Rapport fait par Viviane Laroy , 10 janvier 2008, Comment réduire la pauvreté dans les pays en développement ? Faut-il libéraliser l’agriculture ? Stéphane Parmentier, Oxfam-Magasins du Monde « L’agriculture mondiale est en crise ». Ce constat peut sembler un peu exagéré. En réalité, il ne l’est pas. Pour s’en rendre compte, il est utile de procéder en deux étapes. D’abord, tracer les contours de ce que serait à contrario une agriculture qui ne soit pas en crise, à savoir une agriculture « viable » ou « durable » du point de vue économique, social, environnemental, culturel ou sanitaire. Ensuite, mesurer le fossé séparant cette agriculture « viable » de l’activité agricole effectivement pratiquée. Qu’est-ce donc qu’une « agriculture viable » ? Une manière de la définir est de référer à la concrétisation d’un certain nombre de droits humains fondamentaux, et de responsabilités en matière de protection de l’environnement, comme à l’objectif central auquel devrait souscrire une telle agriculture, ces droits et responsabilités constituant autant d’engagements inscrits dans des textes faisant référence en matière de droit international : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels, Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, etc. Sont notamment consacrés dans ces textes le droit à la satisfaction des besoins essentiels, le droit à un revenu décent, le droit à l’alimentation, les droits fondamentaux du travail, etc. Un constat s’impose alors avec force : globalement, l’agriculture actuelle est loin d’être « viable ». Par exemple, dans les pays en développement (PED) comme dans les pays développés, les revenus d’une majorité de paysans (qui n’ont pas bénéficié des hausses de productivité de la révolution agricole contemporaine ou de la révolution verte) ont fortement baissé au cours des dernières décennies. Cette forte baisse a essentiellement découlé de deux facteurs. D’une part, en valeur réelle (inflation prise en compte), les prix de vente des produits agricoles ont connu une chute vertigineuse au cours des dernières décennies. Entre 1980 et 2005, les prix mondiaux du coton, du cacao ou du café ont ainsi baissé d’environ 70 % en valeur réelle. En un siècle, le prix réel du sucre a été divisé par 3. D’autre part, bon nombre de paysans sont confrontés à une hausse de leurs coûts de production, notamment en raison du développement de résistances chez les insectes et autres organismes nuisibles aux cultures, ces résistances obligeant l’exploitant à augmenter les doses de pesticides utilisées et/ou à utiliser de nouveaux produits plus efficaces mais aussi plus coûteux, tout cela contribuant à alourdir la dépense globale en pesticides. Les fortes baisses de revenus agricoles entraînent l’appauvrissement et le surendettement d’un grand nombre de producteurs. Au point qu’en Inde, selon des estimations officielles, près de 150.000 agriculteurs se seraient suicidés entre 1997 et 2005, souvent en réponse à une spirale d’endettement devenue ingérable. En Belgique, le secteur enregistrant le plus grand taux de suicides est le secteur agricole. Des suicides très probablement en partie motivés par les difficultés financières des exploitants et par la dévalorisation sociale du statut paysan. Dans les pays développés, la chute des revenus agricoles a grandement contribué à la disparition de 75 % des exploitations qui existaient au début du 20ème siècle. Dans une majorité de PED, ce ne sont pas « seulement » les paysans qui sont affectés mais l’ensemble des populations (à l’exception d’une minorité mieux lotie). Les économies nationales de ces pays, y compris des plus pauvres d’entre eux, sont en effet le plus souvent très dépendantes de la production et l’exportation d’un nombre restreint de produits de base agricoles. Du coup, lorsque le secteur agricole va mal, c’est l’ensemble de l’économie nationale qui boit la tasse. Pour des pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et le Togo, par exemple, le seul secteur du coton (presque totalement voué à l’exportation), représente 5 à 10 % du PIB. La crise de l’agriculture présente encore de nombreux autres symptômes. Parmi ceux-ci figure le recours à des pratiques culturales portant atteinte à l’environnement. L’utilisation massive de pesticides chimiques, par exemple, engendre la pollution de cours d’eau, la mort d’insectes, d’espèces végétales non nuisibles aux cultures ou de formes de vie animales (oiseaux, reptiles,…), etc. La santé humaine, dont en premier lieu celle des agriculteurs et travailleurs agricoles, est également touchée. Lorsque ces produits intrinsèquement nocifs sont utilisés sans équipements de protection appropriés ni autres précautions d’usage élémentaires, ou sont stockés dans des conditions de sécurité insuffisantes, leur usage favorise en effet l’apparition de nombreux problèmes sanitaires : faiblesse, maux de tête, tremblements, affections des voies respiratoires, des reins, affections du système nerveux, immunodéficience du foie, cancers divers,… Or dans une majorité de PED, justement, les consignes élémentaires de sécurité ne sont pas appliquées (manque d’information, coût prohibitif des équipements de protection, …). Dans la région malienne de Fana, on estime qu’à peine 0,1 % des paysans les appliquent. Les causes présidant à cette crise multiple de l’agriculture sont évidemment très nombreuses et diverses. Une façon de s’y retrouver un peu dans cette diversité est de privilégier une approche analytique à trois niveaux : 1. Référer aux conditions et aux mécanismes de marché, abstraction faite des politiques agricoles et des pratiques d’acteurs de filières agroalimentaires. À ce niveau, on fait par exemple le constat de l’instabilité extrême des prix des matières premières agricoles, et l’on mobilise divers facteurs pour expliquer cette instabilité, dont ceux spécifiques au fonctionnement même des marchés agricoles. L’un de ces facteurs est la forte « inélasticité de la demande » caractéristique de ces marchés. De quoi s’agit-il ? Sur un marché fonctionnant de manière optimale, producteurs (offre) et consommateurs (demande) réadaptent constamment leurs comportements en fonction des variations de prix. Quand les prix baissent, cela incite les consommateurs à acheter davantage. La demande augmente donc, en même temps que diminue l’offre (la baisse des prix contraignant certains producteurs à stopper la production). La demande augmentant et l’offre diminuant, la baisse des prix est rapidement suivie de leur remontée. Et inversement, de sorte qu’au final, on peut parler d’une relative « stabilisation naturelle » des prix. Mais pour que cette stabilisation se produise, il faut entre autres que les consommateurs réagissent suffisamment aux variations de prix. Or, ce n’est pas le cas pour les produits alimentaires de base : les consommateurs n’en achètent pas beaucoup plus ou beaucoup moins lorsque leurs prix baissent fortement (leur estomac a des limites) ou augmentent sensiblement (leur organisme nécessite une quantité de nourriture relativement stable). Résultat, la stabilisation naturelle des prix attendue n’a pas lieu et les prix sont donc plus instables. 2. Référer aux politiques agricoles qui déterminent en grande partie la dynamique des marchés agricoles. Par exemple, si l’on veut garantir aux agriculteurs des prix stables et décents, il faut utiliser en ce sens les instruments de politique économique nécessaires. Dont ceux visant à adapter l’offre à la demande, comprenant quotas de production et d’exportation et stockage des surplus. Sur un marché intérieur, des prix stables et décents requièrent aussi un recours adapté aux taxes à l’importation et autres barrières à l’importation. De même, il peut s’avérer nécessaire de subventionner les agriculteurs qui en ont besoin, le tout étant de le faire dans le respect des droits fondamentaux des acteurs de filières agricoles concurrentes. Fondamentalement, aucun de ces outils de politique économique n’est bon ou mauvais. C’est la façon dont on les utilise qui peut être bonne ou mauvaise. Ces outils constituent une marge de manœuvre indispensable pour tendre vers une agriculture la plus viable possible. Or, dans le contexte de libéralisation partielle croissante des marchés agricoles, on assiste justement à leur démantèlement généralisé. 3. Référer aux rapports de force inégaux entre acteurs de filières agroalimentaires. Dans les chaînes agroalimentaires, tous les acteurs ne bénéficient pas du même « pouvoir de marché », c'est-à-dire de la même capacité à imposer ses orientations et pratiques aux autres acteurs dans les transactions commerciales (en matière de prix, de délais de livraison, etc.). Globalement, paysans et travailleurs agricoles bénéficient d’un pouvoir de marché très faible voire insignifiant en comparaison de ce que l’on observe à l’échelle d’une minorité d’exploitations agricoles industrielles, des entreprises fournisseuses d’intrants, des négociants internationaux, de l’industrie de la transformation et, plus encore, de l’industrie de la grande distribution. S’il est nécessaire de référer à cette répartition inégale du pouvoir de marché pour comprendre pourquoi la dynamique des marchés agricoles est à bien des égards si préjudiciable aux paysans des quatre coins du globe, par exemple, c’est essentiellement pour deux raisons. D’une part, les orientations mêmes des politiques agricoles adoptées sont en bonne partie fonction de la capacité respective des uns et des autres à les influencer. Or, les acteurs exerçant la plus grande influence sont ceux qui détiennent le plus grand pouvoir de marché. Il n’est donc pas étonnant que les politiques adoptées soient davantage performatives des intérêts objectifs de