Du revenu universel au revenu citoyen
Nous avons vu, lors de mes dernières chroniques, l’évolution néfaste de notre
monde sous l’action du néolibéralisme globalisé, financiarisé et ses conséquences sur notre
développement depuis 2 siècles : explosion démographique, agressions contre notre
environnement, la dualité de nos sociétés, pauvreté et exclusion.
Mais nous avons aussi identifié quelques aspects qui pourraient nous permettre de nous
développer autrement. Particulièrement par la prise en considération de tout ce qui, hors de
la mesure économique « officielle », produit de l’utilité sociale, environnementale,
culturelle, particulièrement dans le cadre du développement de l’économie sociale de
proximité… mais aussi en prenant en compte les « envies d’agir » des citoyens. Tout ceci
en considérant avec objectivité les potentialités comme les limites de cet « autre »
développement…
En préambule, afin de bien cadrer le débat, je souhaiterais rappeler quelques
éléments concernant le coût du chômage :
- coût direct minimal de 83,7 Md€ chaque année ;
- coût du CICE, et autre pacte de responsabilité, à la collectivité 41 Md€, pour
2016 ;
- coût des autres aides fiscales ou déductions de cotisations sociales estimées par
certains à 100 Md€ par an ;
- coût indirect du chômage, soit 48 Md€ de cotisations sociales non encaissées ;
Soit en additionnant les coûts directs et indirects, le coût total du chômage en
France serait environ de 270 Md€ chaque année !
Conclusion aberrante qui peut révolter.
Et puis, il y a des coûts non chiffrables, notamment humains générés par le
fonctionnement des entreprises : qu’ils soient dus au stress ou à la détérioration du rapport
au travail.
Rappelons-nous aussi, le transfert progressif des revenus du travail à ceux du capital
soit 10% du PIB : 200 Md€ par an depuis 30 ans… Une étude de la commission européenne
évoque même 12%... Incroyable ! Mais comment alors oser nous dire que nous sommes
endettés et qu’il faut se « serrer la ceinture » !
Bien évidemment, ces chiffres sont approximatifs, mais ils démontrent que des
marges de manœuvre existent pour réduire le chômage, ce gâchis social, économique,
humain qui semble accepté, voire voulu… Alors que quelques décisions politiques pourraient
changer notre quotidien, cette incapacià les mettre en œuvre nous coûte très cher. Bien sûr,
il s’agit de limiter le chômage, mais aussi de faire plus que cela : réactiver les dépenses
passives du chômage, c’est considérer que cette crise du chômage est l’occasion d’un choix.
Celui de s’appuyer sur un traitement différent du chômage pour opérer une transition de
l’ensemble de la société…La réactivation des dépenses passives du chômage peut
constituer une chance C’est sur cette base que je propose la création d’un revenu de citoyen
actif. Réactiver les dépenses passives du chômage vers d’autres formes d’activités répondant
à nos réels besoins, à l’amélioration de notre bien-être général, à la qualité de la vie de tous,
etc. C’est changer l’ambiance de la société avec, en prime, une autre forme de croissance à
portée de main… Laquelle nous permettrait de répondre aux besoins énormes qui existent
dans les domaines sociaux, environnementaux, culturels Bref un nouveau type de
marchés qui induisent une autre forme possible de développement de notre société, dite
d’utilité sociale,.
Réactiver les dépenses passives du chômage, c’est se donner les moyens,
l’opportunité de former, de réorienter, d’accompagner toutes les personnes dans ce
moment de transition de vie que constitue le chômage… (Re)donner aux chômeurs des
« envies d’agir », de (re)construire des liens sociaux, afin de les (re)situer comme des
citoyens actifs, participants à un réel projet de société, stimulant l’initiative et la
créativité dans le cadre de l’économie sociale de proximité.
Ignorant cela, collectivement, depuis plus de 30 ans, nous nous sommes révélés
incapables ou impuissants de réduire le chômage. Nous n’avons pas pu ou voulu saisir
cette chance représentée par la réactivation du coût du chômage. C’est alors que
s’appuyant sur le constat d’échec du traitement du chômage, nous voyons les partisans
de la « fin du travail », qui proposent la création d’un « Revenu Universel pour tous »,
idée soutenue de façon étonnante, par de nombreux libéraux, ce qui devrait
inquiéter ceux qui, à gauche soutiennent cette idée !
