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XIe UNIVERSITÉ D’ÉTÉ en Histoire, Philosophie et Pensée Économiques
« DEUX SIECLES DE FINANCE SOLIDAIRE »
Amélie ARTIS
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Résumé : A partir d’études historiques et économiques des formes anciennes et
contemporaines de la finance solidaire, nous apportons une lecture critique des conceptions
actuelles de la finance solidaire. Notre cadre théorique, keynésien et régulationniste, nous
permet de montrer que la structuration de la finance solidaire est concomitante avec une
économie de marché, que les pratiques solidaires de financement sont complexes au delà de la
« finance des pauvres » et que son rôle est spécifique par rapport au financement bancaire
classique.
Mots Clés : Finance solidaire- théorie de la Régulation Monnaie Financement de
l’économie
INTRODUCTION
La Finance solidaire contemporaine est définie comme :
- « un ensemble d’opérations financières visant à répondre à la difficulté pour les
collectivités en déclin et les populations aux prises avec le cercle de vicieux de la pauvreté,
d’accéder au capital » (Bourque, Gendron, 2003)
- ou « un continuum d’activités de l’accompagnement au financement pour des
personnes marginalisées dans une perspective de création d’activité » (Vallat & Guérin,
1999)
- ou comme « une réponse au défaut d’universalité des banques » (Bévant, 2003)
Ces définitions posent déjà question : la finance solidaire est-elle seulement un nouvel
intermédiaire financier qui viserait à compenser les effets discriminatoires du système
bancaire envers certaines personnes (par exemple la banque des pauvres, la banque des
femmes...) ? Il s’agit donc de faire une analyse critique des conceptions actuelles de la finance
solidaire afin d’enrichir sa compréhension, et pour cela, nous avons choisi de recourir à
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CREPPEM ESEAC-IEP de Grenoble,
ATER IEP de Grenoble, amelieartis@yahoo.com
Septembre 2008
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l’histoire de la finance solidaire. Bien que le terme de finance solidaire soit récent (émergence
au début des années quatre vingt), nous utilisons la terminologie « finance solidaire » comme
terme générique pour définir des pratiques solidaires privées en vue de financer des activités
productrices.
L’économie sociale dès son origine a questionné les relations monétaires et financières
(débats entre WALRAS ou MARX sur les coopératives de crédit, PROUDHON ou BASTIAT sur la
nature de l’intérêt, BELUZE et le Crédit au Travail, GESELL et la monnaie fondante). Plus
récemment, dans les années quatre vingt, de nouvelles pratiques alternatives de financement
émergent. La filiation entre ces expériences semble pertinente d’un point de vue théorique car
elles interrogent la nature de la monnaie et ses conditions d’accessibilité, et d’un point de vue
organisationnel car elles témoignent des innovations et des compromis mis en œuvre pour
faciliter l’accès à la monnaie.
Une étude historique nous permet de comprendre que des pratiques monétaires et
financières solidaires se sont succédés et accumulées pendant plus de deux siècles. Ces
pratiques ont fait l’objet d’interprétations différentes selon le concept de monnaie sous jacent
expliquant l’indétermination théorique actuelle de la finance solidaire. Sans prétention
d’exhaustivité, notre méthodologie s’inscrit dans perspective historique analytique et
théorique dans le prolongement des travaux d’historiens et d’économistes (GUESLIN,
DESROCHE, VIENNEY, DEMOUSTIER, BEAUD, RIST & GIDE, AUCUY, EGE, etc.).
Dans un premier temps, nous questionnons les conceptions de la finance solidaire et
nous formulons une grille d’analyse nouvelle pour comprendre les enjeux de cet objet. Cette
grille d’analyse nous permet de démontrer, que la finance solidaire est coexistante avec le
développement de l’économie marchande (section2), qu’elle ne se résume pas à la « finance
des pauvres » (section 3) et qu’elle a un rôle spécifique par rapport au financement bancaire
capitaliste (section 4).
