Guide du Musée de l`Insurrection de Varsovie Le vestiaire

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Guide du Musée de l’Insurrection de Varsovie
1. Le vestiaire – Introduction
Bienvenue dans notre musée de l’Insurrection de Varsovie, consacré à ce qui fut l’une des
plus grandes batailles de la Seconde Guerre Mondiale.
Le 1er août 1944, 25.000 combattants de l’armée clandestine peu et mal armés lancent une
offensive contre l’armée allemande, bien supérieure en nombre. Avec le temps, les unités
polonaises comptent près de 50.000 hommes. Pendant deux mois de combats acharnés, elles
réussissent à reprendre à l’ennemi des secteurs importants de la ville et lui infligent des pertes
considérables. Hélas, au bout de soixante-trois jours, le faible soutien des Alliés, la supériorité
technique de l’armée allemande et le nombre élevé des victimes obligent le haut commandement
de l’AK, l’Armée de l’intérieur, à mettre un terme à cette lutte héroïque pour la liberté.
Prévue pour durer juste quelques jours, l’insurrection dure plus de deux mois. Dès les
premiers affrontements, les habitants de la capitale viennent en aide aux insurgés : ils s’engagent
dans des actions de combat, dressent des barricades, organisent le ravitaillement. Menacés par
l’avance du front de l’Est, les Allemands lancent dans la lutte des unités d’élite qui ont l’ordre de
mater l’insurrection en utilisant tous les moyens disponibles afin que cette répression serve
d’exemple et terrifie toute l’Europe. La ville doit être rasée et d’innombrables actes de génocide
sont commis. Les soldats d’Adolf Hitler causeront la mort de 180.000 civils.
« Nous voulions être libres et ne devoir notre liberté qu’à nous seuls. » Toute l’exposition se
déroule sous l’exergue de ces mots de Jan Stanisław Jankowski, nom de guerre « Soból », vicePremier ministre du gouvernement polonais en exil à Londres et Délégué du gouvernement en
Pologne. Cette phrase montre bien à quel point la vérité sur les cinq années d’occupation du pays
et les deux mois de l’Insurrection de Varsovie est complexe. Car l’insurrection n’est pas, comme
certains ont voulu le faire croire, un élan romantique insensé de quelques têtes brûlées. Il s’agit
d’une décision politique aux conséquences tragiques, certes, mais mûrement réfléchie des autorités
légales du pays. Les Polonais ont l’expérience de deux occupations cruelles et ils ont parfaitement
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compris les desseins de Staline. Ils savent que l’Armée rouge progresse à l’Est et qu’elle ne se bat
pas pour libérer la Pologne mais pour y remplacer le système totalitaire nazi par le système
totalitaire communiste. Les insurgés de Varsovie veulent libérer la capitale avec leur propre armée
afin d’y accueillir les troupes soviétiques en maîtres des lieux. C’est une ultime tentative pour
sauver la Pologne de l’oppression.
1. Le hall
Dès vos premiers pas dans le musée de l’Insurrection de Varsovie, vous rencontrez un signe
en forme d’ancre composé de la lettre P comme Polska, Pologne, et de la lettre W, comme
Walcząca, Combattante. Vous retrouverez ce signe de la Pologne Combattante tout au long de
votre visite. Depuis 1942, il symbolise l’Etat polonais clandestin. Il est peint et repeint presque
tous les jours sur les murs de toutes les villes de Pologne, témoignage de la résistance à
l’envahisseur et de la volonté des Polonais de se battre pour leur liberté.
Le bâtiment du musée date de 1904-1905. C’est l’un des rares vestiges de l’architecture
industrielle de Varsovie. Pendant la guerre, les Allemands endommagent sérieusement la centrale
électrique des tramways qui s’y trouve. Ils en achèvent la destruction pendant l’Insurrection de
Varsovie. Reconstruite et transformée après guerre, la centrale s’est petit à petit dégradée.
La décision d’y installer le musée de l’Insurrection a permis de redonner vie à ce patrimoine.
L’intérieur a été entièrement rénové d’après le projet de l’architecte Wojciech Obtułowicz. On a
découvert sous l’épais crépi qui recouvrait l’édifice une superbe façade de brique caractéristique
de l’architecture industrielle du XIXe siècle. Le site de l’ancienne centrale électrique est
aujourd’hui un jardin unique en son genre, le Parc de la Liberté. On peut y voir le Mur de la
Mémoire, de 156 m de long, constitué de plaques de granit gris dans lesquelles sont gravées les
noms des milliers d’insurgés morts au combat en août et septembre 1944.
Vous êtes également invités à visiter la chapelle dédiée au bienheureux père pallotin Józef
Stanek. L’aumônier du musée y célèbre une messe tous les dimanches à 12h30.
1. Les téléphones. L’insurrection soixante ans après
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Le régime imposé par Staline à la Pologne au lendemain de la guerre ne peut en aucune
manière tolérer que soit révélée la vérité sur une insurrection déclenchée pour empêcher
l’assujettissement de la Pologne à l’Union soviétique. Le pouvoir communiste va donc déformer
l’image de l’Insurrection de Varsovie et persécuter les insurgés pendant des décennies. La
situation est particulièrement difficile pendant la période stalinienne, de la fin des années 40 au
milieu des années 50. Il suffit souvent d’avoir appartenu à l’Armée de l’Intérieur pour se voir
condamné à la peine capitale. Après le Dégel amorcé en 1956, les dirigeants de la République
Populaire de Pologne, la PRL, arrêtent de critiquer les soldats du rang, pour accuser avec d’autant
plus de violence les chefs de l’insurrection et les responsables politiques du Gouvernement
polonais en exil. Ce n’est qu’en 1989, après la chute du régime communiste, que s’ouvre un débat
sur l’Insurrection de Varsovie et tous ses aspects, et que peut être envisagée la création d’un
musée. Il faudra quinze longues années pour que le projet aboutisse.
L’ouverture officielle du musée a eu lieu le 31 juillet 2004, à la veille du soixantième
anniversaire du déclenchement des combats pour libérer la capitale de la Pologne. Des milliers
d’anciens insurgés, venus de toute la Pologne et de l’étranger, y assistèrent. Ils furent les premiers
à pénétrer dans les murs de ce musée qui est le leur, ils y ont fait revivre leurs souvenirs, leurs
réflexions, et libéré des émotions retenues pendant des années.
Nous vous invitons à vous approcher des téléphones pour écouter certains des souvenirs
qu’ils ont évoqués soixante ans après.
1. La salle du Petit Insurgé
Par la porte située sur votre droite, nous entrons dans la salle du Petit Insurgé, destinée aux
jeunes visiteurs. En semaine, y sont proposés des ateliers et des conférences pour les enfants des
écoles maternelles et des petites classes du primaire. Ici, ils découvrent d’une manière adaptée à
leur âge l’Histoire, et les valeurs qui animaient les insurgés en 1944. Le week-end, les parents
peuvent y laisser leurs enfants sous la surveillance d’un animateur expérimenté. Entourés de jeux
et de jouets de l’époque, les enfants peuvent dessiner, jouer avec des marionnettes, construire une
barricade ou encore imiter les jeunes scouts et louveteaux de la Poste de campagne, qui avaient
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leur âge pendant l’insurrection.
Cette salle veut aussi montrer que la ville prise sous le feu des combats était pour les enfants
une réalité implacable, sans doute encore plus terrible pour eux que pour les adultes. Les
fusillades, les bombardement quotidiens, la nécessité de se terrer dans les caves, tout cela était
pour eux incompréhensible, semant la mort et l’effroi…
« Sauvez les enfants, les nôtres, les vôtres, les enfants polonais, les enfants de Varsovie ! »
Telle est la devise des insurgés. Dès les premiers jours sont mis en place des cuisines et des dépôts
de lait en poudre et d’aliments pour bébés et enfants en bas âge. Tous unissent leurs efforts pour
protéger les enfants de la cruauté de la guerre.
On commence par leur interdire d’approcher des zones de combat. Tout est fait pour
sauvegarder les apparences d’une vie normale : on organise des spectacles de marionnettes, des
jeux et des divertissements ; on distribue aux enfants des illustrés, comme Jawnutka ou Dziennik
Dziecka, Le Quotidien de l’Enfant, qui leur permettent de se réfugier un court instant dans le
monde des rêves et de l’imagination.
Mais certains enfants n’observent pas les événements que de loin. Beaucoup d’entre eux
aident les insurgés à leur manière. De très jeunes gens, âgés d’à peine dix ou douze ans, souvent
sans famille, veulent apporter leur pierre à la victoire. Dès les premiers jours d’août, naît la Poste
de Campagne des Scouts. Chaque jour voit croître les rangs des porteurs de messages et des guides
qui circulent dans les égouts. Il leur est interdit de se battre, mais personne ne peut les empêcher
de transporter colis de nourriture, bouteilles incendiaires ou messages. La Salle du Petit Insurgé est
dédiée au caporal Witold Modelski, nom de guerre « Warszawiak », qui fut à l’âge de douze ans le
courrier des bataillons « Gozdawa » et « Parasol ». Benjamin des insurgés, décoré de la Croix des
Valeureux pour sa bravoure et son courage, il fut tué le 20 septembre 1944 en défendant l’une des
dernières poches de résistance dans le quartier de Czerniaków.
Dans la salle du Petit Insurgé, les enfants ont le droit de toucher la plupart des objets. Mais
certains de ces objets, uniques, sont protégés par des vitrines, comme cette prière qu’une fillette de
huit ans a écrite pour son Père qui partait rejoindre les insurgés. Très ému, celui-ci a glissé le
papier dans son portefeuille qu’il portait dans sa poche de poitrine gauche. Il est sorti vivant de
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l’Insurrection, la balle qui l’a touché au cours d’un combat a été stoppée par la prière. Soixante ans
plus tard, son auteur en a fait don au musée. Le coin gauche a été déchiqueté par la balle.
On peut aussi admirer dans une autre vitrine une petite locomotive en bois. Profitant du fait
que les patrouilles allemandes ne s’intéressaient pas aux bébés dans leurs poussettes, des femmes
courriers transportaient en toute sécurité les messages secrets de la résistance polonaise glissés
dans ce genre de locomotive.
1. Le monument.
Cette haute construction d’acier qui traverse tous les niveaux du musée représente le « cœur
battant de Varsovie en lutte ». Vous voyez en relief sur les parois les dates des soixante-trois jours
de l’insurrection et des traces de balle. Si vous collez une oreille aux trous faits par les balles, vous
pouvez entendre « les bruits de l’insurrection » : des cliquetis d’armes, des bribes de chanson, une
prière, des communiqués à la radio ou des échos de bombardements.
1. Le début de la guerre et l’occupation
Le 1er septembre 1939, l’armée allemande attaque la Pologne. Les Polonais lui opposent une
résistance farouche. Le 17 septembre, l’Armée Rouge frappe à son tour la Pologne, à l’est, scellant
ainsi le sort du pays. A l’automne 1939, la population polonaise se trouve donc sous la coupe de
deux occupants : le IIIe Reich et l’Union soviétique.
Varsovie est dans une situation particulièrement délicate. Cette ville est le cœur de la culture
polonaise que l’Allemagne veut anéantir à tout prix. De la fin mai à l’automne 1940, les nazis
mènent dans Varsovie l’Opération AB, Ausserordentliche Befriedungsaktion, dont l’objectif est
d’éliminer toute l’intelligentsia. Ils procèdent à des arrestations et à des exécutions massives. La
plupart des personnes arrêtées sont fusillées à Palmiry, près de la forêt de Kampinos, au nord de
Varsovie. Le 20 et le 21 juin 1940, 358 personnes y périssent d’une balle dans la nuque, dont
Maciej Rataj, le maréchal de la Diète, et Janusz Kusociński, champion du 10.000 m, qui avait
remporté la médaille d’or aux Jeux Olympiques de 1932.
L’Union soviétique poursuit le même objectif que l’Allemagne. Au printemps 1940, sur
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ordre de Staline, le NKVD assassine plus de 20.000 prisonniers de guerre polonais à Katyń,
Miednoïe et Kharkov. Il s’agit pour la plupart d’officiers de réserve, dans le civil fonctionnaires,
enseignants, médecins ou juristes ; il y a aussi des artistes et des scientifiques.
Dès les premières semaines de l’occupation nazie, les biens sont confisqués, les rues
rebaptisées, et les vitrines des magasins, les cafés, les aires de jeux et, même, les bancs dans les
parcs sont de plus en plus nombreux à s’orner de l’écriteau « Nur für Deutsche ». De mois en
mois, on voit se multiplier dans les rues de Varsovie les arrestations, les exécutions, publiques ou
clandestines, et les rafles qui se terminent par la déportation au travail obligatoire dans le IIIe
Reich.
1. L’Etat polonais clandestin
L’Etat polonais, dirigé par les autorités légales du pays : le Président de la République, le
gouvernement et le commandant en chef des forces armées qui exercent leurs fonctions en exil à
Londres, est entré dans la conspiration. Sur le territoire national, le pouvoir suprême est exercé par
le Délégué du Gouvernement en exil, à la tête d’un appareil d’administration civile clandestin. Les
structures de cette administration organisent et soutiennent les domaines de la vie publique
interdits par l’occupant. Un dense réseau d’écoles, de lycées et d’universités secrètes clandestin
donne aux jeunes la possibilité de s’instruire dans ce qu’on appelle les « komplety ». Un organe de
justice rend des jugements et prononce la condamnation à mort des traîtres et des collaborateurs.