ces acteurs, et favorisent une agriculture industrielle au détriment d’une agriculture paysanne. D’autre part, la dynamique effective des marchés n’est pas seulement le fruit des politiques agricoles mises en œuvres dans les diverses instances. Elle relève également, en dehors de tout cadre politique réglementaire, des pratiques de marché spécifiques des acteurs. Or là encore, les acteurs les plus influents sont ceux possédant un plus grand pouvoir de marché. Fortement concentrées face à une multitude de producteurs agricoles, entreprises de transformation et chaînes de supermarchés ont par exemple tout loisir d’utiliser leur immense pouvoir de marché pour minimiser leurs coûts en imposant de bas prix à leurs fournisseurs. Comment favoriser une agriculture plus viable, et réduire ce faisant la pauvreté dans les pays en développement ? Libéraliser davantage l’agriculture ? Sûrement pas. Il s’agit bien plutôt de réguler en ce sens les mécanismes de marché, les politiques agricoles et les rapports de force entre acteurs de filières, et cela suppose entre autres le recours à quantités d’instruments de politiques économiques justement incompatibles avec la libéralisation des marchés. Xavier Guigue, ITECO (Centre de formation pour le développement) Le thème de la soirée fait référence à la réduction de la pauvreté et à la libéralisation de l’agriculture. Il est intéressant tout d’abord de se pencher sur les mots. On parle de réduction de la pauvreté et non de suppression. Cet enjeu ne date pas d’aujourd’hui. Déjà Victor Hugo critiquait la faiblesse des engagements politiques de l’époque quand il disait « vous voulez les pauvres secourus, moi, je veux la misère supprimé ». Parler de pauvreté plutôt que d’injustice va dans le même sens : l’injustice demande une analyse politique et une analyse des rapports de force… Quant au mot libéralisation, on oublie qu’à l’origine il y a le mot « liberté ». Une grande partie des décideurs économiques use et abuse du mot « libéralisme » alors qu’il serait plus exact de parler de laisser-faire ou de dérégulation. L’élargissement de l’union européenne à l’Espagne et au Portugal en 1985 illustre certaines questions du « libéralisme » en agriculture. A l’époque, ce qui allait devenir la Confédération Paysanne dénonçait non pas l’élargissement mais ses conséquences pour les petites exploitations de fruits et légumes sans possibilité d’alternative. Et c’est effectivement ce qui s’est passé : - il y eu dans le sud de la France, une forte diminution du nombre de paysans et de certaines productions dont, il est vrai, quelques unes étaient aberrantes sur un plan environnemental (comme la tomate sous serre chauffée). Sur un plan macro économique, la crise est restée localisée, ce qui n’a pas empêché d’être très dur pour certains agriculteurs. - Dans le même temps, le sud de l’Espagne a vu afflué de nombreux capitaux pour intensifier la production de fruits et légumes commercialisés aujourd’hui dans toute l’Europe avec les conséquences écologiques que l’on connaît. D’un point de vue « libéral », cela a contribué au développement macro économique de l’Espagne - Ce système de production à l’échelle européenne a permis d’accroître le pouvoir d’achat des consommateurs par une baisse relative du prix de ces produits En bref, ce qui s’est passé à l’échelle d’un pays, avec la disparition des protections et barrières internes, se passe à l’échelle de l’Europe –marché commun- puis de la planète. Mais cela pose de nombreux problèmes : 1- L’absence de régulation contractuelle (qui engage les acteurs économiques et non pas le seul marché )dans les échanges amène à un glissement vers la loi du plus fort : Il y a quelques années, au Pérou des communautés paysannes s’étaient organisées en coopérative pour payer correctement le lait de leurs vaches et le commercialiser. Carnation (multinational qui produit le lait Gloria) a voulu occuper le marché : elle a pendant quelques temps acheté le lait plus cher, incitant les paysans à ne plus vendre à la coopérative. Celle-ci a dû fermer et peu de temps après Carnation, seul en place, baissait ses prix d’achat du lait… 2- La différence entre les cycles de production et le cycle du marché : il existe un déphasage évidant entre les cycles agricoles et le cycle du marché en l’absence d’organisation intelligente de la production. Si une année l’oignon se vend bien, l’année suivante de nombreux producteurs risquent d’en faire entraînant une surproduction. Le phénomène est encore plus évident pour les productions pérennes : une vache ou un arbre fruitier n’arrête pas de produire par ce que le marché est saturé ou ne produit pas plus parce que la demande augmente… 3- La fabrication des prix de marché amplifie encore ces difficultés : à Cavaillon, en Provence existe un marché d’intérêt national. Les agriculteurs viennent très tôt avec leurs