Le salarié adultère peut (ou pas) être sanctionné

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Le salarié adultère peut (ou pas) être sanctionné
le 1 octobre 2010
EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
SOCIAL | Contrat de travail | Santé publique
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est prononcée, le 23 septembre 2010, à
l’occasion de deux affaires distinctes, opposant deux salariés allemands à leur État national, sur la
délicate question, s’agissant de la liberté sexuelle, de l’équilibre entre les intérêts privés et publics,
voire entre intérêts privés eux-mêmes.
CEDH 23 sept. 2010, Obst c. Allemagne, n°425/03
CEDH 23 sept. 2010, Schüth c. Allemagne, n°1620/03
Dans ces deux affaires, les faits sont identiques: deux salariés masculins d’associations religieuses
allemandes - l’Église catholique pour le premier, mormone pour le second - ont commis le même
écart fautif du point de vue de leur employeur: l’adultère. Celui-ci a été sanctionné, dans les deux
cas, par un licenciement. Seul le profil salarié des deux époux volages diffère : l’un était organiste
et chef de chœur, tandis que l’autre était directeur pour l’Europe au département des relations
publiques de l’Église mormone. Les deux salariés ont contesté la validité de leurs licenciements
respectifs devant les tribunaux allemands, puis, devant leur insuccès, devant la CEDH, laquelle se
prononce pour la première fois sur le licenciement d’employés ecclésiastiques en raison d’un
comportement relevant de la sphère privée.
La question posée à la CEDH porte sur le point de savoir si l’équilibre ménagé par les juridictions du
travail allemandes entre, d’une part, le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la
Convention et, d’autre part, les droits dont jouissent l’Église catholique et l’Église mormone en
vertu de la Convention (elles sont notamment protégées de toute ingérence injustifiée de l’État de
résidence par les art. 9 [liberté de religion] et 11 [liberté de réunion et d’association]), a offert aux
salariés une protection suffisante. En d’autres termes, le droit du travail étatique allemand et le
droit du travail ecclésiastique ont-ils suffisamment préservés les intérêts de chacun ? Dans les deux
cas, la Cour fédérale du travail allemande a jugé que les exigences respectives de l’Église mormone
et de l’Église catholique en matière de fidélité conjugale n’étaient pas en contradiction avec les
principes fondamentaux de l’ordre juridique. Elle a donc, ipso facto, validé la licéité des
licenciements.
Le problème, en l’espèce, ou plutôt dans ces espèces, est que le raisonnement de la Cour est
parasité par la qualité des requérants. Le juge européen est arrivé ainsi à deux conclusions
diamétralement opposées, fonction du plaignant. Dans l’affaire de l’Église mormone, la Cour relève
que les juridictions allemandes ont procédé à une mise en balance circonstanciée et approfondie
des intérêts en jeu. Elles ont jugé que le licenciement s’analysait en une mesure nécessaire visant à
la préservation de la crédibilité de l’Église mormone, compte tenu notamment de la nature du poste
qu’occupait le salarié. Le fait que, après une mise en balance minutieuse (comprendre un contrôle
juridictionnel parfaitement satisfaisant), les tribunaux allemands ont accordé plus de poids aux
intérêts de l’Église mormone qu’à ceux de son salarié ne saurait en soi soulever un problème au
regard de la Convention. Les conclusions des juridictions du travail, selon lesquelles le salarié n’a
pas été soumis à des obligations inacceptables, ne paraissent pas déraisonnables. En effet, pour
avoir grandi au sein de l’Église mormone, il était, ou devait être, conscient, lors de la signature du
contrat de travail, de l’importance que revêtait la fidélité maritale pour son employeur et de
l’incompatibilité de sa relation extraconjugale avec les obligations de loyauté accrues qu’il avait
contractées envers l’Église en tant que directeur pour l’Europe au département des relations
publiques.
En ce qui concerne l’organiste, en revanche, la Cour observe que la cour d’appel du travail s’est
bornée à expliquer que, si ses fonctions ne figuraient pas parmi celles de la catégorie d’employés
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qui, en cas de comportement répréhensible grave, doivent être renvoyés - c’est-à-dire ceux qui
exercent des fonctions de conseil ou de direction ou qui travaillent à la catéchèse -, elles étaient
néanmoins si proches de la mission de proclamation de l’Église catholique que la paroisse ne
pouvait pas continuer à l’employer sans perdre toute crédibilité. Les juridictions allemandes n’ont
fait aucune mention de la vie de famille de l’intéressé (séparé de sa femme depuis plusieurs
années) ni de la protection juridique dont celle-ci bénéficiait. Les intérêts de l’Église employeur ont
ainsi été mis en balance non pas avec le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale,
mais uniquement avec son intérêt d’être maintenu dans son emploi. Enfin, si le salarié a accepté un
devoir de loyauté envers l’Église catholique qui limitait jusqu’à un certain degré son droit au
respect de sa vie privée, on ne saurait interpréter sa signature de ce contrat comme un
engagement personnel sans équivoque de vivre dans l’abstinence en cas de séparation ou de
divorce. Pour toutes ces raisons, il est jugé que les juridictions du travail n’ont pas mis en balance
les droits du salarié et ceux de l’Église employeur d’une manière conforme à la Convention et l’État
allemand est donc sanctionné pour violation de l’article 8 de la Convention.
De fait, s’il nous fallait retirer un seul enseignement de cette étude casuelle, celui-ci serait
certainement la réaffirmation du principe conventionnel selon lequel un employeur dont l’éthique
est fondée sur la religion ou sur une croyance philosophique peut imposer à ses employés des
obligations de loyauté spécifiques (V. dir. 78/2000/CE, art. 4 et, pour une illustration récente, CEDH
20 oct. 2009, n°39128/05, AJDA 2010. 215, note Lafaille ). Principe d’autonomie de suite tempéré,
cependant, par le juge strasbourgeois qui affirme qu’une décision de licenciement fondée sur un
manquement à une telle obligation ne peut pas être soumise uniquement à un contrôle judiciaire
restreint «sans que soit prise en compte la nature du poste de l’intéressé et sans qu’il soit procédé
à une mise en balance effective des intérêts en jeu à l’aune du principe de proportionnalité» (req.
n°1620/03, § 69).
Finalement, une manière comme une autre de valider a posteriori le travail du juge français, lui qui
concluait, voilà vingt ans, dans une affaire dans laquelle un sacristain avait été licencié pour
homosexualité, que s’il est vrai que, dans certaines entreprises à tendance idéologique,
l’employeur est en droit d’exiger de ceux de ses salariés chargés par lui d’une mission spirituelle un
mode de vie et de pensée conformes à leurs finalités, tel n’est pas le cas d’un aide-sacristain
salarié d’une association catholique, qui n’a pas de contact direct avec les fidèles et ne peut
exercer sur eux aucune influence réelle par son rôle de servant de messe et de cérémoniaire (Paris,
29 janv. 1992, D. 1992. IR 125 ; Soc. 17 avr. 1991, D. 1991. IR 140 ; et pour l’arrêt initial cassé,
Paris, 30 mars 1990, D. 1990. Jur. 596, note Villacèque ). D’un point de vue juridique, la solution
est aisément compréhensible. D’un point de vue moral, en revanche… Elle revient en effet, à
donner, pour des agissements identiques, un blanc seing à certains et un coup de règle sur les
doigts des autres.
par A. Astaix
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