Conférence de Luxembourg : Débat sur quelques sujets d’actualité (14/02/2005) Fin du cycle de Doha : Les négociations commerciales agricoles Henri Rouillé d’Orfeuil Président de Coordination SUD La négociation internationale est un sport intergouvernemental. Les positions des gouvernements se définissent en fonction de nombreux facteurs nationaux et internationaux et, force est de constater, même dans les pays dont la population est à 80% paysanne, que ces positions contredisent dans tous les cas observés les intérêts des paysans. Deux exemples parmi d’autres : - - Lorsque le Président Chirac a proposé en février 2003 aux chefs d’Etat africains de supprimer les aides à l’exportation des produits agricoles, et bien que ce soit une revendication ancienne et chronique de la part des pays en développement, la réaction a été inaudible. De fait, les autorités souhaitent bénéficier de produits alimentaires au moindre coût, voire gratuits dans le cas de l’aide alimentaire, et peu importe si cela détruit les agricultures africaines. Le Brésil est sans conteste le leader de la bataille menée pour la libéralisation du commerce des produits agricoles. La majorité des producteurs brésiliens est loin de partager sur ce point les vues des autorités gouvernementales. Les vues agroexportatrices ne sont celles que des « fazenderos » qui, bien que très minoritaires se partagent une part importante des terres et développent des modes de production dont le bilan social, environnemental et même économique est médiocre. Les syndicats de producteurs familiaux défendent eux une toute autre orientation. Nous voudrions ici regarder le processus de la négociation OMC en fonction des intérêts des 3 milliards de producteurs agricoles, c’est-à-dire de pratiquement la moitié de la population mondiale. Ce choix est conforme à la vocation des ONG qui doivent construire des partenariats non gouvernementaux avant de chercher à interférer dans les négociations intergouvernementales. Les positions des ONG européennes, qui doivent se définir et s’exprimer au sein et à partir de CONCORD, la fédération des ONG européennes, ne sont pas encore stabilisées. Plusieurs groupes de travail, engagés sur différentes scènes (les négociations commerciales internationales, la mise en œuvre de l’Accord de Cotonou, les politiques d’aide alimentaires, les politiques agricoles…), définissent des positions spécifiques qui méritent d’être confrontées et harmonisées. Pour notre part, nous estimons que, sur des sujets aussi importants sur les plans économique, social et environnemental, nous devons chercher, comme les gouvernements doivent le faire, à définir des positions, propositions et revendications cohérentes. Aussi, pour définir cette cohérence, nous avons construit des plates-formes regroupant, outre des collectifs d’ONG, des syndicats de producteurs et des associations de consommateurs et d’environnementalistes. Venons en à notre sujet et aux analyses et propositions dont nous débattons au sein de nos mouvements. A - Etat des lieux et diagnostic 1 – La production agricole concerne environ 3 milliards de personnes (enfants compris). Elle s’organise dans 1,2 milliard d’unités de production. Ces unités sont très diverses dans leurs formes et leurs modes de production, elles répondent notamment à la grande diversité des conditions de production, mais la quasi totalité de ces unités sont des exploitations de caractère familial et/ou paysan. A noter que seulement 2% des exploitations disposent d’un tracteur. 2 – Les paysanneries de tous les continents sont en très mauvais état. Les facteurs de ces crises agraires sont divers, mais un facteur est à la fois commun et international, celui de la baisse tendancielle et de l’instabilité des prix agricoles. En effet, le revenu des producteurs agricoles dépend du niveau des prix des produits agricoles, il s’amenuise et entraîne les paysans dans une spirale de la paupérisation. Selon les statistiques internationales, recensées dans les annuaires de la Banque mondiale, le revenu d’un rural est 5,4 fois inférieur au revenu d’un urbain en Afrique, 3,9 fois en Amérique latine et 7,6 fois en Asie. Il s’agit certes de moyenne continentale et grossière puisque que, pour les calculer, sont agrégés tous les ruraux d’un côté, tous les urbains de l’autre. Nous pouvons néanmoins en tirer deux conclusions : d’abord, les paysans sont loin de la parité de revenu et, de ce point de vue, une montée des prix se justifie pleinement, ensuite, les statistiques sont fausses à cause de l’impasse qui est faite dans le calcul du PNB sur la plus grande part de la production agricole, de la production artisanale, de la production de services, des économies informelles ou souterraines. Le vieil adage qui veut que pour vivre heureux, il faut vivre caché ne vaut pas en économie, car, dans ce domaine, il n’y a pas de cachette : les marchés aujourd’hui vont chercher toutes les ressources, toutes les compétences, tous les produits et tous les services qui les intéressent. Mais surtout, les politiques macroéconomiques ou les rapports des forces sur les marchés internationaux peuvent détruire les agricultures paysannes, les artisanats et plus largement les économies locales sans que le PNB ne le traduise. Ainsi, les économies qui permettent à majorité de la population mondiale de vivre ou de survivre peuvent être détruites sans que les indicateurs de croissance économique ne bougent. Les statistiques, à partir desquelles se construisent les modèles économiques et se définissent les politiques économiques et agricoles sont biaisées. Cette question est fondamentale. 3 – La paupérisation des paysans, dans les pays où des aides publiques de caractère économico-social ne viennent pas compenser les baisses de prix des produits ou de revenus des producteurs, a des conséquences gravissimes pour la société, l’environnement et l’économie mondiale. Elle entraîne dans un premier temps une dégradation du capital de production, notamment des ressources naturelles qui sont les facteurs de production des paysans (couvert forestier, biodiversité, fertilité du sol, qualité des eaux). Le paysan, qui doit normalement capitaliser, est obligé au contraire dans ces situations de dénuement de décapitaliser. Elle entraîne souvent un endettement, voire une hypothèque sur les terres, si le producteur est petit propriétaire. Elle aboutit enfin à l’exclusion. Une bonne partie des 1,2 milliards d’exclus, à moins de un dollar/jour selon la Banque mondial, a suivi ce chemin qui conduit à l’exclusion. Aujourd’hui, le jeu en s’internationalisant s’est durci et les paysans sont exposés sans défense à la bataille économique, nous pouvons craindre, si l’évolution des prix agricoles ne se renverse pas, de véritables hémorragies dans les dix ou quinze années qui viennent. 4 – Vers quel pourcentage de la population agricole se dirige-t-on, si la libéralisation se poursuit en l’état ? Les statistiques concernant les pays développés et les pays du « nouveau monde » montrent que la population agricole ne représente plus que 2 à 4% de la population totale et que nous sommes toujours dans une tendance baissière. En Europe, la population agricole est passé de 70 à 4% en un siècle : A noter que 80 millions d’européens ont émigré vers les pays du nouveau monde, que deux guerres mondiales ont tué 17 et 51 millions d’européens, dont un grand nombre de paysans, que la croissance économique a été créatrice d’emploi dans les secteurs secondaire et tertiaire et que des politiques publiques ont facilité le départ des agriculteurs. Même si l’exode agricole n’a pas été le plus souvent vécu comme un choix positif par les intéressés, ce n’est qu’à la fin des années 70 qu’est apparu en Europe de l’ouest un chômage structurel. Dans les pays du nouveau monde de colonisation portugaise, hispanique et anglaise – les français, de ce point de vue, ont été en retard d’une colonisation et d’une indépendance -, le colonisateur a récupéré les terres les a distribué à un petit nombre de serviteurs de la colonisation. Les colons de ces pays (Canada, Etats-Unis, pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Zimbabwe…) ont négocié ou conquis l’indépendance et gardé la structure foncière en l’état. Les paysans, éleveurs, cueilleurs indigènes - Indiens, Maoris, Aborigènes…- ont été priés, dans le meilleur des cas, de rejoindre des régions improductives ou des réserves. Ils n’ont jamais été dans la statistique. Dans ces pays le chiffre de 4% a été établi dès la colonisation. 5 – Que signifie cet objectif de 2 à 4% de population agricole ? Passer de 50% à 4%, cela signifie l’exclusion de 2,6 à 2,8 milliards de personnes de l’activité agricole. Le taux d’exclusion est encore supérieur dans les pays à forte majorité paysanne (Inde ; 66%, Chine ; 70%, Afrique ; 70%). C’est donc par centaines de millions que les paysans risquent de devoir quitter les agricultures indiennes et chinoises. A noter que ces 2,7 milliards d’exclus viendront s’ajouter aux 1,2 milliards de déjà exclus et qu’une bonne partie des 3 milliards de personnes provenant du croît démographique, que l’on nous annonce pour les décennies à venir, grossiront le chiffre des exclus. 6 – Cette baisse drastique de la population agricole est-elle un progrès comme l’affirme les théoriciens classiques ? Ces raisonnements ne sont plus aujourd’hui très sonores mais ils restent dans les têtes de la plupart des experts qui indirectement orientent les négociations. Mais ces experts peuvent-ils nous dire ce qu’ils comptent proposer à ces milliards d’exclus ? Envisagent-ils la création de milliards d’emplois salariés ou la création grâce au microcrédit, dont la contribution est néanmoins précieuse, de milliards de microentreprises ? Sont-ils prêts à proposer - mais avec quels financements publics ? – la mise en place d’un revenu minimum universel et de politiques publiques et sociales mondiales pour tous ces exclus ? 7 – Quelque soit les arguments techniques, il y aurait une irresponsabilité politique pour des chefs d’Etat de méconnaître ce processus massif de paupérisation et d’exclusion alors que, dans le même temps, ils se sont engagés à sortir de la pauvreté 600 millions de pauvres d’ici 2015. L’exclusion n’est en effet tolérable que si une inclusion équivalente est prévisible. Le rythme de la libéralisation doit être corrélé à la capacité d’inclusion par l’économie mondialisée des exclus de l’agriculture. Pour l’heure, il y a déjà 1,2 milliards d’exclus en attente d’inclusion. Nous proposons une pose dans la libéralisation des marchés agricoles, voire un retour à des marchés agricoles nationaux ou régionaux plus affirmés. 8 – Nous dénonçons aussi une deuxième irresponsabilité politique ; la tolérance, si ce n’est l’encouragement, de modes de production destructeurs des ressources naturelles non renouvelables et de l’environnement. Les modes de production qui entraînent des émissions massives de gaz à effet de serre et qui pèsent sur l’environnement global, tout comme ceux qui exploitent ou dégradent sans mesures les ressources naturelles (biodiversité, couvert forestier, fertilité des sols et richesses du sous-sol) doivent être bannis, si nous ne voulons pas transmettre aux générations qui nous suivent un patrimoine amoindri et dégradé et un stock de dettes. B – Le besoin d’un autre système commercial international C’est au niveau local, national et régional que de nouvelles orientations pourront être tracées. C’est à ces échelles qui pourra être donné un coup d’arrêt au processus de paupérisation et d’exclusion. C’est aussi à ces niveaux que pourront être définies des politiques agricoles favorisant une reconversion des modes de production socialement et environnementalement destructeurs. Encore faut-il que les pouvoirs en charge de définir les politiques agricoles et d’imaginer les « outils » juridiques, fiscaux, économiques de régulation, d’incitation ou de désincitation, récupèrent une souveraineté perdue. La récupération de cette souveraineté nationale ou régionale perdue ne sera possible que si les modalités de l’échange international évoluent vers un tout autre logique. 1 – Pourquoi avons-nous besoin d’un commerce mondial répondant à une autre logique ? La libéralisation des échanges, avec comme horizon un marché mondial intégré et des échanges « libérés », aboutit à une mise en compétition de tous les producteurs agricoles du monde. Cette compétition est assassine pour les compétiteurs faibles, c'est-à-dire, grosso modo, pour les 92% de paysans en sur nombre (cf. le point 5 précédent). La quasi-totalité des marchés agricoles sont en déséquilibre structurel, l’offre dépassant une demande solvable qui plafonne. Dans ce contexte de déséquilibre structurel des marchés et de guerre commerciale, les prix mondiaux déclinent. Les subventions aux exportations n’arrangent pas cette situation, mais c’est bien la question des prix et celle des volumes mis en marché qui sont premières. Les marchés mondiaux des produits tropicaux non subventionnés souffrent des mêmes déséquilibres et de prix tout aussi insuffisants et tout aussi instables. 2 – S’agissant de la négociation qui doit conduire à la fin du cycle de Doha en décembre 2005, nous proposons aux négociateurs de retenir deux objectifs majeurs : la remontée et la stabilisation des prix agricoles et la reconnaissance de la valeur sociale et environnementale incorporée dans les produits agricoles. Nous leur proposons donc de s’accorder sur des mesures qui permettent d’avancer vers ces objectifs et leur soumettons les propositions suivantes : - - - - Arrêt des subventions provoquant un dumping, c’est-à-dire une vente en dessous des coûts de production. Cela concerne les aides ou les subventions aux exportations et quelques autres aides hors boite verte. Ceci dit le raisonnement sur les distorsions est sans fin. Au-delà des subventions, il concerne toutes les dépenses publiques, très fortes dans les pays développés, souvent minimales, parfois même inexistantes dans les autres régions du monde (infrastructures, recherche agricole, conseil agricole, services statistiques, sur ou sous évaluation de la monnaie…), sans parler des rentes de situation ou de la qualité de l’environnement physique. Les distorsions de concurrence les plus importantes ne sont pas celles qui sont dénoncées avec le plus de vigueur ! Maîtrise de la mise en marché (internationale) des produits agricoles. Nous proposons que pour chaque produit ou famille de produit, les principaux agro-exportateurs s’entendent sur des quotas. Les négociations doivent être révisées régulièrement pour