renforce également l’expérience extérieure d’identité du croyant, qui consiste en une
identification avec le christianisme comme grandeur sociale, reconnaissable dans toutes sortes
de formes objectives comme traditions, rituels et obligations, horaire et calendrier spécifique,
une théorie ou orthodoxie officielle, des institutions et des formes d’autorité, et last but not
least, un ensemble d’Écritures saintes strictement défini.
Ce n’est donc pas un hasard si l’Écriture sainte est vue et vécue comme une ‘source’
avec une valeur spéciale qui surpasse l’ordinaire. La bible reçoit une autorité ‘sainte’ qui
impose le respect. On jure par exemple avec la main sur la bible de sorte à associer le serment
au caractère saint de l’Écriture. Avec pour conséquence que d’un tel serment émane un plus
grand engagement. Cela signifie que le serment – par et dans sa prononciation même – a un
plus grand poids sur la personne faisant serment. Il n’est donc pas exceptionnel que, dans le
contexte de leur expérience religieuse, les croyants attribuent une force spéciale au toucher
d’un livré sacré, notamment l’Écriture, allant jusqu'à la magie et la superstition lorsqu'on en
attend des effets spéciaux, quasi divins ou surnaturels. Par ailleurs, un tel impact n’est pas
seulement attribué au toucher et à la vénération des Écritures, mais également à la récitation
matérielle (ou au marmonnement) de textes ou versets de l’Écriture sainte.
Sacramentalité de l’Écriture
La ‘raison’ de la sainteté de l’Écriture repose bien entendu sur le fait que l’Écriture est
considérée comme ‘révélation’, c’est-à-dire comme ‘la parole de Dieu’. Ceci semble tellement
évident que l’on risque d’y prêter trop peu d’attention, bien que cette caractéristique soit tout
à fait essentielle et même fondatrice. En effet, on parle d’Écriture ‘sainte’ parce qu'il s’agit de
la Parole du ‘Saint’, de Dieu même qui s’est exprimé dans les mots et textes de la bible – ce
qui est un des noyaux de la foi chrétienne. Ce caractère ‘divin’ de l’Écriture sainte mène
Louis-Marie Chauvet à parler de la ‘sacramentalité de l’Écriture.’
Pour ceci il renvoie à
Origène qui, dans la communauté chrétienne, et surtout dans la liturgie, considère le respect
pour la Parole de l’Écriture comme tout aussi important que la vénération du Pain
eucharistique. De même qu'aucune négligence ou nonchalance ne peut être tolérée vis-à-vis
du Pain comme sacrement du corps du Christ, aucune nonchalance, frivolité ou irrévérence
n'est acceptée à l'égard de l’Écriture, jusque dans sa forme matérielle. Ce n'est pas seulement
le corps eucharistique du Christ, qui doit être entouré de tous les soins et honneurs, mais aussi
le corps scripturaire ; il mérite une attention et une dévotion similaire. Ce n’est pas seulement
le Pain vivant, consacré qui est la nourriture des croyants et de l’Église, mais tout aussi bien la
Parole sainte de l’Écriture. Ce n’est pas par hasard que dans la tradition chrétienne, jusqu’au
jour d’aujourd’hui, le Corps eucharistique ainsi que la Parole scripturaire sont tous deux
pareillement qualifiés de ‘pain de la vie’. Cela signifie que l’Écriture est vue et vécue comme
le temple et le sacrement de la Parole de Dieu, au même niveau que le Pain eucharistique,
considéré et vécu comme le temple et le sacrement du Christ. Ce n’est pas sans raison que
l’Écriture dans la matérialité de ses lettres, de sa textualité, est considérée comme le
‘tabernacle’ de Dieu. ‘L’esprit’, c’est-à-dire la révélation de Dieu, n’est accessible que par la
‘chair’ de la lettre, à savoir les mots matériels du texte écrit qui est précisément nommé
l’Écriture, la Bible ou le livre par excellence – le livre tout court. Nous n'avons accès au
Sacré, littéralement au Dieu séparé, transcendant que par la forme banale, corporelle et
est terminée par l’acclamation du prêtre : « Les paroles du Seigneur », avec le Livre levé, suivi par l’approbation
de la communauté : ‘Nous rendons grâce à Dieu’.
L.-M. CHAUVET, Symbole et Sacrement. Une relecture sacramentelle der l’existence chrétienne, Paris, Cerf,
1987 (Symbol and Sacrament. A SacramentalReinterpretation of Christian Existence, Collegeville, The
Liturgical Press, 1995, p. 213-220).