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« Lire la Bible »
Colloque Omnes Gentes
27-30 octobre 2005.
Louvain-la-Neuve
LIRE ET INTERPRÉTER L’ÉCRITURE SAINTE :
UNE MANIÈRE DE PENSER
‘Qu’est-ce que lire un texte sacré comme la Bible?’ Cette question nous oriente
immédiatement vers deux aspects importants à traiter. Il va de soi que notre point de départ
est ‘l’Écriture sainte’. Mais que voulons nous dire par ceci? Que signifie la déclaration que
l’Écriture est ‘sainte’? Dans un premier temps nous prêterons attention à la sainteté extérieure
de l’Écriture, pour, dans une seconde étape, appréhender sa sainteté intérieure comme
‘l’œuvre de l’interprétation’. Dans un troisième temps nous expliciterons comment une
lecture philosophique de l’Écriture réalise cette œuvre de l’interprétation’ à sa propre façon.
Lors de la quatrième et dernière étape nous considérerons une implication essentielle de la
lecture biblique comme interprétation et pensée, à savoir sa dimension communautaire.
Sainteté extérieure
Voici notre première question : ‘Pourquoi appelons-nous l’Écriture ‘sainte’, et
qu'entendons-nous par ?Pour pondre à cette question, nous commençons par la sainteté
extérieure de l’Écriture. En effet, celle-ci est d’accès plus facile parce qu’elle peut être vue et
éprouvée, et par conséquent crite.
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Lorsque nous parlons d’un texte sacré, nous pensons
spontanément à un texte qui est abordé d’une certaine manière, entouré de signes et
vénération. En d’autres mots, nous ‘reconnaissons’ la sainteté d’un texte à certains signes et
comportements extérieurs qui entourent matériellement le texte dans son état de ‘chose
simple’ surtout lorsqu’on en donne lecture au public. Nous observons cette sainteté
extérieure surtout dans les religions dites positives, qui présentent leurs ‘Écritures saintes’
avec des symboles et cérémonies très spécifiques. Elles en parlent avec des mots singuliers
qui doivent faire apparaître la sainteté de l’Écriture. Ceci vaut également pour la tradition
chrétienne. Il suffit de penser à l’esthétique et décoration ingénieuse (ou non) des
lectionnaires (les livres dans lesquels les passages de l’Écriture sont recueillis pour l'usage
liturgique), et même des pupitres sur lesquels reposent les lectionnaires. Ce n’est pas pour rien
que l’on place souvent un cierge allumé auprès de ces lectionnaires. Ceci indique à son tour
une ritualisation de la sainteté de l’Écriture, une façon active et corporelle d’exprimer la
reconnaissance et vénération de cette sainteté. Qu'on pense à la procession avec des cierges où
l’on porte le lectionnaire de façon solennelle élevé au dessus de la tête et visible pour la
communauté vers le pupitre, suivi par l’encensement du lectionnaire avant d’en commencer
la lecture publique. Et cette lecture est également ritualisée au sens elle peut être chantée
ou non précédée par diverses formes d’implorations et de dialogues rituels ou être suivie par
certaines acclamations.
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Cette expérience de la sainteté extérieure de l’Écriture crée et
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E. LEVINAS , Écrit et sacré, dans F. KAPLAN, J.-L. VIEILLARD-BARON (éds.), Introduction à la
philosophie de la religion, Paris, Cerf, p. 353-354.
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Traditionnellement précédée par l’humiliation inclinée ‘Purifie mes lèvres…’, la proclamation de l’évangile
dans la célébration de l’Eucharistie est introduite par le dialogue rituel « Lecture de l’évangile saint de notre
Seigneur Jésus Christ selon », sur quoi le peuple répond : ‘Louange à Toi Seigneur’. La lecture de l’évangile
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renforce également l’expérience extérieure d’identité du croyant, qui consiste en une
identification avec le christianisme comme grandeur sociale, reconnaissable dans toutes sortes
de formes objectives comme traditions, rituels et obligations, horaire et calendrier spécifique,
une théorie ou orthodoxie officielle, des institutions et des formes d’autorité, et last but not
least, un ensemble d’Écritures saintes strictement défini.
