La racine, organe d’interface entre la plante et le sol Maïté Vicré-Gibouin, Barbara Plancot, Marc Antoine Cannesan, Nguema-Ona Éric, Marie-Laure Follet-Gueye, Azeddine Driouich Introduction : les fonctions cachées des racines Le système racinaire, bien que constituant la partie cachée des végétaux, est une composante essentielle pour la vie de la plante (Barlow 2003). Les racines assurent plusieurs fonctions vitales et permettent principalement la nutrition en eau et en éléments minéraux ainsi que l’ancrage du végétal dans le sol. Par ailleurs, les racines sont le lieu de synthèse de phytohormones transportées vers les parties aériennes qui conditionnent la réponse de la plante entière aux stress. Le système racinaire est une structure clé dans les interactions plantes-micro-organismes intervenant dans la protection de la plante contre les stress biotiques et abiotiques. Ces différentes fonctions sont attribuées à des régions précises de la racine. Les méristèmes sont responsables de l’élaboration des nouveaux tissus racinaires, tandis que l’accroissement en volume des cellules a lieu dans la zone d’élongation. L’alimentation en eau et en sels minéraux se fait dans des cellules différenciées en poils absorbants dans la zone pilifère (Jones and Dolan, 2012). La coiffe racinaire située à l’extrémité de la racine est un organe vital permettant d’orienter la croissance racinaire en fonction des conditions environnementales (Barlow, 2003). Darwin (1880) avait déjà souligné dans son livre l’importance de la coiffe racinaire agissant comme le « cerveau » de la plante. La coiffe est également à l’origine de la formation de cellules particulières appelées « cellules bordantes », véritable interface physique, chimique et biologique entre la racine et le sol (Hawes et al., 2000 ; Driouich et al., 2010). Interactions racines-microorganismes telluriques 6 Les racines sont en permanence en contact avec une flore microbiologique diverse et variée incluant bactéries, champignons, oomycètes, virus et nématodes (Bais et al., 2004). Certains de ces micro-organismes du sol sont bénéfiques pour la plante tels les champignons mycorhiziens ou les bactéries symbiotiques, améliorant la nutrition de la plante, favorisant sa croissance et sa défense. La racine est également confrontée à de nombreux microbes entrant en compétition visà-vis des ressources nutritives du sol ou susceptibles d’engendrer des maladies dommageables à la plante. La sécrétion d’exsudats racinaires dans le sol permet de stimuler ou d’inhiber le développement de ces agents microbiens telluriques et régule fortement la composition de la microflore de la rhizosphère (Walker et al., 2003 ; Berendsen et al., 2012). Les exsudats racinaires jouent donc un rôle considérable dans le maintien de l’équilibre entre les différentes communautés du sol, ce qui se répercute sur la santé de la plante entière et par voie de conséquence sur le rendement des cultures. La réponse immunitaire des racines Les systèmes de défense immunitaire des racines contre les agressions des pathogènes ne sont pas complètement identifiés et peu d’informations sont disponibles concernant la réponse aux éliciteurs tels que les MAMPs (Microorganisms Associated Molecular Patterns) au niveau racinaire (Attard et al., 2010 ; Millet et al., 2010). L’hypothèse longtemps retenue était que le système racinaire devait essentiellement avoir recours à des stratégies de protection constitutive (ex : paroi cellulaire plus imperméable). En effet, les racines étant constamment exposées aux microorganismes du sol, une trop grande stimulation du système immunitaire serait trop coûteuse en énergie pour la plante et se ferait aux dépens de la croissance racinaire. Toutefois, il a récemment été démontré que des éliciteurs bactériens (flagelline 22 et peptidoglycanne) induisent dans la racine d’Arabidopsis thaliana une réponse immunitaire très localisée (Millet et al., 2010). Les auteurs suggèrent que cette réponse aux MAMPs se trouve ainsi restreinte aux zones les plus vulnérables de la racine, afin de limiter le coût éner- gétique pour la plante. Des études récentes soulignent des réponses tissus-spécifiques des racines aux pathogènes (Cannesan et al., 2011). Des cellules « sentinelles » à la frontière racines-sol La majorité des plantes libèrent dans la rhizosphère des milliers de cellules isolées appelées « cellules bordantes ». Lors de leur détachement de la coiffe racinaire, les cellules bordantes constituent un « tissu » à part entière comprenant des cellules isolées les unes des autres et incluses dans un épais mucilage (Hawes et al., 2000). Les cellules bordantes de racine ont longtemps été considérées comme des cellules mortes se desquamant de la racine afin de faciliter sa croissance et protéger l’apex racinaire contre les forces d’abrasion du sol. Il est maintenant reconnu que ces cellules de racine jouent bien plus qu’un simple rôle de protection mécanique et interviennent de façon active dans la défense de la racine contre les stress abiotiques (tolérance aux métaux lourds) et biotiques (Hawes et al., 2000, 2003 ; Driouich et al., 2010). Du fait de leur position à l’interface sol-racine, ces cellules agissent comme de véritables cellules sentinelles et sont impliquées dans de nombreuses interactions racines-micro-organismes. Non seulement les cellules bordantes sont vivantes, mais leur détachement de la racine s’accompagne d’une modification importante dans l’expression des gènes par comparaison avec les cellules de coiffe (Brigham et al., 1995 ; Wen et al., 2007). Ces cellules de racine sont particulièrement impliquées dans la protection contre les pathogènes et sont spécialisées dans la synthèse de molécules antimicrobiennes comme par exemple des glucosidases chez le pois (Pisum