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Pourquoi une nouvelle
alliance latino-américaine ?
Unedémarchedansl’histoiredesintégrationsrégionaleslatino-amé-
ricaines
Dès l’époque coloniale, l’Amérique latine a connu des tentatives d’inté-
gration ou des modes d’association plurinationaux. Les spécialistes des
processus de régionalisation et d’intégration soulignent leur origine lointaine
« depuis la période coloniale, vaste entreprise d’intégration régionale »
en passant par la période des indépendances et l’instauration des répu-
bliques lorsque Manuel Ugarte2 proclamait en 1901 : « LAmérique latine
est une nation. »
Plus récemment, depuis la création en 1960 du marché commun
centroaméricain (SICA3), certains États ont impulsé des groupements
2 Manuel Ugarte, écrivain et politique argentin dans La nación latinoamericana, Punto de
encuentro, 1901.
3 Système d’intégration centraméricain.
2 Coopérer avec les Chiliens, les Colombiens, les Mexicains et les Péruviens...
interrégionaux (CAN4, MERCOSUR5, ALBA6) ou régionaux (UNASUR7,
CARICOM8) et même continentaux (CELAC9). Inuencé pendant une
grande partie du xxe siècle par les relations latino-américaines avec les
États-Unis, l’Union européenne (UE) devient à son tour un acteur, récent,
mais important de ce processus10.
En effet, depuis les années 1980 la CEE11, avec l’intégration de l’Espagne et
du Portugal en 1986, a renouvelé un dialogue – politique, économique
et de coopération – aboutissant en 1999 (Rio) à l’établissement d’un
« partenariat stratégique bi-continental » en soutenant, par des accords
de coopération, la démocratisation du continent12 et certains processus
d’intégration régionale existants13.
Ces processus engagés dans un continent offrant un paysage
contrasté niveau inégal de développement, diversité des modèles éco-
nomiques, asymétrie démographique, disparités socio-économiques ou
concernant la vie quotidienne, autant de marqueurs de la diversité de ses
modèles culturels – obéissent à des logiques préalablement politiques
mais aussi à des logiques économiques, commerciales, culturelles,
de coopération, de sécurité, etc.
La stratégie politique adoptée « par le haut » ou « par le bas » agrège
pleinement, partiellement (ou non) des acteurs publics et privés et, selon
le cas, suscite une organisation « de proximité » ou un management
4 Communauté andine des nations.
5 Marché commun du Sud.
6 Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique.
7 Union des nations sud-américaines.
8 Communauté caribéenne.
9 Communauté d’États latino-américains et caraïbes.
10 L’Amérique latine « la plus riche expérience du monde en matière de régionalisme, connait
des vagues de création de groupements régionaux. Ces processus se superposent,
s’enchevêtrent, tissant un patchwork complexe. » Olivier Dabène, « La quatrième vague de
régionalisme », in Savoir n° 24, pp. 64-96, AFD, 2014. « L’Amérique latine : un régionalisme
sans effet », Presses de Sciences Po, 2008.
11 Communauté économique européenne.
12 En effet, en Amérique latine, dès les années 1980, la n des dictatures militaires est perceptible.
13 Georges Coufgnal et Alfredo Benites ont analysé le dialogue politique et les relations de
coopération de l’UE avec 18 pays latino-américains et avec 3 de ses groupements régionaux.
« Enjeux du développement en Amérique latine », AFD, 2011.
Pourquoi une nouvelle alliance latino-américaine ? 3
souvent bâtisseurs ou dans tous les cas, ajustés à la mise en place de
nouvelles institutions et de commissions plurinationales14.
LAP, dans un contexte de mondialisation15, s’insère au début du x xie siècle
dans ce vaste mouvement latino-américain d’intégration et devient
le processus plurinational d’intégration le plus récent (voir gure 1.1).
En outre, en rassemblant de plus en plus de pays observateurs issus de
tous les continents, l’AP suscite déjà un intérêt international important.
Figure 1.1 Les pays de l’Alliance du Pacique
14 Olivier Dabène, « Amérique latine : un régionalisme sans effet », Presses de Sciences Po,
2008.
15 Contexte de mondialisation se caractérisant par : l’internationalisation des échanges
commerciaux, les accords de libre-échange, l’internationalisation des entreprises et la circu-
lation des ux nanciers. « C’est le continent latino-américain qui s’inscrit dans le phénomène
quasi-général de régionalisation commerciale de la planète ». Christophe Reveillard l’analyse
dans « Les système d’intégration latino-américain et européen : différences géopolitiques,
spécicités régionales et processus de mondialisation », in Géostratégiques, n° 11, février 2006.