Ce n’est donc pas un hasard si l’Écriture sainte est vue et vécue comme une ‘source’
avec une valeur spéciale qui surpasse l’ordinaire. La bible reçoit une autorité ‘sainte’ qui
impose le respect. On jure par exemple avec la main sur la bible de sorte à associer le serment
au caractère saint de l’Écriture. Avec pour conséquence que d’un tel serment émane un plus
grand engagement. Cela signifie que le serment par et dans sa prononciation même a un
plus grand poids sur la personne faisant serment. Il n’est donc pas exceptionnel que, dans le
contexte de leur expérience religieuse, les croyants attribuent une force spéciale au toucher
d’un livré sacré, notamment l’Écriture, allant jusqu'à la magie et la superstition lorsqu'on en
attend des effets spéciaux, quasi divins ou surnaturels. Par ailleurs, un tel impact n’est pas
seulement attribué au toucher et à la vénération des Écritures, mais également à la récitation
matérielle (ou au marmonnement) de textes ou versets de l’Écriture sainte.
Sacramentalité de l’Écriture
La ‘raison’ de la sainteté de l’Écriture repose bien entendu sur le fait que l’Écriture est
considérée comme ‘révélation’, c’est-à-dire comme ‘la parole de Dieu’. Ceci semble tellement
évident que l’on risque d’y prêter trop peu d’attention, bien que cette caractéristique soit tout
à fait essentielle et même fondatrice. En effet, on parle d’Écriture ‘sainte’ parce qu'il s’agit de
la Parole du ‘Saint’, de Dieu même qui s’est exprimé dans les mots et textes de la bible ce
qui est un des noyaux de la foi chrétienne. Ce caractère ‘divin’ de l’Écriture sainte mène
Louis-Marie Chauvet à parler de la ‘sacramentalité de l’Écriture.’
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Pour ceci il renvoie à
Origène qui, dans la communauté chrétienne, et surtout dans la liturgie, considère le respect
pour la Parole de l’Écriture comme tout aussi important que la vénération du Pain
eucharistique. De même qu'aucune négligence ou nonchalance ne peut être tolérée vis-à-vis
du Pain comme sacrement du corps du Christ, aucune nonchalance, frivolité ou irrévérence
n'est acceptée à l'égard de l’Écriture, jusque dans sa forme matérielle. Ce n'est pas seulement
le corps eucharistique du Christ, qui doit être entouré de tous les soins et honneurs, mais aussi
le corps scripturaire ; il mérite une attention et une dévotion similaire. Ce n’est pas seulement
le Pain vivant, consacré qui est la nourriture des croyants et de l’Église, mais tout aussi bien la
Parole sainte de l’Écriture. Ce n’est pas par hasard que dans la tradition chrétienne, jusqu’au
jour d’aujourd’hui, le Corps eucharistique ainsi que la Parole scripturaire sont tous deux
pareillement qualifiés de ‘pain de la vie’. Cela signifie que l’Écriture est vue et vécue comme
le temple et le sacrement de la Parole de Dieu, au même niveau que le Pain eucharistique,
considéré et vécu comme le temple et le sacrement du Christ. Ce n’est pas sans raison que
l’Écriture dans la matérialité de ses lettres, de sa textualité, est considérée comme le
‘tabernacle’ de Dieu. ‘L’esprit’, c’est-dire la révélation de Dieu, n’est accessible que par la
‘chair’ de la lettre, à savoir les mots matériels du texte écrit qui est précisément nommé
l’Écriture, la Bible ou le livre par excellence le livre tout court. Nous n'avons accès au
Sacré, littéralement au Dieu séparé, transcendant que par la forme banale, corporelle et
est terminée par l’acclamation du prêtre : « Les paroles du Seigneur », avec le Livre levé, suivi par l’approbation
de la communauté : ‘Nous rendons grâce à Dieu’.
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L.-M. CHAUVET, Symbole et Sacrement. Une relecture sacramentelle der l’existence chrétienne, Paris, Cerf,
1987 (Symbol and Sacrament. A SacramentalReinterpretation of Christian Existence, Collegeville, The
Liturgical Press, 1995, p. 213-220).