produits. Une partie des ventes se décide avant le véritable marché physique : les acheteurs (central d’achat, commerce de gros…) cherchent à garantir leur approvisionnement quand la demande est forte, il ne restera alors que peu de marchandises sur le marché physique, ce qui incitera les prix à la hausse. A l’inverse, ce sont les agriculteurs qui chercheront à placer leur produit sans succès quand la demande faiblit ou quand la production est trop bonne. Ce qui n’a pas trouvé acheteur se retrouvera sur le marché en grande quantité, tirant les prix des produits à la baisse 4- Les coûts de production ne sont pas les mêmes partout : cultiver en montagne ne donne pas les mêmes résultats qu’en plaine, même chose entre une région aride et une région tempérée… l’alignement sur les prix mondiaux ne tient pas compte de ses différences créant une rente de situation pour certains et un appauvrissement pour la majorité. Dans ce schéma « libéral », les aides à la production peuvent être cohérentes avec une politique de souveraineté alimentaire, elle ne le sont plus quand il s’agit de soutenir une filière à l’exportation comme les céréales produites en France ou comme le poulet congelé européen qui arrivent en Afrique à bas prix et ruine les paysans africains. Face à ce constat, il faut affirmer que la souveraineté alimentaire et la maîtrise des questions agricoles sont de nature culturelle, sociologique et politique. Elles n’ont pas à être dictées par les lois (si on peu parler de loi) du marché. Pour construire un système juste (d’où l’importance de l’approche politique juste/injuste), il faut tenir compte : a. du revenu du travail des différents acteurs de la filière : paysans, grossistes, commerçants, transformateurs… c’est la notion de commerce équitable (entre parenthèse on se demande comment se fait-il que le commerce inéquitable soit possible) b. du pouvoir d’achat de chacun d’où l’importance des politiques sociales, de la répartition des richesses, du rôle de l’impôt…) c. des questions de qualité intrinsèque au produit qui porte aussi bien sur son utilité sociale, ses qualités gustatives, alimentaires, de conservation… d. des conséquences environnementales de la production, de la commercialisation, ce qui renvoie au pratique de l’agriculture biologique et à l’agriculture de proximité. Pour sortir du « libéralisme », il peut être utile de prendre exemple sur l’Organisation Internationale du Travail qui rassemble pouvoirs publics, travailleurs et employeurs : il s’agirait par exemple de mettre autour d’une table producteurs, intermédiaires, consommateurs, pouvoirs publics, chercheurs… pour contractualiser les échanges agricoles, répartir les productions, mettre en place des mécanismes d’adaptation de l’offre à la demande, tenir compte du coût du travail…. Ainsi s’il est acceptable d’importer en Europe de la banane ou du café, faire venir de très loin bières ou pommes n’est pas cohérent. Mais sortir du système actuel pour maintenir vivante les paysanneries est un coût (de bons produits demandent en général plus de temps, payer le produit en tenant compte des coûts de production pour que le paysan puisse vivre de son travail influe sur le prix de vente…), il faut en tenir compte en particulier avec l’urbanisation croissante des villes et les exigences pour tous d’avoir accès aux services de base. Aujourd’hui, le défi est énorme avec l’apparition des agrocarburants : dans une économie de marché, les capitaux risquent d’affluer pour investir dans les agrocarburants, si le pétrole continue à être cher. Certains paysans croiront y trouver une aubaine : avoir un meilleur revenu comparé à la production agricole alimentaire, engageant des situations de crise auprès des populations urbaines pauvres comme cela a déjà été le cas au Mexique. Débat - - - La reprise du pouvoir d’achat par le politique = valoriser le consumérisme Quid de la valorisation du paysan ? Pour cela est nécessaire une démarche collective (paysans) ? Même les objectifs de l’agriculture ne sont pas clairs. Par exemple, l’homogénéité des agriculteurs est en question : en Belgique, la FUGEA et la Confédération wallonne s’oppose. La prévente n’est-elle pas un délit d’initiés ? Non il s’agit d’une commerce selon un contexte non-contractualisé. N’y a-t-il pas un manque d’appropriation du débat lié à la distance avec les producteurs ? PAC se base sur une critique et une analyse de la situation par régui ou filière pour diminuer les problèmes liés à l’exportation. Comme par exemple, le prix de vente en-dessous du prix de production d’où le rôle des subventions (aide). Quid de la dimension vivrière ? Réponse : cette dimension ne dépend pas du produit mais de la technique. L’agriculture est souvent limité au bio ou au péri-urbain. Attention, la culture du coton par exemple permet à l’agriculteur de cultiver les autres biens fondamentaux.