L atteinte cardiaque de la maladie de Chagas. À propos d une

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L’atteinte cardiaque de la maladie
de Chagas. À propos d’une observation
● F. Boissier*, A. Nicoud*, X. Duval**, D. Himbert*
Points forts
■ La maladie de Chagas est due à un protozoaire
(trypanosomiase).
■ Elle est endémique en Amérique latine.
■ Fréquence et gravité de l’atteinte cardiaque.
■ Diagnostic difficile à la phase chronique.
■ Motif fréquent de transplantation cardiaque.
Mots-clés : Maladie de Chagas - Insuffisance cardiaque Transplantation cardiaque.
Keywords: Chagas disease - Cardiac failure - Heart transplantation.
Il retrouve également une maladie de Chagas chez le père.
L’examen physique montre une arythmie complète rapide, sans
souffle précordial, et des signes d’insuffisance cardiaque globale
à prédominance droite. L’ECG montre une fibrillation auriculaire
(FA) à 100/mn, sans signe évident de surcharge ventriculaire droite
ni gauche. La radiographie de thorax montre une cardiomégalie en
rapport avec une dilatation bi-auriculaire majeure (figure 1).
L’échographie cardiaque transthoracique en FA rapide montre
une dilatation et une hypokinésie modérée des deux ventricules,
et un profil restrictif attesté par la dilatation des deux oreillettes,
à prédominance droite (figure 2). L’imagerie cardiaque par résonance magnétique (figure 3) confirme l’aspect restrictif de la cardiopathie, avec une dilatation majeure du massif auriculaire. Elle
n’apporte pas d’élément en faveur d’une infiltration spécifique
du myocarde ventriculaire.
La ventriculographie isotopique de repos évalue la fraction
d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) à 40 %. La scintigraphie
pulmonaire réalisée de principe n’apporte aucun argument pour
a maladie de Chagas est une anthropozoonose liée à
un protozoaire, Trypanosoma cruzi, représentant un
vrai problème de santé publique en Amérique centrale
et du Sud. Elle est responsable d’environ 23 000 décès par an,
principalement dus à ses complications cardiaques.
L
OBSERVATION
Mlle V., 21 ans, bolivienne, est hospitalisée pour décompensation
cardiaque globale. Arrivée récemment en France, elle souffre d’une
insuffisance cardiaque sévère depuis 3 ans, traitée par digitalo-diurétiques et inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC).
L’interrogatoire retrouve la notion de cardiopathies :
– valvulaire chez la sœur aînée (qui serait décédée dans les suites
immédiates d’une chirurgie cardiaque),
– restrictive chez la sœur cadette (décédée récemment à l’âge de
12 ans),
– non précisée chez un grand-père.
* Département de cardiologie, hôpital Bichat-Claude-Bernard, AP-HP, Paris.
** Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Bichat-ClaudeBernard, AP-HP, Paris.
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Figure 1. Radiographie de thorax de face : cardiomégalie liée à une dilatation extrême des oreillettes.
La Lettre du Cardiologue - n° 393 - mars 2006
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Tableau. Éléments de la discussion diagnostique.
Maladie de Chagas
Origine géographique
Chagas chez le père
Prédominance droite de
l’atteinte cardiaque
Pas de preuve de cardiopathie
héréditaire (biologie :
dosage de lactate, pyruvate :
non évocateur),
biopsie endomyocardique*
non spécifique
Cytopathie mitochondriale
Précocité de la maladie
Atteinte des trois sœurs
Dilatation ventriculaire modérée
et profil très restrictif
Pas de preuve formelle de Chagas
(immunofluorescence,
leucoconcentration,
PCR et parasitémie négatives)
* Réalisée chez la sœur cadette.
Figure 2. Échographie cardiaque transthoracique, coupe apicale 4 cavités :
aspect de cardiopathie restrictive avec dilatation modérée des ventricules et
aspect ectasique des deux oreillettes.
Sur le plan thérapeutique, le traitement médical est majoré (bêtabloquants) et la patiente est inscrite sur liste de transplantation.
Le traitement antiparasitaire spécifique n’est pas entrepris dans
l’immédiat, mais sera rediscuté après la transplantation, lors de
la période d’immunodépression thérapeutique, en fonction des
constatations anatomiques et histologiques.
L’ATTEINTE CARDIAQUE DE LA MALADIE
DE CHAGAS
Épidémiologie et généralités (1-3)
Figure 3. IRM cardiaque : dilatation majeure du massif auriculaire droit.
une migration récente, ni pour un cœur pulmonaire chronique
postembolique. Le bilan biologique usuel est normal.
Après avoir éliminé les principaux diagnostics de cardiopathies
restrictives ou infiltratives – hémochromatose (bilan martial),
amylose (biopsie des glandes salivaires accessoires), fibrose
endomyocardique (biologie, aspects échographiques et IRM) –
on s’oriente vers deux hypothèses :
– une cardiopathie héréditaire du type cytopathie mitochondriale,
– une maladie de Chagas.
Le tableau présente les principaux éléments de la discussion
diagnostique. Malgré l’absence de preuve formelle, le contexte
plaide en faveur d’une maladie de Chagas, dont l’hypothèse reste
finalement privilégiée.
