Communication interculturelle 19
La prise de décision et les différences
culturelles
跨文化交际第十九讲
决策的文化差
Lors de l’été 1999, nous avons réalisé une enquête sur le
management sino-français à Daya Bay, qui est la centrale nucléaire la
plus importante de Chine. Un certain nombre d’experts français y
travaillent puisqu’on y fait largement appel à leur technologie.
L’enquête révèle un certain nombre de différences entre les
Chinois et les Français dans les processus de la prise de décision. Ces
derniers considèrent par exemple que sur ces aspects, leurs
interlocuteurs chinois sont inefficaces et « bizarres ». Cela ne manque
pas de nous étonner car il y a un grand décalage entre les
représentations que se font les Français des réunions chinoises et
la manière dont, nous, les Chinois, les vivons. Il faut pourtant bien
nous reconnaître une certaine efficacité, sinon comment expliquer que
le pays soit devenu ce qu’il est.
Tout un chacun est un jour amené à prendre des décisions mais le
problème réside surtout ici dans le fait que le processus qui y préside,
étroitement lié aux valeurs fondamentales d’un peuple, varie d’une
culture à l’autre. Ainsi sur ces aspects, les Français trouvent les
Chinois bizarres et inefficaces parce qu’ils ont eux-mêmes leurs
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propres normes de décision, ce qui rend forcément toute comparaison
inévitable.
Dans ce chapitre, nous essaierons de saisir quelques différences
culturelles au travers du discours des Français. Ces derniers observent
la situation chinoise avec leurs propres lunettes et ce qu’ils en disent
peut nous renseigner autant sur les Chinois que sur les Français
eux-mêmes.
1. Réunion professionnelle et réunion relationnelle, des
conceptions divergentes
Le mode de pensée des Chinois est différent de celui des
Français. La manière de réagir face à une même situation varie en
effet en fonction des cultures. Au cours de l’enquête, les Français, qui
ont du mal à comprendre la conduite de réunion de leurs homologues
chinois, se sont plaints : « En Chine, ce sont plutôt des réunions
d’information. Les gens viennent pour s’informer et repartent,
contents, parce qu’ils ont appris quelque chose ». C’est sans doute la
raison pour laquelle les Français ont le sentiment que les réunions sont
bizarres et inefficaces.
L’une des raisons pour lesquelles les Chinois et les Français
divergent sur ce sujet est qu’ils n’ont pas la même conception du
terme « réunion ». Pour le dictionnaire chinois, il s’agit d’une
assemblée ou d’une rencontre organisée pour discuter des affaires.
Cette définition qui renvoie essentiellement à l’idée de rassemblement
formel, ne mentionne pas les autres nuances du terme. Au quotidien,
en effet, il recouvre un sens plus large. Ainsi, pour une discussion
technique, une rencontre régulière entre collègues et même pour les
sessions d’études politiques - approfondissement des théories de Deng
Xiaoping ou sessions d’études pour la construction spirituelle - on
utilise le terme de réunion. Il est évident que pour des réunions
comme les réunions politiques, il n’y a pas besoin de prendre de
décision. Les participants ne sont que pour s’informer et bavarder.
En Chine, en effet, ces réunions-là ont plutôt un caractère informatif.
Les Français disent : « Il y a des gens qui s’y rendent pour s’informer
mais pas pour décider ». Ce qui est vrai car la fonction la plus
importante d’une réunion pour nous, les Chinois, c’est d’assurer un
cadre à la communication et non à la décision (sauf quand il s’agit de
situations urgentes ou lorsqu’il y a danger et qu’il faut agir
rapidement). On peut dire que pour les Chinois une réunion est avant
tout un événement relationnel.
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Quant aux Français, s’ils organisent une réunion, c’est surtout
pour aider les gens à prendre des décisions. C’est là, selon eux, l’une
des fonctions principales de la rencontre. Elle est un moyen de
résoudre les problèmes de travail, elle a une fonction professionnelle.
