Entre-temps Cheikh Ahmadou BAMBA avait eu la douleur de perdre sa vertueuse mère, âgée
tout juste d'une trentaine d'années, résidant alors dans le village de Porokhane (Saloum) où
elle fut inhumée. Ayant retrouvé les siens, le jeune Ahmadou eut pendant les années suivantes
l'occasion de côtoyer les "grands" de ce temps fréquentant alors la demeure de son père, mais
aussi celle d'assister à des évènements dramatiques et à des bouleversements historiques
majeurs qui achevèrent d'ancrer définitivement en lui l'idée d'insignifiance et de futilité de ce
monde.
Son comportement marqué par la politesse envers les plus âgés, l'obéissance à son père, la
bienveillance envers ses camarades d'études ne manquait certes pas également de frapper par
son scrupule extrême, son attachement aux retraites, au silence, à la retenue, à tout ce qui, en
un mot, préfigurait déjà l'extraordinaire ascèse qui, plus tard, déroutera tous les esprits. Aux
avances émerveillées des Damels et autres personnalités, l'adolescent Ahmadou opposait
invariablement un refus toujours poli mais net que son entourage jugeait inexplicable.
Sa supériorité intellectuelle se manifestait également par une incroyable rapidité d'acquisition
des connaissances et une capacité de rétention hors du commun; aptitudes qui lui permirent
d'achever assez vite l'apprentissage déjà entamé du Coran et d'assimiler l'essentiel des
sciences religieuses. Cette carrure brillante jointe à une piété filiale jamais démentie, quelle
que soit par ailleurs son hostilité aux relations entre les rois et son père, le faisait tendrement
aimer de celui-ci qui lui prouva sa confiance en lui confiant nombre de charges relatives à
l'enseignement et à la gestion de son domaine.
Le jeune Cheikh versifia, durant cette période, un grand nombre d'oeuvres théologiques
léguées par les Vertueux Anciens et négligées par ses contemporains (couvrant des thèmes
aussi variés que la Théologie (Tawhîd), les Règles Cultuelles (Fiqh), la Mystique Musulmane
(Tacawuf)...) Il composa des odes d'invocation et des poèmes d'éducation spirituelle dont la
qualité étonnait plus d'un homme de lettres à l'instar de son propre père même ou du célèbre
cadi Madiakhaté Kala avec qui le Cheikh aura d'ailleurs à entretenir des joutes littéraires au
cours desquelles le génie du fameux jurisconsulte aura à s'émerveiller de la maîtrise littéraire
et de la profondeur de pensée de son précoce élève.
En ce temps, le prince Lat-Dior (m. 1886), opposé à son cousin Madiodio FALL au sujet de la
royauté du Cayor, fut chassé par les Français soutenant alors son rival et il dut se réfugier
avec sa cour chez Maba où il embrassera d'ailleurs l'Islam. C'est au cours de cet exil que Lat-
Dior eut à fréquenter Momar Anta Sali avec qui il ne tarda pas à se lier.
Quant à Maba Diakhou, conforté par ses conquêtes, il s'attaqua imprudemment au Sine dont
l'armée le défit au cours d'une bataille au cours de laquelle il trouva la mort.
Peu de temps après, son rival destitué par les autorités françaises, le prince Lat-Dior fut appelé
sur le trône du Cayor; il quitta alors le Saloum en compagnie du Cheikh Momar Anta Sali
dont il avait sollicité l'assistance dans la gestion des affaires religieuses et dans la
magistrature. Installé sur une terre dénommée Patar, Cheikh Ahmadou BAMBA vécut encore
quelques années avec son père durant lesquelles sa personnalité intellectuelle, mystique et
ascétique, déjà forte, se raffermit de par la grâce de DIEU et de Son Prophète (PSL ).
Et ce jusqu'à ce que l'inéluctable destin vint arracher Momar Anta Sali, âgé de 61 ans, aux
mains de son fils, âgé alors de 30 ans, à qui il confia à l'article de la mort, non seulement la
gestion de sa maison, mais aussi le soin de prier pour le repos de son âme.