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tangible des lettres écrites, phrases, paragraphes, livres, lettres,… Certes, la lettre à elle seule
tue, et l’esprit rend vivant, mais le paradoxe est qu’il n’y a pas d’esprit sans lettre. Les lettres
matérielles et littérales sont des ‘médiatrices’ indispensables de la révélation et de l’esprit. Il
est vrai que cette révélation dépasse les lettres et le texte, mais elle ne peut se passer d'un
corps empirique scripturaire. C’est exactement pour cela que l’Écriture dans les communautés
chrétiennes, qui voient en elle leur fondation et leur sens, a reçu un caractère sacré, avec tout
l’encadrement symbolique et rituel qui va de pair. Cette sacramentalité ne mène pas
seulement à des formes de vénération de l’Écriture en tant que ‘livre’ comme objet
matériel mais également à une certaine forme de lecture, à savoir une lecture respectueuse et
attentive dans laquelle on veut tenir compte du caractère divin de l’Écriture. À l’instar de la
tradition juive, qui place l’écoute au-delà de la vision, la ‘lecture’ de l’Écriture dans la
tradition chrétienne a longtemps pris corps dans ‘l’écoute’ de la Parole prononcée et
proclamée par quelqu’un d’autre. Cette préférence ressort des paroles de Paul : ‘Ainsi la foi
vient de ce qu'on entend’ (Rom 10,17), ou de manière lapidaire dans l’expression latine
classique: “fides ex auditu”. Nous pouvons lier ceci avec l’ancienne tradition qui a subsisté
longtemps au Moyen Âge, de lire en prononçant les textes à haute voix. Lire en silence pour
soi-même était plutôt exceptionnel. Cette pratique n’a fait son apparition que dans la
‘Dévotion Moderne’ (e.a. Thomas a Kempis). À cette époque ‘moderne’, l’accent s'était
déplacé vers le sujet avec son intériorité et son autodétermination. Le seul fait de lire
l’Écriture à haute voix de façon soutenue, selon le rythme de la respiration, est une manière
d’honorer et de reconnaître la bible en tant que parole de Dieu.
Idolâtrie de l’Écriture
La sainteté extérieure ou ‘canonisation’ de l’Écriture contient toutefois un risque, celui
de l’idolâtrie. Concrètement le danger existe toujours que la lettre le texte même soit
confondue avec le sens littéral. Dans cette perspective, les paroles dans l’Écriture seraient
directement et entièrement la révélation de Dieu. On oublie l’incarnation du texte, à savoir sa
contextualité historique, sociale et culturelle. On agit comme si le texte de l’Écriture était
tombé du ciel sans aucune forme de médiation, ce qui signifie que le texte viendrait
directement de Dieu, alors que le texte est entièrement un texte humain, réalisé dans une
certaine période et à un certain endroit.
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Ce contexte de genèse et de croissance historique et
factuelle de l’Écriture induit l’importance de l’exégèse, qui tente d’accéder au sens originel
des textes et au but des auteurs ou rédacteurs par la recherche historique et littéraire et par la
‘Redaktionsgeschichte’ (histoire de la rédaction). On espère ainsi obtenir une meilleure vue
des faits et des expériences qui ont façonné la tradition orale ou écrite, littéralement la
‘tradition’. Ou plutôt, il s’agit de traditions au pluriel, qui sont non seulement unies en un seul
ensemble (de Bible) mais qui ont été clôturées à un certain moment. Cela a abouti à ce qui a
été appelé le canon ou l’Écriture canonique.
Celui ou celle qui pense devoir reconnaître directement et sans plus la révélation de
Dieu dans le texte historico-contingent de l’Écriture absolutise le texte, et cela mène
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Certains événements et expériences ne continuent pas seulement à vivre dans la mémoire, mais ont aussi été
racontées aux générations suivantes. Comme ces traditions ‘orales’ étaient volatiles et pouvaient se perdre dans
le courant des nouveaux faits et événements, l’on voulait les préserver. C’est la raison pour laquelle l’on les a
conservées sous forme écrite. D’abord, elles étaient rassemblées en collections séparées (par exemple de logique,
d’histoires, de psaumes, de sagesses) afin de pouvoir les utiliser et proclamer. Plus tard, ces textes séparés furent
groupés et rédigés en ensembles plus grands par des rédacteurs (par exemple le Pentateuque, les Prophètes, la
Sagesse ou les évangiles).
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directement à une idolâtrie de l’Écriture.