L’Etat polonais clandestin comprend également l’Armée de l’Intérieur, Armia Krajowa, l’AK, qui
est la plus grande armée de résistance de l’Europe occupée. En 1944, elle compte dans ses rangs
400.000 hommes. L’AK se bat pour que le pays recouvre son indépendance. Cette armée
clandestine s’arme, se forme, mène des actions de diversion et d’espionnage, et prépare une
insurrection nationale armée.
1. Le ghetto
Sur le terrain qu’ils ont conquis dans toute l’Europe, ce sont les juifs que les Allemands
traitent avec le plus de cruauté. Dès le début de l’Occupation, ils les enferment dans des ghettos.
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Le premier ghetto est créé en octobre 1939 à Piotrków Trybunalski. D’autres vont bientôt suivre.
A l’automne 1940, les Allemands créent le ghetto de Varsovie, le plus grand de tous. Ils y
détiennent 450.000 juifs sur une surface réduite, dans des conditions inhumaines. Tous ces juifs ne
sont pas originaires de Varsovie. A la différence des pays occidentaux occupés, en Pologne toute
aide aux juifs est passible de peine de mort. A la conférence de Wannsee, qui a lieu en janvier
1942, les nazis adoptent le programme de la Solution finale de la Question juive, un plan sans
précédent : tous les juifs d’Europe doivent être exécutés. C’est le début de la destruction des
ghettos et de la déportation de la population juive dans les camps d’extermination. Une
insurrection éclate dans le ghetto de Varsovie lorsque les Allemands en entreprennent la
destruction définitive. Malgré la pauvreté de leur armement et leur petit nombre, les bataillons
juifs luttent près d’un mois, du 19 avril au 16 mai 1943. L’insurrection matée, les Allemands
procèdent au dynamitage systématique du ghetto et transforment ce vaste quartier de la ville en un
champ de ruines.
1. L’Opération « Tempête »
En 1943, la guerre connaît une nouvelle phase. Les Alliés passent à l’offensive en Italie et en
Extrême-Orient. A l’est, après avoir vaincu les Allemands à la bataille de Koursk, l’Armée rouge
entame sa marche sur Berlin. La question n’est plus de savoir si l’Allemagne va succomber à la
nette supériorité des forces alliées, mais quand. Le 25 avril 1943, les Soviétiques rompent les
relations diplomatiques avec le gouvernement polonais en exil, prenant pour prétexte la
découverte par les Allemands dans la forêt de Katyń des tombes de plusieurs milliers d’officiers
de l’Armée polonaise, victimes d’un meurtre bestial accompli en 1940 sur ordre de Staline.
Quelques semaines plus tard, à Varsovie, les Allemands arrêtent le commandant en chef de
l’Armée de l’intérieur, le général Stefan Rowecki, nom de guerre « Grot », dénoncé par des
collaborateurs. Le général Władysław Sikorski, commandant en chef des Forces armées
polonaises et chef du gouvernement, connaît une fin tragique à Gibraltar. La position de la
Pologne dans l’arène internationale se détériore considérablement, le revirement des Alliés sur la
question des frontières orientales de la République de Pologne est de plus en plus évident. L’armée
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soviétique, supposée progresser vers l’ouest pour libérer la Pologne de l’occupation allemande,
n’est pas l’alliée de la Pologne. Forts de cette conviction, le pouvoir polonais en exil et ses
représentants dans le pays forment le projet d’une insurrection générale. L’Armée de l’intérieur
met sur pied une opération de sabotage et de diversion qui a pour nom de code « Tempête ».
L’opération « Tempête » est montée par le haut commandement de l’AK. Il consiste à
frapper les troupes allemandes qui se replient au fur et à mesure de la progression du front vers
l’ouest, et à prendre le contrôle du terrain en attendant que les structures administratives
polonaises se mettent en place. Ainsi, les autorités polonaises peuvent accueillir en maître des
lieux officiel l’armée soviétique qui pénètre sur le territoire de la Pologne. Le 4 janvier 1944,
l’Armée rouge franchit les frontières d’avant-guerre, les frontières de la IIe République.
L’opération « Tempête » prend alors la forme de soulèvements locaux qui se propagent d’est en
ouest, au rythme de la progression du front. Des détachements de l’AK entrent tour à tour dans la
lutte en Volhynie, dans la région de Wilno, à Lwów et dans la région de Lublin. Mais malgré
quelques succès militaires comme la libération de Wilno et de Lwów par l’Armée de l’intérieur, et
une relativement bonne collaboration avec les troupes soviétiques, les objectifs politiques ne sont
pas atteints. Le scénario est partout le même : les services de sécurité soviétiques arrêtent les
autorités civiles et le commandement militaire polonais qui sortent de la clandestinité ; les soldats
de l’Armée de l’intérieur sont désarmés et déportés dans les camps du Goulag, dans les
profondeurs de la Russie, ou incorporés de force dans l’Armée de Berling.
1. Avant l’heure « W », comme Warszawa, Varsovie
Pour que vous puissiez vous faire une meilleure idée de l’atmosphère qui régnait à Varsovie
avant l’Heure « W » et pendant les 63 jours de l’insurrection, nous mettons à votre disposition tout
au long de votre parcours des feuilles d’un éphéméride couvrant toute la période allant du 27
juillet au 5 octobre. Nous vous invitons à les collectionner. Sur chacune vous pouvez lire de brèves
informations sur les événements marquants du jour. Ces feuilles vous permettront de mieux
connaître l’histoire de l’insurrection et vous pourrez les conserver en souvenir de votre visite dans
notre musée.
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Deux bandes verticales blanches et rouges signalent le passage dans la partie du musée
consacrée aux dernières heures qui précédèrent le déclenchement de l’Insurrection de Varsovie.
A la fin juillet 1944, l’afflux de mauvaises nouvelles en provenance du front de l’est pousse
les Allemands à évacuer leur administration et les services auxiliaires. C’est la panique, mais ils se
ressaisissent vite. Les forces de police et les SS sont de retour dès le 27 juillet. Le gouverneur
militaire du District de Varsovie, le Dr Ludwig Fischer, soucieux de prévenir tout affrontement
armé, appelle cent mille Varsoviens à se présenter pour creuser des tranchées autour de la ville.
Cet ordre est spontanément ignoré par la population. Parallèlement les Soviétiques et les
communistes polonais appellent les Varsoviens à se battre contre les Allemands, en accusant
l’Armée de l’intérieur de rester passive. Sur les territoires occupés par l’Armée rouge, le Comité
polonais de libération nationale contrôlé par Moscou prend le pouvoir. Les Soviétiques atteignent
la Vistule. D’après une rumeur qui court en ville, ils seraient dans les faubourgs de Varsovie rive
droite. Compte tenu de la situation, dans l’après-midi du 31 juillet, le général Tadeusz
Komorowski, nom de guerre « Bór », commandant de l’Armée de l’intérieur, après s’être concerté
avec le Délégué du gouvernement de la République polonaise en exil, le vice Premier ministre Jan
Stanisław Jankowski, nom de guerre « Soból », donne l’ordre de déclencher l’action armée portant
le nom de code « L’Heure W » le mardi 1er août 1944 à 17 heures.
A la veille du déclenchement de l’insurrection, les forces polonaises du District de Varsovie de
l’AK comptent 50.000 hommes qui manquent du matériel et des armes nécessaires : seuls 10%
d’entre eux sont armés. L’occupant est dans la situation inverse. Vers la fin juillet 1944, la
garnison allemande de Varsovie compte près de 20.000 hommes parfaitement armés et entraînés,
positionnés dans tous les lieux d’importance stratégique. Par ailleurs, les Allemands disposent de
l’appui d’unités blindées, de l’artillerie et de l’aviation. Malgré cette énorme disproportion en
hommes et en moyens, les insurgés se lancent dans la lutte le 1er août. La lutte durera soixantetrois jours.
1. L’Heure « W » comme Warszawa
Les premiers affrontements ont lieu trois heures avant l’Heure « W », empêchant l’effet de
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surprise de jouer. Le 1er août à 17 heures, entre 23.000 et 25.000 hommes de l’Armée de l’intérieur
entrent dans la lutte malgré les problèmes d’armes et de liaison.
Le premier jour de l’insurrection les détachements allemands subissent des pertes sévères,
estimées à 500 hommes. Cependant les pertes dans les rangs des insurgés sont bien supérieures,
elles atteignent près de 2.000 tués. Les positions conquises à l’issue de ces premiers combats ne
donnent pas la supériorité tactique aux Polonais, ils n’en occupent pas moins près des trois-quarts
de la capitale : presque toute la Vieille-Ville, le centre du quartier de Żolibórz et une bonne partie
du Centre-Ville, dont le plus haut bâtiment de Varsovie, le Prudential, au sommet duquel flottent
les couleurs nationales. Les Allemands se défendent dans une quarantaine de poches de résistance
et gardent le contrôle de la ville, notamment des points stratégiques comme les ponts, les gares, les
aéroports et nombre de bâtiments administratifs et de casernes.
1. L’imprimerie
Dès les premiers mois de l’occupation allemande, la fermeture des maisons d’édition et de la
presse indépendante polonaise fait partie du plan d’éradication de la culture polonaise. Les
imprimés sont d’excellents instruments pour réaliser la politique nazie à l’égard du pays vaincu.
Pendant toute l’occupation, l’Allemagne utilise à des fins de propagande près de quarante titres de
presse publiés en polonais, que les Polonais appellent des « gadzinówki », du mot « gad » qui
signifie « reptile », dont la lecture est bien entendu fort mal vue. A travers de nombreux articles,
l’occupant cherche à persuader la population polonaise de l’incapacité du pays de mener une
existence indépendante, et brosse un portrait idéal des autorités d’occupation et de l’invincible
armée allemande.
Un mouvement d’édition clandestin ne tarde pas à se développer en réponse aux restrictions
qui se multiplient et à la fermeture des journaux indépendants. Des organisations clandestines se
muent en éditeurs de presse pour dénoncer les crimes nazis cachés à la population, et informer sur
les succès des troupes alliées ; des feuilles de chou clandestines stimulent le patriotisme. Le
phénomène prend rapidement de l’ampleur. Rien qu’à Varsovie, il paraît plus de 700 titres de
presse et de nombreux livres dont le fameux roman Kamienie na szaniec, Des pierres pour un
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rempart, d’Aleksander Kamiński.
La presse de l’insurrection qui paraît entre le 1er août et le 5 octobre 1944 est événement à
l’échelle mondiale. 167 titres de presse sont colportés dans la capitale en dépit des difficultés
occasionnées par les combats. Il y règne une liberté de parole et un esprit démocratique inouïs en
temps de lutte, tous les courants politiques y sont représentés, des gens de tout bord s’y expriment.
La presse de l’insurrection se distingue de celle de la période de clandestinité. Le format et le
contenu des journaux changent sans arrêt. Aucun n’a de tirage stable. Au plus fort de
l’insurrection, à la mi-août, ce sont les journaux d’information qui atteignent le plus gros tirage,
comme le Biuletyn Informacyjny, l’organe officiel de la Délégation du gouvernement en exil, qui
tire de 20.000 àt 28.000 exemplaires, et Rzeczpospolita Polska, la République de Pologne, qui tire
à près de 10.000 exemplaires. Vers la fin des combats, faute d’encre et de papier, beaucoup de
journaux prennent la forme d’affiches placardées sur les murs.
Dans la ville assiégée coupée du monde, la presse est un outil très important pour soutenir le
moral des troupes et de la population civile. Elle les informe sur l’ensemble de la situation dans la
ville et donne des nouvelles du pays et de l’étranger, fournies essentiellement par les stations de
radio étrangères, les dépêches des correspondants de guerre étrangers et la PAT, l’Agence
Télégraphique polonaise, dirigée par Stanisław Ziemba.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, faisant fi des déclarations faites à la Diète en
1947 et de la Constitution de 1952 garantissant la liberté de parole et la liberté de presse, le
pouvoir exerce une censure sévère par l’intermédiaire de l’Office Central du contrôle de la Presse,
des Publications et des Spectacles, le GUKPPiW. La lutte contre la censure se manifeste à travers
ce qu’on appelle le circuit parallèle qui renoue entre 1975 et 1989 avec la tradition polonaise
d’éditions clandestines. De nombreux ouvrages de qualité sont alors publiés comme Samotny bój
Warszawy, Le combat solitaire de Varsovie, de Tadeusz Żenczykowski, et Armia Podziemna,
L’Armée clandestine, de Tadeusz Komorowski.
1. La joie des insurgés
L’éclatement de l’insurrection suscite l’euphorie parmi les combattants et les habitants de
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Varsovie. Chacun est persuadé que la fin des combats est proche et que leur issue ne peut être que
victorieuse. Tous sont grisés par la liberté recouvrée après cinq terribles années d’occupation,
heureux de pouvoir se lancer dans un affrontement ouvert avec l’ennemi abhorré. L’administration
civile polonaise, qui fonctionnait jusque-là dans la clandestinité, exerce désormais son activité au
grand jour. Les Varsoviens se plient sans broncher à ses décisions. Grâce à l’aide spontanée des
civils, la vie dans Varsovie libérée s’organise rapidement. On voit surgir des hôpitaux, des unités
de D.C.A., démarrer la fabrication et le colportage de la presse ; les insurgés s’activent pour mettre
deux postes émetteurs en service dans les meilleurs délais. Tout Varsovie est uni dans le combat
pour la liberté.
