vie de Cheikh Ahmadou Bamba LES ORIGINES DE CHEIKH AHMADOU BAMBA(1853/1883) Le Serviteur du Prophète est né en l'an 1270 de l'Hégire (correspondant à 1853/54 du calendrier romain) dans le village de Mbacké Baol fondé en 1795, sur un don du Damel Amary Ngoné, par son aïeul Maharam MBACKE (mort en 1802). Cet ancêtre éponyme fut le père de Habîb Allah grand-père de Cheikh Ahmadou BAMBA en ce sens qu'il eut avec Sokhna Anta Sali un fils du nom de Muhammad MBACKE qui sera plus connu sous celui de "Momar Anta Sali". Suivant la tradition familiale qu'était l'enseignement du CORAN et des Sciences Religieuses, Momar Anta Sali, futur père de Cheikh Ahmadou BAMBA, dut entamer ses études dans les écoles du Ndiambour , notamment à Kokki sous l'autorité du Cheikh Massamba Anta DIOP descendant de l'illustre Mukhtâr Ndoumbé. A l'issue de sa formation littéraire, Muhammad MBACKE dut, pour parfaire ses connaissances théologiques, se rendre chez un autre Cheikh éminent du nom de Muhammad SALL, résidant au Saloum dans une localité nommée BAMBA qui sera d'ailleurs celui que portera le futur enfant de Momar Anta Sali. Une fois ses études achevées, celui-ci rejoignit son village natal MBACKE où il se mit à l'enseignement; sa renommée de piété et d'érudition ne tardant pas à s'étendre, des disciples lui vinrent de partout. C'est dans ce contexte d'effervescence intellectuelle que naquit en 1853/54 le second enfant de Sokhna Mariama BOUSSO: Muhammad ibn Muhammad Ibn Habîb Allah que la Postérité connaîtra mieux sous le nom Cheikh Ahmadou BAMBA. Ayant grandit sous l'atmosphère de piété et de vertu dont irradiait sa mère, dénommée à ce titre "Jâratu-Lâh" (La Voisine de DIEU), le jeune enfant développa très tôt un sentiment religieux et une pureté morale ne pouvant s'expliquer que par une Faveur Divine particulière. Le jeune Ahmadou BAMBA fut envoyé plus tard au Jolof, chez l'oncle maternel de sa mère, le grand exégète du Coran Mbacké Ndoumbé, lorsque son père décida d'aller s'installer au village de Ndia-KANE où il avait ses racines maternelles et où il comptait poursuivre ses enseignements. Il fallut cependant au Cheikh Momar Anta Sali émigrer, quelques années plus tard, au Saloum suivant l'ordre du conquérant religieux Maba Diakhou Ba (m. 1867) qui, pour éviter les risques de représailles des céddos sur les musulmans que faisait peser sa croisade religieuse contre les souverains du Jolof , déplaçait ses coreligionnaires vers le Sud. Pendant ce temps, le jeune Ahmadou BAMBA, resté au Jolof et en âge d'entrer à l'école coranique, se fit enseigner une partie du Saint Livre par son grand-père Mbacké Ndoumbé. Il sera, par la suite, confié, à la disparition de celui-ci, à son oncle maternel, le grand érudit Muhammad BOUSSO chez qui il restera jusqu'au retour dans le Jolof du conquérant Maba Diakhou qui, ayant assujetti les souverains de la province, nomma cadi Muhammad BOUSSO avec qui il rentrera d'ailleurs au Saloum. Entre-temps Cheikh Ahmadou BAMBA avait eu la douleur de perdre sa vertueuse mère, âgée tout juste d'une trentaine d'années, résidant alors dans le village de Porokhane (Saloum) où elle fut inhumée. Ayant retrouvé les siens, le jeune Ahmadou eut pendant les années suivantes l'occasion de côtoyer les "grands" de ce temps fréquentant alors la demeure de son père, mais aussi celle d'assister à des évènements dramatiques et à des bouleversements historiques majeurs qui achevèrent d'ancrer définitivement en lui l'idée d'insignifiance et de futilité de ce monde. Son comportement marqué par la politesse envers les plus âgés, l'obéissance à son père, la bienveillance envers ses camarades d'études ne manquait certes pas également de frapper par son scrupule extrême, son