Et si l'on redécouvrait la révolte !
Comme les autres - mondialisation oblige - la société française se désagrège. La guerre économique lamine le
monde du travail : licenciements massifs, précarité accrue, aggravation des conditions de travail, harcèlement...
L'Etat se recentre sur ses fonctions régaliennes : durcissement de la politique sécuritaire, état d'urgence comme
réponse au mal-être des banlieues... La poussée individualiste, voire narcissique, laisse le champ libre aux
requins de la finance et du commerce mondial : indifférence, désertion, désenchantement, perte du sens, repli sur
le présent, désaffection idéologique et politique.
Obsédés par le contrôle des marchés, assiégés par la logique du profit et les techniques spéculatives, les milieux
d'affaires ont l'oeil rivé sur le Dow Jones, le Nikei ou le CAC 40. Fascinée par la perspective des carrières à
réaliser, la classe politique, tous bords confondus, se lance dans le nouveau marathon des futures élections de
2007. Tétanisées à l'idée d'être débordées par leurs bases, les grandes centrales syndicales s'acharnent à briser
l'unité en organisant des randonnées pédestres festives. Façonnée par des medias à la botte du pouvoir, l'opinion
publique n'en finit pas de succomber aux délices de l'abêtissement culturel.La servitude volontaire bat son plein.
Le silence des pantoufles assourdit autant que le bruit des bottes. Aucun projet historique ne semble mobiliser
l'énergie. Nous vivons dans l'ère du vide.
Pendant ce temps, presque en silence, dans l'apathie et la torpeur quasi générales, un drame s'accomplit :la fin du
pétrole bon marché dans une société fondée essentiellement sur...le pétrole bon marché. En dépit du bluff, de la
manipulation des données (évaluation surestimée des réserves), des déclarations optimistes, nous nous
approchons du fameux pic de Hubbert, c'est-à-dire du moment où la production ne pourra plus satisfaire la
demande (2010,2012,2015 ?). L'amélioration des technologies d'extraction du pétrole n'y changera rien. Le
volume des découvertes décline depuis le milieu des années 60.Il devient nécessaire de creuser de plus en plus de
puits pour finalement découvrir de moins en moins de pétrole. Par ailleurs, le remplacement du pétrole
conventionnel par le non conventionnel (sables asphaltiques, huiles extralourdes...) ne satisfera qu'une partie
dérisoire des besoins. Et il n'y a aucune alternative sérieuse au pétrole, étant donné les coûts écologiques,
énergétiques et financiers. La conséquence directe est l'inflation des prix des produits pétroliers qui atteindra des
secteurs vitaux de l'économie : agriculture, pêche, transport, tourisme. Il faudra globalement se déplacer moins
vite, moins loin et moins souvent.
De graves conflits
Les gouvernements s'efforceront de retarder l'échéance en accordant des compensations financières face aux
revendications des différents acteurs sociaux. Mais ce replâtrage sera de courte durée : la hausse des
hydrocarbures sera brutale et irréversible (certains économistes prévoient un baril à 300 dollars en 2015 !). Notre
grande dépendance au pétrole, des habitudes tenaces de consommation, la forte croissance asiatique
maintiendront pendant encore longtemps une demande élevée pour des raisons quasi vitales. Aussi les dirigeants
des pays industrialisés emploieront-ils tous les moyens pour garantir leur approvisionnement pétrolier. Nous
risquons donc d'entrer dans une ère d'intensification (car ils existent déjà) de conflits internationaux, de guerres
permanentes pour l'accès au pétrole et son contrôle (lieux de production et d'acheminement). Et aussi d'assister à
une nouvelle forme de terrorisme, les conditions se trouvant souvent réunies.
La récente affaire du gaz russe montre assez bien ce qui pourra survenir dans un avenir proche. Pour punir
l'Ukraine, Gazprom, le géant russe du gaz naturel, avait réduit ses livraisons de 100 millions de m3, occasionnant
ainsi une chute d'approvisionnement en Europe (14 % en Pologne, 25 % en Italie et en France, 40 % en
Hongrie). Un coup de gueule de l'Europe devait suffire à assurer un retour à la normale. Jusqu'à quand ? Un
exemple parmi d'autres de l'utilisation de l'énergie comme moyen de pression économique ou politique.
