1
Idées provisoires sur l’anarchisme :
Je n’aborderai pas ici toutes les dimensions de l’anarchisme pour laisser libre cours à
la réflexion et aux autres contributions. Ce ne sera pas un exposé sur l’anarchisme
comme corpus idéologique homogène. Pour se faire et se défaire des idées reçues
ou fausses idées et amorcer la discussion, une approche élargie de l’ensemble idéel
me semblait plus opportune et moins restrictive.
On divise souvent l’anarchisme en trois grandes tendances : l’anarchisme
individualisme, l’anarchisme communiste libertaire et l’anarcho-syndicalisme…Max
Nettlau le ramène en trois catégories: l’anarchisme communiste; l’anarchisme
éthique ou philosophique et l'anarchisme religieux de Tolstoï.
Pour ma part, j’ai préféré abordé l’idée d’anarchie à travers la question du pouvoir,
élément central de la philosophie anarchiste par-delà les cristallisations stériles.
L’idée de démocratie dans la philosophie politique anarchiste est liée
indissociablement à la création d’une vision du monde et de la vie humaine, au
cœur de l'imaginaire anarchiste.
L’anarchisme, tout en étant une théorie politique, est une éthique et un ordre
normatif intériorisé, un ensemble de notions éthiques qui règlent la vie.
1. De la nécessité de l’absence de préconception :
L’anarchisme repose sur l’idée d’absence d’ordre préétabli naturellement ou
extra socialement et sur l’affirmation que les hommes construisent eux-mêmes
leur propre monde.
L'absence d'ordre préconçu que ce soit naturellement ou
transcendentalement conduit à reporter sur la capacité créatrice des hommes,
la détermination même de l’ordre, en un questionnement illimité.
L’activité politique des hommes s’établit sur cette absence d’ordre préconçu.
La création explicite d’une institution de la société par une collectivité qui
s’institue elle-même en sera dès lors le référent central.
Toute préconception prive la société de cette aptitude à s’instituer soi-même
pour s’en remettre à un ou des démiurges, fussent-ils bons ou mauvais peu
importe, vivants ou morts.
«Dieu apparaît, l'homme s'anéantit ; et plus la Divinité devient grande, plus
l'humanité devient misérable.» Bakounine
La présence du sacré-essence de la religion-témoigne de la dépossession
originaire qui exclut de la pratique sociale.
2
Cette dépossession imposée par le sacré, par l’extériorité ou la transcendance
du législateur préside aussi à l’organisation de l’espace social.
Les reconnaissances ou la non reconnaissance de la capacité créatrice par
l’action collective déterminent le projet de société.
L’in-déterminé et l’in-fini du chaos initial, pris non dans le sens de désordre
mais dans le sens d’un vide, d’un sans -fond renvoie à l’idée d’une matrice
primordiale non préétablie, rend possible l’émergence des êtres humains
comme responsables de leurs créations et de leurs destinées.
Cela constitue le fondement de l’autonomie de l’humain.
« L'homme, comme toute chose dans le monde, est un être complètement
matériel. …l'unique créateur de tout notre monde idéal… »
1
L’in-déterminé rend possible la détermination par l’humain lui-même.
L’in-fini le positionne entre le vide, le chaos initial et sa propre finitude : sa
mort.
L’absence de transcendance renvoie l’humain à sa propre limite biologique et
lui ôte tout espoir en une vie meilleure ultérieurement qu’elle fut paradis
recouvré ou âge d’or mythique promis.
Elle renvoie l’homme à sa propre puissance créatrice : « La vie, prise dans ce
sens universel, n’est point l’application de telle théorie humaine ou divine que
ce soit, c’est une création. »
2
2. Ordre, lois et justice :
2.1 Dès lors, la notion de justice ne trouve pas sa légitimité dans un ordre
transcendant, dictée et encadrée par les tables de la Loi, ni dans de
fumeuses conjectures naturelles sur de prétendues tendances naturelles
indépassables mais dans la collectivité politique auto-instituée.
Rappelons ces quelques grands principes :
L'essence de l'homme est autocréation.
L’homme est celui dont l'œuvre ne peut lui être attribuée par nature ou
par une faute originelle ou par une destinée particulière octroyée par le
divin; il est l'œuvre de lui-même.
1
Bakounine, dieu et l’état,
2
Bakounine, fédéralisme, socialisme et antithéologisme
3
L’homme est fondement et responsable de ce qui lui arrivera…il décide
et décide à ses risques et périls, dans les limites que lui impose la nature.
2.2 La collectivité politique auto-instituée, pour espérer demeurer juste, ne
connaît d'autres limites que celles qu'elle se donne elle-même et en
permanence réinterrogées menacées par la démesure et l’orgueil des
hommes.
L'idée d'une humanité qui s'institue elle-même est donc rattachée à
l'idée d'une autocréation de l'homme et du monde ce qui implique de
s’interroger sur le rapport de domination homme/nature/culture.
2.3 A cela il convient d’ajouter que « la régulation et le contrôle de l’action
collective sont, dans les sociétés humaines, le niveau propre au
politique »
3
En cela, l’anarchisme est bien une philosophie politique.