attachement aux retraites, au silence, à la retenue, à tout ce qui, en un mot, préfigurait déjà l'extraordinaire ascèse qui, plus tard, déroutera tous les esprits. Aux avances émerveillées des Damels et autres personnalités, l'adolescent Ahmadou opposait invariablement un refus toujours poli mais net que son entourage jugeait inexplicable. Sa supériorité intellectuelle se manifestait également par une incroyable rapidité d'acquisition des connaissances et une capacité de rétention hors du commun; aptitudes qui lui permirent d'achever assez vite l'apprentissage déjà entamé du Coran et d'assimiler l'essentiel des sciences religieuses. Cette carrure brillante jointe à une piété filiale jamais démentie, quelle que soit par ailleurs son hostilité aux relations entre les rois et son père, le faisait tendrement aimer de celui-ci qui lui prouva sa confiance en lui confiant nombre de charges relatives à l'enseignement et à la gestion de son domaine. Le jeune Cheikh versifia, durant cette période, un grand nombre d'oeuvres théologiques léguées par les Vertueux Anciens et négligées par ses contemporains (couvrant des thèmes aussi variés que la Théologie (Tawhîd), les Règles Cultuelles (Fiqh), la Mystique Musulmane (Tacawuf)...) Il composa des odes d'invocation et des poèmes d'éducation spirituelle dont la qualité étonnait plus d'un homme de lettres à l'instar de son propre père même ou du célèbre cadi Madiakhaté Kala avec qui le Cheikh aura d'ailleurs à entretenir des joutes littéraires au cours desquelles le génie du fameux jurisconsulte aura à s'émerveiller de la maîtrise littéraire et de la profondeur de pensée de son précoce élève. En ce temps, le prince Lat-Dior (m. 1886), opposé à son cousin Madiodio FALL au sujet de la royauté du Cayor, fut chassé par les Français soutenant alors son rival et il dut se réfugier avec sa cour chez Maba où il embrassera d'ailleurs l'Islam. C'est au cours de cet exil que LatDior eut à fréquenter Momar Anta Sali avec qui il ne tarda pas à se lier. Quant à Maba Diakhou, conforté par ses conquêtes, il s'attaqua imprudemment au Sine dont l'armée le défit au cours d'une bataille au cours de laquelle il trouva la mort. Peu de temps après, son rival destitué par les autorités françaises, le prince Lat-Dior fut appelé sur le trône du Cayor; il quitta alors le Saloum en compagnie du Cheikh Momar Anta Sali dont il avait sollicité l'assistance dans la gestion des affaires religieuses et dans la magistrature. Installé sur une terre dénommée Patar, Cheikh Ahmadou BAMBA vécut encore quelques années avec son père durant lesquelles sa personnalité intellectuelle, mystique et ascétique, déjà forte, se raffermit de par la grâce de DIEU et de Son Prophète (PSL ). Et ce jusqu'à ce que l'inéluctable destin vint arracher Momar Anta Sali, âgé de 61 ans, aux mains de son fils, âgé alors de 30 ans, à qui il confia à l'article de la mort, non seulement la gestion de sa maison, mais aussi le soin de prier pour le repos de son âme. Ainsi s'amorça, à partir de ce mardi 20 du mois de Muharram 1299 de l'Hégire (1882-1883 de l'an romain), l'étape décisive de l'existence hors du commun de celui que l'Histoire sera appelée à sacrer Serviteur Privilégié du Prophète de DIEU... LA FONDATION DE LA CAPITALE DU MOURIDIYA(1887/88) Pour fuir l'affluence des foules qui drainait vers lui sa renommée, et pour retrouver la solitude et le recueillement propices à l'adoration, le Cheikh avait quitté le village des ses ancêtres Mbacké Baol pour construire un peu plus à l'Est une maison retirée à Darou Salam. Trois ans plus tard, 1887-88, il fonda, à quelques kilomètres au nord de son village natal, le village de TOUBA, du nom d'un arbre du Paradis. Ce vocable Touba apparaît