SECTION 1 LES CONCEPTIONS ANCIENNES ET ACTUELLES DE LA FINANCE SOLIDAIRE
Les différentes conceptions de la finance solidaire ont en commun de s’interroger sur la
question de l’accès à la monnaie. Néanmoins, ces conceptions se difrencient selon le
concept de monnaie sur lequel elles sont édifiées : monnaie-numéraire, monnaie-marchandise,
monnaie-dette sociale, etc. Corollairement, les modes d’organisation du crédit et les
différentes dimensions de la solidarité, qui en découlent, expliquent la diversité de la finance
solidaire contemporaine. Nous avons donc sélectionné des auteurs emblématiques qui ont
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écrit sur la finance solidaire (ancienne ou moderne), puis nous avons questionné leurs travaux
en fonction de leur concept de monnaie et de l’organisation du crédit (1.1). La mise en
critique de ces conceptions implique la construction d’une grille d’analyse pertinente qui
combine le concept keynésien de monnaie dans un environnement régulationniste (1.2).
1.1 Des conceptions de la finance solidaire en lien avec le concept de monnaie
Les travaux anciens et actuels sur la finance solidaire peuvent être regroupés en deux sous
groupes en fonction du concept de monnaie utili: d’une part, les conceptions dites
classiques la monnaie est un simple numéraire (1.1.1), d’autre part, les conceptions dites
alternatives qui intègrent la dimension sociopolitique de la monnaie (1.1.2).
1.1.1 Les conceptions classiques de la finance solidaire : un intermédiaire financier
adaptée vers le marché
a) Les associations populaires de crédit selon Léon WALRAS
Les associations populaires de crédit facilitent la création d’un capital indivisible par le
regroupement de cotisations faibles mais régulières des membres afin d’une part de faciliter
l’accès au crédit personnel par la garantie collective et la mise à disposition sous forme de
prêts ou d’avances, et d’autre part d’encourager l’augmentation des revenus des membres par
les opérations de crédits. Comme intermédiaire, les associations populaires de crédit insèrent
ses membres dans le système financier et apportent la confiance nécessaire au crédit. Elles
s’inscrivent dans la production de richesse sociale à partir de l’initiative individuelle sans
l’intervention de l’Etat.
Dans l’analyse
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de WALRAS, le crédit est équivalent à la location du capital dans laquelle
la monnaie est un simple numéraire (WALRAS, 1865 p50). WALRAS explique l’existence de
difficultés d’accès au crédit pour plusieurs raisons : d’abord, le manque de garanties réelles de
la part de l’emprunteur (WALRAS, 1865 p 53), d’où un problème de la confiance ; puis le
risque de la perte de valeur du capital, d’où un problème d’assurance ; enfin, l’incertitude sur
le paiement des intérêts de la location du capital. A la place d’élever le taux d’intérêt,
WALRAS pense que les associations populaires de crédit sont une solution au problème du
crédit grâce à la garantie collective.
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Il faut souligner que la théorie de crédit de Walras a évolué par rapport aux éléments contenus dans ces leçons.
Sa première théorie du crédit date de vrier 1898, publiée dans la Revue d’Economie Politique et dans ses
Etudes d’économie politique appliquée. Ces publications ont été élaborées à partir de manuscrits rédigés dès
1872-73 (Rebeyrol, 1999).
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Dans les associations populaires, le crédit est réorganisé de manière collective afin
d’élargir les garanties. Néanmoins, les associations populaires de crédit n’ont pas eu la portée
que leur avait prédite WALRAS. En effet, son cadre conceptuel est a-monétaire, la monnaie
comme simple numéraire peut être abstraite du modèle, et il évince la spécificité de la forme
collective des associations populaires. Comme le précise DEMOUSTIER (1987), les associations
populaires sont des entrepreneurs collectifs qui regroupent des intérêts divergents faisant des
arbitrages, alors la solution révèle alors de « l’initiative collective, non étatique »
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afin de
regrouper au-delà des travailleurs et constituer un groupe plus large, plus hétérogène.
b) Le micro crédit : un intermédiaire financier adapté à la petite entreprise ?
