Entre frustrations et dénis, le malaise des musulmans de France
Peu nombreux dans les manifestations après les attentats en France, les musulmans sont pris
entre sentiment de frustration et déni que ces actes, qu'ils ont réprouvés dans leur immense
majorité ,puissent avoir quelque rapport que ce soit avec l'islam, selon l'intellectuel Rachid Benzine. La communauté musulmane est estimée en France à 3,5 millions, la plus importante
d'Europe. Elle vient pour l'essentiel des anciennes colonies françaises: Algérie, Maroc, Tunisie,
Sénégal, Mali notamment, ainsi que de Turquie. Le président François Hollande a souligné
jeudi que "les Français de confession musulmane ont les mêmes droits, les mêmes devoirs que
tous les citoyens". "Ils doivent être protégés. La laïcité y concourt, elle respecte toutes les religions", a-t-il insisté ,alors que plusieurs mosquées ont été vandalisées après ces attentats commis par trois jeunes Français se réclamant du jihadisme. Mais pour Rachid Benzine, universitaire franco-marocain interrogé jeudi par l'AFP, de nombreux musulmans "ressentent une inégalité de traitement" et une forme de "déni" de la société française à leur égard . Entre
humiliations devant les regards "condescendants" dans un pays qui "n'a pas encore fait le deuil
de son empire colonial", crainte de "stigmatisation" et sentiment que "la laïcité ne tient pas compte de leur sensibilité religieuse", certains peinent à trouver leur place, souligne-t-il. Et cela
"même chez des gens totalement intégrés, qui ont réussi, qui ne sont pas spécialement religieux
et en viennent à penser à quitter la France." Les publications des caricatures du prophète Mohammad par Charlie Hebdo ont été mal vécues "y compris par ces gens, cadres, intellectuels,
qui ont le sentiment qu'on ne tient pas compte de leur paysage intérieur." Certains ont retourné le slogan "Je suis Charlie", affiché dans toute la France en solidarité aux victimes de l'attentat
contre l'hebdomadaire, en proclamant sur les réseaux sociaux "Je ne suis pas
Charlie." S’interroger sur le succès du jihadisme Le Premier ministre Manuel Halls a souligné mercredi que le délit de blasphème, réprimé dans des pays musulmans mais également de
tradition chrétienne, n'est pas et "ne sera jamais" dans le droit français. Les conditions de la
naissance de la laïcité en France, marquée de longs conflits avec l'Église catholique, expliquent l'attachement des Français à la liberté de critiquer voire de moquer la religion. Rachid Benzine,
auteur d'un livre sur "les nouveaux penseurs de l'Islam", pointe "un autre déni" qui concerne les
musulmans eux-mêmes et notamment leurs représentants. "Ils disent que ces attentats, ou les
actes de Daesh (groupe Etat islamique en Irak), n'ont cela n'a rien à voir avec l'islam, ce qui est faux." "Ces actes sont aussi une expression de l'islam contemporain", nourri par "la montée du
wahhabisme ou des Frères musulmans qui remplacent l'islam traditionnel", analyse
l'islamologue. Le jihadisme "n'aurait pas ce succès s'il n'y avait pas l'adhésion d'une partie des
musulmans du monde à ce qu'il représente." Le président français a rappelé que les musulmans
sont les "premières victimes du fanatisme, du fondamentalisme, de l'intolérance"."L'islamisme
radical s'est nourri de toutes les contradictions, de toutes les influences, de toutes les misères, de
toutes les inégalités, de tous les conflits non réglés depuis trop longtemps", a souligné François Hollande. Rachid Benzine met aussi l'accent sur les "frustrations" des jeunes tentés par le
jihadisme, dans une société qui ne leur a pas donné leur place. Mais il appelle aussi les musulmans à être "capables d'autocritique, d'analyser ce qui ne va pas, ce qui a été raté dans
l'enseignement de l'islam"."Il existe une histoire sacrée de l'islam mais pas un vrai travail sur
l'histoire de l'islam", relève-t-il. "Ces jeunes sont des analphabètes religieux. Ils sont dans une
rupture de la tradition musulmane et n'ont pas les outils pour répondre aux défis auxquels ils sont
confrontés."
18:58 2015-01-15