Leçon 4
Weber face à ses critiques
Résumé.
La théorie de Weber explique bien certains faits, mais d’autres ne sont pas expliqués par elle
ou paraissent en contradiction avec elle. On peut ainsi proposer d’autres théories alternatives
pour expliquer les mêmes faits, qui relativisent le lien entre protestantisme et capitalisme.
Toutefois, si la théorie de Weber n’est pas prouvée, elle n’est pas pour autant futée. Elle
reste une explication plausible parmi d’autres : Durkheim, Schumpeter, Marx et utile
pour mettre l’accent sur l’importance des facteurs moraux et religieux dans la vie
économique. Seul point qui semble réfuté : l’importance du dogme de la prédestination pour
l’éthique des puritains.
I. 1ère série d’objections (d’ordre factuel) : le protestantisme n’est pas un facteur
déterminant quant à l’émergence du capitalisme.
a. Certaines aires sous influence protestante ne connaissent pas de
développement capitaliste.
i. L’Ecosse de John Knox (presbytérianisme) est peu développée
économiquement par rapport à l’Angleterre anglicane.
ii. Genève, à l’époque de Calvin et jusqu’au 17ème siècle, est peu
industrialisée.
iii. Le prêt à intérêt y est autorisé, mais sous la pression des circonstances
et avec des restrictions autoritaires (notamment un taux fixe censé
attribuer son « juste prix » à une chose).
b. Certaines aires géographiques et/ou urbaines sous influence catholique
connaissent un développement capitaliste.
i. Les cités italiennes de Venise, de Florence, dès le 15ème siècle, « fanno
masserizia » et développent une économie capitaliste fondée sur le
commerce et la finance. Elles sont pourtant catholiques, et le resteront.
ii. Des entreprises de structure complexe, comme les Fugger
d’Augsbourg. Un capitalisme « d’aventuriers »
(Abenteurerkapitalismus) ?
c. L’implantation du protestantisme n’est pas corrélée avec le développement du
capitalisme, contrairement à d’autres facteurs qu’on peut faire valoir.
i. Le succès de la Hollande s’explique par l’apport financier et
économique des juifs qui y trouvent une terre d’accueil (Sombart).
ii. Le développement du capitalisme est plus ancien, dès le 15ème siècle
selon Schumpeter.
iii. Le capitalisme migre ensuite en Europe du Nord grâce aux marchands
et aux élites migrantes (Fernand Braudel).
II. Des objections d’ordre méthodologique ?
a. Précisions sur l’« esprit » du capitalisme.
i. Pas une condition suffisante de l’émergence du capitalisme, mais
favorisante. Il y faut des conditions matérielles (cf. Ecosse).
ii. Pas une condition nécessaire, et d’autres facteurs peuvent jouer leur
rôle indépendamment du protestantisme (cf. les Juifs hollandais).
iii. Weber cherche à démontrer l’émergence d’un état d’esprit favorable au
capitalisme, répandu dans une couche sociale, mais pas la corrélation
entre une religion et une structure économique précise.
b. La causalité en sciences humaines.
i. Pas d’experimentum crucis en sciences humaines : la causalité est
cumulative (facteurs favorisants) et réversible.
ii. Le cas de la « Contre-Réforme » (ou plutôt Réforme catholique).
Quelle est la cause antécédente (la faiblesse du développement
économique ou l’hostilité théologique à la modernité économique) ?
iii. Le cas de la Suède. Quel est la cause pertinente, corrélée au
phénomène (migration ou appartenance confessionnelle) ?
c. L’idéal-type.
i. L’idéal-type (ou idéaltype) est un modèle construit par le sociologue et
qui n’existe pas tel quel, à l’état pur, dans la réalité.
ii. Il aide toutefois à analyser la réalité concrète
(concordance/discordance). Consiste à accentuer certains traits, à les
styliser pour les rendre plus saillants. Risque de caricature ?
iii. Peut toutefois conduire à une certaine confusion quant au groupe précis
qui est visé par Weber : tantôt le protestantisme, tantôt le calvinisme de
Genève, tantôt plutôt le puritanisme.
