Introduction :
Les révolutions russes de 1917 s'insèrent dans une chronologie qui dépasse le cadre strict
de la Première Guerre mondiale et elles se comprennent également dans un contexte plus
large. Cependant la guerre joue un rôle clé dans le basculement de la Russie vers un
nouveau régime.
Ces révolutions sont russes mais, dans le contexte de la guerre et en raison de leurs
conséquences sur le conflit, elles sont scrutées par l'ensemble des belligérants. De plus,
même si la position des dirigeants bolcheviques a changé sur la question de l'exportation de
la révolution hors de Russie, l'année 1918 est celle d'un appel clair à un mouvement
révolutionnaire en Europe, avant que ces aspirations ne s'appuient sur les partis
communistes qui vont bientôt se créer.
Vues de France, les révolutions russes ont donc de nombreux impacts. Comment sont-elles
perçues ? Quelles sont leurs conséquences ?
La révolution de février a lieu, si l'on suit le calendrier grégorien, du 8 au 13 mars 1917.
Le
Populaire
en dit l'essentiel dans son édition du 16 mars (atelier 1, doc. 1). Le peuple s'est
soulevé à Petrograd et il a le soutien des soldats. Le tsar a abdiqué, son régime est
renversé et un gouvernement provisoire est au pouvoir, qui appelle les soldats à rester à
leurs postes et à continuer la guerre. Les engagements de la Russie vis-à-vis de leurs alliés
sont maintenus. Vue de France la Russie reste donc une alliée et cette révolution est
perçue comme une réplique de l'année 1789 en France (atelier 1, doc. 2).
Pourtant la révolution de février a conduit à la constitution d'un double pouvoir : le
gouvernement provisoire d'un côté et les soviets de l'autre. Avec des tensions palpables
par exemple lors du premier congrès des soviets en juin 1917, quand les blocheviques
réclament « Tout le pouvoir aux soviets ! ». Dans son édition du 12 juillet,
Le Populaire
montre bien ces tensions (atelier 1, doc. 3). Le ministre du travail promet des réformes
sociales mais demande patriotisme et sacrifices aux ouvriers, dans le but dit-il de faire
triompher la révolution. Concernant la guerre, les soviets se démarquent du gouvernement
provisoire. Ils prônent une guerre défensive, c'est-à-dire la poursuite des combats pour
défendre la révolution mais également des pressions sur les gouvernements pour obtenir la
paix rapidement.
Quelques jours après la publication de cet article du
Populaire
, l'échec d'une offensive
russe conduit les soldats à refuser de monter au front. Le début du mois de juillet tourne à
l'affrontement entre ces deux pouvoirs avant une répression du gouvernement provisoire
contre les plus radicaux au sein des soviets.
Les bolcheviques prennent finalement le pouvoir à Petrograd dans un contexte militaire,
économique et social très dégradé en octobre 1917 (7 novembre du calendrier grégorien).
Le 9 novembre,
Le Populaire
présente ces événements comme l'aboutissement du conflit
entre gouvernement provisoire et soviets (atelier 1, doc. 4). Cette fois le journal prend ses
distances avec la révolution, parlant de coup d'état et d'anarchie à Petrograd.
Le nouveau pouvoir en Russie veut sortir de la guerre et propose rapidement la paix à
l'Allemagne. Le but recherché est de se concentrer sur cette révolution qui a fait de la
1
Russie le premier Etat prolétarien. Sortir de la guerre s'avèrera en réalité plus compliqué
mais à partir de ce moment la révolution russe devient pour les alliés un sujet d'inquiétude.
Il en est de même pour les troupes russes qui combattent en France et que l'on soupçonne
de vouloir propager des idées révolutionnaires.
A la fin de la guerre, les idées venues de Russie se sont effectivement propagées en
Europe, qui connaît une vague révolutionnaire. Elle avait commencé à se diffuser parmi les
soldats dès le conflit. La lecture de leurs lettres, de leurs carnets, des journaux de
tranchées ou encore des rapports de police sur les surveillances des gares montrent que
des propos pacifistes et internationalistes sont exprimés à partir de 1917 (atelier 2, doc.
2). Une fois la guerre terminée, ces idées perdurent parmi les soldats non encore
démobilisés, comme en témoigne Maurice Digo décrivant en juin 1919 ce qui constitue tout
à la fois un désir de paix, un désir de retour chez soi et une opposition au pouvoir militaire
(atelier 2, doc. 3).
Au moment Digo écrit plusieurs mouvements insurrectionnels ont éclaté et parfois déjà
échoué. En Allemagne, les mouvements de grève se sont multipliés en décembre 1918,
s’inspirant de l’exemple russe (atelier 2, doc. 1). Mais la révolution échoue à Berlin après
une semaine sanglante en janvier 1919. En Hongrie une république bolchevique se maintient
uniquement de mars à août 1919. En Bavière, la République des Conseils, qui n’est pas
directement d’inspiration bolchevique, dure d’avril à mai 1919 et se termine encore par
une répression. Tout comme la tentative de prise de pouvoir et de gouvernement ouvrier
allemand en 1920. La création du Komintern et de la IIIe Internationale dans le but de
coordonner ces mouvements, en mars 1919, ne change rien à ces échecs.