une fois dans le CORAN, au verset 29 de la sourate 13 (Le Tonnerre) où le TOUT PUISSANT dit: "Ceux qui croient et font de bonnes oeuvres, atteindront la Félicité (Touba) et un excellent Lieu de retour." On retrouve aussi ce mot très souvent dans la tradition Prophétique dont un hadith célèbre rapporté par Ibn Habân dit: "Touba est un des arbres du Paradis. L'étendue de son ombre équivaut à une marche de cent ans et les vêtements des habitants du Paradis sortiront de ses fleurs." Le village qu'édifia le Cheikh à son nom se trouvait au milieu d'une contrée hostile, dépourvue d'eau où ne pouvait résider que celui qu'habitait la volonté de se détacher des hommes. Ceci explique pourquoi le Cheikh affirmait : "La raison pour laquelle TOUBA et Darou Salam me sont plus chers que les autres lieux que j'ai édifiés réside dans la sincérité de l'intention qui m'inspira l'idée de les fonder. Je n'y suis pas venu pour suivre les traces d'un ancêtre, ni pour chercher un site propice à la culture, ni pour découvrir un pâturage. Mais uniquement pour adorer DIEU l'Unique, avec Son Autorisation et Son Agrément". C'est notamment à Touba, dans sa mosquée de Darou Khoudos, qu'il prêta allégeance au Prophète (PSL) dans le Service duquel il décida de se consacrer à travers ses Panégyriques, la réhabilitation et la revivification de ses Enseignements tels que révélés par le Coran et la Sunna (la Tradition Prophétique) etc. L'attachement qu'éprouvait le Serviteur du Prophète envers ce lieu est par ailleurs démontrée par la place de choix qu'il occupe dans ses écrits. C'est ainsi qu'il écrivit: " L'Autorisation de fonder TOUBA m'a été donnée par le SEIGNEUR de l'Univers". Il invoquait aussi souvent DIEU d'assurer la Sauvegarde et l'Epanouissement de sa ville: "Fais de la cité bénite de Touba un lieu d'instruction, de connaissance et du respect de l'orthodoxie" La formidable expansion de la ville, surtout depuis les années 80, faisant d'elle actuellement la seconde ville du pays, et ses nombreuses particularités (spirituelles, urbaines etc.) semblent en tous cas attester que ce Haut-lieu constitue en fait un don inestimable du CREATEUR envers un de Ses Serviteurs Privilégiés... LA FONDATION DE LA MOURIDIYA (1882/1883) Entièrement assujettie au saint devoir de la piété filiale, la forte personnalité de Cheikh Ahmadou BAMBA n'avait, jusqu'à la disparition de son père, jamais eu la latitude nécessaire à sa pleine expression. Mais les événements immédiatement postérieurs à l'inhumation même de Momar Anta Sali n'allaient pas tarder à révéler sa véritable physionomie spirituelle en consacrant l'originalité de sa démarche et sa prééminence incontestable sur ses contemporains. En effet, un premier incident majeur survint, juste après la cérémonie mortuaire, lorsqu'il fut question de préposer le jeune Cheikh à la succession de son père pour les charges de conseiller du roi. Déclinant catégoriquement et publiquement cette offre, il eut ces propos qui semèrent le désarroi dans l'assistance: "Je n'ai pas l'habitude de fréquenter les monarques. Je ne nourris aucune ambition à l'égard de leurs richesses et ne recherche des honneurs qu'auprès du SEIGNEUR SUPREME (...) J'aurais honte que les Anges me voient aller chez un autre roi que DIEU". Il composera par la suite, en guise de réponse aux dignitaires et à ses détracteurs, une ode devenue célèbre: " Penche vers les portes des rois, m'ont-ils dit, afin d'obtenir des biens qui te suffiraient pour toujours. DIEU me suffit, ai-je répondu, et je me contente de LUI et rien ne me satisfait si ce n'est la Religion et la Science. Je ne crains que mon ROI et n'espère qu'en LUI car c'est LUI, le MAJESTUEUX, qui m'enrichit et me sauve. Comment