33676_2483.qxp 7.11.2008 9:21 Page 1 en marge Dans les pas de Charles Robert Darwin S i nous devions, sous la contrainte, formuler l’hypothèse – nullement invraisemblable – selon laquelle l’œuvre de Darwin est moins bien connue dans le monde francophone qu’anglophone, voici enfin un ouvrage de nature à corriger cette injustice.1 Et si, autre hypothèse, on devait se limiter à la lecture d’un seul ouvrage parmi tous ceux publiés dans le cadre de la commémoration du bicentenaire de la naissance du célèbre naturaliste anglais, ce même ouvrage apparaît d’ores et déjà comme une référence éclairante. On ne saurait raisonnablement réduire dans l’espace de cette chronique les mille et une facettes d’un livre étonnant mariant le plus souvent avec brio différents genres. Le plaisir de l’écriture démontre ici une nouvelle fois qu’il peut être parfois suffisamment contagieux pour se transformer en plaisir de lecture. Médecin et immunologiste amplement connu de la communauté scientifique pour ses travaux sur l’apoptose, Jean-Claude Ameisen offre ici une nouvelle preuve de ses talents de vulgarisateur et de pédagogue mais aussi de conteur et, dans certains chapitres plus personnels, plus intimes, d’écrivain. Darwin donc, à la fois colonne vertébrale et clef de voûte de l’ouvrage. Ou plus précisément point géométrique qui permet, comme peuvent le faire Copernic, Galilée ou Freud de prendre la mesure des bouleversements de nos représentations de notre monde. La trame darwinienne est connue. On sait à quel point ses observations planétaires (faites grâce à la maîtrise britannique des voyages maritimes) suivies de l’élaboration de ses théories sur l’évolution des espèces vivantes ont profondément révolutionné la biologie. Phylogenèse ou pas ses travaux de géologie ont précédé ceux sur le vivant. Avec au total – schématisons à l’extrême – l’hypothèse généralement acquise que toutes les espèces vivantes ont évolué au cours du temps à partir d’un ancêtre commun ou d’un petit nombre d’ancêtres communs, grâce au processus de sélection naturelle. «De son vivant la théorie de l’évolution fut acceptée par la communauté scientifique et le grand public, alors que sa théorie sur la sélection naturelle a dû attendre les années 1930 pour être généralement considérée comme l’explication essentielle du processus d’évolution, explique aujourd’hui gratuitement sur la Toile l’encyclopédie Wikipédia à tous les collégiens et lycéens – étudiants en médecine ? – en charge d’un travail sur ce thème. Au XXIe siècle, elle constitue la base de la théo- 00 rie moderne de l’évolution. Sous une forles éditeurs ajoutent : «Ce livre est un me modifiée, la découverte scientifique voyage. A travers l’espace et le temps. A de Darwin reste le fondement de la biotravers la lumière et les ombres. A la renlogie, car elle explique de façon logique contre d’une révolution scientifique touet unifiée la diversité de la vie.» jours plus riche, toujours en devenir. A la Wikipédia ajoute, frise connue, que l’inrencontre aussi de la longue nuit de notérêt de Darwin pour l’histoire naturelle tre histoire, où la science légitimera la lui vint alors qu’il avait commencé d’étunégation de la vie et de la dignité de tant dier la médecine à l’Université d’Edimd’êtres humains. Un voyage à travers la bourg, puis la théologie à Cambridge. mémoire et l’oubli. A la recherche de l’emSon voyage de cinq preinte en nous de ce qui a disparu, de ans à bord du Bea«… "Nous partageons souceux qui ont disparu. gle le conduira à se dain avec l’univers vivant Nous sommes faits passionner pour la une généalogie commune, de ce qui a donné distribution géografaite de transformations et naissance à l’"infinité phique de la faune de métamorphoses" …» des formes les plus sauvage et des fossiles précieusement belles et les plus recueillis au cours de son voyage. Puis merveilleuses". Aux bactéries et aux fleurs, vinrent l’étude minutieuse de la transforaux oiseaux et aux arbres. Et pourtant mation des espèces et l’élaboration de la nous sommes autre. Nous sommes faits célèbre théorie sur la sélection naturelle de l’histoire des cultures humaines. Et en 1838. Ayant constaté que d’autres pourtant nous sommes autre. Toujours avaient été attaqués comme hérétiques nouveau.» pour des idées analogues, il ne se confia Et encore : «Ce livre est une plongée qu’à ses amis les plus intimes et continua dans le récit tumultueux de nos origines. à développer ses recherches pour imagiNon pour nous y enfermer. Mais pour y découvrir cet émerveillement "d’arriver à ner et prévenir les objections. En 1858, l’endroit d’où nous sommes partis et de Alfred Russel Wallace lui fit parvenir un connaître le lieu pour la première fois". Et essai qui décrivait une théorie semblable, ce qui les amena à faire connaître leurs retisser, chaque jour, les liens qui fondent théories dans une présentation commune. notre commune humanité. Dans le resPuis vint 1859 et L’Origine des espèces pect de l’extraordinaire vulnérabilité de qui fit de l’évolution à partir d’une ascenceux qui nous ont fait naître, de ceux qui dance commune l’explication scientifique nous entourent, et de ceux qui nous surdominante de la diversification des mulvivront.» tiples formes de vie. Il se passionna ensuiAprès ce long plaisir de lecture nous te pour l’évolution humaine et la sélection ne saurions dire beaucoup mieux. sexuelle dans La Filiation de l’homme et Jean-Yves Nau la sélection liée au sexe, ouvrage bientôt [email protected] suivi par L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux. On le retrouve à la fin de sa vie – et au tout début de l’ouvrage de Jean-Claude Ameisen – étudier les mœurs des merveilleux et prolifiques lombrics. Darwin ne connut pas les exploitations «sanitaires» puis racistes et bientôt «industrielles» – sous le régime nazi – que son entourage immédiat puis le XXe siècle firent de son œuvre. «"Cuidado" ("sois prudent"), écrit le jeune Darwin dans ses carnets secrets. Révéler ses idées serait "comme confesser un meurtre". Et il les développera en silence, peut-on lire en quatrième de couverture de cet ouvrage coédité par Fayard et par Le Seuil. La publication de sa théorie bouleversera notre vision du monde. Bibliographie Le passé se recompose, modifiant le présent. Nous partageons soudain avec l’uni1 Ameisen JC. Dans la lumière et les ombres. vers vivant une généalogie commune, Darwin et le bouleversement du monde. Paris : faite de transformations et de métamorEditions Fayard/Seuil, 2008. ISBN 978-2-213phoses.» 63800-3. Bien évidemment guidés par l’auteur Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 12 novembre 2008 2483