Pourquoi en Chine, accorde-t-on tant d’importance à la diffusion
de l’information au cours d’une réunion ? L’une des raisons
principales est que très peu d’informations sont échangées dans le
cadre du travail. Dans une usine chinoise, le fait que le département A
ignore le travail ou le plan du département B est tout à fait normal.
Chacun d’entre eux est un territoire indépendant qui évite de se mêler
des affaires des autres sous peine d’être accusé d’espionnage.
Cependant, afin d’assurer une certaine harmonie entre services et
comme ils font partie d’une même entité, la communication a tout de
même une fonction importante. C’est grâce à elle en effet que les
Chinois renforcent leurs liens et leurs amitiés.
Par ailleurs en Chine, on accorde beaucoup d’importance au
contexte, les informations horizontales sont donc considérées comme
nécessaires et importantes. Les Français qui conduisent en Chine sont
toujours effrayés sur la route car ils y ont une impression de chaos. Il
arrive bien sûr que les Chinois ne respectent pas les règles de
circulation routière mais somme toute peu d’accidents surviennent car
on a généralement une vision circulaire de la situation. Il s’agit en
effet de rassembler des informations sur l’ensemble de
l’environnement et non de se concentrer uniquement sur les feux
rouges devant soi. Il en est de même quand il s’agit de prendre une
décision finale. Dans un grand nombre de cas, la décision ou plutôt le
cadre de la décision sont fixes avant la réunion elle-même mais pour
faciliter son amendement, il faut « laisser sortir un peu de vent »,
c’est-à-dire laisser les autres savoir dans quel sens s’oriente la
décision initiale. Chacun peut y donner son avis, ce qui a deux
avantages. Le premier est que les dirigeants parviennent à recueillir
des « avis de renfort » permettant de faire évoluer la décision dans le
sens initialement envisagé ; le deuxième avantage est que tout le
monde étant presque du même avis, du moins en apparence, il est
possible de jeter les bases d’application de la dite décision.
Comme les Chinois considèrent que le but d’une réunion est
informationnel, ils n’ont pas d’habitude de la préparer. Les Français
rapportent que, parfois, alors qu’il est quatorze heures et qu’ils
arrivent tout juste au bureau, quelqu’un vient les informer que : « Bon,
à deux heures et demie, il y aura une réunion ». Ils se plaignent alors
du fait qu’ils ne peuvent rien préparer alors qu’ils ont des problèmes
demandant à être débattus de manière efficace. Pour un Chinois, cette
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manière de concevoir les choses est tout à fait normale. La plupart du
temps, on ne sait ni quand il y aura une réunion ni son objet, on ne
s’inquiète donc pas puisque que la tâche la plus importante consiste à
s’informer. Il n’y a rien à préparer, si ce ne sont « les oreilles ».
D’une manière générale, une réunion chinoise est plus longue
qu’une réunion française, laquelle dure approximativement une
demi-heure. Pour les Chinois, une réunion très courte est peu formelle
et nous la nommons « rencontre des têtes » parce que nous pensons
qu’une réunion bien faite est une réunion au cours de laquelle
suffisamment d’informations ont été échangées. Bien s’informer
suppose du temps, ce qui est un critère permettant de juger si la
réunion est réussie ou non. Pour les Français, le critère de réussite
d’une réunion est lié à la bonne résolution d’un problème. Plus la
réunion est courte et plus elle est efficace, c’est la raison pour laquelle
il paraît normal aux Français qu’elle dure cinq minutes, ce qui est très
bizarre pour les Chinois. Les experts qui travaillent à Daya Bay disent
qu’en Chine, on n’a pas l’habitude des réunions courtes.
Nous voyons donc bien ici que les Chinois et les Français n’ont
pas la même représentation du terme « réunion ».
