manufacturiers dont les préoccupations apparaissent loin des horizons
internationaux du XVIIIe siècle. Leur vision de l’expansion extérieure est
entièrement dominée par le souci de développer une base industrielle
concurrente de l’Angleterre et leur stratégie économique peut se définir comme
celle d’un néo-colbertisme adapté aux conditions de l’industrialisation ; à leurs
yeux, il faut d'abord prohiber les produits manufacturés en provenance des
puissances étrangères surtout lorsque l'on est capable d'élaborer des produits de
substitution. Il est tout aussi nécessaire d'ouvrir largement la France, de façon
libérale, à l'importation des matières premières qui alimentent les manufactures.
Enfin, il ne faut pas hésiter à encourager avec vigueur les exportations y compris
avec des primes ou des restitutions de manière à égaliser les conditions de la
concurrence pour les produits manufacturés français.
Il n'est donc pas question pour les manufacturiers français de se couper du
monde extérieur, mais on doit au contraire profiter des conditions de la paix pour
réinsérer au mieux les intérêts français dans l'économie d'échange internationale
d’autant que leurs approvisionnements sont encore en partie liés à des matières
premières d’origine coloniale. Les cotonniers parisiens expriment avec une
grande force ce schéma d'expansion optimiste et volontariste qui établit un
rapport dissymétrique avec le reste du monde, quand ils publient un Mémoire
destiné à alerter les pouvoirs publics : « Mais pouvons-nous nous passer de
l'Inde, des deux Amériques, de l'Angleterre? Non, nous leur devons un tribut
sagement imposé par la nature au peuple qui veut vivre dans la grande
communauté des nations civilisées. Mais ce tribut ne doit être que celui des
matières premières; et puisque notre indigence maritime ne nous permet pas
d'être les facteurs des nations, soyons-en les ouvriers. Notre industrie se
rappelle encore les beaux jours de sa rapide et brillante jeunesse ; elle se
rappelle avec orgueil, qu'échappant tout à coup à son enfance, elle franchit
presque d'un saut le vaste champ des découvertes, et atteignit bientôt à toute la
hauteur de la perfection idéale. Pourquoi ne retrouverait-elle pas ces routes
hardies qu'elle s'était frayées si fièrement. Ce n'est point sous une politique
indécise et timide qu'elle reprendra son essor, mais sous une protection active,
grande, large, étendue. Que son premier soin soit d'écarter de chez nous les
tissus étrangers. Tout est perdu si on transige sur ce point, et le commerce n'a
plus d'avenir prospère; il dépérira incessamment pour ne renaître que de l'excès
de la richesse des autres et l'équilibre ne se rétablira que quand nos trésors
passés chez eux y auront élevé la main-d'oeuvre à des prix exorbitants. »
Un nouvel esprit impérial se profile dans le discours des manufacturiers, discours
à la fois moderne par son projet industrialisateur et archaïque par ses références
à un mercantilisme des siècles passés. L'échange international est alors considéré
comme source privilégiée de l'enrichissement à travers un processus ouvertement
inégalitaire, tout juste peut-on s’interroger sur leur attachement à un
approvisionnement limité aux colonies françaises : « La science du commerce se
Adam (frères), Proust (frères), Adam aîné, Desurmont, Gysels, B. Vadie & Cie, Mémoire
(destiné au directeur général du Commerce), Paris, Chaigneau, juillet 1814