disposerais-je mes affaires entre les mains de ceux-là qui ne sont même pas capables de gérer leurs propres affaires à l'instar des plus démunis? Et comment la convoitise des richesses m'inciterait-elle à fréquenter ceux dont les palais sont les jardins de Satan? Au contraire, si je suis attristé ou éprouve un quelconque besoin, je n'invoque que le Propriétaire du Trône [qu'est DIEU]. Car IL Demeure l'Assistant, le Détenteur de la Puissance Infinie qui crée comme IL veut tout ce qu'IL veut. S'IL veut hâter une affaire, celle-ci arrivera prestement mais s'IL veut l'ajourner, elle s'attardera un moment. O toi qui blâmes! N'exagère pas dans ton dénigrement et cesse de me blâmer! Car mon abandon des futilités de cette vie ne m'attriste point... Si mon seul défaut est ma renonciation aux biens des rois, c'est là un précieux défaut dont je ne rougis point!" Ce double défi lancé à la fois aux souverains, à qui le Cheikh rappelait leur servitude vis-à-vis du ROI des rois qu'est le TOUT-PUISSANT, puis à l'élite de l'orthodoxie musulmane dont il dénonçait la complaisance et la compromission, constitua en fait les premières prémices significatives des vives hostilités que n'allait pas tarder de susciter son intransigeance.. En effet devaient, dès lors, se révéler un cercle limité de partisans, parmi les véridiques, frappés par sa Pureté et sa Crainte Révérencielle alors que la majorité de ses contemporains et parents conçurent dès lors une forte défiance à son endroit. L'incompréhension dont il fut victime lui valut en ce temps nombre de vexations et de brimades auxquelles Cheikh Ahmadou BAMBA répondait invariablement par la patience et la bienveillance. Cette époque fut aussi marquée par l'errance du Cheikh à travers les contrées inhospitalières du Sénégal et de la Mauritanie, à la quête de science ou à la rencontre des pieuses gens auxquelles il témoignait une vive admiration se traduisant par les divers services qu'il ne manquait jamais de leur rendre. Il eut à utiliser successivement en ce temps le wird de la Qadria transmis par son père, celui provenant de Abû al-Hassan Al-Shâdhilî (1197-1256) pendant huit ans et le wird de Cheikh Ahmed Tidjane (m. 1815) pendant huit ans ou plus. Cette bonne disposition du Cheikh envers toutes les voies spirituelles accréditées atteste un esprit d'ouverture, de tolérance et de respect des Grands Maîtres qui ne se démentira jamais malgré les innombrables tentatives de dissension des ignorants ou des ennemis comme il eut à l'écrire dans ses Itinéraires du Paradis: "Tous les wirds mènent directement l'aspirant spirituel vers l'Enceinte Scellée de DIEU, peu importe qu'ils émanent de A. Qadir Jilâni, de Ahmad Tijâni ou d'une autre Eminence spirituelle"... A ce stade de la quête auprès des Maîtres Illustres allait plus tard succéder l'instruction spirituelle directe auprès du Messager de DIEU en personne, le Prophète Muhammad (PSL) en dehors duquel il lui fut désormais interdit de rechercher un guide. Le Cheikh prit dès lors le Coran comme wird et s'engagea au Service (Khidmah) de son seul Maître, le Prophète (PSL). Ensuite, obtempérant à l'Ordre Divin l'enjoignant de proclamer les Avantages lui provenant de DIEU, il invita ceux de ses contemporains aspirant à s'engager dans la Voie à le suivre. Les principes de sa tarbiyya (éducation spirituelle), reposant essentiellement sur la connaissance de la profonde physiognomonie du postulant, permettait au cheikh de choisir la méthode la mieux adaptée aux aptitudes du disciple: éducation livresque et éducation spirituelle. Ainsi le Cheikh eut-il à éduquer par le verbe, en incitant par la Sagesse (Hikam) et l'Avertissement (Intizar) vers l'ascèse et la perfection spirituelle, à prêcher