Brumpt-Chagas : une longue polémique
Dans une publication de 1909, Chagas
révèle au monde entier sa découverte et
décrit pour Trypanosorna cruzi un cycle
complexe à l'intérieur de l'insecte.
Le
cycle commence dans le tube digestif
et
s'achève dans les glandes salivaires. Cha-
gas conclut à une transmission passive du
Trypanosome par piqûre lors du repas
sanguin sur son hôte vertébré. Ce mode de
transmission s'accorde totalement avec
celui décrit pour les Trypanosomes afri-
cains, seuls alors connus. Suite à cette
publication, de nombreux scientifiques,
tant au Brésil qu'en Europe, tenteront de
mieux comprendre le cycle de vie de
ce
nouveau parasite
et
son mode de transmis-
sion.
Le
français Emile Brumpt décrit,
quant à lui
en
1912, un cycle où le Trypa-
nosome n'évolue que dans le tube digestif
de l'insecte
et
propose une contamination
active de l'hôte vertébré par l'intermé-
diaire des fèces du vecteur contenant la
forme infestante du parasite.
Rapidement le monde scientifique se di-
vise entre les partisans de Chagas et ceux
de
Brumpt;
il
s'en suit 30 ans de polémi-
ques,toujours aussi vives, même après la
mort de Chagas en 1934, au cours des-
quelles les expérimentations se succèdent
en faveur de l'une ou l'autre des théories.
Certains scientifiques omettent d'ailleurs.
certaines données ou résultats. Progressi-
dans la transmission de la maladie, réunis-
sant trois facteurs déterminants: une haute
susceptibilité au parasite, un haut degré
d'association avec l'homme et une aptitude
à déféquer rapidement sur la peau d'un
hôte, suite à un repas sanguin, avant de re-
gagner un abri.
En effet, la transmission de Trypanosorna
cruzi n'a pas lieu par l'intermédiaire de la
piqûre mais
par
les Îeces qui peuvent con-
tenir la forme infectante du parasite, si l'in-
secte s'est alimenté
15
à 20 jours aupara-
vant sur un hôte vertébré, porteur de la
maladie.
Le
Trypanosome peut pénétrer
chez l'hôte par des lésions cutanées, par les
muqueuses ou
par
souillure du point de pi-
qûre avec les fèces voisines, lors du grat-
tage de la plaie. Si la piqûre est indolore, en
revanche, après celle-ci, les réactions cuta-
nées, en cas d'hypersensibilité, peuvent
être très sévères (croyez en mon expérience
personnelle !).
L'insecte opère de nuit lorsque son hôte est
endormi. Le repas sanguin dure une ving-
taine de minutes, 500 à 800 mg de sang
peuvent être prélevés
par
repas
par
une
larve de Dipetalogaster maximus de cin-
quième stade.
6
vement, les échecs dans la transmission
du Trypanosome par piqûre à divers ani-
maux de laboratoire et la difficulté d'ob-
servation de parasites dans les glandes
salivaires du vecteur tendent à discréditer
Chagas.
En
effet, se demandent certains,
qu'a donc vu Chagas en
1909?
N'aurait-il
pas vu un autre Trypanosome de même ré-
partition géographique impliquant les
mêmes vecteurs que
T.
cruzi
et
envahis-
sant les glandes salivaires du vecteur? En
d'autres termes, n'a-t-il pas plutôt déjà
décrit
en
1909 Trypanosoma rangeli
transmissible par piqûre à son hôte et non
pathogène de l'homme, découvert en
1920 par Tejera ?
En
fait la seule explication plausible est
que Chagas, en 1909, observait dans les
trois Triatomes (Panstrongylus megistus)
ayant servi à sa description originale, non
pas une simple infection à
T.
cruzi mais
une double infection à
T.
cruzi et
T.
range-
li. Seules l'ironie du sort (double infec-
tion) et l'adhésion de Chagas aux connais-
sances de l'époque sur le mode de trans-
mission des
parasit~s
peuvent expliquer
son obstination dans le maintien de sa
théorie. Il ne faut pas oublier que la pre-
mière description de parasitose humaine à
T.
rangeli par Dias et Torrealba en 1943
était en réalité une infection double à
T.
rangeli et à ...