Selon les plans du commandement de l’Armée de l’intérieur, l’Insurrection de Varsovie doit
durer trois ou quatre jours au plus, jusqu’à l’entrée d’unités de l’Armée rouge dans la ville. Le 4
août, les insurgés contrôlent déjà trois secteurs de Varsovie : le Centre-ville avec une partie de
Wola, la Vieille-Ville et le quartier de Powiśle, le bas-Mokotów et Żolibórz, soit les trois quarts de
la ville. Mais les Soviétiques reportent leur offensive, ils n’ont pas l’intention de venir au secours
des insurgés. Leur défection associée à la pénurie d’armes et de munitions et à l’arrivée de renforts
allemands force les combattants à passer de l’offensive à la défensive. Commence alors l’attente
d’une offensive venant de l’autre côté de la Vistule.
1. L’ascenseur
Pendant votre ascension vers l’entresol du musée, vous pouvez entendre le célèbre chant des
insurgés « Hej, Chłopcy, bagnet na broń », « Ohé, les gars, baïonnette au canon ! », de Krystyna
Krahelska. Krystyna Krahelska, en 1936, avait servi de modèle pour la Sirène de Varsovie, la
sculpture que vous pouvez admirer au bord de la Vistule ; nous en présentons une copie à
l’entresol.
Sur la paroi vitrée de la cage d’ascenseur, vous pouvez voir tous les brassards d’insurgés qui
figurent actuellement dans les collections du musée. Le numéro 1 est celui du commandant de
l’insurrection, le général Antoni Chruściel, nom de guerre « Monter », qui était le chef de la région
militaire de Varsovie.
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1. Les combats du mois d’août
Vous voyez dans les vitrines autour de vous des uniformes et des armes d’insurgés. Pendant
presque toute la période de la clandestinité, autrement dit depuis septembre 1939, les soldats de
l’AK cherchent à se procurer des armes. Celles qu’ils ont gardées de la Campagne de septembre
sont en nombre insuffisant. Ils en achètent ou en récupèrent sur l’ennemi. Les parachutages des
Alliés et les ateliers clandestins où sont fabriqués le fameux pistolet-mitrailleur Błyskawica,
l’Eclair, et les grenades, sont une autre source d’approvisionnement. Cela explique l’armement
disparate et inégal des différentes unités qui se battent pour reconquérir la ville. Vous pouvez voir
ici quelques pièces très intéressantes. Parmi les armes utilisées se trouvaient le MG 42 allemand,
un des meilleurs fusils-mitrailleurs de la Seconde Guerre mondiale, le Sten et la Błyskawica
fabriqués l’un et l’autre dans les ateliers polonais. Les insurgés utilisaient trois types de grenades
que l’on peut également voir ici : la filipinka, la sidołówka et la karbidówka.
Le Korpsgruppe, placé sous le commandement du général SS Erich Von dem Bach, est chargé
par le haut commandement allemand de mater l’insurrection. Ce corps comprend plusieurs unités
de combat. Le 5 août, des détachements lancent une première contre-attaque à l’ouest de la ville,
dans les quartiers d’Ochota et de Wola. Leur premier objectif est de reprendre les deux grandes
artères de communication qui traversent Varsovie d’ouest en est, et d’opérer une jonction avec le
groupe du général Reiner Stahel, isolé au centre de la ville.
Le 11 août, après de violents combats contre les insurgés, des détachements russes et
ukrainiens de l’Armée russe de libération nationale, la RONA, Russkaïa Osvoboditelnaïa
Narodnaïa Armia, occupent le quartier d’Ochota. De leur côté, les Allemands prennent le contrôle
de Wola et atteignent le bastion de la Vieille-Ville ardemment défendu par les insurgés. Exécutant
l’ordre de Hitler de tuer tous les habitants de Varsovie, les unités qui pacifient Ochota se livrent à
de nombreux crimes sur la population civile. Dans le quartier de Wola, ils procèdent à son
extermination planifiée.
Les Allemands étant dans l’incapacité de contrôler la Vieille-Ville en une seule offensive, leur
artillerie entreprend la destruction systématique des immeubles et des positions polonaises avec
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l’appui de l’aviation. Une fois ce travail préparatoire effectué, le 19 août, l’ennemi donne l’assaut
au retranchement de la Vieille-Ville. Les tentatives répétées pour venir en aide aux insurgés
encerclés se soldent par un échec. Le 2 septembre, au terme de longs et rudes combats, les unités
allemandes occupent les dernières positions polonaises de la Vieille-Ville.
Après l’adoption d’une tactique défensive, les seuls succès importants remportés par les
insurgés le sont dans le Centre-Ville. Le 11 août, ils reprennent le palais Staszic ; le 20 août,
l’imposant bâtiment de la PAST, la Société Anonyme Polonaise des téléphones, rue Zielna ; et le
23, l’église Sainte-Croix et le commissariat de police du Faubourg de Cracovie. Dans les autres
quartiers, en raison de la faiblesse de leurs effectifs, ils doivent se contenter de renforcer la défense
et protéger leurs arrières.
Les insurgés lancent deux grandes offensives dans le quartier de Żolibórz, deux attaques
contre la gare de Gdańsk, l’une dans la nuit du 20 au 21 août, l’autre le 22 août. Puis ils tentent
d’établir une jonction entre la Vieille-Ville et le Centre-Ville le 31 août. Ces opérations se soldent
par un échec. Les insurgés subissent de très lourdes pertes, et ces trois attaques entreront dans
l’histoire comme étant les combats les plus sanglants de l’insurrection.
1. L’administration
L’insurrection n’offre pas seulement la possibilité de se battre contre l’occupant à visage
découvert, elle offre aussi aux structures légales de l’Etat polonais la possibilité de sortir de la
clandestinité dans laquelle elles sont maintenues depuis près de cinq ans. Pendant plus de deux
mois, les institutions de la République, libre et démocratique, vont fonctionner dans toute la
capitale, qui couvre plusieurs kilomètres carrés. Des journaux vont paraître, les partis politiques se
montrent actifs et les services de l’administration civile opérationnels. Dès les premiers jours
d’août, on voit réapparaître les couleurs nationales et l’aigle blanche couronnée. Ces symboles de
la souveraineté nationale interdits pendant les années d’occupation suscitent l’enthousiasme
général. Hommes et femmes de Varsovie, quel que soit leur âge, s’engagent avec fougue dans
l’effort collectif. Chacun aide la cause commune selon ses moyens. Dès les premières heures de
l’insurrection, les Varsoviens viennent en masse proposer leurs services. Ils construisent
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spontanément des barricades, fournissent des vivres aux combattants, soignent les blessés et les
réfugiés des autres quartiers de la ville. Ils en voient arriver chaque jour davantage.
Le 5 août, le Délégué du gouvernement de la République de Pologne pour la ville de Varsovie,
Marceli Porowski, nom de guerre « Sowa », est nommé maire de la ville. L’administration prend
en charge toutes les affaires qui ne sont pas liées aux actions armées. Il faudra seulement quelques
jours aux fonctionnaires pour organiser l’aide à la population, pour créer des services chargés de
l’approvisionnement en eau et en nourriture, pour sécuriser les bâtiments et coordonner
l’évacuation des civils des lieux particulièrement dangereux.
1. L’approvisionnement en eau et en vivres
Les commandements de la place et le Conseil Général d’Assistance, le RGO, Rada Główna
Opiekuńcza, très dynamique, s’occupent de loger et nourrir la population civile. De nombreuses
boulangeries et cuisines improvisées surgissent. Les provisions d’eau et de nourriture que les
Varsoviens ont chez eux s’épuisent. Les autorités ordonnent donc de tenir une stricte comptabilité
et de procéder à la réquisition générale de toutes les réserves de nourriture des magasins et des
entrepôts situés sur le terrain reconquis par les insurgés. Le blé des entrepôts de la brasserie
Haberbusch und Schiele, rue Ceglana, repris aux Allemands, est la base de l’alimentation dans le
Centre-Ville. Néanmoins, les rations alimentaires diminuent chaque jour. Les cuisines mises en
place pour les insurgés font leur possible pour assurer aux Varsoviens au moins un repas chaud par
jour. Les plats sont très simples, comme la fameuse « crache-soupe », « pluj-zupa », une soupe au
seigle qui doit son nom au fait qu’il faut cracher le péricarpe des grains.
L’alimentation en eau pose également de sérieux problèmes dans la ville qui se bat. Le réseau
hydraulique est hors d’usage et il faut creuser des puits dans de nombreux points de la ville.
S’approvisionner en eau est une opération risquée car il est fréquent que les Allemands
bombardent les queues ou tirent sur les gens attendant leur tour.
1. La vie religieuse
La religion joue un rôle très important dans Varsovie insurgée. Elle se manifeste en particulier
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par une participation massive aux messes. Des foules de Varsoviens se rassemblent non seulement
dans les églises qui ont échappé aux bombardements, mais aussi dans des chapelles improvisées,
des hôpitaux, des caves ou encore dans les cours d’immeuble, devant de petits oratoires. Les gens
prient, chantent le fameux cantique « Boże, coś Polskę », « Ô Dieu, toi qui as pendant tant de
siècles auréolé la Pologne d’un éclat de puissance et de gloire… » Les prêtres sont très présents
durant toute l’insurrection. Tous les aumôniers ont reçu du pape l’autorisation exceptionnelle de
dire trois messes quotidiennes au lieu d’une. Ils participent aussi chaque jour à l’enterrement des
morts au combat ou des civils tués, ils en tiennent le registre, entendent les fidèles en confession. Il
leur arrive même de célébrer baptêmes et mariages. Dans la vie quotidienne de la ville en lutte, la
religion procure une force morale qui permet à beaucoup de gens de supporter la tragédie qui se
déroule sous leurs yeux.
1. La vie culturelle
Les actes de cruauté et de violence qui ont lieu au quotidien dans la ville insurgée
n’empêchent pas l’existence d’une vie culturelle animée. Les journaux, qui paraissent en masse,
publient de la poési, à côté des informations sur les événements du jour. Collaborent avec eux des
figures éminentes du monde de la culture, comme Maria Kownacka, auteur de livres pour enfants,
et des poètes de la jeune génération comme Tadeusz Gajcy, Zdzisław Stroiński et Józef
Szczepański. Spectacles et concerts ont lieu dans les auberges où se retrouvent les combattants.
Dans le quartier de Powiśle se produit un théâtre de marionnettes, Kukiełki na barykadzie, Des
marionnettes sur les barricades, dont vous avez pu voir une réplique dans la Salle du Petit Insurgé.
Dans la deuxième semaine d’août, deux stations de radio, Błyskawica, l’Eclair, et Polskie Radio,
la Radio Polonaise, diffusent des programmes artistiques qui soutiennent l’esprit de résistance et
l’ardeur au combat.
1. Le massacre de Wola
La nouvelle de l’éclatement de l’Insurrection de Varsovie provoque la colère et des réactions
brutales de la part des hautes autorités du IIIe Reich. Le Reichsführer SS Heinrich Himmler, en
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transmettant l’ordre de Hitler de détruire la ville ajoute que « Tout habitant doit être tué, il est
interdit de faire des prisonniers de guerre. Varsovie doit être rasée et servir d’exemple pour
terrifier toute l’Europe. » Les Allemands exécuteront cet ordre à la lettre dès les premiers jours
d’août.
Le 5 août, l’armée allemande lance une offensive pour reprendre les deux grandes artères qui
traversent la capitale de part en part. La mission est confiée à un groupe commandé par le
Gruppenführer SS et général de police Heinrich Reinefarth. Ce groupe comprend essentiellement
des unités de la brigade russo-ukrainienne RONA commandée par le WaffenBrigadeführer
Bronisław Kamiński, et des unités de la brigade du Standartenführer SS Oskar Dirlewanger,
composée de droits-communs.
Les exécutions massives qui ont lieu dans les quartiers de Wola et Ochota constituent un acte
de génocide commis contre la population civile de Varsovie. C’est l’un des plus grands crimes
commis par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Dès les premières heures de
l’insurrection, on assiste dans les différents quartiers de la ville à l’exécution de soldats de
l’Armée de l’intérieur et de civils occasionnels. L’extermination planifiée des Polonais débute le 5
août. C’est le fameux « samedi noir ». Les Allemands procèdent à l’assassinat systématique,
massif, des habitants de Wola, précédé par des viols et des pillages inouïs. Selon les estimations,
dans le périmètre de ce seul quartier plus de 40.000 hommes, femmes et enfants meurent de la
main des Allemands qui organisent des exécutions dans les hôpitaux et les usines, dans les cours
d’immeubles. Les munitions viennent vite à manquer. « J’ai plus de gens arrêtés que de munitions.
Que dois-je faire ? », demande le général Reinefarth au général Nicolaus Von Vormann,
commandant de la 9ème Armée, avec lequel il s’entretient le samedi soir.
Le génocide de la population civile se poursuit les jours suivants. Seul le désir de se procurer
de la main-d’œuvre pour le travail obligatoire le freine légèrement. Jusqu’à la fin des combats, des
exécutions massives ont lieu dans les hôpitaux occupés par les Allemands. On verra à maintes
reprises des civils, en particulier des femmes, servir de boucliers vivants aux soldats qui se lancent
à l’assaut des barricades, poussés par les SS sous les chenilles des chars. Les Allemands fusillent
généralement sur place les insurgés qu’ils font prisonniers.
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Le 29 août, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis déclarent que l’Armée de l’intérieur fait
partie des forces alliées et que ses soldats doivent bénéficier du statut de combattant, mais cette
déclaration n’améliore que très légèrement la situation des prisonniers de guerre polonais.
A la fin de la guerre, plus de 100.000 Varsoviens reposent dans les fosses communes de Wola,
généralement assassinés pendant la pacification du quartier. Le lieu est aujourd’hui commémoré
par le monument aux « Morts au combat Invaincus ». Lors de l’exhumation des corps sont établis
des procès-verbaux spéciaux comportant des renseignements sur les victimes, la description de
leurs vêtements et de leurs blessures. Dans la plupart des cas, ces informations sont très chiches,
les victimes du génocide resteront à jamais anonymes.
1. Les parachutages
Très vite après l’éclatement de l’insurrection, le gouvernement polonais en exil entament des
démarches dans le but d’obtenir de l’aide pour la ville en lutte. Il réclame le parachutage immédiat
d’armes, de munitions, de vivres et de pansements, et s’adresse aux Alliés pour obtenir le soutien
de la Brigade de parachutistes polonaise du général Stanisław Sosabowski. Il suggère la forêt de
Kampinos comme lieu de largage. Il réclame également le bombardement d’objectifs désignés. Le
3 août, cédant aux prières de la partie polonaise, le Premier ministre britannique Winston
Churchill donne l’ordre de commencer les parachutages pour secourir Varsovie.
Staline met tout en œuvre pour compliquer les livraisons par voie aérienne. Il empêche les
avions alliés d’atterrir sur les aéroports soviétiques après avoir effectué leurs parachutages. La
distance entre l’Italie et Varsovie est de près de 1500 km, le trajet de retour doit donc s’effectuer
en plein jour en survolant la Hongrie et la Yougoslavie dont l’espace aérien est contrôlé par des
chasseurs allemands. Les vols de nuit au-dessus de Varsovie sont tout aussi dangereux car les
avions doivent traverser des territoires occupés par l’ennemi. La DCA allemande a reçu en renfort
des radars qui permettent d’orienter les tirs d’obus et de guider les chasseurs sur l’aviation alliée.
Malgré les réticences du commandement britannique, les premiers avions chargés d’aller
approvisionner Varsovie décollent de Brindisi dans la nuit du 4 au 5 août. Les pertes à
l’atterrissage sont très importantes. Des pilotes polonais, mais aussi britanniques, canadiens,
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africains du Sud ou néo-zélandais survolent la capitale de la Pologne. Du 4 août au 21 septembre,
196 avions décolleront des bases italiennes pour venir en aide aux insurgés.
Après avoir d’abord refusé aux B-17 américains, les fameuses forteresses volantes,
l’autorisation d’atterrir du côté soviétique du front, Staline leur laisse finalement l’accès de ses
aérodromes. Le 18 septembre, 110 bombardiers décollent de quatre aéroports de Grande-Bretagne
et mettent le cap sur Varsovie. L’apparition de cette imposante flotte aérienne dans le ciel de la
capitale à midi provoque un enthousiasme indescriptible aussi bien parmi les insurgés que dans la
population civile. Hélas, cette euphorie est de courte durée car une grande partie des containers
parachutés atterrit derrière les lignes ennemies. Sur 1284 parachutages, à peine 228 parviennent
entre les mains des insurgés. Ainsi se termine la première et dernière expédition de l’aviation
américaine au-dessus de Varsovie.
Dans la phase de déclin de l’insurrection, entre le 13 septembre et le 1er octobre, des avions
soviétiques se portent aussi au secours de la ville qui se bat. Les Soviétiques effectuent des
largages à basse altitude, sans parachute. Une grosse partie du matériel qui fait tant défaut aux
insurgés leur arrive partiellement ou endommagée, inutilisable. Ce simulacre d’assistance en
prenant le minimum de risques, et son démarrage tardif montrent clairement les raisons politiques
de la trop longue « neutralité » soviétique.
1. Un hôpital de l’insurrection
L’Insurrection de Varsovie était censée durer à peine trois ou quatre jours. Mais dès les
premières heures, on comprend que les prévisions du commandement polonais sont erronées. Les
combats se prolongent, et le nombre de blessés tant parmi les insurgés que parmi les civils
s’accroît de jour en jour. Il devient indispensable d’ouvrir de nouveaux points sanitaires et des
hôpitaux pour les insurgés. L’aide de la population est alors primordiale. Les Varsoviens apportent
leur aide dans la mesure de leurs moyens, fournissant médicaments et pansements, lits et vivres.
Les hôpitaux où les Polonais mènent une lutte héroïque pour leur vie sont le terrain où
l’ennemi commet les plus bestiales atrocités. L’hôpital des Sœurs Elisabéthaines, dans le quartier
de Mokotów, est ainsi totalement détruit le 29 août sous l’effet de tirs d’artillerie et de
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bombardements qui durent plus de deux heures. Presque tous les patients et le personnel médical
périssent. L’hôpital est pourtant clairement signalé par des drapeaux de la Croix-Rouge.
Le plus souvent, les Allemands s’emparent des hôpitaux en les attaquant directement. Leurs
hurlements et le bruit de leurs bottes sont couverts par les rafales des mitraillettes qui tuent les
patients et les infirmières penchées au-dessus des blessés. Varsovie a connaissance de ces crimes.
Médecins et infirmières restent à leur poste malgré le danger, totalement dévoués à leurs patients,
jusqu’au bout.
Les premiers soins sont dispensés aux blessés sur les lieux des combats ou à proximité par des
infirmières du bataillon. Elles les pansent sous le feu de l’ennemi en les protégeant de leur corps.
Il arrive souvent qu’elles meurent sous les balles. Les blessés graves sont dirigés vers le poste
sanitaire ou l’hôpital le plus proche. Elles portent parfois elles-mêmes les brancards. Les médecins
opèrent dans des conditions particulièrement difficiles, souvent sous les tirs.
Selon les estimations, pendant les deux mois que dure l’insurrection, plus de 10.000 personnes
sont hospitalisées, et quelque 15.000 personnes reçoivent des soins dans les hôpitaux. Plus de 500
médecins assistés par une foule d’infirmières et de brancardières travaillent dans les postes
sanitaires et les hôpitaux avec un très grand esprit de sacrifice. Leur travail empêche les épidémies
de se répandre dans Varsovie. Ils sauvent des vies en combattant sur l’un des fronts les plus durs
de la guerre.
1. Le cinéma Palladium
Nous sommes au 7/9 de la rue Złota, au cinéma Palladium. Pendant l’insurrection, sur
l’initiative
du
Bureau
d’information
et
de
propagande,
le
BIP,
trois
chroniques
cinématographiques sont projetées au Palladium sous le même titre de « Varsovie en lutte ».
Voyons comment elles sont nées avant d’aller en voir quelques extraits.
Au printemps 1940, le Bureau d’information et de propagande est créé au sein de l’Union pour
la Lutte armée, la future Armée de l’intérieur. Il a entre autres pour tâche d’informer la population
de l’action du gouvernement polonais et de l’Etat polonais clandestin, et de la situation exacte sur
les fronts, et d’entretenir le désir de lutte et l’esprit de résistance. Les autorités polonaises,
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conscientes de l’importance du rôle du BIP en tant que centre de documentation, sont convaincues
que les documents et matériaux rassemblés par l’Etat clandestin serviront à prouver les crimes
nazis et soviétiques. En 1942, un service créé au sein du BIP sous le nom de code « Rój »,
l’Essaim, est chargé d’organiser le service de documentation et de propagande de l’insurrection.
« Rój » forme des cameramen, des reporters, des radios, des journalistes, des écrivains et des
artistes également. Il rassemble aussi le matériel et les documents indispensables. Le 1er août 1944,
plusieurs groupes de cameramen et de correspondants de guerre formés pour travailler dans des
conditions de combat partent pour le front.
L’Insurrection de Varsovie sera filmée sur 30.000 m de pellicules à partir desquelles Wacław
Kaźmierczak et deux autres réalisateurs, Antoni Bohdziewicz, nom de guerre « Wiktor » et Jerzy
Zarzycki, nom de guerre « Pik », montent plusieurs films d’actualités. La première projection
publique a lieu au cinéma Palladium le soir du 15 août. La salle est comble, remplie de militaires
et de gens venus en voisins. Des représentants de la presse de l’insurrection assistent également à
la projection de ces actualités cinématographiques. Deux autres films sont projetés le 21 août et le
2 septembre.
Après la chute de l’Insurrection, le célèbre « courrier de Varsovie », Jan Nowak-Jeziorański,
emporte une bonne partie des pellicules aux Etats-Unis. Elles seront utilisées par les auteurs du
film Last Days of Warsaw projeté en Amérique et dans plusieurs pays occidentaux. Un autre jeu
de bobines, caché à Varsovie dans une canalisation soudée, est mis au jour en 1946.
Nous vous invitons cordialement à regarder une brève chronique cinématographique de
l’Insurrection de Varsovie montée à partir des pellicules conservées.
1. La Vieille-Ville
De la salle de cinéma nous entrons directement dans la Vieille-Ville dévorée par les flammes.
Après dix jours de tirs, de bombardements et d’assauts acharnés de l’ennemi, il n’y a plus un
bâtiment debout dans le quartier. La situation des insurgés s’aggrave de jour en jour. Leurs
tentatives pour percer l’encerclement allemand se soldent par un échec. Il ne reste plus qu’une
solution : se frayer un passage sous terre.
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L’évacuation se fait par deux égouts. L’entrée de l’égout principal se trouve place Krasińskich,
une autre est rue Daniłowiczowska. La plupart des insurgés rejoignent le Centre-Ville, mais
plusieurs centaines gagnent le quartier de Żolibórz, au nord. En deux jours, plus de 5.000 soldats
de l’AK parviennent à échapper aux Allemands en passant par les égouts.
1. L’égout
Comme le firent les insurgés le 1er et le 2 septembre, nous allons nous rendre dans le Centreville en empruntant un égout. En 1944, le trajet est incomparablement plus long : il fait près de
deux kilomètres et il faut environ quatre heures pour le parcourir. Le voyage se déroule dans des
conditions cauchemardesques : les égouts sont beaucoup plus bas de plafond que celui du musée ;
les insurgés pataugent dans la saleté, il flotte des odeurs nauséabondes, l’obscurité règne et tout le
monde craint d’être entendu par les Allemands qui montent la garde près des bouches. Malgré les
difficultés, l’évacuation de la Vieille-Ville est couronnée de succès.
Les hommes du lieutenant-colonel Józef Rokicki, nom de guerre « Karol », connaîtront, eux,
un destin tragique en tentant de quitter Mokotów le 26 septembre. Des ordres contradictoires, les
vapeurs toxiques qui flottent dans les égouts, les attaques allemandes entraîneront la mort de
nombreux soldats pendant cette traversée. 800 insurgés seulement parviendront au but, dans un
état d’épuisement extrême.
1. La sortie des égouts
L’utilisation des égouts municipaux à une telle échelle est un événement qui ne s’était encore
jamais vu dans aucun conflit armé. Le système des égouts de Varsovie, projeté au XIXe siècle par
l’Anglais William Lindley, s’étend sous presque toute la ville. Dans la nuit du 5 au 6 août,
Elżbieta Ostrowska, nom de guerre « Ela », emprunte la voie des égouts pour aller du Centre-Ville
à Mokotów, inaugurant ainsi des liaisons permanentes entre tous les quartiers de la ville. Ce réseau
de communication urbain permet de rester en contact avec tous les postes de combat, d’amener des
renforts, de fournir vivres et munitions, et aussi d’évacuer combattants, civils et blessés isolés par
l’ennemi. Les insurgés mettent tout en œuvre pour adapter les voies les plus fréquentées à la
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circulation : ils installent des planches au fond, accrochent des câbles aux murs, indiquent le sens
de la marche et utilisent des signaux lumineux. Des groupes de jeunes filles agents de liaison,
qu’on appelle les « kanałówki », et des groupes de jeunes garçons spécialement entraînés, comme
la fameuse équipe des « rats d’égouts », sont chargés de faciliter les déplacements. Tant que les
Allemands n’ont pas découvert ce stratagème, la circulation souterraine est très intense, les égouts
sont un chemin très sûr. Mais dès la mi-août ils entreprennent de détruire ces voies de passage. Ils
installent des chevaux de frise et des barbelés, murent les bouches des tunnels, répandent des gaz
toxiques ou empoisonnent l’eau. Ils dynamitent certains égouts, en utilisant notamment du Taïfun,
un mélange explosif.
1. Le salon de thé
Vous pouvez vous reposer et vous restaurer dans le salon de thé du musée en écoutant des
chansons de l’époque ou en lisant des journaux datant de l’insurrection, ou la presse d’aujourd’hui.
Du haut des photographies qui ornent les murs, nous contemplent des artistes d’alors. Le décor est
inspiré par un salon de thé ouvert en décembre 1939 au 6 de la rue Kredytowa, qui s’appelait Pół
Czarnej, « Un petit noir », où se retrouvaient les artistes,.