Un chaos social
La volonté des classes dirigeantes de protéger les intérêts de l'industrie pétrolière a conduit les gouvernements à
éliminer les solutions qui se présentaient : réduction de la production, économies réelles d'énergie et de matières
premières, développement des énergies renouvelables. C'est donc dans l'urgence que s'effectuera cette transition
vers l'après-pétrole. Et ce sont, bien entendu, les classes les plus vulnérables qui subiront le plus lourdement
cette flambée des prix qui concernera quasiment tous les secteurs. Après avoir souffert des conséquences du
modèle économique fondé sur le pétrole (chômage, exclusion, délocalisations, précarité), ce sont ces mêmes
catégories sociales qui vont connaître, avec le déclin du pétrole, des conditions de vie de plus en plus difficiles.
Restrictions imposées ou consenties dans l'accès aux biens et aux services, fragilisations, instabilités,
affrontements, ruptures. Jusqu'où pourront aller ces "dynamiques sociales" à l'oeuvre ? Quelle ampleur pourront
prendre les émeutes populaires face aux pénuries ? Faudra-t-il parler d'effondrement économique et social, voire
d'économie de guerre ? Comment les grandes villes s'adapteront-elles aux difficultés d'approvisionnement ?
Les expérimentations positives, plus ou moins longues à mettre en oeuvre (autoproduction pour certains, jardins
familiaux, circuits courts, troc, réseaux d'entraide, coopératives alimentaires...), n'empêcheront pas un nombre
important de familles, de ménages, de subir douloureusement ce choc, à commencer par la perte d'emploi due
aux restructurations des secteurs les plus touchés ou à l'impossibilité financière de se déplacer, et toutes les
conséquences prévisibles (restrictions sur l'alimentation, le chauffage, la santé, l'éducation, les loisirs...). De
nombreuses galères en perspective : tragique dénouementd'une civilisation qui avait promis l'abondance pour
tous.
Réussir la révolution
Les bouleversements sociaux considérables, que certains reprochent aux anarchistes de vouloir provoquer, vont
se produire. Et c'est le système capitaliste lui-même, empêtré dans ses propres contradictions, qui les aura
engendrés ! Notons au passage qu'il paraît hautement probable que les dirigeants passés et présents, parfaitement
informés des conséquences de leurs décisions, ne paieront jamais pour l'impréparation coupable, la gabegie
criminelle dont ils auront été les auteurs.
La révolte grondera, c'est la seule certitude. L'issue est aléatoire : socialisme libertaire ou barbarie. La
mondialisation n'a pu se réaliser que grâce au pétrole bon marché; par conséquent, en perdant l'or noir, le
capitalisme se verra privé de son arme principale. Si nous ne sommes pas capables de profiter de cet
affaiblissement considérable pour construire la gestion directe des ressources, la maîtrise collective de la
production, le partage des richesses par la solidarité et l'imagination, attendons-nous à voir se développer les
gangs, les mafias, la corruption, le crime ou à subir les mesures draconiennes d'Etats totalitaires au nom de la
sauvegarde de la planète.
"Dès aujourd'hui, nous devons nous impliquer dans la vie municipale en participant aux élections, en assistant
aux réunions du conseil...", voici tout ce que trouve à écrire Yves Cochet, docteur en mathématiques et ancien
ministre de l'environnement, dans un livre par ailleurs bien documenté "Pétrole Apocalypse" (Fayard). Coluche
se serait écrié : "Quand on n'a que ça à dire, on devrait fermer sa gueule". Il est toujours aussi navrant de voir un
intellectuel, parfaitement lucide sur les conséquences dramatiques de l'après-pétrole (la lecture du livre le
prouve), prôner une nouvelle fois le réformisme, le parlementarisme, c'est-à-dire la stérilité. Ceux qui
détournent, par lâcheté, l'énergie des populations de la seule voie porteuse d'avenir - la révolution sociale et
libertaire - portent une lourde responsabilité.
Article paraissant dans un Monde Libertaire de février 2006.
ON VOUS PREND POUR DES IMBECILES
La Fédération Anarchiste avait proposé d'animer un débat sur la décroissance, par
l'intermédiaire notamment de l'auteur d'une brochure « Du développement à la décroissance »,
texte qualifié par la revue Silence de « très bon travail de synthèse » et d « 'excellente
réflexion » par le périodique « La décroissance ». Contrairement à d'autres associations, plus
ouvertes, et sans doute soucieuse de préserver le caractère « politiquement correct » du salon
de Guichen, Culture bio a (démocratiquement ?) cru devoir opposer une fin de non-recevoir.