intégrer à la négociation d’éventuels nouveaux exportateurs. La guerre économique n’a pas d’intérêt pour les agro-exportateurs, qui devraient être intéressés davantage par le niveau des prix que par le volume exporté. Cette proposition risque d’affronter des objections, souvent pertinentes, mais y a-t-il d’autres manières d’assainir le marché mondial et de redresser les prix qui s’y pratiquent ? Reconnaissance de la valeur sociale et environnementale des produits agricoles. Cette reconnaissance qui doit se traduire, à l’image du commerce équitable, par l’existence de labels, doit reposer sur des critères objectifs qui pourront être cherchés dans les conventions négociées à l’OIT ou dans les accords environnementaux. Une version symétrique est aussi acceptable à savoir la pénalisation des produits dont les processus de production ignorent les exigences introduites par ces conventions ou accords sociaux et environnementaux. Rééquilibrage des pouvoirs et des rapports de force dans les filières agroalimentaires. D’un côté, il est nécessaire de favoriser le renforcement des organisations de producteurs, de l’autre, il faudrait en revenir à des règles plus strictes dès lors que sont constatées des positions monopolistiques ou oligopolistiques. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il convient d’être très circonspecte sur les OGM qui, outre des incertitudes en matière de santé ou d’environnement, donnent avec certitude le monopole de la production de semences, voire d’intrants agricoles, à quelques sociétés capables à la fois de maîtriser les techniques biotechnologiques et de construire les protections nécessaires grâce à la prise de brevets. C – Les conséquences d’une évolution des modalités de l’échange international et d’une remontée des prix agricoles Les mesures proposées, si elles étaient acceptées et mises en œuvre, donneraient de nouvelles opportunités au développement des agricultures locales, nationales et régionales et modifieraient profondément les équilibres agro-alimentaires mondiaux. Ce rééquilibrage, nécessaire au développement des agricultures nationales, doit être accompagné pour éviter qu’il ne provoque de nouveaux déséquilibres. Il est clair que la remontée des prix internationaux agira sur les agriculteurs comme une puissante incitation à surproduire et peut donc avoir des conséquences préjudiciables sur des marchés déjà encombrés si aucune mesure de maîtrise des volumes mis en marché n’est prise dans le même temps. Aussi, nous proposons d’accompagner les premières mesures proposées aux négociateurs par un ensemble de mesures susceptibles de permettre, après une phase de rééquilibrage, une régulation du système commercial international : 1 – Reconnaître aux autorités nationales ou régionales un droit à la protection et à la préférence nationale ou régionale. La reconnaissance de la souveraineté nationale ou régionale, qui, rappelons le, est le fondement sur lequel sont construites les relations internationales, et du droit pour chaque gouvernement de définir des politiques nationales agricoles passe par la possibilité de conforter un espace économique et de réguler les échanges entre cet espace et les autres espaces économiques nationaux ou régionaux. Cette double reconnaissance signifie qu’une priorité est donnée au développement des agricultures nationales plutôt qu’au développement des échanges internationaux, ceux-ci devant être au service de celui-là. 2 – Œuvrer à la stabilisation des recettes d’exportation issues du commerce des cultures d’exportation dans le cadre d’accords commerciaux interrégionaux. Cet objectif s’adresse d’abord aux productions tropicales dont le commerce est d’abord international. Ces marchés sont eux aussi déséquilibrés et les prix de ces produits déprimés. Si l’objectif est là encore la remontée et la stabilisation des prix mondiaux, il faut se donner les moyens de maîtriser les volumes de production. Ce ratio prix/volume est la référence à partir de laquelle peut se définir une politique de régulation. Les exportateurs qui sont engagés dans une guerre des prix n’ont rien à y gagner. La maîtrise des volumes, surtout si dans le même temps la productivité continue d’augmenter, signifie en règle générale une réduction des surfaces. Cette réduction, qui peut être mal vécue si elle n’est pas accompagnée, est en fait un bien dans la mesure où les surfaces libérées peuvent permettre soit un développement des cultures vivrières, soit une réorientation des systèmes de production vers des systèmes moins prédateurs, soit une baisse de la pression foncière et une meilleur préservation des massifs ou des espaces forestiers. 