations en passant d’une simple gestion administrative à
une fonction impactant la responsabilité sociale des entreprises (RSE), elle est, aujourd’hui,
au cœur des préoccupations des fédérations sportives nationales (FSN). Dans ce sens, la
présente communication a comme objectif de comprendre l’appréhension du dirigeant du
concept de la responsabilité sociale, et de voir le transfert de cette représentation dans les
pratiques de gestion des ressources humaines dans leurs FSN.
Pour ce faire nous avons opté pour une approche qualitative basée sur des entretiens semi
directifs, réalisés avec les responsables bénévoles de onze fédérations. En plus des entretiens
une analyse documentaire des rapports moraux et financiers des trois dernières années a été
menée.
Cogérant le secteur sportif avec l’Etat, ses organisations hybrides, délégataires d’une mission
de service public, sont présidé par des bénévoles qui ont une vision hétérogène de la RSE et
que les pratiques de la gestion des ressources humaines vont du rafistolage à un travail peu
structuré.
Mots clés : Fédérations Sportives nationales, organisation, gestion des ressources humaines,
responsabilité sociale.
Introduction
De nos jours, le sport au Maroc fait l’objet de nombreux débats concernant sa
professionnalisation au niveau de la pratique, des structures et même des relations régissant le
secteur et son environnement politique, économique, social et environnemental. Cette forte
prise de conscience de l’importance du secteur, émane de la place qu’il occupe dans la
dynamique de la société marocaine. Il est considéré, au royaume, comme le premier jalon
dans le processus d’édification de la société mocratique et moderne, un facteur essentiel
d’éducation, de culture, de santé publique et levier de développement humain
1
. Dans le même
sens, la constitution de 2011 incite clairement à faciliter l’accès des jeunes au sport et aux
loisirs, tout en créant les conditions propices au plein déploiement de leur potentiel créatif et
innovant. Pourtant les performances enregistrées, jusqu'à présent, ne reflètent en aucun cas ses
finalités :
- Au niveau du développement de la pratique, les statistiques affirment que seulement 1
marocain sur 6 pratique un sport régulièrement et que moins de 1% des marocains ont
une licence sportive
2
. De sa part, le haut-commissariat au plan affirme que 55,5% des
jeunes entre 18 et 24 ans ne pratiquent pas de sport. Les chiffres affirment que 76,7%
des marocains ne pratiquent jamais de sport et seulement 7,4% le pratiquent
régulièrement
3
.
- Au niveau des performances sportives le classement des athlètes et équipes
marocaines, des sports collectifs et individuels, sur la scène internationale se dégradent
depuis plus de 10 ans à l’image de l’athlétisme, du football, du tennis…
- Au niveau financier une immense faiblesse est constatée dans le financement alloué au
sport, le budget du Ministère de la jeunesse et des sports n’a jamais dépassé 0,72%. Il
a été revalorisé en 2010 à 0,78%, l’augmentation étant entièrement affectée au volet
investissement
4
.
Et pour remédier à ce déphasage, l’Etat a mis en place des contrats-programmes avec les
fédérations sportives nationales (FSN) à base d’objectifs à atteindre vu que ses organisations
sont le fondement de la dynamique sportive. Elles sont en charge de promouvoir l’éducation
par les activités physiques et sportives, de développer et organiser la pratique de ces activités.
Elles ont aussi la délégation du ministère de la jeunesse et des sports pour organiser les
compétitions sportives, définir les règles techniques et administratives propres à leur
discipline, fixer les règles relatives à l’organisation des compétitions, dans le respect des
dispositions législatives et réglementaires propres à certains domaines (violence, dopage,
pouvoir disciplinaire, règlement médical...).
Face à ses différentes missions et afin de répondre positivement aux attentes de
l’environnement externe, les ressources humaines des FSN sont contraintes de gérer des aléas
endogènes et exogènes. Ses organisations, sans but lucratif, ont la particularité de cohabiter
les salariés et les bénévoles, c’est l’une des raisons de les qualifier d’organisations hybrides.
Cette situation de gestion des ressources humaines offre des perspectives d’étude de la
responsabilité sociale, puisqu’elle renvoie à la dimension interne de la RSE.
1
Préambule loi 30-09
2
Rapport du ministére de la jeunesse et des sports marocain. Assises nationales des sports. Skhirate 2008
3
Y. SAIDI. Ministère de la Jeunesse et des Sports : Faut-il supprimer le MJS. Journal L’opinion. 4 juillet 2013.
4
Ministére de la jeunesse et des sports. Nouvelle stratégie sport du MJS. 2009-2011.