sativum) ou de la shikonine, une molécule aux propriétés antibiotiques, chez Lithospermum erythrorhizon. Par ailleurs, des travaux décrivant des interactions entre cellules bordantes et micro-organismes (bactéries, nématodes, champignons) révèlent des comportements différents suivant le génotype de la plante et celui des micro-organismes (Goldberg et al., 1989 ; Hawes et al., 2000). Notamment les cellules bordantes influencent les mécanismes de chimiotactisme et d’adhésion de bactéries, de nématodes, de champignons ou d’oomycètes. Par exemple, des cellules bordantes de pois sont capables d’attirer des nématodes afin de les immobiliser et de les empêcher d’accéder aux cellules de la coiffe (Hawes et al., 2000). Cellules bordantes de pois : nouveau modèle d’étude pour les interactions racines-micro-organismes Le pois constitue le modèle d’étude le plus utilisé pour élucider le rôle des cellules bordantes vis-à-vis des micro-organismes telluriques (Gunawardena et al., 2005 ; Curlango-Rivera et al., 2010 ; Cannesan et al., 2011). Plus d’une centaine de protéines sont sécrétées dans le mucilage des cellules bordantes et la présence d’ADN extracellulaire a également été mise en évidence (Wen et al., 2007 ; 2009). Chez les mammifères, il est maintenant établi que l’ADN extracellulaire des cellules sanguines (neutrophiles, éosinophiles…) contribue à la défense contre l’invasion par des éléments pathogènes. Lors d’infection, l’ADN extracellulaire forme un complexe avec les protéines et les peptides permettant de piéger les micro-organismes en les agglutinant pour pouvoir ensuite les éliminer (Wartha et al., 2007 ; Medina et al ; 2009). Hawes et al. (2011) suggèrent qu’un mécanisme similaire pourrait également exister chez les plantes. L’ADN extracellulaire présent dans le mucilage conjointement avec les protéines pourrait moduler l’agglutination et l’adhésion des pathogènes contribuant à la protection de la coiffe racinaire (Wen et al., 2009 ; Hawes et al., 2011). De plus, les cellules bordantes de pois répondent à l’infection par le pathogène Aphanomyces euteiches en augmentant leur production de pisatine, la phytoalexine majeure chez cette espèce végétale (Cannesan et al., 2011). Des cellules atypiques chez le lin et les brassicacées Les cellules bordantes ont été décrites chez la majorité des espèces végétales étudiées et leur production est finement régulée (Hawes et al., 2000). Toutefois, nous avons montré que chez les plantes appartenant à la famille des brassicacées comme le colza (Brassica napus) ou Arabidopsis thaliana, plante modèle de laboratoire, des cellules bordantes atypiques sont produites (Vicré et al., 2005 ; Driouich et al., 2007 ; Durand et al., 2009). Ces cellules présentent la particularité d’adhérer les unes aux autres et à la coiffe racinaire et ne sont jamais libérées individuellement. Pour souligner cette différence d’organisation par rapport aux cellules bordantes « classiques », nous Cellules bordantes 7 les avons baptisées « cellules apparentées aux cellules bordantes » ou « border-like cells ». Une telle organisation a été décrite plus récemment également chez le lin (Linum usitatissimum), une espèce économiquement importante pour des régions telles que la HauteNormandie ou la Picardie (Driouich et al., 2012). Tandis que la fonction des cellules bordantes dans la protection racinaire est démontrée chez le pois (Hawes et al., 2000 ; Cannesan et al., 2011), le rôle des cellules apparentées aux cellules bordantes reste méconnu. Du fait de leur position particulière, les cellules apparentées aux cellules bordantes sont particulièrement exposées aux agents pathogènes. Il est donc fort probable que ces cellules nécessitent également une défense immunitaire efficace pour se protéger et pour protéger la coiffe racinaire sous-jacente. Quelles perspectives pour la protection des plantes de grandes cultures et /ou horticoles ? La compréhension des mécanismes de défense impliqués au niveau de la racine en réponse aux phytopathogènes telluriques est indispensable pour développer à terme une protection plus respectueuse de l’environnement des plantes de grandes cultures ou des plantes horticoles contre les maladies. Les cellules bordantes de racine, impliquées dans la synthèse de molécules de défense, constituent un modèle d’étude original et prometteur pour améliorer ces connaissances. Ces cellules sont des réservoirs potentiels de molécules antimicrobiennes. Récemment, nous avons montré que des polymères pariétaux appelées arabinogalactanes-protéines, issus d’apex racinaire de pois, interfèrent avec le cycle infectieux du pathogène A. euteiches. Ainsi nous avons proposé l’utilisation de ces arabinogalactanes-protéines comme nouvelles molécules antimicrobiennes (Cannesan et al., 2012 ; Nguema-Ona et al., 2012). Ces résultats prometteurs sur l’effet des arabinogalactanes-protéines contre les pathogènes permettent d’envisager de nouvelles stratégies de lutte biologique pouvant être appliquées aux plantes horticoles ou aux plantes de grandes cultures. Références Attard A., Gourgues M., Callemeyn-Torre N., Keller H. (2010), New Phytologist 187 : 449-460. Bais H.P., Park S.W., Weir T.L., Callaway R.M., Vivanco J.M. (2004), Trends in Plant Science 9 : 26-32. Barlow P.W. (2003), Journal of Plant Growth Regulation 21 : 261-286. 8 Berendsen R.L., Pieterse C.M., Bakker P.A. (2012), Trends in plant science. 17 : 478-486. Brigham L.A., Woo H.H., Nicoll S.M., Hawes M.C. (1995), Plant Physiology 109 : 457-463. Cannesan M.A., Gangneux C., Lanoue A., Giron D., Laval K., Hawes M., Driouich A., Vicré-Gibouin M. (2011), Ann Bot 108 : 459-469 Cannesan M.A., Durand C., Burel C., Follet-Gueye M.L., Lerouge P., Ishii T., Driouich A., Vicré-Gibouin M. 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