III. 3ème objection (psychologique) : suppose une trop forte influence d’un dogme.
a. Ce n’est pas ce qu’on voulu les réformateurs...
i. La place de ce dogme dans la théologie de Calvin est réduite, et il est
présenté comme libérateur pour la conscience du croyant.
ii. Dans les sermons, pas de trace d’une quelconque liaison entre le succès
économique et la satisfaction divine.
iii. Soit, mais le dogme entraîne des effets non intentionnels sur la
psychologie des croyants.
b. Le dogme de la prédestination n’a eu d’influence psychologique que sur les
calvinistes genevois, pas sur les puritains.
i. Les sermons de Théodore de Bèze à Genève insistent sur le fait que
l’anxiété du croyant sur son élection est d’origine satanique. Preuve
qu’il y a là une source d’anxiété.
ii. En revanche, aucune trace d’influence ailleurs que chez les calvinistes
genevois, et rien en particulier chez les puritains, dont la critique de
l’indolence reprend des condamnations classiques.
iii. Problème : l’absence explicite d’un thème suffit-il à démontrer son
inexistence ?
c. L’éthique humaniste comme origine véritable de l’esprit du capitalisme
(Trevor Roper) ?
i. Les protestants se voient interdire l’accès à des charges politiques,
sacerdotales, etc., donc ils investissent les fonctions économiques, plus
difficiles à contrôler par l’Etat.
ii. Ils sont donc sensibles au message des humanistes comme Erasme, qui
valorise déjà (avant la Réforme) un ascétisme intramondain hostile aux
moines (Influence économique croissante versus mépris idéologique).
iii. Thèse proche de Durkheim : le protestantisme et l’humanisme sont des
idéologies plus adaptées au monde moderne, et donc susceptibles
d’attirer des individus qui sont bourgeois avant d’être protestants.
Lectures conseillées.
Jean Delumeau, Naissance et affirmation de la Réforme, 10ème éd., coll. « Nouvelle
Clio », Paris, PUF, 2003 (1965), en particulier livre III, chapitre III, « Protestantisme
et capitalisme », p. 317-326.
Raymond Boudon « L’éthique protestante de Max Weber : le bilan de la discussion »,
Paris, PUF, 1998, p. 55-92.
Pour la prochaine fois.
Pour le dimanche 26 février avant minuit (attention, travail noté) :
Lire EP, chapitre I, section 2, « L’« esprit » du capitalisme », du début (« Dans le titre
de cette étude, il est fait usage… ») à « elle a même, pour cette culture, une
signification constitutive. », soit le passage Weber décrit l’idéal-type de Benjamin
Franklin. Dans l’édition Tel : p. 20-28, dans l’édition électronique : p. 24-28.
Répondre en une page maximum à la question suivante (utiliser le document type
fourni sur le site web pour connaître les caractéristiques techniques du document,
police, taille, interligne, etc.) : Benjamin Franklin est présenté comme l’idéal-type de
l’esprit du capitalisme au début de l’ouvrage. Dans quelle mesure sa conduite traduit-
elle, chez quelqu’un qui n’est pourtant qu’un « déiste sans couleur confessionnelle
particulière », une éthique héritée du protestantisme ? Etant donné ce que vous savez
de la suite du livre, l’exemple choisi vous paraît-il satisfaisant ?
Pour le prochain cours (après les vacances) :
Michel Foucault, Surveiller et punir (SP), du début à « une nouvelle morale propre à l’acte de
punir », édition Tel : p. 9-19, édition Pléiade : p. 263-273.
Répondre au brouillon aux questions suivantes : Qu’est-ce qui change exactement, dans
l’application des peines, entre le 18e et le 19e siècles ? Pourquoi Foucault parle-t-il à ce
propos d’une « nouvelle morale propre à l’acte de punir » ?
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