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LETTRES ET BILLETS
DE MYTHOLOGIE
de Bernard Fricker t
Bernard,
Ces portes qui s'étaient ouvertes voici deux mille ans,
Tu t'es glissé cette nuit sans secousses entre leurs vantaux,
Et tu nous as laissé ta dépouille glacée.
B. D., le 21 mai 1996
Utiles "démons"
Les Tuatha Dê Danann, "Peuple de la Déesse Dana", une des races
d'anciens dieux indo-européens qui ont successivement occupé l'Islande,
se sont opposés aux Fomôre, les "démons", au cours de la bataille de
Mag Dured. Après une lutte opiniâtre, chaque adversaire triomphant
tour à tour, un accord intervint entre les belligérants. Fait prisonnier, le
Fomôre Bress obtint sa libération du Magica Lug des Tuatha Dê
Danann en échange d'une précieuse "recette" qui désormais assurera la
prospérité des éleveurs et agriculteurs de l'Islande. Bress, le Fomôre,
vient ainsi assumer le rôle de la "troisième fonction" chez des dieux qui
ne représentent que les deux premières.
Dumézil (Jupiter, Mars, Quirinus, Paris, Gallimard, 1941, ch. V,
pp. 167, 173), compare cette guerre des Tuatha Dê Danann et des
Fomôre à la guerre des Sabines et à la guerre des Ases et des Vanes. A
la page 173, concluant son chapitre, il écrit: "Ceux qui veillaient au lait
et aux épis, c'étaient sans doute des démons, ou des génies mineurs,
asservis et tenus à merci par les 'grands dieux"'.
Génies mineurs, ou démons, mais capables de bons tours, sans réelle
méchanceté, ce qui témoignerait de leur empressement à "rendre
service", tout en faisant comprendre que, bien que tenus à merci, ils ne
craignent pas leurs asservisseurs.
Témoin le festin que ces "démons" offrent à Dagda au cours même de
la guerre qu'ils livrent aux Tuatha Dê Danann, dont Dagda est un des
dieux. Celui-ci se rend au camp de ses adversaires qui, dans l'intention
de se moquer de lui, préparent une soupe dans un chaudron gigantesque: quantités incroyables de lait et de farine, chèvres, moutons,
porcs entiers; on verse le contenu du chaudron dans un trou creusé dans
la terre ; sous peine de mort Dagda est sommé de tout manger; avec
une cuillère gigantesque il y parvient et gratte encore avec son doigt le
fond du trou, puis il s'endort, le ventre démesurément gonflé, raillé par
les Fomôre (Je me réfère ici à Jan de Vries : Keltische Religion, W.
Kahlammer, Verlag, Stuttgart, tr. fr. L. Jospin, Payot, Paris, 1963,
pp. 47-48).
Ainsi les "démons" sont-ils les gemes de l'abondance... Dans une
société encore privée de sa "troisième fonction", ils apportent, grâce à,
avec celle-ci, une véritable bénédiction ... Disons l'équilibre. Mais un des
plateaux de la balance peut fléchir, sous le poids de l'excès des biens
matériels. Excès qui trouve néanmoins sa limite dans les calamités
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naturelles, les guerres, les rivalités pour l'obtention du pouvoir, les
changements climatiques parfois, l'épuisement des sols, la disette
toujours menaçante. C'est l'éternelle question, le dilemme de l'équilibre
ou du déséquilibrage des sociétés.
Pour leur compte, les Indo-Européens, idéologiquement, théologiquement, idéalement, maintinrent en équilibre les plateaux de la
balance. Chez les Celtes, les Scandinaves, les Romains, pour ne parler
que d"'Occidentaux", ce fut grâce à l'introduction de la "troisième
fonction", triomphe d'un système ternaire.
Dieux-magiciens, dieux-guerriers, restaient, face aux conditions
mêmes de la vie, impuissants, et, par ailleurs, privés d'une partie de
leur majestas si n'étaient venus au terme d'une guerre les "compléter",
souvent comme des pairs, des "démons" de la fécondité, liés parfois
(qu'on pense aux Vanes) à la volupté ...
