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système moral (la dignité humaine, les droits humains) mais elle le concrétise de façon
contingente et elle se heurte aux morales des diverses fois et convictions que l’on doit, et
souhaite, faire coexister dans la société.
Cela complique les choses, mais ne saurait être éludé. Au demeurant, il n’est pas souhaitable
que ce le soit : aucun humaniste, religieux ou laïque, ne peut accepter que l’ordre moral se
voie strictement subordonné aux contingences de l’ordre politique ou juridique. La liberté de
conscience est première et une maîtrise totale des comportements par la loi – une loi qui n’est
pas la morale et qui est consciemment et volontairement décalée par rapport à l’évolution des
mœurs – deviendrait vite totalitaire. La « neutralité » éthique de l’État laïque se heurte à la
liberté de conscience (et d’expression) : une loi, des morales.
Ce défi ne se prête pas à des solutions tranchées et a priori. L’arbitrage moral passe,
aujourd’hui, par le discernement et la délibération éthique des citoyens, individuellement ou
en groupe.
Elle fait place à une liberté, donc à un droit et même, parfois, un devoir
d’insoumission. Avant de poser un problème juridique, sur lequel nous reviendrons, cette
liberté se heurte à la peur qui habite et gouverne beaucoup de nos contemporains, comme
aussi les instances religieuses, politiques ou juridiques qui les régissent. Entre le fanatisme de
ceux qui n’ont que des certitudes et les peurs de ceux qui n’ont que des doutes, il est peu
d’espace, puisque nous avons tous à la fois des convictions et des doutes.
II. DES CONVERGENCES ÉTHIQUES ET POLITIQUES À EXPLOITER
Si l’Europe voit quelquefois se heurter religions et convictions philosophiques, elle est aussi
et collectivement l’héritière de ces courants. Tous, nous sommes héritiers d’une histoire
culturelle qui rassemble des apports grecs, judéo-chrétiens et humanistes.
On a longtemps cru devoir séparer les démarches religieuses, au motif qu’elles faisaient
intervenir un agent extérieur : un Dieu qui, parce que créateur et acteur dans notre histoire,
viendrait en bouleverser le déroulement. Du « Dieu l’a voulu » résigné au « Dieu le veut »
autoritaire, une vérité transcendante venait brider le libre-examen et le libre discernement
humains.
Dans le monde catholique, l’« anti-modernisme » romain a eu la vie dure et il laisse
aujourd’hui encore des traces dans ses pratiques. La pensée catholique a évolué, cependant, et
la doctrine officielle – qui, comme le droit, ne suit les mœurs qu’avec un retard respectueux –
a sanctionné ce qui, des générations après Jacques Maritain ou Emmanuel Mounier, constitue
un véritable humanisme chrétien ; celui-ci est devenu très proche de la vision protestante
libérale. Nous en parlons comme d’une « sécularisation », au sens que l’homme est redevenu
– comme il n’aurait jamais dû cesser de l’être – le centre de notre foi : le christianisme est une
religion de l’incarnation. Nous croyons en Dieu, mais nous croyons que Dieu a mis l’homme,
libre et autonome, au centre de sa création.
Et cela devrait permettre que nous nous rejoignions pratiquement. Pas pour adhérer au poncif
paresseux, voulant « qu’on retienne ce qui nous unit et pas ce qui nous sépare », mais parce
que nous nous heurtons tous, ensemble, à des situations ou évolutions qui dénigrent l’homme.
Je pense surtout à l’Europe, qui se construit sur le modèle de la mondialisation de façon
affairiste, cynique et tout compte fait de moins en moins démocratique, de moins en moins
respectueuse de droits humains. Au delà de différences qu’on ne saurait sous-estimer, notre
commun humanisme, notre commune sécularisation, devrait nous permettre de résister
Cf notamment Pietro Prini, dans ce volume.