Quand Gambetta décida en décembre 1870 la mise sur pied d'une armée
de l'Est, la situation militaire était déjà très compromise : 840.000 soldats
allemands avaient passé le Rhin. Le roi Guillaume de Prusse avait installé son
quartier généralissime à Versailles, avec le général de Moltke comme
directeur des armées et le comte de Bismarck son conseiller politique. Les
troupes allemandes occupaient plus du tiers du territoire national.
Pour desserrer l'étreinte autour de Paris et tâcher de dégager le général
Chanzy qui était alors sur la rive droite de la Loire, plusieurs plans furent
projetés : 4 en quinze jours.
Un 5e allait surgir et allait enfin l'emporter.
Il s'agissait cette fois dans l'esprit du délégué de la guerre à Bordeaux d'un
grand mouvement stratégique sur Belfort (qui était assiégée) et de menacer
les Allemands sur leurs communications.
Son plan était de transporter dans l'Est par les voies ferrées une armée
confiée au général Bourbaki et de la déposer aussi près que possible de
l'ennemi. De là, on la faisait remonter dans la vallée de la Saône. On
débloquait Belfort au passage et, en appuyant la partie droite de l'armée sur
les Vosges, on menaçait la base des communications de l'ennemi pour attirer
dans l'Est les forces allemandes de l'Ouest et de Paris qui obligeaient alors
Chanzy à la retraite sur Laval et la Bretagne.
Pour que la manoeuvre dans l'Est réussit il fallait à tout prix qu'elle fut
entreprise dans le secret, prestement et énergiquement menée.
Cela dépendait donc en premier lieu du chef de l'expédition.
Le général Bourbaki était réputé un des plus brillants officiers de l'ancienne
armée impériale. On lui savait l'âme d'un soldat, une bravoure et un entrain
admirable sous le feu, une grande action sur ses troupes et une parfaite
loyauté. Il avait participé aux opérations en Algérie, en Crimée, et s'était
couvert de gloire à Malakoff et à Inkermann.
Dès lors la fortune avait épuisé ses faveurs pour le vaillant capitaine. La
guerre avec l'Allemagne l'avait pris à 56 ans, grand Officier de la Légion
d'honneur, aide de camp de l'Empereur, général de division, commandant de
la Garde impériale. Il avait fait la première partie de la campagne sous le
maréchal Bazaine et subi le siège de Metz.
Mais il était sorti du camp dans des conditions restées mystérieuses, mêlé
à la tentative de Régnier, ce personnage qui avait essayé de suggérer à