Dans : Les dieux souverains des Indo-Européens, (Paris, Gallimard,
1977, p. 109) Georges Dumézil a écrit:
"La théologie grecque a très tôt reconstitué, à moins qu'elle ne l'ait
trouvée, malgré l'usage différent des poèmes homériques, dans quelque
coin de son héritage indo-européen, la distinction hiérarchisée des êtres
surnaturels en trois groupes: - Théoï, les "dieux", - Héroès, les "héros",
qui protègent des génè ou des villes dont ils sont souvent les fondateurs
ou d'anciens chefs légendaires (dans le cas du héros Héllèn, l'éponymie
s'étend à tout l'hellénisme), - Daïmonès, enfin, les "démons" qui sont
proprement les "répartiteurs", puisque leur nom est formé sur la racine
day que nous avons vue en védique exprimer aussi l'office de Bhaga, et
que, si, dans le mythe des Ages (Erga, 126), Hésiode qualifie leur variété
terrestre de ploutodotaï, "donneur de richesses", l'ensemble de la
tradition grecque les emploie à faire la différence entre l'heureux et le
malheureux, l'eudaïmon et le kakodaïmon. "
Ainsi, trente et quelques années après, Dumézil confirme-t-il, par
ce texte et par le détour grec, ce que dans : Jupiter, Mars, Quirinus, il
nous disait, quant à l'Irlande et les Fomôre, de l'utilité des "démons",
ces répartiteurs, donneurs de richesses, êtres pris dans leur "variété
terrestre" selon Hésiode, mais néanmoins surnaturels ...
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La faucille et le marteau
"Une statuette qui provient de la Hongrie
actuelle, un personnage apparemment masculin, assis
sur un trône et tenant dans sa main droite une faucille
posée sur son épaule, rappelle d'ailleurs directement la
révolte des Titans contre Ouranos et l'acte sanglant qui
donna le pouvoir à Kronos, le plus jeune d'entre eux :
c'est avec une faucille qu'il émascula son père endormi ...
On ne peut évidemment exclure que l'outil, figuré
certainement comme attribut, se contente d'évoquer le
lien de cette divinité avec la récolte, mais une telle
interprétation paraît moins satisfaisante. Quelle que
soit la réponse, le parallélisme que l'on peut établir
dans ce cas précis entre les strates les plus anciennes
de la mythologie grecque et une œuvre d'art néolithique
est pour le moins troublant."
Venceslas Kruta, L'Europe des Origines, "L'Univers des
formes", Gallimard, Paris, 1992, p. 80.
Ce "dieu à la faucille" du ve millénaire nous fait ainsi remonter
jusqu'au plus mystérieux et fascinant des passés, aux strates les plus
anciennes c'est-à-dire les plus profondément enfouies de la conscience ou
de la pensée mythiques.
Bien en-deçà donc et en dehors d'une quelconque influence "indo-européenne", prise au sens dumézilien, sur l'âme grecque. Ce dieu pourrait
poser aussi le problème des origines, si difficiles à cerner, des "sources"
d'un Hésiode ou d'un Homère, celle des "mythes" qu'ils nous ont
transmis, ou qu'ils ont, déjà, "apprivoisés".
La faucille, outil millénaire, symbole, emblème antique venu de la
nuit des temps. Comme le marteau, le marteau du forgeron, qui chez
certaines peuplades fut vénéré comme un dieu. Alors, n'est-il pas troublant aussi de retrouver ces deux "emblèmes jumeaux" sur le drapeau
rouge de la révolution prolétarienne qui prétendait pourtant s'affranchir
définitivement du passé? Consciemment ou inconsciemment, la "troisième fonction" ne les aurait-elle pas choisis pour affirmer ses droits à
l'unification d'un monde jusqu'alors arbitrairement divisé?
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Le prisme illuminé des mythes
"Mais la conversion des Hamrâ, garnisons persanes (déjà arabisées à
Hîra et au Yemen, en 14-17 H.), leur installation à Kîfa, Basora (et
probablement Madaïn), leur renforcement par des métis, fils de captives
persanes prises à 'Ayr al Tamar et à Jalûla (de 12 à 17 H.) quand ils
devinrent adultes forma un milieu hybride à Kûfa surtout; ou, au
contact de l'Islam naissant rénovant le monothéisme abrahamique,
comme jadis au contact de la chrétienté naissante en Galilée, un
bouillonnement intellectuel se produisit, ce que l'on appelle la gnose.