Pour se faire, des éléments doivent être posés conjointement :
Il n’est pas de loi sociale connue ou imposée d’avance par un code
donné ou dicté par les us et coutumes ou la religion;
Il n’est pas de loi sociale valable une fois pour toute et partout ;
Il faut instaurer une loi contre les éléments chaotiques et les risques de
démesures possibles que peut porter l’humain mais ces éléments ne
rendent pas impossible le mouvement d’autocréation.
Les concepts d’égalité (économique, politique…) de liberté sont centraux
dans la dynamique d’autocréation sociale.
3. La démocratie, un processus dynamique
La démocratie n’est pas un état de chose mais un processus permanent
d’institutionnalisation, pluriel et ouvert.
Il s’agit d’un processus de création historique qui peut- être constamment
remis en question par tout un chacun des membres de la communauté. Il n’est
nullement la déclinaison d’un programme préétabli ou de tables de lois
ancestrales ou d’arguties pseudo historiques qui permettent de bloquer la
3
Eduardo Colombo, l’espace politique de l’anarchie, atelier de création libertaire, 2008
4
création en l’enfermant dans des qualificatifs dépréciatifs comme projet
utopiste, esprit de rêveurs…
La démocratie doit être le fruit de la réflexion de l’ensemble des membres
libres de leurs paroles et leurs actes.
La participation de l'ensemble des habitants à l’activité législative, gouvernante
et judiciaire ne recouvre pas un dispositif indéfini et brumeux, ou une
aspiration fumeuse dans un avenir plus ou moins proche, ou encore une
déclaration de principe inappliquée bien que constitutionnelle.
Pour ne pas sombrer dans des arguties oiseuses, la participation de toutes et
tous à l’autocréation sociale requiert des dispositifs bien réels, vivants et donc
en constante reformulation par le débat public.
En cela, l’anarchisme s’inscrit dans les mouvements sociaux qui traversent les
sociétés. Il ne peut pas être guide, éclairé ou non importe peu, ce serait
contradictoire avec le mouvement d’autocréation sociale.
C’est toute la difficulté de l’anarchisme. Certains y verront un manque
d’efficacité révolutionnaire sur le court terme peut-être mais …je laisse à
l’assemblée le plaisir d’en discuter.
Des dispositions légales qui facilitent la participation de tous :
l'égalité du droit à la parole (droit pour tous de parler devant
l’assemblée est garantie par la loi; Les lois doivent être effectivement
connues de tout le monde, que chacun puisse les voir, dans leur forme
aboutie y compris tous les présupposés qui ont fondés les décisions
finales et les discussions sur les faits importants qui ont conduit à
rendre cette loi.
Tout participant doit avoir la possibilité de proposer sa motion et de
la défendre ou au contraire d'intervenir pour en combattre une. Une
proposition peut être refusée voire condamnée pour illégalité si la
motion présentée est jugée néfaste ou incompatible avec la
constitution de la cité.
l'obligation d’exprimer clairement, de donner son opinion sur les
affaires publiques, (cela pour éviter le non positionnement…)
L’encouragement à l’expression des droits civiques : cela est le
corollaire de la proposition précédente et pourrait être étudié pour
5
ceux qui ne prennent pas parti soit par inintérêt pour la chose publique
soit par opportunisme, alors que la cité est divisée par un conflit,
Pour résumer, ce soir vous devez vous exprimer
4. La démocratie par la pluralité des opinions exprimées et entendues :
La démocratie est le régime qui se base sur la pluralité des opinions.
Sa vérité, s'il y en a une, elle la construit par la confrontation, l'opposition, le
dialogue; et elle ne pourrait pas exister si l'idée, ou plutôt l'illusion d'une vérité
acquise une fois pour toute devenait socialement effective et dominante.
Cette confrontation des opinions exige bien entendu le contrôle et la critique
réciproques les plus rigoureux ; et cette réciprocité est précisément
indispensable : chacun défend une opinion qu'il croit juste et politiquement
pertinente, et c'est pour la faire triompher qu'il critique et combat les opinions
des autres.
Elle suppose également que l’ensemble des membres se sentent en capacité de
s’interroger, de s’exprimer et de décider.
Ce qui n’est pas le cas en démocratie représentative puisque le fait décisionnel
échappe totalement aux membres de la société.
5. La démocratie et la création d’espaces publics :
La démocratie directe nécessite que soit pensée la création d’espaces publics
pour les assemblées décisionnelles mais aussi pour les lieux d’expression de la
pluralité des opinions
Qui dit espace public, présuppose qu'il y ait des affaires publiques connues et
accessibles de tous et que soit imaginé un lieu spécifique où elles sont
discutées et réglées par tous.
C’est un espace de discussion et de décision occupant, un lieu institutionnel de
première importance au cœur de la cité. La centralité du lieu est primordiale.
Il est important de prévoir un lieu, une place publique de parole et de pensée
libre pour que puisse s’exprimer tous les questionnements relatifs aux affaires
de la société, non en droit abstrait mais en parole continuelle et effective.
Rappelons-nous que l’auto-institution est permanente. La construction
démocratique se doit d’animer en continu le projet de société.
Il est important que soient pensés les espaces temps du public et de l’intime.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !