ÉDITORIAL
RElatIvISOnS !
Par Patrick Altimas, directeur général de l’ASRSQ
Statistiques Canada a annoncé que le taux de criminalité
est à son plus bas depuis 25 ans. Par la voix de ses re-
présentants, le réseau communautaire se réjouit de cette
nouvelle et déclare : « cela prouve hors de tout doute l’ef-
ficacité de l’action communautaire en matière de préven-
tion du crime et de réhabilitation. »
Une telle déclaration vous apparaît farfelue, pour ne pas
dire surréaliste ? Vous dites que l’on ne peut expliquer
la réduction observée de la criminalité par un seul fac-
teur ou les actions d’un seul groupe de la société ? Vous
auriez tout à fait raison de penser ainsi. Le comportement
criminel ne peut s’expliquer par un seul facteur et la réac-
tion sociale au crime ne se retrouve pas dans une seule
recette, que ce soit de l’ordre de la répression, de la réha-
bilitation, de la réparation, de la prévention, du traitement,
de l’incarcération ou toute autre forme de réaction.
Et pourtant, beaucoup de gens, bien qu’ils soient du do-
maine de la politique, des forces de l’ordre, des médias, du
milieu judiciaire ou de simples citoyens, voudraient nous
faire croire que la solution face à la criminalité est simple :
let’s get tough on crime, if you do the crime, you do the
time. Et cela nous mène directement vers l’incarcération,
la perte de liberté, la perte de droits, la souffrance pour
expier ses fautes, donc des mesures de répression qui, on
le sait depuis plus d’un siècle maintenant, n’ont pas connu
le succès escompté pour réduire la récidive et assurer la
sécurité publique. Elles peuvent même, dans certaines
circonstances, faire augmenter les risques sur ce plan à
moyen et long terme. Il suffit d’observer la situation de la
Californie des vingt dernières années pour y constater les
effets dévastateurs d’une approche basée sur la répression
et l’utilisation à outrance de l’incarcération. Les taux de
criminalité et de récidive n’ont jamais été aussi élevés, les
prisons débordent de tous côtés et les coûts liés au sys-
tème de justice pénale sont astronomiques.
Revenons au point de départ en restant plus sérieux cette
fois-ci. En effet, les statistiques sur la criminalité, depuis
plusieurs années, laissent voir des fluctuations se situant
davantage vers une baisse qu’une hausse du taux de cri-
minalité, n’en déplaise à ceux et celles qui tiennent un
discours alarmiste de type « law and order ». Ceux-ci sem-
blent ne tenir compte que d’événements très particuliers
et hautement médiatisés, tout en exploitant à leurs propres
fins la peur qu’ils génèrent dans le public. Cela ne signifie
pas pour autant qu’il n’existe pas de signes inquiétants
lorsque les statistiques sont analysées de plus près. Par
exemple, si les crimes sans violence sont à la baisse, ce
n’est pas le cas de certains crimes impliquant de la vio-
lence. De plus, le phénomène des gangs de rue demeure
inquiétant dans plusieurs communautés. Par contre, une
analyse des crimes avec violence permet de constater que
6 crimes sur 10 sont de l’ordre des voies de fait mineu-
res. Et plusieurs crimes impliquant de la violence sont
commis dans un contexte où la victime et l’agresseur se
connaissaient. On est bien loin du phénomène des pré-
dateurs qui se cachent dans les buissons à la recherche
de victimes innocentes. Cela n’excuse toutefois pas les
actes perpétrés par ces agresseurs et ne signifie pas qu’il
ne faille pas réagir socialement.
Certains prétendront que l’on peut faire dire toute sorte
de choses aux statistiques, tel que pointer du doigt le pro-
blème de la surpopulation dans nos établissements cor-
rectionnels provinciaux pour démontrer qu’il y a une aug-
mentation de la criminalité et une nécessité de construire
des prisons. Il s’agit là de la logique du chien qui court
après sa queue, car le phénomène de la surpopulation
carcérale s’explique par bien d’autres facteurs qui n’ont
rien à voir avec l’augmentation présumée du taux de
criminalité. En guise de preuve, 65 461 personnes ont
été admises en 1995-1996 dans nos établissements de
détention du Québec contre seulement 38 281 en 2005-
2006. De plus, le nombre moyen de personnes relevant
des établissements de détention a diminué durant cette
même époque.
Le taux de criminalité au Canada est à son plus bas niveau
depuis 25 ans ? Il faut certes se réjouir face à une nouvelle
de la sorte, mais pas cesser les efforts pour prévenir la cri-
minalité dans nos communautés. Il faudrait que certains
détracteurs du système de justice pénal aient le courage
d’admettre que la situation n’est pas hors de contrôle com-
me ils le prétendent. Ce résultat positif a été atteint sans le
recours à des sentences minimums, à plus de détention,
à des mesures limitant davantage les droits des personnes
et à des mesures de contrôle plus sophistiquées. C’est
même durant cette période que s’est développée la me-
sure de sentence d’emprisonnement avec sursis, tant dé-
criée dans certains milieux. Sachons aussi reconnaître que
certains phénomènes sociaux, comme les gangs de rue et
l’augmentation de la violence surtout chez les jeunes, sont
des sources d’inquiétude dans nos communautés. Ces
problématiques nécessitent davantage des efforts concer-
tés en matière de prévention primaire du crime et, lorsqu’il
le faut, d’interventions policières, judiciaires et correction-
nelles misant sur une solide connaissance des données
empiriques accumulées depuis plus d’un siècle en matière
de justice pénale. À cet effet, notre réseau communau-
taire est engagé plus que jamais à contribuer activement
et positivement à rendre nos communautés plus sûres et
surtout plus saines.
4 —————————————————————————————————————————————————————————————— Volume XX, numéro 1 • 2007 • PORTE OUVERTE