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Par Marine Durand, le 10.04.2015 à 00h29 (mis à jour le 10.04.2015 à 01h00) Bordeaux
Erri de Luca : "Plus qu'un droit, la parole
contraire est un devoir"
Erri de Luca - C. HÉLIE GALLIMARD
Inaugurant jeudi 9 avril au soir l'édition 2015 de l'Escale du livre, qui se tient jusqu'au
12 avril à Bordeaux, l'auteur italien accusé d'incitation au sabotage de la ligne TGV
Lyon-Turin, a souligné la nécessité de son engagement.
C'est par une rencontre plus que jamais placée sous le signe de la liberté d'expression que s'est
ouverte, jeudi 9 avril à 21h, la 15e Escale du livre qui se déroule à Bordeaux jusqu'au 12 avril.
Invité à défendre le "droit à la parole contraire", selon le titre de son dernier ouvrage publié le
8 janvier chez Gallimard, Erri de Luca s'est prêté pendant plus d'une heure au jeu des
questions réponses avec le président de la manifestation bordelaise, Pierre Mazet, dans un
Théâtre national de Bordeaux Aquitaine quasiment plein.
Poursuivi pour avoir soutenu publiquement le mouvement NO TAV, qui s'oppose au projet de
ligne à grande vitesse Lyon-Turin, et accusé par la société franco-italienne LTF d'incitation au
sabotage, l'écrivain italien risque l'emprisonnement. Jeudi soir, devant un public attentif, il ne
s'est pourtant pas départi de son sens de l'humour, parsemant son intervention de
répliques caustiques à l'égard de la justice italienne lâchées les sourire en coin et l'oeil rieur.
Du juste emploi du mot "sabotage"
Rappelant en introduction les raisons de son opposition au projet de ligne Lyon-Turin ("c'est
une ligne vide de passagers et de marchandises, non seulement inutile mais dangereuse pour
la communauté du Val de Suse. La montagne à cet endroit est pleine d'amiante et d'un
matériau radioactif. Les opposants ne se battent même pas pour leurs paysages, ils se battent
pour leur vie"), Erri de Luca s'est ensuite attardé, non sans malice, sur le sens du mot
« sabotage », prononcé lors d'une interview au Huffington Post italien en septembre 2013 et
qui lui vaut aujourd'hui d'être incriminé. "C'est à vous, les Français, que l'on doit ce mot qui
recouvre bien plus que la seule dégradation matérielle. Refuser d'appliquer une directive,
faire valoir son droit de grève, c'est du sabotage. J'ai une idée claire et juste de ce que
signifie "saboter", et je suis gré à votre langue de m'avoir offert un verbe si précis."
Refusant le qualificatif d'écrivain "engagé" ("je suis quelqu'un qui a pris des engagements qui
s'imposaient"), Erri de Luca est revenu sur ses précédents combats, notamment auprès des
pêcheurs de Lampedusa ayant "saboté" la loi italienne leur interdisant de porter secours au
personnes en mer. "Aujourd'hui, ce qui m'occupe est mon procès concernant mon droit à la
parole contraire", a indiqué l'auteur italien de 64 ans. "On prétend que mes mots ont produit
des crimes. Mais peut-on imputer à un auteur les conséquences de ses textes ? Non jamais",
a-t-il lancé , avant d'évoquer les cas de Salman Rushdie, dont les ouvrages ont entraîné de
violentes manifestations dans le monde musulman, ou encore Les Souffrances du jeune
Werther, de Goethe, ayant entraîné une vague de suicides en Europe à sa sortie. "Quand le
juge a demandé au chef de la police, appelé comme témoin, s'il avait constaté une
augmentation des actes de vandalisme contre le chantier à la suite de mes propos, il a
répondu "non". J'étais presque déçu", a même plaisanté le natif de Naples.
Ne jamais se censurer
Interrogé, enfin, sur le rôle de l'écrivain dans la société, Erri de Luca, qui a refusé de lier de
quelque façon que ce soit son incrimination à son passé de révolutionnaire, a achevé son
intervention sous une salve d'applaudissements avec une déclaration d'amour à la langue et à
ses richesses. "Plus qu'un droit, l'écrivain a un devoir de parole contraire. Il est de mon
devoir de ne pas me censurer, de ne pas censurer mes mots. Sinon, je gâche, je réduis, je
maltraite mon vocabulaire, et je perds ma plus belle compagne : l'écriture."
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