Certains choisissent donc pour vous ce que vous devez entendre, ce que vous devez savoir :
vous serez ainsi privé d'un autre regard, moins consensuel mais plus cohérent, sur l'état
dramatique de l'environnement. C'est, par conséquent, à une énième grand-messe que vous
allez être convié, célébrée par des « experts ». Grand-messe au cours de laquelle on évitera de
vous expliquer comment et pourquoi nous en sommes arrivés (des fois que vous
comprendriez !). Au cours de laquelle, par contre, on cherchera à vous culpabiliser, vous
incitant à modifier votre comportement quotidien...pendant que se poursuivent, pour l'élite, les
projets délirants et les voyages en jet privé. Bref, on vous indiquera ce qu'il faut faire pour
améliorer la situation...en oubliant de constater que celle-ci se dégrade d'année en année. Et si
cette détérioration était parfaitement logique, puisqu'on ne s'attaque jamais aux causes réelles
! La simplicité volontaire des classes pauvres et moyennes n'empêchera jamais les riches de
vivre dans le luxe et de dilapider joyeusement les ressources.
Car la réalité est d'une clarté aveuglante...pour qui veut bien ouvrir les yeux ! Certes, depuis le
néolithique, toute évolution des sociétés s'accompagne d'une transformation du milieu, mais
jusqu'au 18e siècle, les blessures infligées aux écosystèmes demeurent dérisoires. Après la
révolution industrielle, les dégâts vont s'accélérer de manière vertigineuse, au point
qu'aujourd'hui l'empreinte écologique de l'humanité, dans son ensemble, dépasse de plus de
20 % les capacités de régénération de la planète. C'est bien l'oeuvre du capitalisme auquel le
gaspillage est inhérent : pour que les profits se maximalisent, il fallait une surproduction qui
maintienne les prix le plus bas possible pour consommer à outrance. A 1OO dollars le baril de
pétrole, combien vaudra la vie humaine ?
Car la mondialisation du capitalisme anéantit dans un même mouvement l'homme et le milieu
naturel : d'un côté, perturbations climatiques, perte de biodiversité, épuisement des ressources,
déforestation..; de l'autre, plus de un milliard d'habitants vivant avec moins de un dollar par
jour, 84O millions en sous-nutrition chronique, l'Afrique, continent sinistré, des inégalités qui
explosent (la fameuse « fracture sociale »).
Alors que chaque année, plus de dix millions d'enfants meurent de maladies qui auraient pu
être évitées, la communauté internationale s'est engagée à faire reculer la pauvreté d'ici à
2O15. Donc, près de cent millions d'enfants vont mourir d'ici cette échéance ! Peut-on
accepter ce défi cynique, oubliant qu'une révolution sociale assurerait rapidement une
redistribution des richesses, dont se préoccupe, paraît-il, la Banque mondiale ?
Parce qu'il est fondé sur la concentration, sur l'accumulation du capital, le capitalisme ne peut
assurer le partage des richesses produites. Il est par conséquent acculé à une croissance sans
fin, dans le seul but d'empêcher le niveau de l'emploi de se détériorer trop rapidement et les
pauvres de se révolter. Or cette croissance n'est plus possible sans compromettre les
conditions de vie des générations futures. Jusqu'à quand une redistribution des miettes suffira-
t-elle à maintenir un semblant de cohésion, de paix sociale ?
Aujourd'hui, la fonction idéologique du concept pervers de développement durable (et des
mystifications qui lui sont associées : commerce équitable, entreprise citoyenne, placement
éthique, économie sociale et solidaire...) est de faire croire que l'on peut résoudre les
problèmes environnementaux dans le cadre du système qui les a créés. Le marché comme
remède aux maux du marché (c'est bien la première fois que nos grands prédateurs
s'intéressent à l'homéopathie !).
Il faudrait croire que, dans le cadre du capitalisme, la société civile peut constituer un
contrepoids aux tendances totalitaires des Etats et des marchés (alors que les 1O OOO
lobbyistes pour 626 députés à Bruxelles prouvent chaque jour le contraire). Il faudrait croire
que le consommateur dispose d'un pouvoir considérable. Mais pourquoi attendre que des
produits toxiques soient en rayons pour les boycotter ? Pourquoi ne pas s'organiser pour ne
pas fabriquer ces produits nocifs ? Et si c'était seulement par lâcheté, par crainte de remettre
en cause les rapports sociaux de production ? Sicco Mansholt lui-même, qui a dirigé la
Commission européenne dans les années 7O, affirmait : « Pour que l'humanité survive, il faut
que le capitalisme meure ». Et s'il s'agissait d'un avertissement d'une grande lucidité ?