Ce Revenu Universel serait réservé à toute personne sans contrepartie
sociale, tout au long de la vie, de la naissance à la mort, sans condition de ressources
autres. Cette idée, présentée par certains comme nouvelle ou moderne, alimente le
débat de la campagne des élections présidentielles 2017.
Pourtant cette proposition n’est pas nouvelle. Le premier à avoir théorisé cette
« solution à la pauvreté », c’est le philosophe Thomas More qui développe au XVIème
siècle, ce « remède à la pauvreté » dans un livre intitulé « Utopia ». (voir article d’Hubert
Reys sur le Clairon de janvier)
Ce fameux « revenu universel » avait déjà été testé aux Etats-Unis dans quatre
villes auprès de 7500 personnes, sous l’impulsion notamment du très
« révolutionnaire » Richard Nixon, ainsi qu’au Canada, en Inde, au Brésil ou encore en
Namibie. L’objectif est de permettre une adaptation à la crise des couches sociale les
plus défavorisées en leur octroyant les moyens minimums de survie.
En 2013 le prix Nobel d’économie Paul Krugman, économiste libéral, a développé
cette idée sous le vocable de « revenu de base » dans son livre « Capitalisme et Liberté ».
Il s’est fait le chantre de cette mesure (du moins de la philosophie qui la sous-tend) avec
l’idée d’un « impôt gatif » qui revient à attribuer une prime de l’État à ceux qui
n’auraient pas assez travaillé dans l’année, pour compenser l’absence de revenus.
De telles références auraient-elles inspiré la mesure phare du candidat du Parti
Socialiste en 2017 ! ?!!!
Un tel revenu présenterait dans l’esprit libéral un avantage considérable :
évacuer toutes les interrogations qui permettraient de comprendre pourquoi des
millions d’individus sont exclus de l’emploi, de la vie sociale, du salaire, d’où le choix de
tester des rustines permettant de maintenir la paix sociale au moindre coût.
Avec le faible niveau de revenu annoncé, en tout état de cause en dessous du seuil
de pauvreté, on nous annonce un revenu universel qui permettrait de ne pas mourir de
faim ! Mais alors nous assisterons pour compléter ce revenu insuffisant à une
augmentation considérable de travaux précaires, à la multiplication des « petits
boulots » alternant avec des phases de chômage plus ou moins longues.
Enfin, comme toutes les mesures sociales, le revenu universel ne sera qu’une
situation transitoire, il sera combattu, parce que « pas rentable », par les propriétaires
de capitaux. Pour les néolibéraux favorables au revenu universel, une telle option leur
permettrait de « liquider » les droits sociaux en mettant une somme forfaitaire à
disposition de chacun pour « solde de tout compte »… Mais aussi de se séparer de
salariés « récalcitrants ». Et la prochaine étape inéluctable fera qu’à leur initiative le
revenu universel sera soumis à condition dans une conception punitive de l’aide sociale.
On connait la chanson : si les pauvres sont pauvres, ils en sont coupables : on leur
interdira donc de mourir de faim mais à condition qu’ils acceptent de travailler à
n’importe quelle condition.
Aujourd’hui, dans le vide sidéral du Parti Socialiste, qui sort laminé du
quinquennat de François Hollande, son candidat en 2017 essaie d’occuper le terrain
avec une proposition qualifiée de « phare », « novatrice », « moderne » : le revenu
universel pour tous ! Proposition pratiquement vampirisée du programme du parti
Nouvelle Donne, tout en excluant son représentant des primaires socialistes… B. Hamon
a même poussé la provocation suffisamment loin en disant que cette mesure est non
seulement souhaitable, mais nécessaire, réaliste… applicable dès aujourd’hui, mais non
financée ! Le plus ahurissant de l’histoire a été pour moi la façon désinvolte dont a été
annoncé le chiffrage de cette mesure 200 milliards par an ? 300 ? 400 ? 500 ? Un
amateurisme qui ne manque pas d’inquiéter !
Cette position intenable a été finalement modifiée … Le revenu universel ne serait
plus universel, mais limité dans son montant, ciblé sur les bénéficiaires du RSA pour en
ramener le coût prévisionnel à 35 milliards…
Dans cette analyse, et comme souvent chez nos « politiques », on s’attaque aux
conséquences en ignorant les causes ! Afin de clarifier le débat, nous devrions tout
d’abord, différencier l’emploi et le travail.
