Bex – 8-9 juin 2006, apport théologique, Nicolas Cochand
p. 2
Je m’arrête là, vous le percevez bien, c’est un terrain rempli de pièges où il convient de
distinguer. Si la santé financière n’est évidemment pas une preuve, l’inverse non plus. La
mauvaise santé financière n’est pas un signe de notre échec ni que nous sommes forcément
dans le juste.
En revanche, notre attitude est révélatrice. Pour le dire en une alternative – c’est donc
évidemment forcer le trait – est-ce que nos difficultés actuelles, nous les interprétons comme
une fatalité, comme l’influence néfaste du monde sur l’Eglise, la preuve de notre manque de
foi, ou comme une occasion d’entendre une parole, de percevoir une présence renouvelée du
Christ ?
La théologie de la croix, c’est la conviction que Dieu s’est manifesté en Christ incarné, en
Christ souffrant et mourant sur une croix. Que la croix, loin d’être une parenthèse tragique, est
le lieu même de la révélation du Dieu de Jésus-Christ.
C’est ensuite la conviction que Dieu continue à se manifester de la sorte, que la présence du
Christ est une présence paradoxale, dont la puissance se manifeste dans la faiblesse, dont la
présence est inattendue, dans ce qui, pour les humains que nous sommes, n’est précisément
pas le lieu du divin, du sacré. « Scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs(1 Co 1, 23). »
Le théologien de la croix, dans le Nouveau Testament, c’est Paul : l’ensemble de ce qu’il écrit
aux Corinthiens est placé sous le signe de la croix. Il met en question l’expérience spirituelle
et communautaire, il interprète les enjeux de foi et de vie avec cette clé. Il ne saurait être
question, pour le croyant, de se glorifier, de s’enorgueillir de sa maturité dans la foi, de la
liberté que la foi lui donne. Le critère n’est pas l’authenticité, ou l’intensité, ou la vérité, mais
bien l’amour (cf. 1 Co 13), autrement dit le critère est le discernement de la présence du Christ
au travers du plus fragile, du plus faible (cf. 1 Co 11, 17 et suivants).
Paul interprète son propre ministère à cette lumière. Lui qui a contemplé le monde céleste, a
demandé la puissance, mais il a fait l’expérience de la faiblesse : « ma grâce te suffit », la
force dans la faiblesse (cf. 2 Co 12, 1-10).
La théologie de la croix n’est pas un schéma d’organisation mais un positionnement spirituel.
Pour l’évangile de Marc, que l’on considère aussi comme un théologien de la croix, l’attitude
du croyant est de suivre le Christ. La clé est donnée aux femmes devant le tombeau vide (cf.
Mc 16, 6-7). Vous cherchez le crucifié, il n’est pas là. Vous avez identifié un mode de
présence du Christ. Vous avez fait une expérience et vous l’avez érigée en norme. Vous avez
localisé, calibré, sanctifié, organisé, financé, mais voici qu’il n’est plus là. Il n’est pas dans
vos tombeaux vides. Il est ressuscité, il vous précède en Galilée.
L’Eglise/le croyant est présence du Christ au monde sur le mode de l’incarnation : par une
parole contestable, par un geste qui ne s’impose pas, qui ne flatte pas non plus, qui appelle à
un retournement, qui se donne à saisir sur le mode de la foi.
L’Eglise/le croyant va à la rencontre du Christ et accueille sa présence dans la Parole
interprétée, dans l’autre et dans la communauté réunie pour rompre le pain, dans le monde qui
l’interpelle, dans la personne fragilisée et exclue.
L’institution est au service de ces deux mouvements, qui se renouvellent l’un l’autre, qui
constituent sa mission collective et la mission de chacun de ses membres. L’institution vise à
favoriser l’événement de la rencontre du Christ, sans jamais prétendre en avoir le contrôle ni
l’exclusivité.
En une phrase : le réel est le lieu de la présence et de la rencontre du Christ incarné. Il vous
précède en Galilée. (Mc 16, 7)