renversement du capitalisme. Ils pointent donc l'impact indirect de la redistribution sur les inégalités, en interaction avec
d'autres politiques publiques.
III) Ce sont peut-être les effets indirects de la redistribution des revenus qui sont décisifs.
A) La redistribution des revenus joue indirectement sur l’ensemble des inégalités…
- Le resserrement de l’éventail des revenus par la redistribution érode à long terme les patrimoines. Les séries historiques
construites par T. Piketty révèlent que les épisodes inflationnistes et les deux guerres mondiales ont rogné les patrimoines,
et que c’est la fiscalité progressive, qui inclut notamment dans son assiette les patrimoines à travers notamment les droits de
succession puis l’Impôt sur les Grandes Fortunes (1981), qui a empêché la reconstitution de ces patrimoines. Or, les
inégalités de patrimoine ont un caractère cumulatif : beaucoup plus concentrés que les revenus, comme le montrent les
courbes de Lorentz ou les strobiloïdes mis en exergue par L. Chauvel (« Le retour des classes sociales », 2001), ils
constituent une source conséquente de revenus pour les plus riches (doc.2), ce qui entretient et amplifie les inégalités de
patrimoine. A contrario, l’allègement récent de la fiscalité du capital est une cause majeure de la recrudescence des
inégalités.
- Ce resserrement n’est pas seulement un phénomène économique. Combiné aux gains de productivité qui permettent une
progression générale des niveaux de vie, il fonde la seconde révolution française de la moyennisation (H.Mendras, 1988) :
les modes de vie s’uniformisent, les classes semblent se dissoudre en des « constellations »..
- Les inégalités font système, leur imbrication fait que la redistribution des revenus réduit potentiellement les inégalités au-
delà des strictes inégalités de revenus. Une politique de logement mieux ajustée pourrait favoriser la mixité sociale et
scolaire qui permettrait de réduire les inégalités de chance, mais demeure aujourd’hui un objectif lointain (cf. doc.6).
Comme la possession d’une chambre à soi est un facteur significatif de la réussite scolaire d’un-e jeune (E. Maurin, La
nouvelle question scolaire, les bénéfices de la démocratisation, 2007) accroître la capacité de financement du logement des
plus pauvres réduit les inégalités scolaires. On comprend alors qu’il n’y a pas d’arbitrage en termes de politiques publiques
entre égalité des chances et égalité des conditions, et qu’au contraire ces deux objectifs sont positivement corrélés (cf.
doc.5)
B) Elle ne se fait pas seulement par des flux financiers.
- Il faut prendre en compte les prestations sociales en nature délivrées par les administrations publiques. Depuis
l’adoption du SEC 1995, la comptabilité nationale calcule ainsi le revenu disponible ajusté, qui ajoute au revenu disponible
la consommation publique individualisable. Il est important de concevoir les politiques scolaires comme des outils de
redistribution des revenus ajustés. Sous un angle théorique et économique, G. Becker montre que les dépenses publiques
d’éducation compensent l’obstacle financier que constituent des dotations familiales inégales lorsque le marché des
capitaux est imparfait, et que l’on ne prête qu’en contrepartie d’un collatéral ("Human Capital and the Rise and Fall of
Families", Journal of Political Economy, 1986).
- C’est aussi le sens de la politique des Zones d’Education Prioritaire, qui redistribue en termes de revenus ajustés des
quartiers riches vers les quartiers pauvres. Si elles peuvent se heurter à une stigmatisation des établissement bénéficiaires
qui renforcerait des effets de pairs négatifs (R. Benabou, F. Kramarz & C. Prost, "Zones d'éducation prioritaire : quels
moyens pour quels résultats ?", Economie et Statistique, 2003), elle souffrirait surtout selon T. Piketty d’une masse
budgétaire insuffisante ("l'impact de la taille des classes et de la ségrégation sociale sur la réussite scolaire dans les écoles
françaises", 2004).
- La redistribution directe, par fixation de plancher et de plafond de revenu, n’est pas évoquée dans le dossier
documentaire. En France, la politique volontariste d’augmentation du S.M.I.C. dans les années 70 a joué un rôle important
dans la réduction des inégalités.
C) Elle contribue à transformer les représentations de la pauvreté
- Moins médiatisé que la fraude, le non-recours est pourtant un dysfonctionnement bien plus massif des prestations sociales
(doc.7). Le non-recours apparaît moins comme un problème de circulation de l’information que relevant d’une réticence à
cette prestation d’assistance, dont rend compte une approche en termes de carrière : recevoir une prestation sociale est
souvent perçu comme une étape dans un processus de disqualification sociale (S. Paugam, 1995). L’observation d’un
centre d’action sociale à Saint-Brieuc dégage les étapes de cette carrière. La prestation et l’assistance sociales sont d’abord
mises à distance par les « fragiles », assumées par les « assistés », tandis que les « marginaux » sont exclus de ces
dispositifs.
- Les représentations qui encadrent la redistribution en conditionnent donc l’efficacité. Or, la redistribution elle-même
modèle ces représentations. Ainsi, l’institutionnalisation de la protection sociale a atténué le stigmate associé à la pauvreté
lorsqu’elle était redevable de l’assistance (cf. G. Simmel, Les pauvres, 1908).
- Aussi le recul de la fiscalité progressive et de la protection sociale, au-delà de leur effet mécanique en termes
d’augmentation des inégalités, sape à moyen terme la légitimité même de la redistribution des revenus. Ce recul accroît les
coûts et l’anxiété du déclassement, ce qui incite les familles à intensifier leurs investissements pour la réussite scolaire de
leurs enfants, amplifiant ainsi les inégalités de chances (La peur du déclassement, une sociologie des récessions, 2009).