Cette dimension sociale nous incite à s’interroger, entre autres, sur la perception du concept
de la part des dirigeants bénévoles et aussi des pratiques de la planification stratégique de la
GRH, de la politique de recrutement, du plan de formation et de développement des
compétences.
Ses interrogations nous mènent vers une question plus globale. Comment les responsables
bénévoles des FSN appréhendent-ils la RSE et comment cette perception se conjugue dans les
pratiques RH ?
Ainsi, l’objectif de notre communication, consiste à étudier, par le biais d’une enquête auprès
d’un échantillon des FSN, l’appréhension des dirigeants bénévoles du concept de la RSE et
les pratiques de la gestion des ressources humaines.
Le papier est organisé en trois grandes parties : une première présente le cadre théorique
mobilisé de la littérature sur cette thématique. Une seconde décrit la méthodologie utilisée et
enfin une troisième discute des résultats.
1. Petit aperçu de la gestion des ressources humaines et de la responsabilité sociale : de la
théorie à la pratique
Au Maroc, comme dans plusieurs pays de l’Afrique du nord, l’histoire de la GRH peut être
qualifiée de récente. Son émergence date au début du siècle dernier (Baayoud et Zouanat
2011), et son évolution était influencée par des évènements phares. D’abord, le passage de la
colonisation, ensuite la privatisation et en arrivant à l’ouverture et à la mondialisation, ce qui a
façonné de manière directe le système actuel (Bakdir 2012). Et pour accompagner l’évolution
des organisations et apporter une valeur ajoutée aux pratiques managerielles, plusieurs
organisations, à but lucratif et sans but lucratif, regroupant des professionnels et des
chercheurs ont vu le jour à l’image des cabinets de conseils, des associations de psychologues
organisationnels, l’association des gestionnaires et formateurs. Aussi, la scène marocaine a
connu le lancement de plusieurs formations académiques, que ce soit dans le privé ou le
public, l’organisation de séminaires, conférences et colloques.
1.1. De la gestion des ressources humaines à la responsabilité sociale : Cadrage
théorique
Pour Strandberg (2009) « la gestion des ressources humaines est la fonction organisationnelle
qui s'occupe du recrutement, de la gestion, du perfectionnement et de la motivation du
personnel, y compris de fournir du soutien et des systèmes fonctionnels et spécialisés pour
favoriser la participation des employés ainsi que des systèmes de gestion pour favoriser le
respect réglementaire des normes liées à l'emploi et aux droits de la personne ». De leur côté
St Onge et Al (2004) et Dolan et Al (2002) affirment que c’est un ensemble de pratiques
gestionnaires des Hommes pour la réalisation des missions, des stratégies et des objectifs
organisationnels avec efficacité et efficience. D’autres auteurs comme Guérin et Wils (1992)
Amadieu et Rojot, (1996) considèrent que la fonction a évoluée d’une gestion traditionnelle,
administrative, opérationnelle, à une gestion stratégique des ressources humaines favorisant la
qualification des Hommes autant que calculateurs, intelligents, doués de bon sens dans la
recherche de leurs propres objectifs.
Ses premières définitions montrent que les organisations peuvent bénéficier longuement d’une
saine gestion de son personnel au lieu de les considérer comme étant des simples dépenses
engendrées. Autre dimension se dégage, c’est la tendance, actuelle, de la fonction pour la
stratégie organisationnelle, la planification stratégique, l’implantation stratégique ainsi que
pour l’évaluation de l’efficience et l’efficacité, multipliant, ainsi, la diversité et la complexité
des domaines d’activité de la fonction RH.
Selon Dimitri et Al (2005), les tendances de la gestion des ressources humaines s’articulent
autour de quatre axes :
- Fonction stratégique : la gestion stratégique implique des liens étroits entre les
stratégies de l’entreprise et les pratiques de G.R.H.
- Décentralisation et internationalisation : une partie de la fonction est décentralisée des
managers de proximité.
L’internationalisation des organisations les oblige à mettre en œuvre des politiques et
des pratiques cohérentes au niveau international
- Informatisation : Les systèmes d’information (S.I.) permettent un stockage de données
sur le personnel facilitant la diffusion des informations aux personnes concernées.
- La responsabilité sociale et environnementale (R.S.E.) : selon la Commission des
communautés Européennes, la RSE désigne non seulement comment satisfaire
pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir
davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties
prenantes.
