J’étais un mort vivant, de René CHANTREL, commandeur de la Légion d’Honneur
caisse.
Les kommandos
Les départs pour les kommandos sont décidés au bureau du travail Arbeitsstatistik : il y a un appel
dans les baraques, par matricules. Les déportés ne sont mis au courant de rien. Ce sont toujours de
grands convois. Ils sont verrouillés et nous ne pouvons pas voir à l’extérieur. Les trajets se font
toujours de nuit, avec de nombreux arrêts. Des déportés sont probablement déposés pour partir sur
d’autres kommandos.
Kommando de Slazgitter (Watenstedt-Leinde)
Vers la mi-août, je pars pour mon premier kommando à Salzgitter dans la région de Brunswick.
Contrairement aux deux autres kommandos, nous travaillons à Salzgitter pour une entreprise, il
s’agit des usines Hermann Göring, car la mafia nazie possède ses usines. Nous sommes loués à
l’industrie allemande, pour six Reichmarks par jour je crois, soi-disant logés et nourris. Nous
pouvons prendre une douche à l’eau tiède tous les jours, mais c’est déjà la faim : la ration pour la
journée est une tranche de pain brun grand comme la main et une soupe de rutabagas et Kartoffel
(pommes de terre) avec quelques petits morceaux de viande. Nous n’avons aucune protection ni
casque pour travailler, en tenue rayée, au lieu des bérets rayés nous portons des chapeaux. Dans les
kommandos, nous avons des galoches et des « chaussettes russes » : deux morceaux de tissu de 30
centimètres au carré pour envelopper le pied.
Nous sommes un millier, toutes nationalités confondues, Russes, Hollandais, Belges, peu de
Français. Certains travaillent en surface dans les acieries. Nous travaillons de nuit pendant 12
heures, de 18 heures à 6 heures, dans les mines de fer souterraines, à quatre copains dans une
galerie, nous essayons de rester ensemble. Nous sommes avec des travailleurs libres, polonais pour
la plupart. Lors des détonations provoquées pour creuser la mine, le souffle éteint parfois nos
lampes à carbure (qui donne une lumière rouge), et il y a tellement de poussière qui nous laisse dans
le noir que nous devons appeler pour avertir que nous ne voyons plus rien. Nous laissons notre
lampe dans la « salle des pendus », la grande salle vestiaire où les mineurs accrochent leurs
vêtements en hauteur, sauf que nous ne nous changeons pas car nous restons en costume rayé. Nous
rentrons fin septembre à Neuengamme.
Kommando d’Husum
Mon deuxième kommando, c’est le pompon, le plus dur de tous. Là, il y a « de la casse ». Il est
appelé le bagne des bagnes. Dès mi-octobre, une quinzaine de jours plus tard, je suis envoyé à
Husum-Schwesing,
situé à 30 kilomètres de la frontière danoise. Il y a deux kommandos, Ladelund
tout près de la frontière, l’autre au bord de la mer du Nord : le petit port de Husum. Ce sont les
« kommandos de la Frise », il y en a deux autres près de la frontière hollandaise. C’est une région
marécageuse, les Allemands misent sur un débarquement des Alliés ici dans le Nord. Nous
travaillons dans les cours d’eau pour les creuser et les élargir et en faire des fossés anti-chars. Les
conditions sont extrêmement dures. Le lever est à 4.30 heures, le travail à 6.00 et dure 12 heures,
nous y allons à pied, plus tard en train sur des plateformes. C’est la cohue pour monter dans les
rares wagons couverts. En attendant le train, un ténor chante des airs populaires d’opéra italien en
échange d’un morceau de pain.
Il fait très froid et nous sommes toujours dans l’eau, toujours trempés par une pluie pénétrante, avec
seulement notre tenue rayée – une capote au lieu de la veste, une chemise trop courte et un gilet
« Le 25 septembre 1944 sont transportés du camp central à Schwesing près de Husum 1500 détenus, en majorité danois
et norvégiens. (…) Les hommes devaient accomplir pendant dix à douze heures par jour des travaux harassants. Un second
transport de 1000 détenus est arrivé en octobre 1944, de sorte que jusqu’à 2500 personnes devaient vivre dans des
baraques extrêmement surpeuplées. Cette date est le début d’une hécatombe. Le nombre exact des victimes du camp de
Shwesing est inconnu, seuls les noms des 297 détenus sont documentés. »
Extrait du site kz-gedenkstaette-neuengamme.de (en allemand).