En France aussi les idées bolcheviques se diffusent parmi les ouvriers (atelier 2, doc. 4) et
s’il n’y a pas de tentative de révolution des mouvements de grève inscrivent le pays dans
cette évolution générale. En février 1920 les grèves sont massives. Et les dockers français
ont pu suivre les dockers européens qui tentent d’empêcher, dans un élan de solidarité avec
la Russie, la défense de Varsovie par un blocage des déchargements sur les quais.
A la suite de ces échecs, l’adhésion des partis socialistes européens à la IIIe
Internationale devient un enjeu majeur. Les 21 conditions à respecter sont très strictes,
comme le dénoncera Léon Blum lors du congrès de Tours en évoquant une bolchevisation de
la SFIO. Mais le régime russe est devenu un modèle, le modèle du premier et véritable
pouvoir ouvrier (atelier 3, doc. 1) et c’est à ce titre qu’il est défendu. La dénonciation du
caractère dictatorial du régime bolchevique par la presse, comme le fait
Le Populaire
par
exemple (atelier 3, doc. 2) ne suffit pas.
Car si les socialistes français sont divisés, une majorité se dessine progressivement pour
cette adhésion. En novembre 1920 la SFIO se prononce fédération par fédération sur une
adhésion à la IIIe Internationale. La fédération de la Seine y est majoritairement
favorable et
Le Populaire
y voit une possible scission du parti (atelier 3, doc. 3). Cette
dernière intervient un mois plus tard lors du Congrès de Tours. Le 29 décembre, le vote
des délégués est sans appel : 1022 voix contre et 3208 pour la IIIe Internationale. La
majorité devient alors la SFIC ou PCF.
2
Bibliographe :
Nicolas Werth, « Enjeux de la guerre et de la paix dans les révolutions russes de 1917 »,
Encyclopédie de la Grande Guerre, Bayard, 2004.
Nicolas Werth, « A l’Est, le front oubliée »,
L’Histoire
, Collections n° 61, octobre 2013.
Nicolas Werth, « La prise de pouvoir par les bolcheviks »,
L'Histoire
, n°206, janvier 1997.
Pierre-Jean Martineau, « 1919 : l’Europe en flammes »,
L’Histoire
, n°338, janvier 2009.
Bernard Droz, « Et l'Europe ne sera pas communiste... »,
L'Histoire
, n°223, juillet 1998.
Romain Ducoulombier, « Congrès de Tours : le 'big bang' »,
L'Histoire
, n°359, décembre
2010.
Stéphane Courtois, « Aux origines du parti communiste français »,
L'Histoire
, n°206,
janvier 1997.
Stéphane Courtois, « PCF : le parti de Moscou »,
L'Histoire
, n°22, juillet-août 1998.
3
Liste des documents :
Atelier 1 : pourquoi y a-t-il deux révolutions en Russie en 1917 ?
Document 1 : la révolution de février 1917 en Russie,
Le Populaire
, 16 mars 1917,
5PRES60.
Document 2 : la révolution de février 1917 dans l’enseignement, école de garçons de
la rue Noire, période 1914-1917, Rapport des écoles pour une exposition à Paris en
mai 1917, avril 1917, 1R21_42.
Document 3 : la position des ouvriers en Russie après la révolution de février 1917,
Le Populaire
, 12 juillet 1917, 5PRES61.
Document 4 : la révolution d’octobre 1917,
Le Populaire
, 9 novembre 1917, 5PRES61.
Atelier 2 : quelles sont les conséquences des idées révolutionnaires russes en Europe ?
Document 1 : la révolution en Allemagne,
Le populaire
, 16 décembre 1918, 5PRES63.
Document 2 : Extrait de lettre du maire de Nantes au préfet de la Loire-Inférieure,
12 juin 1917, H4C20D11.
Document 3 : la diffusion des idées révolutionnaires dans l'armée, Journal de Digo, 6,
7 et 29 juin 1919, pages 241 et 244, 12Z88.
Document 4 : arrestation d'un ouvrier distribuant des tracts bolcheviques aux
soldats, rapport de police, 19 mai 1919, Carton non classé Bourse du travail 1905-
1942.
Atelier 3 : les socialistes français doivent-ils suivre la voie russe ?
Document 1 : conférence de Marcel Cachin à Nantes sur les bienfaits du nouveau
régime russe,
Le Populaire
, 17 décembre 1920, 5PRES67.
Document 2 : le bolchevisme n'a rien à voir avec le socialisme,
Le Populaire
, 16
novembre 1918, 5PRES63.
Document 3 : le parti socialiste français face à la IIIe Internationale : unité ou
scission ?,
Le Populaire
, 30 novembre 1920, 5PRES67.
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