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Les aspects visible et tangible du texte écrit sont par
conséquent identifiés avec une révélation de Dieu immédiate et totale, et donc absolue
littéralement tachée (de toute contextualité). Dans l’idolâtrie, on agit comme si l’invisible
coïncidait immédiatement et entièrement avec le visible. Le regard du spectateur idolâtre ne
va pas au-delà du visible ; au contraire, il réduit tellement l’invisible au visible que l’invisible
disparaît comme invisible. Il réduit le figuré à la figure, le signifiant au signe, l’invisible au
visible. Dès lors l’image visible et tangible devient une idole et perd son caractère de ‘figure’
et de ‘signe’. On y pose que la Parole de Dieu serait totalement transparente dans les paroles
humaines de l’Écriture. Une approche idolâtrique, que nous pouvons aussi nommer
fondamentaliste, élève la bible au rang d'une doctrine close à laquelle on ne peut pas toucher
mais seulement obéir immédiatement. Sans scrupule ou réserve, on prend la bible comme une
sorte de ‘manuel divin’ qui donne immédiatement une réponse absolument sûre et adaptée à
toutes les questions de vie. De cette manière l’Écriture est idolâtrée, alors qu'elle-même
interdit à l’homme de faire des images de Dieu. Cette interdiction résulte de la conscience que
l’homme identifie facilement l’image avec la présence de la ‘réalité représentée’ elle-même,
et s'en sert pour tenter d’exercer un pouvoir par le biais de toutes sortes de rituels, magies et
incantations. C’est précisément afin d’échapper à cela que Chauvet parle de la sacramentalité
de l’Écriture. L’Écriture est un signe visible à travers lequel l’invisible vient vers nous. Mais
ce signe visible renvoie à l’invisible sans l’exprimer totalement. Inspiré par Jean-Luc
Marion
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, il utilise également la distinction entre idole et icône. Parce que Dieu est invisible, Il
n’est jamais directement accessible par notre perception sensorielle. Voilà pourquoi nous ne
pouvons en forger qu'une représentation approximative et hypothétique. Dans ce sens nous ne
pouvons parler de Dieu qu’en images. Mais nous devons nous rendre compte du fait que la
réalité divine représentée par ces images ne peut pas être donnée directement dans la
perception. Nos images de Dieu sont toujours en retard, toujours en défaut. Elles se trouvent
toujours à une distance infranchissable, littéralement ‘à di-stance’ comme le fait remarquer
Marion. Dans ce sens, ce sont des icônes qui ne font qu’évoquer le divin, sans pouvoir se
l’approprier et sans enfermer Dieu dans une forme historique, visible et tangible.
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Ceci vaut
également pour l’approche de l’Écriture. Dans une approche non-idolâtrique de la bible, la
révélation de Dieu ne coïncide jamais avec la lettre du texte, de sorte que sa transcendance
n’est jamais absorbée et détruite dans cette lettre.
Sainteté intérieure
Dès lors la question se pose du mode de réalisation de cette approche non-idolâtrique de
l’Écriture. Pour répondre à cette question nous devons examiner ce que signifie la lecture
même de l’Écriture. Pour cela nous ne devons plus partir à la recherche d’un critère externe
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E. LEVINAS, Mépris de la Thora comme idolâtrie, dans ID., A l’heure des nations, Paris, Minuit, 1988, p. 67-
88.
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Voir: J.-L. MARION, L’idole et la distance, Paris, Graseet, 1977.
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Ceci a de grandes conséquences pour la vision chrétienne sur l’incarnation de Dieu en Jésus de Nazareth, qui
selon les évangiles est le Christ ou l’oint du Seigneur. Que Dieu ait voulu vivre en Jésus dans toute sa plénitude
(Col 1,19), n’annule pas le caractère historique et contingent de l’incarnation divine. Jésus n’est pas un idole non
plus, seulement une image de Dieu. (Col 1,15), dans ce sens que Jésus était tout à fait humain ‘Jésus est
véritablement Dieu et véritablement homme’) et ne place non seulement Dieu en chair et en os, mais il réalise
cette présence également de manière finie, et donc déterminative et restreinte. Jésus Christ révèle et masque
Dieu, de sorte qu’il simultanément révèle et préserve la transcendance divine, sans enlever quoi que ce soit au
caractère définitif et unique de cette révélation dans l’être et les actes de Jésus.
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mais interne, à savoir un critère qui appelle et réalise la sainteté de l’Écriture à partir de notre
relation avec le texte comme texte.