La Lettre du Cardiologue - n° 393 - mars 2006
La maladie de Chagas est due au protozoaire Trypanosoma cruzi,
présent en Amérique centrale et du Sud. L’OMS a estimé qu’en
1980, avant les programmes d’éradication, elle pouvait atteindre
20 % de la population bolivienne. Sa prévalence actuelle est de
20 millions de personnes, avec 100 millions de personnes à risque
d’infection. Le protozoaire est transmis par les déjections des
réduves (punaises hématophages tombant des murs en torchis) à
travers des excoriations cutanées. La durée d’incubation est d’une
semaine. La maladie se manifeste par trois phases :
• La phase aiguë : touchant principalement les enfants de moins
de 15 ans, elle est symptomatique dans 10 % des cas : signe de
Romaña (œdème palpébral et larmoiement), adénopathies, fièvre,
myalgies, sueurs, hépatosplénomégalie, rash, méningoencéphalite, atteinte cardiaque aiguë. Le risque de décès est d’environ 5 à 10 %.
• La phase intermédiaire (70 à 85 % des cas) est asymptomatique,
mais peut s’accompagner de modifications électrocardiographiques ou radiologiques. Chaque année, 2 à 5 % des patients
passent à la phase chronique.
• La phase chronique se manifeste, chez 15 à 30 % des sujets
infectés, par une cardiopathie et/ou un méga-œsophage ou mégacôlon liés à une dysautonomie dont la physiopathologie reste mal
comprise.
Physiopathologie et manifestations cliniques
L’atteinte cardiaque est possible à tous les stades de la maladie.
Elle domine les complications et rend compte de la majorité des
décès.
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• La phase aiguë peut se compliquer de myocardite, de péricardite ou de cardiopathie valvulaire aiguë. Les lésions sont attribuées à un mécanisme immunitaire avec une réponse humorale
et/ou d’immunité cellulaire.
• La phase intermédiaire peut s’accompagner de troubles du
rythme ou de la conduction et d’une cardiomégalie radiologique.
Une élévation du brain natriuretic peptide (BNP) pourrait prédire une dysfonction ventriculaire asymptomatique et permettre
un dépistage des sujets à risque (4).
• La phase chronique est associée à une cardiomyopathie prédominant sur les cavités droites, avec souvent un profil restrictif
évoluant ultérieurement vers une dysfonction systolique sévère
et une dilatation cavitaire majeure. Il est fréquent d’observer des
anévrysmes ventriculaires, en particulier apicaux. Les complications thromboemboliques et rythmiques sont fréquentes et le
risque de mort subite par fibrillation ventriculaire est élevé
(40 %). Les atteintes dysautonomiques sont également fréquentes. Dans la majorité des cas, les biopsies endomyocardiques
faites à ce stade révèlent des lésions non spécifiques, séquelles
de la phase aiguë ou conséquences d’une fibrose progressive. La
mise en évidence du parasite sur les biopsies n’est pas courante.
Pourtant, l’hypothèse pathogénique actuellement privilégiée est
la persistance du parasite (5). D’autres travaux suggèrent également un rôle de l’auto-immunité (6). Enfin, une susceptibilité
génétique particulière explique probablement que seuls certains
individus développent une maladie chronique.
CONCLUSION
La maladie de Chagas est une parasitose encore fréquente en
Amérique latine malgré les campagnes de prévention menées par
les pouvoirs publics. Comme le rhumatisme articulaire aigu, elle
touche surtout les couches les plus pauvres de la population, et
ses complications cardiaques dominent le pronostic. Les traitements actuels sont peu actifs à la phase chronique et les cardiopathies évoluées relèvent de la transplantation cardiaque. Cela
nécessite la poursuite des programmes de recherche et de développement de molécules plus actives, conditionnée par une
■
meilleure compréhension de sa physiopathologie.
Bibliographie
Diagnostic
• À la phase aiguë, le diagnostic repose sur les sérologies (hémagglutination indirecte, fluorescence indirecte, ELISA), la polymerase
chain reaction (PCR), recherche de parasitémie. Le xéno-diagnostic
est encore pratiqué dans les pays d’Amérique latine et centrale.
• À la phase chronique : le diagnostic de certitude est difficile,
car la parasitémie est en général absente. Il n’existe pas de lien
entre le degré de parasitémie et la sévérité de l’atteinte cardiaque.
On peut recourir à la sérologie ou à la PCR. Les biopsies myocardiques aident peu.
Traitement
l’éradication du parasite pourrait aider à la prévention des complications cardiaques (8). Le consensus actuel est donc de traiter, y compris à la phase chronique.
• Transplantation cardiaque et risque de réactivation :
l’atteinte cardiaque chronique au stade d’insuffisance cardiaque
évoluée est une indication de transplantation cardiaque (9),
malgré le risque de réactivation du parasite lors des traitements
immunosuppresseurs, et celui de récidive sur le greffon (10). Le
diagnostic de la réactivation se fait par PCR, sur biopsies
cardiaques ou sur sang périphérique (11).
• Antiparasitaire : les deux molécules principalement utilisées
sont le nifurtimox (nitrofurane) et le benznidazole (nitro-imidazolé). Leurs effets indésirables comportent anorexie, nausées,
vomissements, polyneuropathie, hypersensibilité, cytopénie centrale. À la phase aiguë, le traitement est indiqué dans les formes
symptomatiques, avec une bonne efficacité (80 %). À la phase
chronique précoce, son efficacité reste appréciable (60 %), y compris chez les patients asymptomatiques. Il semble particulièrement intéressant pour les enfants, chez qui il est bien toléré (7).
En revanche, l’efficacité en est plus faible à la phase chronique
tardive et les effets indésirables y sont plus fréquents. Néanmoins,
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2.
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EDIMARK SAS © mai 1983
Imprimé en France - Differdange SAS - 95110 Sannois - Dépôt légal : à parution
✓ Un encart (4 pages) “Étude CARDS” (Pfizer) est inséré entre les pages 18 et 19 de ce numéro.
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La Lettre du Cardiologue - n° 393 - mars 2006
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