par l'exemple la stricte observance des Prescriptions Divines, l'abandon absolu de Ses Proscriptions, l'évocation du Nom de DIEU (Dhikr) et la détermination dans le service (Khidmah) rendu aux créatures pour la FACE de leur CREATEUR. Sa renommée ne tardant pas à s'étendre du fait de ses vertus charismatiques et des lumières dont irradiaient ses aspirants, l'affluence chez lui prit alors des proportions impressionnantes. Ainsi put-on compter parmi ses disciples, dans ses daaras (écoles) de Mbacké Cayor et d'ailleurs, nombres de figures éminentes de la noblesse céddo mais aussi des érudits et des hommes de DIEU émerveillé par ses dons: Cheikh Adama GUEYE, Cheikh Ibrahima FALL, Cheikh Issa DIENE, Cheikh Ibrahima SARR etc. La suspicion que fit bientôt naître un tel mouvement se traduisit par les persécutions dont firent très vite objet les novices mourides de la part des chefs locaux dont l'autorité se sentait menacée par leur latente insoumission et par l'hostilité affichée de certains maîtres spirituels dont la popularité du Cheikh semblait se conforter au prix de la désaffection des disciples. Ces oppositions conjuguées à d'autres circonstances historiques objectives allaient en fait constituer les prémices des futures épreuves que la main du Destin préparait déjà pour la jeune communauté mouride, vérifiant encore une fois la prédiction de Warrakha Ibn Nawfal annonçant au futur Messager de DIEU (PSL): "Nul n'a apporté ce que tu apportes sans avoir été persécuté"... DEBUT DES HOSTILITES AVEC LES COLONS(Mars 89) Le fort sentiment de défiance suscité par l'incroyable affluence faisant jour auprès de Cheikh Ahmadou BAMBA et les effets radicaux que produisait sa formation sur les nouveaux mourides, fut à la base de fortes oppositions de certains guides envieux et des chefs indigènes désemparés. Une dure répression commença alors à se faire jour à travers des exactions de toutes sortes qu'infligeaient les chefs traditionnels mandataires des colons aux disciples mourides aux fins d'intimidation; leurs cases furent brûlées, leurs récoltes et autres biens saisis, leurs personnes arbitrairement détenues... Mais hautement conscients de la valeur inestimable de leur guide et à l'évocation des Compagnons du Prophète (PSL), ayant eu à subir le même type d'acharnement aux débuts de l'Islam et de l'héritage desquels ils se réclamaient, les mourides surent préserver leur engagement et ne pas abdiquer de la Voie de la Vérité; ainsi put la dynamique autour de Khadimou Rassoul s'accentuer. Débuta alors une campagne systématique de calomnie et de dénigrement du saint homme que prouve le grand nombre de rapports mensongers qui furent alors adressés par la chefferie locale aux autorités coloniales. Celles-ci n'accordèrent, tout d'abord, aucun crédit à des allégations qui, après enquête, se retrouvaient abusives et leurs premières réactions furent d'abord que l'accusé était en réalité aux antipodes des plaintes dont il faisait l'objet; ce qui contribua au maintien de leurs relations au beau fixe. Ayant quitté Touba, le Cheikh vint s'installer en 1312 h (1895) dans le Jolof où il fit reconstruire le village de ses ancêtres Mbacké-Bâri tombé en ruines. La situation stratégique de cette localité, aux confluences des provinces du Cayor, du Baol et du Jolof, mais aussi l'affluence inédite qui y vit jour et qui draina nombre d'éléments de la noblesse céddo déchue, tout cela, allié au caractère d'insubordination de plus en plus affiché des novices mourides, ne manqua pas de raviver très vite les suspicions et les hostilités. Dans un tel contexte, l'acharnement des calomniateurs et leurs fins stratagèmes eurent raison de la défiance naturelle des colonisateurs qui ne manquèrent