Samaritaine et grecque en chrétienté, la gnose naquit manichéenne,
c'est-à-dire araméenne et iranienne en Islam. Dans les deux cas, il s'agit
non pas d'un essai de conciliation rationnelle entre la philosophie des
sciences et une théologie, - chose tardive -, mais de l'acceptation
ardente d'une foi nouvelle et surnaturelle par un milieu de vieille culture,
qui, à la lumière de sa nouvelle croyance, contemple l'univers visible à
travers le prisme illuminé de ses anciens mythes."
(Louis Massignon, Opera minora, textes recueillis par Y. Moubarac
sous le patronage du Centre d'Etudes Dar-El Salam, Collection "Recherches et documents", Dar-AI-Maaref, Liban, 1963).
De ce texte de Massignon, je retiens :
- la fécondité, le bouillonnement intellectuel d'un milieu hybride,
converti à un monothéisme mais conservant, comme jalousement, sa
spécificité antérieure. Milieu hybride spirituellement parlant et, physiquement, métis ;
- quand une nouvelle croyance se fait jour, qu'une foi nouvelle (quoique enracinée dans le passé) se propage, loin d'être abolis, le ou les
mythes qui les ont précédées s'illuminent d'elles sans perdre, si j'ose
dire, leurs couleurs, leur fécondité initiales; il y a réfraction; comme une
grâce, peut-être, faite au mythe par la religion révélée : toute historique
que se veuille celle-ci, elle ne peut abolir un imaginaire millénaire, faute
de périr.
L'ont compris les gnoses, mais elles n'ont pas franchi le seuil,
tournant dans le cercle de la mauvaise finitude, comme l'eût dit Hegel...
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Jours sans nom
Jours dont le calendrier a toujours été embarrassé, ne sachant
qu'en faire. Jours "résidus" de l'année, compris entre le solstice d'hiver et
le commencement de l'année nouvelle. En Occident chrétien, la période
considérée souvent comme néfaste, de Noël à l'Epiphanie (quand l'Epiphanie se célébrait rituellement le 6 janvier),
J ours où les morts viennent hanter les vivants, rôdant sur les
confins dans le no man's land, le monde d'entre les mondes qui nous
sépare d'eux et qu'en certains instants de nos vies il nous arrive de
sentir étrangement proche,
Jours où Zeus et les Olympiens s'offraient des "vacances d'hiver",
partant festoyer sous le soleil de l'Ethiopie. Du Solstice d'hiver, "nuit de
l'année", Zeus, ciel diurne, ne pouvait que s'éloigner. Dès que cette
ténèbre s'étendait sur la terre, Zeus, ou dormait, ou, telles les grues à
l'automne, s'envolait pour l'Mrique, traversant "l'eau d€ la ténèbre
hivernale", l'Océan qui entoure la terre.
L'année, au moment du Solstice d'hiver, entre ainsi en sommeil.
Sommeil traditionnellement fixé à douze jours. Jours que j'appelle :
"sans nom", me référant, quant aux "vacances d'hiver" de Zeus et des
Olympiens, à la communication de J. Haudry: "Peuples et pays mythiques de l'Iliade au regard de la "religion cosmique des Indo-Européens"",
communication faite au Ve Colloque du Centre de Recherches Mythologiques de l'Université de Paris-X, 18-20 septembre 1986 et publiée
dans "Peuples et pays mythiques", - Collection "Vérité des Mythes", Les
Belles Lettres, Paris, 1988, en particulier p. 26 : "l'ancienne mythologie
de l'hiver".
Du Natalis Salis Inuicti, jour anniversaire du soleil et naissance de
Mithra pétrogène, fixé vraisemblalement au Solstice d'hiver, le 25 décembre, l'Eglise a fait notre jour de Noël, célébrant la naissance du
Sauveur. Les jours sans nom qui couvraient à peu près la période du
25 décembre au 6 janvier, Noël, la fête chrétienne, et le bruyant Nouvel
An les ont éclipsés; c'est, si j'ose dire, l'éclipse d'une éclipse ...
Est-ce si sûr? Les lumières prodiguées en cette période de l'année, la
convivialité des deux "Réveillons", à l'église le grand jeu des orgues,
l'imagerie naïve de la crèche, ont-ils assourdi la voix des morts? N'a-t-on
131
pas voulu par ces fêtes, exorciser la nuit, la longue nuit d'hiver et ses
fantômes ? Refuser de se faire accompagner à la sortie d'une messe de
Minuit par un spectre, par son double?