T.
cruzi.
Cannibalisme:
égoïsme ou
altruisme?
Lors de l'alimentation des insectes, au labo-
ratoire, sous une cloche de verre contenant
du sang, il n'est pas rare de voir les petits
stades larvaires s'alimenter non pas sur la
membrane faisant office de peau de verté-
bré, mais sur leurs congénères plus âgés en
train ou venant s'alimenter.
Ce
comporte-
ment n'affecte en rien ces derniers et le
terme de cannibalisme employé par cer-
tains auteurs
estde
ce fait abusif. Il ne serait
pas étonnant que ce comportement puisse
avoir lieu dans la nature, préservant ainsi
les petits stades, plus vulnérables aux pré-
dateurs. Ce corn portement visan t à la survie
du groupe serait alors altruiste.
Un comportement
de
coprophagie, qui
consiste en l'absorption des fèces d'un Tria-
tome par l'un de ses congénères, peut aussi
être observé au laboratoire, mais unique-
ment dans des conditions défavorables,
comme un trop faible pourcentaged'hygro-
métrie de l'air.
Par l'intermédiaire de ces deux comporte-
ments, "cannibalisme" et coprophagie, le
Trypanosome peut passer d'un insecte à
l'autre sans que celui-ci entre en contact
avec
un
hôte vertébré. Notons qu'il n'existe
pas de transmission transovarienne du
Trypanosome d'une génération d'insecte à
l'autre. Cependant, une fois contracté, le
parasite demeure à vie dans le Réduve est
même capable de subsister dans un Tria-
tome mort, chez Triatorna infestans par
exemple, 8 jours à 26°C et jusqu'à 60 jours
à 5°C.
En milieu sylvatique, le pourcentage de
Triatomes infectés par Trypanosorna cruzi
ne dépasse pas en général 20 pour cent, bien
qu'au
Venezuela
une
population
de
Triatorna nigrornaculata ait été trouvée
infectée à
42
pour cent. En habitat domes-
tique,
ce
taux peut être supérieur à 75 pour
cent.
Une maladie encore incurable
à ce
jour
Chez l'homme, la maladie présente deux
phases, une phase aiguë et une phase chro-
nique. Près de 10 pour cent des sujets décè-
dent en phase aiguë, cette phase est souvent
fatale aux jeunes enfants, par suite cardia-
ques ou méningées. En cas de rémission, la
maladie évolue en phase chronique, entraî-
nant des symptomatologies cardiaques ou
digestives. Au Brésil, on considère que la
maladie de Chagas est responsable, dans la
tranche d'âge 25-44 ans qui est la plus
sensible, de 29 pour cent des décès chez les
hommes et de
22
pour
cent
chez les
femmes. Cette maladie est incurable, il
n'existe en effet pas de chimiothérapie effi-
cace, ni de vaccin ou de chimioprophy-
laxie.
Le
seul moyen de limiter les risques
d'infection humaine à l'heure actuelle estde
réduire les populations de vecteurs par trai-
tement chimique des habitations. Il est
certain que le faible ni veau socio-économi-
que, le type d'habitat, comme le "rancho",
ainsi que la pratique de certaines coutumes,
comme au Mexique l'ingestion de Triato-
mes pour leur pouvoir aphrodisiaque ou le
traitement des verrues par les déjections de
Triatomes, constituent autant de facteurs
prédisposant à la maladie.
Signalons qu'il existe deux autres voies de
transmission du parasite sans contact direct
avec un vecteur, par voie sanguine, lors
d'une transfusion par exemple,
et
par voie
placentaire.
Les Triatomes ont leurs
exigences!
La
distribution géographique des espèces
s'explique
par
leur adaptation plus ou
J
...
et
..
nO
80·
1991
(1).
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