Faire croire à un capitalisme à visage humain constitue une imposture criminelle à l'égard des
générations futures à qui nous sommes en train de construire des cimetières. Et même pour
certains, la décroissance doit être soutenable...pour le capitalisme, bien sûr, ce qui est aberrant
puisque ce système ne peut survivre sans croissance.
On ne saurait prétendre résoudre une crise de civilisation ni par des textes gislatifs, ni par
des mesures fiscales, ni par des remaniements ministériels, mais bien par une rupture avec le
système actuel. Il s'agit, non pas d'aménager, mais de rompre avec un mode de production, de
transformation, de distribution qui conduit à la fois à une impasse énergétique et à une
impasse sociale. La présence, par exemple, de produits biologiques dans les rayons des
grandes surfaces constitue, non pas une victoire sur la nourriture frelatée, maais une défaite
face à la grande distribution capitaliste. Nous ne ferons pas l'économie d'une révolution
sociale. Ceux qui prétendent le contraire sont des imposteurs.
Suivre les gourous de service dans leurs hypothèses fallacieuses, dans leurs discours
lénifiants, dans leurs injonctions infantilisantes condamnerait nos propres enfants à des
conditions de vie de plus en plus terribles : c'est chaque jour que le capitalisme accentue ses
ravages; trop de temps a déjà été perdu par les partisans du réformisme, du parlementarisme.
Jean-Pierre TERTRAIS
Groupe La Sociale - RENNES
Bonjour
Je vous propose deux articles pour de prochains ML.Pour le premier, je propose pour titre :
« Aménager le capitalisme : la voie suicidaire ».
La publication de Manière de voir du Monde diplomatique (juin-juillet 2005) aborde un sujet
devenu hypersensible : « Ecologie : le grand défi ». Analyser les enjeux, comprendre l’avenir
avec les meilleurs « spécialistes » : on ne mesure jamais la chance dont on bénéficie ! La
lecture de ce recueil d’articles ne pouvait décevoir que ceux qui espéraient y découvrir une
perspective. Pour les autres, le message était connu : l’état du malade est préoccupant, passez-
moi le sparadrap !
Un bilan alarmant
Parce qu’en effet, les auteurs qui s’y expriment sont tous conscients de la gravité de la
situation : tous les clignotants sont au rouge, beaucoup de processus sont probablement
irréversibles, les dégâts écologiques et sociaux d’un demi-siècle d’une croissance économique
effrénée sont considérables.
Après le rappel pertinent du souvenir de Bhopal (Inde, décembre 1984) la plus grande
catastrophe industrielle de tous les temps : plusieurs milliers de morts dues à une logique
criminelle le constat énumère lucidement les principales menaces.
° Côté environnemental : la planète vit au-dessus de ses moyens énergétiques. Durant la
seconde moitié du XXe siècle, l’espèce humaine a plus profondément modifié les
écosystèmes qu’elle ne l’a fait au cours de toute son histoire. Parce qu’il s’agit d’acheminer
au plus bas prix possible, vers les zones de consommation, les produits fabriqués dans les
pays pratiquant les moins-disant social, fiscal et environnemental, l’explosion des transports
est, de toute évidence, liée aux mécanismes de la mondialisation néolibérale. La fin du pétrole
se rapproche. Avec les taux de croissance actuels, le temps de doublement de la
consommation mondiale d’énergie est voisin de 50 ans.
A l’échelle de la planète, ce sont plus de deux milliards de tonnes de déchets industriels
solides et près de 350 millions de tonnes de détritus dangereux qui sont engendrés chaque
année. Entre 1960 et 2025, la ressource en eau par personne sera passée de 3430 m3 à 667 : le
seuil d’alerte est fixé à 2000 m3 !
° Côté social : 80 pays ont un revenu par tête inférieur à celui d’il y a dix ans ; le nombre de
personnes qui vivent avec moins de un dollar par jour ne diminue pas. L’écart entre les 20 %
les plus pauvres et les 20 % les plus riches était de 1 à 30 en 1960 ; il est aujourd’hui de 1 à
80. D’autre part, en 2015, 36 mégalopoles compteront plus de 8 millions d’habitants.
Concernant la santé, qui résulte d’un héritage génétique, mais surtout de valeurs culturelles,
de l’état de l’environnement et du contexte socioéconomique, le bilan est lourd : choléra,
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