3 – Accorder une priorité à la consommation des consommateurs urbains pauvres et, pour ce faire, promouvoir à leur égard une solidarité locale, nationale, régionale et internationale. Les vrais perdants d’une remontée des prix agricoles sont les consommateurs pauvres des pays en développement. Dans les pays développés, le poids du prix des produits agricoles dans le prix des produits alimentaires est devenu faible, quelques pourcents. Pour les ruraux pauvres des pays en développement, la remontée des prix et des revenus agricoles devrait compenser, et bien au-delà, le renchérissement des achats de nourriture. Par contre, une attention particulière doit être accordée aux consommateurs urbains pauvres, qui ont déjà les plus grandes difficultés à se nourrir décemment. Cette question doit être envisagée soit par un accroissement de leurs revenus soit, le cas échéant et en dernier ressort, par une assistance publique de caractère sociale. La réinsertion de ces centaines de millions de pauvres dans l’économie est la meilleure solution, en attendant il convient de les « solvabiliser » pour qu’ils puissent consommer décemment. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas détruire l’économie de production et obliger les producteurs à mettre sur le marché des produits à des prix qui n’ont plus aucune signification économique. Cela vaut pour l’alimentation, le logement, l’habillement et toutes les consommations. L’appui aux familles concernées, ou mieux leur solvabilisation, doit être l’objet d’un large mouvement de solidarité. C’est d’ailleurs la signification du premier des OMD qui lie à juste titre lutte contre la pauvreté, lutte contre la faim et solidarité internationale. D – Réforme de la politique agricole commune et évolution du système commerciale mondial Nous proposons donc un changement de cap qui s’appuie sur l’idée, somme toute évidente, que le maximum de libéralisation ne correspond pas nécessairement pour tous les pays, tous les acteurs économiques, toutes les catégories sociales, tous les territoires, tous les produits… à un optimum de croissance économique, de progrès social et de responsabilité environnementale. La libéralisation doit donc être modulée, parfois stoppés ou, même, contredite. Cette nécessaire maîtrise et modulation du processus peut s’appuyer soit sur une liaison entre son rythme et la capacité de réinsertion des victimes du surcroît de compétition qu’il provoque – et pour cela il faut bien s’intéresser aux outils juridiques ou économiques de régulation des marchés – soit sur les régimes d’exception, qui ont tendance à se développer tant les gouvernements sont réticents, malgré leur engagement de principe, à ouvrir à toutes les concurrences leurs économies. Ainsi, le traitement spécifique et différencié, les produits sensibles et quelques autres mesures contredisent la croyance aux bienfaits intemporels et universels de la libéralisation. Nous avons la conviction que la politique agricole commune de l’ancienne communauté européenne n’avait pas un train de retard par rapport à la mondialisation mais bien plusieurs wagons d’avance par rapport à la nécessité de mieux gouverner les marchés. De cette analyse sommaire, nous tirons quelques propositions : 1 – Refuser le démantèlement des outils de régulation et de contingentement des productions et des mises en marché. L’énorme surproduction à laquelle la PAC des premières années a aboutit nous a amené vers des politiques de contingentement, notamment dans le secteur laitier. Cette expérience positive à bien des égards, négative sur certains points, est précieuse. 2 – Refuser le démantèlement des outils de régulation des échanges internationaux. Les Conventions de Yaoundé, puis de Lomé, ont permis de mettre en place des accords commerciaux et d’expérimenter les outils de régulation des échanges commerciaux internationaux. Ceux-ci avaient pour principal objectif de stabiliser les prix à un niveau rémunérateur. Le protocole sucre a été de ce point de vue une expérience intéressante pour les différentes parties. 3 – Sortir des contradictions évidentes des systèmes de régulation mis en place par la PAC et par les Accords de Lomé. Deux grandes dérives n’ont pas été prises en compte ou sont apparues : - L’inéquité dans la distribution des avantages de la régulation et de la maîtrise des prix. De ce point de vue le Protocole Sucre est tristement exemplaire : la distribution des quotas et la fixation d’un niveau médian du prix du sucre aussi élevé (le prix européen et ACP est aujourd’hui trois fois supérieur au prix mondial) sont inéquitables, ils entraînent des rentes de situation qui pervertissent le système. - Le jeu opportuniste entre deux logiques contradictoires, celle de la compétition internationale et celle de la protection d’un marché régional, aboutit à des pratiques de dumping destructrices pour les agricultures des pays désarmés et peu protégés. L’équité voudrait que la protection d’un marché européen et la remontée des prix sur ce marché interdisent de profiter de cette situation pour exporter à vil prix.