4 Coopérer avec les Chiliens, les Colombiens, les Mexicains et les Péruviens...
1.1 Une volonté commune
dans un monde changeant
Parmi les facteurs essentiels ayant amené ces quatre États (le Chili,
la Colombie, le Mexique et le Pérou) à fonder l’AP, interviennent leur
proximité politique, la similitude de leurs modèles économiques et enn
leurs politiques commerciales. Face à une économie mondialisée,
« l’association est un besoin16 » ; c’est par ailleurs l’axe stratégique de
la Déclaration de Lima, le point de départ politique de cette intégration.
Le regard porté sur les initiatives d’intégration latino-américaine lancées
ou relancées depuis 1960 a permis d’apprécier les avancées mais
aussi la complexité des engagements politiques de certains États,
les dysfonctionnements administratifs ou les décisions, parfois incohé-
rentes, au regard de l’intérêt commun d’un groupement17.
Parmi les analyses décryptant les institutions et leurs missions,
certaines mettent en relief l’inexistence – dans les groupements latino-
américains – d’une instance ou d’une organisation supranationale
représentant l’intérêt commun du groupement. Dans cette analyse
« européaniste », lorganisation des groupements latino-américains est
comparée avec celle, certes singulière, de la CEE (créée en 1957 et deve-
nue l’UE depuis 1982) dans laquelle la commission européenne est
l’institution qui a pour mission première de représenter les intérêts
communautaires des États membres.
D’autres analyses expliquent comment les négociations engagées
unilatéralement par des États membres d’un groupement ont questionné
la cohérence même de celui-ci. Cest le cas de la CAN dans laquelle deux
États membres (le Pérou et la Colombie) ont signé séparément des accords
16 Dans la Déclaration de Lima est aussi indiquée la volonté des parties signataires de « concer-
tation, convergence et de dialogue politique […] pour offrir une plateforme d’intégration
cohérente et pragmatique. » Cette Déclaration porte également la signature du Panama
considéré alors comme « le premier pays observateur en processus d’intégration. »
17 Christophe Reveillard explique comment l’intégration latino-américaine suit une évolution qui
lui est propre avec des principes de gouvernance et parfois des incohérences politiques
qui lui sont aussi propres. « Les systèmes d’intégration latino-américain et européen :
différences géopolitiques, spécicités régionales et processus de mondialisation », in Géo-
stratégiques, n° 11, février 2006.
Pourquoi une nouvelle alliance latino-américaine ? 5
bilatéraux de libre-échange avec l’UE en 2012, entraînant alors une vive
réaction de la part de l’Équateur et surtout de la Bolivie qui a donc demandé
son adhésion au MERCOSUR.
Enn, sur l’appartenance à un groupement d’intégration, la superposition
et l’enchevêtrement des États mettent parfois en relief l’existence de
groupements à « géométrie politique et intérêts variables » suscitant même
des conversions ou des mutations d’envergure stratégique. Cest le cas du
Venezuela qui décide de se retirer de la CAN pour formellement adhérer
au MERCOSUR dès le 31 juillet 201218.
Les parcours « en dents de scie » des divers processus d’intégration et
notamment leurs superpositions, leurs dysfonctionnements ainsi que leurs
incohérences politiques ou institutionnelles ont certainement inuencé
la décision politique d’impulser un nouveau groupement.
Initiée par quatre chefs d’État, l’AP se veut par ailleurs « cohérente, prag-
matique, concrète et ouverte », prenant en considération les enseignements
des expériences d’intégration existantes au sein du continent latino-
américain19.
Ces dés denvergure ne sont cependant pas exempts de critiques.
Dans le contexte des intégrations latino-américaines, pour les États
fondateurs de l’AP, la perspective de « construire un espace d’intégration
profonde » est à la fois « fondamentale et [constitue] un dé ». En effet,
ce concept recouvre plusieurs domaines : un espace de libre circulation
de biens, de services, de personnes et de capitaux ; lensemble soutenu par
la création d’un marché commun entre ses États membres.
Toutefois, ce sont les orientations commerciales de l’AP vers l’Asie-Paci-
que qui justient, pour ses États fondateurs, lambition d’une ouverture
stratégique d’ampleur.
En effet, renforçant lévolution des échanges commerciaux (singulière-
ment depuis deux décennies entre l’Arique latine et l’Asie, et parti-
culièrement avec la Chine), cette orientation formalise opportunément
18 Depuis 2006, le Venezuela a sollicité son adhésion au MERCOSUR. Toutefois jusqu’en 2012,
un de ses États membre (le Paraguay) bloquait cette démarche.
19 Manuel Montobbio, « ¿Hacia la convergencia de América latina? Los retos del desarrollo »,
in ARI, 17 octobre 2013 et Georges Coufgnal, « L’Amérique latine sur la scène interna-
tionale », La Documentation française, 2012.
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