Les mortels se comportent comme les immortels, sauf à parler avec
Georges Dumézil de L'oubli de l 'homme et l 'honneur des dieux. A
l'imitation de ces derniers nous nous évadons vers d'autres cieux quand
l'année agonise, ou nous nous étourdissons dans des festins. Dira-t-on
que dieux et hommes pâtissent du même manque, d'une déficience que
les plus vieilles mythologies, à commencer par la mythologie de l'hiver,
ont située à la charnière du temps, quand celui-ci marque comme une
hésitation avant de reprendre son cours?
Dans sa chronique: Un roi sans divertissement, Jean Giono a très
bien vu que le divertissement de Noël dissipe la ténèbre, celle de l'âme
de Monsieur V., l'assassin qui, cette nuit, ne tuera pas; son instinct de
meurtre est refoulé par l'éclat de la fête. De même le Noël chrétien
dissipe la ténèbre hivernale; moins angoissantes sont les heures de la
longue nuit du Solstice.
Mais les vieilles voix de la nuit se sont-elles enfin tues ? Chacun de
nous, et dans la joie même d'un clair matin, ne les entend-il toujours
pas résonner dans son cœur ? Ce qui prouverait, malgré que nous nous
en défendions, que nous restons accordés à la nuit - à la nuit hésiodique -, car:
" La Nuit enfanta Moros, Lot-Fatal,
l'odieux, Kère, Mort noire
Et Trépas, Thanatos;
elle enfanta Hypnos Sommeil,
elle enfantait aussi la tribu des Songes;
Et en second lieu, encore, Sarcasme et Lamentation
de souffrance."
Théogonie, v. 211-214, tr. Annie Bonnafé (Rivages, Poche, Paris,
1993).
Qu'on lise la suite, jusqu'au vers 232, et l'on se convaincra, si l'on a
quelque pressentiment de nos origines, que la Nuit, dans la tradition
hésiodique, est mère de bien des maux; elle est l'étau qui se resserre
sur nos joies, qu'elles soient proprement nôtres ou le partage des dieux.
Seule éclaircie dans le texte d'Hésiode: les Hespérides qui "ont le
souci des belles pommes d'or et des arbres portant ce fruit". Mais les
Hespérides elles-mêmes habitent l'extrême Occident, là où le soleil va
s'abîmer dans l'océan, dans la Nuit.
132
Longue marche
Et il était avec les bêtes sauvages / Et il les conduit sur une montagne
élevée, seuls, à l'écart / Et le matin, longtemps avant le jour, il sortit et
partit pour un lieu désert / Et étant entré dans une maison il ne voulait
pas que personne le sût / Mais il se tenait dehors dans les lieux déserts / Et
il partit de là / et lui passa aux confins de la Samarie et de la Galilée / Et
le soir venu, la barque était au milieu de la mer; et lui, tout seul, sur la
terre / Or, marchant le long de la mer de Galilée / Or, le soir venu, lorsque
le soleil se fut couché / Et tandis qu'ils faisaient route / Et l'heure étant
déjà fort avancée / Et Jésus avec ses disciples se retira vers la mer / Et ü
leur dit en ce jour-là, le soir venu: « Passons à l'autre rive" / Et ils
gagnèrent le large / Et il sortit de nouveau le long de la mer / Or, ayant vu
les foules, il gravit la montagne / Et s'étant éloigné de là, Jésus vint le long
de la mer de Galilée / Mais, lorsque ses frères furent montés à la Fête, alors
lui aussi monta, non pas au grand jour, mais en secret / Et étant partis de
là, ils ne firent que passer à travers la Galilée / Et il les congédia. Et
montant aussitôt dans la barque avec ses disciples / Et il leur dit:
« Venez, vous-mêmes, à l'écart, dans un lieu désert ... et ils n'avaient pas
même le temps de manger / A cette nouvelle, Jésus s'éloigna de ce lieu en
barque, se retirant dans un lieu désert (pour y être) à l'écart / Or les onze
disciples se mirent en route pour la Galilée, pour la montagne que leur
avait désignée Jésus / Or le matin déjà venu, Jésus se trouva sur le
•
nvage
... 1
Longue marche. Parachutage en territoire ennemi. Manœuvre en
terrain miné. Périple. Périple en terre étrangère, terra aliena, terra
incognita.