Dès les premiers jours de l’insurrection, dans plusieurs endroits de Varsovie, mais surtout dans
le Centre-ville, des animatrices de l’organisation Aide au Soldat, Pomoc Żołnierzowi, qu’on
appelle les Pejetki » d’après les initiales de l’organisation, mettent sur pied des formes d’auberges
ainsi que des cuisines improvisées et des foyers pour accueillir les soldats. Des équipes composées
de 6 à 9 femmes préparent des repas pour les combattants et font en sorte de leur assurer des
distractions culturelles et des moments de détente. Dans chaque local on peut trouver des postes de
radio, des gramophones avec des disques et la presse de l’insurrection. Ces lieux sont très
populaires parmi les soldats de l’Armée de l’intérieur qui y trouvent le calme et un semblant de vie
normale avant de remonter en ligne. Pendant presque toute la durée des combats, les insurgés y
passent leur temps libre, ils y jouent aux échecs ou aux dames, chantent ou improvisent des
récitals de piano.
Les concerts organisés assez régulièrement sous le patronage du BIP jouissent eux aussi d’une
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très grande popularité. Des spectacles sont donnés dans toutes sortes de lieux : dans des cours
d’immeuble, des caves, des hôpitaux de campagne ou dans des foyers accueillant les soldats. On
retrouve parmi les artistes qui se produisent pendant l’insurrection les grands noms de la scène
d’avant-guerre comme Mira Zimińska, Adam Brodzisz ou Hanna Brzezińska. Tout spectacle fait
salle comble. « La salle était bondée de garçons et de filles, se souvient Mieczysław Fogg, l’un des
artistes les plus connus à l’époque. Les jeunes tenaient des fusils ou des lance-flammes, ils avaient
des grenades à la ceinture. Combien de chanteurs au monde peuvent se vanter d’avoir eu un tel
public ? »
1. La Pologne de Lublin
Quand se déclenche l’Insurrection de Varsovie, le Comité polonais de Libération nationale,
Polski Komitet Wyzwolenia Narodowego, le PKWN, vient de se mettre en place. Contrôlé par les
Soviétiques, illégal, ce pseudo-gouvernement communiste polonais exerce son action de juillet à
décembre 1944 sur le territoire des voïévodies de Lublin, Białystok et Rzeszów, et dans une partie
de la voïévodie de Varsovie. Le regard que portent les usurpateurs sur les combats dans la capitale
est sans ambiguïté. « Derrière l’Insurrection de Varsovie se cachait le désir de se battre non pas
contre les Allemands mais contre le PKWN, contre la Démocratie polonaise, annoncent-ils le 20
août. L’objectif de ceux qui l’ont déclenchée était d’installer à Varsovie le gouvernement de la
réaction polonaise pour le proclamer gouvernement du Peuple ».
Cette affirmation confirme les précédentes manœuvres du PKWN et définit clairement la ligne
dans laquelle s’inscriront les violentes attaques lancées par les communistes contre l’Insurrection
de Varsovie et l’Etat polonais clandestin.
Dès les premiers jours de sa mise en place, le PKWN et son président Edward OsobkaMorawski lancent plusieurs opérations dictées par les Soviétiques contre la Pologne démocratique.
Cinq jours après l’appel du PKWN, le 26 juillet, ils signent à Moscou un accord en vertu duquel
les citoyens polonais se trouvant « dans la zone des actions de guerre » sont soumis à la juridiction
des autorités militaires soviétiques !
Les conséquences ne se font pas attendre. Les arrestations massives et les déportations vers
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Ostachkovo, Borovitche et Riazan de milliers de soldats et d’activistes de l’Etat polonais
clandestin se succèdent. Les Soviétiques exploitent des listes établies au préalable par leur service
d’espionnage.
Le 26 juillet, le lendemain de la signature d’un accord portant sur ses relations avec le
gouvernement soviétique, le PKWN signe à Moscou un accord secret sur la nouvelle frontière
polono-soviétique tracée d’après la ligne Curzon. Ce gouvernement autoproclamé approuve ainsi
le pacte Ribbentrop-Molotov et remet aux Soviétiques la moitié de la Pologne d’avant-guerre sans
avoir été reconnu comme légitime par les Polonais !
Parallèlement aux opérations menées contre le peuple polonais, le PKWN, soutenu par le
NKVD et le SMERCH, l’organe du contre-espionnage militaire soviétique, établit le « pouvoir
populaire » sur les territoires occupés. Les lieux où les Polonais ont été torturés sous l’occupation
allemande conservent leur affectation après l’entrée en Pologne de l’Armée rouge. Le château de
Lublin en est un excellent exemple. Prison nazie jusqu’en juillet 1944, il devient une prison
communiste en août 1944, seuls les bourreaux changent, les détenus restent les mêmes. De juillet
1944 à avril 1945, plus de cent officiers et soldats de l’Armée de l’intérieur de la région de Lublin
y mourront.
Parallèlement aux déportations et aux persécutions à grande échelle, les usurpateurs
développent leur appareil de propagande. Le quotidien Rzeczpospolita, la République, fondé par
Jerzy Borejsza, devient l’organe du PKWN. Son rôle est d’assurer la propagande du parti et du
système. Sur les murs des villes fleurissent les appels au peuple et des affiches représentant un
géant et un « sale nabot de la réaction de l’AK ». Le géant est un soldat communiste de l’Armée
polonaise ; le nabot, un soldat de l’Armée de l’intérieur, l’« AK fratricide ».
Les renégats communistes cherchent à créer des faux-semblants de normalité : ils inaugurent
des lignes de chemin de fer, fêtent la rentrée scolaire, autorisent la réouverture de l’Université
catholique de Lublin en créant, pour l’ « équilibre » dans la capitale provisoire, une université
parallèle « bien-pensante », l’université Maria Curie-Skłodowska.
Jusqu’en 1989, le pouvoir met autant de zèle à fausser le vrai visage du PKWN que la vérité
sur l’Insurrection de Varsovie et sur le destin de centaines de milliers d’honnêtes citoyens. La série
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télévisée intitulée « Quatre blindés et un chien » est une arme particulièrement efficace de la
propagande communiste. Ce film d’aventure et de guerre réalisé dans les années soixante sur un
scénario d’un écrivain en uniforme, le colonel Janusz Przymanowski, forme la conscience
historique de jeunes générations pendant plusieurs décennies. Il présente une version communiste
épurée de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, réduite aux combats de l’armée de Berling et
du pouvoir « populaire » aux côtés de la bienveillante soldatesque soviétique. Le scénariste ne dit
pas un mot de l’Etat polonais clandestin ni de l’Armée de l’intérieur ou du Gouvernement de la
République de Pologne en exil à Londres. Il ne dit pas grand-chose non plus des raisons de la
présence d’un si grand nombre de Polonais au fin fond de la Russie ni du drame qui s’est joué
dans Varsovie rive gauche.
1. L’armée de Berling
En mai 1943, est formée en Union Soviétique, à l’initiative de Staline, la 1ère Division
d’infanterie Tadeusz Kościuszko placée sous le commandement du colonel Zygmunt Berling, qui
deviendra bientôt général de brigade. A la nouvelle de la formation de cette unité polonaise, des
volontaires affluent de tous les coins du pays. Il s’agit pour la plupart de Polonais déportés entre
1939 et 1941 des Confins orientaux de la Pologne, et détenus dans des prisons ou des camps du
Goulag dans les profondeurs de l’URSS. Cette armée est pratiquement leur seule chance de
s’arracher à l’enfer soviétique. La division porte l’uniforme polonais orné de l’aigle, l’emblème
national. Elle compte même dans ses rangs un aumônier polonais, le père Franciszek Kubsz,
enlevé dans la région de Chełm, le Polesie, par des partisans soviétiques et amené à Sielce par des
chemins détournés. Les officiers sont presque tous soviétiques.
Le baptême du feu de la division a lieu le 12 et le 13 octobre 1943 à la bataille de Lenino, qui
se solde par de lourdes pertes. A peine un an après, elle est stationnée sur les rives de la Vistule,
dans les rangs de la 1ère Armée Polonaise.
Le déclenchement de l’insurrection de Varsovie en août 1944 suscite l’inquiétude de Staline.
Le dictateur soviétique comprend que le but politique des insurgés n’est pas seulement de montrer
la force de l’Armée de l’intérieur, mais surtout de libérer la capitale polonaise par eux-mêmes et
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de reprendre le pouvoir dans un pays libéré de l’occupant. Il décide de les en empêcher. Il freine
l’offensive à l’ouest pour en déclencher une dans les Balkans. Le 8 août, il rejette le plan soumis
par ses chefs militaires, qui voudraient prendre Varsovie, et pendant plus de cinq semaines, attend
la chute de la ville. Mais l’échec annoncé de l’insurrection ne vient pas, les combats dans les rues
de Varsovie se poursuivent. Au début du mois de septembre, très vraisemblablement pour qu’il ne
lui soit pas reproché d’avoir manqué d’initiative, Staline donne l’ordre de lancer une offensive
limitée sur Varsovie. Quelques détachements de l’armée du Ier Front de Biélorussie passent à
l’attaque.
Les combats pour reprendre le quartier de Praga, situé sur la rive droite de Varsovie,
commencent le 10 septembre. Malgré la résistance farouche de l’ennemi, ce quartier est libéré le
15 septembre. Plus rien ne s’oppose à ce que les Russes portent directement secours aux insurgés.
Le général Berling sait que ses troupes ne sont pas en mesure de forcer seules le passage de
la Vistule. Il leur donne cependant l’ordre d’aller secourir les combattants. Cette décision lui
vaudra d’être privé de tout commandement.
Le franchissement de la Vistule demande plusieurs jours aux forces polonaises, qui installent
trois têtes de pont sur la rive gauche du fleuve, dans les quartiers de Czerniaków et de Żolibórz, et
entre le pont Poniatowski et le pont Średnicowy, celui de la navette ferroviaire. Les combats les
plus longs ont lieu dans le quartier de Czerniaków, où deux bataillons de la 3e Division
d’infanterie opèrent leur jonction avec des unités d’insurgés. Les Allemands lancent contre eux
d’énormes effectifs. L’écrasement des détachements polonais privés de tout appui de l’artillerie
n’est plus qu’une question de temps.
1. Les 108 bénis
Pour les insurgés et les civils de Varsovie, ces jours de combat sont parfois une terrible mise
à l’épreuve. Il n’y a pas que des élans héroïques, il y a aussi des moments de doute, de terreur, de
désespoir. Les membres du clergé présents aux côtés des insurgés dès les premières heures de
l’insurrection font face à la cruauté de la guerre, à l’impuissance morale et à la souffrance. Les
aumôniers protègent les civils avec un courage extraordinaire. Dans le quartier de Powiśle,
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l’aumônier du groupe « Konrad », le père dominicain Jan Czartoryski, nom de guerre « Père
Michał », reste jusqu’au bout aux côtés des blessés. Le 6 septembre, il est tué avec eux par les
Allemands qui font irruption dans l’hôpital. L’aumônier du groupe « Kryśka », le père pallotin
Józef Stanek, nom de guerre « Rudy », paye de sa vie ses tentatives de négociation pour sauver
des mains des bourreaux allemands les civils et les insurgés rescapés du quartier de Czerniaków.
L’un et l’autre seront béatifiés par le pape Jean-Paul II parmi cent huit religieux martyrs polonais.
Le père Stanek est le patron de la chapelle du musée.
1. Les véhicules de combat des insurgés
Dès les premières heures de l’insurrection, la pénurie d’armes se fait cruellement sentir. Les
insurgés s’en procurent sur l’ennemi ou grâce aux parachutages, mais la plupart sont fabriquées
dans des ateliers sur place comme pendant la période de clandestinité. L’armement des insurgés
est complété par des véhicules de combat pris à l’ennemi ou fabriqués par eux. Dans la cour
d’honneur de la Poste centrale, les insurgés réparent un véhicule blindé qu’ils baptisent
« Chwat », le Gaillard. Deux chars de type Panther conquis par les combattants du bataillon
« Zośka » participent à plusieurs opérations. Lors des deux offensives lancées pour reprendre
l’université, les insurgés sont couverts par Stary Wilk, le Vieux Loup, l’ancien Jaś, un char blindé
conquis par les soldats du groupe « Krybar », et par Kubuś, Winnie, un camion blindé de plaques
d’acier montées sur le châssis d’un Chevrolet par les techniciens du groupe. Rescapé dans le
quartier de Powiśle, Kubuś est conservé au musée de l’Armée polonaise. Vous pouvez en voir
une réplique au musée.
1. Staline, Wasilewska, Mikołajczyk
Le 30 juillet 1944, Stanisław Mikołaczyk, le chef du Gouvernement polonais en exil, se rend
à Moscou. Le 3 août, il s’entretient au Kremlin avec Staline qu’il informe de l’éclatement d’une
insurrection à Varsovie. Il lui demande son aide. Staline se garde bien d’exprimer une opinion
tranchée. Il reproche à l’Armée de l’intérieur d’être peu solidaire avec l’Armée rouge pour
combattre les nazis. Lors d’un second entretien qui a lieu le 9 août, le chef du gouvernement
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polonais demande que des armes soient immédiatement livrées aux insurgés. Staline affirme
qu’une aide va leur être fournie, mais il apparaît bientôt qu’il s’agit d’une promesse en l’air. La
position de Staline est applaudie par les communistes de Pologne qui se préparent à prendre le
pouvoir, sous la protection des baïonnettes soviétiques, dans les territoires polonais occupés par
l’Armée rouge. Lors d’un entretien avec Mikołajczyk, Wanda Wasilewska, représentante de ce
groupe, déclare que personne ne mène aucun combat dans Varsovie. Nous sommes le 6 août
1944, la majeure partie de la ville est entre les mains des insurgés depuis plusieurs jours,
notamment le plus haut immeuble de Varsovie, le Prudential (16 étages), la Centrale électrique et
la Poste centrale. La station de radio « Burza », « Tempête », émet des communiqués quotidiens,
la Poste de campagne des scouts est déjà à l’œuvre.