Ainsi, il est clairement défini, dans les différents axes, que les ressources humaines
constituent le noyau de la dynamique organisationnelle et que l’investissement dans le capital
humain de l’organisation est un avantage compétitif durable, dans la mesure il favorise la
san et le bien-être de l’organisation. La durabilité compétitive et la performance de
l’organisation nécessitent, quant à elles, de s’appuyer sur des pratiques de gestion de
ressources humaines stratégiques et efficaces (Ulrich 1991 ; Pfeffer, 1994; Huselid;1995;
Becker et Gerhart, 1996). Ce qui conduira, entre autres, à influencer, d’une part la
performance économique et financière de l’organisation comme il l’explique Le Louarn
(2008) dans son modèle de l'escalier de la « valeur ajoutée RH» (Figure 1), et d’autre part la
responsabilité sociale de l’organisation.
Figure 1 - Modèle de l'escalier de la « valeur ajoutée RH »
Cette dernière la responsabilité sociale renvoie aux décisions et actions prises pour des
raisons qui dépassent l'intérêt économique et technique direct de la firme» (Davis1960 cité par
Laarraf 2010 p47). C'est-à-dire placer le capital humain non comme une simple source de
production mais au tant qu’acteur à satisfaire, en d’autres termes, c’est la gestion des
ressources humaines durables (Beaupré et al, 2008 ; Borter et al, 2011 ; Barthe et Belabbes,
2016). Elle consiste à procéder à la qualité des démarches entreprises avec les employés en ce
Succès à long terme
GRH
Résultats RH
Résultats organisationnels
qui concerne leurs besoins et leurs attentes en respectant l’intégrité des groupes et des
individus. Dans ce sens les organismes internationaux de normalisation ont incité les
organisations à intégrer de nouvelles approches par la diffusion de normes traçant clairement
les orientations liées aux ressources humaines. Ainsi, dans son livre vert (2001) la
commission européenne affirme que « les pratiques socialement responsables touchent
premièrement les salariés et concernent, par exemple, l’investissement dans le capital humain,
la santé et la sécurité, ainsi que la gestion du changement ».
De son côté la norme Sociale Accountability (SA) 8000 désigne l’emplocomme une partie
prenante fondamentale. « En s’ancrant dans le droit international elle mobilise une volonté de
reconnaissance universelle. Parallèlement, en utilisant des règles relatives de fixation des
revenus minimums (celui qui permet d’assumer les besoins vitaux de base comme se nourrir,
se loger, se sécuriser, s’habiller) ou l’âge minimum légal du travail (dix-huit ans ou plus si la
législation locale l’impose), elle reconnaît la nécessité d’adapter les exigences aux contraintes
locales. Par son ambition de diffuser ces gles aux entreprises transnationales et à inciter
leurs sous-traitants à en faire de même, la norme SA 8000 vise explicitement une diffusion
mondiale des règles de bonne conduite en matière de traitement des salariés, en dehors de
voies légales nationales » (Charpateau, Wiedemann-Goiran 2012).
Quant à la norme ISO 26000, elle « prescrit une vision particulière de la gestion des
ressources humaines avec un élargissement du concept de la GRH à l’externe avec la partie
sur les Droits de l’homme…une concentration de la GRH interne sur les relations et les
conditions de travail… le dialogue social et de la santé et sécurité au travail…demande d’une
inscription des pratiques de GRH au sein des communautés ». (Dubruc et Jneid, 2013, p.27
cité par SALAMEH et al 2016). Dans le même sens Lépineux (2003) dans sa cartographie des
domaines d’application de la RSE, affirme que la dimension interne de la RSE comporte huit
axes qui sont :
- Conditions de travail
- Politiques de rémunération
- Dialogue social
- Gestion des emplois et des compétences (formation, employabilité, carrière…)
- Aménagement temps de travail
- Intégration de populations fragilisées (handicapés, seniors, minorités, …)
- Respect du principe de non-discrimination (race, religion, genre, âge…)
- Anticipation et gestion des effets psycho sociaux suite aux restructurations et
réorganisations.
De ce fait, la prise en conscience, par les dirigeants, de la valeur ajoutée du capital humain
dans la performance organisationnelle favorisera l’impact des démarches de la gestion des
ressources humaines sur la responsabilité sociale des organisations. Que ce soit au
recrutement, dans la gestion de paie, dans la gestion de carrière, aux conditions de travail
l’approche sera orientée vers une satisfaction des salariés.
1.2. Pratiques GRH et responsabilité sociale des organisations sportives : naissance
obscurantiste
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