Bex 8-9 juin 2006, apport théologique, Nicolas Cochand
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Entre rêve et réel
J’entre en matière à partir d’une idée lancée par un membre du groupe de préparation de la
session : ne devrait-on pas passer d’une théologie de la gloire à une théologie de la croix aussi
pour l’institution ?
Je choisis cet angle d’approche parce la théologie de la croix est un concept souvent employé
par les générations qui ont été formées à l’école de Bühler et de Dubied et maintenant de
Moser, notamment.
« Théologie de la croix » est une notion de Luther. Elle est apparue, comme souvent chez
Luther, dans un contexte polémique. Il opposait son approche théologique, centrée sur la
croix, sur une présence fragile et paradoxale de Dieu, à une approche qu’il appelait une
théologie de la gloire, une théologie reposant sur la manifestation de la présence indiscutable,
de la puissance de Dieu.
Je choisis aussi cet angle d’approche parce que l’idée de théologie de la croix risque de
devenir notre passe-partout favori, le mot fétiche qu’il faut prononcer mais qui finalement
risque de ne plus rien dire. Quand on a dit que notre représentation de l’Eglise devait être
construite à partir d’une théologie de la croix, on n’a en fait pas encore dit grand-chose, sinon
qu’on a permis à une objection d’apparaître immédiatement, l’objection qui dit : attention à
une théologie qui, mal comprise, peut servir à justifier l’incompétence et la médiocrité, qui
nous permet de nous complaire dans l’insignifiance.
Ce n’est pas parce que qu’on mentionne la croix qu’on l’a prise radicalement en compte. Nos
théologies de la croix ne ressemblent-elles pas au Christ en croix de Dali : une croix qui n’est
plus plantée en terre mais qui plane au dessus du monde, une croix qui porte un Christ beau
comme un athlète, puissant, musclé, un Christ sans souffrance ? Le concept peut aussi être un
camouflage.
La question de départ est un peu vicieuse parce qu’elle laisse entendre que notre conception
de l’Eglise repose sur une théologie de la gloire. C’est sans doute un peu vrai parce que je
crois que c’est un mouvement naturel de l’expérience spirituelle, aussi bien individuelle que
communautaire, de nous reposer sur l’acquis, sur le manifeste, sur l’expérience indiscutable.
De glisser vers une théologie de la gloire. Jusqu’au jour ça ne fonctionne plus, le
manifeste devient opaque, incompréhensible, inacceptable. Jusqu’au jour nous ne
percevons que silence où il y avait parole, absurdité où il y avait sens.
Une théologie de la gloire, appliquée à notre représentation de l’Eglise, serait, peut-être, de
n’être plus capable de distinguer entre la vérité et le témoignage que nous nous efforçons de
lui rendre. De ne plus savoir faire la différence entre notre expérience d’Eglise et la présence
du Christ dans le monde. De ne plus être à même d’admettre que nos autorités peuvent se
tromper, que nos ministres commettent des erreurs, que nos membres ne sont pas d’accord
entre eux…
Une théologie de la gloire serait aussi de considérer que l’Eglise réunit ceux qui ont trouvé le
salut, ceux qui ont reçu l’onction de l’Esprit. De considérer que la présence de l’Esprit se
manifeste dans la puissance de notre prédication, dans l’intensité de nos expériences
spirituelles, dans la qualité de notre vie communautaire, dans la réussite de nos actions, dans
la fidélité de nos membres et dans la bonne santé de nos finances. La réussite financière est le
signe manifeste de la bénédiction de Dieu sur notre action. Comme chacun sait, nous vivons
dans un monde où le juste prospère. L’Eglise doit être le reflet de la splendeur divine.
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Je m’arrête là, vous le percevez bien, c’est un terrain rempli de pièges il convient de
distinguer. Si la santé financière n’est évidemment pas une preuve, l’inverse non plus. La
mauvaise santé financière n’est pas un signe de notre échec ni que nous sommes forcément
dans le juste.
En revanche, notre attitude est révélatrice. Pour le dire en une alternative c’est donc
évidemment forcer le trait est-ce que nos difficultés actuelles, nous les interprétons comme
une fatalité, comme l’influence néfaste du monde sur l’Eglise, la preuve de notre manque de
foi, ou comme une occasion d’entendre une parole, de percevoir une présence renouvelée du
Christ ?
La théologie de la croix, c’est la conviction que Dieu s’est manifesté en Christ incarné, en
Christ souffrant et mourant sur une croix. Que la croix, loin d’être une parenthèse tragique, est
le lieu même de la révélation du Dieu de Jésus-Christ.
C’est ensuite la conviction que Dieu continue à se manifester de la sorte, que la présence du
Christ est une présence paradoxale, dont la puissance se manifeste dans la faiblesse, dont la
présence est inattendue, dans ce qui, pour les humains que nous sommes, n’est précisément
pas le lieu du divin, du sacré. « Scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs(1 Co 1, 23). »
Le théologien de la croix, dans le Nouveau Testament, c’est Paul : l’ensemble de ce qu’il écrit
aux Corinthiens est placé sous le signe de la croix. Il met en question l’expérience spirituelle
et communautaire, il interprète les enjeux de foi et de vie avec cette clé. Il ne saurait être
question, pour le croyant, de se glorifier, de s’enorgueillir de sa maturité dans la foi, de la
liberté que la foi lui donne. Le critère n’est pas l’authenticité, ou l’intensité, ou la vérité, mais
bien l’amour (cf. 1 Co 13), autrement dit le critère est le discernement de la présence du Christ
au travers du plus fragile, du plus faible (cf. 1 Co 11, 17 et suivants).
