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Ce soir-là sur les rives du lac de Galilée, Jésus n'a lui-même
en main rien qui lui permettrait de rassasier la foule. Or, il
fait quelque chose que nous sommes à même de faire à tout
moment : inviter mêmes les plus timides à faire confiance et
à partager le peu qu'ils ont. Certes, ils diront que cela ne
saurait suffire, pas même pour eux, à plus forte raison pour
tous. Ils craindront pour le peu qu’ils possèdent. Mais le
miracle du partage commence lorsque nous quittons des
yeux notre pauvreté pour mettre notre espoir et notre
confiance dans la richesse de Dieu et des autres. En effet, il
n'y a pas de vie humaine qui, dans sa pauvreté, ne puisse
se transformer en richesse divine.
Au terme de cette transformation des mentalités, on peut
même constater statistiquement qu'elle est efficace : « Chacun
mangea à sa faim. Les disciples emportèrent douze corbeilles
pleines des morceaux qui restaient. Ceux qui avaient mangé
étaient au nombre d'environ cinq mille hommes, sans compter
les femmes et les enfants. » Mais impossible de comprendre
d'où vient cette richesse, sinon en pensant que le Ciel lui-
même bénit notre dénuement.
C’est ainsi que, par le partage de notre pauvreté, la
communauté des disciples se multiplie mystérieusement
grâce à ce que nous appelons la « multiplication des pains ».
Et ce « mystère » - sacramentum en latin - n'a jamais cessé
depuis. Le Repas de Seigneur, la Sainte Cène, consiste
toujours à nous transmettre la vie de Jésus-Christ de main
en main… et à élever nos yeux vers le ciel pour recevoir à
nouveau notre existence comme une bénédiction. Pour nos
sens, le pain reste ce qu'il est, et il ne change absolument
pas de forme ou de substance. Mais sous l'apparence
extérieure, c'est Dieu qui survient dans nos vies. Au-delà de
notre pauvreté, au-delà de notre manque de foi, c'est le
grand large qui fait alors irruption dans notre cœur.
« Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Et le spectre de la
morosité et du découragement cédera au signe du pain et du
vin, pour peu que nous osions nous les donner les uns aux
autres.