Le micro crédit est un prêt d’un montant unitaire faible selon un mode d’organisation
adapté pour des personnes en situation d’exclusion bancaire, une des principales organisations
de micro crédit est la Grameen Bank au Bangladesh. Les points forts du micro crédit sont la
caution mutuelle et la relation durable entre la banque et les emprunteurs, le contrôle et la
gestion décentralisée du financement (décision et suivi) et la forte adéquation entre la
clientèle et le produit. Les travaux sur le micro crédit qui s’inscrivent dans une grille de
lecture orthodoxe reprenant les derniers apports de la théorie bancaire mainstream, montrent
que les institutions de micro crédit sont des opérateurs producteurs d’information et
réducteurs de risque dans un processus d’allocation des fonds disponibles (ARMENDARIZ DE
AGHION & MORDUCH, 2005). Fondée sur des relations interpersonnelles en lien avec la
proximité, le micro crédit s’inscrit dans une vision classique de l’intermédiation financière où
la monnaie est neutre et les relations sociales encadrant la relation monétaire sont des facteurs
exogènes qui sont sous estimés dans la compréhension du succès relatif du modèle (taux de
remboursement élevé).
1.1.2 Une conception alternative de la finance solidaire : le rôle sociopolitique des
relations monétaires
a) La critique proudhonienne de la monnaie-or et le crédit mutuel à travers
l’expérience de la Banque d’échange
Face à l’interdépendance croissante des activités productives et la concentration du
capital, l’organisation du crédit est fondamentale selon PROUDHON pour former la société :
avec la Banque d’Echange, il propose la suppression de la monnaie métallique remplacée par
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DEMOUSTIER, 1987, p 37
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la généralisation des lettres de change et l’échange mutuel des produits. A l’inverse des
banques commerciales qui délivrent des billets convertibles en monnaie métallique en
contrepartie d’effets escomptés, la Banque d’échange fournit des bons d’échange non
convertibles en or mais avec cours légal auprès des membres en contrepartie de marchandises
livrées ou « au moins acceptées ». Sans but lucratif et sans obligation de convertibilité or, la
Banque d’échange organise gratuitement le crédit pour ses membres. Comme le montre EGE
(2000), l’organisation du crédit de PROUDHON nécessite un environnement certain sans
problème d’information et où toutes les anticipations sont réalisées.
La Banque d’Echange ambitionne de dépasser les limites de la monnaie-or par
l’émission de bons d’échanges non convertibles mais conservant les fonctions d’étalon de
mesure et de moyen d’échange. Admettant les limites de la Banque d’échange et son échec
(EGE 2000, GUESLIN, 1998, RIST, 1944), la conception proudhonienne de l’organisation du
crédit présente plusieurs intérêts : elle met en cause la monnaie métallique dans les crises de
la circulation, elle propose une gestion collective et non lucrative du crédit reposant sur le
mutuellisme entre les membres à la fois prêteurs et emprunteurs.
b) La finance solidaire contemporaine : l’enchevêtrement des liens financiers et les
liens sociaux
Les rapports du Centre Walras « Exclusion et liens financiers », publiés depuis 1997
sous la direction de JM SERVET, et des publications complémentaires des chercheurs de ce
groupe (en particulier les travaux de JM SERVET, I. GUERIN, J. BLANC ET D. VALLAT) ont
démontré que les liens financiers s’enracinent dans des liens sociaux. La finance solidaire,
vecteur de lien social, est analysée comme une instrumentalisation d’outils de financement
(crédits, participations, garantie…) capable de récréer du lien social et marrer un processus
de réinsertion au sens large (insertion professionnelle, sociale…) (SERVET JM & VALLAT D,
1999/2000). Elle permet de lutter contre les problèmes d’asymétrie d’information ex ante et
ex post par l’accompagnement socio-financier et l’encastrement socio politique et socio
économique des liens financiers : elle a un rôle de sélection, d’accompagnement, de validation
et de contrôle des emprunteurs (VALLAT, 1999, VALLAT & GUERIN, 1999, GUERIN, 1999).
Cette conception de la finance solidaire se fonde sur la sociologie économique et sur
une approche anthropologique de la dette pour montrer la dimension sociale de la monnaie :
les relations monétaires et financières sont imbriquées dans les relations sociales, au delà d’un
simple contrat financier. Le rôle de la finance solidaire consiste à réduire les risques liés à
l’activité de financement pour la petite économie correspondant au rez-de-chaussée de la
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