1. Les liaisons
Pendant les préparatifs de l’insurrection, on attache une importance particulière à
l’organisation des liaisons, qui devront fonctionner à la perfection. On forme des « druciki », des
« fils » ; on rassemble du matériel, on élabore des plans détaillés. Cependant, dès les premiers
jours de combat, il apparaît que les résultats obtenus par les unités de liaison sont bien inférieurs à
ceux escomptés. Les appareils sont peu fiables, de nombreuses « boîtes à lettre » où devaient être
déposés les messages et de nombreux postes de relais sont détruits par les Allemands. Dans ces
conditions, seul le dévouement des jeunes porteurs de messages et des jeunes filles agents de
liaison qui se faufilent le long des barricades, se glissent dans les égouts jusqu’aux quartiers isolés
par la ligne de front, permet d’assurer les liaisons dans tout Varsovie.
Le réseau téléphonique, réparé sans relâche, les postes émetteurs, les porteurs de messages,
et parfois des patrouilles d’officiers spéciales, permettent de garder le contact dans les zones de
combat. Toutefois le moyen de transmission le plus sûr, c’est la liaison radio assurée par un
puissant émetteur situé en Grande-Bretagne. Au plus fort de l’insurrection, le nombre de
messages diffusés par cette voie s’élève à plus d’une centaine par jour.
1. La station de radio
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La station de radio du Bureau d’information et de propagande, « Błyskawica », « L’Eclair »
doit émettre dès la première heure des combats. Hélas, les caisses contenant les appareils sont
mouillées durant leur transport, ce qui retarde la mise en marche de l’émetteur. Désespérant de
voir le poste rapidement réparé, les agents de liaison installent à la hâte un émetteur de
remplacement. Une station radiophonique de dix-huit watts, « Burza », « Tempête », commence à
émettre le 3 août après la prise de la Poste centrale. Elle est construite en l’espace de vingt-quatre
heures par un passionné d’ondes courtes, Włodzimierz Markowski. Lors de la première émission,
qui dure vingt minutes, « Burza » transmet à Londres des informations sur le début des combats
dans la capitale, lance des appels à l’aide et diffuse le Bulletin d’Information du BIP. Le
constructeur du poste émetteur a reproduit son appareil pour le musée de l’Insurrection de
Varsovie. Vous pouvez voir le poste émetteur « Burza » à l’abri d’une vitrine dans la salle des
communications.
Le célèbre poste émetteur « Błyskawica », « l’Eclair », est exposé sur une table. Le poste
original a été reconstitué près de soixante ans après par l’un de ses deux concepteurs, Antoni
Zębik, nom de guerre « Biegły ». Il a commencé à travailler dessus en février 2004 et la réplique
de « Błyskawica » a pu émettre des communiqués de l’insurrection pour le 60e anniversaire de la
mise en marche du poste.
Le poste émet ses premières informations le 8 août 1944 dans la banque PKO, située dans le
Centre-ville. Le poste émetteur et les amplificateurs sont placés dans une salle tandis que le studio
d’enregistrement se trouve dans une autre munie de tapis. La faible résonance et l’insonorisation
satisfaisante permettent d’émettre dans de bonnes conditions. Des programmes sont diffusés
presque quotidiennement du 8 août au 4 septembre. Leur durée varie en fonction des éléments
réunis. Les programmes les plus fournis sont diffusés en août. Chaque émission est composée
d’un journal donnant des nouvelles du monde, du pays et des combats des insurgés ; d’une revue
de presse et d’un programme artistique avec de la musique ou de la poésie composée pendant
l’insurrection. A partir du 9 août, Polskie Radio, la Radio Polonaise, utilise elle aussi les services
de Błyskawica. Le poste doit être déplacé à plusieurs reprises. Vous pouvez voir ses différentes
localisations sur la petite carte figurant à l’entrée.
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La toute dernière émission de Błyskawica est assurée par le chef de la station de radio Jan
Gieorgica, nom de guerre « Grzegorzewicz », le 4 octobre 1944 à 19h20. Dans un programme qui
dure dix minutes, il évoque l’action de la station de radio pendant l’Insurrection de Varsovie puis
clôt son émission en diffusant la « Varsovienne », l’hymne composé par Casimir Delavigne pour
les insurgés varsoviens de novembre 1830, avant de détruire le poste.
1. La poste de campagne
Nous nous trouvons dans la salle consacrée à la Poste de campagne, une institution qui fut
d’une importance primordiale pendant l’Insurrection de Varsovie. Vous pouvez y voir des
timbres, des tampons et des brassards originaux de la poste des scouts, et une des deux boîtes aux
lettres de la poste des insurgés conservées en Pologne, offerte au musée par un ancien combattant
de l’insurrection. On y voit encore un impact de balle.
Dans les premiers jours d’août, plusieurs points stratégiques restent entre les mains de
l’ennemi. L’armée allemande paralyse efficacement les contacts entre les enclaves insurgées
d’une part, et entre les membres des familles dispersées dans toute la ville d’autre part. La liaison
leur est bientôt assurée par une foule de porteurs de messages et d’agents de liaison dont la
plupart se recrutent parmi les scouts des Rangs Gris, les Szare Szeregi, et les scoutes du Secours
scout, Pogotowie Harcerskie.
La poste de campagne des scouts entre en service le 4 août. Le Bureau de Poste principal est
situé au 28 de la rue Świętokrzyska, près de Pasieka, le quartier général des Szare Szeregi. La
poste étend progressivement son action dans presque toute la ville. Huit nouveaux bureaux voient
le jour. Ils disposent d’une quarantaine de boîtes aux lettres. Les messages transmis par les scouts
ne doivent pas excéder vingt-cinq mots. Toutes les lettres sont soumises à la censure afin d’éviter
toute possibilité de fuites d’informations militaires au cas où la correspondance serait saisie par
l’ennemi. Les messages sont délivrés gratuitement, sans taxe, mais les dons en nature sous forme
de livres, de pansements ou de vivres, destinés aux insurgés blessés, sont fort appréciés. Le
nombre d’envois oscille entre 3.000 et 6.000 par jour. Les jeunes facteurs transportent
quotidiennement des dizaines de lettres au péril de leur vie. Leurs supérieurs font tout ce qui est
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en leur pouvoir pour les protéger du pire, mais ils sont souvent tués. Le chef scout Zbigniew
Banaś, nom de guerre « Banan », qui meurt sous les balles à l’âge de seize ans, le 17 août 1944
dans le quartier de Powiśle, symbolise le sacrifice de ces jeunes soldats.
La Poste de campagne joue un rôle social extrêmement important, elle permet aux gens de
communiquer avec leurs proches pour les rassurer sur leur sort. Le courrier délivré par les jeunes
facteurs soutient beaucoup de gens moralement dans ces moments très durs.
1. Les combats de septembre
Après la chute de la Vieille-Ville et l’évacuation des unités du groupe « Północ », le groupe
« Nord », les insurgés tiennent leurs positions dans le Centre-Ville, dans les quartiers de Powiśle,
Czerniaków, Mokotów et Żolibórz, et dans la forêt de Kampinos, mais ils défendent surtout les
secteurs stratégiques des bords de la Vistule. Ils espèrent ainsi faciliter le débarquement des
troupes russes stationnées sur la rive droite. Mais les Allemands redoutent l’offensive soviétique.
Aussi dirigent-ils l’essentiel de leur armée vers les quartiers de Powiśle et de Czerniaków, au
bord du fleuve. Les Polonais comptent toujours sur un soutien à l’est et cherchent à tenir à tout
prix leurs positions malgré la pauvreté de leur armement comparé à celui des Allemands.
Dans le Centre-Ville nord, la ligne dure du front, symbole des positions tenues par les
insurgés, part de la Gare postale, rue Żelazna, au-dessus des voies ferrées de la gare de la navette
et passe par les rues Towarowa, Grzybowska et Królewska. Le 9 septembre, on peut lire dans le
Biuletyn Informacyjny : « Par leur attitude héroïque, les combattants de ce secteur rendent un
service inestimable à la capitale en lutte : ils concentrent sur eux les plus violentes attaques de
l’ennemi, jouant ainsi un rôle de bouclier pour les autres quartiers de la ville, parfois très éloignés
de leurs positions. »
Malgré la très forte détermination des défenseurs, les Allemands, qui ont une supériorité
écrasante, détruisent une à une toutes les poches de résistance des insurgés. Le soir du 5
septembre, les combattants, à court de munitions, abandonnent la Centrale électrique qui ne
fonctionne plus depuis les bombardements massifs de la veille. Dans la ville privée de courant,
habitants et soldats de l’Armée de l’intérieur sont dans une situation de plus en plus dramatique.
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Le 6 septembre, c’est tout le quartier de Powiśle qui tombe, et les unités ennemies lancent une
offensive contre le Centre-Ville nord. Constatant le sort tragique des insurgés et ne voyant venir
aucune aide extérieure, les chefs de l’insurrection chargent la Croix-Rouge polonaise de négocier
une évacuation partielle de la population civile du Centre-Ville. Les 8 et 9 septembre, une trêve
de quelques heures permet à 8.000 personnes de quitter la ville. Le 9 septembre, des contacts sont
établis entre les émissaires du Haut Commandement de l’AK et la partie allemande. Cette
dernière propose d’entamer des pourparlers en vue d’une capitulation des insurgés. Sur la rive
droite de la Vistule, les troupes du Ier Front de Biélorussie lancent l’opération de Praga. Compte
tenu de l’évolution des événements, le commandement de l’AK cherche à gagner du temps : le 11
septembre, il rompt les négociations. Les Allemands se concentrent sur l’organisation d’un front
sur la rive gauche de la Vistule. Le 21 septembre, l’attaque allemande anéantit les unités de la 1ère
Armée polonaise qui débarquent sur la Kępa Potocka. Le 23 septembre, la tête de pont de
Czerniaków tombe. L’ennemi resserre son étau autour des trois dernières poches de résistance : le
quartier de Żolibórz au nord, le Centre-ville et le quartier de Mokotów au sud. Après la prise de
Czerniaków, les Allemands concentrent leurs attaques sur Mokotów. Le terrain défendu par les
insurgés se réduit comme une peau de chagrin. Le 26 septembre, les unités insurgées commencent
leur évacuation dramatique de Mokotów, qui capitule définitivement le 27 septembre aux
alentours de midi. Le même jour, l’ennemi lance une opération qu’il prépare depuis une semaine,
l’opération « Etoile filante », pour anéantir le groupe Kampinos. Deux jours plus tard, les unités
de Kampinos sont écrasées par l’armée allemande à la bataille de Jaktorów. Le 30 septembre,
c’est au tour de Żolibórz de capituler. Seul le Centre-Ville se bat encore.
1. Un lieu de mémoire
Varsovie insurgée se transforme au fil des jours en une ville de tombes. Au début, on dit
adieu aux tués solennellement, en les enterrant dans les squares, les cours d’immeubles, les
jardins, au pied de petits oratoires. A mesure que les combats s’étendent, toute la ville se couvre
de croix : les rues, les places, les trottoirs, les ruines des maisons bombardées. La mort est de plus
en plus anonyme. Les corps sont ensevelis à la hâte pour prévenir les épidémies. Le registre des
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décès n’est tenu que dans les cimetières attenant aux hôpitaux. Les cadavres sont enveloppés dans
un drap, les renseignements sur le défunt sont glissés dans une bouteille scellée attachée à l’un de
ses membres. Selon les estimations des historiens, 18.000 soldats disparaissent ou meurent au
combat, et 25.000 sont blessés durant les deux mois que dure l’insurrection. Le nombre des
victimes civiles est estimé à 180.000.
Dans ce Lieu de mémoire symbolique, une centaine d’insurgés tombés au cours des combats
pour libérer Varsovie vous contemple. Ce sont des gens souriants, pleins de vie, l’une des plus
meilleures générations de l’histoire de la Pologne. La guerre a englouti à jamais des milliers
d’entre eux.
Le souvenir de tous ceux qui sont morts au combat dans les rues de Varsovie est encore
vivace. Dans beaucoup de cours d’immeubles varsoviens, vous pouvez voir de petits oratoires
devant lesquels les gens se réunissaient pour entendre la messe ou prier. Des plaques
commémoratives ont été apposées sur près de 400 lieux d’exécution. Des dizaines de plaques et
de monuments évoquent le terrain des combats menés par les groupes et les unités insurgés. Tous
ces lieux sont entourés de respect. Chaque année, à la date anniversaire du début de l’insurrection,
ils sont ornés de fleurs et de bougies ; des gardes d’honneur sont assurées par les mouvements
scouts et l’armée.