Paul interprète son propre ministère à cette lumière. Lui qui a contemplé le monde céleste, a
demandé la puissance, mais il a fait l’expérience de la faiblesse : « ma grâce te suffit », la
force dans la faiblesse (cf. 2 Co 12, 1-10).
La théologie de la croix n’est pas un schéma d’organisation mais un positionnement spirituel.
Pour l’évangile de Marc, que l’on considère aussi comme un théologien de la croix, l’attitude
du croyant est de suivre le Christ. La clé est donnée aux femmes devant le tombeau vide (cf.
Mc 16, 6-7). Vous cherchez le crucifié, il n’est pas là. Vous avez identifié un mode de
présence du Christ. Vous avez fait une expérience et vous l’avez érigée en norme. Vous avez
localisé, calibré, sanctifié, organisé, financé, mais voici qu’il n’est plus là. Il n’est pas dans
vos tombeaux vides. Il est ressuscité, il vous précède en Galilée.
L’Eglise/le croyant est présence du Christ au monde sur le mode de l’incarnation : par une
parole contestable, par un geste qui ne s’impose pas, qui ne flatte pas non plus, qui appelle à
un retournement, qui se donne à saisir sur le mode de la foi.
L’Eglise/le croyant va à la rencontre du Christ et accueille sa présence dans la Parole
interprétée, dans l’autre et dans la communauté réunie pour rompre le pain, dans le monde qui
l’interpelle, dans la personne fragilisée et exclue.
L’institution est au service de ces deux mouvements, qui se renouvellent l’un l’autre, qui
constituent sa mission collective et la mission de chacun de ses membres. L’institution vise à
favoriser l’événement de la rencontre du Christ, sans jamais prétendre en avoir le contrôle ni
l’exclusivité.
En une phrase : le el est le lieu de la présence et de la rencontre du Christ incarné. Il vous
précède en Galilée. (Mc 16, 7)
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Où en sommes-nous de notre rapport à la réalité ?
Je poursuis cette réflexion à partir de la figure de Jonas : le prophète qui fuit Ninive, lieu de la
proclamation, mais aussi et surtout lieu de l’expérience de la grâce, pour les habitants de la
ville comme pour le prophète lui-même. L’histoire de Jonas devrait nous interdire de nous
prendre au sérieux.
Est-ce que, comme Jonas, nous avons planifié, organisé, structuré, affré un navire pour
Tarsis, pour la terre sage et sûre de nos destinations choisies ?
Est-ce que, comme Jonas, nous pensions pouvoir dormir paisiblement à fond de cale, quand
tout s’agite et souffre autour de nous ? Je relève que dans la tempête, ce n’est pas du prophète
que vient la juste interprétation de la réalité.
Est-ce que, comme Jonas, nous avons pensé résoudre le problème simplement en nous noyant
dedans ?
Est-ce que, comme Jonas, nous avons entonné nos chants de détresse du fonds du ventre creux
du monstre marin devenu véhicule du salut ? Peut-être que c’est ça l’Eglise : un monstre
salutaire qui nous recueille et nous vomit sur le rivage de notre terre de mission (le mot hébreu
pour dire que le monstre marin recrache Jonas est particulièrement fort).
Est-ce que, comme Jonas, nous n’avons rien compris à l’action de Dieu ? Comme ça serait
bien, si Dieu venait pourfendre, éradiquer, punir, héros spectaculaire de nos fantasmes
d’enfants. Dieu ne vient pas. Il se tait. Il souffre. Il est rempli de compassion.
Est-ce que, comme Jonas, nous nous ridiculisons à désespérer à en mourir parce que nous
avons perdu notre kikajon ? Ca vient de là. C’est le nom, en hébreu, de la plante qui abrite
Jonas, sous laquelle il se réjouissait de contempler de loin, bien au frais, ce qui allait arriver à
la ville. Le kikajon. La cabane où l’on range ses outils, mais surtout, le coin sympa au fond du
jardin où l’on se repose, à l’ombre, où l’on boit une bouteille d’œil-de-perdrix avec les amis.
Pauvre Jonas. Ridicule et touchant à la fois. « Tu t’émeus du destin d’une plante et tu
t’étonnes que j’éprouve de la compassion pour Ninive et tous ses habitants ? »
A l’image du prophète, homme seul qui s’adresse à la grande ville, l’action de l’Eglise/du
croyant est symbolique. Elle est signe d’une présence espérée, d’une rencontre possible. Nous
pourrions nous inspirer de l’Eglise réformée de France, qui a choisi de passé « d’une logique
de desserte à une logique d’annonce ».
Notre réalité spirituelle est celle de l’insuffisance de nos moyens. C’est la condition même de
notre foi. Il y a de nombreux exemples, dans l’Ancien et le Nouveau Testament, de la
disproportion entre la tâche à accomplir et les moyens à mettre en oeuvre.
Alors, que peut être une Eglise, au sens institutionnel du terme, inspirée d’une théologie de la
croix ? A partir des quatre fonctions fondamentales de l’Eglise, à mon sens, je dirais ceci.
C’est d’abord une Eglise qui fait mémoire, qui célèbre la présence du Christ dans l’histoire
des humains. C’est ensuite une Eglise qui annonce la venue du Christ, qui l’espère, qui se
tourne toujours vers un possible. C’est encore une Eglise qui s’efforce d’interpréter, de
discerner, de former et de se former à comprendre la présence du Christ souffrant. C’est enfin
une Eglise qui écoute, qui rencontre le monde qui s’agite et qui peine, qui accompagne les
personnes comme autant d’occasions de rencontrer le Christ.
Une Eglise qui fait du mieux qu’elle peut, avec la pleine conscience de son insuffisance. C’est
ainsi que je conclus cet apport.
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