Phrases magiques. Obsédantes. A plus que double sens. Un code.
Paroles pour dresseurs de loups, montreurs d'ours, oiseleurs,
trimards, vanniers ambulants, maraudeurs, contrebandiers, écumeurs
de mer, pour « matelots ivrognes inventeurs d'Amériques», pour
Bohémiens hallucinés par la faim. Formules gravées sur les pierres des
cairns dressés en haut des cols, empreintes sur les pistes des anciennes
migrations. Traces.
1 Marc: l, 13; IX, 2; l, 35; VIII, 24; l, 45; VI, 1. - Luc: XVII, II - Marc: VI, 47. Matthieu: N, 18. - Marc: 1 ; 32. - Luc: IX, 57. - Marc VI, 35 : ID, 7; N, 35. - Luc: VIII,
22. - Marc: II, 13. - Matthieu: V, 1; XV, 29. - Jean: VII, 10. - Marc: IX, 30; VIII,
9; Matthieu: XIV, 13; XXVIII, 16. -Jean: XXI, 4.
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Rythmes de nomades, signes de ralliement entre pêcheurs et passeurs d'hommes, énigmes pour les garde-côtes.
Langage d'interdits de séjour. Fuite éperdue hors d'un monde où
foisonnent et pulluleront toujours les sergents recruteurs et les indicateurs de police.
Défis lancés aux formations blindées qui roulent et grossissent dans
la plaine arborant l'étendard du nombre.
Mots pour prendre congé, s'installer aux commandes, décoller. Ordres
pour déserter, gagner les maquis, désarmer les garnisons.
Lisières. Confins. Ecarts. Silhouettes inquiétantes qui se déplacent
sur les crêtes. Avances à travers la région saccagée ou le squelette
desséché du figuier maudit achève de tomber en poussière sous un ciel
toujours menaçant.
Incendie des couchants. Vent fou sur les rivages. Refus obstiné des
cantonnements. Suprêmes éloignements. Retraites.
Signaux émis du haut des promontoires. Feux allumés sur les plages.
Télégraphie en haute mer. Egrènements lancinants, dans les aéroports,
des départs. Débarquements clandestins. Arrivées, la nuit, dans les
finistères.
Un monde d'entre-mondes. Le no man's land. La zone, comme une
zone démilitarisée entre deux frontières de chaque côté desquelles deux
armées astiquent quand même le fuselage de leurs missiles, mais où
rôde un bien plus redoutable artificier, hantise de toutes les prévôtés
militaires ...
... et c'est pourquoi sans doute que, précisément et dès le début
même de Son ministère: ils Le supplièrent de sëloigner de leurs
frontières ...
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En guise de tombeau 1
''Mer qui recueille les cendres des frères ...
- Ecoute, caïd, nous avons tous besoin de nous raccrocher à quelque
chose. Moi je ne vois que cela. Ce qui se voit, ce qui se touche. Ce n'est ni la
Grèce, ni le Mexique, ni rien ; le monde s'appelle Paramount Pictures
Presents.
- Mais bien sûr. La bannière de Revlon. L 'hymne national de
Disneyland. L'armée de la General Motors. Les pays ont pour nom US
Steel, Hilton et IBM. C'est la stupide mappemonde de notre temps.
Mer d'Oreste et d'Electre ...
- Nous n'avons pas d'autres mythes?
- Des rêves, à première vue. Mais le mythe est un rêve qu'on peut
toucher.
Mer des petits voyageurs qui ne peuvent distinguer les limites
réservées au soleil...
- Et un lieu. n faut être dans un lieu, n'importe quel lieu, même
inventé, afin de pouvoir recommencer, renaître.
- Un lieu, dragonne, un endroit où l'on puisse résister. Jaliset, la
modeste! Veracruz, la rien que belle!
Mer empourprée du sang d'Agamemnon ... "
Carlos Fuentes
1 B. F. affectionnait particulièrement ce poème de Carlos Fuentes, et avait souhaité à
l'origine qu'il figurât en exergue de la publication d'ensemble de ses "Lettres et billets de
mythologie" .
135
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