1. Les Allemands
Les combats qui se déroulent dans la capitale polonaise en août 1944 représentent un grand
danger pour la 9e armée allemande qui se bat contre l’Armée rouge pour conserver le tronçon de
la Vistule située sur le chemin le plus court menant à Berlin. Ils menacent également la stabilité
de l’ensemble du front de l’Est. Varsovie est à cette époque un important nœud de
communication par lequel transitent les tonnes d’approvisionnement et les renforts de toutes
sortes destinés au front de l’Est. Or la garnison de Varsovie ne compte pas plus de 20.000
hommes, elle est donc insuffisante pour mater l’insurrection. Les Allemands ont besoin d’une
aide extérieure pour « gagner à Varsovie la course avec les bolcheviks ».
Les premières unités allemandes appelées en renfort affluent dans la ville dès le 3 août. Le
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Korpsgruppe du général Erich Von dem Bach intègre toutes ces unités, dont chacune a été
renforcée. Au plus fort de l’insurrection, le Korpsgruppe compte près de 50.000 hommes. La
Wehrmacht reçoit en outre le soutien des forces de police, des Waffen-SS et d’unités de Russes,
Lettons, Lituaniens, Azeris et Hongrois qui collaborent avec les nazis. Le commandement
allemand lance dans la bataille tous les moyens techniques à sa disposition, entre autres des
mortiers modernes de calibre 380 mm, des lance-roquettes à projectiles incendiaires et explosifs
que les Varsoviens appellent des « vaches beuglantes » ou des « armoires grinçantes ». Pendant
les deux mois que durent les combats, l’aviation allemande contribue largement à la destruction
de la ville ; elle effectue plus de 1.400 vols. Mais l’arme la plus puissante utilisée pour écraser la
résistance polonaise, c’est l’obusier Karl-Morser Gerät 040, le « Ziu » de calibre 600 mm, dont
les obus peuvent détruire sans difficulté des immeubles de plusieurs étages. Insurgés et civils sont
également victimes des tireurs d’élite allemands, des snipers qu’on appelle « gołębiarze », qui
sèment la mort dans les rues de Varsovie avec des fusils comme ceux que vous pouvez voir dans
la vitrine.
Malgré l’écrasante supériorité de feu de l’ennemi, pendant 63 jours les insurgés lui opposent
une résistance héroïque en lui infligeant des pertes considérables. Si l’on compare l’insurrection
de Varsovie aux autres batailles de la Seconde Guerre mondiale, on constate que malgré la
pauvreté de leur armement, les insurgés ont résisté presque deux fois plus longtemps que l’armée
française pendant la campagne de 1940, pourtant parfaitement équipée. Les historiens comparent
l’Insurrection de Varsovie à la bataille de Stalingrad ou à celle de Berlin, car les pertes subies par
l’armée allemande dans la capitale polonaise en 1944, selon le rapport de Von dem Bach,
s’élèvent à 10.000 morts, 7.000 disparus et 15.000 blessés. Les Allemands ont connu un nombre
de victimes supérieur uniquement sur le front de l’Est.
Au centre de la salle est exposé un document insolite, un journal intime tenu pendant
l’insurrection par un jeune garçon de huit ans, Jerzy Arct. Les pages de son journal sont une très
bonne illustration de ce qu’était la vie quotidienne d’un enfant dans la ville prise sous le feu des
combats. Les mots qui concluent son journal, notés à la fin de la guerre : « On n’a pas le droit
d’oublier la barbarie des Allemands. Jamais ! Jamais ! » sont un vibrant rappel pour les
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générations à venir.
Avant de passer au point suivant, nous aimerions attirer votre attention sur une décoration
allemande offerte au musée par un ancien insurgé. Cette décoration était décernée aux Allemands
particulièrement méritants lors de l’offensive contre la Pologne en septembre 1939. Le SS qui
portait fièrement cette Croix de fer avec glaives a été tué par une balle quelques années plus tard,
pendant l’assaut de l’immeuble de la PAST. Le vent de l’Histoire avait tourné.
1. Les étrangers qui prennent part à l’Insurrection de Varsovie
Un nombre important de ressortissants étrangers prend part à l’insurrection coude à coude
avec les Polonais. Dès les premières heures de combat, obéissant à la devise « Pour votre liberté
et pour la nôtre », des étrangers rejoignent les rangs polonais. Parmi eux, des gens domiciliés à
Varsovie avant guerre, des soldats évadés des camps de prisonniers de guerre, des gens qui
veulent échapper au travail obligatoire dans le Reich, des déserteurs de l’armée allemande ou de
l’Armée rouge. Les plus nombreux parmi ces étrangers sont les Slovaques, les Hongrois et les
Français. Les insurgés ont aussi pour compagnons d’arme quelques Belges, quelques Hollandais,
Grecs, Britanniques et Italiens, et aussi un Roumain et un Australien.
Les premiers contacts des Slovaques avec la résistance polonaise sont établis sous
l’occupation allemande, entre autres, par un futur commandant de l’insurrection, le souslieutenant Mirosław Iringh, nom de guerre « Stanko ». La pleine collaboration des Slovaques
avec l’Etat Polonais clandestin commence dès la naissance du Comité national slovaque
clandestin, fondé à Varsovie à la mi-42. Un an plus tard, ce comité forme un sous-détachement
militaire formellement rattaché, sous serment, à l’Armée de l’intérieur jusqu’à la fin de la guerre
avec l’Allemagne. Le 535e Peloton autonome des Slovaques est l’une des unités du Ve Secteur de
l’Armée de l’intérieur. Se battent aussi dans ses rangs des Géorgiens, des Arméniens, des Azeris,
des Tchèques et des Ukrainiens. Pendant l’insurrection, le peloton prend part aux attaques du
Belvédère, de la Banque de l’Economie nationale et de l’église de la rue Łazienkowska. Il défend
la tête de pont de Czerniaków au sein du groupe « Kryśka ».
Les Slovaques sont les seuls étrangers à avoir le droit de se battre sous leur propre drapeau.
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Ils portent leurs couleurs nationales sur leurs brassards. Le drapeau tricolore du peloton slovaque
est l’un des quelques drapeaux de l’insurrection à avoir été conservés.
Rejoignent également les rangs des insurgés la plupart des 348 juifs du camp de
concentration allemand de la rue Gęsia. Ils sont originaires de Grèce, de Hollande, d’Allemagne
et de Hongrie. Libérés par le bataillon « Zośka », une cinquantaine d’entre eux est incorporée
dans les détachements du groupe « Radosław ». Les autres entrent dans des formations
auxiliaires : ils évacuent les blessés, éteignent les incendies, fabriquent et transportent des armes.
Les unités hongroises amenées par les Allemands pour mater l’insurrection font preuve de
bienveillance envers les Polonais même si les Hongrois n’ont pas l’intention de se battre aux
côtés des insurgés. A la mi-août, un officier du régiment hongrois envoyé pacifier la forêt de
Kampinos avertit le commandement polonais : « Ils nous y envoient, alors on doit y aller, mais on
ne veut pas se battre contre les Polonais. On traverse juste la forêt et si vous ne nous attaquez pas,
nous n’avons pas de raison de vous attaquer, on ne veut rien savoir. »
1. Les Trois Grands
En 1943, après les victoires de Stalingrad et de Koursk, l’Armée rouge progresse vers
l’ouest. L’Union soviétique raffermit de jour en jour sa position dans l’arène internationale. Du
28 novembre au 1er décembre 1943, les chefs des trois grandes puissances, Winston Churchill,
Franklin Roosevelt et Joseph Staline, se rencontrent à Téhéran. Faisant fi des résolutions de la
Charte de l’Atlantique signée deux ans plus tôt, les Trois Grands entament des pourparlers sur
l’ordre mondial futur sans en informer les autres nations. Américains et Britanniques sont dans
l’obligation de tenir leur promesse d’ouvrir un front à l’ouest et sont prêts à aller très loin dans les
concessions. Staline le sait parfaitement et il va exploiter la situation avec beaucoup d’habileté. Il
obtient de ses alliés la reconnaissance de la frontière polono-soviétique suivant une ligne Curzon
légèrement modifiée, et la reconnaissance de facto des conquêtes territoriales soviétiques depuis
l’invasion de la Pologne par l’Armée rouge le 17 septembre 1939. Le gouvernement polonais en
exil n’est pas représenté à la conférence, on ne daigne même pas l’informer de ce qui y a été
décidé, ne serait-ce que de ce qui concerne les affaires polonaises. Les trois Grands décident de
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garder leurs décisions secrètes, ce qui va peser sur le sort de l’Insurrection de Varsovie et sur
l’histoire de la Pologne après-guerre.
L’Insurrection de Varsovie éclate à peine un an après la Conférence de Téhéran. Les
autorités polonaises ignorent les décisions des trois Grands, qui incluent la Pologne dans le bloc
soviétique. Elles comptent donc sur un large soutien de la part des Occidentaux. Conscientes que
Staline n’est pas favorable à une Pologne libre, le gouvernement en exil estime cependant que
sous la pression des Alliés il n’abandonnera pas Varsovie insurgée à son destin. Malheureusement
ces calculs se révèlent erronés. Le douzième jour des combats, Staline déclare que l’Insurrection
de Varsovie est « une folle, une terrible aventure, et [que] l’Union soviétique s’en démarque
totalement ». Apparaissent alors dans la presse et à la radio soviétiques des articles condamnant
l’attitude de l’AK à Varsovie et calomniant le commandement polonais.
Les Alliés occidentaux n’expriment aucune volonté politique de contraindre les Soviétiques
à soutenir l’insurrection. La priorité de la diplomatie occidentale est de maintenir à tout prix, ou
presque, de bonnes relations avec Staline. Les Alliés n’entendent pas les demandes du
gouvernement polonais qui attend une assistance efficace de leur part. Churchill tente bien de
convaincre Roosevelt d’avoir une attitude un peu plus ferme à l’égard des Soviétiques, mais le
président américain fait la sourde oreille. Churchill lui-même n’est guère convaincu.
Les peuples occidentaux ne soutiennent pas non plus avec beaucoup de vigueur la cause
polonaise. Si les presses anglaise et américaine ne tarissent pas d’éloges à propos du courage des
Varsoviens, elles n’abordent aucune question épineuse. De nombreuses critiques apparaissent
dans la presse de gauche. Le Daily Herald et le Daily Worker reprennent à leur compte la
rhétorique soviétique et présentent l’ « aventure varsovienne » comme étant dirigée par des
« fascistes » et des « réactionnaires ». A l’ouest, rares sont les gens conscients des véritables
causes de la situation dramatique de Varsovie. Rares sont ceux qui, comme Georges Orwell dans
le numéro spécial de La Tribune pour le 5ème anniversaire du début de la guerre, ont le courage de
condamner la lâcheté de l’opinion publique, des médias et des dirigeants occidentaux.
1. La mort de la ville
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Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Varsovie aura connu quatre destructions. D’abord
pendant la Campagne de Septembre 1939, où les bombardements allemands endommagent
considérablement de nombreux bâtiments. Puis lors de l’écrasement de l’insurrection du ghetto,
où les nazis rasent entièrement l’ancien quartier juif. Ensuite, au cours de l’Insurrection de
Varsovie, où les positions des insurgés sont pilonnées par l’artillerie. Et enfin, après l’échec de
l’insurrection, où les Allemands décident de raser totalement la capitale polonaise. La ville est
détruite à près de 83%. Avec elle, c’est presque la totalité du patrimoine culturel de la capitale, le
centre intellectuel de la Pologne, qui disparaît.
Dès les premiers jours de l’insurrection, Varsovie est la proie des incendies. Sous l’effet des
tirs d’artillerie et des bombardements aériens, la ville se transforme rapidement en un champ de
cendres et de ruines malgré les efforts de dizaines de milliers de gens. Eglises et couvents de la
capitale sont dévastés ; les palais Krasiński, Ossoliński, Kazimierzowski, Czartoryski et bien
d’autres sont détruits. L’architecture de la Vieille Ville, farouchement défendue pendant près de
trois semaines par les insurgés du groupe « Północ » commandé par le colonel Karol Ziemski,
nom de guerre « Wachnowski », souffre particulièrement. La vieille place du Marché brûle
presque entièrement, le Château Royal et la cathédrale Saint-Jean sont réduits à l’état de ruines.
Les archives et les bibliothèques de Varsovie subissent des pertes irréparables. 70%, voire 100%
des archives disparaissent dans les incendies.
Après la capitulation des insurgés et l’évacuation de la population civile, les explosions et le
fracas des immeubles qui s’effondrent continuent à retentir dans la ville. Les Allemands se livrent
au pillage. Dans les mois qui vont suivre, quelque 45.000 wagons de chemin de fer quittent
Varsovie pour le Reich chargés de machines et de mobilier, et aussi de réverbères, de câbles, de
bordures de trottoir, de tout ce qui peut se révéler utile. Les nazis détruisent scrupuleusement,
méthodiquement tout ce qu’ils ne peuvent pas emporter. Ils dynamitent les bâtiments encore
debout, les églises, les palais, les bâtiments publics, les usines, les rues, les rails, les viaducs et les
gares en ruines. La ville agonise. Les pluies d’automne et les rigueurs de l’hiver ne parviendront
pas à éteindre le feu qui couve dans les décombres. Les Allemands exécutent scrupuleusement les
ordres qui leur ont été donnés, ils ne doivent pas seulement détruire la culture polonaise, ils
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doivent aussi en faire disparaître tous les vestiges.