point de nourrir bientôt des craintes sur la puissance croissante du Cheikh et sur la similitude qu'ils semblèrent déceler dans sa démarche avec celle des autres résistants religieux, en dépit de l'attitude foncièrement non violente et entièrement vouée à l'obéissance à DIEU et à l'imitation du Prophète (PSL) dont celui-ci faisait constamment montre et qui lui fit dire : "Les armes de mon combat sont la Science et la Crainte Révérencielle, en qualité d'esclave de DIEU et Serviteur de Son Prophète; en est Témoin le SEIGNEUR Qui Régente toute chose". A la fois totalement ignorant de la philosophie du Cheikh et de sa mystique de la Khidmah (Service du Prophète) qui excluait tout acte de violence même envers la plus vile créature, mais aussi frappés par le contraste de la véhémence des accusateurs tranchant avec la relative tiédeur des dénégations de l'accusé, tout cela conjugué à la psychose ambiante de la guerre sainte fit que le Gouverneur Général décida, en mai 1895, de convoquer le Cheikh Ahmadou BAMBA à Saint-Louis , exécutant en fait par-là une Volonté du TRES-HAUT qui en avait décidé ainsi de toute éternité... L'ETAPE DE DJEWOL(10 Aout 1895) Suite aux campagnes calomnieuses à l'endroit de Cheikh Ahmadou BAMBA, le Commandant LECLERC, Administrateur du Cercle de Saint-Louis, avait adressé en juillet 1895 une alarmante correspondance à ses supérieurs. Le Gouverneur Général par intérim du Sénégal et Dépendances, M. MOUTTET, expédia alors à Mbacké-Bâri une lettre de convocation au Cheikh qui, empêché, se contenta de déléguer son frère et bras droit Mame Thierno Birahim au dit Gouverneur qui interpréta ce geste comme un affront et un défi à son autorité. Ainsi l'Administrateur LECLERC fut-il chargé, à la tête d'une importante troupe composée essentiellement de gardes et de cavaliers dirigés par des chefs indigènes, de s'acheminer vers Mbacké-Bâri aux fins de contraindre par la force le Saint homme à se rendre à ladite convocation. Informé, Cheikh Ahmadou BAMBA dut mander une seconde fois le Cheikh Ibrahim dans le but de dissiper le malentendu. Mais face à la détermination d'en découdre qu'afficha l'Administrateur, l'émissaire du cheikh dut informer celui-ci de l'échec de sa mission; ce à quoi, Cheikh Ahmadou BAMBA, devinant la trame de la Volonté Transcendante, qui seule pouvait présider à ces événements, confia les siens à la Grâce de DIEU et partit à la rencontre de ses ennemis. C'est ainsi qu'il retrouva le plénipotentiaire du Gouverneur dans la localité de Jéwol dans l'après-midi du samedi 10 août 1895. Ce jour de 18 du mois de safar 1313 de l'Hégire constituera, plus tard, celui de la célébration du grand Magal de Touba, car cette épreuve préfigurait déjà aux yeux du Cheikh le Succès et les Avantages Inestimables que le TOUTPUISSANT Dissimulait dans le Service qu'il comptait effectuer pour le Meilleur des humains (PSL). Ayant ainsi passé la nuit à Jéwol, le saint homme reprit, en bonne escorte, son périple le matin du dimanche, fit une escale dans le village de Kokki d'où il s'achemina de nuit vers Louga. De cette localité, il prit, le lundi 12 août, le train pour Saint-Louis qu'il atteignit au crépuscule et où il restera pendant les 10 jours restants du mois de safar et presque tout le mois de Rabi'u-l-Awwal. Le Serviteur du Prophète aura à subir sur cette île nombre d'épreuves de la part de ses persécuteurs dont la plus injuste restera sans doute la décision de l'exiler vers les contrées hostiles de l'Afrique Equatoriale. Mais ceux-là qui le bannirent et tentèrent de l'avilir à jamais ne savaient certes pas que le TOUT-PUISSANT s'était LUI-MÊME Prescrit, de toute éternité, le Devoir de Secourir Ses Amis; et où qu'ils puissent se trouver...