36 LES ENJEUX DE LA PROTECTION SOCIALE Avec le renouveau de l’idéologie libérale, la protection sociale française est l’objet de vives critiques, notamment de la part des promoteurs du modèle « américain », qui laisse aux marchés le soin d’organiser la protection des individus. Le système de protection sociale est-il accessoire ? UNE INSTITUTION AUJOURD’HUI REMISE EN QUESTION q Une crise financière Alors qu’il approchait l’équilibre jusqu’au milieu des années quatre-vingt, le solde du régime général de la Sécurité sociale a connu un déficit de plus en plus important jusqu’en 1995. L’accroissement de ce déficit tient au décalage grandissant entre les recettes et les dépenses. Le financement de la protection sociale repose en effet principalement sur les revenus du travail sous forme de cotisations dont le montant dépend de l’assiette et du taux de prélèvement. En ce qui concerne l’assiette, elle connaît un ralentissement important depuis le milieu des années quatre-vingt en raison, d’une part, de la hausse du chômage, d’autre part, de la faible croissance des revenus salariaux. Du côté du taux de prélèvement, les politiques de l’emploi axées sur la recherche d’une baisse du coût du travail, par le biais d’une réduction des charges pesant sur les employeurs ont accentué le phénomène. Parallèlement à ces difficultés de financement, les dépenses ont explosé. Cela est dû à l’évolution démographique (vieillissement) et économique (montée du chômage), ainsi qu’à la prise en charge de nouveaux risques (pauvreté, exclusion). Par ailleurs, les évolutions culturelles (culte du bien-être, culte du corps et rejet de la mort) ont poussé à la hausse les dépenses de santé. Du reste, le système de soins est lui-même générateur d’une croissance des dépenses : tout d’abord, le progrès des techniques se traduit par la mise au point de matériels très sophistiqués mais coûteux; ensuite, la quasi-gratuité et l’absence de responsabilisation des assurés sociaux accentuent la dépense, dans la mesure où le fait même d’être assuré modifie le comportement des acteurs et favorise une surconsommation médicale. q Une crise d’efficacité Les transferts sociaux aboutissent à une socialisation croissante des revenus (près du tiers des revenus disponibles des ménages). Cependant, ils ne rendent pas compte de l’effet de l’État-providence sur la redistribution de la richesse, car une partie de cette redistri- D ÉPENSES DE PROTECTION SOCIALE EN 1994 1996 1998 28,4 28,4 27,5 UE à 25 UE à 15 % DU PIB 2000 2001 2002 2003 26,9 27,1 27,1 28,0 27,2 27,5 27,7 28,3 Source : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-NK-06-014/FR/KS-NK-06-014-FR.PDF ; Eurostat - Statistiques en bref 14/2006. 84 bution s’exerce par le biais de la fourniture de biens et de services non marchands (éducation par exemple). Sur ce point, la redistribution n’exerce pas des effets réducteurs d’inégalités, puisque les catégories sociales les plus élevées dans la hiérarchie sociale sont celles qui profitent le plus des biens collectifs. Ainsi, les enfants de cadres et professions intermédiaires sont-ils surreprésentés dans les effectifs étudiants. De plus, les inégalités face à la mort font que les membres des catégories défavorisées cotisent plus qu’ils ne reçoivent, leur espérance de vie étant réduite par rapport aux membres des catégories favorisées. Enfin, la protection sociale semble avoir des effets limités sur la pauvreté, alors que son éradication justifiait la mise en place d’un tel système. q Une crise de légitimité La protection sociale, du fait de son coût élevé, est accusée d’être un handicap dans la compétition internationale et dans l’emploi, de développer une mentalité d’assisté et de décourager l’effort individuel. Enfin, elle développerait une solidarité « administrative » incitant chacun à renoncer à s’intéresser au sort de son prochain. UNE INSTITUTION NÉANMOINS FONDAMENTALE q Sur un plan strictement économique La protection sociale s’inscrit dans une logique keynésienne de régulation conjoncturelle par un soutien à la demande, tout en contribuant à l’entretien et à la reproduction de la force de travail. Ainsi, elle a constitué un rouage essentiel de la dynamique fordiste pendant les Trente Glorieuses en soutenant le pouvoir d’achat. En outre, en améliorant l’état sanitaire de la population, ainsi que sa sécurité matérielle, elle participe à l’essor des forces productives et contribue à la hausse de la productivité. Enfin, elle contribue au développement de tout un secteur économique (santé) et impulse les progrès techniques dans ce domaine. q À la frontière entre l’économique et le social La protection sociale cherche aussi à lutter contre les inégalités par trop criantes et contre la pauvreté. Elle est également créatrice de lien social, puisqu’elle exprime une solidarité nationale et professionnelle qui se manifeste par une redistribution entre riches et pauvres, entre familles et célibataires, entre générations, entre malades et bien-portants, entre actifs occupés et chômeurs. Elle remplace donc les formes anciennes de solidarité s’exprimant au niveau de la famille et des communautés (villages, corporations de métiers). P ROTECTION SOCIALE ET PIB EN F RANCE 2000 2001 2002 2003 2004 Taux de redistribution sociale (prestations de protection sociale/PIB en %) 27,6 27,7 28,4 29,1 29,1 Taux de pression sociale (cotisations sociales + impôts et taxes)/ PIB en %) 25,5 26 26,1 26,4 25,3 Source : DREES, Comptes de la protection sociale ; INSEE, Comptes nationaux; DREES, tudes et r sultats , n° 435, octobre 2005. 85