L’armée soviétique qui stationne de l’autre côté de la Vistule n’intervient pas pour empêcher
les Allemands de détruire la ville. Pour la énième fois les desseins de Hitler et de Staline, pourtant
ennemis mortels, convergent quand il s’agit de la Pologne. L’anéantissement de l’élite polonaise
« bourgeoise » et la disparition de tout ce qui peut rappeler la Varsovie d’avant-guerre arrangent
bien le dictateur soviétique. Il pourra ainsi reconstruire la ville selon sa propre conception réaliste
socialiste de l’urbanisme et dresser en plein cœur de la cité le « cadeau » qu’il fera au peuple
polonais, le Palais de la Culture et de la Science, symbole de la domination soviétique.
Les conclusions des travaux de la commission nommée par le maire de Varsovie en 2004 et
dirigée par le professeur Wojciech Fałkowski donnent une idée de l’échelle des destructions de la
ville. Selon les premières estimations, les pertes matérielles subies par la ville pendant
l’insurrection s’élèvent à plus 45 milliards de dollars.
1. La capitulation
Après la capitulation de Mokotów le 27 septembre et celle de Żolibórz le 30 septembre,
ayant perdu tout espoir, le commandant en chef de l’AK et le Délégué du Gouvernement de la
République de Pologne en exil, le vice-premier ministre Jan Stanisław Jankowski, se concertent et
décident d’entamer des pourparlers en vue d’une capitulation. Le 1er octobre, le général Tadeusz
Komorowski, nom de guerre « Bór », envoie à Londres la dépêche suivante : « Le combat à
Varsovie n’a plus aucune chance de connaître une heureuse issue. J’ai donc décidé d’y mettre fin.
Les conditions de la capitulation garantissent aux soldats le statut de combattant et à la population
civile une évacuation lui épargnant des souffrances inutiles. »
Le 2 octobre, les représentants du Haut Commandement de l’AK, le colonel Kazimierz
Iranek-Osmecki, nom de guerre « Heller », et le lieutenant-colonel Zygmunt Dobrowolski, nom
de guerre « Zyndram », diplomates l’un et l’autre, signent l’acte de capitulation au quartier
général du général Erich Von dem Bach à Ożarów, aux environs de Varsovie. Selon ses termes,
les insurgés et leurs chefs doivent déposer les armes et quitter la ville en formations unies. Toute
la population civile doit, elle aussi, quitter Varsovie.
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1. L’exode
Les premiers jours d’octobre 1944 voient l’exode massif de la population civile de la
capitale. Les Allemands évacuent les gens vers des camps de transit. Le plus grand est le « Dulag
121 », ouvert à Pruszków dès la première semaine d’août. Au 10 octobre, plus de 550.000
Varsoviens et 100.000 habitants des localités voisines de Varsovie y auront transité. Le séjour au
camp dure généralement une semaine, le temps que les Allemands procèdent à la « sélection » des
détenus, qui sont soit déportés sur le territoire du Gouvernement général, soit envoyés au travail
obligatoire dans le IIIe Reich, soit encore, dans le pire des cas, expédiés dans des camps de
concentration.
Les premières unités d’insurgés à partir en captivité sont celles du Centre-Ville, qui a résisté
jusqu’au bout en menant de rudes combats. Leur départ a lieu le 4 octobre, suivi le lendemain par
celui des dernières unités polonaises et des états-majors du Haut Commandement, du
Commandement du Secteur et du Corps de l’Armée de l’intérieur de Varsovie. Il se déroule dans
un silence de mort. Le commandant en chef de l’Armée de l’intérieur, le général de division
Tadeusz Komorowski, seul dans la rue, leur rend les honneurs. Puis il les suit, accompagné d’un
officier allemand, le commandant Kurt Fischer, résolu à ne pas abandonner ses hommes.
Le convoi des insurgés à destination des camps de prisonniers de guerre part le 6 octobre
d’Ożarów, dans la banlieue de Varsovie. Le plus grand nombre transite par le Stalag 334 de
Lamsdorf, - Łambinowice, en Silésie, dans la région d’Opole -, qui est le plus ancien et le plus
grand camp de prisonniers de guerre sur le territoire du IIIe Reich. Dans ce camp, les insurgés
reçoivent un matricule puis sont dispersés dans des Oflags et des Stalags situés sur tout le
territoire de l’Allemagne. Vous pouvez voir ici une carte montrant la répartition des camps les
plus importants.
L’évacuation de presque toute la population de Varsovie est un événement sans précédent
dans l’histoire de l’Europe. On peut parler ici d’une ingénierie sociale totalitaire à une échelle de
masse : une grande capitale d’un grand Etat européen cesse de fait d’exister pendant plusieurs
mois. Après la guerre une partie de ses habitants seulement y reviendra. Beaucoup resteront sur
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les lieux où leur destin les a conduits. Beaucoup seront des émigrés.
1. Les Robinson de Varsovie
Tout le monde ne quitte pas la ville détruite. Restent au milieu des ruines ceux qui ne
peuvent pas ou ne veulent pas quitter Varsovie. Il s’agit pour la plupart de juifs, pour qui sortir de
la clandestinité signifie une mort certaine. Ils se cachent dans des conditions extrêmement
difficiles, sans rien à manger, risquant à tout instant d’être découverts, jusqu’à la prise de la ville
par l’Armée rouge en janvier 1945. Le film de Roman Polański, Le Pianiste, récompensé par trois
Oscars, montre avec beaucoup de vérité ce qu’était la vie des « Robinson de Varsovie ». Il
raconte l’histoire d’un pianiste polonais d’origine juive, Władysław Szpilman, qui resta caché
seul dans les ruines de la ville après la fin de l’Insurrection de Varsovie.
1. La veillée de Noël dans les camps
Le voyage à destination des camps de prisonniers de guerre se déroule dans d’horribles
conditions. Entassés dans des wagons à bestiaux, souffrant du froid, de la faim et de la soif, les
gens roulent vers l’inconnu pendant des heures et des heures. Sur place, les Polonais sont
considérés par les Allemands comme des « sous-hommes ». Seuls les prisonniers de guerre russes
sont plus maltraités. Les Russes, selon de nombreux témoignages, sont détenus dans des
conditions proprement inhumaines. Les combattants de Varsovie insurgée survivent malgré tout
dans l’attente de la fin de la guerre, imminente. La veillée de Noël 1944 est un véritable symbole
de la tragédie que vivent les Polonais. C’est l’unique Noël de l’Histoire que Varsovie ne fêtera
pas. Tous les exilés essaient de passer ce jour ensemble, ils chantent des cantiques et s’échangent
du pain pour respecter comme ils peuvent les traditions. Ce Noël derrière les barbelés, loin de la
patrie, loin de ses proches et souvent sans nouvelles d’eux, est très dur pour chacun. Une ancienne
agent de liaison de Żolibórz, Lidia Wyleżyńska, détenue au Stalag VI C d’Oberlangen, se
souvient : « Nous arrivons à la baraque le 24 décembre mais les colis de la Croix-Rouge arrivés
par le même convoi ne nous sont délivrés que le lendemain. C’est une triste veillée, nous mourons
de faim. Nous dormons à deux par châlit pour nous tenir chaud. Chaque matin, j’accomplis un
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exploit en faisant ma toilette à l’eau glacée dans la salle de bains sans carreaux aux fenêtres. »
Nous vous invitons à écouter d’autres témoignages autour du repas de la veillée de Noël au
camp.
En dépit de ces conditions de vie pénibles et du traitement indigne que leur font subir les
fonctionnaires du Reich, la majorité des prisonniers de guerre polonais réussit à survivre jusqu’à
la libération. Les troupes alliées qui marchent sur Berlin libèrent les camps les uns après les
autres. Le camp d’Oberlangen où les Allemands détiennent près de 1.700 femmes ayant pris part
à l’Insurrection de Varsovie, est libéré le 12 avril 1945 par la 1ère Division blindée polonaise du
général Stanisław Maczek. Après leur libération, certains insurgés endossent l’uniforme pour
combattre jusqu’à la fin de la guerre ; d’autres cherchent à trouver place dans les pays
occidentaux libérés, mais la plupart rentrent en Pologne.
1. Les insurgés dans la République Populaire de Pologne, la PRL
Dans leur patrie, les insurgés ne sont pas accueillis à bras ouverts par le pouvoir en place.
Dans la Pologne dirigée par les communistes, les soldats de l’Armée de l’intérieur et les insurgés
de Varsovie sont de « sales nabots de la réaction », des ennemis de « la patrie démocratique ».
Avoir combattu pour libérer la Pologne et Varsovie en étant prêt à faire le sacrifice de sa vie est
considéré comme un délit. Tracasseries, persécutions, arrestations et assassinats se multiplient au
nom de la loi communiste. C’est désormais le tout-puissant Service de Sûreté, la police politique,
qui décide de la vie et du sort des insurgés. Le retour à une vie normale est si difficile qu’il est
presque impossible.
A la mi-juin 1945, se déroule à Moscou le procès mis en scène par Joseph Staline des seize
dirigeants de la Pologne clandestine arrêtés avec machiavélisme en mars de la même année.
L’intention politique secrète des dirigeants soviétiques est de favoriser la mise en place d’un
Gouvernement Provisoire d’Unité nationale contrôlé par eux, comme les Trois Grands l’ont
décidé à la Conférence de Yalta en février 1945. Le but de ce qu’on appellera le « procès des
seize » est de compromettre aux yeux des dirigeants et des populations des Etats occidentaux les
chefs de l’Etat polonais clandestin, et par voie de conséquence tous les Polonais qui s’opposent à
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la domination soviétique. Pour parvenir à leurs fins, les Soviétiques n’hésiteront pas à les accuser
d’avoir collaboré avec l’Allemagne.
Commence alors la stigmatisation des anciens soldats de l’Armée de l’intérieur,
particulièrement de ceux qui ont pris part à l’Insurrection de Varsovie. La propagande
communiste clame haut et fort que ce sont des traîtres comme les Sosnkowski et les Bór qui ont
jeté Varsovie sous le feu d’une insurrection inutile. Jusqu’au milieu des années cinquante, les
soldats de l’Armée de l’intérieur sont persécutés, ils ne trouvent pas de travail. Les arrestations et
les accusations de haute trahison se multiplient. Des procès sont ouverts contre de nombreux
soldats du bataillon « Zośka » ou du groupe « Radosław », dont le commandant, le colonel Jan
Mazurkiewicz, est condamné à de longues années de détention. Beaucoup de soldats de l’AK ne
connaîtront plus jamais la liberté. Les accusations étant étayées de fausses preuves, ils se voient
condamnés à la peine de mort ou disparaissent en prison dans des conditions obscures. Tel est le
sort du dernier commandant en chef de l’Armée de l’intérieur, le général Leopold Okulicki, nom
de guerre « Niedźwiadek », mort en détention à Moscou en 1946. Le premier commandant du
Kedyw, la Direction de Diversion du Haut Commandement de l’AK, le général Emil August
Fieldorf, nom de guerre « Nil », est pendu en 1953. Le Délégué du gouvernement polonais en
exil, Jan Stanisław Jankowski, « Soból », meurt dans une prison soviétique en 1953, quinze jours
avant d’avoir purgé sa peine. Le lieutenant Jan Rosowicz, nom de guerre « Anoda », arrêté le 24
décembre 1948, meurt sous la torture pendant l’instruction de son procès ; ses bourreaux
soutiendront fermement la thèse du suicide. Le capitaine de cavalerie Witold Pilecki, nom de
guerre « Witold », détenu volontaire au camp d’Auschwitz, initiateur et organisateur de la
résistance à l’intérieur du camp, est condamné à mort par les autorités communistes et tué d’une
balle dans la nuque en 1948.
Avec le retour au pouvoir de Władysław Gomułka en 1956, la critique de l’Insurrection se
fait moins virulente. On ne critique plus les insurgés du rang. Les autorités, en effet, considèrent
que cela peut nuire à leur image. Néanmoins, les insurgés sont toujours considérés avec suspicion
et hostilité. En 1956, les autorités autorisent pour la première fois la célébration de l’anniversaire
du début de l’Insurrection au Cimetière Powązki. La « Sûreté » photographie l’assistance pour
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repérer les personnes qui l’intéressent. Les clichés, découverts récemment à l’Institut de la
Mémoire nationale, sont exposés ici.
1. Jean-Paul II
De grands changements se produisent dans la conscience collective des Polonais à la fin des
années 70, notamment en 1978, où un cardinal polonais, Karol Wojtyła, est élu pape. Le premier
pèlerinage de Jean-Paul II en Pologne sera le catalyseur d’un immense mouvement social. Les
paroles prononcées par le souverain pontife en juin 1979 à Varsovie : « N’ayez pas peur ! » et
« Que le Saint-Esprit descende sur cette terre pour en changer la face !», font prendre conscience
aux Polonais de leur force et de leur foi. Un an plus tard, ils s’opposent massivement au pouvoir à
travers le syndicat Solidarność, Solidarité. Se développe alors un circuit parallèle d’édition qui
échappe à la censure officielle. Les Polonais découvrent la véritable histoire de l’Insurrection de
Varsovie, passée jusque-là sous silence ou déformée. Voici venu le temps de l’objectivité et de la
vérité, le temps des générations nouvelles.
Traduction de Laurence Dyèvre
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