L’emploi est une valeur d’échange, sous forme de salaire et protection sociale,
avec un lien de subordination juridique dans une logique d’obéissance. Le nombre
d’emploi évolue avec le temps : 1950 … 19 millions d’emplois ; 2015 … 26 millions
d’emplois. Il y a donc une destruction et une création constante d’autres emplois, de
nouveaux emplois… Parler de la question de l’emploi (salarié et relookage du taylorisme
en lean-ménagement) est plus facile que de parler de travail, d’activité.
Le travail est une valeur d’usage, c’est l’ensemble des activis qui construit
notre société.
En conséquence, un débat sérieux pourrait porter sur l’emploi productif, mais
surement pas sur la « fin du travail », expression qui n’a pas de sens quand on
observe tous les besoins non satisfaits en terme sociaux, environnementaux et culturels.
J’ai toujours pensé, qu’il faut choisir entre se reposer ou être libre, et pour être
libre, il faut travailler (pris au sens de l’activité). Rappelez-vous la chanson de Félix
Leclerc… Si vous voulez tuer un homme, enlevez-lui son travail et faites en un
chômeur ! Ce n’est pas en vous reposant devant la télévision, en zappant
machinalement que vous êtes libre. Vous croyez peut être être libre, mais c’est une
fausse liberté, car vous êtes formatés par un système qui vous manipule. La liberté, c’est
le travail, surtout sur soi. La liberté, c’est très difficile, parce qu’il est si facile de se laisser
aller…
Ainsi, le modèle de l’emploi comme le sens du travail doivent être repensés,
mais il ne s’agit pas de tomber dans la facilité, voire la démagogie.
Séparer revenu et emploi entraîne une dévalorisation systématique du travail,
mais aussi loin de contribuer à une société plus équitable cela ne peut qu’aggraver les
inégalités et disloquer le corps social.
Séparer travail et citoyenne est dangereux car cette situation éloigne les
citoyens du « vivre ensemble ». En effet, comment rester citoyen quand on est sans
travail ? Le travail comme l’emploi créé un lien social puisqu’il suppose de la
coopération.
Or, nous sommes dans un moment la démocratie a besoin d’un nouveau
souffle pour rendre à chaque citoyen sa capacité d’action au sein de la société. Si une
partie de la population était renvoyée à la condition d’assistés ou à celle d’une plèbe
semblable à celle de l’empire romain, ce serait plus « du pain et des jeux du cirque »,
mais « le revenu universel et du football à la télévision ». Dénué de toute
contrepartie, le revenu universel contribuera à priver le peuple de tout pouvoir de
décision… au profit des « puissants », des rentiers des capitalistes !
Une telle option ne correspondrait en rien à un gain de liberté. Elle relève de
l’organisation de l’oisiveté mais surtout de l’organisation systématique de la
décomposition intellectuelle et morale du peuple. On peut déjà mesurer une telle
tendance avec le chômage, même assisté, qui produit directement et indirectement la
remontée des idées et des partis racistes, xénophobes, voire de type fasciste, comme
dans les années 30. Et cette décomposition constitue déjà aujourd’hui une menace
directe et sérieuse pour toute société qui se voudrait humaniste.
En conclusion, le danger est donc d’éviter que le revenu universel pour tous, traité
d’une façon irresponsable ne devienne qu’un revenu minimum pour un citoyen
minimum… et risque de devenir rapidement un « cataplasme social » de plus !
Ultime étape de la déconstruction du sentiment d’appartenance à une collectivité…
Perversion d’une initiative qui se voudrait généreuse !
Pour toutes ces raisons, je propose la création d’un
Revenu de citoyen actif.
Nous avons vu que les moyens existent en activant les dépenses passives du
chômage, ce qui nous ouvre des marges de manœuvre considérables pour financer ce
revenu de citoyen actif qui ne représente rien ou pas grand chose par rapport au coût
total du chômage qu’il soit financier, humain, sociétal !
Le revenu de citoyen actif, ne s’analyse pas en coût ou en charge, mais en
produit, mieux en investissement, pour l’entreprise comme pour la société. Il ne s’agit
en aucun cas d’une indemnité pour ne pas travailler, mais de transformer les coûts
passifs du chômage en une dynamique pour le développement de l’économie sociale
de proximité, un secteur les besoins humains sont à développer. (Voir notre
chronique du mois de février). Il s’agit donc de faciliter, de permettre à des personnes
exclues de reprendre une activité, de créer des liens sociaux au lieu de les exclure
davantage comme le ferait immanquablement le revenu universel.