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Que faisons-nous lorsque nous lisons l’Écriture ? Que se passe-t-il pour l’Écriture et
pour nous ? À première vue, lire un texte peut ressembler davantage à une ‘ré-flection’ ou à
une ‘expression et représentation’ passive de ce qui était déjà là auparavant. Comme si le sens
du texte était stocké dans le texte une fois pour toutes et indépendamment du lecteur un sens
déposé par Dieu. Cependant, lire, c'est dès le début interpréter. Et interpréter équivaut à
expliquer à soi-même, et simultanément aux auditeurs possibles ou réels. L’Écriture n’a pas
de sens en soi. Elle a sens pour quelqu’un, le lecteur, ou l’auditeur lorsque le texte est lu en
public.
Dès lors, la question devient celle de la lecture comme interprétation. Notre thèse est
que les textes de l’Écriture contiennent un ‘plus que le texte’, et que ce ‘plus’ nous parvient
seulement à travers le caractère radicalement humain de ces textes. En outre le texte ne
divulgue son sens qu’en relation avec le lecteur qui tente de comprendre et péter, mais
jamais d’un seul trait et définitivement ou intégralement. Cela signifie que le lecteur est
indispensable à la révélation. Sans lecture et explication, donc sans étude et interprétation par
les lecteurs, auditeurs et explicateurs, l’Écriture reste chose morte. Elle est morte dès qu’on
l’enferme dans son état de texte rédigé et achevé.
Un aspect remarquable de l’Écriture est que les textes ont un premier sens direct, mais
qui est en même temps énigmatique. Dès lors on est renvoyé à d’autres sens, plus cachés.
Ceux-ci sont également énigmatiques parce qu’ils sont eux-mêmes déjà interprétation, au sens
où l’interprétation n'est pas ajoutée de l’extérieur, mais est déjà active dans le texte même. En
tant qu’interprétation donnée, le texte invite le lecteur à interpréter à son tour et à comprendre
le texte. Autrement dit, les versets de l’Écriture invitent à regarder au-delà d'eux-mêmes et à
découvrir, précisément en se concentrant sur le sens immédiatement donné du verset, des
significations nouvelles et à les interpréter pour d'autres afin qu’ils puissent à leur tour y
réagir, ce qui mène encore à d’autres significations nouvelles. Seule une telle lecture créative
et critique qui se laisse questionner par le texte et qui à partir de nouvelles situations et
expériences ose poser des questions au texte fait preuve d’une elle considération pour le
texte. Par une lecture et une explication incessante interprétation et ré-interprétation , le
lecteur souffle sur les cendres apparemment éteintes de ‘lettres invariables’ jusqu’à ce que le
feu de l’inspiration qui y couvait s’enflamme à nouveau et que le texte nous transmette son
message, un message, il est vrai, jamais clôturé et qui invite donc toujours à une nouvelle
lecture, écoute et explication. Chaque commentaire demande un nouveau commentaire,
supplémentaire, contestant, transgressant, sans fin.
De quelle manière cette interprétation ou plutôt ‘interprétation infinie’ nous met-
elle sur la voie de la sainteté de Dieu, par laquelle la bible devient aussi un texte saint de
l’intérieur ? En effet, explication et interprétation mettent l’accent sur la contribution humaine
et pas tellement sur Dieu qui nous parle à travers le texte. En fait, rien n’est moins vrai.
Pénétrons un peu plus profondément dans l’acte de l’interprétation même. À la réflexion,
l’interprétation n’est en effet pas une ‘création à partir de rien’, qui commence à partir d'elle-
même et se termine de la même manière, qui ne s'accomplit qu'à travers son propre acte
créateur. Chaque interprétation est marquée par une hétéronomie radicale et c’est précisément
cette hétéronomie qui nous fait entrer dans le divin, le Saint. Le lecteur et l’interprète n'a pas
son point de départ en lui-même mais chez l’autre que lui. Il se laisse pour ainsi dire
‘chapitrer’ par l’autre, qui ne surgit pas de son intérieur. C’est exactement pourquoi il se
consacre à l’Écriture. On interprète toujours quelque chose qui échappe à l’interprétation,
même si ceci n’est donné que par l’interprétation. Sans lecteur, l’Écriture est morte, mais sans
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E. LEVINAS , Écrit et sacré, p. 355-362.
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