2. Le déroulement de la réunion
Basée sur des conceptions différentes, le déroulement de la
réunion chinoise et française diffère dans son organisation. On peut
diviser cette organisation en plusieurs parties : on y repère différentes
temporalités : la phase proprement dite de préparation du sujet avant
la réunion, la phase de discussion et d’analyse durant la réunion, et
pour terminer une prise de décision en fin de réunion. Il semble que
pour les Français le processus de prise de décision doive respecter
certaines étapes comme cela est le cas dans le déroulement d’un repas
à la française, au cours duquel les plats sont servis les uns après les
autres (avec l’entrée, le plat principal et le dessert). Dans une réunion
chinoise au contraire, toutes les temporalités se confondent et il n’y a
pas d’étapes distinctes. Une réunion en Chine, c’est plutôt un chœur, à
l’image du repas chinois : tout se sert en même temps : la soupe, les
plats froids, les plats chauds et le riz ou les nouilles. C’est la question
de la conception du temps, dont les Français et les Chinois ont des
représentations différentes qui est ici en jeu. Pour les premiers, le
temps est une droite linéaire, allant du passé vers le futur et dans ce
cadre hier est perdu à tout jamais. Ils sont monochroniques. Le temps
est considéré comme une source que l’on ne gaspille pas et les tâches
y sont découpées de manière séquentielle. Pour les seconds, le temps
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est cyclique, c’est-à-dire que chaque nouvelle journée voit se
renouveler le moment que l’on n’a pas saisi hier (par exemple, tous les
jours le soleil se lève, passe au zénith et se couche à l’Ouest). Le fait
qu’aujourd’hui soit perdu ne pose pas de problème, car demain sera
riche de la même temporalité. On dit des Chinois qu’ils sont
polychroniques : pour eux le temps est plus élastique et un grand
nombre de tâches peut être traité simultanément.
Comparés aux Français, les Chinois ont besoin de beaucoup de
temps pour prendre des décisions. En France on a plus de pouvoir au
niveau hiérarchique. Par exemple, un responsable a le droit de cider
de ce qui doit être fait au nom des autres. Par contre en Chine, on a
tendance à essayer d’obtenir le consentement de tous et une fois que la
décision est prise et qu’il n’y a pas d’autre obstacle, la mise en
application est plutôt rapide. En dépit de ces différences, et par rapport
à un même objectif les Français et les Chinois arrivent à peu près en
même temps au même résultat. Cela n’est pas sans rappeler une
différence notable entre la cuisine chinoise et française. Les Français
sont habitués à cuire la viande par pavés, alors que les Chinois la
découpent d’abord en petits morceaux. A ce stade, il est évident que
les Français gagnent du temps pour préparer un repas comme ils
gagnent du temps lors de la prise de décision. Une fois à table pourtant,
ils doivent utiliser une fourchette et un couteau pour couper
leur morceau de viande, alors que les Chinois passent peu de temps à
table parce qu’ils ont déjà fait ce travail avant le repas. Ainsi, les uns
et les autres utilisent à peu près le même laps de temps autant pour un
repas que pour résoudre un problème comprenant : prise de décision et
mise en application de cette dernière.
Comme le rappelle F. Jullien : « La pensée chinoise s’est fort peu
édifiée à partir du principe de causalité qui oriente le mode de pensée
occidentale » (1992). Dans une réunion française, lorsqu’un problème
est posé, il sera discuté et analysé, alors que dans une réunion chinoise
on se passe de la phase d’analyse. Les Français ont l’impression que
les Chinois insistent sur les détails d’un problème et non sur son fond
et qu’à la fin de la réunion aucune décision n’est prise. Ils pensent en
outre, que ces derniers s’attachent trop aux détails et qu’ils ont du mal
à conclure. A leurs yeux, on gaspille beaucoup de temps pendant la
réunion, ce qui n’est absolument pas efficace. Il faut dire que les
Français ont une conception de l’efficacité basée sur une logique de
visibilité du processus et des résultats. La tradition européenne pense
l’efficacité à partir de l’abstraction de formes idéales, édifiées en
modèles projetés sur le monde et que la volonté se fixerait comme but
de réaliser. En Chine, la conception de l’efficacité tend à laisser
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