Fioretti de textes partagés autour du module 1 : le moment présent 5
L'attention consiste à rencontrer les événements. L'évangile de Luc raconte qu'après l'épisode où
Jésus enfant était resté au temple parmi les docteurs de la loi, Marie « gardait tous ces événements
dans son cœur » (2,51). Recueillir ce qui se produit, le méditer dans son cœur et son intelligence,
c'est en effet prêter véritablement attention à ce qui se passe. Trop de faits « passent », justement,
suivis par d'autres qui les chassent, dans une insignifiance perpétuelle, et l'on « passe » à côté d'eux :
on ne les rencontre pas. Ainsi, Jésus ne se faisait pas faute de reprocher aux disciples leur
inintelligence : voici qu'il avait multiplié les pains pour la foule, et ils en étaient encore à se soucier de
leur nourriture (Mc 8,14-21). Et de beaucoup d'autres faits — peut-être de presque tous —, il en
était de même. Ils ne comprenaient pas, ne voyaient pas, n'entendaient pas. Leur vie n'était pas
attentive. Elle était en avance ou en retard, hors d'elle-même, hors du présent.
Mais pour avoir sens, ce qui arrive doit être vu et entendu. C'est cela, la rencontre. Il faut le
temps du recueillement, le temps du cœur et de l'esprit, pour que les faits laissent se déposer ce
qu'ils portent. Alors, ils deviennent des événements, contemporains du sujet qui les accueille.
Habiter le présent appelle à ne pas laisser perdre ce qui survient. Que recueillir par conséquent ?
Tous les événements personnels qui nous concernent, bien sûr : les décisions prises ou évitées, les
refus et les ouvertures, les expériences de joie et de tristesse. Mais aussi les forces qui travaillent
l'histoire dans laquelle nous sommes, les grands et petits événements par où l'humanité s'affirme et
se nie, car c'est de tout cela que notre présent se constitue. Nous ne serions pas attentifs à ce qui
nous arrive si nous n'intégrions pas le monde qui nous traverse. Méditer les événements dans une
veille incessante, cela revient à les interroger : sont-ils « insulte à la gloire de Dieu », « amour du
néant, course au mensonge », selon l'écho du psalmiste (Ps 4), ou rencontre de la justice et de
l'amour ? Le temps porte des enjeux de vie et de mort. Il s'agit de lui prêter attention pour vivre le
moment présent.
C'est donc l'attention à ce qui arrive aujourd'hui et maintenant qui fait du présent le point précis
de notre inscription dans l'histoire. Le présent a une densité. Il n'est pas abstrait. Il n'a de réalité que
par l'accueil d'un passé et d'un avenir.
ACCUEILLIR PASSE ET AVENIR
Il y a en effet à se tourner vers le passé, dans son ambivalence même. D'un côté, le passé est le
temps de la fondation, temps de la naissance, individuelle ou collective, avec tout ce qui a pu être
donné comme bienfaits. Un peuple se souvient de sa sortie d'Egypte, d'une marche fidèlement
accompagnée dans le désert, d'une terre accordée, d'un pardon toujours renouvelé ; un homme se
souvient de sa sortie de servitude, d'une existence restaurée, d'un amour à ses côtés. Or cela ne
saurait appartenir à un passé révolu. Le souvenir de ce qui a été donné constitue le présent :
rappeler le don, c'est continuer à en vivre et s'animer de la force qu'il contient. D'un autre côté, le
passé veut parfois être oublié : quand il a été douloureux, porteur d'échecs qui durent encore,
pourquoi et comment s'en souvenir ? Mais l'ignorer ne guérit pas la souffrance. C'est plutôt la
reconnaissance de ce qui a été qui peut être le chemin d'une libération et même d'une paix retrou-
vée. Alors, le passé mauvais, reconnu comme n'étant pas le dernier mot de notre histoire, aura
capacité à être le point d'où tout peut recommencer.
Et puis, il y a à porter attention à l'avenir : consentir à l'avenir d'où naîtra le présent. On connaît
de multiples manières de se tourner vers le lendemain. Beaucoup désertent le présent : elles
entretiennent le rêve. Quand le présent est inconfortable, il fait bon se reposer dans l'espoir de jours
meilleurs. Mais il y a toujours de bonnes raisons de ne pas se contenter du moment où l'on est ou du
pays que l'on habite : l’ailleurs est désirable. Pourtant, quand il n'est pensé qu'à la mesure des
choses connues, comme un superlatif de ce que l'on possède déjà, cet ailleurs ne va jamais bien loin
: il déplace indéfiniment les piquets de la tente, mais la terre reste la même. L'épuisement est assu-
ré. Consentir à l'avenir, au contraire, c'est croire en une infinie promesse de vie, attendre avec
assurance une nouveauté sans limite, à travers les bouleversements de l'existence et en refusant de