Ce qui revient à transformer les chômeurs en actifs accomplissant des tâches
utiles, susceptibles de rémunération : un travail contre un emploi ou une activité,
ce qui est bien différent qu’un bénévolat subi ou qu’un revenu minimum pour rester
chez soi ! C’est ainsi que nous passerions de l’exclusion à l’emploi, de la précarité à
l’activité.
Le revenu de citoyen actif serait un changement d’état d’esprit. Je pense même
qu’il pourrait entraîner un changement sociétal
Non seulement, il concernerait toute personne active ou demandeur d’emploi qui
souhaiterait s’engager dans une action identifiée, considérée d’utilité sociale ou
d’innovation, participant de l’économie sociale de proximité.
Non seulement, il limiterait le chômage, mais surtout il inspirerait aux personnes
(pour peu qu’elles soient accompagnées, aidées), des « envies d’agir », de reconstruire
des liens sociaux, de, participer à un projet de société nouvelle.
Nous devons prendre en compte une autre organisation de nos vies compte
tenu des changements et de la complexification permanente de nos sociétés : ce
qui veut dire aussi que nos vies contemporaines ne nous permettent pas de tout faire de
tout maîtriser, et de plus en plus nous devrons faire appel à des aides extérieures qui
sont et seront développées au sein d’une économie sociale de proximité (avec le
développement de services sociaux, environnementaux, culturels, etc.)
Je voudrais aussi évoquer un point qui me tient à cœur : la reconnaissance du
travail « invisible », de l’éducation, dans la famille ou dans la cité comme dans la
ruralité, ou encore les 4 millions d’aidants, souvent des femmes, quelquefois des
aîné(e)s qui ne sont pas pris en compte par la société. Le travail domestique ne produit
pas de position sociale, il se fait dans la sphère privée et ne serait donc pas
« économique » ! Et pourtant, sans ce travail « invisible » notre société pourrait-elle
fonctionner ?
Le revenu de citoyen actif, c’est aussi cela : donner une reconnaissance à tout ce
travail « invisible » en organisant cette énergie citoyenne transformatrice de notre
société, permettant ainsi aux citoyens de passer de la contestation à la transformation,
d’un sentiment d’impuissance à l’action concrète… de se découvrir, dans l’initiative,
et l’innovation, de se sentir citoyen, de redonner du souffle à notre société !
Ainsi, ce revenu de citoyen actif permettrait la reconnaissance d’engagements
des personnes dans la cité, dans les associations, dans les entreprises comme auprès des
collectivités, de l’État.
Citons quelques cas possibles :
Dans la société, la cité ou la ruralité :
- Des administrateurs sociaux ou associatifs. Une façon de sortir de
« l’ambiguïté » du bénévolat, de la direction de fait, etc. Mais aussi une façon
de permettre le renouvellement des cadres associatifs vieillissants face à des
« adhérents usagers bénévoles » pas toujours prêts à s’engager plus…
- Des élus dont la grande majorité, conseillers municipaux sont non indemnisés,
ni couverts socialement (maladie, retraite), mais aussi de leur permettre une
réintégration dans le circuit économique. (voir rôle de la plateforme des
initiatives citoyennes dans le prochain chapitre) Une façon de ne pas
« s’enferrer » dans l’environnement politique et de sécuriser les vocations
pour l’action publique, le bien commun, etc.
- Des citoyens issus d’entreprises privées, publiques qui devraient être
présents dans les conseils d’administration : recréation de Conseils de Service
Public qui, à leur création, réunissaient les usagers, les salariés et les élus afin
de renforcer le contrôle des citoyens usagers, de rappeler aux entreprises
privées et publiques leurs responsabilités sociales, sociétales et
environnementales. Ce qui, par ailleurs, bonifierait leur image dans la Cité.
C’est aussi une façon de créer un contre-pouvoir face à des personnalités, des
technocrates qui se cooptent entre entreprises. L’Allemagne applique un tel
système, il existe déjà dans les structures de l’économie sociale et solidaire, de
l’entreprenariat social ;
- Des seniors, dont le taux d’activité est de 40%, qui ressentent l’envie de se
préparer à la transition entre vie professionnelle et « autre chose ». Peut-être,
en amenant leurs expériences, leurs compétences, une façon de participer
activement, de s’intéresser à la vie de la cité. Mais aussi, s’ils souhaitent
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